LES CONTES DE L'EGLISE FANTÔME
(Chronique des années 2001-
I
Les contes bonbons.
1.
Le ressac de notre mer a des douceurs si lentes qu'il attire les belles des terres
lointaines jusqu'à l'extrême nord. Elles y passent l'hiver pourtant, en une curieuse
migration à rebours, sous les neiges battantes, au milieu des palais translucides
des glaces. Petit à petit les trains, les avions ont vidé nos côtes, il ne reste
que quelques baigneurs, âgés, sur les plages, de sable là-
De la colline et son château à l'extrémité gauche de la baie, au centre des affaires tout proche dont les immeubles clinquants cachent leurs maladies sous des pansements ingénieux et affichent la vieillesse triomphante de leurs vingt ans, avant l'aéroport désormais tranquille, la route à six voies le long des plages délaissées charrie en foule les véhicules impatients. La beauté n'attire plus les regards, notre monde est à ceux qui ne voient pas. La lente coulée d'azur dans les roses s'évanouissant, avec cette barque irréelle sans but sur la mer pâle, n'est admirée de personne, les gens vont au travail.
Au carrefour de Santa Maria Aracaeli, entre la serre gigantesque et étouffante des plantes d'ailleurs et l'église, sur la bande étroite de verdure, une mince jeune femme blonde promène son petit chien, suivie à quelques mètres par un jeune homme à l'air ennuyé qui la surveille. Aux feux rouges toutes les têtes se tournent vers elle. Elle ne lèvera pas les yeux comme si elle ignorait l'existence de cet autre monde. Ses yeux ne quittent pas le vert mort. Au milieu du bruit rageur des voitures elle vit enfermée dans son silence, il n'y existe que le petit chien, il voudrait jouer, elle n'a pas le coeur à jouer.
Un groupe de Marmousets vient de traverser en courant vers la serre pour aller au collège; il est en retard, que les voitures freinent; leurs courtes jambes rapides à l'arrivée ne verront pas reconnu leur mérite; l'injustice règne sur le monde. Ils sont dépassés dans leur effort par un groupe de Cabochiens, au plus large compas, tendus vers leur but, leur lycée, bizarrement inaccessible dans les temps, mais le Cabochien est têtu, il ne renonce pas, dans son idée fixe il ne voit personne, il lutte.
Il n'y a que la jeune femme blonde qui n'ira nulle part, le jeune homme dur lui a
saisi le bras pour qu'elle fasse demi-
Elle frôle au passage un groupe d'hommes graves, au costume uniforme, aux rides de sérieux. Ils sont venus condamner l'église. Elle gêne. Juste à côté l'école de commerce veut grandir, créer des filières nouvelles, étirer ses tentacules sur les pays proches, avoir de nouveaux diplômes plus reconnus, des formations qui formatent mieux, ceux qui sortiront d'ici se reconnaîtront partout. Le représentant de la mairie opine de la tête. Bien sûr la réputation flatteuse de l'école s'ajoutera au bilan positif du maire. Le tribunal devant l'église se sent embarrassé. C'est une église tout de même. Mais elle n'a qu'à peine plus d'un siècle, un siècle et demi... Des hommes s'étaient réunis ici même, devant un terrain en friche, leurs têtes pleines d'un rêve commun; là, ils construiraient leur église. Ils avaient sacrifié de leur argent, des gens pauvres avaient donné plus qu'ils ne pouvaient, pour être autre chose que des corps, pour que les sacrifices de toute leur vie n'aient pas servi qu'à survivre, ils existaient, ils étaient des hommes, leur preuve était leur église. Le tribunal la condamnait à mort. Que les rêves, les sacrifices, les aspirations encore dressés par ces murs rejoignent les morts. Et certains d'entre eux étaient les ancêtres des juges. On cherchait des raisons plus avouables que le profit. On n'en trouvait pas. On parla du droit des jeunes à une formation efficace, le directeur de l'Ecole de Commerce athée déclara qu'il n'était pas anticlérical et le représentant de l'évêché qu'il n'était pas contre le commerce, d'ailleurs le terrain serait payé un bon prix.
Sept mondes glissent les uns dans les autres, leurs atomes parfois se rencontrent et s'allient, parfois se heurtent violemment, chacun poursuit son but, les aveugles vont droit devant eux, comme si la vue était au bout de la vie; le bruit des voitures rassure. Ainsi politique, enseignement, travail du bâtiment se sont trouvé une affaire commune grâce à la bienveillance religieuse. Les investissements énormes vont gaver les financiers dans leur toile toute proche et les citoyens infimes auront à contempler leur oeuvre, au pied de laquelle la blonde jeune femme, qui ne doit pas regarder le jour, promènera son petit chien.
Le groupe de décideurs était sur le départ quand arriva, essoufflé et en sueur, le groupe de soutien de l'église. Il était mince. Dix personnes, toutes âgées, le composaient. Dont huit femmes.
Elles auraient bien voulu crier.
Elles ne pouvaient pas.
Un homme se détacha : "Vous avez voulu', haleta-
2.
Plissant, "ah ! agaçant !", le, "voilà, nez pour remonter ses lunettes, rectangles
oblongs dont les reflets donnent une âme à ses yeux kakis, Arzi pense car il y croit.
On lui a parlé d'une absence, définitive sûrement, d'un vieux prof très diplômé,
abandonnant en leurs études les élèves les plus littéraires (en théorie) du bordel-
L'Arzi entra, après le bisou à la crétaire, d'un pas assuré en le beau bureau de
Proviçat. Celui-
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Il étouffait presque d'indignation en évoquant une telle atteinte à ses hautes capacuités.
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L'Arzi s'étranglait d'ahurissement. Un non-
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A ce moment Bizi l'oie passa la tête par l'entrebâillement de la porte et cria :
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L'Arzi fit la grimace :
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Elle entra :
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Et elle ressortit sans embrasser personne.
Proviçat plissa son front :
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Proviçat se mit à rire grassement.
3
Quiqui s'envola de sa colline et descendit en planant sur la capitale. Son oeil scrutait les recoins, les badauds à la vue de son plumage noir devenaient de petits saints, les dealers se changeaient en touristes, les putes en dames de compagnie. Les feux devinrent rouges et firent poireauter inutilement des automobilistes que le sourire ne quitta pas. A un carrefour un soûlard débonnaire se sentit une vocation de service d'ordre et se mit à régler la circulation à sa manière. Les assassins restaient le couteau levé malgré la bien compréhensible impatience des victimes, les balles sorties des revolvers divisaient à répétition la distance à parcourir afin de ne pas atteindre dans les temps leur cible. L'ordre régnait.
Quiqui, content, vint se poser sur une fenêtre et de son bec crochu frappa. Savarin vint ouvrir : "Encore toi !
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Quiqui n'avait pas tout compris. Il n'était pas content qu'on ne l'ait pas laissé s'installer. Il médita un instant puis s'envola d'un vol lourd et menaçant.
Une pluie fine collait les pans de paysage urbain, sa glu luisante se répandait sur les êtres et les rues froides pris dans un piège dont aucun effort ne délivrait; les sons s'étouffaient de sa tristesse inépuisable.
Voilà longtemps que Chosset en son luisant palais s'énervait de l'ambition opiniâtre
de l'ennemi qu'il avait dû finalement laisser s'installer à l'Intérieur. Mais quel
arriviste celui-
Le Président de tous, y compris de la majorité abstentionniste aux élections diverses, se pencha du trône vers sa petite femme, sise sur un tabouret à ses pieds.
" Le Quiqui, lui dit-
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Mais aussi Quiqui était un malin; sans plus de scrupules que ses prédécesseurs à l'Intérieur, il avait une hypertrophie de l'ambition qui le clouait parfois au lit tant il souffrait de ne pouvoir donner des ordres à tout le monde, de ne pas recevoir les honneurs extraordinaires en plus des ordinaires, de ne pas faire de belles tournées à l'Estranger en étant filmé et en distribuant des millions et des milliards sous forme de remise de dettes aux pays en voie de développement.
Chosset, lui, était un habitué des cimes, il était tout en haut depuis si longtemps,
son regard distinguait de plus en plus mal les petits de la terre à travers les nuages.
