Le Wols

 

 

A gauche une palissade se prolongeant en biais derrière la baraque-bar qui se trouve assez écartée d'elle mais pas jusqu'au centre de la scène. A droite on voit l'arrière de la camionnette dont Jean et Sara sortent leur matériel. Sur le fronton de la barque qui semble bricolée, en bois avec un toit de tôle, on lit "Au Jardin des Délices". Deux chaises sont placées juste à son entrée (sur la gauche).

 

I, 1 (Jean (soixante-dix ans environ) finit d'installer les quatre tables pliantes et les chaises; Sara (même âge) entre dans la baraque portant la petite machine à expressos qu'elle pose à sa place avec soin.)

Jean (qui achève un aller-retour et dispose les dernières chaises) : Avec la grève on aura sûrement plus de monde.

Sara (qui est repartie vers la camionnette) : Pour quoi, cette grève ?

Jean : J'ai acheté le journal.

Sara (qui revient avec le paquet de café et le sucre, le croisant) : Si tu avais pensé à apporter la radio, on pourrait donner des renseignements aux clients.

Jean (railleur sans méchanceté) : On pourrait leur apprendre qu'ils n'ont pas pu partir.

Sara (sans malice) : Ça réconforte d'entendre parler de ses malheurs sur les ondes.

Jean (revenu avec le journal, bientôt installé à une table) : Eh bien, ce n'est pas à la une.

Sara (dans la baraque, en train  de mettre chaque chose à sa place) : Quel silence pourtant ! Hein, Jean ? Pas un décollage.

Jean (tournant la page) : Ah. Préavis de grève pour aujourd'hui des  hôtesses, des stewards et des aiguilleurs du ciel. - Curieux mélange. - Voici : pour protester contre le licenciement, abusif selon eux, de cinq de leurs collègues à cause de retards occasionnés à divers avions pour leurs convenances personnelles.

Sara : Qu'est-ce que ça veut dire ?

Jean (cherchant, sur la page) : Il n'y a pas d'explication de l'explication.

Sara : Tu veux ton café ?

Jean : Bien sûr. Grands titres de ce samedi : Le froid vient; Le parlement rentre; Le boulevard Etienne Marcel sera fermé à la circulation.

Sara : Dis-moi les nouvelles du coin.

(Jean tourne les pages. Il reste en arrêt sur l'une d'elles. Sara apporte les deux cafés.)

Jean (d'une voix bizarre) : Sara... Monsieur M. est mort.

Sara (qui reçoit un choc) : Tu dis ?

Jean : Il y a une photo.

Sara (venant voir) : Mon Dieu. Il nous a quittés.

Jean (lisant) : Monsieur Mauricet, soixante-six ans, est décédé à l'hôpital Saint-Roch, mardi, des suites d'une intoxication alimentaire.

(Un silence.)

L'enterrement aura lieu samedi à 14 heures, après une cérémonie dans l'église voisine.

Sara : Quatorze heures...

Jean : Pauvre Monsieur M.

Sara : Ça fait tout drôle de voir son nom.

(Ils boivent leurs cafés.)

Jean : Il y a bien une heure de route avec les embouteillages.

Sara : On fermera plus tôt... Ça m'étonnait de ne pas l'avoir vu depuis plus d'une semaine.

Jean : Tu l'as répété souvent.

Sara : Oui, ça m'étonnait. Ce ne sera plus pareil maintenant. Peut-être même qu'on ne nous laissera plus nous installer ici.

Jean : Peut-être. (Un temps.) Ce serait dommage pour l'association. Même si on ne gagne pas beaucoup. On a donné combien le mois dernier ? Plus de cent euros ?

Sara : Je suis sûre que ces orphelinats africains ont une bonne nourriture grâce à nous. Et les médicaments qu'il faut.

Jean : Oui. On a les photos quand même. On les montrera au directeur de l'aéroport... S'il veut bien nous recevoir... La dernière fois, sans le poids de Monsieur M., on nous aurait chassés...

I, 2 (Par la gauche s'approchent Aligard tirant une petite valise rouge à roulettes, moins de trente ans, sportif, et sa femme, Denise, peut-être plus âgée, blonde, délicate, jolie, avec une sorte de veste blanc cassé avec une jupe brune d'élégance galerie marchande d'hypermarché.)

Aligard : Eh bien, voilà ! J'avais raison ! Des chaises, des tables, un bar ! L'enseigne est fabuleuse : " Au Jardin des Délices"; tu vois, il suffisait de s'éloigner de deux cents mètres, mais toi tu ne veux jamais bouger.

Denise : Et si on nous appelle pour un départ ?

Aligard : Il n'y a pas de départ !

Denise : Mais s'il y en avait quand même un. On perdra le prix du billet.

Aligard Jean et Sara) : On peut s'asseoir ? Ce n'est pas un mirage ?

Jean : Mais oui. Le "Jardin des Délices" est bien une réalité.

Aligard Denise) : Viens, on se met là. (A Jean :) Au fait, c'est vous qui tenez ce bar ?

Sara : Oui oui. Et ici vous accomplissez une bonne oeuvre en plus. L'argent va intégralement aux orphelinats d' Afrique.

Aligard Sara) : Pas d'alcool, c'est ça ?

Jean : On apporte quelques bouteilles, on a besoin de clients.

Aligard : Ouf. Alors un whisky. (Aux deux :) Là-bas, des bars n'ont pas rouvert ce matin, il paraît que leur personnel a eu peur de la mauvaise humeur des gens qui ont passé la nuit couchés par terre.

Denise Sara) : Est-ce que je peux fumer ?

Sara : Bien sûr, on est à l'air libre.

Aligard (mécontent) : Ça y est; elle profite de l'air pur pour nous enfumer.

Jean (qui apporte le whisky) : Oh pur, l'expression est un peu exagérée.

SaraDenise) : Vous voulez boire quelque chose ?

Denise : Un thé. Et un croissant, vous auriez ?

Sara : Il en fallait toujours quelques-uns pour Monsieur M.

Aligard : Il ne se fâchera pas si j'en prends un aussi ?

Jean : Le pauvre ne se fâchera plus de rien.

Sara : Il ne se fâchait jamais, il comprenait trop les gens.

Aligard : On ne peut pas comprendre "trop". Qu'est-ce que ça veut dire ?

Denise (plaintivement plutôt qu'aigrement) : Moi je ne comprends pas qu'un footballeur boive du whisky, en plus dès le matin.

Jean (le fixant, le reconnaissant) : Ah oui...

Aligard (énervé) : Faut qu'elle bavarde. Non mais ! Déjà dans l'aéroport je ne savais plus où me fourrer.

Sara : Pourquoi donc prenez-vous la ligne régu- (Jean la foudroie du regard, elle s'arrête net.)

Aligard : Qu'est-ce que ça veut dire "comprendre trop" ?

Jean : Monsieur M. aurait essayé de vous aider à retrouver un emploi. S'il n'avait pas pu vous fournir un emploi, il vous aurait fourni en whisky.

Aligard (railleur) : ... C'était un saint qui avait le sens des affaires... (Jean et Sara apportent le thé et les croissants.) Tout de même en temps normal vous ne devez pas avoir grand monde.

Sara : Nous avons des habitués. Les relations de Monsieur M.

Jean : Et des gens qui passent, grâce au parking plus loin. Mais beaucoup prennent la navette.

Aligard : En somme les clients ne vous gênent pas, ils vous occupent.

Jean : A notre âge même les efforts pour la charité sont modérés. Mais nous venons tous les jours.

Sara : D'abord la messe, puis on prépare la  camionnette, puis une heure et quart de route; on tient le coup toute la journée mais parfois on ne dépasse pas dix clients.

Jean : Mardi, trois.

Aligard : Aujourd'hui pourrait bien être votre jour de gloire. La ruée.

Jean (ironique mais gentiment) : Alors les orphelins remercieront les grévistes.

Sara (de Jean aux autres) : Il faut toujours qu'il plaisante. Et encore, à soixante-dix ans il est assagi.

I, 3 (Une jeune femme - Raymonde -, charmante et chic, toute de blanc vêtue, arrive et va s'asseoir sans regarder personne à la table la plus proche de la palissade, décalée par rapport aux autres. On comprendra petit à petit que c'est "sa" table et qu'elle est placée un peu à l'écart avec soin par Jean tous les jours, qu'il ne doit pas y avoir de variante.

Raymonde place son sac sur la table, en sort son téléphone, qu'elle met à "sa" place, comme le stylo, le calepin et son nécessaire à maquillage. Le tout avec des gestes assez brusques.)

Aligard Jean, la désignant du menton) : Elle s'installe sans consommer.

Jean : Plus tard, elle a toute la journée.

Denise : Elle pourrait dire bonjour.

Sara : Elle ne peut pas. Elle a besoin de temps pour nous parler.

(Raymonde regarde dans sa petite glace si ses yeux sont bien maquillés et fait une retouche.

Denise a un doute et à tout hasard sort sa propre glace, elle fait aussi une retouche.)

Aligard : Quelle paix. On se croirait loin de tout, en pleine campagne.

(Raymonde se lève assez brusquement, va vers le comptoir sans regarder personne.)

Raymonde : Il y a le journal ?

Sara : Mais oui, il y a pensé.

(Raymonde sait où il doit être, elle s'en empare, retourne s'asseoir et examine la une avec application.)

Aligard : Elle connaissait votre Monsieur M. ?

(En l'entendant Raymonde tourne la tête vers lui, le regarde dans les yeux, fixement, comme si elle essayait de comprendre la phrase.)

Jean Raymonde) : C'est en page 5.

(Raymonde tourne les pages, lit le court article lentement.)

