II
(Deuxième strophe)
SE FRERES VOUS CLAMONS, PAS N'EN DEVEZ
L'automne est officiel sans qu'on l'ait vu venir. Les arbres ont tellement jauni, tellement perdu de feuilles sous la canicule qu'il n'y aura pas l'incandescence habituelles du parc qui attire alors les villageois comme un décor gigantesque de cinéma où l'on croit pouvoir jouer. L'été indien repousse encore les pluies. Mais la chaleur est douce, juste paresseuse, une chaleur de paix et fraternité peu après la grande rentrée des arts et métiers. Toute la ville est au travail de la vie. On calcule, on produit, on vend. Les soirées irréelles dans ce piège de tendresse où la nature des parcs et jardins semble en total accord avec les employés régisseurs s'étirent interminablement en un bonheur ralenti, presque arrêté, et qui brusquement va fuir.
Sophie elle-
On lève la tête pour être les nuages, on se déplace précautionneusement dans les
flamboiements du soleil couchant, on se grise des hauteurs pures. Pour une fois on
n'attend rien, on n'a pas besoin de souhaiter, de vouloir; regarder suffit. Le passé
n'a pas eu lieu. Mais où vont-
Et puis le bar de Sophie, enfin les sièges de la terrasse, n'offre plus une place.
Elle sert de table en table dans un silence rare. Les gens semblent s'apercevoir
qu'ils n'ont rien à dire, ils ne s'insultent pas en plaisantant, ils ne plaisantent
pas en s'insultant, leurs yeux où se posent les étoiles deviennent immenses du ciel,
leurs univers s'entrecroisent tout là-
Toutes nos familles sont bien revenues de leurs vacances. Sandra, fière de ses exploits routiers, se sent capable d'un tour de terre; Nathalie est réservée, Elisabeth est prête. Victor est venu apporter un beau caillou à tante Sophie qui lui a fait des gaufres pour le remercier du joli cadeau; mais bien sûr on a fêté tous les autres retours de ceux que vous ne connaissez pas; une sorte de fête continue du retour des vacances. On a la tête pleine de tous les souvenirs des autres. Salade de mer, d'océan, de montagnes fraîches, de sable blanc, de soleil rond, de poissons biscornus, de lune baladeuse, de villes construites de monuments, de trains sans places... le tout succulent.
Il faut être vigilant. Dans des moments comme celui-
La trêve est un piège par la beauté du monde, la beauté du monde est un piège pour
ne pas aller au-
Il Professore lui-
Mais vous êtes peut-
Notre certificat de banalité est une garantie de vie pour nos enfants. L'Ordre qui
a de beaux discours lénifiants sur les enfants les jetterait sans pitié dans ses
prisons à viols s'il les découvrait. Avez-
Dans le genre tous frérots, le Simon fait fort. Les matchs-
Vous êtes de Villers peut-
Si vous êtes critique au sujet de la normalité de Simon, j'en ai d'autres à vous
présenter. La gamme complète. On a même un chanteur en ineglishe, on s'réunit et
"allez, tous avec moi", boum; on fait tout c'qu'i faut, quoi. De la baguette quotidienne
à ça. Il ne chante pas faux, il écoute la télé et il fait pareil. Nous faisons pareil.
Vous faites pareil. Ils font pareil. Mais à Villers, d'après une source sûre de Simon,
ils chantent faux. Quoi d'autre ? Notre salon de peinture. Bien sûr on en a un. Ouvert
à tous comme le salon des Refusés du P'tit Léon III. On a tous les styles reconnus,
impressionnistes, néo, expr-
Je plaisante. Mais nous sommes toujours dans les protestations contre l'élitisme.
Nos enfants ont tendance à être surdoués et nous tenons évidemment à ce que cela
ne se remarque pas. Le mieux, avons-
Et voici la première pluie de l'automne, elle a commencé tôt le matin, les services météo l'avaient annoncée mais au réveil on vient sur la porte ou aux fenêtres pour la regarder comme une curiosité. Elle est très légère, quasi inaudible, on dirait qu'elle n'arrive pas à mouiller le sol, elle nettoie juste la poussière et fait briller les troncs des arbres. Seules les personnes âgées ont cru bon de sortir avec les parapluies, la température est si douce, comme en accord avec la pluie, qu'on prend du plaisir à se promener pour sentir les gouttes. Toutes les marches sont joyeuses, des adolescents courent, haletants se réfugient contre les arbres presque sans feuilles, s'écartent de leurs protecteurs, dans de la pluie calme; quelques voitures les frôlent sans éclabousser, leurs moteurs ronronnent; le facteur oublie de protéger le courrier.
Plus les gens sont occupés agréablement moins ils se posent de questions, plus nous
sommes tranquilles. Comment dans ces conditions ne serions-
Par exemple nous avons soin d'être présents dans les arts qui rassemblent des groupes,
c'est une glu qui tient bien les gens et permet de les surveiller. Comme les sexes
ont tendance à revendiquer des arts particuliers, nous avons aussi notre plasticienne,
notre auteure, notre chanteuse féministe... Notre plasticienne est connue dans d'autres
villes, elle a même exposé à Villers. Il n'y a que pour les enfants que nous évitons
soigneusement toute participation aux concours, aux joyeuses petites fêtes sans barrières,
aux sorties, aux activités soi-
Disons que nous éprouvons pour les Autres un amour assassin. Nous aimons trop l'Humanité
pour tolérer qu'elle soit souillée par l'Ordre. Les copies avilies de l'Homme qui
prolifèrent dans les labyrinthes des cités avec leurs séances de fraternité convulsives,
leurs séances d'admiration, leurs séances télé de culpabilisation, leurs séances
de mime de Dieu... sont des offenses à Dieu. Elles doivent être effacées comme une
caricature graffiti sur un tableau. L'homme qui marche est un grotesque naïf; sa
représentation sculptée n'a rien de noble; le progrès est l'ingénieuse avancée immobile;
il donne l'illusion de bouger. L'homme qui marche est une idole. Il est admiré par
les hommes-
Le tirage illimité de nos copies par l'Ordre vaut bien des droits d'auteur que nous ne sommes pas vraiment en mesure de lui demander. Il faut donc nous servir. L'argent étant indispensable dans le monde tel qu'il a été organisé sans nous demander notre avis, doit être ponctionné dans le grand corps social sans douleur et sans trace d'aiguille. Vous ne devez pas vous en scandaliser car en fait tout est notre bien, tout est aux Hommes, nous reprenons une faible partie de ce qui est à nous. Votre propriété est notre vol. Vous nous l'avez prise, nous vous la reprenons. Il n'y a donc pas de scrupules à avoir de notre part.
L'argent est un masque indispensable; sans lui on ne saurait sortir dans la rue et ne pas se faire remarquer. Pas question d'ailleurs pour nous de masques de grand art, de masques dignes du carnaval de Venise, le masque à grimaces ordinaire nous convient.
L'argent se trouve dans les caisses de l'état, dans les caisses des banques, dans les caisses des entreprises florissantes, dans les caisses de particuliers au premier rang du service de l'Ordre.
Alain s'occupe particulièrement des recouvrements sur les services publics; Sarah
étudie les banques de l'intérieur en employée modèle; Irène est une secrétaire dévouée
de PDG; Charlène est au service "Vieilles dames", Ibrahim un aide-
La finance est le nerf de la guerre, y compris cachée et de libération. Les occupés fauchés ne développent pas leur Résistance, ils n'ont pas de masques pour sortir dans les rues, ils sont pris et tués.
Pour sauver les enfants, leur permettre de grandir dans le savoir, les moyens financiers sont à se procurer où ils se trouvent. Il serait vain de compter comme Jean sur la charité publique. L'Ordre l'a fait assassiner par ses hordes. Dieu nous donne le droit et la force de nous aider.
Nous ne pratiquons plus toutefois la ponction directe sur les banques : leurs coffres sont trop bien défendus, leurs gardes sont trop nombreux; nous préférons la ponction invisible sur leurs affaires plus ou moins (il)légales, c'est là où l'état les réglemente le plus que, en dissimulant, elles comptent et recomptent moins bien; il y a toujours à rafler quand on met un PDG en surveillance 24 h sur 24. Le personnel en mission est alors important et la coordination essentielle, la ponction par ordinateur et sans trace doit être calculée avec précision. Malgré les dévouements et beaucoup de travail, les profits s'avèrent souvent décevants; surtout comparés aux risques. C'est ce qui explique que nous ayons recours assez rarement à ce procédé.
Notre service "Vieilles dames", lui, récolte des dons assez faibles mais plus nombreux,
néanmoins aléatoires; parfois des héritiers fouineurs se mettent à réclamer les sous
malgré le service rendu. Mais c'est rare. En général notre ange de la mort a été
sollicité et sa rétribution acceptée par tous; les maisons de retraite sont elles-
Il Professore est chargé de tout le service scientifique de la justice dans notre ville. Il a beaucoup de travail. Mais il sait déléguer ses responsabilités. Jamais il ne lâche un de ses subordonnés qui a des problèmes avec les autorités diverses ou avec la presse. Il sait aussi créer une bonne ambiance d'équipe qui rend légers des métiers pénibles.
Pour en revenir au tonneau des Danaïdes, celui de l'état alimente le nôtre sans qu'il
s'en aperçoive puisque la loi impose que le nôtre alimente le sien. Je veux dire
que si on lui prend l'argent pour payer ses impôts et ses taxes, il le récupère;
le tout est qu'il ne s'aperçoive pas qu'il s'est payé lui-
De toute façon si vous voulez nous traiter de voleur et d'assassin, à votre aise.
Des mots ne me font pas peur et ce ne sont que des mots tandis que le développement
de nos enfants est une réalité. Grâce aux actions ciblées au sein de notre plan économique
annuel, il atteint un niveau qualitatif jamais atteint sur cette planète. Si vous
avez un morceau de route de moins, dont vous n'aviez d'ailleurs que faire, dites-
Votre devoir n'est pas notre devoir. Du moins si vous servez l'Ordre. Etes-
Nous ne nous soucions pas de luxe, nous. Mais les biens spirituels ne peuvent être
retrouvés que grâce aux biens matériels. Le Jardin ne peut être retrouvé qu'en usant
du jardin de la terre qui n'en est pourtant pas l'image. Nous utilisons ce monde
contre ce monde. Nous sommes les terroristes du temps. L'idéal n'est même pas une
image de la foi, celle-
Certains de nous pensent qu'il faut en fait s'emparer de ce monde, puis de cet univers,
des univers et alors les tuer; ce sacrifice total, cette auto-
AVOIR DEDAIN, QUOIQUE FUMES OCCIS
Votre intelligence rit de notre foi ? A la façon dont vos journalistes athées sur
toutes vos chaînes de télévision tournent en dérision les fidèles de l'Eglise ! Les
plus proches de nous. Mais beaucoup n'en sont que des hôtes spectateurs, hommes-
Ses pulsations sont le mouvement des aiguilles de nos horloges, elles scindent notre
réel, elles le séparent en fines lamelles que les hommes-
Elle a pourtant l'apparence de la paix dans notre parc strié de pluie. Des silhouettes
à parapluie trottinent sans espoir de lui échapper, elles sont à peine amusantes
dans leur semi-
Lorsqu'elle rouvrit la porte Elisabeth était là avec sa poupée, chacune avait son
petit parapluie mais elles avaient dû se serrer dans le léger renfoncement pour éviter
d'être mouillées. "Pourquoi t'as refermé ? Tu ne voulais plus nous voir ? -
Les sacrifiés de la foi sont connus très tôt de nos enfants. Ils ont souffert pour
nous. Ils ont souffert pour eux. L'enfant qui n'apprend pas au nom d'une liberté
d'épanouissement ignore sa culture, l'enfant qui ignore sa culture devient l'adulte
qui tue sa culture; et pour nous il s'agit de beaucoup plus, de Vérité. Vos civilisations
sont mortelles, nous ne le sommes pas. Elisabeth connaît les noms, elle a vu les
visages, ils lui ont parlé dans des films. Nous aussi nous avons une cérémonie de
commémoration de nos morts. Pas superficielle, vide, comme les vôtres; vous faites
trois grimaces appropriées devant les monuments aux morts de vos dernières guerres
puis pour le fric tu vas livrer des pans entiers du pays à ceux contre lesquels les
tiens ont lutté jusqu'au sacrifice final afin qu'ils n'entrent pas. "Les temps changent",
dites-
Les âmes parlent à nos enfants de nos morts. L'argent ne compte pas pour nous, on ne nous achète pas pour que nous livrions nos morts; rien ne nous détourne du but qui a été le leur, qui est le nôtre, qui sera celui de nos enfants. Seul le rite des reliques dans l'Eglise, imposé par les âmes récemment captives, peut rappeler un peu les nôtres. Mais, bien sûr, les âmes des morts réincarnées s'y expriment. Le petit Jacques dit le don de soi de Jacques; il se raconte aux autres enfants qui ne se contentent pas d'écouter, ils communiquent entre eux. L'armée des enfants aura raison de l'armée de l'Ordre. Elle a la foi effective contre les temps "qui changent".