Ses principes étaient simples : tu as le pouvoir, tu gardes le pouvoir; deuxio, l'exécutif
est au-
Son prédécesseur avait été un modèle du genre. Garant des libertés il avait mis sur
écoutes illégales quantité de connus et d'inconnus (mais ceux-
Chosset connaissait ceux de Quiqui mais aucun n'était utilisable. Sur son trône de
la Publique il se repassait en son crâne dolicho les descentes en flammes des frères
qui avaient cessé de le servir et qui avaient cru ainsi devenir quelqu'un. Longue
liste d'abandonnés à la justice tout à coup curieusement renseignée, liste d'embastillés
légaux, de punis, bien fait, pour le lèse. Toi, le petit, le pas grand, toi qui oses
lever tes yeux sombres sur ma place, la belle, prends garde; dans ton ombre mes hommes
de l'ombre sont aux aguets, dans tes téléphones mes hommes téléphones écoutent, écoutent,
entendent les non-
4
L'Arzi en avait gros et lourd sur son coeur andouille : le croûton était revenu;
il parlait de sa maladie et de sa convalescence comme si ça intéressait quelqu'un
et le silence obstiné de ses interloqués ne le décourageait même pas. On aurait dit
qu'il jouissait de la désillusion sur les visages socialos-
Du coup les deux maîtres auxiliaires s'étaient réconciliés et avaient reçu les condoléances
et le soutien moral des autres, maîtresses auxiliaires du françouè parfois déjà titularisées
sur critère proviçat et en voie du diplôme envié de certifié pour bons rapports avec
inspec rédgional pédagoglo. Le progrès n'avait pas pu progresser pasque le cadavre
vivait toujours et que les lois elles sont pas bien faites, comprenez à demi-
L'Arzi avait des atouts insoupçonnés des naïfs. Par le biais des parents de la sociale
il disposait de l'appui intérieur des Cabochiens; en langage pédagogo on bavait ça
"de bons rapports avec les élèves". Bref il parlait à la chef et la Cabochien blonde
savait convaincre les copains de saboter les cours du vieux, et cela avec le plein
accord parental dû à l'ardent désir de voir triompher totalement les idées de gauche.
Les instits du coin déclaraient sans état d'âme qu'ils préféraient l'échec de leurs
gosses au bac à leur réussite avec des profs insoumis à l'ordre socialo-
Tout ce petit monde gauchiste dans une région très à droite était sauvé par la "carte scolaire". On appelait ainsi une mesure légale qui obligeait les autres gens à envoyer leurs gosses étudier en territoire ennemi. L'école étant obligatoire et son lieu aussi, il ne restait qu'à accepter le dressage idéologique caché sous le langage pédagoglo. Les élèves apprenaient l'Histoire pendant des années sans jamais savoir l'Histoire, ils apprenaient le français et ils connaissaient le françouè, ils apprenaient les lettres et connaissaient les laîtres, ils apprenaient l'église pas bon, la patrie pas bon, le travail pas bon, le patronat pas bon, le savoir pas bon, la culture pas bon, le français pas bon vive l'englishe, l'américanishe, l'europanishe, vive le musulmanishe tout partout, y aura pas la troisième guerre mondiale car les musuls ils sont déjà là, vive le mondialishe et à bas la France. Ces valeurs peuvent sembler ahurissantes mais c'étaient bel et bien celles de ce petit monde enseignant. C'est vrai.
Faute de cadavre à becqueter l'Arzi et Bizi s'unirent en un grand projetprojet qui,
révélateur de leur engagement dans le bordel-
Ah oui, le sujet de l'expo ? On avait conçu le grand projetprojet de la poaisie interdisciplinaire;
tous les ados, et tout le monde d'ailleurs, sont pouètes, vous savez quand même ça,
supposons-
Un exemple de la manière de l'Arzi :
"Quand je
ô virile joie
Tes bleus yeux vois
Au barbecue
Au barbecue
Brûle en moi
Feu, aïe, ouïe,
Oui
Là
L'amour bleu à point."
Tout le monde il est pouète, tout le monde il peut faire de jolis vers, ou alors il choisit d'être incinéré, avec de beaux dessins accompagnant les pouaimes et des trucs sciences dus au prof de la vie à terre qui explique aux élèves la proésie des intérieurs humains et dus au prof des astres qui ajoutera des photos galactiques pour dépasser les frontières.
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La révolution était en marche et seules des promotions l'arrêteraient.
5
Grâce à la qualité de l'enseignement les Cabochiens étaient ouverts sur le monde.
Le comité de soutien à l'église condamnée ne leur avait pas échappé et comme il était
petit, formé de vieux et apparemment sans défense, ils eurent envie d'aider le maire
et l'école de commerce. On y trouvait d'ailleurs beaucoup d'ex-
La Cabochien blonde prit la tête de ses troupes pour aller vaincre les vieux. Ceux-
Silencieusement (pour une fois) ils prirent position, ils cernaient les chenus devant
leurs banderoles : "Défendons notre église", "Respectez votre passé"... Est-
Proviçat, en son beau bureau, avait oeuvré dur pour le triomphe de l'anticléricalisme,
il se vantait que pas un prof d'histoire ici ait jamais parlé de cathédrale autrement
que pour dénoncer l'écrasement des masses populaires par les soutanes du profit,
l'opium du peuple doit être dénoncé et écrasé par la sociale qui aura ainsi accompli
son devoir envers les défavorisés. Toutefois il n'était pas borné, non non, il appuyait
le courant de gauche et de Chosset pour l'ouverture partout de proliférantes mosquées.
Sur les trente églises de la ville, aux chefs-
L'ex du sénat eut l'idée d'aller parler aux jeunes. Il était aussi persuadé que Proviçat d'avoir des compétences pédagogiques parce qu'il avait autrefois fait partie d'une obscure commission chargée par un ministre de rédiger un rapport sur les vastes problèmes scolaires; il avait alors si souvent employé le mot dialogue qu'il y avait eu des jaloux parmi les socialistes; depuis il était fier de ses compétences reconnues même par ses adversaires politiques. Ainsi plein d'âge, de juste sérénité et de confiance en lui, le parlementaire traverse la rue vers les naïfs débutants de la vie. Des automobilistes s'arrêtèrent net, dans les deux sens, pour le laisser passer, et, sans complexe, restèrent là pour assister à la suite. Derrière, ceux qui ne voyaient rien klaxonnèrent contre l'injustice.
Le type qui arrivait avait dû connaître Henri IV, roi qui aimait les poules, et Victor Hugo, un écrivain qui vivait sur une île, car il leur ressemblait beaucoup. Cet ami du roi et des arts se croyait probablement tout permis à cause de ses relations.
"Mes enfants, dit le noble vieillard, je suis ravi de voir que vous semblez intéressé
par notre lutte. Voulez-
Ainsi commença l'épisode post-
Le mur du silence cernait le carrefour non-
Etait-
L'ex-
Hector en ces termes explosa : "Mais qu'est-
La Cabochien blonde eut la délicieuse sensation que le vieux avait peur des jeunes
et pensant qu'elle ne risquait rien, qu'ils ne risquaient rien, qu'ils étaient tout-
"Vous nous gênez, tirez-
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Hector furieux fit demi-
Le Comité de Défense de l'Eglise était pâle. Il avait compris. Mais il fit face. Il ne partirait pas.
De son beau bureau le directeur de l'Ecole de commerce suivait le déroulement de l'opération. Il était au téléphone. Il était inquiet. Il disait : "Oui, oui, mais ça n'arrange rien du tout; s'il y a un drame, ils auront la population pour eux et rien ne se fera !"
La Cabochien blonde avait ramassé une pierre, d'autres l'imitèrent.
La jeune femme blonde au petit chien sortit en trombe d'un immeuble voisin, il fallait
qu'il sorte, elle n'avait pas l'autorisation, elle se dépêchait, elle ne savait pas
ce qui se passait dans la rue. Ulrika ne lève pas la tête, elle ne voit personne,
elle ne voit que son petit chien tout joyeux de sortir. La bande de terre gazonnée
avec quelques fleurs ennuyées et trois palmiers sert de toilettes pour chiens (avis
aux touristes avides d'espaces verts pour pique-
Alors arriva la police qui dispersa les jeunes contre-
6
Dans la tête de Savarin, l'occiput Prime Minister !, à l'abri des yeux perçants de Chosset, engendrées ex nihilo des idées, des idées, des idées ! Elles volaient, elles se démultipliaient, elles dansaient, elles faisaient les fofolles. Or tout était sérieux. Le destin d'un pays se forge ici.