Raymonde (catastrophée, vers Sara et Jean) : Alors je n'aurai plus d'appels ? Comment est-ce que je vais faire ?... Comment est-ce que je vais faire ?

Aligard (curieux, à Jean et Sara) : Il l'appelait souvent ? C'était un parent ? un ami ?...

Denise (à voix basse) : N'insiste pas, voyons, tu vois bien qu'ils ne veulent pas répondre.

Raymonde (criant rageusement) : Le salaud, il m'a lâchée ! Intoxication alimentaire, tu parles. Où est-ce que je vais  trouver des clients chics, qui ont  du  fric, je n'ai pas d'adresses, moi, je  n'ai  pas  les relations ! Je suis bonne pour le trottoir !

Denise (à mi-voix, choquée) : Tout de même, il s'agit d'un mort.

Aligard (rigolard en douce, à Jean et Sara) : C'était son mac ?

Sara (choquée) : Mais non; non !

(Raymonde a mis sa tête entre ses bras sur la table.)

Denise : Elle n'a pas le ton de quelqu'un qui a de la peine.

Jean : Elle a la peine qu'elle peut ressentir... Même pour ça, nous avons tous nos limites.

Denise : Moi un rien me fait de la peine.

Aligard (farceur) : Je la laisse pleurnicher toute seule devant la télé. Penser à lui interdire le journal.

(Denise hausse les épaules.)

Raymonde (relevant la tête, à Sara) : Tu peux m'apporter un café ? (Elle se remet à la lecture de la une du journal, très sérieusement et consciencieusement.)

Sara (lui apportant le café) : Il ne nous aura pas laissés, Raymonde, il aura prévu quelque chose.

(Raymonde lève la tête, la regarde fixement.)

Raymonde : Tu iras à son enterrement ? Tu prieras pour lui ?

Sara : Evidemment.

Raymonde (satisfaite) : Oui, c'est bien. (Elle retourne à sa lecture attentive.)

Jean Aligard) : Sara et moi sommes très croyants, voyez-vous.

Aligard (petit marrant) : A mon avis, Dieu est mort, Nietzsche est mort, Marx est mort, Freud est mort. Moi ça va.

I, 4 (Sara est allée s'asseoir sur sa chaise près de la baraque.

En coup de vent entre un homme en costume bleu - M. Ribot -, presque suivi par le photographe.)

M. Ribot (regardant sa montre, à Jean) : Dix heures et quart, je ne suis pas en retard.

(En le voyant, Denise surprise veut parler à Aligard qui fronce les sourcils.)

Le photographe (arrivant derrière le dos de M. Ribot) : Alors moi non plus.

M. Ribot (se retournant) : Qui... (Voyant l'appareil photographique-caméra:) Ah, je comprends.

Le photographe (à la cantonade) : Bonjour. (Personne ne lui répond.) De toute façon j'en avais assez de photographier des gens affalés partout dans l'aéroport... et furieux. On a déjà menacé trois fois de me casser la gueule.

(Jean retourne dans la baraque.)

M. Ribot (au photographe, désignant la femme du footballeur) : Ce doit être elle.

Le photographe (la jaugeant) : Pas mal.

Aligard : Qu'est-ce qu'il y a ? Vous reluquez ma femme ?

M. Ribot : On a tort ?

Aligard (un tantinet menaçant) : Sûrement.

M. Ribot : Ah ? Bon.

Le photographe : Vous êtes des évadés de l'aéroport ?

Denise (pour d'étendre l'atmosphère avec de l'humour) : Mon mari est un homme fort, il a brisé le cercle où les volontés s'étouffent. Il m'a ramenée à l'air libre.

M. Ribot : Eh oui, ce doit être plutôt pénible pour tous ces gens.

Jean : Monsieur M. ne viendra plus.

(Un handicapé en fauteuil roulant arrive à son tour.)

M. Ribot : Comment ?

L'handicapé (qui a entendu en arrivant) : J'ai lu ça mais je suis venu quand même. Alors on n'aura plus personne ?

Le photographe : Qu'est-ce qu'il y a ?

Jean : Vous n'avez pas lu le journal ?

Le photographe : Je regarde le journal quand j'ai une photo dedans. Sinon la radio et la télé me suffisent.

L'handicapé : Monsieur M. est mort.

Sara : Il a eu une intoxication alimentaire.

(Un temps.)

Raymonde (levant la tête, à tous) : On n'a plus qu'à se tuer.

(Un temps.)

Le photographe : Pas moi en tout cas; avec l'internet je trouverai d'autres amateurs. Mais ton créneau est particulier, évidemment.

Jean : Raymonde est toujours excessive.

SaraRaymonde) : Tu réfléchis; il y a toujours une solution.

M. Ribot (visiblement très touché) : C'est comme si je voyais brusquement le vide sous mes pieds juste avant de tomber.

Sara : Si vous ne regardez pas le vide, vous ne tomberez pas.

(L'handicapé se met à rire.)

L'handicapé : Le vide je roule dessus depuis des années... mais je vais bien finir par tomber.

(Un temps. Raymonde lit de nouveau le journal.)

Denise Aligard, à mi-voix) : Si on repartait ?

Aligard : Retourner dans l'aéroport bondé ? Tu es folle !

Denise (à mi-voix) : Mais on est entouré de gens qui vivent un drame.

Aligard : Je ne peux rien pour eux. Déjà pas grand chose pour moi... Ce n'est pas une raison pour partir.

M. Ribot (s'approchant du comptoir, à Jean) : Un verre de vodka, si vous avez.

Aligard Denise) : Tu vois, après être tombé, il prend l'ascenseur pour remonter... (A Jean :) Un autre ascenseur pour moi. Mais whisky.

Denise : Non. (A Jean :) Non. (A tous :) Il est footballeur; s'il boit, sa carrière est fichue.

M. Ribot : Ah. Alors vous faites aussi partie de ceux que Monsieur M. appelait "sa galerie de monstres".

Sara : Ils ne connaissaient pas Monsieur M.

Le photographe (qui rejoint M. Ribot au comptoir) : A les entendre ils ne semblent pas de simples spectateurs.

Aligard (railleur) : Les monstres ont besoin de spectateurs comme les footballeurs ?

Le photographe : Ils ont même besoin d'un photographe... Qui soit des leurs. (A Jean :) Whisky.

(Jean le sert.)

L'handicapé : Monsieur M. était notre Barnum, il nous montrait parfois pour en tirer de l'argent et on était contents.

Aligard : Quand le contrat est bon, il n'y a pas de mal à ça.

(Jean va s'asseoir sur sa chaise à côté de Sara.)

Denise (aigrement) : C'est le plus arnaqué des footballeurs qui vous l'explique; son ex-employeur, Sid, a tout notre argent dans sa poche.

(Raymonde lève la tête avec intérêt.)

M. Ribot (se retournant pour les regarder) : ... En somme le hasard vous envoyait à Monsieur M. Mais c'est trop tard.

Le photographe : Vous ne serez pas sur la photo de groupe.

L'handicapé : Dommage, j'aurais bien aimé sa femme.

(Raymonde rit. S'arrête pour écouter.)

Aligard : Ne rêvez pas. Même avec moi elle prend rarement l'ascenseur.

(Raymonde rit fort. Elle trouve cette remarque très drôle.)

Denise (fâchée) : Enfin il vous reste toujours celle-là, si j'ai bien compris votre petite société.

L'handicapé : Non, elle ne veut pas.

I, 5 (Raymonde se replonge dans son journal.

Son téléphone sonne - sonnerie "Petite musique de nuit" de Mozart.

Elle le regarde fixement mais n'y touche pas.)

M. Ribot : Il devait avoir un nouveau rôle pour moi. Il allait me mettre en contact avec le producteur.

Le photographe : Ça semble plutôt bien marcher pour vous ? On vous a vu dans deux séries à la télé. Vous pouvez vous passer de lui.

(Le téléphone cesse de sonner.)

M. Ribot : Quantité d'autres peuvent avoir le rôle, Monsieur M. faisait la différence. Je n'ai plus les moyens de pression comme lorsque j'étais repreneur d'entreprises.

Aligard (de sa place) : On s'est rencontrés une fois. Pour la photo après un match.

M. Ribot : Ah ?

Aligard : Celui pour lequel un autre a porté plainte. Et quand la justice a trouvé l'argent... vous en avez pris pour un an ferme... Moi qui croyais avoir perdu le match avec les honneurs.

(Raymonde a levé la tête et regarde avec attention comme elle fait toujours, presque fixement.)

L'handicapé : Et M. Ribot parut enfin parmi nous.

M. Ribot Aligard) : Je me souviens de vous, oui. Ce fut un beau match quand même.

L'handicapé : Le jour où je l'ai vu ici pour la première fois, à égalité avec moi, celui-là je ne l'oublierai jamais !

M. Ribot (amèrement) : Mais oui, jour de fête chez les damnés.

Aligard : L'honnêteté ne paie pas non plus, je n'ai plus un sou. Vous connaissez Sid ?

M. Ribot : Un peu. Le pire escroc que j'aie rencontré; à éviter absolument.

Denise : Eh oui.

Aligard : Je n'ai décidément pas de flair pour détecter ces gens-là.

Denise : Mon mari foncerait plutôt droit dans les traquenards.

L'handicapé : Un homme droit va tout droit, c'est logique. Il n'est pas bien difficile à rouler.

(Le téléphone de Raymonde sonne.

Raymonde regarde le téléphone.)

