L’Enfer des Hommes

 

Une grande pièce en rez-de-jardin, dans une maison.

 

I,1 : L'abruti : Non, non; mais qu'est-ce que tu y ferais ?

Claire : Marc emmène bien Léa !

L'abruti : C'est une fille de footballeur, c'est spécial.

Claire : Il l'aime peut-être plus, c'est tout.

L'abruti : Nous y revoilà.

Claire : Je ne veux pas rester à t'attendre à la maison.

L'abruti (la singeant) : Je ne veux pas faire le ménage.

Claire : Pourquoi n'est-ce pas toi qui ferais le ménage ?

L'abruti (la singeant) : Je ne veux pas m'occuper des gosses.

Claire : Je n'ai pas dit ça. J'ai dit : pas toute seule. Je ne vois pas pourquoi tu ne t'en occuperais pas aussi.

L'abruti : Mais oui, mais oui, on est d'accord...

Claire : Quand on s'est marié, c'était sur des bases bien définies.

L'abruti : Et c'est reparti !

Claire : Nous en avons discuté longuement.

L'abruti : Une crise par jour en moyenne, j'ai pas tiré l'bon lot, moi.

Claire : Je ne suis pas venue de chez moi dans ce bled perdu pour y vivre comme au moyen-âge. Je peux rentrer chez moi.

L'abruti (explosant) : On n'est pas collé ! On est marié ! J'ai le droit d'aller m'amuser sans être tenu en laisse par ma femme. J'en ai marre que tout le monde se foute de moi parce que tu diriges tout. Derrière mon dos, je les entends m'appeler "le caniche". Si j'allais au bordel tu y viendrais aussi afin de me donner tes avis éclairés.

Claire (froidement) : Pourquoi pas, si tu ne t'y montrais pas plus chaud qu'avec moi tu aurais sûrement droit à un nouveau sobriquet.

L'abruti : Ah oui ! Lequel, par exemple ?

Claire : Par exemple "le glaçon" ou "la banquise" même !

L'abruti : Tu ne pourrais pas t'élever un peu et penser à autre chose qu'au sexe ! On en revient toujours là avec toi !

Claire : Non je ne peux pas. Tu ne m'as pas fait l'amour depuis onze jours.

L'abruti : Tiens, je croyais quatre... Et dans le garage ?

Claire : Pour ce qu'il y a eu, ça ne compte pas.

L'abruti (pas content) : Eh ben, faites donc des efforts...

Claire : Des efforts !

L'abruti : Bon, je t'emmènerai au bordel, mais pour le foot, j'y vais tout seul.

I, 2. Le cyclope (Frédéric. Tenue de sport. Entrant, suivi de Rose, une petite femme toute en noir) : Alors, prêt, Tony ? J'ai amené ma femme pour la laisser avec la tienne. Je ne suis jamais tranquille quand elle est toute seule.

L'abruti : Bien sûr, Claire s'en occupera.

Claire : ...

Le cyclope (s'avançant pour embrasser Claire) : Bonsoir, Claire. Alors, toujours allergique au foot ?

Claire : ...

Le cyclope (à sa femme) : Avance, toi; viens embrasser Claire.

Rose (avance d'un pas craintif; elle embrasse Claire) : Bonsoir, Claire.

Le cyclope (à sa femme) : Et Tony.

Rose (même jeu) : Bonsoir, Tony.

L'abruti (gêné, au cyclope) : Elle ne va pas mieux ?

Le cyclope : Non, c'est sans espoir.

L'abruti (au cyclope) : Heureusement qu'elle n'aime pas le foot. Elle foutrait la soirée par terre.

Le cyclope : Çà, à la maison, c'est pas drôle.

L'abruti (tapant sur l'épaule du cyclope) : Mon pauvre vieux. (La petite femme noire s'est rangée sur un côté de la pièce; elle a toujours les yeux baissés.) Mais on-va-ga-gner !

L'abruti (chantant) puis Le cyclope (faisant chorus) : C'est le soir de la victoire ! C'est le soir du grand jour ! (Criant ensemble :) On va gagner !

Claire (pendant ce temps s'est approchée de la petite femme noire; dans un souffle) : Mais qu'y a-t-il ? (La petite femme noire ne bouge pas, ne répond pas.)

Le cyclope (voyant le jeu de Claire) : Laissez-la tranquille, elle est comme ça, elle est comme ça. Vous veillez juste à ce qu'elle ne file pas et je repasse la prendre tout à l'heure.

(Entre le financier, Marc, faisant passer devant lui sa femme Léa. Lui, tee-shirt rouge flamboyant et jean bleu; elle, jean et tee-shirt rouges, d'un rouge moins vif mais les couleurs de l'équipe peintes sur la figure : rouge vif, rouge moins vif, bleu.)

Le financier : Alors les gars, prêts pour le triomphe ?

L'abruti et Le cyclope (très militaires) : Prêts !

Léa : Moi aussi, je suis prête. Oh, mais quoi, Claire, tu n'es pas aux couleurs de l'équipe ?

Le financier Léa) : Voyons, tu sais bien qu'elle n'aime pas.

Léa : Ben oui, mais là c'est un match historique ! His-to-ri-que !

Claire (froidement, mais sans bouger) : Bonsoir, Léa.

Rose (mécaniquement, sans bouger ni lever la tête) : Bonsoir, Léa.

Léa (regardant Rose, sans cacher son dégoût) : Ah, elle est là aussi, celle-là.

Le cyclope : Claire veut bien la garder.

Léa : Tant mieux. La seule fois où elle est venue, tu as passé le match à l'emmener aux toilettes et elle revenait de plus en plus mal à chaque fois. Un vrai calvaire.

Le financier (intervenant brusquement et allant embrasser Rose) : Bonsoir, Rose.

Rose (de sa voix mécanique, sans ton) : Bonsoir, Marc.

L'abruti : C'est bon d'être là tous ensemble, tous heureux. Les amis, ça ne se remplace pas. Sans vous, qu'est-ce que je m'ennuierais.

Le cyclope : Le foot, Tony, Marc, voilà ce qui est sacré pour moi.

Le financier : J'y ajouterai ma femme Léa. (Tous rient, sauf Claire et la petite femme noire.)

L'abruti : Encore une heure à attendre avant de partir.

I, 3. Le cyclope : On met la télé ? (Il la met en marche.)

Le présentateur : Toute la ville s'apprête à quitter la ville. Mais pas de voitures aujourd'hui, rappelons-le. Evitez l'amende, elle est particulièrement forte. Les transports en commun sont remarquablement organisés, chacun doit attendre sagement son tour. Regardez comme tout se passe bien dans le quartier de Savigny. (Images.)

L'abruti : Moi j'aime mieux la foire, chacun y va comme il veut; on s'engueule, on se tape dessus, on s'amuse, quoi.

Le cyclope (regardant l'écran) : On dirait des moutons.

Le présentateur (reprenant) : Pas un homme digne de ce nom ne manquerait ce match. Bientôt il ne restera plus chez nous que ceux de la prison et des femmes. Une nuit bien étrange en somme commencera pour notre ville. (Le cyclope arrête la télévision.)

L'abruti Claire) : Quand les portes des remparts seront refermées derrière nous, vous serez aussi à l'abri que les gars dans la prison. (Elle l'ignore délibérément.)

Le financier : Il paraît qu'il ne restera même pas un policier à l'intérieur.

Le cyclope : La police doit être là où sont les citoyens.

Léa : Tu dois le savoir mieux que personne. Ce n'est pas toi qui  as  informatisé  les directives pour la soirée ?

Le cyclope : Ah non. Non, moi pour le moment je vérifie les comptabilités des commissariats. Il n'y a pas plus chiant.

L'abruti : C'est dommage, tu aurais pu nous arranger un petit passe-droit pour ma bagnole.

Le financier : Oh oui, fais ça, Cyclope.

Le cyclope : Tu ne m'appelles plus comme ça, d'accord ? On n'a plus dix ans.

Claire (méprisante) : On le dirait, pourtant.

Le cyclope (fâché) : Non mais, dis donc !

Claire : Je parlais pour mon mari.

Léa : Bien sûr, car mon Marc (Elle l'embrasse.), il me prouve tous les soirs qu'il a beaucoup plus.

Claire : Tous les soirs ?

Le financier (modeste) : Mais j'ai la femme la plus attirante du monde.

Claire (vexée) : Enfin, je ne suis pas mal non plus, je crois.

Le financier : Bien sûr, mais (Clin d'oeil.) c'est un autre qui en profite. (Rire de Léa.)

Claire : Si on ne sait pas m'apprécier, des hommes il y en a d'autres. (Silence gêné.) Je ne vais pas gâcher ma vie dans ce trou perdu et me laisser humilier de la sorte !

Le financier (gêné) : Je ne voulais pas...

Claire (explosant) : Je ne suis pas d'ici, je viens d'une ville où on sait se conduire avec une femme ! Ici, je m'ennuie, avec une brute ! Je ne sors jamais, je ne travaille pas, et je me demande encore ce que sont les fantastiques rapports dont j'ai entendu parler !

L'abruti (livide) : Oui, les rapports... je t'en ai concocté un dont tu me diras des nouvelles... Ah mais... Qu'est-ce que tu crois ?... Ici on fait un rapport annuel sur sa femme... Pour la moralité dans la ville.

Claire : Un quoi ? Pour quoi ?

L'abruti : Un homme est responsable de sa femme. Il doit renseigner les autorités sur son comportement... Afin qu'elle reçoive une bonne leçon si nécessaire... Et que tout rentre dans l'ordre.

Claire : Qu'est-ce que c'est encore que cette énormité ?

L'abruti : Eh oui, les excitées, faut les calmer... Et le rapport sur toi, il est salé !

Le cyclope : Dieu merci, ici c'est encore la loi des mâles.

L'abruti (au cyclope) : Tu n'as pas négligé les traditions, tu as envoyé ton rapport dans les délais ?

Le cyclope : Bien sûr.

L'abruti : Et toi, Marc ?

Le financier (embrassant Léa qui écoute, surprise) : Moi, je ne pouvais qu'avoir un excellent rapport à faire. (Elle rit.)

L'abruti : Ce n'est pas comme moi.

Claire (furieuse) : Mais ils  se foutent de moi ! Eh, le nain, je  peux  savoir  comment tu comptes me châtier ?

L'abruti : ... Quand les portes de la ville se ferment, une fois tous les vingt ans, les portes de la prison s'ouvrent. Il y a les prisonniers et il y a les femmes abandonnées dans la ville. On ne rouvre pas les portes pendant vingt-quatre heures. Quand on rouvre, on punit les hommes coupables si on trouve qui l'est, mais on ne le trouve pas forcément

Léa (naïvement) : Coupables de quoi ?

Le cyclope (l'air allumé) : Les viols, les meurtres...

Claire : Mais c'est horrible. Comment peux-tu me dire en face une chose pareille ?

L'abruti : Ce sont les autorités qui décident. Pas moi.

Le cyclope (l'air inspiré) : C'est le nuit des violeurs.

L'abruti : Tu as poussé le bouchon un peu loin, ma fille. J'ai reçu l'ordre des autorités, elles vont faire des contrôles, tu dois rester ici.

Claire : Je resterai si je veux. Si tu crois que j'ai envie maintenant de sortir avec toi !

Le cyclope : C'est peut-être cette nuit... la nuit des violeurs.

Léa (au financier) : C'est pas vrai, dis ?

L'abruti : Je n'y peux rien, c'est comme ça, c'est la loi.

Claire (lui envoyant un objet à la tête) : Je voudrais être un homme pour te casser la gueule, sale connard !

L'abruti (esquivant, impassible) : Tu es une femme mauvaise, tu dois payer.

Le financier (au cyclope pour détourner la dispute) : Alors, cyclope, notre passe-droit si tu essayais de nous le procurer ?

Le cyclope (toujours l'air allumé) : J'y pensais. Je crois que je peux y arriver. (A L'abruti :) Ton ordinateur, toujours par là ?

L'abruti : Le bureau par là, oui.

Le cyclope : Bien. (Il sort par la porte indiquée.)

L'abruti (s'ébrouant) : Ah mais !

Claire (les  bras croisés, le  fixant méprisant) : Tu  n'étais que  lamentable, mais  maintenant je te méprise !

I. 4. Le financier (pour détourner la conversation et meubler, à L'abruti) : Dis donc. Pour le lot Marvil, c'est d'accord. Tu es toujours partant ? Les terrains sont un peu chers mais avec Pierre comme architecte je suis sûr de mon coup.

L'abruti : Je croyais que tu avais été écarté faute d'appuis politiques ?

Le financier : J'ai mis les moyens. Encore un rendez-vous mais ce sera sans surprise, tout est réglé, il n'y a plus que des formalités.

L'abruti : Eh bien, tu le sais, je te suis, de toute façon, les yeux bandés.

Claire : Mais c'est mon argent aussi, et moi j'aimerais des garanties.

L'abruti : Ce n'est pas ton argent, il me vient de mon père. Et celui-là il n'est pas sur le compte commun.

Claire (surprise) : Ah bon ? Tu as de l'argent ailleurs ?