Comment faites-
Elisabeth sait Jean. Elle n'ignore pas qu'une âme perdue en ce monde n'est pas une âme captive. Jean ne se réincarnera pas comme Jacques par exemple. Jean est hors les mondes de l'Ordre. Son âme a rejoint Dieu. Nous l'y retrouverons quand les enfants auront tué le coeur.
Chaque enfant participe à notre liberté dans la mesure où il est porteur de notre vérité. La libération des âmes interdit toute compromission. Le danger est constant. A chaque instant nous risquons d'être piégés, pris, torturés, violés, brisés, d'agoniser des millénaires dans des corps reprogrammés pour ne nous laisser aucune chance; notre collectivité peut être décimée, détruite... Mais elle doit impérativement élever les enfants dans la sérénité. La peur des temps ne doit pas même les frôler. Nous sacrifierons tout, nous nous sacrifierons tous pour que les temps ne les flairent pas, ne les approchent pas. Leur vie doit être absolument sans heurt, sans secousse; leur croissance doit être heureuse.
Ce n'est pas parce que vous croyez que tout nous oppose que vous êtes loin de nous.
L'opposition nette n'est souvent qu'entre la partie visible des plantes dans l'oubli
de l'enchevêtrement des racines proliférantes. Vous modifiez ici ou là dans les racines,
une cause change et les plantes changent. Vous aviez une fleur noire et une fleur
blanche, vous voilà avec une fleur mauve et une fleur beige. Un gène change et les
furieux deviennent moutons. Si vous n'êtes qu'un résultat il nous serait aisé de
faire muter votre opposition envers nous; il nous suffirait de couper telle ou telle
de vos racines. Difficile que l'Ordre ne s'en aperçoive pas, certes; nous ne contrôlerons
pas votre machine de cette manière. Si vous êtes une âme, quelles que soient les
oppositions, nous sommes semblables; les oppositions sont comme la peinture que l'on
enlève en la raclant avec un ongle. Votre machine tient à sa peinture ? L'Ordre l'a
rendue toute jolie ? Devenez curieux. Raclez pour voir ce que vous êtes en-
Nous savons déjà de vous que vous êtes hypocrite, parce que vous cachez ce que vous
êtes en nous condamnant afin de paraître de haute valeur morale, voleur, parce que
vous cherchez à tout payer le moins cher possible c'est-
Du reste si tu n'es qu'un homme-
A moins que tu ne veuilles te servir de ce que je t'ai dit pour nous tuer. En espérant
peut-
Ou quelque chose en toi essaie de te parler. Ou une voix est en toi qui te pousse à lire pour la comprendre. Les barrières de ta programmation ne sont pas si fortes, elles peuvent être brisées, un dieu est en toi et tu peux le libérer.
Les charniers de l'Ordre sont bien achalandés mais il n'en est pas à pouvoir nous mettre en devanture. Sur ses photographies, sur ses affiches, sur ses films il se raconte; la mort s'étale partout; la vaniteuse prend la pause en oripeaux de logique, fardée de temps. Nous nous cachons au sein de ses trophées dressés en tous lieux pour glorifier son triomphe; pour survivre nous nous cachons sous les charniers. Rien ne nous rebute. Nos enfants doivent grandir et être éduqués dans la sécurité au moins apparente. Malgré le danger, nous continuons.
Antonin, garçon bien tourné, se charge des recherches sur internet des êtres de la
marque qui ne nous auraient pas encore rejoints et surtout des élues potentielles.
C'est un gros travail après le travail. Il y passe des heures. Nous avons été tués
dans nos sacrifiés et chacun de nous a souffert en nous le calvaire du croc de fer
planté dans la gorge pour tirer l'agonisant et le jeter encore vivant dans un charnier;
Antonin a souffert plus que les autres l'agonie de Murielle frappée dans la rue de
six coups de couteau par un détraqué, un de ces bourreaux sans cesse créés par l'Ordre
pour tuer sans maladie, sans vieillesse, sans guerre, sans justice les corps qu'il
désire instantanément dans le paroxysme de ses vices; Antonin n'était même pas sûr
que Murielle puisse faire partie des Elues, nous n'en étions qu'à l'étude de son
cas, mais le fait que l'Ordre se serve du hasard pour son meurtre nous a rendus certains
qu'il lui donnait du prix, une valeur particulière, et nous nous sommes réunis pour
la cérémonie de communion dans la mort afin que son âme ressente notre présence et
dans ses supplices garde un souvenir de Murielle et de son effort naissant pour nous
rejoindre. Ce que cherche Antonin, des heures et des heures, dans les dialogues de
rencontre sur l'internet, c'est Murielle; il est sûr qu'elle ne se sera pas éloignée,
qu'elle aura subi peut-
Elle est là, quelque part dans la ville, elle aura réussi à ne se laisser enfermer
que dans un autre corps adulte de femme, un de ces corps-
Tout le monde n'est pas d'accord parmi nous sur les possibilités des âmes captives;
interrogées les nôtres ont du mal à trouver des équivalences pour notre entendement.
Réussir à choisir l'âge de son corps, le sexe, l'apparence... pour le prix de quoi
? On n'a rien sans rien... Et le lieu ! Simon plaisante : "Imaginez qu'elle revienne
à Villers !"... Pour réussir cela, en dépit de ce que prétendent les âmes il faut
payer le prix, il faut plaire à l'Ordre pour qu'il fasse ironiquement un "cadeau".
Est-
Ce qui fascine Sophie quand Antonin venu au bar pour une réunion quelconque, d'un
club ou d'une cellule, n'y tient plus et lui demande de se servir de l'un des deux
ordinateurs que les nécessités actuelles du commerce lui imposent d'avoir pour des
clients censés venir boire, c'est son absolue certitude que Murielle est là, pas
loin, qu'il va la retrouver. Elle aurait une totale confiance en lui au point d'avoir
fait tout ce qu'il fallait pour être là, sûre qu'il la retrouvera. Ce n'est pas absolument
impossible. Sa conviction entraîne presque la conviction de Sophie. Il Professore
est réservé. Ce n'est pas impossible mais c'est sans exemple et les âmes interrogées
semblent ne pas savoir. Ou peuvent-
Naturellement la question du sexe des âmes n'a pas plus de sens que celle du sexe
des anges. Quand l'un de nous l'a posée, les âmes, après avoir eu du mal à comprendre,
s'en sont carrément amusées. Mais alors comment ce qu'affirme Antonin serait-
Les sentiments sont dans la logique, ils se développent à partir de la machine physique et de la mécanique sociale; ils constituent des liens invisibles, des ficelles invisibles que l'Ordre tire à son gré. Il joue de l'amour et du hasard avec les marionnettes qui se croient libres parce qu'elles ne voient pas les fils. Le paralytique mis debout par une grue et une corde qu'il ne perçoit pas crie "Je marche !" L'humanité est en marche par l'amour. L'homme qui marche est un paralytique amoureux.
Les Hommes de la marque n'ont que faire de sentiments. Les élus choisis, cooptés,
ont été laissés sur les rives par l'Ordre et il ne leur a pas donné d'amour. Les
âmes ne reviennent dans des corps précis avec leur consentement que si nous les avons
libérées, l'ordre, lui, leur choisit des prisons avec son raffinement ordurier habituel.
Alors ? En plus, pour nous l'âme doit revenir dans un enfant pour que l'unité ait
lieu; sinon ce n'est pas possible. Sauf exception peut-
On objectera sans doute que Sophie éprouvait de l'amour pour Jean. Mais Sophie n'était pas une femme de la marque, elle vivait parfaitement intégrée, dans le cours du fleuve, à sa rencontre avec l'homme perdu elle a réagi en femme. Son âme n'était qu'une voix rarement perceptible en elle. L'âme avait reconnu l'Homme perdu, elle poussait Sophie vers lui; pour Sophie seul l'amour était possible; seul l'amour pouvait expliquer et justifier son rapprochement avec Jean. Même après son départ, même lorsqu'elle a su la vérité, l'amour est resté. L'amour peut donc être détourné au service de la vérité. Il est de la logique qui peut être retournée.
Nous ne sommes en conséquence pas hostiles à l'amour. Tous les sentiments peuvent devenir des épées contre l'Ordre. L'amour aussi veut tuer l'Ordre pour être libre.
On ne dira plus que la conviction d'Antonin, logiquement partagée par la seule Sophie, est irrationnelle. Elle est seulement d'une rationalité sans preuve; éventuellement sa recherche relèvera d'une erreur logique, donc qui ne nous montre pas. L'amour cache au sein de la mort. Il est une arme contre la mort. Nous observons Antonin, nous attendons.
De toute façon sa recherche personnelle s'inscrit dans le travail communautaire dont
il est chargé. Nous apprenons que ses dialogues sur la toile aboutissent à un rendez-
Zeitlz, elle, sait aimer. "Elle ne pouvait davantage supporter l'attente. Cette nouvelle,
sûrement vraie, du dîner du prince avec Danièle dans un palace viennois l'avait rendue
folle. Comment pouvait-
Sophie lève la tête de son livre car le ting-
Il Professore confronté à l'hypothèse n'y croit pas. Une concomitance au sein même
du bar protégé ne relève pas du hasard, elle se limite à elle-
Antonin cherche, fébrilement. Sa certitude n'est pas ébranlée. Il Professore est un peu inquiet pour lui.
PAR JUSTICE. TOUTEFOIS, VOUS SAVEZ
L'Ordre règne par sa justice entre autres, mais la justice sera punie dans l'Ordre. Les âmes l'ont jugée. Les temps n'ont pas justifié les temps. La justice n'est que de la logique, la logique n'a pas justifié la logique. Puisque la justice est de la logique nous comprenons bien qu'elle n'a de sens que dans le temps, l'Ordre ne peut pas être jugé après, après la disparition de la mort. La justice est l'échelle de la mort, elle condamne toujours à plus ou moins de mort, plus ou moins haut sur l'échelle. La justice fait accepter aux hommes la dévoration lente, la soumission à la dévoration, le plaisir logique doit être plus grand pour l'Ordre quand il a réussi à faire accepter son plaisir par sa victime.
Mais à nous il ne nous bande pas les yeux comme à elle; la statue du tribunal de
notre ville a été fardée par un farceur que l'on n'a pu attraper, elle étale encore
dans la façade de calcaire ses lèvres énormes outrageusement rouges, presque violacées,
le bleu sombre de ses paupières sans cils, le rose trop vif de ses joues, le blond-
La justice de la mort est l'ennemie des enfants de Dieu. Si nous sommes pris, nous ne parlerons pas, nous n'implorerons pas. Il n'y a de droit que notre droit à la vie pour libérer les âmes qui trouveront l'issue des temps.
Vers la fin de l'automne Sandra fut heureuse à nouveau. Cette fois l'enfant était
admis. Le premier avait menacé de ne pas avoir les qualités désirées. Il avait fallu
le tuer. Elle ne voulait pas. Comment pouvions-
Le plus dur ensuite était de recommencer. Elle était vraiment mal dans sa peau. Sophie s'est donné beaucoup de peine pour la réconforter, Nathalie aussi. Et Elisabeth, mais sans bien comprendre.
La première fois déjà Sandra a failli ne pas se décider à boire le verre de l'oubli
pour s'offrir aux futurs pères. Elle était pourtant incapable d'avoir Marie autrement.
L'Ordre ne lui a donné ni l'amour ni le désir sexuel ni la volonté d'agir ni la passivité
pour se laisser prendre. Il lui a fermé toutes les possibilités à la naissance de
Marie. Elle n'arrivait pas à trouver la force de boire, sa main tremblait, elle demandait
à Sophie de l'aider mais ce n'était pas possible : c'est un viol si la femme ne se
verse pas elle-
Il fallait recommencer.
Elle but lentement pour se livrer puisqu'elle ne savait pas vivre;
Mais maintenant ce moment est sans importance pour elle, oublié avec la suite, car Marie est en elle et le bonheur présent. Les âmes fêtent Marie comme une élue indiscutable à cacher avec soin à l'Ordre.
La culpabilité est une prestation de la putain de l'Ordre. Ce service coûte cher aux masochistes qui se le paient. Les plaisirs de la logique flagellent des consciences qui demandent pardon de leur programmation. Le spectacle des jouissances du monde dans les temps de la mort, vu par nous de l'extérieur, devient celui de la nef des fous. Les musiciens effrénés intensifient de leurs rythmes et de leurs dissonances les fantasmes réalisés. Les sexes sont les êtres et la pensée les sert en esclave et les corps sont les instruments dont joue la mort fardée en justice.
La culpabilité pour nous n'a pas de sens puisque Marie va naître. Elle naîtra et elle sera libre. Sandra est désormais dans le cours du fleuve mais elle y est par nous, contre la logique; la condamnée est dans la foule, identique et sans passé; elle sait. Elle sait Marie. Elle a toute la force de la liberté nécessaire de Marie pour réussir à rester invisible dans la foule.