Raymonde Jean et Sara) : Alors il ne reviendra pas ? (Jean hoche la tête pour dire non.) Il faut que j'essaie de répondre ? (Jean et Sara ne bougent pas.) Je ne sais pas, moi. Ils vont me piéger ! Comment faire ? (Le téléphone sonne toujours.) Il faut que je réponde ? (Elle prend le téléphone.) Allô... Non. Je ne veux pas... Dans dix minutes ?

(L'autre a dû raccrocher. Elle pose le téléphone. Elle semble perdue. Elle commence de remettre ses affaires dans son sac lentement. A tous :) Il faut que j'essaie. Je n'ai plus d'argent... Il faut que j'essaie toute seule... (Un temps.) Souhaitez-moi bonne chance. (Elle part.)

(Un temps.)

Denise (surtout pour faire diversion, à Jean et Sara) : Pourquoi avez-vous choisi cette enseigne "Au Jardin des Délices" ?

Sara : Jean a bricolé la baraque avec des panneaux divers, entre autres ceux d'un marchand de fruits.

Jean : Pour un bar aussi c'est gentil, non ?

Aligard : Je ne comprends pas : pourquoi est-ce que son téléphone a sonné si c'était Monsieur M. qui s'occupait de tout ?

Jean : Monsieur M. mettait son numéro dans des revues spécialisées pour que son téléphone sonne. Pas pour qu'elle réponde.

Aligard : Je ne vois pas.

Sara : Personne ne téléphone jamais à Raymonde. Réellement, je veux dire. Mais Raymonde est une femme d'aujourd'hui, il est important pour elle d'avoir un téléphone... Mais un téléphone qui sonne.

L'handicapé : Raymonde est la plus seule d'entre nous.

I, 6 (Une femme en uniforme de capitaine d'avion arrive d'un pas nerveux mais sans se presser.)

La capitaine : Bonjour Sara, bonjour Jean... Oui, le journal je l'ai lu. (Elle vient au comptoir :) Un café. (Jean se lève et vient la servir.) Je n'avais plus de raison de venir mais je suis venue quand même. Que faire d'autre ?

L'handicapé : Raymonde essaie de se débrouiller toute seule.

Jean : Vous avez un avion malgré la grève ?

Aligard (intéressé) : Tiens tiens. Pour où ?

La capitaine : Non, pas d'avion... Je n'ai pas su quoi faire de ce temps libéré. Alors... Bien que je ne puisse pas décoller, j'ai mis mon uniforme et finalement je me suis rendue à l'aéroport.

M. Ribot : Donc vous n'étiez pas convoquée par Monsieur M. ?

La capitaine (buvant son café) : ... Si. Avant mon premier départ... Je ne suis pas en retard de beaucoup.

M. Ribot : Je vois... Mais pour moi ça ne marche plus. D'ailleurs les autres, je suppose qu'il y en avait d'autres, ne sont pas là... sauf eux. (Il désigne du menton le photographe et l'handicapé.)

La capitaine (sèchement) : Qu'est-ce que vous croyez ? Pour moi non plus. Quand j'ai lu le journal, ce que j'ai ressenti ? Du soulagement. De toute façon je serais venue lui dire que je ne voulais plus.

Le photographe : Aucun de nous ne veut en général.

L'handicapé : Si nous avions de l'argent...

M. Ribot : Pourquoi cet argent nous file-t-il ainsi entre les doigts ? J'en gagne, (A la capitaine :) vous en gagnez... cet argent est vraiment du liquide, je ne peux pas l'arrêter, en garder.

Aligard : Sid, lui, sait très bien; il a même su garder le mien.

La capitaine : J'en ai encore un peu ce mois-ci.

L'handicapé (ironique) : On est le seize, c'est bien ça ?

M. Ribot la capitaine) : Un salaire de capitaine d'avion doit être conséquent ?

La capitaine : Je ne comprends pas mes dépenses. Des fois devant le relevé de la banque, je reste stupéfaite. Je... je n'arrive pas à faire attention... Et je me retrouve avec un découvert... Alors je viens voir Monsieur M. ... Et il m'ordonne des choses...

Jean : Monsieur M. n'ordonnait jamais.

Sara : C'est vrai. (A la capitaine :) Pourquoi est-ce que vous répétez toujours ça ?

M. Ribot : Pourtant il nous obligeait bien. Un bang filmé, ni elle ni moi n'avons choisi ça.

Aligard Jean et à Sara) : Eh bien, un joli coco, votre Monsieur M. !

Denise (à mi-voix, à Aligard) : Qu'est-ce que c'est un bang ?

Jean : Des centaines de gens, des milliers de braves gens aident les autres, Monsieur le footballeur. On choisit par qui on veut être aidé. Si on ne choisit pas les braves gens, on a ses raisons. Moi je ne juge pas les raisons des gens qui venaient se faire aider pas Monsieur M.

Aligard : Enfin il les obligeait un peu à ceci à cela, non ?

Jean : Les raisons de ceux qui venaient se faire obliger à ceci à cela par Monsieur M.

Sara : Monsieur M. ne forçait les gens à faire que ce à quoi ils avaient envie d'être forcés.

Aligard : Je ne comprends pas la charité comme ça, moi.

Sara : Monsieur M. entrait dans leurs vies quand même la charité avait échoué.

Jean : Sinon nous ne prierions pas pour Monsieur M.

I, 7 (La capitaine va s'asseoir à une table, elle va consulter un carnet et semble réfléchir.)

Aligard : Enfin quoi, un bang filmé, la pornographie d'amateurs d'une cap'taine d'avion avec un acteur connu, plus des cas bizarres comme un handicapé, ça rapporte !

Denise (comprenant) : Ah bon, c'est ça ?

Jean : On ne les fait pas survivre sans leur fournir leur torture.

(M. Ribot et le photographe vont s'asseoir à une table avec le reste de leurs verres.)

Sara : L'argent sauve.

Aligard (ironique) : Toute torture mérite salaire ?

Denise : Le salaire de la honte !

Sara : L'essentiel est de reculer la limite de sa vie. Avec Monsieur M. ils pouvaient vivre des années, aussi longtemps que les autres... Aussi longtemps que nous.

Jean : Nous avons plus de soixante-dix ans, Sara et moi; et nous comprenons là où autrefois nous aurions eu un haut-le-coeur. Ils sont la forme la plus fragile de la vie humaine qui s'acharne à rester humaine.

Aligard : Qu'est-ce qu'il y a en-dessous ?

Jean : Votre Sid. La brute.

Aligard (plaisantant) : Oui, alors pour lui pas de pitié.

Sara : La brute ignore même sa chute de l'humanité.

Denise : En général elle s'en porte plutôt bien. Si mon footballeur de mari était un Sid, je ne m'en plaindrais pas.

Aligard : J'ai une femme qui n'aime pas les ascenseurs mais qui éventuellement en prendrait un pour descendre jusque dans les caves afin d'y retrouver Monsieur Sid, ses rats et son or.

Denise : Si je l'avais écouté au lieu de toi, ce n'est pas dans une cave que je serais, mais dans sa villa avec vue sur la mer, piscine, vingt pièces...

Aligard : En somme avec lui tu profiterais enfin de mon argent.

Denise : Mais je t'ai choisi toi.

Aligard : Tu t'es trompée. Quand on n'aime pas coucher, au moins on couche utile.

Sara : Vous disputer ne servira à rien.

Jean : Du moins si elle n'aime pas les réconciliations.

(Aligard se lève et vient vers le comptoir.)

Aligard : Un café, s'il vous plaît.

Sara Denise) : Et vous ?

Denise (triste) : Non, rien, merci.

Aligard : Tant que je suis là, je vous règle le tout.

Jean : Neuf euros.

Aligard (payant) : Ça représente quoi ce truc sur la feuille scotchée là ?

(Il montre la page de magazine près de l'entrée de la baraque mais à l'intérieur.)

Sara : C'est le Wols.

Jean : Avant d'ouvrir la baraque j'ai fait un séjour assez long à l'hôpital. Je n'avais même plus la force de réfléchir. Je tournais les pages des revues que Sara m'apportait, je ne les lisais pas. Je suis tombé sur cette reproduction, elle m'a arrêté, j'ai pu à nouveau ressentir... et réfléchir.

Sara : J'ai retrouvé Jean.

Aligard : On dirait deux ailes de moulin...

M. Ribot (revenant au comptoir avec son verre vide) : Pour le bas, moi ça me fait toujours penser à une locomotive.

Le photographe (suivant mais laissant son verre sur la table) : Une locomotive qui fonce dans le vide.

M. Ribot : Elle règne, bien au milieu de la page, sûre d'elle.

Le photographe : Autour c'est des gris-brun de terre, de mer, de ciel.

Sara : Le titre est "Le bateau ivre".

Jean : Le bateau est un concentré d'énergie noire, il contient toutes les violences au point d'irradier une lueur d'espérance. Il fonce dans un espace sans vies, de gris de dépression, avec ses voiles de vent qui sont comme des ailes de moulin fou et aussi l'ouverture d'un compas exact au-dessus du bateau qui espère; toute cette énergie a besoin d'un but qu'elle ne peut pas voir; il y a un ordre par les ailes, donc c'est comme s'il y avait un cap... J'y trouve l'histoire de l'humanité dans l'univers ou celle des gens qui viennent ici.

I, 8 (Raymonde est rentrée de son pas rapide coutumier, elle arrive dans la baraque pendant l'explication de Jean, y entre sans façons, se verse un verre de bourbon. Quand Jean a fini son explication, elle va regarder la reproduction brièvement :)

Raymonde : Moi, ça ne m'aide pas. (Elle sort de la barque, va à "sa" table, installe ses objets comme la fois précédente.)

Sara (à mi-voix, à Aligard) : Raymonde ne boit presque jamais d'alcool.