L'abruti (d'un ton suffisant) : L'argent pour les affaires. Les affaires avec Marc. Le meilleur homme d'affaires de toute la ville.

Léa : Il a multiplié ce que j'avais par cent.

Le financier (modeste) : Il faut profiter des opportunités, c'est tout.

L'abruti : Quand même; moi je ne saurais pas.

Claire : Ça; on s'en doute.

Léa : Il y a les relations à entretenir aussi. Et savoir faire travailler ceux qu'il faut.

Le financier : Bref, tu es avec moi, c'est l'essentiel.

L'abruti : Je te fais le chèque prévu tout de suite si tu veux.

Le financier : Rien ne presse. Je repasserai demain.

(On frappe à la porte.)

I,5 . La vieille : On peut entrer ? J'entre.

L'abruti (pas aimable) : Ne vous gênez pas.

La vieille (à la cantonade) : Bonsoir, bonsoir. (Tous lui répondent vaguement, sauf Rose.) Les vieux ont pris leur bus et hop en choeur au match de foot. Je me sentais un peu seule à la maison de retraite. Je me suis dit : je vais aller tenir compagnie à Claire... Elle qui a horreur du foot, on est sûre de la trouver à la maison... Franchement tous ces vieux qui ne peuvent pas faire trois pas sans leurs cannes, quand ils peuvent encore faire un pas, aller voir trottiner les beautés mâles du moment...

L'abruti : Ils jouent, aussi.

La vieille (pince-sans-rire) : Les vieux ? Alors on va gagner le championnat cette année. (Prise d'un doute; à Claire :) Tu restes bien là, ce soir ?

Claire (maussade) : Mais oui; et j'aurai même droit à la compagnie de Rose.

La vieille (remarquant enfin Rose) : Ah, tu es là toi. Toujours tabassée par ton mari et toujours à ne rien dire.

Léa (au financier) : Quoi ?

La vieille : Si tu n'étais pas si stupide, il serait depuis longtemps en taule et tu n'aurais plus cet air de zombie.

Claire : Vous devez confondre avec quelqu'un d'autre, je ne pense pas que Frédéric...

Léa : Ben oui, quand même.

Rose (de sa voix mécanique, sans bouger) : Bonsoir, Marthe.

La vieille (fâchée) : J'ai encore toute ma tête.

Claire : Bien sûr, mais il ne faut pas dire du mal des gens.

Léa : Enfin, c'est un ami de Marc !

Le financier (pour détourner la conversation) : Léa, elle, vient avec nous mais j'espère qu'elle ne va pas avoir envie d'être le ballon de la pelouse.

Léa (riant à moitié, scandalisée) : Oh, bébé !

Le financier : Eh, si l'on suit la logique de notre vieille amie.

La vieille : Pas si vieille.

L'abruti : Je parie que vous ne vous souvenez même pas des nuits des violeurs.

Claire : Encore son absurdité !

La vieille : Les quoi ?

L'abruti : La nuit des violeurs, mémé, ça vous dit quéqu'chose ?

La vieille (cherchant) : Ça me dit, ça me dit...

Léa : Laisse-la donc tranquille.

Claire : Mais non, mettons fin une bonne fois à cette absurdité.

La vieille : ... (Se lançant :) Ah oui, quelle horreur !... Mais on les a mis en prison... je crois.

L'abruti : Ils en sortaient, mémé, de toute façon. Ils y sont juste retournés.

La vieille : Oui, oui, ça me revient... Pauvres femmes. Je les ai reçues à l'hôpital. Elles étaient dans un état... affreux.

Le financier : C'est vrai, vous étiez infirmière.

La vieille : Aux urgences. Pendant des années. Ah j'en ai vues ! Défiler... Là ce n'était pas un défilé de mode... Et même des mannequins, et des mannequins célèbres, je les ai vues... Ma foi, j'ai fait ce que j'ai pu.

Claire : Mais ce n'était pas la même nuit ?

La vieille : La nuit c'est toujours pareil. C'est toujours la même nuit. On a l'impression qu'elle ne finira jamais.

Léa : Mais il n'y a pas eu une nuit spéciale ?

La vieille : Spéciale ?

L'abruti : Souvenez-vous, mémé, c'était il y a vingt ans tout juste. Vous n'étiez sûrement pas dans la ville cette nuit-là. Quel était le prétexte pour faire sortir tous les gens ? Vous êtes tous sortis, ou presque, et les portes de la ville se sont refermées derrière vous...

La vieille : ... Ah ! Lors de la menace des attentats à la bombe ? Oui, on a dû évacuer.

L'abruti : Et le lendemain...

La vieille : Le lendemain, forcément, on a eu du travail. Après vingt-quatre heures... Surtout que... Attendez... Oui, on avait oublié ceux de la prison, ils avaient réussi à sortir et alors les citoyens qui étaient restés quand même, les femmes je veux dire... Ah ben, oui, comment est-ce que ça a pu me sortir de la tête. Une horreur pareille. Tous les fous que l'on enferme là faute de place dans les asiles les ont violées, torturées à mort. Une abomination !

L'abruti (triomphant, à Claire) : Ah, tu vois !

Claire (stupéfaite) : Vraiment ?

Léa : Mon dieu !

L'abruti : Tous les vingt ans !

La vieille : J'avais oublié. J'aurais préféré continuer d'oublier.

I, 6. Le cyclope (revenant du bureau, très joyeux) : Ça y est !

Le financier (épaté) : Tu as réussi ?

L'abruti (grande tape sur l'épaule) : Je savais bien.

La vieille (curieuse) : Qu'est-ce qu'ils ont fait ?

Claire (dépitée) : Alors, ça a marché. Décidément on ne peut même pas se fier à la police.

Le cyclope (avec un regard mauvais) : A force de répéter ça, on finit par gagner.

Claire (mécontente) : Quoi !

Le cyclope (joyeux) : (A la vieille :) Bonsoir Marthe; je vous ai entendue arriver. (A tous :) Tout compte fait je suis bien content d'être aux statistiques et à la vérification de comptes. Tranquille. Aucune responsabilité véritable.

La vieille (hargneuse) : Tu t'en fous, mon garçon, mais pendant que tu t'amuses, les salauds agissent.

L'abruti : Il ne va pas sauver la ville à lui tout seul.

Le financier (railleur) : Sauvons d'abord la police, il paraît qu'elle va mal.

La vieille : Enfin quoi, avant tes statistiques, on a dû t'apprendre aussi  à te servir d'une arme, à quoi ça sert ?

Le cyclope (visant Claire, puis Léa qui s'écarte en riant) : Uniquement à la chasse aux lapins.

Léa : Oh, il tue les gentils lapins.

Le cyclope : Non, uniquement les méchants lapins. (Accentuer "méchants".)

Léa : Et comment tu sais qu'ils sont de "méchants" lapins ?

Le cyclope : Ils n'ont pas la conscience tranquille, alors ils se sauvent, ils courent.

(Rire qui éclate brutal, sonore et disproportionné, de Rose. Il arrête le rire des autres. Le corps de Rose en tremble. Le rire finit comme un râle de souffrance.

Seul Le cyclope ne l'a pas regardée. Claire va vers Rose qui ne bouge pas.)

Le cyclope (comme changeant de sujet) : Chaque jour meurent en moyenne trente-six personnes dans notre ville. Deux enfants en bas âge, cinq vieux, onze accidents, quinze meurtres, trois suicides. J'avais mis au point un jeu informatique, celui qui avait trouvé un des noms raflait la mise. Ça rapportait bien.

Le financier (étonné) : Tu as fait ça, toi ?

L'abruti : Ça t'a rapporté combien, ton truc ?

Le cyclope (joyeux et ambigu) : J'en sais plus en informatique que vous ne croyez.
Claire : J'espère que l'inspection générale de la police l'a trouvé et y a mis fin rapidement.

Le cyclope (avec un regard mauvais) : Oui, encore des gens qui ont voulu se mêler de mes affaires. Ton père était inspecteur général, je crois.

L'abruti : Claire est de très bonne famille, sinon papa ne me l'aurait pas laissé épouser.

Le financier : Cela va de soi.

Léa : Eh bien, et moi, chéri ? Je viens du quartier de la Colline et tu m'as épousée quand même !

L'abruti : C'est qu'il est spécial, le Marc.

Le cyclope : Eh oui. Alors, on part ?

Le financier et Léa (se dirigeant vers la porte) : Au revoir, Claire. Au revoir Marthe. Au revoir Rose.

Le cyclope (les suivant, avec un regard mauvais) : C'est ça, au revoir Rose.

L'abruti (s'approchant de Claire pour l'embrasser mais elle lui tourne le dos) : Bon, on reste fâchés. Tu as vraiment un caractère impossible. Enfin, à tout à l'heure.

(Il sort aussi.)

I, 7. La vieille : On dirait que vos rapports sont un peu tendus.

Claire : Je viens de découvrir mon mari.

La vieille : C'est un peu tard.

Claire : Mais ce n'est pas trop tard.

La vieille : Peut-être, on ne peut pas savoir.

Claire : Rose, viens ici... Tu ne vas pas rester contre ce mur toute la soirée. (Rose s'approche lentement et reste debout à côté de Claire, sans jamais lever les yeux.) Assieds-toi. (Rose s'assied.) Et de découvrir ses amis. Eux non plus je ne les avais pas vus comme ça.

La vieille : C'est important, les amis. Surtout des amis d'enfance, comme eux. Ils ne se sont jamais quittés.

Claire : Oui, maintenant j'ai compris. (Brusquement elle essaie de remonter le tee-shirt de Rose qui a le réflexe de l'en empêcher en tirant le tee-shirt vers le bas d'une main, en repoussant les mains de Claire de l'autre.) Laisse-moi regarder. Je veux savoir. (Courte lutte. Rose se met à hurler, une sorte de cri déchirant, de peur et de haine. Claire abandonne.) Mais qu'est-ce que tu as donc ? (Rose se calme.)

La vieille (qui n'a pas bougé) : Je l'ai connue avant qu'elle soit avec lui. Une fille joyeuse, pleine de vie.

Claire : Mais qu'est-ce qui a pu se passer ?

La vieille : Au début, on l'a vue le visage tuméfié, des traces de coups, de brûlures sur les bras, sur les cuisses. Et ailleurs. Elle venait se plaindre. Chercher de l'aide. J'ai prévenu les services spécialisés. Puis on ne voyait plus rien sauf quand elle s'échappait et venait se plaindre. J'ai encore prévenu les services spécialisés. Et aussi les amis du cyclope. Marc. Ton mari. Et puis elle n'est plus jamais venue se plaindre. Mais je suis infirmière depuis longtemps. Qu'est-ce qu'il t'a fait Rose pour que tu deviennes comme ça ?

Claire : Mon mari. Quand même, il aurait fait quelque chose !

La vieille : Quoi ? Y participer ?

(Rire de Rose, le même que précédemment, qui glace les deux autres femmes.)

Claire (dans un souffle) : Je ne peux pas y croire.

(Rose s'arrête de rire comme dans un spasme.)

La vieille (froidement) : Bonsoir Rose.

Rose (de sa voix mécanique) : Bonsoir, Marthe.

La vieille (imitant le cyclope) : "Méchant" lapin.

(Rire de Rose, mais bref.)

La vieille Claire) : Elle n'est plus vivante.

Claire : Quoi ? Mais qu'est-ce que tu racontes !... Rose, on va s'occuper pendant cette soirée, on va faire un peu de cuisine. Qu'est-ce que tu aimes ? (Elle attend une réponse qui ne vient pas.)

La vieille : Tu perds ton temps. C'est une zombie.

Claire Rose) : Puis on se passera un film. Tu aimes bien un film, tout le monde a un film préféré... (Rose a une sorte de rire-gémissement bref, spasmodique.)

La vieille : Je crois que ce n'est pas du tout une bonne question.

I. 8. (On sonne à la porte. Une deuxième fois aussitôt. Claire va à la porte donnant sur la rue, on entend : "Une notification pour vous". Elle répond : "Ah ?... Attendez ! Mais attendez !")

Claire (revenant) : Un gendarme, il a filé après m'avoir remis ça. Jamais je n'avais vu un gendarme filer à cette vitesse. A croire qu'il était poursuivi par tous les voyous de la ville.

La vieille (curieuse) : Une notification de quoi ? Vous avez des impayés ?

Claire : Mais non. Quelle idée !... Voyons... (Lisant :) Notification des condamnations pour la Nuit des violeurs du 26 mars à l'adresse commune indiquée par les maris : Claire Barchof, Rose Hifoui, Léa Wartsberg, Marthe Vuillée. (Stupéfaite :) Qu'est-ce que c'est que ça ! (La vieille vient lire avec elle.) Et comme signature, avec tampon, celle du Maire !

La vieille : C'est bien imité.

Claire : Mais comment mon abruti de mari a-t-il eu le temps de finir de monter son coup ?

La vieille : Quel coup ? Et là, on est condamnées à quoi ?

Claire : Ou alors il n'est pas parti. Il est caché pas loin, il surveille pour s'amuser de mes réactions. Il veut me faire peur.