Notre éminent s'est penché sur les retraites, leur financement. Il a pris sa calculette
et il a rêvé devant. Pourquoi les gens sont-
La solution ? Moi, Savarin, je vais vous l'administrer. Vous allez travailler plus
longtemps. En clair, après avoir eu la glorieuse évolution sociale du recul de l'âge
de la retraite de 65 à 60 ans, vous allez avoir sa progression rayonnante de 60 à
65 ans. C'est un peu comme pour les pavés dans les rues des villes, on les a enlevés
au nom de la nécessaire évolution pour la bagnole, on les a remis à grands frais
au nom de la qualité de la vie; comme pour les tramways aux rails arrachés afin d'éviter
mille inconvénients, coûteusement réintroduits, réinstallés, paraît-
La nouvelle confiée aux journaux fut sans scrupule communiquée aux intéressés. Les
forces des fonctionnaires n'y croyaient pas. Ah, ce Savarin, quel blagueur. Puis
ils y crurent. Surtout quand le système fut en trois coups de clef imposé au privé.
Le public devait suivre. Savarin cette fois avait un argument de poids : c'était
une affaire d'égalité, donc de justice -
Alors commencèrent les grands défilés, la grève s'étendit sur les établissements
scolaires et Savarin dit à Chosset : "Ça gaze, pendant ce temps-
Au bordel-
Savarin, lui, était très fier. Comme le socialo Jozin, il était l'homme des réfaurmes;
il était brillant; il était Savarin Ier. Bientôt il succéderait à Chosset. La France
avait encore eu de la veine de trouver un homme comme lui. Les journalistes-
L'Arzi et la Bizi eux ne faisaient pas grève. Ils ne voulaient pas se compromettre.
Ils auraient eu l'air de s'associer au croûton ! Et puis, à leur âge, la retraite,
c'était si loin, on aurait repris le pouvoir d'ici-
7
Chaque année le croûton était la cible dans la presse très locale d'une djournaliste
idéologiquement au-
Il ne s'en consolait pas mais pour l'heure défilait. Il s'était trouvé un petit syndicat
pas connu et sans pouvoir qui n'était pas gauchiste et de ce fait paraissait suspect
à la droite. On le taxait donc sans preuve d'extrême-
Le Comité de Soutien de l'Eglise en voyant les méthodes de protestation de gauche
et en les comparant aux siennes, jugea qu'il fallait savoir méditer les grands exemples
et frapper fort. On allait défiler aussi. Pas tous les jours. Les samedis. Quand
les sympathisants ne travaillent pas, du moins pour la plupart. Donc on demanda l'autorisation
au maire, qui la refusa. Rien ne justifiait vraiment ce refus. Officiellement c'était
parce qu'il y avait déjà assez de monde dans la rue (le propos ne concernait pas
les touristes). Le vieux sénateur objecta officiellement que l'interdiction était
discriminatoire. Lion-
Tandis que les enseignants fêtaient le samedi dans un sens (ils se reposeraient le lendemain), les croisés, près de soixante ! défilèrent dans l'autre. De jeunes musulmans qui réclamaient une grande mosquée aux frais de la mairie, du département, de la région et de l'état, vinrent d'abord brailler sur leur passage "L'église en moquée, l'église en mosquée", mais de plus âgés, plus prudents, les firent cesser et, hormis les coups de klaxon exaspérés tout alla bien jusqu'à l'inévitable croisement des forces essentiellement de gauche. D'un côté soixante, de l'autre trois mille. Les trois mille avaient coutume de bouffer du curé, les soixante de traiter les fonctionnaires de privilégiés, le même pouvoir les faisait descendre dans la rue, Savarin était un malin.
Les têtes bariolées des instits beuglant avec délice des chansons bébêtes, accompagnées
au tambour par des profs de coclège attifés d'oripeaux criards, sous les banderoles
ingénieuses ("Savarin ça va rien", "Savarin ça va pas") concoctées par l'élite professorale
du bordel-
Croûton les regardait tristement, il aurait voulu être avec eux aussi, il se disait que, dans un pays qui se défait, il faudrait être de toutes les luttes, de toutes les protestations, il aurait fallu être partout à la fois.
8
Les pluies diluviennes de novembre ont frappé la côte merveilleuse, la mer d'un violet
qui vire au noir se soulève en saccades dangereuses et avale la plage, elle se ramasse
sur elle-
Les voitures roulent prudemment pour une fois sur les cailloux, évitent les déchets les plus gros en zigzags savants multipliés au ralenti par les autres anneaux du serpent et l'habituel embouteillage de notre carrefour s'est étendu à la côte entière, il faut une heure pour un parcours de dix minutes ordinairement, il faut de la patience, il faut de la musique pour avoir de la patience. Le plus dangereux c'est avant même l'aéroport, un endroit où la route frôle la mer, séparée d'elle seulement par un rempart de blocs de pierres énormes, qu'elle franchit d'un bond pour s'écraser sur les véhicules prudents; les chauffeurs, aveuglés, savent qu'ils doivent aller droit, ne pas paniquer, avancer lentement pour ne pas heurter qui précède, craindre qui suit, compter sur la chance; certains veulent calculer, ils attendent la vague forte et quand le paquet de mer s'écrase sur la route devant eux, en avant, mais ils échappent rarement, la mer joue.
Pour les Marmousets c'est une époque pleine de distractions. On va arranger les bouts de bois sur la route pour obtenir de plus beaux zigzags de chauffeurs appliqués; mais l'opération est difficile; les chauffeurs appliqués sont aussi des chauffeurs énervés; s'ils comprennent ils sortent de leur voiture en criant, parfois ils vous courent après; bien sûr le risque fait l'intérêt; mais hier Petite Pervenche est tombée sur son père, il l'a rattrapée, elle a reçu la baffe de sa vie. Les vieux n'aiment pas que les jeunes s'amusent, ils sont très méchants. Après le boulot au coclège elle ne voulait plus rentrer chez elle, elle avait peur. Son père avait tout dit à sa mère. Quel savon sa mère lui a passé ! Maintenant la punie n'ose plus participer au tirage au sort pour l'épreuve de courage qui égale les filles aux garçons, c'est de la discrimination, les parents ont complexé leur fille pour la vie, encore un drame familial.
Les Cabochiens n'en sont plus à ces actes enfantins, évidemment; ils regardent avec amusement les plus petits, leur donnent de bons conseils parfois... pour obtenir de plus beaux effets routiers, mais là on est dans les hautes conceptions artistiques, "le Road Art, art de l'immédiat refusant la pérennité dérisoire" (on reconnaît le discours d'un nouveau philosophe qui n'a pourtant que deux mois de terminale derrière lui).
Non, eux ont surtout besoin de plus d'argent.
L'argent est partout mais il faut apprendre pour savoir le prendre. Bizarre mais les parents ne vous envoient pas à l'école pour ça. Il faut se débrouiller. La question clef : comment procéder pour que de la poche du voisin l'argent passe dans la tienne, est un secret éducatif. Tous les enseignants ne le connaissent d'ailleurs pas. Mais regardez Proviçat et ses costards de luxe. Il sait. Mais il ne dit pas.
Les petits boulots scolaires : revente de hasch, trafic de scooters, marché des notes
de cours bien prises pour les paresseux en fin d'année, organisation de soirées spéciales
pour ados, copies illégales de disques audio, vidéo... bref le marché parallèle des
mineurs, même au rendement maximum ne rendait pas gros. D'où les divisions et les
luttes âpres entre Cabochiens qui ne se regroupaient que dans les grandes occasions.
Parfois on se battait. Mais en dehors du bordel-
La Cabochien blonde ne pouvait rien sur la guerre, son propre groupe restreint devait
surtout ses profits à la protection administrative dont elle bénéficiait; étant donné
qu'elle était la porte-
Or dans une rue sans issue à deux minutes du bordel-
Les insultes voletaient de-
La police arriva après le déclenchement de la bagarre (pour quoi ? on ne sait pas).
Elle se composait des forces suivantes : Gros-
Les forces de l'ordre ne se jetèrent pas dans la mêlée; à trois contre cinquante il vaut mieux parlementer.
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Ces propos, il faut l'avouer, étaient bassement réactionnaires. Car, Proviçat, lumière
pédagogo, était un fervent de l'insertion des immigrés par le sport, de l'éducation
aux valeurs sociales par le sport, du remède sportif au refus scolaire, du remède
sportif à l'indiscipline... Il cherchait à faire du bordel-
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Chef s'installa donc dans la voiture au téléphone pendant que ses subordonnés s'avançaient, très relativement intrépides, vers les hordes sauvages et bien développées grâce au sport intensif.