Jean (à mi-voix) : Ça n'a pas dû être facile.

Raymonde (assise, tournant alors la tête vers eux) : Je ne peux pas ! Soixante euros, qu'est-ce que je pourrais m'acheter avec ça ! Je n'ai pas voulu ! Je ne veux pas !.. Je veux que ça soit comme avant. Que ça ne change pas !

(Tous l'écoutent.

Un silence.

Elle reprend :)

Qu'est-ce que je vais devenir ? Je ne veux pas être pute de rue. Je ne suis pas une chose, moi. Je ne suis pas n'importe qui. Je suis Raymonde !

(Un silence.

Denise se lève et s'approche d'Aligard.

Raymonde reprend :)

Et pas comme celle-là. (Elle regarde la capitaine.) Je fais des affaires, moi. Je ne suis pas une dépravée, moi. C'est à cause des femmes comme ça qu'après on nous demande des trucs pires. Et ils cherchent à ne même pas payer le prix.

(La capitaine, énervée, se lève et part.

Le téléphone de Raymonde sonne.

Elle hésite. Elle le prend, écoute.)

Non, non ! (Criant :) Non ! Je ne veux pas ! (A tous et au téléphone :) Je suis Raymonde !

(Elle remet son téléphone à "sa" place.

Silence.

Le téléphone sonne à nouveau.)

Denise Aligard, à mi-voix) : Allons-nous en.

Aligard (à mi-voix) : Pour aller où ? Retourner avec les moutons de l'aéroport ? Merci bien. On est mieux ici.

Denise (à mi-voix) : J'en ai assez. Je préfère encore l'aéroport.

Aligard (agacé) : Eh bien, vas-y. On n'est pas collés. On se retrouvera là-bas quand il y aura enfin un avion.

Denise (aigrement, à mi-voix) : Tu n'aurais pas dans l'idée de participer au bang, par hasard ?

(Le téléphone cesse de sonner.)

Aligard (énervé, à mi-voix) : Ne recommence pas avec ce genre de sottise.

Denise (à voix haute) : Je suis sûre que tu étais avec Charlotte et son mari jeudi !

Aligard (à mi-voix) : Quoi ? Allons donc, Charlotte maintenant. C'est dans ta tête seulement que ça se passe. Je te sers à te... torturer de tes phantasmes.

Denise (rageuse, à voix haute) : C'est vrai, vrai. Je le sens. Je sens leur odeur sur toi. Tu as l'odeur de toutes ces femmes.

Aligard (à voix haute) : Pur délire... Dommage pour moi d'ailleurs. Si je pouvais culbuter toutes ces belles filles au lieu de me raser avec toi, je n'hésiterais pas... Ou pas longtemps.

(Le téléphone de Raymonde sonne. Elle l'éteint.)

Raymonde (à tous) : Il ne sonnera plus.

Denise (à mi-voix) : Viens. Viens.

Aligard (à mi-voix) : Non.

Denise (en larmes, haut) : Salaud ! (Elle retourne s'asseoir à la place qu'elle occupait précédemment. Raymonde la regarde, fixement selon son habitude, aller s'asseoir.)

II, 1 Sara Jean) : Il va être l'heure.

Jean (regardant sa montre) : Ah oui... en route ! (Aux autres :) On vous laisse la boutique, on doit aller chercher les paquets du samedi.

Aligard : Vous ne craignez pas qu'on vide vos bouteilles ?

Sara (riant) : Oh, allons donc.

Jean (à la cantonade) : Si vous voulez payer pour partir, demandez à Raymonde, elle a l'habitude.

(Ils quittent la scène par la droite.

Un silence parce que tous ressentent leur absence, un vide supplémentaire.)

Aligard : Drôles de gens.

M. Ribot : Ne dites pas ça, ils sont simplement meilleurs que la plupart. Sans eux rien n'aurait été possible, sans ce bar de fortune nous serions des morts.

L'handicapé : Moi je ne viens que le samedi, il doit y avoir d'autres habitués les autres jours. Mais toute la semaine j'y pense; elle n'a de sens que par le samedi.

Le photographe : Moi je dois ma face respectable de journaliste gastronomique à Monsieur M. C'est Sara qui a eu l'idée. Monsieur M. avait les relations.

M. Ribot : Eh oui, Aligard, nous avons tous remonté une pente pour être ici... Et nous avons peur de tomber.

Aligard (railleur) : Vous ne vous êtes, sauf vous M. Ribot, pas beaucoup élevés; il y a plus d'espace vers le haut que vers le bas, non ? Vous avez de beaux jours d'escalade devant vous.

L'handicapé (montrant son fauteuil) : Je ne risque pas d'escalader.

Le photographe : Vous ne connaissez pas la profondeur des gouffres et leur attirance.

(Un temps.)

M. Ribot : Sara et Jean savent qui nous sommes vraiment, ils nous reçoivent comme n'importe qui, avec eux nos vies sont normales.

Aligard : Tout le monde est normal. Vous êtes normal, je suis normal.

M. Ribot : Mais vous n'avez pas pu rester avec la foule dans l'aéroport. Et vous ne pouvez pas vous décider à y retourner.

Le photographe : Les mêmes déviants cherchent à s'éloigner en trouvant les chemins de traverse qui leur conviennent et qui sont forcément les mêmes.

L'handicapé : Votre hasard est le nôtre.

Aligard (railleur) : Est-ce que les frérots m'offrent la tournée de bienvenue ?

(Raymonde qui semblait toute à ses affaires, se lève brusquement et entre dans la baraque. Elle regarde M. Ribot qui fait un léger signe de tête approbatif. Elle verse dans les verres présents du Bourbon, en ajoute un pour le photographe qui a laissé le sien sur une table, puis va porter le sien à Denise, s'en versera un à elle-même.)

Aligard : Ah, c'est boisson unique avec elle ?

(Sourire des autres.)

M. Ribot (souriant) : Raymonde n'est pas une remplaçante momentanée ordinaire, elle ne s'occupe que de sa bouteille, le Bourbon. Elle vous offre votre verre.

Aligard (pince-sans-rire) : Merci Raymonde.

(Raymonde semble contente de ses bonnes manières.)

L'handicapé : Elle ne peut pas quitter cet endroit. Qu'est-ce qu'elle ferait sans le bar ?

Raymonde : J'y ai pensé. J'apporterai ma table. Ça ne changera rien.

Le photographe : Sans Sara et Jean ? Toute seule à côté d'une baraque qui s'effondrera ?

Raymonde : Oui.

Aligard : Mais voyons, Raymonde, un jour on va construire derrière cette palissade. Les friches ne sont pas éternelles.

Raymonde (après un court silence, cillant légèrement) : On ne peut pas construire derrière cette palissade. (Comme si c'était une explication rationnelle :) C'est là qu'ils m'ont traînée la première fois.

M. Ribot Aligard, à mi-voix) : Elle ne  s'en  remettra  jamais. Elle  garde  la palissade, vous comprenez ?

Aligard (à mi-voix) : Non. Qu'est-ce qu'elle attend ?

M. Ribot (à mi-voix) : Sa sortie. De se voir sortir.

Aligard (à mi-voix, riant) : Mais ce n'est pas possible !

Raymonde (regardant le Wols) : C'est pourtant vrai qu'il fonce dans le gris.

II, 2 (Denise, qui n'a pas touché à son verre, se lève avec hésitation et s'approche d'Aligard.)

M. Ribot (haut) : Ne manquez pas ma prochaine apparition mardi à la télé. Le rôle du père dans le feuilleton "Irène et ses enfants". Le père noble et sentimental. A ne rater sous aucun prétexte !

Aligard : Eh bien vous n'avez  pas  besoin  d'aide en ce moment. Le rôle du père de l'héroïne, c'est bien ça ? Il revient forcément à l'écran de temps en temps.

M. Ribot : Sauf si on le fait mourir... (A tous :) Entre nous, c'est un personnage qui ne sert à rien.

DeniseAligard, à voix basse) : Pardonne-moi.

L'handicapé : Tout de même, Irène a en lui un modèle. Et on va enfin le voir.

M. Ribot (surpris) : Vous regardez vraiment ?

L'handicapé : Ben oui.

DeniseAligard, à voix basse mais tout le monde entend) : Sois gentil, pardonne-moi. Je ne le ferai plus.

L'handicapé : Ça occupe.

Le photographe (pour paraître ne pas entendre Denise) : Je ne suis pas souvent chez moi à cette heure-là.

M. Ribot (faussement sévère) : Oh, quelle mauvaise excuse !

Denise Aligard qui refuse de la regarder et semble prêter attention aux autres; à voix basse) : Je t'en prie.

Le photographe (entraîné malgré lui, voulant être spirituel) : Je m'en excuse platement. (Il se mord les lèvres.)

L'handicapé (convaincu) : C'est pourtant vraiment bien; pour moi c'est comme une famille.

(La capitaine revient et va au bar. Raymonde lui sert un verre de Bourbon.)

M. Ribot : Cher spectateur je ne voudrais surtout pas salir vos illusions. Etre de votre famille est un grand honneur.

La capitaine : Vous leur racontez ce qu'on allait faire, à votre famille ?

Le photographe : La vérité en feuilleton, vous voulez détruire l'harmonie de la télé et des ménages ?

L'handicapé : Je ne dis que des choses gentilles à ma télé.

Denise (fort, à Aligard qui l'ignore) : Mais qu'est-ce que tu veux que je fasse, à la fin ! Que je me mette à genoux ? Voilà ! (Elle va pour s'agenouiller mais il s'écarte brusquement.) ... Chéri, je t'en prie... Viens... Allons-nous-en.