La vieille : Je ne comprends rien.

Claire : C'est pourtant toi qui as confirmé les dires de mon abruti de mari... (Devant le regard ahuri de la vieille :) sur la nuit des violeurs... tous les vingt ans...

La vieille : Mais non. Tu ne m'as pas comprise. Je n'ai jamais dit ça !

Claire : De toute façon il a commis une sottise sur son papier : il a ajouté Léa mais Léa est partie avec eux.

La vieille (qui commence de prendre peur) : Et moi, à mon âge... j'ai presque quatre-vingts ans... (Au bord des larmes.) Pourquoi est-ce qu'on me fait ça ?

Claire : Mais il n'y a rien, voyons; c'est juste une plaisanterie stupide.

La vieille (qui a peur) : Oui... Mais je vais quand même téléphoner pour dire qu'il y a une erreur. (Elle va prendre son téléphone dans son sac à main.) Ils ont bien mis un numéro de téléphone ?

Claire : Il y a juste celui de l'en-tête de la mairie.

La vieille : Oui, donne. (Elle regarde la feuille et fait le numéro.) ... Le répondeur... Quoi, fermeture pour aujourd'hui !

Claire : Le match, voyons.

La vieille : Ah oui... Essayons le service de la police et de la gendarmerie, là j'ai le numéro dans ma liste... voilà... (Elle écoute.) ... Pareil !... (Paniquée :) Il n'y a personne.

Claire : Oui, ils sont au match. Eh bien on va y aller aussi. A pied. Vous marchez encore sans problème ?

La vieille (catastrophée) : Ils ont fermé les portes. On ne peut plus sortir.

Claire (inquiète malgré elle) : Allons donc.

La vieille (qui a peur) : Ils ont dû prévoir l'ouverture des portes de la prison de la ville.

Claire (qui a peur) : Ce n'est pas possible. Personne ne ferait ça ! (Se tournant vers Rose :) Mais dis quelque chose, toi ! Tu comprends ce qui se passe ? On est enfermées ! En-fer-mées ! Et on nous menace des pires fous, des monstres que d'habitude on muselle, on enchaîne, on retient dans des cages !

(Rose se met à rire. Un rire douloureux, tragique.)

La vieille (effondrée) : On ne peut plus échapper.

Claire : Je n'y crois pas ! Je n'y crois pas !

(Le rire de Rose continue.)

NOIR

II, 1. (La même pièce, un peu plus tard.

La vieille  est seule avec Rose qui se balance mécaniquement d'avant en arrière sur son fauteuil.)

La vieille : Ce que je ne comprends pas c'est que je ne puisse pas téléphoner à l'extérieur de la ville. Rien. Impossible.

Rose (se balançant) : ... Mou... rir...

La vieille : Quoi ? Tu as parlé ?

Rose (se balançant) : Mou... rir.

La vieille : Mais non, on ne va pas mourir. Claire va nous trouver de l'aide.

Rose (se balançant) : Mou... rir.

La vieille : Ah. Arrête. .. Puisque tu parles, explique-moi, avec ton mari... qu'est-ce qui se passe ?

Rose (qui s'arrête de se balancer) : Je ne... dois... pas. (Elle a comme du mal à parler, à trouver les mots ou à les articuler.)

La vieille : Il te bat ? C'est ça ?

Rose : Je ne... dois... pas.

La vieille : Doit pas, doit pas. J'ai compris. Toi que j'ai connue si vive... Ma pauvre poupée. (Le mot a un effet inattendu sur Rose qui se met à hurler. On sent sa peur.)

La vieille : Arrête. Qu'est-ce qu'il y a ? Calme-toi, voyons. On n'est que toutes les deux ! Calme-toi... Là. (Rose se calme.) Je ne sais pas ce qu'ils t'ont fait mais tu es dans un sale état. Le pire que j'aie vu... à part celles qu'on a tuées évidemment.

Rose (nouvelle panique mais limitée) : Mou... rir.

La vieille : Mais non. Ils ne sont plus là et à leur retour, je ne sais pas où je vais te planquer, mais ils ne te retrouveront plus, je te le garantis. (Brusquement, elle va à Rose et essaie de lever le tee-shirt.) Laisse-moi voir.

Rose (hurlant) : Ah !... Non !... In-ter-dit. Non ! In-ter-dit...

La vieille (abandonnant et épongeant la sueur sur son front) : Ta panique est communicative; tu m'as mise en nage.

Rose : Veux mou-rir.

La vieille (stupéfaite) : Ah... Ah bon, tu n'as pas peur de... tu veux mourir ?

(On entend frapper selon un code, une clef tourner dans la serrure de la porte extérieure. Claire entre en faisant passer devant elle une jeune fille et referme la porte à clef.)

La jeune fille (visiblement très perturbée) : Bonsoir.

La vieille : Bonsoir; je suis Marthe. Voici Rose.

Claire (parlant de la jeune fille) : Elle ne peut même pas rentrer chez elle, elle n'a pas les clefs de son immeuble.

La vieille : Alors ? Comment c'est, dehors ?

Claire : Vide. Vide ! Je n'ai vu qu'elle. S'il y en a d'autres, elles se cachent. Ou alors, on est toutes seules.

Rose (qui s'est remise à se balancer) : Mou-rir. (Claire, épuisée nerveusement, n'y prête pas attention.)

La jeune fille (encore plus inquiète) : Qu'est-ce qu'elle a ?

La vieille : Elle n'est pas très bien en ce moment. Ne paniquez pas.

Claire (qui s'est effondrée dans un fauteuil) : Je suis allée jusqu'aux portes. Fermées. Impossible de les ouvrir. Impossible de se  faire entendre. Aucun accès  aux  murailles, ils ont  tous  été verrouillés. Verrouillés ! Pourquoi ? Ça ne servait à rien. On ne peut pas sortir, on ne peut pas prévenir. On est toutes seules.

La vieille : Si c'est bien le cas, en un sens c'est rassurant.

Rose : Mou-rir.

Claire : Mais elle a dit quelque chose ?

La vieille (à la jeune fille) : Comment ça s'est passé pour vous ? Vous n'avez pas vu partir les autres ? Vous étiez endormie dehors ?

La jeune fille : J'avais un rendez-vous... dans un hangar vers la rivière. Il n'est pas venu.

La vieille : Mais tu savais bien que c'était le jour du match ! Et tes parents ?

La jeune fille : Je leur ai dit que je partais de mon côté.

La vieille : Mais...

Claire (l'interrompant) : Le type a deux fois son âge. Il lui a donné rendez-vous juste avant le départ. Au dernier moment...

La vieille (comprenant lentement) : ... Oh ... Tu crois que...

Claire (brusquement) : A tout hasard il nous faudrait des armes.

La vieille : Je ne saurais pas m'en servir !

Claire : Nos hommes y arrivent, alors ça ne doit pas être bien malin.

La jeune fille (paniquée à nouveau) : Des armes ? Pour quoi faire ?

Claire (froidement) : Pour tirer le lapin. (Rose éclate de rire. Rire hystérique, douloureux, spasmodique.)

La jeune fille (épouvantée) : Qu'est-ce qu'elle a ?

Claire (se bouchant les oreilles) : Oh non.

La vieille (allant vers Rose) : Ça va passer. Là. Elle se calme.

La jeune fille Claire) : J'étais encore mieux dehors, toute seule.

Claire (se levant) : Ne dis pas de sottise. Tu étais en larmes effondrée à la porte de ton immeuble et il va commencer de pleuvoir... Mon abruti de mari avait un fusil, je le sais, parce qu'il lui est arrivé de (Regardant Rose.) ...enfin il l'a rangé au grenier, je dois le retrouver.

II,2 .  (On entend secouer la porte. Des voix d'hommes. Une clef tourne dans la serrure. Les femmes sont terrifiées. La porte s'ouvre.)

Le guéri (entrant le premier) : Ah... il y a du monde.

Le repenti (les découvrant à son tour) : Allons bon. Et des femmes en plus.

L'erreur informatique (voyant le tableau) : Elles ont peur de nous.

Le guéri : Ça se comprend.

Le repenti (aux femmes) : Il ne faut pas. Nous sommes rentrés dans le droit chemin.

L'erreur informatique : J'sais même pas pourquoi on m'a enfermé.

Le guéri : Et moi je suis guéri. Vous pouvez être tranquilles. N'ayez pas peur.

(Tous trois vêtus correctement mais pauvrement.)

Claire : Laissez-nous. Allez-vous-en.

Le guéri : Vous êtes Claire, n'est-ce pas ?

Claire (paniquée) : On vous a donné mon nom ?

Le guéri : Je suis un ami de Tony : Charles-Henri. Vous voyez ?

Claire : Non.

Le guéri : Il vient me voir tous les mois à la prison, je n'ai que lui, vous savez. Quel brave gars. Les amis d'enfance, y a qu'ça. Depuis qu'il vous connaît, seul sujet de conversation : Claire.

Claire (allant de surprise en surprise) : Ah bon ?

Le guéri : Mais je ne m'attendais pas à avoir l'honneur, et le bonheur, de faire votre connaissance aujourd'hui.

La vieille : Qu'est-ce que vous êtes venus faire ici ?

Le guéri : Qui est-ce ?

Claire : Marthe... Et puis Rose...

Le guéri (sur un ton ambigu) : Ah oui, Rose.

Claire : Et une jeune fille de passage.

Le repenti (galant) : Charmante.

L'erreur informatique : Moi c'est André. (Il va serrer la main de la jeune fille, puis celles des autres femmes, même celle de Rose qu'il saisit sans qu'elle réagisse; en effet elle regarde le groupe les yeux exorbités, comme pétrifiée. Parlant très vite :) J'ai été enfermé par erreur informatique, mais la justice n'a pas voulu le reconnaître. J'ai été victime d'une erreur judiciaire. J'ai été maltraité, battu, j'ai avoué mais je n'ai rien fait du tout. Dix ans que je suis avec les monstres et pour rien ! (Il fond en larmes.)

(Un temps.)

Le guéri (sentencieux) : La vie est parfois une route semée d'épines.

Le repenti (avidement) : Et d'éclats de verre.

Le guéri : Même de mines souterraines.

L'erreur informatique (calme) : Ce sont de braves gens aussi, allez, vous pouvez leur faire confiance. Comme à moi. (Il vient s'asseoir le plus près possible de la jeune fille.)

La vieille : Allez-vous-en.

Claire : Mon mari n'est pas là, je regrette. Repassez demain.

Le guéri, Le repenti, L'erreur informatique (riant) : Demain ?

Claire : Oui, il est à un match de foot, je suis désolée, mais il rentrera juste après.

(Un temps.)

Le guéri (expliquant bien) : Je n'ai que la clef de votre porte d'entrée. Je ne vais pas risquer de me mettre dans un mauvais cas en fracturant des portes. Et on ne va pas passer le nuit dehors.

Le repenti : Avec le temps qu'il fait, sûrement pas.

L'erreur informatique : Non, ce ne serait pas humain de nous mettre dehors.

Le repenti (vaguement menaçant) : Elle ne nous y mettra pas.

Claire : Mais il n'y a que des femmes ici.

Le guéri : Cela ne fait rien, je suis guéri.

Claire : Guéri de quoi ?

La vieille : Ils ont des têtes qui ne me disent rien qui vaille. Et tous les trois.

La jeune fille (dans un souffle) : Claire... je veux partir.

Claire : Non, c'est à eux de partir. Je suis sûre que ces messieurs sont bien élevés et qu'ils comprendront.

Le guéri : Tony, il m'a toujours dit : si tu as un problème, viens chez moi.

Le repenti : On y est.

L'erreur informatique : On y reste.

Le guéri : Et puis, je vous le répète, dans les clefs que l'on m'a données, il n'y a que celles d'une maison, celle-ci, avec l'indication dessus, précise.

La vieille : On vous a envoyés ici, quoi.

Le guéri (réfléchissant) : Peut-être bien.

II, 3. L'erreur informatique : P'tite faim, moi. (A Claire :) Hein,  m'dame ? (Parlant  toujours  très  vite :) Je ne vais pas vous déranger. Je sais. A... Là-bas, je cuisine. Par là, hein? La cuisine ? Oui, sûrement. Je vais voir de quoi on dispose.

Le guéri Claire) : Il peut vous sembler un peu cavalier, mais on a faim.

Le repenti : Quand on a envie de quelque chose, ça ne sert à rien d'attendre.

Le guéri (philosophe) : En ce monde sans morale, tendre la main aboutit à se faire taper sur les doigts..

Le repenti (se corrigeant) : ... Naturellement l'attente a aussi ses vertus... A condition d'être récompensée.

Le guéri (philosophe) : Mais si on n'a pas l'argent, les relations et la gueule qu'il faut, on doit être un ermite au milieu de l'abondance.

Le repenti : C'est dur.

Le guéri (prenant Claire à témoin) : Est-ce même possible ? En dehors des saints, je veux dire.

L'erreur informatique (rentrant avec un plateau chargé; parlant vite) : Quelle bonne maison ! Y a tout c'qui faut. Et en froid. Rien à préparer. En fait tout préparé d'jà. (A Claire :) Vous nous attendiez ?