Tous connaissaient Lola, même lorsqu'ils n'avaient jamais été arrêtés, cas rare. Elle était dans les fantasmes de toutes les têtes, elle en était consciente et, à tout hasard, avait en main sa précieuse matraque électrique, insigne du pouvoir, sceptre efficace. La Flicaille la laissa parler car son vocabulaire peu étendu ne lui permettait pas les discours. Au milieu des sifflements, des invitations pornographiques et des provocations les plus grossières, elle arrêta sa progression et dit :
-
Petit à petit le calme tombait, un silence s'alourdissait au fur et à mesure de la liste, de ses reproches et de ses menaces. Ces gosses avec une vie sans souci, sans travail, sans effort, sans but véritable, heureux à leur manière dans leur monde de vol et de violence, flattés constamment par les médias et par l'école, flattés par tous les pouvoirs, se voyaient empereurs entourés d'une cour flagorneuse au son de musiques calibrées, l'imaginaire plein d'images à effets spéciaux made dans Hobbywood. Le jeu vidéo c'est la vie, Lola est hors vie, elle vous arrache à la vie pour vous parler de parents qui travaillent. Jamais contents les parents, et pourquoi ? Les plus intelligents des montés en graine considérèrent avec découragement la vaste question et remirent son examen à plus tard, les circonstances n'étaient pas favorables.
On entendit des sirènes au loin que l'on supposa celle des cars de police. Sans attendre leur tour dans la liste, beaucoup s'étaient déjà éclipsés, les derniers maugréèrent et s'éclipsèrent sur une menace pour une probable autre fois.
Lola et La Flicaille, fiers du travail accompli, revinrent à la voiture où Gros-
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Gros-
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L'Arzi à qui on avait volé une place peinarde -
"Quoique
tristesse
Les ides de mars
Ah illusion de vie
Le tombeau aimant à rêves
Vidait la vie."
Souvent Proviçat lui tapotait l'épaule pour manifester sa sympathie et son Sous lui
disait des douceurs, il lui disait qu'il était intelligent, qu'il était un modèle
pour les jeunes (c'était malheureusement vrai), qu'il méritait pour son investissement
professionnel notamment dans le grand projetprojet poaitic la considération unanime
des forces de gauche. Et les amis boycottaient le croûton, toujours tout seul, puni
pour cause de survie, lequel s'en fichait d'ailleurs, il appelait Proviçat "le couillon"
c'est dire s'il était rétrograde, réac, incapable de comprendre les considérables
avancées du bordel-
Par hasard l'Arzi tomba sur l'annuelle pub pour le pseudo-
Au cours d'une réunion sur les poaimes il s'ouvrit de sa nouvelle vocation à Bizi l'oie, qui lui répondit :
-
L'Arzi se souvint de justesse qu'il était contre les violences conjugales et l'oppression de la femme, il plaignit la malheureuse qui en retour lui donna toute sa compréhension et toute son adhésion à sa transformation en papillon administratif.
L'étape suivante consistait à sonder Proviçat. A la question : "Croyez-
Les appuis réunis, restait à mettre en action les rouages de l'accès au pouvoir. Pour faire gogoche avant la formalité du concours, il fallait en actes donner des garanties qui seraient baptisées mérites.
D'abord entrer au Conseil d'Administration. Les diffférents grands syndicats refusèrent de le mettre en tête de leurs listes aux élections sous prétexte qu'il ne leur payait pas de cotisation, c'était mesquin. L'Arzi décrocha son téléphone et contacta les directions académiques des petits pour leur faire des propositions qu'ils ne pourraient pas refuser : grâce à lui ils compteraient ici, il leur offrait les voix de ses amis. Notamment il parlementa longuement avec celui du croûton (auquel il n'avait même pas parlé), mais on s'amusa de lui et la conversation enregistrée fut communiquée au dit croûton qui en rit beaucoup. La situation mettait la sympathique Andouille devant un problème sans fond et toutes ses idées y disparaissaient illico sans qu'il en revoie jamais une. Il fronça le nez, poussa d'une pichenette ses lunettes oblongues, gratta de trois doigts dans ses cheveux en brosse et ... se sentit découragé.
Les petits qui ont de l'ambition mais ni argent ni relations se débattent en vain
dans le monde cruel, on se joue de leurs rêves, de leurs aspirations, ils voudraient
pourtant rendre la société meilleure, du moins pour eux, et se sortir de leur position
défavorisée. Le modèle républicain doit assurer le renouvellement par le bas de ses
élites. Il faut du sang neuf dans les hautes sphères consanguines. L'Arzi refusait
de baisser les bras et de ne pas devenir le Responsable, qui ne serait jamais responsable,
l'Educateur, qui saurait imposer le laissez-
Il alla donc demander conseil à Proviçat. L'action qui en déboula sur le bordel-
Le croûton par principe et pour la première fois (et la dernière) de sa vie présenta
une liste petit syndicat avec une dame (il fallait être au moins deux) qui n'avait
sans doute pas tout compris. Ils eurent six voix. (Tout de même.) Celle de l'Arzi
en eut vingt-
10
Là-
Devant l'officielle feuille de l'effroyable consigne, notre chef de l'ordre se rongeait
le cerveau par des scrupules supérieurs : qui allait-
La fine équipe avait eu droit aux honneurs lors de son départ; chacun de la boîte
était venu serrer la pince des héros, des femmes trop émues disparaissaient en courant
pour cacher une larme. Ils avaient reçu des équipements supplémentaires pour cette
mission hors normes : des gilets pare-
La cité interdite se dressait à l'horizon dans ses brumes. Le trio la regardait,
arrêté (le moteur tournait), frémissant, mais plein de courage forcé. Qu'est-
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Alors on fonça. Très relativement. La voiture était contre les excès de vitesse. Au commissariat central, le chef de l'ordre suivait la progression de ses troupes minute par minute. La voiture s'arrêta. La Flicaille, l'expert ès automobiles du groupe, ouvrit gravement le capot, regarda dessous, ne fit rien, referma, dit qu'il n'y avait rien à faire. Et elle repartit. Des hourras de joie autour du chef de l'ordre s'entendirent dans la voiture. Lola était furibarde : Ah, ce La Flicaille, qu'il était doué ! Elle lui aurait bien flanqué un deuxième coup de matraque électrique. Lui répétait mécaniquement : "Mais c'est pas ma faute ! C'est pas ma faute !"
On arriva. A force d'avancer c'était fatal. Même les plus doués en prières avaient fini. Foutue bagnole.
De part et d'autre de la voie principale des tonnes de sacs poubelle et d'immondices sans sacs. Ceci parce qu'une bande de jeunes, encore à ses débuts, avait confondu le camion des éboueurs avec celui des pompiers. Ils l'avaient lapidé dur. Alors les éboueurs ne venaient plus. Si l'on peut dire car beaucoup habitaient la cité; mais ils estimaient qu'aller chercher un camion pour se faire casser la gueule chez soi, c'était une drôle de façon de gagner des sous, valait encore mieux survivre de l'aide sociale.
Tout allait changer, l'ordre rentrait dans la cité.
Le conquérant trio qui n'en menait pas large alla droit à l'ancien commissariat,
fermé à cause des vilains voyous qui venaient casser tout ce que l'on avait de joli
et en plus ils volaient jusque dans les vestiaires. Là Gros-
Gros-
Un maghrébin en burnous s'approcha, déchiffra et s'écria :
"Alô quoâ, la côlônisatiôn elle recômmênce !"
L'attroupement fut immédiat, en langue d'ailleurs le groupe puis la foule de naturalisés-
La Flicaille avec un mérite extraordinaire, profitant de ce que la discussion les faisait oublier, alla ouvrir le capot, regarda dessous, ne trouva rien, referma. Mais, cette sale bagnole ne repartit pas.
Brusquement burnous et voiles se turent. Les regards se tournèrent vers le trio policier
pourtant très tranquille, qui ne voulait surtout pas déranger. Une anonyme main déchira
la belle affiche. Gros-
-
-
Et la voiture repartit grâce à la motricité des athlètes Lola et La Flicaille, chacun d'un côté, suant mais exerçant des forces parallèles qui pourtant s'unissaient en un bon petit 5 km/h. Le travail humain vient à bout de toutes les difficultés.
Une heure plus tard, en terrain neutre une patrouille venait récupérer les soldats méritants et le chef de l'ordre faxait à Quiqui : "Les forces policières ont reconquis les territoires perdus, elles ont, brièvement, investi et occupé la cité."
Quiqui fut heureux et la presse publia sans vérification la bonne nouvelle locale nationale.
11
Les derniers baigneurs, les plus endurcis, les entêtés, quittent nos plages; la mer était redevenue attirante mais les maillots de bain ne sèchent plus au soleil et le chiffre de la température de l'eau : 19 °, suffit à donner le frisson.