Aligard (sans la regarder) : Il y a un moment où ce n'est plus possible. Alors, on arrête.

Denise (apeurée) : Tu ne vas pas me laisser ? Pas ici ?

Aligard : Chacun va de son côté. De toute façon on étouffera moins qu'ensemble.

(Denise se met à pleurer.

Tous se taisent, regardant ailleurs. Un temps.)

Raymonde (prenant son courage à deux mains) : Irène, dans le feuilleton, elle est toujours mal habillée. (Un temps.) C'est dommage, parce que c'est un bon feuilleton.

(Denise va se rasseoir. Au bout d'un moment elle boira son verre d'un coup.)

La capitaine : Oui. Moi aussi il m'arrive de regarder.

II, 3 (Une jeune femme, encore très "jeune fille", vient par la droite. Elle semble très désemparée, hésitante.)

Aligard : Bienvenue au "Jardin des Délices". Lequel cherchez-vous ?

Elisabeth : Comment ?

Aligard : De délice.

M. Ribot : N'ayez pas peur; vous êtes avec des gens convenables.

Le photographe : En tout cas ici.

L'handicapé : Pour donner des renseignements, je suis le meilleur.

Elisabeth : ... Et Raymonde, bien entendu ? (Raymonde la regarde fixement, selon son habitude, sans ciller ni répondre.) ... Sara et Jean ne sont pas là ?

M. Ribot : Ils vont revenir.

Elisabeth : Je suis Elisabeth.

(On sent le silence tomber brusquement sur le groupe.)

... Dans un mot griffonné juste l'heure précédant sa mort mon oncle a exigé que je vienne à la "baraque" avant son enterrement... Il y a ajouté des indications assez déroutantes... D'après ce que j'ai compris tout le monde connaîtrait mon prénom...

(Un temps.)

M. Ribot (s'éclaircissant la voix) : La nièce de Monsieur M. était annoncée depuis longtemps. Il ne nous manquait plus que la rencontre.

Elisabeth (souriante) : Pas déçus ?

(Un silence, qu'elle ne comprend pas.)

M. Ribot : Il nous a raconté l'accident de vos deux petits enfants il y a trois mois. (Le visage d'Elisabeth change, devient grave, presque désespéré.) L'un mort, l'autre... mort maintenant... Nos condoléances... Pour Monsieur M. aussi naturellement.

L'handicapé : Est-ce que vous avez des... des avis, des... pour nous ?

Elisabeth : Mon oncle gardait le détail des explications sur le "Jardin" pour plus tard. Je sais peu de choses.

M. Ribot : Mais il a eu le temps de vous présenter ses "amis" ?

Le photographe : Est-ce que vous connaissez Rivelle ?

Elisabeth : ... Entre autres, oui... Mon oncle m'a occupée comme intermédiaire ces derniers temps. Il voulait que je pense moins... Il m'a initiée à son "système", il disait "mon système", mais je ne sais pas à quoi sert ce système.

(Un temps.)

Aligard : Un système sert à produire de l'argent.

Elisabeth : L'argent est un élément du "système".

M. Ribot : Oui. L'huile n'est pas le but du moteur.

L'handicapé : J'espère que vous comprenez vite. Qu'est-ce que vous faisiez avant ?

Le photographe (à mi-voix) : Voyons, elle était femme au foyer.

L'handicapé (gêné de sa gaffe) : ... M. Ribot va être mardi dans l'épisode d'"Irène et ses enfants"... (Il réalise qu'il a fait une nouvelle gaffe.)

Elisabeth : Alors pour une fois je regarderai.

M. Ribot : Merci. (Plaisantant :) Je fais grimper l'audience.

II, 4 (Raymonde, toujours au comptoir, étudie tour à tour Elisabeth et M. Ribot avec soin.

Denise se lève et se rapproche d'Aligard.)

La capitaine (sortant de son silence) : Rose, capitaine d'avion quand volent les avions. Les femmes souvent sont hostiles aux femmes ?

Elisabeth : Pas moi, je vous assure.

La capitaine : Je veux dire aux femme différentes.

Elisabeth : Depuis que... vous savez, Pierre souffrait trop, tout le temps... Il avait aussi vu mourir son jumeau...

Denise Aligard, dans un souffle) : Je t'en prie.

(Raymonde fixe Denise et Aligard, comme fascinée. Les autres regardent Elisabeth.)

Elisabeth : J'ai choisi avec lui.

(Un temps.)

DeniseAligard, à mi-voix) : Pardon, pardon, je t'en prie.

Elisabeth : Mon oncle avait raison, il ne faut jamais choisir pour les autres.

La capitaine : Je ne comprends pas. Qu'est-ce que vous avez fait à votre enfant ?

Elisabeth (comme détachée du sens de ses paroles et de ses actes) : Je l'ai aidé.

(Un silence.)

DeniseAligard, à mi-voix) : Je suis perdue toute seule ! Ne me laisse pas. Tu n'as pas le droit. Je t'aime.

Elisabeth : Il a cessé de pleurer.

DeniseAligard) : Laisse-moi rester avec toi... Je ferai ce que tu voudras, ce que tu voudras...

Elisabeth : Pour lui il n'y avait plus de solution... Alors je l'ai fait...

M. Ribot : Vous voulez que les autres trouvent plutôt des solutions, je pense ? C'est ce que cherchait Monsieur M.

Denise : J'irai même avec toi et ta Charlotte si c'est ce que tu...

Aligard (éclatant) : Mais laisse-moi. Si tu as vocation d'être serpillière, moi je ne l'ai pas de m'essuyer les pieds sur toi. Cherche-toi quelqu'un d'autre. (A la cantonade :) Après, partout où l'on va, c'est moi que l'on accuse. Je suis le salaud qui a épousé un ange. Ce n'est pas vrai. Pas vrai du tout. Je ne suis pas ça. Ou du moins pas à ce point-là !

Denise (en larmes, criant, à tous) : Il ne m'aime plus. Il m'a humiliée partout. J'ai tout accepté. Et maintenant il me rejette ! Il n'a pas de pitié.

(Aligard s'est écarté d'elle violemment, il s'isole vers la palissade.

Denise restée seule, se tait et pleure, sans se cacher, sans pudeur.

Tous les regardaient et détournent peu à peu leurs regards.)

M. Ribot Elisabeth) : Qu'est-ce qui serait l'aider, selon vous ?

(Un temps.

Denise retourne s'asseoir à sa place.)

Le photographe : Notre société a ses réponses... (Il cherche le mot.)

M. Ribot : ... lénifiantes.

Le photographe : Oui. Des calmants qui ne calment pas.

La capitaine : Il ne faut pas se calmer, je veux vivre, vous comprenez ?

L'handicapé : Je paie le prix. Voyez-moi, je paie à chaque seconde. Mais pour un samedi de plus. Encore un. Puis encore un.

(Un silence.)

Elisabeth (dans un souffle) : Je ne sais pas.

II, 5 (Jean et Sara reviennent avec deux petits paquets.)

Jean : Les paquets sont là comme d'habitude, mais que va-t-on en faire ?

M. Ribot (montrant par un mouvement du menton la  jeune femme arrivée peu de temps avant) : C'est Elisabeth.

Jean (avec un coup d'oeil pénétrant) : Ah.

Sara Elisabeth) : La nièce de Monsieur M., enfin. Il a préparé votre venue, vous savez... Bien sûr, vous savez. Je peux vous embrasser ? (Elle embrasse Elisabeth.) Il disait qu'il ne vous amènerait que lorsque vous seriez prête.

Elisabeth : Prête à quoi ?

Sara (déçue) : Bon... On verra.

(Raymonde retourne à sa table.)

Jean (qui est entré  dans la cabane, posant les paquets sur le comptoir) : Vous étiez là quand il est mort ?

Elisabeth : Non. Il m'avait chargée d'une... mission auprès de M. Rivelle. Un homme assez inquiétant.

Le photographe : Pour vous aussi ?

Elisabeth (hésitante) : Je pesais le poids de mon oncle... J'ai les documents qu'il m'avait remis, les contacts... Je pourrais dire que les dettes envers lui sont désormais des dettes envers moi; mais c'est excessif... illusoire... Je ne suis que la nièce.

Jean (poussant les deux paquets vers elle) : Alors c'est pour vous.

Elisabeth : Pour moi ?

Sara : C'est juste, vous êtes l'héritière.

Elisabeth : Je ne sais même pas ce que c'est.

L'handicapé (déçu) : Elle ne sait pas tout.

La capitaine : Elle ne nous aidera pas.

Le photographe : Il lui faut du temps.

M. Ribot : Il nous l'a envoyée, quand même. Dans les dernières minutes avant de mourir.

Sara : Elle est choisie.

Jean : Elle n'a plus ses enfants.

Elisabeth (reculant devant cet échange de paroles étranges pour elle) : Que voulez-vous ?

Aligard (qui s'est rapproché) : Pour savoir quoi faire, le mieux est d'ouvrir les paquets.

Jean (perplexe) : ... Mais c'est un secret de Monsieur M. . Je ne pourrais jamais faire ça.

SaraJean) : Puisqu'il est mort... Il faut bien trouver une solution.

(Un temps.)

M. Ribot : En tout cas, c'est logique.

La capitaine : Ce n'est pas forcément le bon choix pour autant.

(Un silence.)

Jean Elisabeth) : Décidez.

Elisabeth (hésitante) : ... Oui. D'accord. Ouvrez.

(Jean ouvre brusquement un paquet. En tombent un téléphone portable, un beau collier, des manchettes en or, divers objets de prix.

Un silence.)

La capitaine (à mi-voix au photographe) : Elle n'aurait pas dû.