Claire : J'avais préparé ce plateau pour les amis de Tony qui venaient le chercher. Au cas où ils...

L'erreur informatique : Heureusement pour nous, non. Pas de petite faim pour eux, grand régal pour nous. (A la jeune fille à voix basse :) Ce serait mieux si c'était vous qui faisiez passer le plateau. (Il le lui met dans les mains et s'assied. Mécaniquement, ne sachant comment réagir, elle le lui présente. Il se sert. Elle hésite, puis va vers le guéri qui se sert, puis le repenti qui se sert. Puis vers Claire qui lui prend le plateau des mains et le pose sur la table basse.)

Le guéri : Soif.

Le repenti (s'étouffant) : Soif !

L'erreur informatique (dans  un  souffle, à  la  jeune fille) : Il faudrait leur servir à boire. Soyez humaine !

(La jeune fille regarde Claire. Celle-ci va chercher  des verres qu'elle pose nerveusement près d'eux.)

Claire : Et que boivent ces messieurs ?

Le repenti : Ma foi...

Le guéri (le coupant) : De l'eau. (Au repenti :) Ce sera plus prudent. (A Claire :) Nous n'avons plus l'habitude des boissons fortes, voyez-vous.

Claire : Bien. (Elle va vers le cuisine mais L'erreur informatique  lui coupe le passage.)

L'erreur informatique : J'y vais. (Il revient presque aussitôt avec une bouteille d'eau. Il va la donner à la jeune fille. A mi-voix :) Ce serait bien si vous passiez en verser.

(Elle ne prend pas la bouteille, il la pousse rudement contre elle, alors elle la prend.

La jeune fille regarde Claire qui ne bouge pas.

La jeune fille va servir L'erreur informatique , puis Le guéri, puis Le repenti.

Elle va poser la bouteille, mais :)

L'erreur informatique (dans un souffle, à la jeune fille) : Gardez la bouteille. Ils peuvent avoir encore soif.

(La jeune fille regarde Claire qui ne la regarde pas.

Elle reste debout en arrière du guéri, avec la bouteille.)

La vieille (d'une voix basse dans laquelle on sent la peur) : Vous êtes guéri de quoi ?

Le guéri (mangeant) : J'ai commis des erreurs, je ne le cache pas...

Le repenti (mangeant) : De grosses erreurs. Moi aussi. Mais je me repens.

Le guéri (mangeant, à Claire) : Même indirectement Tony vous en a forcément parlé... (Claire ne bouge pas. Un temps.) J'ai eu de mauvaises pulsions. Elles ont troublé mon cerveau. Je n'étais pas vraiment responsable de mes actes.

Le repenti (s'arrêtant de manger) : Oh non. Non, je ne voulais pas. Seigneur, ayez pitié !

L'erreur informatique (chuchotant) : Seigneur, ayez pitié.

Le guéri (mangeant) : Le psychiatre de la prison m'a bien soigné. Il m'a écouté, écouté... Donné des pilules.

Le repenti (mangeant à nouveau) : Moi mon cas était moins grave. Satan était en moi mais il a dû s'enfuir.

Le guéri : J'ai violé ces cinq femmes, je le reconnais. Mais je suis guéri. (Il lève son verre et attend.)

L'erreur informatique (dans un souffle, à la jeune fille) : Allez, voyons. Servez.

(La jeune fille regarde Claire qui ne la regarde pas.

La jeune fille sert Le guéri.

Le repenti lève son verre.

La jeune fille hésite, lentement vient servir Le repenti.

L'erreur informatique lève son verre.

La jeune fille lentement va servir L'erreur informatique.)

Le guéri (ayant bu, reprenant) : Je dois sortir dans un mois, c'est vous dire que je suis bien guéri.

Le repenti (ayant bu) : Moi aussi, dans un mois. J'ai su comprendre mes fautes. Je me suis frappé moi-même pour expier mes fautes ! Mais ce n'était pas moi. Satan était en moi. Seigneur, ayez pitié !

Le guéri : Il n'a violé que deux femmes.

Le repenti : Oui, deux. (Ambigu :) Mais j'y pense tout le temps.

Le guéri : A mon avis le psychiatre aurait dû lui donner des pilules aussi.

Le repenti : Pas besoin de pilules.

Le guéri : Ce brave homme a tellement de travail...

(Il lève son verre.

La jeune fille est indécise. Dans le silence elle sent que tout le monde attend. Elle va le servir.)

Le repenti : Dieu me voit. (Il lève son verre.)

L'erreur informatique (dans un souffle) : Dieu me voit.

(La jeune fille va servir le repenti.)

La vieille (dans un souffle à L'erreur informatique) : Et vous ?

L'erreur informatique (parlant vite) : Les noms, les visages. Les ordinateurs ont confondu. Ce n'était pas moi. Jamais je n'aurais fait ça. C'est une erreur judiciaire.

(Il lève son verre. La jeune fille vient le servir. Il boit. Continuant :)

Au procès, laquelle m'a vraiment reconnu ? Elle ont dit : c'est la tête mais pas la voix. Elles ont dit : il me semble. Elles ont dit ... Passons sur tous ces mensonges, je leur pardonne car elles ont été poussées par la police pour couvrir ses erreurs informatiques. Elle m'a battu, la police. J'ai  fait appel mais on couvre toujours la police.

(Il lève son verre. La jeune fille le sert. Il boit. Parlant toujours très vite :)

Comment j'aurais pu ? Moi un homme doux. Je n'ai pas le bon physique sans doute, alors elles me fuient mais quand on est bon elles sont vite convaincues. Quand elles ont compris que vous êtes  bon, pourquoi est-ce qu'elles ne voudraient pas ? Hein ? Pourquoi ?

(Un temps.)

Le guéri (sentencieusement) :  Les femmes n'écoutent pas toujours ce qu'on leur dit.

Le repenti (en écho) : Seigneur, ayez pitié.

II, 4. (La porte est violemment heurtée, ouverte. Entre Léa.)

Léa (folle de peur; ses vêtements en partie salis car elle est tombée; des restes de ses peintures sur la figure) : Ah, Claire, Claire, tu es là ! (S'arrêtant :) Qui sont ces gens ?

Claire : Qu'est-ce que tu fais là ? Tu devrais être au match.

Léa : On ne m'a pas laissée sortir. Marc a eu beau crier, dire que dans ce cas il restait avec moi, on l'a fait sortir et on m'a empêchée de passer. Les portes se sont fermées devant moi.

Le guéri (intrigué) : Mais pourquoi ?

Claire : Oui, pourquoi ?

Léa : Ils ont dit que j'étais sur une liste.

Le guéri (qui s'est approché) : Une liste de quoi ?

Léa : Est-ce que je sais, moi ! Une liste.

Claire : Oui, la liste. (La prenant :) Ça.

La vieille : Ma pauvre Léa, tu es tombée ? Tu t'es fait mal ?

Claire : Je suis allée jusqu'aux portes, je ne t'ai pas vue...

La vieille Léa) : Tiens, bois un verre d'eau.

Léa (prenant le verre) : Je suis retournée chez moi. Je me suis terrée, tout éteint, pas un son, rien. J'ai juste essayé de te téléphoner mais aucun téléphone ne fonctionne. Et puis on s'acharnait sur la serrure, je me suis cachée, mais le type qui a fini par entrer m'a trouvée, on s'est battus, j'ai réussi à me sauver. (Elle boit.)

La vieille (apeurée) : Alors il la suit peut-être ? (Elle va fermer la porte à clef.)

Claire : Ma pauvre Léa.

Le guéri : Un autre homme dans la ville ? Un villageois resté exprès ? Décrivez-le.

Léa : Un grand brun aux yeux rapprochés avec un menton amoché sur la droite, un gros anneau à une oreille.

L'erreur informatique (qui s'est rapproché, au guéri) : C'est Alérian.

Le guéri : Oui. Mais comment peut-il être dehors ?

Claire : Vous y êtes bien, vous.

Le guéri : On a été désignés. Quand un gardien nous a jeté les clefs en criant : Amusez-vous bien, on a compris le piège. Nous avons été désignés pour sortir et enfermer les autres, pour garder les clefs. Comme garants. Pour éviter ensuite les  condamnations  à  perpétuité et les condamnations à mort, vous comprenez ? Personne d'autre ne devait, ne pouvait sortir.

L'erreur informatique : S'il y en a un dehors, il y en bien d'autres.

Le repenti : Alors on est foutus, ça ne sert à rien d'être sages.

Léa (qui les dévisage) : J'ai l'impression de connaître ces types.

Le guéri : Il faut garder la tête froide. Tout n'est pas perdu. On va vérifier.

L'erreur informatique : Oui, j'y vais. Je saurai vite. Dans une ville sans habitants ils ne se cacheront pas.

(Il va prendre la clef, ouvrira et sortira.)

II, 5. Léa : Je suis sûre... Dans la presse...

La vieille : Peut-être, moi je ne lis jamais les journaux et le télé m'endort.

Léa (presque hystérique, montrant le guéri) : C'est le violeur d'Hélène ! Je le reconnais !

Claire : Calme-toi. On sait. Ce n'est pas le moment.

Léa : Il en a violé d'autres. C'est un monstre, Claire !

Le guéri Claire, sèchement) : Calmez-la !

Le repenti (qui s'est reculé) : Oh, ces cris, dans ma tête. Ça rend fou. Seigneur, ayez pitié.

Léa (quasi hystérique) : Il a défiguré Hélène au couteau, il va nous torturer !

Claire : Arrête ! Arrête !

La vieille : Ce n'est pas le moment; arrête.

Le guéri : Cette femme ne comprend pas la situation.

Le repenti (regardant la jeune fille) : Oh, ces cris... (Chuchotant :) Eh, mignonne ? (Il la siffle. Puis chuchotant :) Regarde par là.

Léa (en crise totale) : Pas dans la  figure ! Lâchez-moi ! Ils  vont  me  tuer !  Pardon, pardon ! Lâchez-moi !

(Le guéri lui flanque une gifle magistrale. Léa se tait. Au même moment le repenti se jette sur la jeune fille qui essaie de le fuir, qu'il rattrape, qui lui échappe, qu'il poursuit tandis qu'elle hurle.

Le guéri fonce sur Le repenti, il le maîtrise en lui entourant les bras par derrière. La jeune fille va à la porte que L'erreur informatique a laissée ouverte, elle se sauve.)

II, 6. Le guéri (au repenti) : Reste tranquille ! Reste tranquille ! Tu  veux  en prendre encore pour vingt ans ?

Le repenti : ... Seigneur, ayez pitié...

Le guéri (le lâchant petit à petit) : C'est ça, il va encore avoir du boulot avec toi.

Le repenti (aux femmes) : Je ne sais pas ce qui m'a pris. La tête m'a tourné.

Le guéri : Excusez-le. Cela ne se reproduira plus.

Le repenti : Excusez-moi.

Claire La vieille) : Il faudrait rattraper la jeune fille, s'il y en a un autre ou d'autres...

La vieille : Comment veux-tu faire ? Tu ne sais même pas où elle court.

Le guéri : Elle va bien s'apercevoir qu'elle n'a pas été suivie, elle va s'arrêter pour souffler, elle ne doit pas être bien loin.

Claire : Oui, si on sort maintenant, on a une chance.

L'erreur informatique (essoufflé, entrant en catastrophe) : Ils sont tous dehors !

Le guéri et Le repenti : Tous !

Le guéri : Comment cela peut-il se faire ?

Le repenti (agitant les clefs) : C'est nous qui avons les clefs !

L'erreur informatique (toujours essoufflé) : J'ai poussé jusqu'à la prison pour être sûr. Elle est vide.

Le guéri (réfléchissant) : ... Des gens sont volontairement restés dans la ville; quand ils ont compris notre manoeuvre ils sont allés ouvrir les portes malgré le risque.

L'erreur informatique : En ce cas ils ont des horreurs à mettre sur le dos des détenus.

Le repenti : Tout est perdu.

(Claire s'éclipse par une porte à gauche, on l'entend monter rapidement un escalier.)

Le guéri : On ne pourra jamais rien prouver. Les juges diront et feront ce qui les arrangera.

L'erreur informatique (blême) : Ils tueront la moitié de la prison.

Le repenti : On n'a pas une chance. Le piège s'est refermé.

La vieille : Mais que voulez-vous qu'il se passe si vous restez tranquilles ? Il n'y a que nous comme femmes.

Le guéri : Ça m'étonnerait.

L'erreur informatique : On ne monte pas un coup pareil pour quatre bonnes femmes.

Le repenti : En lâchant les assassins, les pervers, les fous, ils se débarrassent à la fois de ceux qu'ils ont laissés en ville et de ceux qu'ils ne voulaient pas relâcher.

Le guéri : Ah ! Un mois ! Il me restait un mois !

(Claire redescend l'escalier, elle a en main un fusil probablement chargé et des munitions dans l'autre main. Elle pointe l'arme sur les trois hommes tandis que la vieille qui était près d'eux recule vers Léa et Rose. Elle les rejoint.)