La Toussaint et ses morts occupent les esprits. La Bizi avec une professeuse d'histoire
a prévu une sortie éducative pour aller voir les jolies fleurs dans les cimetières.
C'est bien que les gens meurent parce qu'on peut leur offrir, voyez-
Cette année la vente est particulièrement forte et les marchands sont contents; grâce à Savarin il est mort beaucoup de vieux cet été à cause de la canicule, la conjoncture est bonne.
L'épisode des 15 000 cadavres n'a pas de monument mais mérite de ne pas être oublié.
Nous étions donc sous le soleil radieux, au chaud, très ronronnants, travaillotant
pour certains, béats en vacances souvent. Chosset se payait un séjour balnéaire dans
un luxueux plus qu'hôtel sur une île anglophone (il adorait baragouiner son curieux
english), Savarin s'était perché sur une montagne made in France, le micuistre de
la santé s'occupait exclusivement de la sienne et celui des personnes âgées, paraît-
Les urgentistes protestèrent et comme les vieux en leurs frigos n'en semblaient pas émus, ils s'en prirent au gouvernement. Sous prétexte qu'un jour ou l'autre on pourrait bien se retrouver dans leur service ces gens se croyaient tout permis. Certains étaient très excités, ils convoquaient la télé, laquelle hésita quelques jours puis jugea les constantes images de baigneuses et de baigneurs léchant des glaces monotones; les caméras arrivèrent et les nobles trépas se firent en direct. Dans les rares cafés climatisés on allait se rafraîchir en regardant les actus, ce n'était pas croyable ce qui se passait dans le pays, on retournait de baigner en se disant qu'il fallait en profiter avant de se retrouver agonisant des heures dans les couloirs des urgences, parfois sans lit.
Petit à petit, au ralenti à cause de la chaleur, on allait au scandale, pas moins.
Un journaliste qui avait eu une sieste difficile à cause des raviolis avariés d'un
fast-
Alors on se rendit à la villa azuréenne du micuistre de la santé. C'était un ancien médecin qui n'avait pas été une lumière de la médecine, de l'administration non plus, de la politique pas davantage, et qui était ministre quand même. Chosset l'appréciait, on ne savait pas pourquoi. Donc on obtint qu'il accorde une interview, sans grosse difficulté je dois dire car il était content de montrer à la famille que l'on se dérangeait de Paris pour lui. Sur les propos alarmants des urgentistes il répondit qu'ils étaient alarmistes. Sur les morts en trop grand nombre il conseilla de moins mourir, ou d'attendre la rentrée, c'est si bon les vacances. Non il ne retournerait pas à son ministère maintenant, il n'en voyait aucune raison, les vieux pouvaient tout de même mourir sans lui !
Le micuistre des personnes âgées, lui, nul ne parvint à l'interviewer.
Enfin l'ordre vint, vraisemblablement de là-
On échappait à de graves problèmes pour les pompes funèbres. Elles manquaient tout à la fois de cercueils et de personnel. Une petite partie en effet avait prématurément occupé les modèles de base, une autre partie batifolait sur les plages et les derniers, de garde, se sentaient bien fatigués. En outre des gens prévoyants, craignant une pénurie de belles boîtes en bois verni, avaient mis à l'abri la leur chez eux et refusaient de la rendre.
Devant les difficultés qu'ils créaient on aurait pu croire que les vieux auraient renoncé à mourir. Eh bien non. Le pic de mortalité, pour reprendre la belle expression sur nos antennes des spécialistes, était encore à venir. Et un jour, ils s'étaient secrètement entendus, il en passa plus de mille d'un coup. Il fallut avoir recours aux chambres froides de l'armée. Absolument. Même la cave de l'Elusé était pleine, on avait distribué les grands crus aux clochards valides du coin pour y ranger ceux qui ne l'étaient plus. Comme quoi la république s'occupe des pauvres.
Quand le quatrième âge fut décimé la canicule s'arrêta et Savarin rentra.
On finissait donc péniblement à la Toussaint de régler dans les formes les excès
de la mortalité et Chosset et Savarin et tous les ministres, ministresses et misnistraillons
(sous-
II
Les contes pastis.
1
Elle est seule debout au carrefour. Elle a été là toute la nuit. Sa tenue vulgaire et accrocheuse ne laisse aucun doute sur la cause de sa présence. Pourtant il est presque sept heures du matin. Sept heures ! Les automobilistes qui se rendent au travail la voient et n'osent pas regarder. Elle est exposée, elle est là pour être humiliée. Le jeune homme au regard dur a décidé de briser en elle l'illusion d'être encore comme les autres. La voie doit être sans retour. Il a tué le petit chien.
Les files mornes des voitures sans nombre, comme ensommeillées encore, attendent
pour l'accélération le dernier feu, à deux cents mètres pas plus. Alors d'un seul
coup on revit, on slalome, on retrouve sa jungle, les motards doublent à la fois
à droite et à gauche, on s'encanaille d'une queue de poisson revancharde, on change
frénétiquement de file, et parfois, raffinement suprême, on freine. Mais aujourd'hui
-
On avait d'abord cru à un truc inventé pour les gens du nord. Là-
A partir de ce moment l'automobiliste heureux fut envahi d'une méfiance saboteuse de moral; les cauchemars torturèrent beaucoup de nos concitoyens, ils voyaient des radars se balader librement, eux, jusque dans les rues piétonnes. Les femmes souffraient encore plus car les femmes souffrent toujours plus, deux d'entre elles portèrent plainte pour viol contre un radar non seulement voyeur comme les autres, toujours à vous photographier en ayant la loi de leur côté, mais soupçonné de se rendre jusque dans vos lits; on ne put rien prouver. Un enfer de sagesse s'abattit sur la ville.
Mais en ce premier matin un tel drame n'était pas même concevable; les plus imaginatifs, les plus informés auraient reculé devant les portes noires du savoir, de la connaissance de l'avenir. On se traînait simplement sur la route sans la justification du plus petit accident qui bloquerait le passage. La joie de la libre concurrence avait quitté les coeurs conquérants. C'était le triomphe des femmes à la conduite peinarde, sans audace, sans rêve. Tout se féminisait. On ne savait plus quoi faire sur cette planète.
Une voiture tourna vers l'église, s'arrêta devant Ulrika, le jeune homme au regard dur sortit à moitié par la porte arrière, saisit Ulrika par le bras, la tira à l'intérieur; la voiture repartit.
2
"Vers l'église". Maintenant cette expression est basée sur le souvenir car il n'y a plus qu'un trou. Un grand trou. Un vide en somme.
Des engins jaunes étaient arrivés, des machines qui avaient continué d'avancer malgré
l'obstacle du Comité de Soutien qui avait dû s'écarter. Au téléphone Simonet, adjoint
au maire, avait été hystérique; le commandant de l'opération avait été traité de
"femmelette", de "bon à rien", s'il ne passait pas à l'action adieu les marchés de
la ville, tu m'entends ? les marchés de la ville tu peux leur dire adieu. Alors pour
des raison économiques donc universellement compréhensibles, celui-
Elle était inévitable, il le savait bien, l'intelligence est faible contre l'argent.
Une des femmes pourtant avait cherché le drame. Elle avait rompu les rangs et était
allée se coucher devant la tentacule géante d'un engin jaune à chenilles. Le conducteur
avait eu très peur, il était vite descendu de sa cabine et avait dit : "Il ne faut
pas rester là, Madame, vous avez failli me faire avoir un accident." Elle l'avait
regardé avec désespoir : quand les forces athées changent le martyre en accident
il n'y a plus de message; même quand on fait c'est comme si on n'avait rien fait.