Le photographe (à mi-voix) : Ce n'est qu'une erreur.

(Jean ouvre l'autre paquet. En tombe le même bric-à-brac de luxe.)

Aligard : Je crois que je fais bien de garder mes bagages avec moi en avion. En somme c'est le butin de la semaine ?

Jean : C'est un peu inattendu, bien sûr.

Sara : Monsieur M. n'aurait pas voulu que je sois gênée... On a tort d'être curieux... Mais après tout on ne sait pas... (Elle regarde Elisabeth vers laquelle tous se tournent.)

Elisabeth : ... Je comprends maintenant une des indications de sa dernière lettre. Oui... Je sais à qui doivent être livrés ces paquets... (Un silence. Tout le monde attend sa décision. Elle hésite.) Refermez les paquets.

(Il y a comme un soulagement général, Jean sourit. Sara lui trouve du scotch pour qu'il referme bien.)

II, 6 (Un homme - M. Rafalin - de quarante à cinquante ans, avec un costume, une cravate, un sac de voyage, assez distingué sans être riche, arrive par la droite.)

M. Rafalin : Oh, un havre.

(Toutes les têtes se tournent vers lui.)

Après l'étouffement de l'aéroport, j'ai découvert une source. "Au Jardin des Délices" : quelle charmante promesse.

M. Ribot (ironique) : Bienvenue dans l'enchantement.

Aligard (au photographe, à mi-voix) : Si on suit votre théorie, son hasard lui a fait prendre le chemin de traverse qui lui convenait...

M. Rafalin : Je me sens comme si je retrouvais la maison.

(Tous rient ou sourient en le regardant. Denise avec amertume.)

Aligard : Alors, en tant qu'avant-dernier arrivé, c'est à moi d'offrir la tournée... Avec boisson au choix.  (On rit.)

Denise (à voix forte) : Il n'a pas le sou et il offre une tournée.

L'handicapé : Ici nous sommes tous princes.

M. RafalinJean et Sara) : Vous n'avez pas eu l'idée de distribuer des affichettes aux gens là-bas ? Il y avait du fric à gagner. (A Aligard :) Parfois on passe bêtement à côté d'affaires en or.

Le photographe : Vous voyez bien qu'il n'y a qu'un petit nombre de chaises.

Aligard : Moins que dans le Salon des Premières où j'avais accès autrefois.

M. Rafalin (aimable) : Le "Jardin", ce samedi, est encore la classe au-dessus. La paix entre une bâtisse étouffante et une palissade.

La capitaine : Attendez que le bal des avions reprenne. Vous verres la vraie nature du "Jardin".

M. Rafalin : Merci, je préfère participer au bal, et dès l'ouverture si possible.

(Sara et Jean servent.)

Raymonde (de sa place, d'une voix forte) : Pour moi, un thé. J'ai besoin de toute ma tête pour réfléchir... (Pour bien se faire comprendre :) J'ai déjà trop bu aujourd'hui.

(Sara prépare le thé.)

M. Ribot : Sans vouloir être indiscret, je dirais que vous avez le genre prof de fac.

M. Rafalin : De physique. Chercheur surtout.

Aligard (blagueur) : Et c'est nous qu'il trouve.

Le photographe : Il ne fait pas une affaire en or.

L'handicapé : Qui sait ? Pour Monsieur M. nous étions une source de revenus.

La capitaine : Mais qui avait trouvé l'autre ?

ElisabethM. Rafalin) : J'ai suivi quelques-uns de vos cours M. Rafalin. Puis j'ai choisi de donner ma vie à mes enfants. Mais ils ont été tués.

M. Rafalin : Oh... Désolé... Peut-être que reprendre vos études...

(Sara va servir son thé à Raymonde et poser un café devant Denise qui n'a rien demandé.)

Jean : Vous croyez que les enfants meurent pour que l'on reprenne des études ?

M. Rafalin (interloqué) : Je... je ne voulais pas dire ça.

Elisabeth : J'aurais besoin d'un conseil.

M. Rafalin : Je ne suis pas très fort pour les conseils... En tout cas pas plus qu'un... (Regardant M. Ribot.) acteur, n'est-ce pas ?... (Regardant Aligard.) et un footballeur ? M. Aligard ?

(Rire amer de Denise, juste pour qu'Aligard l'entende.)

Raymonde (de sa place, très fort) : Je suis Raymonde ! Je suis trop chère pour toi !

(Elle est satisfaite et se plonge dans la contemplation de son calepin.)

Sara (revenue vers le bar, s'asseyant sur "sa" chaise) : Chacun a une place, la vôtre est peut-être celle de conseiller.

M. Rafalin (souriant) : Chercheur. Physicien chercheur. Je me contente de cette place-là.

II, 7 (Jean va chercher une nouvelle bouteille de whisky dans la camionnette.)

M. Ribot : Chacun essaie d'occuper la place dont il rêve.

Le photographe : Ou du moins de rêver le plus longtemps possible.

L'handicapé : Moi je ne rêve plus depuis longtemps.

Denise (de sa place, fort) : Taper dans un ballon en culotte courte, cela se justifie quand on devient riche... Et qu'on ne se laisse pas voler !

La capitaine Aligard qui a fait mine de ne pas entendre) : On dirait qu'elle n'est pas une passionnée de votre art.

Aligard : Elle n'a pas toujours dit ça.

La capitaine : J'aime bien suivre les matches, certains m'y ont emmenée parfois.

M. Ribot Elisabeth) : Demandez toujours pour le conseil. Qui sait ? L'un de nous aura peut-être une illumination.

(Jean est revenu et passe la bouteille à Sara qui va la ranger. Il s'assied à sa place.)

Jean : Un peu de repos avant le courrier.

Sara (le rejoignant) : Oui, la matinée est chargée aujourd'hui.

M. Rafalin Elisabeth qui hésite encore) : Je n'ai pas été très aimable, excusez-moi, c'était simplement à cause de mes doutes sur mes capacités.

Elisabeth (avec un léger rire) : J'en ai pas mal de mon côté... (Hésitante :) Voilà... Quand est-ce qu'on cesse d'être honorable à votre avis ?

M. Rafalin (perplexe) : Ce n'est pas exactement le sujet de mes cours de physique...

La capitaine Aligard) : Dans un couple le meilleur ce sont les réconciliations, non ?

M. Rafalin : Je dirais que c'est une valeur des apparences plutôt qu'une valeur morale...

Aligard la capitaine) : Avec elle je ne peux plus.

La capitaine Aligard, à mi-voix) : Et avec moi, ça te dirait ? (Aligard la regarde fixement. Raymonde lève la tête pour les regarder; elle a beau sembler très occupée, ce n'est qu'un comportement; et elle a l'ouïe fine.)

Elisabeth (qui réfléchissait) : Alors on est honorable pour les autres tant qu'ils ne savent pas... certaines choses... mais on peut ne plus l'être pour soi, parce qu'on sait ?

M. Rafalin : Si en esprit on se met à la place des autres pour se juger. Je dirais que pour soi réellement on ne peut être qu'une victime.

Elisabeth : Une victime ?

La capitaine Aligard, à mi-voix) : Il y a un hôtel automatique, sans réception, tout près; c'est là où on devait aller...

M. Ribot (expliquant) : D'un enchaînement de circonstances.

M. Rafalin (avec humour) : Des chaînes de circonstance.

L'handicapé : Du genre de celles qui vous attachent à un fauteuil roulant.

Le photographe : Ou à l'obsession de photos.

Aligard (à la capitaine) : Je ne suis même pas sûr de pouvoir payer la tournée que j'ai offerte. Je n'ai plus d'argent.

Elisabeth : Des chaînes, les autres finissent toujours par les voir.

La capitaine Aligard, à mi-voix) : J'en ai encore, moi.

M. Ribot : Pas s'il y a quelqu'un capable de vous les ôter puis de vous les remettre.

La capitaineAligard, à mi-voix) : Je t'en donnerai si tu veux... Si tu viens. (Aligard la fixe, plus que tenté.)

Elisabeth : Les remettre ? C'est absurde. Pourquoi les remettre si on a pu les enlever ?

(La capitaine et Aligard s'écartent pour partir, sans regarder personne.)

M. Ribot : Pour pouvoir supporter la vie quand elles sont enlevées.

(Denise se précipite sur Aligard et la capitaine.)

Denise (criant) : Tu ne partiras pas avec elle !

Aligard : Laisse-moi. Je fais ce que je veux ! (Il la repousse.)

Denise (se ruant sur la capitaine) : Espèce de salope ! (La capitaine recule de plusieurs pas. Denise revient frapper Aligard .) Tu n'iras pas !

Aligard : Alors là tu me décides. (Il la pousse violemment, Denise tombe. Il s'échappe avec la capitaine.)

Denise : Salaud ! Salaud !

Raymonde (éclatant de rire) : La concurrence des serpillières ! (A tous, fièrement :) Raymonde n'est pas une serpillière !

(Denise se relève péniblement, elle s'isole sur le côté de la palissade.)

Elisabeth (à l'handicapé) : Mais vous, ce n'est pas pareil ?

L'handicapé Elisabeth) : Vous ne savez pas jusqu'où on peut descendre.

III, 1 Jean : C'est l'heure. Allons-y.

Sara : Peut-être que la grève des avions bloque le courrier ?

Jean : Je ne pense pas qu'il y ait de rapport.

Sara (à tous) : On n'en a pas pour longtemps. (A Jean :) Tu crois qu'elle le prendra ?

(Il jette juste un regard interrogatif à Elisabeth sans réponse. Ils partent par la droite.)