Le guéri : Vous devriez plutôt utiliser ça pour aller chercher la jeune fille, tous les monstres sont dans la ville. Elle n'y a aucune chance.

(Claire regarde La vieille.)

La vieille : C'est vrai. Si on la laisse, elle est perdue.

Claire : Mais quoi, il devait bien y avoir surtout des petits voleurs, ou des grands, dans cette prison. Comme partout.

Le repenti : Il n'y avait plus assez de place pour eux. On était dix à douze par cellule.

Le guéri : Pour les voleurs, les peines de substitution ont dû suffire. Faute de place.

Léa (voix rauque) : J'espère qu'après on vous tuera tous, tous !

Le guéri : Ne dites pas cela, Madame.

Le repenti (dans un souffle) : Non, ne dites pas ça.

Léa : Tous !

Claire Léa, dans un souffle) : Tais-toi.

L'erreur informatique : Si vous voulez je vous accompagne pour aller chercher la jeune fille, avec moi vous serez tranquille. Vous laissez le fusil à Madame. (Il désigne La vieille du menton.)

La vieille : C'est le mieux. Sinon cette jeune fille est perdue. (A Claire :) Vas-y.

Claire (hésitant) : Oui...

Rose (qui n'a jamais cessé de fixer les trois hommes de son regard halluciné) : Non ! Pas-Clai-re.

Claire (allant à elle) : C'est juste pour un court moment. Je reviens.

Rose (de sa prononciation maladroite, à Claire) : Pas-Clai-re.

Le guéri (s'asseyant et faisant signe au repenti de s'asseoir aussi) : Voyez, on s'assied. Vous avez le fusil et on est assis.

Léa (froidement) : C'est à moi qu'il faudrait donner le fusil.

Claire (donne le fusil à la vieille, s'adressant à L'erreur informatique) : Allons-y.

Rose (élevant la voix) : Ils-at-ten-dent ! Ils-at-ten-dent !

Claire (indécise, en nage, s'essuyant le front) : Juste quelques minutes, Rose !

Rose (de plus en plus fort) : Ils-at-ten-dent ! Ils at-ten-dent !

(Claire sort, suivie de L'erreur informatique.

Rose se met à hurler d'un cri continu, déchirant.)

L'erreur informatique (sortant, à la vieille) : Fermez à clef derrière moi.

Le guéri Rose, brutalement) : Tais-toi !

(Rose se tait.

La vieille va fermer la porte à clef. Elle s'adosse au mur tenant Le guéri et Le repenti en joue. Léa est allée à côté de Rose.)

NOIR

III, 1. (Le même endroit.

Le guéri, assis à la même place qu'à la fin de l'acte II, mais en costume - un peu grand, un de ceux de L'abruti -, avec une cravate. Claire est en noir comme Rose l'était; elle porte des marques de coups.)

Le guéri (regardant son costume) : On ne peut pas dire que tu sois un as de la couture... Enfin... On n'apprend plus grand chose aux filles... des mathématiques, de la littérature, des tas de choses inutiles... mais bien servir leur mari, ça... Tu devais être bonne à l'école, toi, hein ?... (Claire ne répond pas. Furieux :) Réponds quand je te parle ! (Menaçant :) Ou gare.

Claire : Oui.

Le guéri : Oui qui ?

Claire : Oui, Tony.

Le guéri (satisfait) : Voilà. Ça rentre... Ton précédent mari devait être une chiffe molle. Tu as tout à apprendre, toute une formation à recevoir. (Allant à elle.) Le problème, c'est que tu manques de bonne volonté. (Lui posant brutalement la main sur la nuque :) Je t'aime, tu le sais, mais je ne dois pas être faible avec toi, c'est ton intérêt, tu dois être bien intégrée au nouveau système. (L'attirant contre lui, l'embrassant :) Des temps nouveaux ont commencé pour notre ville. Nous allons bâtir la société qui nous convient. Une société dans laquelle nous n'aurions pas été des délinquants. Une société idéale. (La caressant :) Pour les femmes de l'ancien système, je comprends que l'adaptation soit dure mais il suffit de bonne volonté... Tu n'es pas comme La vieille qui a clampsé dès le premier jour, tu ne paniques pas, tu peux...

Claire (se dégage brusquement) : Vous êtes des fous, des fous !

Le guéri (soupirant) : Je me demande si lors de la répartition des lots, j'ai bien fait de choisir cette maison et toi. Souvent on préfère s'en tenir à ce que l'on connaît...

Claire : Comment est-ce que vous pouvez croire qu'il suffit de prendre la place de nos maris, leurs noms, leurs habits, leurs métiers pour être eux ? Vous êtes et vous serez toujours des voleurs ! Des violeurs et des fous !

Le guéri (calmement) : Je t'ai déjà expliqué que j'étais Tony; le seul, le vrai Tony. Tu as compris ? (Marchant violemment sur elle :) Tu as compris ?

Claire (avec peur) : Oui.

Le guéri (menaçant) : Oui qui ?

Claire (vibrante de haine, avec peur) : Oui, Tony.

Le guéri (calmé) : Eh bien, on s'y fait ? Avec le temps, tu deviendras une épouse modèle. (Il retourne s'asseoir.) Sers-moi à boire. Cognac. (Claire obéit silencieusement.) A propos, je n'ai pas été très satisfait de ton attitude chez Marc. Ce qu'il m'a raconté m'a déplu. Tu as une version des faits à toi ? (Claire lui donne son verre.) Alors ?

Claire : Je ne suis pas une pute.

Le guéri (rageusement) : Je te réexplique : ça n'a rien à voir, la communauté des femmes est garante de l'harmonie de notre société, c'est le seul moyen de contrôler les pulsions de tous. Quand je te prête pour une soirée je veux que tu me fasses honneur.

Claire (éclatant d'un rire sinistre) : Honneur !

Le guéri : Débarrasse-toi de la vieille morale si tu veux survivre.

Claire : Je suis moi, je suis à moi !

Le guéri (sèchement) : Tu es à tous. Tu es un élément d'une communauté... L'honneur maintenant c'est d'avoir une femme qui agit conformément à la nouvelle morale, celle de l'amour avec tous, sans discrimination, sans barrière, sans tabou.

Claire (pleurant) : Je ne veux pas, je ne veux pas.

Le guéri : Quoi, tu veux finir comme la jeune fille ? Tu as pourtant vu comment elle a fini. Ou bien tu veux voir tes copines finir comme ça ? C'est ça que tu veux ? (Claire se bouche les oreilles, pleure.) Tu te souviens de ce que lui ont fait les détraqués si bien que je les ai fait chasser de la ville aussitôt après ? Tu l'entends crier ? (Claire se met à crier.) Tu l'entends t'appeler au secours ? Qu'est-ce que tu as pu faire ? Qu'est-ce que tu as fait ?... (Un temps. Claire arrête de crier.) Le système que j'ai mis en place est le seul qui permette de les contrôler... je crois... c'est le seul possible pour nous... le moins pire pour vous... tu comprends ? (Menaçant :) Tu comprends ?

Claire (séchant ses larmes) : Oui.

Le guéri : Oui qui !

Claire : Oui, Tony.

III, 2. (Entre le repenti en beau costume qui n'est pas à ses mesures, avec cravate, suivi de Léa en robe élégante, outrageusement fardée.)

Le repenti (entrant) : Paix et charité.

Le guéri : Tiens, Marc ! Et Léa, quelle bonne surprise !

Léa (bredouillant) : Paix et charité.

Le repenti : Les affaires, Tony, les affaires. La banque est terrible. Pour le lot Marvil elle exige le chèque aujourd'hui.

Le guéri : Tu sais que je suis avec toi !

Le repenti : Heureusement. Mon prédécesseur a laissé nos affaires dans un état lamentable. Sans toi je serais perdu.

Léa : C'est pas vrai.

Le repenti : Le trou à la banque je ne l'ai pas inventé.

Léa (sauvagement) : Si, si ! Marc ne peut pas se tromper !

Le repenti : Marc ! C'est moi, Marc ! (Menaçant :) Qui est Marc ?

Léa (reculant) : C'est mon mari.

Le repenti (avançant sur elle) : Qui est ton mari ?

Léa (haineusement, après un temps) : ... C'est toi...

Le repenti : Toi qui ?

Léa (apeurée) : ... Toi ... Marc.

Le repenti (changeant de ton) : Eh bien voilà... (Au guéri :) C'est encore un peu difficile, mais elle s'y fait.

Le guéri (allant prendre le chéquier) : Je te signe le chèque tout de suite. (Il prend le chéquier, écrit, signe.)

Claire : C'est l'argent de ... (Un regard du guéri l'arrête net.)

Le guéri (au repenti) : Les rues que tu as traversées pour venir, tout allait bien ?

Le repenti (empochant le chèque) : Là et ailleurs. Aucun incident à ma connaissance. Ton système fonctionne à merveille. Tu es bien meilleur que l'ancien maire. Notre chef de la police me disait qu'il n'avait tout simplement rien à faire. Pas le moindre vol, même pas une allumette.

Claire (malgré elle) : Parce que vous avez tout volé !

Le repenti (au guéri) : Ta Claire a toujours son âme de révoltée.

Léa (bas, suppliante, à Claire) : Tais-toi, tu vas encore nous faire battre !

Claire : Mais ça ne va pas durer, vous serez châtiés pour ce que vous avez fait !

Léa (bas, suppliante, à Claire) : Tais-toi, tais-toi !

Le repenti (froidement, à Léa) : Dis-lui ce qui t'est arrivé à cause d'elle.

Léa (en pleurs) : Il m'a punie. Quand tu n'as pas voulu, à la soirée, il a dit que j'aurais dû te convaincre, il m'a punie. (Elle soulève son tee-shirt et montre son dos, marbré; dans un souffle :) Je t'en prie, Claire.

Claire (se détournant) : Léa...

Léa : Fais ce qu'ils disent. Je ne veux plus être battue.

Le guéri (joyeusement) : Allons. Comme je dis toujours, il suffit de bonne volonté de la part de chacun. Et l'ordre règne.

Claire (entre ses dents) : Vous paierez ça. (Un regard du guéri la fait taire.)

Le guéri : En attendant, on aura connu la vraie vie, on aura eu les maisons, l'argent, les femmes, les places, les hautes responsabilités, tout, tout !

Le repenti : Je ne croyais pas avoir un jour ma chance. Mais elle est venue. Et je vais la garder.

Le guéri : Bien sûr, Marc.

Le repenti : Quand tu nous as réunis et expliqué comment capturer les types qui rentraient de leur match de foot, quand j'ai vu combien on était, oh bon sang jusque là je n'avais pas compris qu'on était si nombreux...

Le guéri : A dix ou douze par cellule...

Le repenti : ... j'ai senti que le vent tournait, que tu avais raison, que ton système c'était la justice que j'attendais depuis toujours. Je suis enfin vraiment moi, celui que l'on m'empêchait d'être.

Le guéri (distrait) : Oui, oui. Il faudra que je passe à la prison, voir si tout va bien, si les prisonniers sont calmes. Et puis j'ai un ami auquel je rends visite chaque mois.

Le repenti : Quel brave type tu es.

Le guéri : Il faut rester humain.

Le repenti : Moi, quand tu as dit de garder les femmes et les enfants et d'entasser tous les types dans les cellules, je pensais juste à tous les liquider.

Le guéri : Il faut rester humain.

(Rire sinistre, désespéré de Claire.

Regard du guéri.

Elle s'arrête net.)

D'ailleurs je n'ai pas gardé avec nous les pédérastes et les pires des timbrés, je les ai chassés de la ville.

Le repenti : Tout le monde a été d'accord. Il faut protéger nos enfants.

Le guéri (allant à Claire, qu'il attire à lui) : Et en faire de nouveaux. Nous avons besoin de vrais héritiers.

III, 3. (Entre L'erreur informatique.)

L'erreur informatique : J'entre ?... Salut.

Le guéri : Ah ,notre nouveau procureur !

L'erreur informatique : Merci, Tony. J'avoue  que  quand  j'ai  postulé, je n'y croyais pas. Moi, procureur !

Le repenti : Chacun doit avoir sa chance dans la vie, ainsi les rancoeurs disparaissent et les violences aussi.

Le guéri : La justice consiste à retourner la société de temps en temps.

L'erreur informatique (voyant enfin les femmes qui sont sur le côté) : Bonjour Claire, bonjour Léa.

Claire et Léa (d'une voix mécanique qui rappelle Rose) : Bonjour, Frédéric.

L'erreur informatique (au guéri) : Elles s'adaptent bien; je n'ai pas eu cette chance.

Le guéri : Je sais. Mes condoléances.

Le repenti : Mes condoléances aussi, mon pauvr'ami.

L'erreur informatique : Cette Rose, je n'ai pas pu la comprendre. Qu'est-ce qu'elle avait dans la tête ? Je n'en ai toujours aucune idée...

Claire (hargneusement et craintivement) : Qu'est-ce que vous lui avez fait ?