Les agents de radio et de télévision sont experts en camouflage, de tout ils font
des riens, qu'est-
Elle se releva et regagna sans un mot les rangs du Comité. Le vieux sénateur, par
respect des convictions, avait cru devoir ne pas bouger. Au téléphone, Simonet mis
au courant par le Directeur exultait : "Je vous avais bien dit, ils se dégonflent,
il suffit d'y aller carrément, ce sont des lâches." L'Histoire est gonflée de Napoléons,
ses borborygmes sont des événements inoubliables qu'adorent ses grands-
On avait tout de même enlevé le plus gros, si j'ose dire, des oeuvres d'art ainsi
que le mobilier. Mais on oublie toujours quelque chose. Et puis qu'est-
Quand on eut rasé, qu'aucun pan de mur ne survécut, comme il n'y eut pas de miracle,
on creusa. Le trou était vaste et profond, il était l'inverse de l'église. Là-
3
La réfaurme sur les r'traites était en marche des milliers de pas de ses opposants
et elle avançait bien. Savarin, traîné dans la boue, s'y vautrait. Les insultes des
ennemis sont douce musique pour qui a les atouts. Sur quoi comptaient donc tous ces
gens pour exercer une pression ? Sur l'indignation des parents ? Les parents avaient
de l'indignation mais contre eux. Sur l'officiel appui des élèves à leur noble cause
? Quand on en est à utiliser les gosses pour un intérêt catégoriel, quand on se sert
des jeunesses socialistes pour étoffer des défilés et entraîner les autres, quand
on tient les élèves en otage grâce au relais efficace des futurs cadres de gauche,
on n'a pas plus de poids car la méthode est trop connue. Alors ? L'intérêt supérieur
du système éducatif ? Etant donné ce que Meumeu et ses Instituts de formation et
ses inspecs en avaient fait, l'argument frisait le ridicule. Tous les slogans réunis,
joints à tous les discours, ajoutés aux tracts, n'aboutissaient qu'à une minable
addition face à la demande républicaine de l'égalité public-
Les Cabochiens soutenaient la grève de certains et l'absence de grève des autres.
C'étaient en fin de compte de bons petits, proches de leurs enseignants eux-
Quand il le rencontra, Proviçat lui fit de son ton suffisant habituel, ses hautes
remarques sur ce considérable problème. Mais croûton lui répondit : "Ta gueule, pauvre
con", et s'en alla. Proviçat en resta ahuri. Non d'être traité de con, il l'avait
été souvent au cours de sa fabuleuse carrière; mais par cet homme, d'habitude si
poli ! On ne l'avait jamais vu sortir de ses gonds ! Et là, non mais vous avez entendu...
? Je n'en reviens pas. Quel manque de savoir-
Proviçat téléphona à Inspec rédgional qui promit de arranger toutes les inspections que le copain voudrait; avec l'autonomie grandissante des établissements, il fallait que les petits chefs soient plus forts, que les petits chefs soient grands chefs, on materait les rebelles, toutefois il s'agissait là d'un cas désespéré, rien ne l'ébranlait dans ses convictions justifiées. L'idéal, expliqua Proviçat, ce serait, puisqu'il défile si bien pour les retraites, de le mettre pour insubordination à la retraite sans solde. L'expression "sans solde" le ravissait, il voyait le croûton mendier pour survivre à la porte des églises; "Puisqu'il paraît qu'il est catholique, il y sera à sa place", ironisa inspec rédgional d'l'éduc avec un rire gras.
Dès qu'il put, Proviçat de son ton suffisant, informa son subordonné devant le regard
extasié de son Sous et les témoins impartiaux Arzi l'andouille et Bizi l'oie de procédures
disciplinaires à son encontre. "Eh bien cela me permettra de vous traîner devant
les tribunaux, les vrais, pas celui "disciplinaire", celui truqué de tes copains",
répondit le croûton au lieu de s'effondrer. Comment ? Proviçat devant la justice
? N'était-
Le conseil juridique de l'académie conseilla d'éviter un procès, inspec rédgional d'l'éduc fut prié de s'occuper de ses paperasses et Proviçat de gérer les difficultés temporaires dues aux circonstances agitées et à la surexcitation compréhensible de gens révoltés contre un pouvoir juste pour défendre des droits condamnés.
Quand Proviçat revit pas hasard croûton, il fit la grimace mais il lui serra vigoureusement la main. Tout était oublié, voyons.
4
Quiqui rongeait son frein. Il avait lu dans un journal les statistiques de son ministère.
Eh bien ! Y a des vols tout partout, y a des agressions en progression, les assassinats
en progression; le progrès c'est bien mais pas celui-
Il fallait agir.
Si tu veux devenir président, agis.
Mais qu'est-
Finalement Quiqui de l'Intérieur choisit de s'en prendre à la police.
Après tout c'était elle qui aurait dû faire baisser la criminalité et celle-
Chez nous, pour éviter les bavures, on avait ôté les balles des armes à feu. Le chef
de l'ordre était très fier de cette mesure qui sauvait la vie à quatre ou cinq personnes
chaque année; les bandits ne tiraient plus sur les policiers puisque ceux-
Notre chef de l'ordre avait été nommé à ce haut poste par le dignitaire précédent de l'Intérieur, un socialo qui privilégiait la prévention par rapport à la répression. Sur le papier la théorie se défendait, sur le terrain l'effet selon lui était à long terme. A très long terme sans doute. Il avait nommé chefs ceux qui adhéraient à ses conceptions et bloqué la carrière des réacs, de ceux qui ne comprennent pas que les temps changent alors la police change. On avait constaté qu'il bénéficiait d'un taux élevé d'avis favorables dans la pègre.
Au début notre chef de l'ordre avait eu du mal à s'imposer. Mais il avait fait venir
dans son bureau un à un ses subordonnés et leur avait expliqué que s'il était le
chef c'était parce qu'il leur était supérieur et qu'il avait le pouvoir de les briser
s'ils résistaient. En somme la méthode de Proviçat. Et les résultats étaient là,
c'est-
Quiqui vint donc sur le terrain. Il était accompagné de fonctionnaires importants
dans de beaux costumes. Lui-
Celui-
Quiqui épingla une médaille sur la poitrine de Gros-
"Vous n'êtes pas des assistantes sociales." Tel fut le début et comme notre chef de l'ordre avait l'habitude de dire que le policier doit d'abord être prêt pour tous ceux qui ont besoin d'assistance avant de représenter la force, il pâlit légèrement, mais il sut cacher son dépit de voir un réac à la tête du ministère.
Quiqui brusquement obliqua sa tête vers lui et la leçon commença : "La police doit assumer son rôle répressif, on la paie pour faire peur aux bandits pas pour leur tenir la main. Les assistantes sociales c'est très bien, elles sont très utiles, mais ce n'est pas vous. Il s'agit d'un autre service de l'état. Et d'un autre ministère. Vous, l'argent des impôts vous en recevez une partie pour des actions spécifiques. Vous n'arrivez déjà pas à les effectuer ce n'est pas pour vous charger d'autres tâches. Faites les vôtres. Moi je n'ai pas d'état d'âme, ceux qui en ont qu'ils changent de métier. Les Français attendent de leur police qu'elle les protège, pas qu'elle soit pleine de compréhension pour les pauvres malfrats victimes de la société, les défavorisés qui de ce fait ne seraient jamais vraiment coupables de rien..."
Et comme ça pendant trente minutes. Il humilia devant tous le chef de l'ordre et
comme celui-
5
La Bizi déboula en salle des profs à la récréation de dix heures en hurlant : "Selon le croûton, i a eu d'l'art pour l'art au XIXe maintenant !" Elle faisait très régulièrement de grandes découvertes et avait l'habitude de manifester son indignation contre tout ce qu'elle ignorait en le hurlant de la sorte. Avec une suffisance digne de celle de Proviçat, elle se prenait pour une référence. Pourtant elle n'avait aucun diplôme d'enseignement, non, de bons rapports avec et de Inspec rédgional à la place, et son mari naturellement, et la discrimination positive non officielle bien due à son origine maghrébine. On ne peut rien dire contre elle puisque ce serait forcément considéré comme raciste. Attention !
Elle avait tout de même une spécialité, elle avait appris à l'Instit de Formation
la fiche-
La carrière de Meumeu et celles de ses adorateurs restaient de grands exemples pour les jeunes.
Les relations dans ce métier sont tout, le travail honnête et patient n'est rien.
Le mérite consiste à avoir les copains qu'il faut. Ainsi Bizi l'oie avait du mérite
à défaut de savoir, elle baladait les gosses, organisait de grandes expositions dans
l'entrée du bordel-
Bizi l'oie avait un bon service de renseignements. Grâce au mari, Sous du coclège
voisin où elle habitait par conséquent (seul défaut du mari, la gratifier de musulmanes
baffes hors violences conjugales pour la faire tenir à peu près tranquille), elle
connaissait de nombreux Marmousets lesquels en devenant Cabochiens étaient de précieux
aides des forces de progrès dans le bordel-
Donc en ce beau jour Bizi l'oie découvrit l'art our l'art. Tout de suite elle eut
la vision d'un beau poaime, d'un genre nouveau (pour elle) où elle glorifierait son
propre logement avec ses fleurs sur le balcon propriété de l'état. Consulté, le spécialiste
de la poaisite, l'Arzi, opina. On écrirait à quatre mains, le poaime serait quatre
fois plus bô. La poaisite en équipe c'est comme la pédagoglie en équipe, c'est forcément
meilleur. Les Cabochiens savent tous bien travailler en équipe. Un exemple : les
spécialistes du vol de sac à l'arraché, il faut un Cabochien pour conduire le scooter
et un Cabochien pour arracher. Pour le hasch, il faut un réseau. Pour devenir Proviçat
aussi, l'Arzi était le premier à en convenir. L'essentiel est de constater que le
croûton sans être même consulté participait aux progrès de la culture au bordel-
C'est que maintenant il était à la tête d'un syndicat-
6
Devant le trou de l'église les débats vont bon train. On est entre hauts responsables.