M. RibotElisabeth) : Vous allez peut-être avoir de nouvelles surprises. (Elle ne répond rien, perdue. A M. Rafalin, pour passer à un sujet anodin :) Comme chercheur vous étudiez quoi au juste ?

M. Rafalin (hésitant à changer de sujet à cause d'Elisabeth) : Les hologrammes... J'ai mis au point un système de téléphone holographique, je voudrais fonder une société mais les banques ne m'aident pas.

M. Ribot : Il n'y a pas que les banques.

M. Rafalin : Je ne connais personne.

M. Ribot : J'ai un certain passé en affaires, expliquez-moi. En quoi consiste votre invention ?

M. Rafalin : Au lieu d'un écran, au lieu d'une image en deux dimensions, vous en avez trois, le visage de votre correspondant est à votre oreille.

Le photographe : Un vieux rêve de l'humanité.

(Raymonde qui fixait Denise a tourné la tête vers eux.

Elisabeth va pour s'asseoir à une table; elle s'arrête, hésite, revient, prend les paquets, va s'asseoir.

Pendant ce temps :)

M. Rafalin : Le système qui est pour la maison permet les dimensions réelles. Même de la personne entière.

L'handicapé : Ça ne sert à rien.

M. Ribot : Si les illusions deviennent plus réelles, ce n'est pas à négliger.

Raymonde (de sa place) : Alors je serais vraie partout ? telle que je suis ?

M. Rafalin : Vous seriez comme double, et même, avec une publicité gérée par ordinateur, innombrable.

Raymonde (se levant et venant vers eux) : Je serais innombrable ? Qu'est-ce qu'il faut comme argent pour lancer l'invention ?

M. Ribot (désabusé) : Des millions.

Raymonde (crânement) : Je veux participer.

M. Ribot : Mais tu as dit que tu n'avais pas d'argent.

Raymonde (interloquée, puis logique à sa façon) : ... Ce n'est pas le même argent !

(Le photographe se met à rire.)

L'handicapé (amusé) : Eh oui, on peut ne plus avoir d'argent et avoir un compte en banque.

M. Ribot (amusé) : J'ai connu ça, au point de vivre à crédit.

Raymonde : Si Monsieur M. était là, j'en aurais parlé avec lui. Il aurait trouvé les autres pour placer.

(Un silence.

Elle réfléchit un instant, retourne à sa place, mais s'arrête quand son regard tombe sur Denise. Une fois assise, elle prend d'abord le calepin, puis le laisse et la regarde.)

Le photographe : Moi, mes photos et mes films en deux dimensions me suffisent. Et pour les films je ne tiens pas à ce qu'ils passent sur les téléphones.

L'handicapé (amusé) : Moi non plus. Je suis une vedette modeste.

M. RibotM. Rafalin) : En tout cas, si on vous le propose, évitez un certain Sid. Son argent lui rapporterait même vos profits; je veux dire qu'il vous prendrait tout, prétendrait que l'affaire est un désastre, réaliserait de gros bénéfices et que vous, vous seriez aussi endetté qu'un gruyère a de trous.

M. Rafalin (riant) : Vous exagérez. Il y a des lois. On est protégé.

M. Ribot : Les Sid sont comme une maladie de la société. On peut toujours légiférer contre une maladie, la loi n'est pas la médecine; même pour le corps social. Il vaut mieux compter sur soi et sa prévention.

(Le photographe n'y tient plus, il s'échappe et se dirige aussi vers l'hôtel.)

Renoncez plutôt à votre invention si les officiels n'en veulent pas.

III, 2 M. Rafalin (secoué) : Vous plaisantez ? C'est toute ma vie. Toutes mes espérances sont là.

M. Ribot : Publiez et cherchez autre chose, ça vaudra mieux.

M. Rafalin : Mais non. Voyons. J'attendais un autre conseil de votre part.

(L'handicapé suit doucement le même chemin que le photographe.)

M. Ribot : Si vous connaissez ma vie, vous  connaissez au moins les risques. Vous voyez où je me retrouve ?

M. Rafalin : Mais je m'y trouve aussi !

M. RibotElisabeth toujours à sa table, qui réfléchissait) : Qu'est-ce que vous conseilleriez à votre ex-conseiller ?

Elisabeth (sortie brusquement de ses idées) : Mais... je ne sais pas.

M. Ribot : Vous l'aideriez à trouver un financement ?

Elisabeth : Un financement ?

(Raymonde se rendant compte que personne ne peut l'observer, se lève sans un bruit, laisse ses affaires et se dirige vers Denise qui ne la voit même pas venir, toute à sa détresse.)

M. Ribot : Pour le téléphone holographique de Monsieur Rafalin ?

Elisabeth : Les universitaires ont des aides diverses, des filières aujourd'hui, des réseaux...

M. Ribot : Pas pour lui.

Elisabeth : Il faudrait passer par des industriels du téléphone.

M. Rafalin : Mais je voudrais avoir fondé une société avant et leur présenter un appareil totalement performant pour une association.

(Raymonde arrive sur Denise. Elle vérifie que personne ne s'intéresse à elles, agrippe brusquement Denise qui ne s'y attend pas, lui met une main sur la bouche pour qu'elle ne crie pas tandis qu'elle l'entraîne vers la palissade; là elle lui passe  par derrière un bras autour de la tête, bloquant la bouche, soulève deux planches de la palissade de sa main libre, entraîne Denise de l'autre côté. Les deux planches retombent à leur place.)

M. Ribot : Est-ce que vous lui conseilleriez Sid ? (Elisabeth rit.) Vous connaissez quelqu'un d'autre ?

Elisabeth : Des gens qui ont trop le sens des affaires pour M. Rafalin.

M. Ribot : Mais s'il ne trouve personne...

Elisabeth : Organiser une rencontre ? Cela pourrait bien faire partie des services à ne pas rendre.

M. Rafalin : Vous choisissez pour les autres s'ils seront aidés ou resteront seuls.

M. Ribot : Sans vous les portes lui sont fermées. Il n'a besoin que d'un portier.

M. Rafalin : Mais Madame a peut-être besoin de l'accord de son mari ?

(M. Ribot a l'air gêné : il sait.

Un temps.)

Elisabeth : Mon mari est parti après la disparition de mon deuxième enfant.

M. Rafalin (gêné à son tour) : Oh... Désolé... A force d'avoir le nez dans mes problèmes je ne pense plus à ceux des autres.

Elisabeth : Je suis passée par là moi aussi. En plus lourd qu'une idée fixe de téléphone.

M. Ribot : On met sa vie dans les actions que l'on peut... Etes-vous l'héritière ?

III, 3 (Raymonde ressort de la palissade, elle a un air triomphant qu'on ne lui a jamais vu. Elle revient s'asseoir à sa place silencieusement. Mais cette fois Elisabeth la remarque, les deux autres lui tournent toujours le dos pour parler à Elisabeth.)

Elisabeth : Tout ne me plaît pas dans l'héritage, vous pensez bien.

M. Ribot : L'héritage est un tout.

Elisabeth (ressort le dernier mot de Monsieur M., y jette un coup d'oeil avant de le ranger à nouveau) : Je sais. Pourtant... Enfin certains me posent un problème.

M. Ribot (ironisant) : La "galerie de monstres" ? Mais, Madame, elle ne peut exister que pour tous; si tous y ont leur dernière chance; parfois c'est aussi la première d'ailleurs. Il faut de la démocratie au "Jardin des Délices".

Elisabeth : Un beau mot pour des êtres qui se complaisent dans les chaînes.

M. Ribot : Il ne tient qu'à vous qu'ils aient des moments de liberté, de grands moments. Monsieur M. vous a donné les clefs de toutes nos portes. Il faut savoir ouvrir et forcer à rentrer.

Elisabeth : Forcer à rentrer ?

(Denise ressort avec peine en soulevant les deux planches de la palissade; elle a une lèvre qui saigne, un oeil tuméfié, elle boite; ses cheveux sont en désordre, sa veste salie.

Raymonde semble fascinée par ce spectacle.

Elisabeth voit Denise, regarde Raymonde, comprend.

M. Ribot et M. Rafalin se sont retournés pour savoir ce qui a retenu son attention.

Un court silence.)

M. Ribot (à mi-voix) : Sans vous, c'est inévitable. Il n'y a plus d'ordre pour les sans-lois.

(Denise va dans la baraque, elle se verse un verre de whisky, puis se ravise, sort sa petite glace du sac qui ne l'a pas quittée, paraît horrifiée, puis fébrilement commence de cacher les traces par du maquillage.)

Elisabeth (écoeurée) : Des gens pareils, qui voudrait s'en occuper...

M. Ribot (à peine ironique) : Les damnés ont besoin d'un Satan pour supporter leur enfer.

(Denise se rend compte à cet instant qu'on la regarde. Elle prend son verre et l'avale d'un trait. Puis, pour finir de faire disparaître les traces, elle tourne le dos.

Raymonde est fascinée, avec un air à la fois triomphant et heureux.)

M. Rafalin (dans un souffle, à Elisabeth) : Je n'en suis pas là, heureusement. Vous pouvez m'aider, moi, sans état d'âme.

III, 4 (Sara et Jean reviennent. Jean va poser trois lettres sur le comptoir. Denise ressort de la cabane, va chercher vers son ancienne table sa petite valise à roulettes et va s'asseoir à droite loin de la palissade et de Raymonde.)

Sara : Ça ne va pas mieux dans l'aéroport. Des gens entassés, de plus en plus nombreux, de plus en plus fatigués... Ouf.

Jean : Et de plus en plus mécontents... Reste à savoir ce que l'on va faire des lettres maintenant ? (Il regarde du côté d'Elisabeth qui ne le regarde pas mais semble réfléchir.)