L'erreur informatique : Rien du tout, je vous jure. Je ne l'ai même jamais frappée. Hier, je rentre, elle était lacérée de coups de couteau.

(Cri étouffé de Léa.)

Claire (terrifiée) : Lacérée ?

L'erreur informatique : Si je n'étais pas procureur, je ne pourrais pas m'en sortir. (Au  guéri qui le scrute :) Je te jure, je n'y suis pour rien.

(Un temps.)

Le guéri (lui tapant sur l'épaule) : Je te crois, Frédéric, je te crois.

Le repenti : Nous sommes humains. Nous ne ferions pas cela.

Claire (haineusement et peureusement, au guéri) : Vous prétendiez que les détraqués avaient été chassés !

Le guéri : Le procureur trouvera le coupable.

L'erreur informatique : Il faut un châtiment exemplaire.

Le repenti : Pas de monstres parmi nous.

L'erreur informatique : En attendant si je pouvais passer à la maison communale pour y choisir une nouvelle femme.

Le guéri : Je vais te faire un bon. (Il va prendre un carnet à souches, il remplit un bon.) Tiens.

L'erreur informatique : Merci Tony.

Le repenti : Evite les repliées sur elles-mêmes, les agressives, les sportives. L'intellectuelle est bien, je n'en ai que de bons avis. A la fois malléable et capable de nous comprendre.

Le guéri : Les temps ont changé. Il faut qu'elles s'adaptent.

L'erreur informatique : Heureusement que ceux d'avant étaient un peu plus nombreux que nous, parce qu'il y a du déchet quand même.

Le guéri (le reprenant) : Des cas d'aliénation et des cas de rejet social, procureur.

L'erreur informatique (bredouillant) : Des cas de...

Claire (criant) : C'est vous, vous, les fous, les inadaptés sociaux, les ...

(Le guéri bondit brusquement, l'entraîne dans une pièce à côté dont la porte se referme. On entend des bruits de lutte, de coups. On entend crier Claire.)

III, 4. Le repenti (pour meubler, à L'erreur informatique) : ... Et le code pénal, ça rentre ?

L'erreur informatique : Des années de procès avec l'appel, la cassation etc, j'avais eu le temps de potasser la question. Et même l'ancien procureur m'avait dit une fois, vers la fin, quand j'avais fait un exposé sur un point de droit : Vous pourriez prendre ma place.

III, 5. Le guéri (rentrant) : Qui a dit cela ?

L'erreur informatique : L'ancien procureur.

Le guéri : C'est ce que l'on appelle des paroles prémonitoires.

Le repenti : Est-ce que certains de ces gens en prison pourront être réintégrés parmi nous ?

Le guéri (railleur) : A dix ou douze par cellule, certains devraient bientôt être des nôtres.

Le repenti : Oui. Mais il faudra créer un Centre de rééducation idéologique.

L'erreur informatique : La justice a besoin de l'aide de tous.

Le guéri : Quand est-ce que tu commences le  procès-fleuve de tous ceux que l'on a fourrés dans la prison ? On ne peut tout de même pas les y laisser sans jugement.

(Claire rentre, les cheveux ébouriffés, la lèvre fendue, l'air terrifié. Elle se place vers Léa qui va pour la prendre dans ses bras mais stoppe son mouvement sur un regard du repenti.)

L'erreur informatique : Après-demain en principe. Pour ma part, je suis prêt. J'ai hâte de faire les beaux discours.

Le repenti : Oui, tu aimes parler, toi.

L'erreur informatique : Mettre enfin tous ces gens devant la vérité de leurs vies, devant ce qu'ils ont fait, devant la réalité de leur société...

Le guéri : Tu feras ça très bien, je n'en doute pas. (Son téléphone sonne, il prend la communication.) Oui ?... J'arrive. (Au repenti et à L'erreur informatique :) Une émeute à la prison. Il faut que j'aille prendre les opérations en main. Vous me gardez Claire. (Il sort.)

III, 6. Claire (dans un souffle) : Je savais bien.

Léa (suppliante) : Tais-toi.

L'erreur informatique : Il va peut-être négocier avec eux comme eux l'avaient fait avec nous il y a trois ans.

Le repenti (riant) : Tony est plus expéditif.

Claire (craintivement) : Qu'est-ce qu'il va faire ?

Le repenti : Tony pense qu'il faut mater une rébellion et couper les têtes.

L'erreur informatique (s'empressant d'atténuer) : C'est une image.

Le repenti (froidement) : Je ferai ce qu'il faut pour garder ma place. (Son téléphone sonne. Il prend la communication.) Tony ?... J'y vais. (Il remet le téléphone dans sa poche de veste. A L'erreur informatique :) Garde-les. (Il va pour sortir.)

L'erreur informatique : Ça va si mal ?

Le repenti (sortant) : C'est la guerre, quoi.

III, 7. (Claire et Léa se sont pris la main.)

Claire : On sera bientôt sauvées.

L'erreur informatique : Tout cela est bien triste. Bien triste. Je les aurais fait juger selon le droit, vous savez. J'aurais veillé au respect de la loi. Et eux... au lieu de se repentir de leurs fautes... la révolte n'est jamais une solution... La violence entraîne la violence. J'ai bien peur qu'il y ait des morts. Seigneur, ayez pitié. Et donnez l'avantage aux forces de notre justice... (A Claire et Léa, directement :) Je n'avais rien fait, moi, je vous l'ai dit. C'était juste une erreur informatique. Mais le procureur de l'époque n'a jamais voulu l'avouer. Il a couvert la police. Aussi je dois juger mon prédécesseur, il a commis des erreurs graves, lourdes de conséquences pour des gens innocents, il était trop le représentant des intérêts des grands bourgeois, il n'avait pas assez de morale... Pauvre Rose. Je me demande ce qui lui est arrivé. Je n'y suis pour rien, je vous jure. Et pourquoi est-ce qu'elle était comme ça ? Vous savez ?... Je n'arrivais pas à la comprendre; je n'y arrive toujours pas. Quelle fille bizarre c'était.... Enfin elle est morte, n'en parlons plus... Si les prisonniers s'emparent de la ville, ce sera affreux, ils vont tous nous tuer. Ils étaient impitoyables avant, ils doivent  être enragés  maintenant... Enfin, j'aurai  été  procureur... (A  Claire et Léa, directement :) Vous pourrez témoigner que je n'ai rien fait de mal, moi. Je n'ai même jamais battu Rose. Qu'est-ce qui lui est arrivé ? Je l'ignore. Je n'ai jamais fait de mal à personne... Si on me cherche noise, je compte sur vous... J'ai toujours observé la loi et aujourd'hui je la représente, me brutaliser serait attenter à la loi. Elle se vengera. La loi ne supporte pas qu'on la défie. Ceux qui l'insulteront mourront par l'épée. Seigneur, ayez pitié... (Un temps :) A mon avis, si les prisonniers réussissent leur coup, il n'est pas dit qu'ils vous reprennent; vous avez collaboré avec nous; plus ou moins de force, d'accord; certaines, plus, mais beaucoup, moins. Vous voyez ce que je veux dire ? Ils voudront faire la différence. Mais comment est-ce qu'ils pourront ?... Il faudrait qu'ils renoncent à savoir, à savoir ce qui s'est passé, ce qu'elles ont fait, vous croyez qu'ils seront assez forts pour cela ? Qu'ils y arriveront ?... Si vous leur racontez vos petites soirées, elles vont les hanter; si vous ne les racontez pas, ils vous harcèleront de questions... Moi je n'y participe pas, on ne peut rien me reprocher. Mais pour beaucoup de femmes il n'y a pas eu vraiment besoin de les forcer, elles ont été très compréhensives. Je n'ai rien à me reprocher. Un procureur ne va pas à ces soirées... Méfiez-vous mes jolies, vous pourriez perdre gros à ce qu'ils gagnent... J'ai ma conscience pour moi. Je crierai mon innocence jusqu'au bout. Vous devrez témoigner pour moi, hein ? Ah, que la vie est dure !... Mais je représente la loi, je dois me tenir... être un exemple. (Il se redresse, il marche de long en large. Un temps.)

III, 8. (Rentre Le repenti.)

L'erreur informatique : Ah ! Alors ?

Le repenti : Tony m'envoie chercher les clefs du dépôt de munitions de l'Est.

L'erreur informatique : On n'en a pas assez ?

Le repenti : L'armée vient d'apparaître en vue de la ville.

L'erreur informatique (terrorisé) : L'armée...

Claire (triomphante) : Ah ! J'en étais sûre.

Léa (bas) : Tais-toi.

Le repenti : Voyons, il a dit : les clefs dans le bureau près de la cheminée. (Il va vers la porte du bureau.)

Claire (courant se mettre devant cette porte) : Ça ne vous servira à rien. Si vous nous aidez à les cacher, ce sera compté en votre faveur.

Le repenti (riant) : Qu'est-ce que tu dis de ce beau raisonnement, Procureur ?

L'erreur informatique : Eh bien...

Le repenti : Vois-tu, la belle, Tony a accès aux médias nationaux, lui. Il a suivi la progression des décisions de nos ennemis, il connaît même leurs effectifs... et il leur a préparé une réception. Après cela on sera tranquilles un bon moment.

Claire (d'une voix étranglée) : Qu'est-ce qu'il y a dans le dépôt de l'Est ?

Le repenti : Des armes lourdes. Des missiles. De portées variées. Et ce qu'il faut pour les lancer... (Tête contre la tête de Claire :) Déjà chargés. Pointés. Il n'y a plus qu'à appuyer où il faut au signal du Président Tony.

(Claire tente de le repousser de toutes ses forces. Il la frappe violemment à plusieurs reprises en l'écartant, il entre dans le bureau, en ressort avec les clefs. Elle se jette sur lui pour les lui arracher, il la frappe à nouveau. Elle tombe.

A L'erreur informatique :)

Tu viens avec moi.

L'erreur informatique (montrant les deux femmes) : Il ne vaudrait pas mieux que je les surveille ?

Le repenti : Tu viens avec moi. Tu dois juger les prisonniers repris. En comparution immédiate.

L'erreur informatique : Mais je ne suis pas juge.

Le repenti : Maintenant tu l'es. (A Léa :) Toi, je te rends responsable de Claire. Si elle bouge, si elle fait quoi que ce soit, c'est toi que je punirai... Et tu te souviens que je sais punir... Tu as compris ?

Léa (peureusement) : Oui... Marc.

Le repenti L'erreur informatique) : Allez.

L'erreur informatique : Bien.

(Le repenti sort, suivi de L'erreur informatique.)

III, 9. Léa (se précipitant vers Claire toujours allongée sur le sol) : Claire ! Claire !

Claire : Ils sont partis ?

Léa : Tu vas bien ?

Claire (se redressant) : Il faut aller aux portes de la ville. Il faut en ouvrir une.

Léa : Quoi ?

Claire : Une seule porte ouverte, des soldats s'y engouffrent, l'occupation est finie.

Léa : Tu es folle ! Tu va nous faire tuer. Je ne veux pas.

Claire : Alors, j'y vais seule.

Léa (lui barrant le chemin) : Tu n'iras pas. Je ne veux pas payer pour toi.

Claire : Qu'est-ce qui te prend ? Tu es de leur côté maintenant ?

Léa : Tout ce que je veux, c'est ne plus être battue. Reste tranquille.

Claire : Léa !... Tu penses au nombre de morts s'ils envoient les missiles ?... On a une chance... parce qu'ils croient que nous ne bougerons pas.

Léa : On n'en a aucune. Ils surveillent les portes, évidemment.

(Brusquement Claire essaie de passer en la bousculant, mais Léa est plus forte qu'elle.)

Claire : Même s'il n'y en a aucune, je veux essayer. Laisse-moi passer.

Léa : Tiens-toi tranquille. Je suis responsable de toi.

Claire : Léa... Les femmes et les enfants servent d'otages, l'armée ne peut même pas bombarder; les hélicoptères, eux, seraient abattus; nos maris sont en train d'être décimés...

Léa (ironique) : Et tu crois qu'une femme va sauver la ville ?

Claire : Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes.

Léa (ironique) : Le monde ne peut compter que sur toi ?... Personne ne me battra plus. Tu comprends ? (Claire essaie de passer à nouveau. Courte lutte. Elle n'est pas la plus forte.) Marc sera content. Il saura que je lui ai bien obéi.

Claire : Tu es devenue folle, bon sang. Mais réfléchis !

Léa : Toi par contre, quand ils apprendront ton comportement...

Claire : Quoi ? Tu vas leur dire ?

Léa : Tu as toujours été une révoltée, tu te crois supérieure à tout le monde. Il est peut-être temps que tu redescendes sur terre.

Claire : Léa !

Léa : Apprends donc à te tenir à ta place. Tu es juste une fille pas bien maligne, mariée loin de chez elle à un type dont celles d'ici n'avaient pas voulu; une excitée qui croyait tout diriger et qu'il met au piquet chez lui pendant qu'il va à un match de foot.

Claire (stupéfaite) : Quoi ?

Léa : Et tu vois, tu n'es même pas capable de franchir cette porte-là, je suis plus forte que toi. C'est moi qui ai la responsabilité. Marc verra que je suis digne de sa confiance.