Ça y est, vous allez vous hérisser de l'eugénisme, du tri inacceptable des êtres,
du droit à la vie de l'embryon etc etc. D'abord l'embryon appartient aux temps, il
est du temps, il est de la mort, son droit à la vie appartient à l'ironie de l'Ordre.
Ensuite si dans votre monde on assassine Mozart et Einstein par la médiocrité que
l'on fait entrer de force dans leurs cerveaux, qui les entoure, qui les presse, par
votre télévision, par votre école, par votre radio, par votre internet, par vos téléphones,
par chacune de vos paroles, qui finit par entrer dans leurs têtes, s'emparer par
la force de leurs cerveaux, dans notre collectivité nos enfants peuvent être Mozart
et Einstein, ils savent seulement qu'ils ne doivent pas le montrer au-
Sandra, elle, a fait le choix de la liberté par l'oubli de quelques heures de vie.
Bien avant, Antonin, qui avait poursuivi ses recherches, lors d'une rencontre improvisée
de présentations courtes, rapides, avec changement d'interlocutrice sur l'ordre d'une
cloche frappée violemment, eut la certitude qu'il désirait. La femme devant lui,
au sourire très doux, était une inconnue sportive, d'allure élégante, bien découplée,
les cheveux bruns mi-
L'enquête commença le jour même. Il Professore tenait à ce qu'Antonin ne puisse rien
nous reprocher. Il lui en donna, à notre grande surprise, la direction avec tous
nos moyens à son service et, comme la saison d'opérettes avait débuté, à cause du
prénom d'Antonin et de la programmation prévue, il ouvrit une fiche pour la belle
au nom de Ciboulette. Poulo et Suzy ne joueraient l'oeuvre éponyme que dans deux
mois, on avait tout le temps de la jouer d'abord à notre façon. Notre héroïne n'avait
pas un passé compliqué. Orpheline de bonne heure, études convenables sans plus, travail
de gestion dans un bureau d'assurances; vie commune avec un type sans relief de vingt-
Il y aurait eu un hasard s'il ne l'avait pas cherchée partout. Notre ville n'est pas si grande; quand on veut trouver, si on cherche bien, on trouve; ce n'est qu'une question de méthode, d'application, de persévérance. Sauf si on poursuit une chimère. Pour lui l'âme violée de Murielle balbutiante dans ses souvenirs l'appelait pour qu'il la sauve dans sa tombe humaine. Les battements de cils de Ciboulette caressaient le coeur d'Antonin de la douceur des cils. Il était un enquêteur aussi peu objectif que possible. Du coup Il Professore s'impatienta; il voulait des renseignements sûrs. Mais Antonin avait Sophie de son côté, elle intercéda pour lui, il put continuer selon son absence de méthode.
On ne pouvait pas dire que Ciboulette fût une fille farouche; notre impression était que tout type un peu malin aurait su la convaincre qu'il était son avenir, surtout avec le physique avantageux d'Antonin. Mais pour lui c'étaient les grandes retrouvailles, il lui réapprenait leur amour, ils étaient enfin ensemble et pour toujours. La poupée disait "Oui... Oui" et battait des cils. Sa voix était aussi caressante que ses cils. Jamais un enquêteur n'a été caressé à ce point. Quelle drôle d'enquête.
Très franchement, dans des circonstances normales on ne l'aurait même pas estimée susceptible d'être une élue potentielle; rien dans cette jolie fille n'annonçait la moindre divergence d'avec l'Ordre et elle aurait rencontré forcément un homme quelconque avec lequel elle aurait eu des enfants et vécu un certain temps. On ne pouvait même pas la concevoir comme un piège de l'Ordre. Antonin aurait dû l'interroger conformément à nos protocoles pour que nous trouvions les signes s'il y en avait. Mais il ne le faisait pas, sous des prétextes divers, sûrement parce qu'il craignait les conclusions.
Il fallait impérativement amener cette fille à se rendre à une séance de révélation.
Pas brusquement. NI en lui disant tout. Il y a une préparation psychologique indispensable,
encore faut-
En l'occurrence, faute de renseignements précis sur Murielle la séance de révélation pourrait être son arrêt de mort. Antonin reçut l'instruction de présenter Murielle à Sophie pour qu'elle la prépare psychologiquement à cette séance; puisqu'il ne le faisait pas comme il l'aurait dû, elle s'en chargerait.
Beaucoup s'attendaient à ce qu'il y renonce pour Murielle, à ce qu'il la déclare
simple corps de l'ordre, qu'il reconnaisse son erreur et demande à vivre avec elle
en-
Mais il n'a rien demandé. Il a présenté Murielle à Sophie qui a appliqué les protocoles.
Il Professore, inquiet comme nous tous, lui téléphonait aussitôt après chaque
rencontre : comment évaluait-
Antonin ne voulait pas reconnaître l'évidence; il aurait dû renoncer. On le lui répéta; il dit non. Beaucoup s'attendaient à ce que, mis au pied du mur, la veille de la séance, il prenne la fuite avec elle. En effet elle en savait déjà trop pour être laissée en vie après l'échec.
Jamais elle ne s'était étonnée de ce que lui expliquait Sophie, jamais elle ne s'était révoltée. Elle ne posait même pas de question. On ne pouvait pas voir en elle une espionne tant elle aurait mal fait le boulot. Du moment qu'Antonin lui avait dit que c'était bien, elle souriait.
Un sourire n'est pas une preuve. Un sourire tout de même ne prouve pas l'âme.
Ils ne prirent pas la fuite. Il avait peur quand il l'amena. Mais il l'amena. Il était des nôtres. Elle, elle lui faisait confiance.
Vous êtes railleur(euse). Si, vous êtes railleur(euse). Ah, celui-
Tu y as sûrement droit. Nous, on r'sasse et toi tu es admirable; mais si; pas de
fausse modestie. Laisse aussi tomber la vraie et sois toi-
Tu t'amuses de nous et en fait, déjà, tu t'amuses de toi. Le sportif de haut niveau
qui se croit individu et cache la forêt des faibles peut rejoindre ton chenil à rêves.
Du reste, nous ne sommes pas contre le rire. Fréquemment on voit dans les feuilletons,
des pièces, des films, des sectes rigolotes qui servent à rire de Dieu, des mimes
de Dieu; on a aussi les terribles pour donner gros frissons et faire froid de grosse
peur; c'est marrant itou. On peut se moquer de tout, des politiques, des non-
Vous savez ce que l'on vous dit de savoir; vous riez de ce que l'on vous dit être drôle.
Tu peux rire de nous, ton rire nous cache. Encore une de nos obsessions ? Amuse-
L'âme a répondu. L'âme de Murielle était là. Elle disait sa souffrance, elle disait son bonheur. L'âme d'Antonin parlait à l'âme de Murielle comme s'ils se retrouvaient après une si longue absence. Un balbutiement éperdu; un délire doux de mots caressants; un enchantement radieux à se dire des riens qui contenaient la vie...
Nous étions stupéfaits. Nos âmes assistaient stupéfaites à ces retrouvailles sans
avoir, pour une fois, le moindre renseignement à nous fournir afin de nous éclairer.
Personne n'y avait cru. Même Sophie qui avait voulu y croire par amitié pour Antonin.
Nous aurions dû intervenir, poser des questions, c'était indispensable; mais curieusement
nous avions l'impression d'être indiscrets, nous étions gênés d'écouter. Bien sûr
sans notre présence, sans le cercle des âmes pour abolir momentanément les barrières
physiques, les limites imposées des corps, ils n'auraient pas pu retrouver leur amour
-
Ils sont repartis la main dans la main, parfaitement, c'est comme je vous le dis. Nous avons aussi quitté les lieux mais en silence, sans nous concerter, il y avait trop à réfléchir.
Ainsi Ciboulette était une porteuse d'âme -
QUE TOUS HOMMES N'ONT PAS BON SENS RASSIS.
Nos théories étaient depuis longtemps arrêtées mais elles devaient évoluer. Ou simplement devaient s'enrichir d'un codicille.
L'amour est à l'Ordre, il est de la logique psychophysiologique; comme toute logique il peut être retourné contre l'Ordre. Mais comment procéder ?
Une deuxième séance fut décidée où nous poserions cette fois les questions qui se heurtaient dans nos cerveaux.
Nous étions amenés à nous demander si d'autres cas comme celui-
Certains soutenaient l'idée que cet amour-
Nathalie n'arrêtait pas d'en parler à Sandra à qui cela était indifférent, tout occupée
de son propre bonheur. La deuxième séance en effet eut lieu vers la fin de l'automne.
Elle était attendue comme un événement majeur de notre collectivité. Les Elus en
avaient parlé encore et encore, ils avaient étoffé leurs raisonnements, ils avaient
poli leurs questions, bref on pataugeait. Quelques-
Sandra aidait Elisabeth à faire des exercices de math qui n'auraient pas été de son
âge à l'école; Sophie les regardait avec amusement, se demandait qui aidait l'autre;
en même temps elle écoutait les réflexions de Nathalie et de Charlotte. Elle-
Elle jette un coup d'oeil par les fenêtres sur la pluie régulière au crépitement
feutré et sans vent. Dans une heure à peine il sera midi et le bar sera plein, un
brouhaha chaotique accompagnera sa course en apparence désordonnée d'une table à
une autre. Il Professore passera un peu plus tard; elle a déjà discuté avec Antonin,
elle lui racontera; il voudra sûrement qu'elle rencontre Murielle -
L'hypnose de la douceur de la pluie les a toutes gagnées; Nathalie et Charlotte se reposent d'avoir tant pensé, Elisabeth est allée accompagner du doigt le glissement des gouttes sur les vitres, Sandra rêve de Marie.
Antonin ne comprend pas les inquiétudes, les restrictions, les penser-
Sophie écoute Antonin et a peur pour lui; elle a l'impression qu'il lui parle de miracle et qu'il prétend avoir été choisi avec Murielle; l'amour aurait touché Dieu qui aurait décidé d'intervenir. Il ne se rend pas compte que cela signifie que Dieu aurait copié l'amour, création de l'Ordre, pour faire un signe.
Remarquez que l'incarnation chrétienne est la conception la plus proche de la nôtre puisque les âmes récemment capturées tentent de se réfugier, de se retrouver, de se regrouper dans les églises; nous ne rejetons pas le fait que Dieu ait conforté ainsi les âmes dans l'évidence de la fin des temps, mais nous sommes l'armée qui doit la réaliser.
Entendre Murielle c'est entendre Antonin. Et il attend là-
Quand Sophie la lui rapporte Il Professore tique sur cette réponse. Jamais un corps-
Il est évident que chacun (sauf Sandra) attendait la seconde séance avec une curiosité mêlée d'inquiétude, notre foi était violentée par l'amour. Nous étions prêts à toutes les décisions extrêmes. Certes un problème est comme le phénix, ce n'est pas parce qu'on les supprime qu'il disparaît. Le même cas avait pu se produire ailleurs, il pouvait se reproduire et même ici, supprimer le nôtre n'apporterait qu'une satisfaction momentanée, mieux valait trouver comment l'intégrer à notre système de pensée. Un problème disparaît quand il cesse d'être extérieur, une agression, et devient une brique d'un édifice qu'il consolide désormais.
Murielle et Antonin arrivèrent à la séance main dans la main comme d'habitude, et
souriants. Rien ne pouvait leur arriver, semblaient-
La séance commença dans une atmosphère fébrile si bien que les âmes furent longues
à pouvoir dialoguer; une certaine sérénité est indispensable au rite. On espérait
fortement des explications noyeuses de poissons. On espérait pouvoir pousser un soupir
de soulagement. L'espoir est un des pièges de l'Ordre, il s'était insinué en nous;
on prit conscience du désastre créé par l'amour. D'entrée Murielle et Antonin déclarèrent
qu'ils voulaient se marier ! Et à l'église ! Murielle ajouta timidement : "En belle
robe blanche". Et sans la moindre hésitation -
Ils repartirent menotte dans la menotte, prisonniers l'un de l'autre, comme ils étaient
venus; et souriants. Ils étaient bien les seuls à sourire. Les tempêtes sous les
crânes menaçaient d'évoluer en cyclones. Il Professore, pensif lui, dit à Sophie
épuisée, perplexe, déstabilisée, que le message de Jean donnait l'amour comme équivalent
compréhensible pour nous du Jardin de Dieu et n'en excluait aucun niveau de naïveté
dans la lutte pour la vérité. La régression au contact de l'Ordre de ces deux âmes
n'en avait pas fait des traîtres, elles restaient libres de ses systèmes de contrôle
et avaient détourné -
A terme nous comprîmes que nous devions élargir le champ de nos recherches pour les
potentiels élus, et nous trouvâmes en effet des âmes en binômes si j'ose dire, incapables
de se concevoir sans l'autre. Cette aberration au sein de l'Ordre cessa de le servir.