M. Ribot : ... Elle a pris les paquets.

Sara : Oui... Elle a dit quelque chose ?

M. Rafalin : Je crois que c'est une personne qui ne sait pas ce qu'elle veut.

M. Ribot : Il ne s'agit pas d'un choix ordinaire.

Jean (acquiesçant) : Il faut savoir attendre un peu.

Sara : Mais si c'est pour rien ?

(Elisabeth se lève, tous croient qu'elle va venir vers le comptoir mais elle va en face de Raymonde; elle la regarde dans les yeux, elle observe un temps d'attente que l'on doit sentir volontaire - elle veut que l'autre sache qu'elle n'agit pas sur une impulsion, un coup de tête; elle gifle violemment Raymonde. Raymonde se lève folle de rage, la regarde haineusement dans les yeux. Un temps. Raymonde se rassied.

Elisabeth s'écarte, reste indécise.

Jean prend les lettres, va jusqu'à elle, les lui tend. Elle hésite. Elle les prend. Elle retourne s'asseoir.)

Sara (soulagée) : Elle est bien la nièce de Monsieur M.

M. Ribot : Pas si vite, elle n'a pas encore lu les lettres.

(Elisabeth semble rêveuse. Puis elle prend une lettre et l'ouvre.

Un silence.)

Elisabeth (vers Sara, Jean, M. Ribot, M. Rafalin) : Je n'ai que vingt-sept ans, vous savez... Mon oncle en avait soixante-six.

M. Ribot (baissant les yeux) : Evidemment...

M. Rafalin : Enfin, si j'ai bien compris, il s'agit d'affaires... peut-être à la limite de la légalité... c'est tout. (Ironisant :) C'est quand même moins grave que l'héritage du péché originel.

(Jean a pris un téléphone derrière le comptoir, dans une sacoche ou un sac... Il va jusqu'à la table d'Elisabeth et le pose devant elle. Elle lève la tête d'un air interrogateur.)

Jean : Monsieur M. laissait toujours ce téléphone ici, pour le cas où il aurait oublié le sien. Le répertoire et le numéro sont les mêmes. Pour le déverrouiller, on appuie là, puis on tape 6734.

(Il retourne vers le comptoir.

Elisabeth regarde le téléphone mais n'y touche pas.

Elle se remet à lire la première lettre.)

M. Ribot (froidement) : Trop tôt pour le téléphone.

Jean : Non, l'enterrement est à 14 heures. Il faut savoir avant.

Sara : Il faut que l'on sache si l'on doit revenir. Ou si c'est inutile.

M. Rafalin : Vous êtes bien exigeants avec une jeune femme qui vient de subir un deuil. Et même plusieurs. Ce serait beaucoup pour n'importe qui.

(Elisabeth ouvre la deuxième lettre...)

M. Ribot : Dans vingt-quatre heures, la force d'autodestruction qui nous habite aura mené trop loin la plupart.

III, 5 (Retour d'Aligard, l'air détaché. Il passe devant Denise sans la regarder; elle garde obstinément les yeux baissés.)

Aligard : Quoi de neuf ici ? (Voyant les lettres :) Ah, de la lecture, en plus. Vous ne vous ennuyez jamais.

M. Ribot (ironique) : De l'action, de l'action, de l'action. (Avec sous-entendu :) Mais vous connaissez, Aligard..

Aligard : La lecture pas trop. Il faut la garder précieusement pour ses vieux jours, on sera bien content de la trouver.

M. Rafalin (par plaisanterie) : Eh oui... Voilà une bonne raison de vouloir devenir vieux.

M. Ribot : En attendant vous avez mon feuilleton.

Aligard : Le père noble et sentimental.

M. Rafalin : Ah oui ?

Aligard : J'aimerais quand même bien retrouver un engagement. Je ne suis normalement qu'à la moitié de ma carrière et me voilà sur la touche. Et j'ai beau faire, pas moyen de rentrer sur le terrain.

(Elisabeth ouvre la troisième lettre...)

M. Ribot : Ne vous désespérez pas.

M. Rafalin : Comme moi avec mon téléphone holographique.

Aligard : J'ai tout misé sur cette réussite-là. Avec mes parents, mes amis. Je n'ose même plus retourner chez moi. Je ne veux pas être devant eux celui qui les a fait échouer...

(Un silence.)

Elisabeth (qui a posé la troisième lettre, lève lentement la tête dans sa direction) : Vous pouvez rencontrer Diego, si vous voulez; je peux vous arranger ça. Vous savez qui c'est ?

Aligard : Si je sais ? En dernier recours j'ai déjà essayé de le voir. Sans résultat.

Elisabeth : Avec lui il y aura des contreparties.

Aligard : Ça vaut mieux que la misère.

M. Ribot : Et il pourra retourner chez lui la tête haute.

Elisabeth (comme distraite) : Bien sûr.

(Un silence.)

Aligard : Je vous en serai très reconnaissant.

Elisabeth (un peu durement) : Je sais.

(Soudain Raymonde se lève, les yeux étincelants de rage, vient à pas rapides jusqu'à la table d'Elisabeth, prend le téléphone de Monsieur M. sur la table, le repose violemment. Un temps. Elle fixe Elisabeth droit dans les yeux. Tout aussi brusquement elle fait demi-tour et retourne à sa table. De là elle ne quitte pas Elisabeth du regard.

Celle-ci hésite.

Finalement elle prend le téléphone dans sa main, hésite encore, puis le déverrouille, le repose.

Le photographe revient à cet instant, suivi de près par l'handicapé.

Tous sont silencieux et regardent Elisabeth.

Le téléphone d'Elisabeth sonne.

Elle prend l'appel.)

Elisabeth : Oui... Elisabeth... Je prends sa succession... Je sais... Hôtel Hilton, chambre 1015, maintenant. Bien.  (La communication est terminée. Elle tourne la tête vers Raymonde. Celle-ci semble ravie, elle met rapidement ses affaires dans son sac, pose un billet de vingt euros sur la table et part à grandes enjambées.)

III, 6 M. Rafalin : Et nous ?

(La capitaine revient. Elle regarde les autres qui regardent Elisabeth. Elle comprend.

Jean apporte un café à Elisabeth sans qu'elle l'ait demandé. Il passe prendre l'argent de Raymonde.

Sara va s'asseoir à sa place. Jean la rejoint.

Elisabeth reprend le téléphone, cherche dans le répertoire, appelle.)

Elisabeth (au téléphone) : Je suis Elisabeth... Je prends la succession... Vous connaissez Aligard ?... Il a changé... Il n'y aura pas de problème... (Elle regarde Aligard.)  Il fera comme vous voudrez. (Aligard acquiesce de la tête.)... Il est des "nôtres" maintenant... Je vous l'envoie. (Elle raccroche.)

Aligard (joyeux) : Chez lui ?

Elisabeth : Non, vous allez au club.

Aligard (joyeux) : Alors ça se fera, je connais mon affaire.

Elisabeth : Prenez un taxi, il vous attend. Vous avez besoin d'un peu d'argent ?

Aligard (à peine un peu gêné) : Non, j'ai ce qu'il faut. Merci. (Il laisse deux billets sur le comptoir -trente euros peut-être, part en évitant de regarder Denise qui, elle, se lève en le regardant.

Elle se rassied au bord des larmes.

Elisabeth a pris les trois lettres en main, elle y jette un coup d'oeil distrait.

Jean se lève pour prendre l'argent d'Aligard.

Le photographe après avoir laissé quelques pièces sur le comptoir s'approche d'Elisabeth d'un pas vif.)

Le photographe : Je monte le film pour samedi prochain ?

Elisabeth : ... Bon.

(Le photographe part.

L'handicapé attendait son tour. Il est aussitôt vers Elisabeth, il lui tend la main en la fixant. Elisabeth lui serre la main. Il part.

La capitaine après avoir laissé des pièces sur le comptoir s'approche à son tour.)

La capitaineElisabeth, à mi-voix) : J'attendrai votre coup de fil. Ne me laissez pas. Ils me tueront un jour sans ça.

Elisabeth : ... Je prends l'héritage, c'est un tout.

La capitaine (dans un souffle) : Merci. (Elle part d'un pas rapide.)

Elisabeth M. Ribot) : L'une des lettres vous concerne, il n'y aura pas de problème avec le producteur. Une rencontre spéciale n'est pas nécessaire. Vous le verrez à la soirée de Rivelle.

(M. Ribot baisse les yeux, on ne sait pas ce qu'il pense.)

M. Rafalin (plaisantant par contenance) : Et moi, vous m'ajoutez à la liste des bénéficiaires ?

Elisabeth : Après tout je voulais être une scientifique et l'humanité apprécie les nouvelles technologies, même inutiles. Je vous contacterai.

(M. Ribot donne à Jean plusieurs billets. M. Rafalin et lui partent ensemble d'un pas tranquille.

Sara se lève. Jean et Sara commencent de ranger.

Elisabeth regarde Denise, elle se lève et va s'asseoir en face d'elle.)

Elisabeth : Il vous a laissée. Qu'est-ce que vous voulez faire ?

Denise (perdue) : Je ne sais pas.

Elisabeth : Vous préférez être vendeuse ou servir de compagne à Sid pour sa belle façade ?

(Silence de Denise.)

JeanSara) : J'espère qu'il n'y aura pas trop d'embouteillages. Ce serait tout de même triste d'arriver en retard à l'enterrement de ce pauvre Monsieur M.

Sara (à mi-voix) : Surtout que même en mourant il ne les a pas abandonnés.

Elisabeth Denise) : Choisissez.

 

RIDEAU