Il n'y a pas seulement Simonet cette fois, Merlet est là en personne. Il est puté
aussi mais c'est en temps que Merlet que cet homme très occupé nous fait l'honneur
de sa présence. Sur son beau costard sa crétaire au saut du lit a épinglé sa toute
nouvelle légion d'honneur. Tout le monde a félicité, sale con t'as des relations,
toi, à commencer par ton papa qui t'a cédé la bonne place de maire, fonction désormais
héréditaire. Ce qui le préoccupe, ce qui l'inquiète, ce n'est pas le trou, non, il
en a fait creuser assez souvent aux quatre coins de la ville, mais le remplacement
pur et simple d'un lieu de spiritualité par un lieu-
Celui-
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Un silence révéla le poids de cet argument. D'habitude on fait sauter le centre des impôts mais les plus routiniers même peuvent changer.
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En effet Merlet voulait une nouvelle mairie, grande, moderne, chère; il avait choisi
son site, une méchante vieille gare désaffectée et donc à ôter, et avait présenté
le magnifique projet, un de ces trucs passe-
Il avait fallu composer. Et jonc jonc jonc. Désormais la nouvelle mairie serait moins
moderne parce qu'il y aurait la gare dedans. Curieux mélange. L'architecte avait,
croyait-
Mais là, pour l'église, un trou. Grand. Large. Profond. De quoi enterrer plusieurs carrières politiques. En tout cas, toi, Simonet, tu es bon. Fini, le Simonet. Halte aux conneries.
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Le représentant de l'évêché souriait modestement et attendait. Il avait son idée. Il attendait que les autres soient prêts.
On cherchait une solution, on ne trouvait pas, on se tourna tout naturellement vers
le représentant de Dieu. Celui-
Le Di fit la grimace, Simonet maugréa un méprisant "C'est idiot", Merlet approuva.
Le soir, il téléphona lui-
7
A l'approche de Noël, l'événement chez nous est le bain dans la mer froide. Il y a une petite foule. On approche de l'eau à 15 °, on la regarde sans peur, fièrement. L'homme est un homme parce qu'il domine les éléments naturels. La télévision est là, bien sûr, pas le moment de se dégonfler; aux actus de 20 h le pays entier, frigorifié, nous regardera nager. Très vite enlever ses habits, aller à l'eau sur les galets roulants, et ma foi, on s'immerge, et on nage on nage pour se réchauffer, chaud dedans, vite revenir à la côte hospitalière, interview entre la rive et la serviette. Encore une fois l'homme a dominé la nature.
Cette année, pour contrer sa baisse dans les sondages dues à la connerie de Simonet,
Merlet a décidé de participer au bain. Il en a prévenu les organisateurs habituels
qui se sont réjouis de ce retour à la grande tradition. Son ancien concurrent à la
mairie, un habitué de la petite joyeuseté froide, Nona, un vieillard d'une robustesse
étonnante, en resta coi : "Le Merlet ? I veut faire la course avec moâ dans l'eau
? l'eau de la mer de glace ?" Son petit-
Pendant ce temps Merlet s'entraînait dur. Lion-
Le grand jour de la trempette sonna. La foule était assemblée quand Lion-
On emmena un Merlet triomphant qui claquait des dents.
Savarin devant sa télé admira la performance. Et considérant ses propres sondages
(ils avaient été hauts, ils étaient bas), revint au problème de leur réchauffement.
"Faut oser, c'est tout", remarqua-
Une idée avait en sa noble tête creusé son trou. Elle s'y lovait avec délectation
et n'attendait qu'une occasion pour se montrer à la face du monde. Le battage incessant
des médias sur "tu donnes pas t'es raciste", "tu donnes pas t'es cause des cancers",
"tu donnes pas t'es cause des maladies rares", "tu donnes pas t'es cause de la misère
dans le monde", "tu donnes pas des êtres comme toi c'est écoeurant, ils ne devraient
pas exister"... préparait bien le terrain mental des citoyens pour une nouvelle récolte
des poires. La solidarité avait même eu son ministère, on vous expliquait que les
impôts ne pouvaient augmenter au-
Savarin avait eu une idée-
Il jouissait d'avance du bonheur qu'il allait donner à toutes les Françaises et à tous les Français. Qu'ils avaient donc de la chance d'avoir un Prime minister qui avait piqué les Teutons.
A la télé, la nationale, une chaîne bonne copine -
Savarin expliquait avec son éternel sourire (de ses lèvres le sourire politique ne pouvait plus disparaître, une sorte de paralysie l'y avait à jamais figé) :
Les vieux, les 15 000, morts de la canicule, son ministère n'y était pour rien. La
preuve ? Il était en vacances. Mais les Françaises et les Français, eux, pour beaucoup
étaient à la maison. Et qu'est-
Voilà comment vous allez remplir les poches de la solidarité. Vous allez travailler un jour chômé, vous allez travailler le lundi de la Pentecôte. Pour rien. Et l'argent ira en partie aux vieux survivants.
L'idée était si belle qu'elle laissa muette la population, la presse socialo-
8
Notre chef de l'ordre n'avait jamais aimé Gros-
La Flicaille, lui, avait un problème pour cette mission : il était un client habituel.
Il aurait bien aimé avoir une belle épouse mais les garces n'avaient pas voulu, elles
lui en préféraient d'autres, on ne savait pourquoi, elles l'avaient laissé tout seul.
Dans les agences spécialisées, les entremetteuses lui avaient déclaré catégoriquement
qu'il était trop difficile. Restaient les filles à péage, et après tout c'était moins
cher que les agences matrimoniales. Mais pour l'autorité le fait d'être client n'aiderait
pas. Il confessa son problème à Lola et à Gros-
Gros-
La bagnole policière rôdait dans les avenues et sur le bord de mer à la tombée de la nuit. Pas de pimpons, parfois même on éteignait les feux et on roulait enveloppé d'ombre et de mystère, enfin pas longtemps à cause des autres conducteurs. Deux fois déjà on s'était arrêté malgré l'avis contraire de La Flicaille; les tenues voyantes, les positions contre les capots de voiture, le regard accrocheur étaient d'évidents signes de dépravation morale, de racolage passif mais clair ! En fait il s'agissait de paisibles rombières attendant le passage du mari pour rentrer chez elles. "Je vous l'avais dit, remarqua le consultant La Flicaille, faut l'oeil; si vous vous gourez encore on va finir par avoir des ennuis." La sagesse lui remit désormais la décision. Le savoir était au pouvoir.
Il repéra Ulrika à son carrefour habituel et, plein de sympathie, conseilla à Gros-
En s'approchant les héros virent qu'elle avait le visage tuméfié. On l'avait battue.
Gros-
Revenu au havre du commissariat, un interrogatoire filmé eut lieu dans les formes
les plus formelles, histoire d'être sûr qu'elle n'aille pas prétendre avoir reçu
ses beignes de la police. Il s'agissait de savoir qui était le proxénète, quel était
le parcours de la fille. La Flicaille avait une vieille curiosité de client : comment
une fille pareille pouvait-
9
On avait vu Cabochien la blonde accompagner, retour à la maison avec petit détour
? l'Arzi. On n'avait pas de preuve. Ça fricotait, tu penses. Enfin, la rumeur était
bien nourrie, bien grasse, avec peu de détails mais tous succulents. De toute manière,
quoique en 1re, elle était majeure. Ou pas; faudrait voir. Le bruit parvint aux oreilles
de Proviçat, sans nom; il songea immédiatement à croûton, il s'indigna, convint avec
son Sous -
A ce moment Bizi l'oie arrivait. Les temps changent, il faut savoir s'adapter. Quand elle vit Proviçat serrer la main de croûton, elle s'empara à son tour de la main et la serra bien fort. Le canari ne voulut pas rester isolé et il serra aussi.
Croûton n'en revenait pas; partant, il regardait sa main, magique, qui attirait les pognes tel un aimant, elles venaient et serraient. L'avenir est parfois un conte de fées.