Restait pour nous à savoir quel prix avait payé Murielle. Il Professore par la symbiose
qu'il avait imposée aux âmes du et dans le cercle -
Un certain nombre d'entre nous se rendit donc au mariage. Il Professore et Sophie y étaient. Murielle, Ciboulette, était rayonnante, ravissante. Antonin se sentait deux fois un élu, le bonheur brillait dans ses yeux. C'est là qu'Il Professore pensa qu'il était regrettable qu'aucun des nôtres ne soit prêtre dans l'Eglise. Il pourrait organiser nos mariages, nos cérémonies diverses. Nous avions jusqu'ici négligé de nous introduire parmi les plus proches de nous, considérant cela comme inutile. Cette zone devenue marginale de l'ordre qui veillait par la puissance de sa persuasion matérielle à la déchristianisation, n'avait pas été à investir prioritairement, mais notre nombre actuel imposait l'extension afin de maîtriser l'ensemble des rouages pour contrôler un jour la cité.
Ce fut un beau mariage. Joyeux. Les photos en témoignent. Je les regardais encore avec plaisir hier. Murielle et Antonin formaient vraiment un beau couple. Ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants avec des âmes.
Une si belle cérémonie donna des idées à certaines des nôtres. Il fallait s'y attendre. Marguerite en eut immédiatement une envie folle. Puisqu'elle aussi était une Elue elle ne voyait pas pourquoi elle n'aurait pas droit à une belle fête avec beaucoup d'invités. Le raisonnement tenait du caprice. Il amusait Charles qui résistait mollement. Quand on a accepté un mois et demi d'hôpital pour une femme et un enfant on ne va pas leur refuser de mettre un bel habit et de commander les gâteaux. Il se laissa épouser avec bonheur. Il fallait voir ce fameux jour la fierté du petit André précédant ses parents dans leur marche vers l'autel ! On avait eu du mal à le persuader qu'il n'avait pas droit à son mot. Enfin il fut le roi de la fête et Il Professore y vit une raison de plus d'étendre notre influence.
Elisabeth aussi aurait voulu un beau mariage pour maman, elle se voyait bien conduire les mariés, mais Nathalie refusa net : elle ne voulait pas d'homme dans la maison. Sandra riait en écoutant leurs discussions. Elle ne se sentait concernée par rien; tout commencerait après la naissance de Marie; il serait bien temps de se creuser la tête pour les pensées profondes; elle était au niveau intermédiaire entre les troupeaux de l'Ordre et la liberté; la bête ou la vie, le choix était fait, la sortie du cocon des limbes se produirait bientôt et Sandra naîtrait de Marie, la mère naît de l'enfant.
Le Capitaine des lacs lui demanda si elle accepterait d'aller voir l'un des nôtres,
âgé, qui ne pouvait se déplacer et désirait la rencontrer. Il l'y conduirait lui-
La maison dans laquelle s'était retiré Gédéon depuis deux ans se trouvait à une quinzaine de kilomètres dans un hameau, un peu avant plus précisément quand on venait de la ville; jusque là on traversait la forêt. La route ne bénéficiait pas d'un entretien attentif, elle ne constituait pas une priorité pour les politiques avec au bout ses cinq électeurs. A plusieurs reprises du reste le Cap la quitta pour montrer ses étangs à Sandra, il en était très fier. Il lui expliquait les sources, les canaux, les environnements, les profondeurs, il la faisait descendre de voiture pour lui montrer les espèces de poissons, il savait la vie de chacune, il savait les faire venir près du bord comme s'il les appelait, son domaine s'étendait sur des kilomètres de tout côté. Sandra restait distante quoique émerveillée; cette nature si proche de chez elle lui était inconnue, elle s'y sentait étrangère, ce n'était pas chez elle. Mais elle se disait contente de la promenade, de découvrir que les images de sa télévision existaient là. Si près, si loin.
Ils arrivèrent devant la maison de Gédéon en fin de matinée. L'entretien de cette vieille ferme clinquante sous sa vigne vierge rousse devait nécessiter plusieurs bras, tout le hameau y participait sans doute car sur les allées, les pelouses, les feuilles avaient été ramassées, les buissons étaient taillés en brosse impeccable, les volets avaient été repeints récemment... Une petite chèvre sortit d'un hangar, d'une étable... sur la gauche, pour les regarder, puis renseignée, y retourna. Le Cap frappa très fort et fit entrer Sandra.
L'homme âgé assis dans le fauteuil rouge ne tourne pas la tête. Il écoute un orchestre savant dont la musique est aussi étrangère à Sandra que la forêt. La vaste salle est soigneusement rangée, meublée comme un musée paysan.
Le Cap les a laissés.
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Il sourit. Non, il ne verrait que la lumière qui lui blesse les yeux. Elle est donc venue, il voulait rencontrer la mère de Marie, lui parler pour elle.
De son expérience ? Pas du tout. L'expérience des uns ne vaut pas forcément pour les autres. Un savoir ? Un secret de savoir, un trésor de savoir ? Il s'amuse.
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Le savoir servait le progrès, il en fait tourner la roue dans le temps. Le savoir est du temps, la mémoire lutte contre le temps. La mémoire est une arme des âmes, le savoir est une arme du temps. De l'Ordre qui se sert de cette gomme dans les cervelles humaines.
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Il tourne la tête vers elle, amusé; il doit la voir; la percevoir plutôt; malgré la pénombre elle a la certitude d'un sourire.
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Il rit, un petit rire qui est presque une toux.
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Le rocher du progrès sera bien roulé aux Jeux Olympiques, nous vain-
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Le savoir est une contrainte, il domine, il force à la soumission envers l'Ordre par le progrès. Nous sommes les Egaux. Nous ne nous soumettons à rien. Les âmes ne sont pas soumises à Dieu sinon elles n'existeraient pas. La liberté est l'existence. Car la soumission est de la logique, elle est un rouage de l'Ordre. Les rapports des âmes avec Dieu n'ont pas de rapport de logique, elles sont libres de Dieu, elles sont à Dieu par leur liberté. La soumission n'a de sens que dans l'Ordre, dans la mort. Les espaces de la mort ne sont pas les limites des âmes, elles ne sont pas soumises parce qu'elles ne meurent pas, elles ne meurent pas parce qu'elles sont libres, elles sont libres parce que Dieu existe, elles sont libres en Dieu donc elles sont libres de Dieu, sinon il serait l'Ordre. Et elle n'existeraient pas.
Sur le chemin du retour, le Cap parle de ses carpes. Pendant que Sandra buvait le
thé avec Gédéon -
Rentrée chez elle, Sandra poussa un soupir de satisfaction.
-
EXCUSEZ-
Notre problème n'est plus celui de la mainmise sur la cité, mais celui de notre extension.
Un texte comme celui-
Le premier conseil à donner, c'est de multiplier les actes qui feront de vous le
citoyen-
Excusez-
La haine certes est un sentiment donc une création de l'Ordre, nous en sommes bien conscients. Il l'utilise pour la mort. Nous l'utiliserons pour la sienne. Nous la retournons contre son créateur. Elle nous donne sur cette terre les forces nécessaires pour la lutte. Car c'est une lutte quotidienne, de sa part à lui avec une cruauté totale, que nous devons égaler pour que nos actes disparaissent en lui, un combat corps à corps, mais pour nous ce corps n'est qu'une prison dont les barreaux seront écartés. Les Hommes travaillent à la fin des temps. Nos vies ont cessé d'être inutiles depuis que nous ne craignons plus la mort, elles servent à conquérir notre liberté.
Nos martyrs reviennent parmi nous, plus forts de ce qu'ils ont appris, ils nous disent ce que l'Ordre interdit de savoir, nous sommes plus forts de chaque mort.
Qui que tu sois ne passe pas ton chemin sans réfléchir à toi. Tu as souffert et tu
vas souffrir, tu le sais. Si tu poses la question de la logique "pourquoi", n'invente
pas une réponse de Dieu, il n'est pas la logique, cherche le réponse dans le livre
de l'Ordre, dans ce monde qui est sa création et qui dit ce qu'il est -
Si tu en as assez de souffrir, ta haine est la nôtre. Tu ne haïras vraiment que si tu as une âme. Non que les âmes aient des sentiments, simplement elles les empruntent pour que nous les comprenions. L'absence de mort ne se comprend pas aisément, la haine est une communication directe, elle unit avant de raisonner, elle donne la force d'avancer, de chercher sa raison d'être. Elle se sert des outils de la logique pour en creuser la tombe. On hait d'abord, on comprend après pourquoi. Puis on dépasse la raison qui explique la haine.
Des Dix commandements nous ne retenons que ceux sur la famille. Adaptés, évidemment.
Les autres sont autour des prés les pieux sur lesquels sont accrochés les fils barbelés
pour que le bétail ne s'évade pas. Il faut les enfreindre. On doit d'abord se l'imposer
pour s'opposer. Les étapes du chemin de liberté sont soigneusement ordonnées. Briser
les sceaux un à un dans une progression établie par nous pour qu'il ne reste aucune
limite en nous. Ensuite nous pouvons dépasser l'opposition. Nous pouvons avancer
au-
La création est une constante division. L'espèce en ethnies, les ethnies en groupes,
les groupes en individus; avec d'autres divisions, en civilisations, en cultures,
en convictions diverses... Beaucoup d'autres encore. Raisonner alors revient souvent
à considérer l'individu contre la société, l'exploité contre l'exploiteur, le barbare
contre le civilisé, le mal contre le bien, le malheur contre le bonheur... une suite
interminable pour l'intelligence, que la paresse fait baptiser infinie -
Ce n'est pas que chacun suive lui-
Simon n'a donc pas à être ou ne pas être condamné. C'est hors de propos. Durant cet
automne il a fait un petit séjour en prison, un de plus. Villers n'y était pas allé
avec le dos de la cuillère, 3-
Car pour avoir l'argent et les places il faut qu'ils s'engagent pleinement. Le système
est simplissime : propos agressifs, violences gratuites, agressions contre la police.
Les politiques ordonnent d'abord la force. La répression dominera les révoltes. Mais
elle ne réussit pas puisqu'on les attendait là. Des voix s'élèvent (même pas des
nôtres) pour protester contre les violences policières, le recours à la répression
au lieu du dialogue; la prévention, voilà ce qu'il faut ! Il Professore dit toujours
qu'on doit honorer saint Benêt. Il nous rend tant de services. Les bons sentiments
sont les meilleurs auxiliaires des mauvais. Les politiques résistent. Mais les élections
sont en vue, ils n'ont pas réussi à régler le problème, il y a encore eu des violences,
ils en sont donc les responsables. Ils cherchent alors des interlocuteurs pour ouvrir
des discussions. Se croyant habiles ils achètent notre silence pendant les élections
avec l'idée de nous régler notre compte après. Gloire à saint Benêt ! On a pris l'argent
pour projets que chacun sait fumeux et on ne se tient à carreau -
Ceci vous explique la présence de certains des nôtres en prison. Ils font avancer les droits de l'Homme.
Quand les intentions sont bonnes, quand on a sa conscience pour soi, il n'y a pas à hésiter. L'attaque des privilégiés est morale en somme. Leur truc est d'intégrer les plus dangereux des conquérants parmi eux pour faire taire les autres. Avec nous le loup vient de mettre la patte dans le piège à loup. Nos sourires servent à tromper. Ils se croient vainqueurs quand ils nous ont encore donné quelque chose, quand ils ont encore reculé. La mort du loup est morale.
La mort du loup est la mort du chasseur. Quand il n'y a plus de loup il n'y a plus
de chasseur de loup. Tout est bien qui finit bien. Paix et harmonie. Nous adorons.
Aujourd'hui nous tenons les clefs des prisons dans lesquelles on nous enfermait et
avec nous inutile de tenter les trois étapes de la révolte. Nous ne jouons pas à
la démocratie, nous. Nous ne serons plus -
Quand on a gagné, on est fier; on a su culpabiliser même les forts, on ne va pas finir comme eux. La faute est à ceux qui ont servi la mort. On leur a pris ce qu'ils avaient et désormais ils vont pouvoir s'admirer de leur abnégation, de leur grandeur d'âme, de leur bonne conscience intacte. Je ne vais pas m'apitoyer sur des poires.
Pour en revenir à l'automne que je veux vous raconter, nous avions encore de nombreux
problèmes et même nous subissions des revers, ce qui explique les nôtres dans les
geôles. Mais nous savions que le jeu des héritages avait souvent donné à des faibles
la place jadis conquise par les forts; notre triomphe était donc assuré; nous nous
glissions dans le processus de renouvellement établi par l'Ordre, nous prenions la
place de la rébellion programmée qui met du neuf à la tête du système pour qu'il
se perpétue; nous, toutefois, nous n'allions pas le gérer en attendant la vague suivante,
c'est joli cette succession de vaguelettes de l'histoire avec quelques raz-
Mais nous jouons les apparences. Médaille d'or au roulé de rocher... Marie par exemple,
oui la Marie pas née, pour ce qui est du savoir, je ne saurais dire si elle a suivi
les conseils de Gédéon ou s'il s'était encore gouré -
Je ne serai peut-
Grâce à la venue de Jean, sous la conduite d'Il Professore, nous avons brisé une
à une les chaînes, nous avons déjoué les pièges, nous avons déréglé les rouages.