III, 10. Le guéri (rentrant, suivi du repenti) : Je crois qu'ils auront compris.

Le repenti (aux femmes) : Un seul missile, et dans le vide, comme démonstration, et l'armée annonce son repli. Tony a expliqué au général l'étape suivante s'il avançait encore, l'explication a suffi.

Le guéri : Et ils nous livreront des provisions.

Le repenti : On n'avait plus grand chose.

(La sonnerie du téléphone du guéri retentit. Il prend la communication.)

Le guéri : ... Eh bien fais-les pendre. (Il écoute.) ... Pour l'exemple ! (Raccrochant, au repenti :) Notre chez Frédéric a des états d'âme.

Le repenti (riant) : S'il croit que l'ancienne légalité en aura pour lui si elle reprend le pouvoir...

Le guéri (riant) : Il vit dans la belle utopie du pardon. S'il pardonne aux rebelles, alors en cas de leur retour au pouvoir, ils lui pardonneront aussi. Aimons-nous les uns les autres.

Claire : Vous n'allez pas pendre nos maris ?

Le repenti (au guéri) : Que l'on soit faible et ils recommenceront.

Le guéri : Bien sûr puisqu'ils seront persuadés qu'ils ne risquent rien. (Riant :) Notre Fred a un bon pour une femme ? Fais en sorte qu'on lui donne celle de l'ancien procureur. Et il devra nous prouver qu'avec elle il atteint des résultats.

Claire : Vous êtes des monstres.

Le guéri (irrité) : Elle n'est toujours pas devenue raisonnable.

Léa (craintive) : Elle voulait aller ouvrir une porte de la ville, mais je l'en ai empêchée.

Le repenti : C'est bien; à la bonne heure. (Il va vers elle, lui pose la main sur le cou qu'il caresse ensuite doucement.) Tu deviens docile comme j'aime les femmes, toi.

(Le téléphone du guéri sonne à nouveau. Il prend la communication.)

Le guéri : ... Quoi ! Il les a acquittés ! Mais il est fou... Ce que tu fais ? Pends-les quand même ! Je réglerai ça avec Fred tout à l'heure ! (Il raccroche; au repenti :) Il faut se méfier même des nôtres; Fred applique les lois de la paix en temps de guerre. Cet animal-là peut devenir un vrai danger pour nous.

Le repenti : Oui. Donne-lui une bonne leçon. Qu'il marche droit à l'avenir. (Entraînant Léa :) On va vous laisser maintenant. (A Léa :) Viens ma jolie, on va aller s'amuser, tous les deux.

(Ils sortent.)

Le guéri (mauvais, à Claire) : Alors tu voulais aller ouvrir une des portes ?

Claire (peureusement, mais avec défi) : Vous serez vaincus, repris, de toute façon, ce n'est qu'une question de temps.

Le guéri (l'air mauvais, marchant sur elle) : Je ne veux pas de rebelle chez moi !

NOIR

IV, 1. (La même pièce.

L'abruti est assis à la même place que Le guéri au début de l'acte III et dans le même costume ou un costume semblable.

Claire est aussi à la même place, toujours en noir. Plus de traces de coups. Elle a les yeux baissés.)

L'abruti : Ah... Je me sens bien. Ça fait plaisir de se retrouver chez soi. Dans son fauteuil. Bien habillé. Avec de l'espace. En prison on était quinze dans la cellule. On dormait à tour de rôle parce qu'il n'y avait pas quinze lits. Heureusement que j'étais dans la même que les copains; Marc, Fred et moi on forme une sacrée équipe, une main à trois doigts mais qui peut tout... Vous autres en liberté, vous ne pouvez pas vous rendre compte de ce que c'était. Surtout après la révolte. Ils sont devenus impitoyables. J'ai vu des types qui avaient voulu s'évader mourir sous les coups. .. Quatre mois et vingt-six jours. Je les ai comptés. Et avant-hier, à quatre heures dix-sept du matin, j'entends ouvrir la porte de la cellule, il y avait des cris, des ordres. Je me suis dit : cette fois on y passe tous. C'était l'armée... Ah le bonheur ! Tout le monde s'embrassait. On pleurait de joie... Jamais plus je ne connaîtrai un bonheur pareil... (Un temps.) Surtout qu'avec toi on ne peut pas dire que ce soit la fête... Je m'attendais à être accueilli autrement... Mais dis quelque chose !

Claire (qui n'a pas bougé, les yeux baissés, mécaniquement) : Oui, Tony.

L'abruti : Bon... Tu pourrais développer ?

(Un temps.)

(Découragé :) Quelle déception. Déjà, avant, avec toi c'était pas la joie... Je ne vais pas supporter encore ça bien longtemps... Pour le sexe t'as appris des trucs, d'accord; mais y a quand même aussi toute la journée... Ah je n'ai pas tiré le bon lot avec toi. Je ne suis pas un chanceux, moi. Un jour et demi et j'en ai déjà assez.... Sers-moi un verre. Cognac.

(Claire exécute l'ordre.)

Bien... (Il réfléchit.) Prends-en un aussi. (Elle ne bouge pas.) Va te servir un verre. (Elle le fait.) Bois. (Elle boit. Ensuite il boit.) Voilà. Nous avons bu tous les deux pour fêter mon retour... C'est la fête à la maison... J'ai l'impression d'avoir apporté la porte de la prison avec moi comme souvenir... (Avec intention comique :) Oh Tony, souviens-toi ! Ben oui, ma p'tite porte mais faudrait quand même t'ouvrir, hein... hein ?

Claire (mécaniquement) : Oui, Tony.

L'abruti : Evidemment tu n'es plus contrariante comme avant. On ne se dispute plus... Tu réussis à m'énerver sans même qu'on se dispute... On ne va pas pouvoir continuer comme ça.

Claire (brusquement mais mécaniquement, sans bouger et sans lever les yeux) : Je t'aime, Tony.

L'abruti (éberlué) : Ah ?... Elle a au moins une autre phrase. Deux phrases différentes en moins de deux jours, eh bien je suis verni. Des phrases agréables, d'ailleurs. Qui sait ce que tu peux encore avoir dans ton répertoire...

IV, 2. (Entre Le financier, même costume que Le repenti à l'acte précédent, et Léa, même robe qu'à l'acte précédent, toujours outrageusement fardée.)

Le financier : Salut. J'entre ? (A Léa :) Passe. (Elle passe.) Comment ça va chez toi ?

L'abruti (lui serrant la main, avec un regard à Claire) : On ne se dispute plus. Bonjour Léa. (Il l'embrasse.)

Le financier (joyeusement) : Eh oui, quand on a compris la chance que l'on avait et qu'on l'a momentanément perdue, ensuite...

L'abruti : Non.

Le financier : Ah ?

L'abruti : Elle est cassée.

(Léa éclate d'un rire violent.)

Léa (riant et criant) : Poupée cassée, youououou !

(Elle rit. Elle s'arrête de rire.)

Le financier : La mienne ce sont les mécanismes qui sont déréglés.

L'abruti : Ça s'arrange.

Le financier : Il faudra du temps. Et moi je suis un homme d'affaires.

L'abruti : Moi j'ai bien peur qu'elle ne soit plus bonne à rien. Juste à jeter.

Léa (criant) : Cassée ! Yououou ! (Elle se met à rire.) A jeter !

Claire (prise de panique) : Pardon Tony. Je le ferai. Pardon. Je t'aime, Tony. (Elle commence une sorte de danse lente.) J'aime t'obéir. Fais de moi ce que tu veux. Arrête. (Hurlant :) Arrête ! (Elle accélère sa danse bizarre.) Ne me bats plus. J'obéirai.

Léa (riant et se mettant à danser de la même façon) : Yououou !

Claire (de plus en plus terrifiée, dansant) : Je suis ravie d'être parmi vous. J'espère vous donner beaucoup de plaisir. Sinon je serai battue mais je l'aurai mérité. (Toujours dansant elle commence à se déshabiller.) Je sais tout faire, j'aime tout.

Léa (dansant et commençant de se déshabiller aussi, riant) : Youououou !

Claire (continuant) : Je vous en prie, jouez avec moi. Dites-moi ce que vous voulez. J'aime tout. J'ai envie de vous aimer. Donnez-moi des ordres. Je veux vous obéir.

L'abruti (courant à elle pour l'empêcher d'enlever ses sous-vêtements) : Arrête ! (Le financier en fait autant avec Léa.)

Claire (s'écroulant, prise d'une panique folle) : Pardon, pardon, je t'en prie. (Elle hurle de peur tandis qu'il essaie de lui remettre ses vêtements :) Non ! Non ! Je vais le faire. (A tous, hurlant :) Je suis sa petite chienne, je serai docile. Je t'en prie...

Léa (au financier) : On ne joue plus ? (Il la rhabille.)

Claire (continuant) : Oui, mets-moi le collier, la laisse, qu'ils voient. Je t'en prie, Tony. Qu'ils fassent ce qu'ils veulent mais arrête. Je t'aime, Tony.

Le financier Léa) : Fais-la taire.

Claire (continuant) : Je te demande pardon, pardon.

Léa : Stop, Claire !

(Claire se tait instantanément.)

L'abruti (en nage, laissant Claire à demi rhabillée) : Bon sang, mais qu'est-ce qui s'est passé ?

(Un temps. Claire ne bouge plus.)

Le financier (gêné) : Je crois que Léa a participé à certaines séances de... punition.

Léa (sèchement) : Je sais comment  il  faut  parler  à  ces filles-là. Je  sais me faire obéir, n'est-ce pas, Marc ?

Le financier (surpris) : Hein ?

Léa : Si tu la veux pour la soirée de ce soir, je la remettrai en état, mais il faudrait me la confier tout de suite.

L'abruti : Quelle soirée ?

Le financier : Elle confond mon dîner avec le banquier ce soir et ses soirées d'avant. (A Léa :) C'est un dîner, chérie. Au restaurant. Un simple dîner.

Léa : Mais on va s'ennuyer. Qu'est-ce qu'on va faire après, Marc ?

Le financier : Après, on rentre, on passe une soirée tranquille entre nous. Enfin tous les deux.

Léa (déçue) : Tu crois que je ne suis plus bonne à rien, que je ne saurai plus animer une soirée, diriger les filles, c'est ça ? C'est à cause de Claire, n'est-ce pas ? (Haineusement :) Celle-là, elle a toujours créé des problèmes. Marc, je lui réexpliquerai, j'y arriverai, je te le promets.

Le financier (gêné, à L'abruti) : Elle me confond avec l'autre en permanence. (A Léa, fermement :) Les temps ont changé, chérie. Tout est revenu à la normale. Je suis le vrai Marc.

L'abruti Claire) : Et moi, le vrai Tony !

Claire (de la voix mécanique de Rose) : Oui, Tony.

Léa (déçue) : Oui, Marc.

L'abruti (content) : Eh bien, voilà ! Tout rentre dans l'ordre.

(On frappe.)

IV, 3. L'abruti : Oui ?

L'erreur informatique (ouvrant, passant la tête) : On m'avait demandé de passer...

L'abruti : Entrez, entrez.

L'erreur informatique (costume noir élégant avec une décoration) : On n'avait pas précisé d'heure.

Léa (le voyant, avec enthousiasme) : Youououou !

Le financier (dans un souffle) : Tais-toi.

L'abruti : Vous êtes un héros, je ne me serais pas permis...

L'erreur informatique (modestement) : Oh...

L'abruti : Ah, sans vous je ne serais plus de ce monde.

Le financier : Vous avez sauvé nos vies en refusant de modifier vos jugements, vous avez tenu bon contre les rebelles.

L'erreur informatique : La loi est la loi, pour moi la loi c'est sacré. Un état ne peut être viable sans le respect des lois.

L'abruti : Evidemment. Je vous suis très reconnaissant. (Avec un geste vers Claire.) Ma femme aussi.

L'erreur informatique : Bonjour Madame.

Claire (de sa voix mécanique) : Bonjour, Frédéric.

L'erreur informatique (gêné) : André.

Le financier : Nous aussi, évidemment.

Léa : Youououou !

Le financier (bas, à Léa) : Tais-toi.

L'erreur informatique Léa) : Bonjour Madame. Hélas, que n'ai-je pu protéger aussi les femmes de la cité. Mais mon pouvoir était limité. J'espère que vous le comprenez.

L'abruti : Bien sûr. (Il lui désigne un siège. L'erreur informatique s'assied.)

Le financier : Vous les avez sauvées quand vous avez ouvert une porte aux soldats.

L'erreur informatique : Oh ils auraient bien fini par entrer.

Le financier : Oui, mais avec des combats; les morts des otages, femmes, enfants; des destructions. On aurait été libérés dans une ville en ruines jonchée de cadavres. Tandis que là...

L'abruti : La surprise a été complète.

Le financier : Quelques-uns seulement ont eu le temps de se défendre pour se faire tuer.

L'abruti : Pour les autres j'étais à la petite cérémonie hier. J'avais emmené Claire. J'étais au premier rang.