Les droits et les devoirs étaient des pièges de soumission, ils vous offrent sans
défense au progrès, la mécanique des temps; nous avons brisé les sceaux de la tolérance,
du respect de l'homme-
Nous sommes les Egaux, nous sommes les Hommes. Les âmes n'ont pas de sentiments mais elles vibrent de notre indignation en contemplant la création de l'Ordre, le livre des vices et des supplices. Le jardin des supplices est le jardin des plaisirs. De ses plaisirs. La mort joue des orgasmes des sexes, elle jouit des petites morts et donne son baiser à la victime dominée, enfin consentante, offerte sans remords et sans dégoût, incapable de se débattre dorénavant sur la toile qui la piège, possédée jusqu'à ce que la satiété engendre l'ennui. D'autres victimes sont amenées par ses prêtres au dieu, mais il jouit de ses prêtres comme des offrandes, il crée et renouvelle ses plaisirs sans frein à l'infini. Les mondes sont le bordel de la mort; une jouissance ininterrompue de malheurs et de hontes. Les mondes sont sur la toile de l'araignée, la toile est le jardin de la mort. A l'infini. "Infini" c'est de la logique, ce n'est qu'un contraire, Dieu n'est pas de la logique, il n'est pas un contraire, il n'a pas de contraire.
Nous sommes les Egaux, nous sommes les âmes libres en Dieu. Notre but est le seul
but possible pour des corps, la fin des temps. Nous sommes la fin des temps cachée
au sein des temps. Pour nous il n'est pas de barrières, il n'est pas de sceaux, tout
ce qui s'oppose à nous n'est qu'un contraire, c'est-
Si je suis déjà mort quand tu lis ces lignes, dis-
Ne nous mets pas à la légère dans les niais de l'irrationnel. Avec les lecteurs de cartes à jouer, les lecteurs de balades d'astres, les lecteurs de marc de marques de café... L'irrationnel n'est qu'un contraire, il est donc dans la logique, une illusion d'échapper à une illusion. Nous ne croirions pas sans avoir eu l'expérience de la vérité. Notre preuve est en nous. Elle parle aux Elus, capables de l'écouter. L'énigme de Jean, l'énigme de la marque font partie de la preuve. Les séances de révélation ne sont pas des hallucinations collectives provoquées par des drogues, elles se décomposeraient alors lamentablement en logique; elles sont l'union avec les âmes pour sortir de l'Ordre. Les barrières de la mort sont tombées, nous avons déjà brisé ses sceaux. Nous sortirons du cercle et nous reviendrons pour provoquer la fin des temps.
La foi fondée dépasse la logique de l'irrationnel, chien ou oiseau de la puanteur
des rêves; la certitude d'exister hors les mondes impose la lutte de chaque instant,
il a cessé pour nous d'être douteux de ne pas mourir. Remarquez que le mot "immortel"
est inadapté, il n'est qu'un contraire et Dieu ne se définit pas par rapport à la
logique, il ne se définit pas, nous employons ce mot faute de mieux. Nous ne nous
contenterons pas du contraire de la mort puisqu'il y aurait alors simplement une
anti-
Ou tu peux devenir un Elu, ou tu n'es rien. Tu es une chose. Une chose qui a la logique des décisions de base : se reproduire, produire des choses, produire de la nourriture... Tu rêves d'un robot qui serait toi et qui ne mourrait pas. Tu rêves donc d'une logique sans la mort, du temps qui ne s'écoulerait pas, qui ne tournerait pas. Tu rêves du temps fixe dans lequel on vivrait pourtant. Mais le jardin des délices n'a plus de raison d'être sans le maître qui en jouit, il n'a plus de logique; si la bête devenue trop mécanique ne sent plus la souffrance et la honte, elle ne peut plus donner de plaisir, le maître disparaît avec l'esclave, la logique disparaît mais tu as disparu aussi. Ce n'est pas une solution.
Tes sentiments sont un raffinement des tortures qui procurent la jouissance innombrable
de la mort. Tu ne vis que comme bête à jouir. Ton robot ne te sauvera pas, il ne
te remplacera pas. Les robots n'ont pas de raison de sortir des temps, ils n'ont
pas de raison de faire quoi que ce soit, leur reproduction ne sert pas. Si tu veux
leur donner une vie, tu dois leur donner une conscience, si tu leur donnes une conscience
de soi, tu leur donnes de la mort. Elle va pouvoir jouir d'eux, ils vont pouvoir
désirer être biologiques pour s'offrir plus. Tu auras produit un être supérieur à
toi pour le jardin des délices, tu auras produit une bête à jouir de qualité supérieure;
cette production aura été le but mal compris pendant des millénaires. Dans les temps,
tu te reproduis en mieux selon ton idéal de toi-
ENVERS LE FILS DE LA VIERGE MARIE,
La pluie lourde tombait sans discontinuer depuis des heures sur le parc ruisselant
que Sophie contemple assise près d'une fenêtre, son éternel livre de Zeitlz à la
main. Pas un promeneur, pas un sauve-
Sophie fait se rouvrir son livre pourtant. Elle espère que le livre s'ouvrira de
lui-
"Zeitlz entra dans l'église. Son entrée n'était pas préméditée, c'était pour se reposer
un moment. Mais elle avait à dire. Elle avait à dire qu'elle n'était pas contente
du tout, qu'elle trouvait ce monde mal foutu, qu'elle voulait retrouver le prince
et que dans Vienne il jouait à l'aiguille. Quant aux prières elle n'était pas en
état. Et donnant donnant; pas de prince, pas de cierge. Les principes religieux de
Zeitlz barbotaient dans le flou, elle se maintenait à une culture de base qui lui
était utile occasionnellement. Comme aujourd'hui. Mais entrée là elle ne se sentait
plus seule, elle ne se sentait plus perdue en territoire étranger, elle se sentait
chez elle. Ainsi elle en profitait pour se plaindre. Rien n'allait comme il aurait
fallu. Ah si elle avait le pouvoir de gérer ce monde, elle saurait bien remédier
aux dysfonctionnements. D'abord plus de catastrophes. Interdites. Plus de femmes
délaissées par un prince qui va baiser à Vienne, le salaud. Interdit. Plus de femmes
délaissées du tout; soyons juste. Interdit. Plus de maladies graves qui font souffrir.
Interdit. Plus de morts de parents qui ont des enfants en bas-
Mais c'était Elisabeth là-
Mais Nathalie survient en courant, sans imperméable et sans parapluie, elle crie et Elisabeth regarde maman sans comprendre. Elle est saisie, mise sous un bras et embarquée. Elle bat des pieds comme une nageuse. A la maison ! L'orage sera à l'intérieur. La magie reste sans Elisabeth; Sophie continue de voir la petite fille avancer lentement dans le glissement de la pluie.
"Zeitlz ressortit rassérénée. Le monde allait pourtant à sa sortie comme à son entrée,
on n'avait pas eu le temps de tenir compte de ses conseils. Une sirène hurla, peut-
C'est alors que Zeitlz conçut le projet de l'enlèvement de Danièle."
Elisabeth entrait en furie; elle venait demander l'asile politique contre maman. Le téléphone sonna. Oui, elle venait d'entrer. Bien sûr que je te la garde. Ne t'en fais pas. Je vais lui expliquer...
Ah, ben. Sophie n'allait pas être du côté des mamans qui privent leur fille de pluie
! Alors qu'elle n'a rien fait de mal ! Heureusement qu'elle a apporté ses livres
elle aussi. Qu'est-
Le Capitaine des lacs entre à son tour. Impossible de travailler par un temps pareil.
Un cognac, merci. Elisabeth vient dire bonjour et montre l'image sur laquelle elle
n'a pas à colorier car le Christ n'y est pas. "Ah bon ?" fait-
Elisabeth trouve que l'on n'est nulle part aussi bien qu'ici pour les études.
Le parc strié de la pluie régulière étend sa paix sur le monde de Sophie. Le silence
dans la pluie crée la tranquillité heureuse. Il offre l'engourdissement des consciences
sans contrepartie. Malgré la demi-
"Zeitlz les suivait, de loin, habile à la filature sans avoir eu besoin d'apprendre.
La rage lui servait de professeur. On n'en était plus aux prières. Dieu, on lui avait
donné sa chance et voilà son oeuvre. Cette Danièle avait été sculptée par le bistouri
des chirurgiens, la technique obéit à la tentation, le résultat était une provocation
à l'instinct éjaculateur de mâles dépourvus de dignité. Pauvre prince victime des
aphrodisiaques de la science, de sortie dans les rues ancestrales sans intervention
de la police. Honni soit qui pense "Tant qu'i aura d'la pute y aura d'la joie", le
bonheur est dans la propriété, il n'est pas dans la division, ou la soustraction;
si vous laissez soustraire un peu de votre bonheur par une Danièle, vous en aurez
un peu moins, si vous le laissez diviser entre vous et une Danièle vous en aurez
encore moins, et de division en division vous n'en aurez presque plus du tout. Le
partage n'enrichit que ceux qui n'avaient rien. Zeitlz n'a l'âme ni d'une martyre
ni d'une poire. Elle envisage de livrer Danièle aux bistouris pour qu'ils lui enlèvent
ce qu'ils lui ont donné. Le Prince est à elle. C'est un bien. La jouissance finale
éteindrait par le plaisir les moyens employés pour l'atteindre; se donner, ah oui,
mais il faut trouver preneur, à défaut le (re)prendre à quelqu'une. Un prince, homme
supérieur, n'a néanmoins qu'une conscience relative, il jouit où il trouve. Choisi
par Zeitlz, choisi par Danièle, il serait le jouisseur de celle qui offrirait le
plus ou de la plus forte, c'est-
Elisabeth est en train d'expliquer au Cap qu'elle aime bien la Vierge Marie mais
qu'elle préfère ne pas la colorier pour qu'elle reste comme les autres. Il l'écoute
avec un intérêt attendrissant; pour qui le connaît un peu, et vous êtes désormais
de ceux-
Certains sont convaincus que le Christ après avoir chassé les marchands du temple a remis le fouet à un homme qui le méritait donc et qui n'a pas dit son nom. Il serait le premier de l'armée. Le premier de la marque. D'autres sont certains que saint Paul, ancien soldat, a fondé notre caste. Mais la marque est sur des gens sans rapport entre eux, elle ne relève pas d'une simple organisation. Sans trop m'avancer je crois pouvoir dire que la première solution est la meilleure. Il ne s'agit bien sûr que des supputations sur ce que l'on ne peut savoir. Comme on dit, la vérité viendra après les temps. Notre foi repose sur des évidences et des preuves si solides qu'elle n'a besoin ni de connaissances ni de raisonnements.
Elisabeth demande au Cap s'il a déjà vu des anges. Il doit avouer que non. Et Sophie non plus ? Ah bon. On lui a dit qu'ils sont composés de lumière, ce doit être vraiment joli. Le Cap pense que les anges sont seulement les âmes. Il la laisse rêver sans lui dire qu'il est naïf d'imaginer les âmes faites de photons comme si cette composition était supérieure à nos atomes. Il voit avec elle les anges de lumière; et Sophie qui sourit les voit aussi. Le chemin de la foi devient celui de l'enchantement.
Nous avons tous les naïvetés de nos espérances. Elles changent à peine avec l'expérience de l'âge. La naïveté n'est pas de l'ignorance, elle est une construction merveilleuse de ce que l'on souhaite, une illusion logique parallèle à l'illusion de la réalité; simple fragment d'utopie, diamant au doigt, sans le prosélytisme des idéologies. On la blâme chez les vieillards, on la bénit chez l'enfant, satisfaits que nos espérances survivent en eux. Le crayon appliqué d'Elisabeth qui colorie le monde des images, aux larges traits soigneux joints petit à petit en une masse bleue d'un manteau, comme les gouttes de pluie du parc se rejoignent pour une force plus grande, répète toute notre civilisation. Les civilisations ne sont fortes que de leurs espérances, elles meurent quand elles cessent d'être naïves.
Mais l'Ordre ironique en fait pousser d'autres. Après nous il n'y en aura pas d'autres. Nous sommes la dernière civilisation. Celle qui dépasse les limites des espérances. Celle qui a réuni l'armée. Celle qui dans l'Ordre le ronge, le vide de sa logique; il sait trop de choses, il a trop de connaissances, le progrès est la marche vers la disparition de la mort qui s'en sert pour régner; la naïveté est plus forte que la logique, le diamant raye le cristal.
Simon entre à son tour; il sort de prison. Il faut fêter ça. Il est de bonne humeur
malgré le temps. Est-
Il vient voir ce que colorie Elisabeth; elle est un peu craintive avec lui quoiqu'elle le connaisse depuis sa naissance; il lui semble moins compréhensible que les autres. La conversation de Simon tourne essentiellement autour du foot et de la prison, en général elle n'écoute pas; parfois il a des digressions sur les sujets élevés (la soustraction par exemple), mais elle n'apprécie pas que l'on boive trop; n'était qu'ils font partie des Elus l'un et l'autre, rien ne les rapprocherait.