Le financier : Ils ne se sont même pas excusés. Rien.

L'abruti : J'ai eu du plaisir à les voir pendre.

L'erreur informatique : Pour les femmes on commence seulement à prendre conscience. J'ai peur que l'on ne me fasse des reproches.

L'abruti : Mais non, voyons. (Allant prendre des papiers :) J'ai ici les actes qui auraient besoin de votre signature. Vous comprenez, comme cela, grâce à votre témoignage, on annule certaines dépenses de mon... (Cherchant le mot :) de mon... Enfin...

L'erreur informatique (précipitamment) : Bien sûr, bien sûr. Où dois-je signer ? (L'abruti le lui indique, il signe sans lire.)

L'abruti (chaleureusement) : Merci.

Claire (de sa voix mécanique) : Merci, Frédéric.

L'erreur informatique (gêné) : André. (Il se lève pour partir.)

L'abruti (lui prenant la main) : Merci, André. Tu passes quand tu veux, tu fais partie des nôtres, maintenant.

Le financier : Viens dîner un soir à la maison.

Léa : Yououou. Oui, viens. Marc aime. Amène des amis, Freddy.

Le financier (bas, à Léa qui ne comprend pas) : Tais-toi.

L'erreur informatique (comme s'il n'avait pas entendu) : Et pour tes affaires, toi, tu n'as pas trouvé trop de problèmes ?

Le financier (presque joyeux) : Ma foi non. Je dois dire que mon... mon... enfin j'ai tout trouvé même mieux qu'avant, les problèmes pour lesquels je ne voyais pas d'issue réglés je ne sais comment.

Léa (joyeuse) : Youououou !

Le financier : Et si j'obtiens le marché pour abattre les fortifications et construire les immeubles locatifs à la place, c'est la fortune.

L'erreur informatique : On m'a mis dans la commission d'adjudication. Si je peux t'appuyer...

Le financier (sans hésitation) : Tu es des nôtres. Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?

L'erreur informatique (hésitant) : On m'a offert une place de greffier.

Le financier : Pour un ancien juge, c'est indécent.

L'abruti : Indécent.

Le financier : Qu'est-ce que tu dirais de siéger au conseil de surveillance de Goldwin society ?

L'erreur informatique : Eh bien... ma foi... je dirais merci.

Le financier (riant) : C'est comme si c'était fait. Goldwin me doit au moins ça.

IV, 4. (Entre Le cyclope; tenue assez débraillée aux couleurs vives; il n'a plus l'air du début, il semble épanoui.)

Le cyclope (joyeusement) : Hello, les copains. C'est la fête ici aussi ?

L'abruti (lui tapant sur l'épaule) : Et pour la fête, toi tu t'y connais, hein ?

Le financier (lui serrant la main) : Qui aurait cru que la prison te réussirait si bien à toi.

Le cyclope (riant) : Bonjour Léa. (Sur un ton différent, ambigu :) Bonjour Claire.

Léa : ... ?

Le financier Léa) : Eh bien ? Dis bonjour à notre ami Frédéric.

Claire (de sa voix mécanique) : Bonjour, cyclope. (Le cyclope rit, mais bizarrement. L'abruti est stupéfait.)

L'abruti : Ça alors. D'habitude elle ne dit rien, et là... On ne l'appelle pas comme ça, voyons.

Le cyclope : Ça ne fait rien.

Le financier (bas, à Léa) : Mais dis bonjour à Frédéric.

Léa (à voix haute) : Mais Frédéric c'est l'autre, il est là. (Elle désigne L'erreur informatique.)

L'erreur informatique (gêné) : André.

Le cyclope (découvrant L'erreur informatique, se figeant) : Ah, vous recevez ce type ?

L'abruti : Ils nous a sauvés, Frédéric; pour moi c'est un frère.

Le cyclope : Un frère qui a tué ma femme.

L'erreur informatique : Jamais. Ce n'est pas moi. On l'a reconnu.

Le financier : Le tribunal militaire a vérifié ses dires en premier...

L'abruti : Des témoignages et des enregistrements vidéos concordent sur sa présence ailleurs au moment du meurtre, il ne peut pas en être l'auteur.

Le cyclope : Je vous dis que c'est l'assassin de Rose. Il l'a torturée à mort.

L'erreur informatique (à la fois peureux et agressif) : Je n'ai jamais fait de mal à personne. Jamais. Au contraire. J'ai sauvé des vies.

Le cyclope : On ne me trompe pas avec des témoignages et des vidéos, moi. (Aux autres :) Je sens, je sais que c'est lui. Il faut qu'il paie !

Léa (joyeusement) : Youououou !

Claire (de sa voix mécanique) : Pardon, cyclope.

L'abruti : Quoi ?

Léa (joyeusement) : Sacrée salope ! Vas-y, cyclope.

Le financier (stupéfait) : Qu'est-ce que tu dis ?

Léa (joyeusement) : Quoi, Marc, qu'est-ce que tu as aujourd'hui ? Yououou !

Le financier : Tais-toi !

(Elle se tait.

Silence.)

Le cyclope (froidement) : Elles sont folles. Les monstres les ont rendues folles.

L'erreur informatique (lentement) : Et moi, je dis que pour ouvrir la prison il a fallu que des hommes de la ville soient restés, ou un. Et je dis que pour tuer Rose et... comme ça... aucun des prisonniers n'avait le profil, les autres nous les avions chassés. Il n'y avait plus de tueur, il n'y avait pas de fou. Ou il aurait récidivé.

L'abruti : Qu'est-ce que tu veux dire ? Je ne comprends pas.

L'erreur informatique (lentement) : Je veux dire qu'au moins un villageois était resté dans la ville et qu'il a ouvert aux prisonniers pour leur faire endosser un crime.

L'abruti : Oh ! quelle énormité !

Le financier : Qui pourrait croire une chose pareille !

L'erreur informatique (lentement) : Et dans toute la ville, pendant tous ces mois il n'y a eu qu'un crime. Le meurtre sadique de Rose.

(Un temps.)

Le cyclope : C'est toi qui l'as tuée, je le prouverai un jour.

L'abruti : Ce ne peut pas être lui. Mais cherche le criminel, Frédéric, je suis sûr que tu le trouveras.

Le financier (hésitant) : C'est vrai qu'à la sortie de la ville, tu as dit que tu allais récupérer Léa... et on ne t'a pas revu avant la prison.

L'abruti : Voyons, Marc, on a passé des mois dans la même cellule.

Le financier : Oui, les deux derniers mois, mais avant, où était-il ?

Le cyclope : Je me suis déjà expliqué sur ce point !

L'abruti : Ben oui, en cellule il nous l'a assez répété.

Le cyclope : Dans la foule je n'ai pas pu vous retrouver. Ensuite comme beaucoup j'ai été évacué vers l'arrière pour ne pas gêner les opérations de la police quand les portes ont été rouvertes au bout de vingt-quatre heures.

Le financier : Oui, moi je n'ai pas voulu m'éloigner de Léa. J'étais au premier rang.

L'abruti : Je n'ai pas voulu abandonner Marc.

Le cyclope : J'ai d'abord échappé au piège parce que j'étais dans les derniers. Ils ne m'ont attrapé que deux mois plus tard. (Fraternel :) Et là je me suis retrouvé dans la même cellule que vous. Pour plus de deux mois.

L'abruti : C'est clair.

Le financier (lentement) : C'est cohérent.

L'erreur informatique : Mais Rose était morte depuis longtemps quand on l'a attrapé. Je le sais, je l'ai jugé.

Le cyclope : Faux juge.

L'erreur informatique : J'ai fait mon travail honnêtement.

Le financier (lentement) : Tout de même... il y a doute.

L'abruti : Doute de quoi ? Voyons, Marc.

L'erreur informatique : Si on m'a écarté après le jugement des révoltés, j'ai entendu les rumeurs ! Il y a eu des soirées pas ordinaires, pas comme les autres, et celui qui les organisait...

Le cyclope : C'est peut-être là que tu envoyais la femme du vrai procureur ?

L'erreur informatique : Ce n'est pas ma faute si elle s'est pendue. On me l'avait enlevée parce que je ne marchais pas droit, comme ils disaient. Ils l'ont envoyée à ce qu'ils ont appelé l'Ecole. Je n'ai même pas réussi à savoir de quoi il s'agissait.

Le financier L'erreur informatique) : Et alors ? Ces soirées ?

L'erreur informatique : C'étaient celles des filles de l'Ecole.

L'abruti : Et celui qui les organisait ?

L'erreur informatique : Il portait une cagoule. Mais il se faisait appeler Le cyclope.

Le cyclope : Simple coïncidence.

Le financier : Peut-être.

L'abruti : Je ne veux pas croire ça.

Le financier (au cyclope, lentement) : Ne reviens pas, Frédéric.

(Le cyclope sort.

Un temps.)

IV, 5. L'abruti : Enfin, Marc... c'est un ami... n'est-ce pas ? Tu le connais ?

Le financier : Toi aussi, non ?... Alors ? Réfléchis...

L'abruti (avec un soupir) : Perdre un ami d'enfance... c'est dur... On ne peut plus faire autrement, hein ?

Le financier : Pauvre Rose.

L'abruti : Qui se serait douté jusqu'où il pouvait aller ?

Le financier : Mais si, on savait.

Léa (d'un ton sentencieux) : Rose n'avait pas une bonne éducation, elle ne s'amusait pas du tout. Marc disait : qu'on la laisse chez elle, elle casse la fête. Moi je n'en voulais pas, elle était sinistre. Elle n'éprouvait pas de plaisir à obéir, Marc l'appelait "la machine femelle". C'est triste ce qui lui est arrivé mais j'ai été bien contente d'en être débarrassée.

L'abruti : Mais qu'est-ce qu'elle raconte ?

Le financier (comme fatigué) : On avait fermé les yeux pour garder le rêve... le rêve de notre enfance commune... On les rouvre sur un cauchemar.

L'erreur informatique : Je crois que je vais vous laisser. (Il hésite. Sans réponse il n'ose pas.)

Léa (reprenant, du même ton sentencieux) : Ce n'est pas comme Claire. Claire a été beaucoup mieux éduquée. Il fallait parfois être sévère avec elle mais une fois dans le droit chemin elle s'amuse vraiment, elle pète le feu, Claire, c'est la sexe en folie. (Riant :) Faut la faire boire juste ce qu'il faut et savoir la faire obéir, c'est tout.

L'abruti (avec une sueur froide) : Oh ! De quoi elle parle ?

Le financier (effondré dans un fauteuil) : Elle ne parle plus, Tony. Elle n'est qu'un disque.

Léa : Si, je parle ! Marc... tu ne m'aimes plus ? tu ne veux plus que je dirige nos soirées ?

Le financier : ...

Léa : Tu as bien changé, tout d'un coup. (Elle est sur le point de pleurer. Le financier va vers elle et la prend dans ses bras pour la réconforter.)

L'erreur informatique : En ville... enfin j'ai des échos... Une ville convenable a besoin de femmes convenables... Beaucoup de citoyens veulent changer de femmes, s'en trouver d'autres, ailleurs, pour un nouveau départ.

L'abruti : Changer ? J'aime Claire, moi. A ma façon.

L'erreur informatique : Elle n'existe plus... Et si tu la laisses ici, elle finira comme Rose...

L'abruti : Comme Rose ?

L'erreur informatique : Il ne pourra pas s'en empêcher. Il viendra l'achever.

L'abruti : ...

Le financier : Il a raison, Tony, il faut l'envoyer loin d'ici, dans un centre spécialisé. Et taire l'adresse.

L'abruti : A ce point là ?... Elle est vraiment cassée ?

Léa (réconfortée) : Cassée. (Joyeusement :) A jeter !

Claire (se réactivant) : Tony, laisse-moi leur plaire. Regardez si je suis belle. (Elle recommence sa danse bizarre.) J'ai envie de vous donner du plaisir.

Léa (recommençant aussi cette danse, joyeusement) : Yououou ! (Elle rit aux éclats.)

Claire (dansant) : Je sais ce dont vous avez envie. (Elle se met à rire. Léa fait chorus.) C'est joyeux, ici. Il faudrait plus de musique. (Elle commence de se déshabiller.) Je t'aime, chéri. Donne-moi. (Elle rit.) Regarde comme ils me veulent. (Elle rit, danse et continue son strip-tease accompagnée de Léa.) J'ai envie de leur donner tous les plaisirs. (Elle rit. Chantant :) Il était un petit navire Il était un petit navire...

Claire et Léa (ensemble) : Qui n'avait ja-jamais navigué...

Claire (riant, dansant, avec un clin d'oeil) : Pas comme nous, hein ? (Chantant :) Qui n'avait jamais navigué.

Claire et Léa (maintenant en sous-vêtements, chantant ensemble) : Ohé ohé !

L'abruti : Stop ! Arrêtez ! (Léa s'arrête, Claire continue en riant. Hurlant et levant la main :) Arrête ou je t'en flanque une !

(Hurlement terrorisé de Claire. Rire de Léa.)

Le financier (prenant sa tête dans ses mains) : L'abruti.

NOIR

 

 

FIN