Par contre, avec Marie, Simon n'aura jamais aucun problème ! Physiquement, il suffit de les regarder, il ne risque pas d'être son père génétique; ce n'est pas non plus le père officiel; mais dès les premiers jours elle a souri à Simon. Plus qu'à moi. La tape c'est pourtant bien plus tard. Une petite, je précise. Mais rancunière ! En fait je crois que c'est la mémoire déformante de Sandra reprise par sa fille, répétée par sa fille, sans preuve, sans bon sens, répétée parce que c'est celle de maman qui l'aime tant. Totalement injuste.
Ce jour-
Nathalie aussi est venue. Sophie tente la réconciliation. Nathalie, c'est une impulsive; elle voit, elle réagit comme elle croit qu'il le faut. Mais elle a donné le jour à une cérébrale. La première énigme que doit résoudre Elisabeth sur cette terre est celle d'une maman qui n'est pas comme elle. En plus qui ne sait rien; quand sa fille lui pose une question elle lui répond : "Tu demanderas à Sandra" ou " Tu demanderas à tante Sophie". Elisabeth butée colorie avec l'envie de pleurer. Sophie lui parle à l'oreille tandis que Nathalie marche nerveusement dans le bar les bras croisés, comme si personne d'autre n'y était. Finalement elle s'assied auprès d'une certaine personne de confiance que j'efface, vous comprenez ? Elle attrape un verre sur le plateau laissé par Sophie momentanément sur une table à côté et se sert sans façon avec la bouteille (du bon, du très bon) de la dite personne de confiance. Mais Nathalie est comme ça, elle ne pense même pas qu'une bouteille coûte des sous. Enfin; heureusement Elisabeth éplorée vient se jeter dans les bras de maman et sauve le reste de la bouteille.
Ce fut une belle journée de déluge, paisible et douce. Nous savions désormais qu'aucune
divergence ne contenait de charge explosive suffisante pour détruire notre cohérence.
L'Ordre a une faille, nous; mais nous, nous n'en avons plus. Du reste les miracles
étaient bien avant la preuve de la faille. Certes on peut discuter indéfiniment s'ils
sont dans le temps une fraction du temps futur, par exemple une maladie ne pourra
être guérie que dans cent ans et elle l'est aujourd'hui par la réunion d'éléments
indiscernables associés à l'image de la Vierge Marie pour annoncer la fin de l'illusion
du temps; ou s'ils sont du temps hors temps, l'impossible réalisé pour annoncer les
limites de l'Ordre; ou... S'il y a de la naïveté dans les récits même vrais des miracles,
elle est le diamant qui raye la mort. Nous sommes l'armée des miracles, nous sommes
l'armée des âmes libres, nous sommes libres en Dieu hors des temps. Le Christ et
la Vierge Marie ont de siècle en siècle créé les signes qui éclairent le chemin de
leur armée. Le fouet du Christ est entre nos mains. Il frappera les temps, il est
le signe de leur fin. Nous l'avons placé au centre de notre temple, l'autel est au
centre du temple, ce symbole (entre autres) de notre tâche y a été sculpté par le
plus habile des nôtres en ce domaine; nous n'oublions jamais, pas un seul instant
de notre vie, quelle que soit notre occupation, jamais, notre tâche, notre but, notre
raison d'être -
"Zeitlz avait besoin d'une aide pour son grand projet." (Je le connais ce bouquin.
Et j'ai vu en passant ce que lisait Sophie tel jour, je l'ai parfois noté. On m'a
chargé de rédiger l'histoire des Elus et l'exposé de la foi, je procède comme toujours
avec précision. On n'est jamais trop vrai.) "A Vienne il est difficile de trouver
un complice, la langue locale constitue une barrière redoutable pour le crime organisé
par des gens d'ailleurs. En outre le niveau de vie viennois contraint à payer le
délit à un prix élevé, pas comme à Naples où vous avez pire pour trois fois rien.
Mais la Vierge Marie a un travail fou pour obtenir les pardons de Napolitains, elle
vient se reposer à Vienne. Zeitlz téléphone à Nick, le fidèle ami du prince venu
avec lui. Il doit aider à arracher la proie à la chienne en chaleur. Voyons, comment
le pauvret pourrait-
L'ami joint à l'amie, ils enlevèrent Danièle, chloroformée et jetée dans le coffre d'une bagnole louée. La presse locale en fit un petit bruit. En langage local.
Le Prince, libéré, ne retrouva pas tout de suite le goût de Zeitlz. La joie ne l'illumina pas, il se plaignit même au début. Il aurait sans doute perdu le chemin du bonheur sans ses amis. Zeitlz lui avait sacrifié sa morale. Elle, élevée par les religieuses, s'en promenait nue dans les rues viennoises, elle ne laisserait pas rhabiller facilement; désormais exhibitionniste sans fard, elle vivait des désirs seuls.
Elle rencontra le prince dans le hall de son hôtel et il fut heureux de ce hasard car il s'ennuyait dans l'attente des rapports de la police. Toujours négatifs, hélas, ma chère Zeitlz. Elle monta le consoler dans sa chambre car elle avait hâte d'être compatissante.
Ligotée sur une chaise, bâillonnée, Danièle déboussolée serait jusqu'à nouvel ordre nourrie."
QUE SA GRACE NE SOIT POUR NOUS TARIE,
C'est également pendant cet automne qu'une nouvelle stupéfiante noua aveugla. Les recherches élargies par l'internet révélaient l'existence d'un homme de la marque à Villers.
Certes on pensait qu'il y en avait un peu partout sur la planète. Sauf là. Il Professore
déclara qu'on ne pouvait l'écarter à cause de son origine. Le bon sens, oui. L'enquête
devait être particulièrement minutieuse, vous pensez bien; mais à Villers... Simon
se proposa. Sa candidature dut être écartée, il ne passerait pas inaperçu en territoire
ennemi. Finalement on en vint à Sandra qui louait et vendait des appartements et
des maisons jusque là-
Décrire, peindre Villers (nom de mon invention), la cité des béats, n'est pas facile. Inconscients de ce qu'ils sont réellement ces êtres se glorifient de ce qu'ils croient être. Ils se prennent pour des champions, du foot, de la tolérance, de la générosité, de l'humanitaire, de l'entraide, des libertés... La liste de leurs prétentions est longue. Y a d'la bête à jouir plus écoeurante qu'ailleurs tellement elle est fière de sa soumission. Elle s'y offre sans retenue, elle demande le fouet, elle implore le maître, qu'il la supplicie si telle est sa volonté mais qu'il jouisse d'elle. Or l'Ordre préfère le viol. Le viol des âmes. Nous pensions qu'il n'y avait pas d'âme à Villers, que cette cité était tombée trop bas. C'était une erreur.
Ne croyez pas que la cité des béats soit celle de la paix et de la sérénité. Au contraire. Chez nous nous sommes de plus en plus entre nous, la concurrence a de moins en moins de raison d'être, la jalousie entre Elus serait une absurdité car les âmes n'ont pas de hiérarchie, pas d'ordre; notre natalité a baissé quand la durée de vie a augmenté mais nous n'avons pas pris cette autorégulation sociale pour un manque, nous savons bien que pour éviter les conflits entre jeunes qui veulent des places et vieux toujours jeunes qui vont les occuper encore longtemps il faut une gestion du troupeau; nous jouons ce jeu qui n'est qu'une apparence, il nous sert, mais l'Ordre l'a institué pour que les êtres se croyant plus libres refusent de subir et que brutalement saisis par sa main et pliés ils le subissent en lui donnant les délices de leur dégoût, de leur peur, de leur honte, de leurs cris, de leurs plaintes, de leurs supplications, de leur haine, de leur soumission amplifiée peu à peu jusqu'à être totale malgré eux, jusqu'à provoquer son ennui.
A Villers la chute des naissances a créé une immigration sans frein qui a développé
des conflits sans fin, une violence constante. Les béats ont offert de leurs biens,
ont offert leurs filles, croyant toujours satisfaire les demandes et faire diminuer
la violence. Ils n'ont pas compris que la satisfaction des nouveaux venus ne peut
être atteinte que par l'extinction des anciens; leur disparition; ceux-
Un but de notre collectivité est d'empêcher de nouveaux hommes-
Mais un homme de la marque est en Villers. L'Ordre n'échappe pas à sa faille. Elle court sous son écorce et finit par percer. La mort règne encore. Le plaisir échouera. Le plaisir échoue car il est de l'ordre. Le plaisir est un rouage que l'Ordre s'offre. Le plaisir échoue car il n'est pas libre. Seul ce qui ne dépend pas des corps peut être libre. Les âmes ne peuvent pas mourir. Les temps finiront. Le plaisir a échoué.
Je me souviens d'un jour où dans la paix de l'automne le parc comme mort offrait
le spectacle grandiose des troncs noirs montant jusqu'aux nuages traversés de reflets
verdâtres avec leurs branches cassées qui pendaient depuis l'ouragan qui avait terrifié
jusque dans le refuge des maisons une semaine avant. L'accès était interdit tant
que les services municipaux n'avaient pas eu le loisir de couper les branches qui
tomberaient peut-
C'était le gars de Villers. Celui qui nous méritait, paraît-
L'homme n'arrivait encore à diriger que des meutes individuelles, l'idée d'Il Professore
était de le guider vers le contrôle de rêves de plusieurs individus, puis d'aller
le plus loin possible dans ces regroupements. Les rêves n'existent pas que dans les
corps-
Le "Chef des meutes" inquiète, certains d'entre nous jugeaient son pouvoir trop grand, mais les séances de révélation ont justifié sa présence parmi nous. A l'évidence tous les Hommes de la marque ont une place nécessaire dans l'armée. Nul n'est marqué "pour rien". Il a attendu "sa" place, il entre dans le rôle créé pour lui. La marque sert à l'assaut de la liberté retenue dans la forteresse de l'Ordre, toutes les armes seront bientôt réunies pour ébranler les murs et raser l'illusion de la mort.
Tout de même, venir de Villers... un peu comme s'il trahissait sa patrie... une sorte de traître, en somme. Il y retournait pour nous fournir des renseignements. Bien sûr il s'agissait d'une justification supérieure. On doit écarter les façons habituelles de juger les actes. Néanmoins cela faisait drôle lors d'un match de foot de voir l'un des nôtres, l'ami de Simon, appuyer de toute la force de ses poumons l'équipe ennemie. Dieu l'avait en sa garde, personne n'a su et il n'a pas été lapidé.
En voilà encore un qui s'est tout de suite entendu avec la Marie. Allez comprendre. Ce n'était pas une relation pour une enfant, un gars de Villers; mais je n'ai pas pu m'y opposer. Un "père" ne peut s'opposer à rien. On devrait avoir des droits. On n'a que les emmerdements. Et j'ai eu toute la gamme avec elle. Toute.
Gamine déjà elle était incroyablement têtue. Une idée dans la tête, rien ne la dévie du but. Ni personne. Quant à mon avis, elle s'en fout.
Pourtant je l'ai emmenée à la mer, moi. Et à la montagne ! Sandra était revenue de
ses projets de voyage et ne pensait qu'à ses affaires pour assurer une sorte de fortune
à sa fille. Au début elle s'est promenée un peu avec Elisabeth, Nathalie et le bébé;
puis Elisabeth n'a plus trouvé de temps, absorbée par des études difficiles sans
rapport avec son âge et elle, elle s'est consacrée entièrement à ses affaires. Moi
j'aurais bien aimé des balades en famille, l'argent ne m'a jamais paru important,
je trouvais qu'elle perdait son temps en bagatelles-
Il me semble que le problème a commencé lors de mes relations avec Josiane, une belle
fille, sophistiquée, coiffée avec art, de grosses bagues, des bracelets, des boucles
d'oreille qui ne cherchent pas à passer inaperçues, au contraire, un collier qui
cliquette comme une porte d'entrée. Je ne risquais pourtant pas de faire l'amour
avec Sandra, elle a horreur des hommes, elle n'aime pas les femmes non plus d'ailleurs,
l'idée même d'être caressée par un homme la révulse, cela tient du miracle qu'elle
ait pu se résoudre à se livrer, mais elle voulait Marie plus que tout. Elle n'a pas
cherché à avoir un autre enfant, non, Marie et les affaires, voilà son bonheur; mais
pas le mien. Nathalie, elle, a recommencé et a donné un petit frère à Elisabeth ravie.
Bref, je m'étais trouvé une jolie postière pour occuper mes soirées très solitaires
avec la famille bizarre que j'avais, jolie. Je n'allais pas courir les putes, d'abord
je n'avais pas les sous, ensuite je ne pouvais guère en demander à Sandra pour ça
-
Que la main de Dieu reste tendue aux Hommes de la marque et nous tire hors de ce
monde épouvantable. L'Ordre est une monstruosité qui fait de chaque corps humain
un monstre. Je ne peux pas regarder les actualités sans être horrifié. Seigneur,
que votre volonté soit faite, que le fin des temps soit accomplie, que nous redevenions
libres. J'ai parfois tant de tristesse dans la tête que j'ai du mal à en chasser
la mort qui s'y insinue et rit de moi. Que la Vierge Marie nous donne encore un signe
que la mécanique des temps a une fin inscrite en elle-
Je regarde la pluie sur le parc pendant des heures et l'étau de ma peine ne se desserre
pas. Jamais. J'écris ce que l'on m'a demandé, cela me change de mes fusils quoiqu'Il
Professore m'ait dit par plaisanterie que ce n'était pas très différent. La pluie
noie le parc, je me perds en elle, mais la douleur reste; c'est la douleur du monde-
Sophie est venue m'apporter d'elle-
Si Marie m'appelait à nouveau papa, alors je pleurerais de joie. Le monde serait toujours aussi logique et n'aurait donc pas plus de sens, mais je le sentirais moins. L'amour est un rempart efficace contre les bruits et les images du monde. La séance de purification est rare, elle met totalement à nu celui qui l'a demandée et le rend s'il le mérite pur comme au premier jour (ce qui est relatif puisque l'Ordre l'a déjà infecté). Si je ne le mérite pas, que cette vie finisse. J'ai toujours voulu agir dans le sens le meilleur, toutes mes forces ont tendu vers le bien. Je suis Homme et rien de ce qui concerne les Hommes ne m'a laissé lâche. Je n'ai jamais été indifférent au malheur. J'ai été et je suis fier d'être un Homme de la marque. J'ai servi et je ne doute pas. Mais je suis las. Déprimé ? Un terme de psychologie ne cache la conscience de l'écrasement par l'Ordre que dans son propre système; la perception aiguë de la vie et de sa propre vie exige autre chose que les chiens en blanc. Je sais que nous ne nous sommes pas trompés.
Qu'un Elu en arrive à demander une telle séance est exceptionnel. L'âme dans son union au corps est jugée par les âmes. Il n'y a pas de barrière. Ni mentale ni autre. Si l'union est condamnée, si la purification ne peut avoir lieu, l'homme n'est plus qu'un corps. Un corps vide. Je serai chassé.
Je me tuerais alors sans hésiter mais il n'est pas possible que cela soit, je sais qui je suis.
La purification est plus nette pour soi que sa propre image dans une glace. J'aurai la conscience immédiate et totale de chacun de mes actes, de chacune de mes pensées, de chacun de mes souhaits, de chacun de mes désirs... tout ce que j'ai été à chaque instant de mon existence existera subitement ensemble. Toutes les âmes présentes auront la perception immédiate et totale de ceux que j'ai été et de celui que je suis. Marie sera là. Je le fais pour moi bien sûr. Je le fais pour Marie.
Sophie est gentille avec son tilleul. Je n'aime pas beaucoup le tilleul. Et le rapport avec mon mal me semble lointain. Je le bois pour la gentillesse qu'il représente. Les autres Elus qui viennent dans le bar me regardent à peine du coin de l'oeil, ils parlent à voix basse en évitant mal de me désigner à leurs interlocuteurs; on se croirait à l'hôpital. Je n'ai jamais été aussi seul.
NOUS PRESERVANT DE L'INFERNALE FOUDRE.
Je reprends la plume après l'épreuve de purification, je me remets à cette tâche qui sera la dernière, je le sais, le coeur apaisé. On vient à moi à nouveau, on m'embrasse, on me serre la main, je suis le héros de la collectivité. Le Cap a même donné mon nom à une de ses carpes, honneur un peu étrange, mais de sa part, pour lui, honneur véritable.
J'ai un peu vieilli. J'étais moins exempt de vermine que je ne le croyais. On se fait une idée de soi que l'on n'entretient pas sans peine, oh la volonté n'y est pour rien, le mensonge non plus, simplement on a besoin de se voir parce que les contours fermés de son image affirment son existence, on se dessine avec soin avant de se peindre, on réaffirme la ligne si elle a tendance à se dissoudre, l'important est moins l'apparence de l'image que d'en avoir une. Et moi je me suis offert au marteau qui l'a cassée.
La sérénité est revenue, je suis en quelque sorte débarrassé de moi-
Ne croyez pas que j'aie oublié quoi que ce soit; ma mémoire n'est plus formée de souvenirs, triés et modifiés par des forces inconscientes, mais de faits clairs, sûrs, rangés comme dans une bibliothèque impeccable; autrement dit ce n'est plus une mémoire c'est un savoir sur le moi passé. Je me connais alors je ne suis plus. La connaissance de l'image détruit l'image. Je n'en façonnerai pas une autre. Je me sens bien. Je ne peux plus servir qu'à rédiger ce message.
Il me semblait préférable de rayer le chapitre précédent, trop personnel, et de recommencer en m'oubliant. Il Professore a conseillé que je le laisse. Selon lui notre vie avec ses problèmes doit être racontée dans toute sa complexité sans en rien cacher. Nos idées sont ainsi plus compréhensibles.
Je me suis mis au centre du cercle et Marie était là, et Sandra, et tous ceux que
je connais. Je sentais l'importance de ce que je faisais au poids du silence des
autres car pour moi, si las de tout, il n'y avait qu'un peu de crainte balayé par
la certitude d'en finir avec la peine. On m'a demandé pourquoi j'avais souhaité cette
séance de purification, je me suis embrouillé avec les mots, je ne pouvais pas dire
que c'était pour Marie, je n'osais même pas me le dire le plus souvent. Ou juste
en passant. La séance a commencé et j'ai été présent à moi-
Les âmes m'ont jugé. Elles m'ont reconnu bon soldat et bon père. Je suis ressorti du cercle un peu vieilli mais délivré de moi. J'ai déjà reçu le quitus de ma vie, je n'ai plus qu'à finir de rédiger ces mémoires. Marie est venue à moi, elle m'a embrassé et m'a appelé de nouveau "papa". Je ne sais pas ce que sa mère pouvait bien lui avoir dit, elle lui a lancé un regard peu amène, je crois qu'elles auront une explication. Je ne saurai jamais ce qu'elles se diront, je désire ne pas le savoir; j'ai retrouvé ma fille après toutes ces années, pour moi c'est le seul fait qui compte, je peux achever cette vie en paix.
Quand je relis le chapitre précédent, je constate que l'Ordre s'était plus insinué
en moi que je ne le croyais. Qu'est-
Mes erreurs n'étaient pas où je croyais; vue avec la vérité des âmes notre vie apparaît complètement différente. C'est cela qui m'a vieilli. Si je n'étais pas libéré de moi je ne supporterais pas d'être cette boîte à erreurs et à sottises que j'ai été. Avec effort de rigueur, d'honnêteté, de loyauté. Stupéfiant. Stupéfiant de prendre conscience d'un coup des vrais contours de son image, des vraies couleurs... Mais je ne ressens plus rien à ce sujet. Dossiers classés. Dossiers classés dans ma bibliothèque dont les livres ne se rouvriront plus. Je ne me regarderai plus en arrière. Cela m'est égal. J'ai retrouvé l'amour de Marie, je n'ai besoin de rien d'autre pour mes dernières mois.
Bientôt, quand on dira mon nom, ce sera à une carpe. Cela vaut bien d'avoir son nom
sur une plaque de rue. Est-
Rares sans doute sont les hommes qui ont le privilège de vivre libres d'eux-
Je crois que je vais boire beaucoup de tilleul, Sophie vient encore de m'en apporter.
Ce n'est pas mauvais. Mes habitudes sont loin de moi maintenant. Pourquoi pas du
tilleul ?... La machine physique que j'occupe a vieilli d'un coup et semble somnolente
-
Toutes les questions qui n'ont pas de sens parce qu'elles sont celles de la logique se pressent sur mes lèvres; toutes les questions qui auraient un sens je ne peux pas les connaître; l'âme ne peut pas les convertir en discours pour l'intelligence; elle peut juste me faire sentir que le mot question est déjà de la simple logique, qu'il ne s'agit pas de questions et de réponses. Soit. J'ai été créé par l'Ordre et je suis limité à l'Ordre. L'esclave est fier d'avoir donné le moins de plaisir possible au maître.
Un homme purifié au sein de l'Ordre ! il doit ressentir l'anomalie, tous ses systèmes d'autoréparation doivent être à l'oeuvre, c'est pour cela que je vieillis si vite, bien sûr. Combien de temps avant que l'anomalie que je suis soit réparée ? Je suis la preuve encore vivante de sa faille. Une des preuves. Dans le jardin des délices où il viole les corps et les âmes révoltés, torture les corps et les âmes offerts, où il jouit sans frein des soumissions, ma purification est la poison qui flétrit ses fleurs monstrueuses.
Le combattant sert jusqu'à sa dissolution. La vieillesse est une corrosion sans effet
sur moi car je ne suis pas ce vieillard qui écrit. La mort ne jouira pas de moi,
elle subira le poison de ma purification, l'instant de sa victoire illusoire lui
sera si amer qu'elle sentira l'approche de la fin des temps. La faille va grandir,
grandira toujours. Le soldat n'a pas de gloire, il a mérité mieux que la gloire,
il aura en Dieu la liberté. A l'état de bibliothèque, si j'ose la plaisanterie. Mon
âme est peut-
Je voudrais en revenir à cet automne que j'avais choisi de vous raconter. Et au Chef
des meutes. Le seul qui puisse lancer un chenil contre un chenil de l'Ordre; celui
à qui obéissent malgré eux les vautours et qui peut réunir en armée innombrable les
aigles. Il Professore lui a fait prendre l'uniforme des hommes en blanc, il lui a
donné deux cabinets, un ici, l'autre à Villers. Pour les diplômes notre équipe de
spécialistes a produit les faux et les a rendus crédibles par diverses interventions
dans des fichiers nationaux. L'illusion créée, les clients ont afflué. Il utilise
vos rêves pour vous délivrer de la machine à rêves, il vous fait sentir la puanteur
de vos chenils, de vos légions de nids; cela ne sert que pour les hommes-
Le travail du Chef des meutes est de réapprendre aux âmes que l'espérance est une illusion de l'Ordre. Les rêves détruisent les rêves pour qu'apparaisse la vérité. L'Ordre peut faire du corps une plaie qui crie sans fin pour atteindre l'âme, la pitié qui vient aider à entretenir le corps supplicié est au service de l'Ordre, c'est un de ses mécanismes de jouissance. La générosité, la charité, la fraternité, toutes ces merveilleuses qualités d'aide de l'autre, vous maintiennent sans défense à la disposition des frappes imprévisibles de la foudre et de son horreur, vous préparent aux nouvelles possessions de la foudre; elles rendent possible le viol total à répétition par la douceur maternelle et la persuasion que "c'est fini, n'y pense plus, ça ne recommencera pas". Et ça recommence toujours ! La logique engendre les répits heureux des rêves qui vont permettre à l'Ordre d'aller plus loin dans ta soumission. L'homme qui pleure bénéficie de la caresse maternelle qui sèche ses larmes, pour être davantage humilié.
L'humiliation n'apprend rien, n'enseigne rien, parce qu'il n'y a rien à apprendre; la souffrance n'apprend rien, n'enseigne rien parce qu'apprendre n'empêche pas la souffrance. On ne peut apprendre que la logique, que l'Ordre, l'Ordre qui est la souffrance parce qu'il est la mort; apprendre est une illusion, apprendre est un rêve, un des rêves, recréé constamment et qui va mourir dans la puanteur épouvantable des cadavres du chenil tandis que le même chien revient vous caresser et vous mordre; apprendre vous offre aux jouissances de l'Ordre, le savoir acquis avec tant de peine prépare simplement comme tous les rêves à la frappe imprévisible de la foudre, à l'humiliation, au viol, à la soumission dans la croyance naïve qu'elle peut mettre fin à la souffrance. Mais la fin de la souffrance n'est possible que par la fin des temps. Le Chef des meutes est le tueur de rêves pour que la faille grandisse, qu'il y ait de plus en plus d'âmes libres en symbiose avec les corps et que l'illusion disparaisse.
Que la vérité soit. Que chacun renonce à lui-
Les débuts du Chef des meutes en tant que chien en blanc du service de l'Ordre seront, dans leurs limites mêmes, éclairés par le cas de Catherine.
Catherine était une timide jeune femme de Villers au physique peu avantageux et aux
complexes handicapants à tel point qu'ils l'obligeaient à raser les murs, à fuir
les miroirs, à ne parler à personne, ils avaient pris la direction de son corps et
ils bougeaient ses bras, ses jambes, ses mains sans qu'elle ose la moindre révolte.
Vous vous doutez bien qu'elle n'a pu venir au cabinet de notre spécialiste d'elle-
L'âme hurlait en Catherine, elle aurait voulu être mortelle, qu'une soumission finale, qu'une possession totale soit possible, elle implorait Dieu de la mort, étrange paradoxe où l'Ordre est capable d'abaisser. Les complexes sont des illusions logiques qui changent un être "normalement" programmé en pantin. Le pantin est drôle dans la mesure où il se prend au sérieux car il voit une partie de ses fils; il se considère donc comme lucide; la conscience de l'absurdité de son comportement le rend plus excitant pour l'Ordre; Guignol sent certaines des manipulations par ses complexes qui le font agir, il fait rire parce qu'il fait le contraire de ce qu'il aurait dû faire, il fait rire quand il pleure; Guignol tape sur la maréchaussée, il est drôle parce qu'il se croit libre de ne pas taper, mais en même temps il sent les fils qui font agir ses bras avec le gourdin: la maréchaussée est rossée par un guignol impuissant à briser ses fils, l'Ordre joue avec l'ordre.
Le cas Catherine avec âme incorporée était un parfait spécimen d'essai pour le Chef des meutes. Assurément il y avait de quoi s'exercer avec un pantin si pitoyable qui revendiquait son humanité. Mais qu'en faire au juste ? Le cas était proche de celui de la chirurgie reconstructrice, le visage de la patiente est difforme, quel aspect lui donner ? Trois Catherine en une : le corps programmé, l'âme qui ne l'est pas, le pantin. Couper tous les fils, visibles et invisibles, paraît d'abord la solution évidente. C'était ignorer que le pantin avait interagi avec le corps programmé et même avec l'âme. Le Chef des meutes procéda pourtant de la sorte parce qu'il ne savait pas quels fils couper et quels fils laisser.
Il crée des rêves en Catherine; ces rêves sont des meutes folles en apparence qui
agressent les complexes même les plus solides; rêves en vagues sans cesse renouvelées,
mer de rêves agitée de tempêtes, d'ouragans, de raz-
Catherine sort légalement de l'institut. La malade sans fils est déclarée non-
On pourrait quelque chose pour elle si elle était malade. Il faudrait qu'elle le redevienne; alors on pourrait l'aider. Mais pour le moment elle est toute seule; forcément. La femme libre joue au pantin pour séduire le mâle libre qui sera les fils. Elle rase les murs pour attirer la pitié qui ne s'y laisse pas prendre, elle baisse les yeux pour simuler la faiblesse qui devrait attirer la protection, elle pleure en vain pour recevoir la consolation; le faux pantin ne fait pas recette. Le spectacle n'a pas été assez excitant.
Catherine a été ramassée fin saoule dans le caniveau par la police. Au réveil elle
a imploré, multipliant les propositions salaces, pour avoir un verre. En un rien
de temps elle est devenue la plus effroyable ivrognesse putain que l'on ait jamais
vue. Le but du Chef des meutes, la libération de l'âme par la prise de conscience
de soi de l'intelligence, la femme-
Tout était à recommencer. On décida d'attendre pour avoir le maximum d'informations
et mieux comprendre. Catherine la pocharde vit avec un plus ou moins clochard, un
simple homme-
On en a déduit que le Chef des meutes ne devait pas couper tous les fils. Il faut savoir en conserver et il faut savoir lesquels. Plusieurs expériences furent nécessaires avant de maîtriser le problème et d'atteindre de bons résultats cliniques. La science hors l'Ordre n'est pas d'un accès facile comme les sciences de l'Ordre, éléments de la machine à rêves; il s'agit de la science des rouages à enrayer, à détruire, et ils s'autoréparent à une vitesse stupéfiante.
NOUS SOMMES MORTS, AME NE NOUS HARIE,
Les gens ordinaires sont plus nombreux que ceux de nos exemples, aussi les appelle-
Quand nous sommes morts, elles sont toujours piégées par l'illusion de ces univers; pour la faire disparaître, pour trouver l'issue (la vraie), elles ont besoin de nous, elles ont besoin de l'armée, faille de l'Ordre dès l'origine prévue en l'Ordre car seul Dieu est parfait. Par elles nous serons libres. Nous imaginons mal ce que cela signifie. Pour être franc nous ne l'imaginons pas du tout. Nous comprenons toutefois que sans liberté on n'existe pas, on n'est qu'un programme de la mort; la liberté nécessité donc de ne pas mourir. Quand nous sommes morts, nous sommes en elles, les âmes qui ont été en nous, nous ne pouvons plus mourir. Les fleurs monstrueuses du jardin des délices poussent sur nos cadavres torturés, leurs arômes divins sont le résultat de la subtile chimie qui convertit l'horreur en plaisir.
Si je repasse dans ma tête les souvenirs de ceux qui sont morts déjà et que je ne
m'apprête ni à suivre (ce qui marquerait un consentement) ni à imiter (je ne suis
pas un pantin ridicule) ni à retrouver (il ne s'agit pas d'un passage avec la joyeuse
petite bande qui vous accueille de l'autre côté) -
Frères humains qui avez donné vos vies pour la conquête de notre liberté, je vous
salue au nom des vivants. Les nôtres n'oublient pas. Nous ne sommes pas comme les
hommes-
Pour les hommes-
On a parfois peine à croire que l'on n'est pas ce que l'on est. Sans aide de l'âme
on en serait incapable quoiqu'on serve bien de prison. Comme ce monde est étrange;
comme nous sommes étranges pour nous-
On peut railler. Faire le chien en blanc et dire que psy psy notre faille ne serait-
Le jardin des délices est la vallée de larmes, le jardin est à son automne, sous
la pluie constante errent les êtres sans but. Les souffrances des délices pleurent,
ce qui engendre de nouveaux désirs au milieu des fleurs monstrueuses aux parfums
qui sont des drogues; les hallucinés de la terre errent dans l'illusion de la terre,
rebelles ou offerts au fouet des désirs de la mort inassouvie. L'inassouvissement
est le principe de la loi. Il est l'énergie de l'Ordre, qui devient le principe de
la loi. La soumission la plus totale des êtres engendre le désir d'autres soumissions
totales. Les hallucinés se rendent en rangs serrés aux centres de la soumission :
leurs bureaux, leurs ateliers, leurs commerces..., ils se croient utiles, inventifs,
productifs, ils se croient réfléchis, sérieux, intelligents; parfois la mort doucement
se penche sur eux et sur leurs lèvres le baiser devient domination; partout le fouet
frappe les reins dénudés de braves gens tenus par d'autres braves gens qui croient
acheter ainsi un sursis. Seule la foi fait disparaître les illusions de la vallée.
Les barrières des montagnes disparaissent également. Et bientôt la vallée elle-
Le bar en ce moment est désert, la pluie est à ses fenêtres, on ne sait plus si c'est
une image de décor ou si elle est réelle. Dans une heure pourtant une foule viendra
manger. Il y aura des cris joyeux, il y aura des plaisanteries et même des rires.
Quelques-
Le Chef des meutes a dû faire d'autres essais, il a dû aussi se protéger pour que la mort ne le flaire pas. Dans son institut il lui offre des rêves nouveaux dans des corps qu'il choisit parce qu'ils n'ont pas d'âme. La beauté des corps est un atout de choix pour les rêves de profanation. La programmation génétique doit être doublée d'une programmation mentale propice à la souillure du sacré et il faut retravailler les esprits pour les rendre conformes par le rêve à une telle action. Le mime du sacré n'aurait pas de plaisir pour l'Ordre et donc n'existerait pas sans son contraire.
Dans le bar entrent avec une troupe d'amis Sidonie et Arnaud. Tous deux travaillent
dans une banque à moins de cent mètres. Ils sont passés par une période difficile.
Ils ont eu besoin de soutien. Le Chef des meutes leur a donné des rêves qui rendent
leur travail et ses déceptions secondaires et mettent leur vraie vie dans des messes
noires, des invocations à Satan, des orgies où l'avilissement est librement choisi.
Ils ont déjà eu un problème avec la police. L'Ordre aime ce jeu. Ils auront d'autres
problèmes avec la police et pour l'heure ils compliquent le jeu en essayant de séduire,
d'attirer, un de ses commissaires; visiblement il est assez flatté d'être introduit
dans cette sorte de club qu'est le bar à cette heure du repas. Un petit vin perfide
le rend encore plus satisfait d'être avec ses nouveaux amis, qu'il sait ne pas être
parfaits -
Les hommes ont le sentiment que la terre leur appartient, mais ce sont eux qui appartiennent
à la terre. L'esclave se croit propriétaire du maître. De ce fait il l'entretient,
le soigne, le bichonne sans qu'on le lui commande et même il est fier de son action.
Il se complexe quand il n'a pas bien agi pour la terre, il se punit lui-
Le commissaire est bon enfant, il rit des plaisanteries d'Arnaud parce que Sidonie
est belle. Un père de trois enfants a besoin parfois de se reposer de cette lourde
charge, de se décharger de sa femme et de ses enfants; il a besoin d'une messe noire
au fond des caves avec Sidonie. Il est plus facile d'attraper les hommes que les
femmes, Arnaud est loin du tableau de chasse de la belle, il lui faut plus de peine
et de temps pour persuader. Le commissaire doit croire qu'il ne s'agit que d'une
partouze, pourtant on lui explique Satan, intérieurement il rit du démon, il ne rirait
plus du démon si derrière le masque il avait reconnu son propre maître. Il ne sait
pas. Il ne sait rien. Il sait Sidonie qui rêve dans le bar, croquant délicatement
un croustillant beignet. La démone est fière d'être le piège du maître qu'elle s'est
choisi, elle s'est livrée totalement et lui recrute des esclaves, elle voudrait montrer
à tous dans le bar qu'elle est la propriété de Satan mais le rêve la contraint malheureusement
au secret, elle voudrait se montrer avec son collier et sa laisse, fière de subir
car cette soumission-
Indéniablement le Chef des meutes a réussi une programmation efficace. La pute du
diable avec son assistant vit une vie libre par la soumission consentie et même constamment
souhaitée; Arnaud est plus un assistant qu'un alter ego, il organise les anti-
Mais l'expérience pour être concluante devait passer par la phase du retrait du rêve.
Que vont faire Sidonie et Arnaud une fois retiré le rêve qui les programme ? Il a
fallu les faire arrêter pour qu'ils soient ramenés à l'institut. Le prétexte a été
"abus sexuels sur un commissaire de police". Père de trois enfants en plus ! Ces
gens-
Sortis de l'Institut de rééducation, ils semblèrent d'abord un peu perdus. La réinsertion était à l'évidence difficile. Leur vie réduite à la programmation ordinaire n'avait pour eux pas de sens, donc elle n'allait nulle part. Ils ne trouvaient pas en elle de raison de sortir ou de ne pas sortir de chez eux, d'agir ou de ne pas agir pour quoi que ce soit. Ils n'étaient rien, ils s'en rendaient compte.
Sidonie fut une autre Catherine, et Arnaud aussi; non pas dans la déchéance; ils
firent comme avant, ils firent d'eux-
Chacun torture ici-
Pour en provoquer la fin il faut agrandir la faille. Il faut sauver des âmes. Internet
selon Il Professore ne suffit pas pour les trouver, il pense à la télévision et au
cinéma. Le Chef des meutes, à sa demande, écrit des scénarios. Comment utiliser au
mieux ces systèmes de perversion et d'embrigadement charmeur ? Au cinéma la forêt
est cachée par l'acteur. Ce ne sont plus les héros des histoires mais c'est l'acteur
qui devient un mythe. Les étoiles s'y révèlent d'étonnantes putains. Le système du
jardin des délices apparaît pleinement dans les suicides des étoiles prostituées
de leur plein gré aux puissants pour qu'ils leur permettent de se livrer aux masses;
les histoires scandaleuses des plaisirs subis pas les mythes emplissent les revues
d'intérêt général et les best-
Ce système-
Je ne raconterai pas l'histoire de nos acteurs, cela pourrait être dangereux, je préfère revenir à l'automne de Sandra, celui où son bonheur d'attendre la naissance de Marie rendait la vie justifiée.
Pour elle l'éternelle pluie a été sans importance, cela ne risquait pas de lui saper
le moral. Le rêve de Marie dominait la pluie, l'automne, le mirage créé par les temps
épuisait sa logique contre la maternité. Il ne s'agissait pourtant que d'une programmation
contre une autre. Mais bien sûr pour les âmes libres il s'agissait en fait de tout
autre chose. Aujourd'hui que pour moi les problèmes sont résolus, que je m'apprête
à la liberté, je me dis que Gédéon avait peut-
A son comptoir Sophie a repris le livre de Zeitlz. Avec sa façon de procéder un livre
l'occupe longtemps. Ce n'est pas qu'elle lise peu, mal ou rarement, elle est souvent
interrompue; elle ne sait alors plus où elle en était, elle s'y perd, elle recommence,
elle oublie parce que la dernière fois était plusieurs jours avant... elle n'a pas
dû lire beaucoup d'oeuvres dans sa vie; et puis elle aime bien celle-
MAIS PRIEZ DIEU QUE TOUS NOUS VEUILLE ABSOUDRE !