La Bizi avait son idée. Sa présence était motivée. Elle avait appris que l'Arzi allait
être viré d'l'éduc et comme il avait de bonnes classes tranquilles, travailleuses
et tout et tout, comme d'autre part elle était la plus proche de lui par leur projetprojet
en équiiîpe, elle était là en sauveur pour des élèves méritants. Bref elle demandait
la place. "Le pôvre Arzi, soupirait-
Proviçat sentait de gros sanglots lui monter, puis lui descendre, puis lui remonter. Il ne pouvait rien dire pour l'instant. Il fallait attendre.
On attend toujours. Il n'y avait peut-
Le stage dont revenait le héros des moeurs concernait l'Internet. La pédagoglie avait
logiquement intégré les nouveautés informatiques et il adorait pianoter. Tout ce
qui était manuel l'intéressait. La poaisite avait besoin de l'internet car avant
elle était pas môderne, ici on ferait de la poaisite môderne, c'était capital. Les
Cabochiens suivirent le progrès car eux aussi adoraient tout ce qui était manuel.
Ils adoraient même ne plus avoir à écrire à la main grâce au dictaphone qui faisait
écrire l'ordina tout seul. Donc l'Arzi épaulé par Bizi disait : "Cherchez ce que
vous voulez", il ajoutait pour faire rire "sauf les sites pornos", alors tous riaient,
sauf Bizi qui, depuis l'aventure supposée, se méfiait, elle lui jetait un regard
inquiet. Elle lui aurait bien raconté l'odieuse affirmation de croûton mais son mari
lui avait promis une baffe si elle disait. Elle résistait. Elle raconta quand même.
Et elle reçut la baffe. Le prix pour rendre service. En cette occasion l'Arzi montra
qu'il avait l'âme d'un chef, il fut augustéen : "Bah, dit-
Ici on est môderne, Proviçat y tient, la pédagogo elle est môderne, et pour le bac
ce sont les copains du syndicat ou du parti qui corrigent les élèves des copains;
gare aux autres; malheur à l'homme seul. Quant à la facultouè, les élèves d'ici n'y
survivent pas parce qu'elle manque de pédagoglie; il faut réfaurmer la facultouè.
Le mieux ce serait d'y enseigner comme au bordel-
10
Revenus de leur uppercut, les travailleuses travailleurs regrettaient leur lundi de Pentecôte. L'Eglise qui avait cru bon de se montrer conciliante constatait avec amertume que céder du terrain n'a jamais fait avancer personne. On lui en voulait d'avoir dit oui sans même se défendre. Qu'elle tende ses joues si elle aime ça mais pas les nôtres; les croyants préféraient une église qui s'affirme.
Mais le chantage de Savarin, omniprésent sur les médias, était imparable : si vous ne cédez pas votre lundi de Pentecôte, vous n'êtes pas solidaire, vous êtes un sale égoïste; le premier ministre lui donne, donne joyeusement son lundi de Pentecôte, et tout aussi joyeusement le vôtre. Vous en bavez dans la vie ? Vous en baverez un jour de plus, voilà tout, c'est si peu. Et beaucoup pour les vieux.
Des mouvements de résistance se formaient néanmoins. S'il fallait se soucier de tous les mécontents... Chosset approuvait l'admirable idée solidaire. Il rêvait de l'étendre. En supprimant d'autres jours fériés on supprimerait d'autres problèmes graves de la société, les milliards gagnés en rognant les vacances des humbles ne seraient pas perdus, du moins pas complètement, une habituelle déperdition est à prendre en compte dans toutes les grandes actions humanitaires. Le 11 novembre pourrait être fêté avec le 8 mai et l'ensemble d'ailleurs avec le 14 juillet. Que de drames évités avec des moyens accrus : on gave les urgentistes, les associations quémandeuses et puissantes, les journaux, on construit des mosquais, on peut distribuer des papiers à plus d'immigrouais en répétant qu'il faudrait diminuer leur nombre... Les possibilités ouvertes sont extraordinaires...
Savarin eut une autre idée. Tandis que les assemblées entérinaient sa réforme sur les retraites, qui ferait économiser puisque les gens travailleraient plus longtemps, il trouva logique, des opposants ayant fait grève le samedi et puis le lundi suivant, de leur faire payer le dimanche. La loi ne l'interdisait pas. Faire payer aux travailleurs leur dimanche rapporterait... Fabuleux.
L'indignation fut grande parmi les syndiqués; elle le fut moins pour les syndicats.
Ceux-
Malgré tout ce travail, Savarin ne remontait pas dans les sondages. Et Chosset baissait.
Il les regardait avec incrédulité. Il ne les regardait plus. Il les regardait. Les
Françouaises et les Françouais ne sont jamais contents. Il se mit à penser aux malheureux
otages enchaînés, emprisonnés dans des caves par des arabislams fous. A cette époque
on avait toujours quelques otages en réserve dans les pays du Proche-
A partir de là nous sommes dans le secret, dans le mystère.
Un avion privé, cher cher, est parti là-
11
Devant le trou de l'église, le Comité de Soutien a établi une tente à l'endroit du futur campanile. Elle n'est pas habitée. Du moins pas au sens ordinaire. Il s'agit d'une sorte de chapelle. Ouverte. Ouverte à tous. Et certains y viennent. D'ici la construction on a le temps. Les automobilistes qui n'ont pas lu le numéro du journal local qui nous contait l'inauguration de la tente bleue, tout en tournant jugent l'idée saugrenue et se demandant pourquoi, comment elle a triomphé.
A l'intérieur, des mains pieuses ont reconstitué un autel de l'église détruite à
partir de pierres recueillies sur le terrain. Au-
Les Cabochiens ont eu l'oeil attiré par la nouveauté, nul n'y échappait. Ils sont
venus voir de près, quoique le temps pour arriver au bordel-
Merlet avait inauguré ce lieu commémoratif provisoire aux côtés de l'évêque et du vieux sénateur. C'était beau de voir tout le monde d'accord. Le Di de l'Ecole de Commerce était également présent. Un quart d'heure avec les paroles notées par la presse, un quart d'heure de concorde, de paix, pour que chaque pouvoir ait ce qu'il voulait.
Enfin renseignés les Cabochiens tirèrent la conclusion qu'ils ne pouvaient s'approprier
la tente pour un usage utile (une sortie, un pique-
Quelques ouvriers travaillant aux fondations se fâchèrent et menacèrent d'appeler la police; les autres riaient. Les Cabochiens connaissaient la police, ils avaient aussi appris par les médias à la mépriser. Un Cabochien est un roi anonyme.
Un matin les automobilistes virent la tente à terre. Les piquets avaient été arrachés, la toile avait été fendue au couteau, l'autel à nouveau démantelé, la statue fracassée. La police fut chargée de ne rien trouver; Merlet se déclara attristé par communiqué; le petzident du conseil rédgional déclara qu'il n'avait pas été invité à l'inauguration; celui du conseil général idem. Le vieux sénateur renonça à l'idée de dresser une nouvelle tente. Il aurait fallu la surveiller en permanence.
Au bordel-
Sur ce l'Arzi revint d'un nouveau stage, celui-
L'Arzi qui venait d'entendre moult conférences sur la noble autoritouè du chef d'établissement pensa que Proviçat n'était décidément pas à la hauteur; mais, ô habile politique, il ne l'informa pas de son point de vue.
On lui trouva quand même deux élèves qui étaient dans la cour à cause, dirent-
Seul croûton n'avait pas eu un mot aimable pour le futur dirigeant d'l'éduc qui commencerait une fulgurante (sans doute) carrière à trente ans. Il n'admirait pas. Ça alors ! L'Arzi, sûr de sa réaction négative, avait d'abord cherché à lui cacher son objectif; il regardait croûton avec un sourire narquois et suffisant : "Toi et tes titres, ton grade... je n'aurai bientôt plus besoin de Proviçat, Sous d'abord et alors certifiais, puis Proviçat et agrégiais. On me donnera tous les grades pour que j'aie autoritouais sur tous les grades. Et pour ça juste en entretien en fait, dont on m'a donné toutes les réponses." Croûton lui avait simplement dit : "Alors l'Arzi, bientôt Proviçat ?
-
-
L'Arzi avait cru qu'il rendait hommage à son mérite, sa supériorité naturelle qui
le conduisait sur les marches du pouvoir, mais Proviçat le fit déchanter : "Même
moâ, il ne me respecte pas. Même moâ !" Il levait les bras au ciel d'exaspération
et d'incompréhension. Quand les chefs d'établissement auraient-
III
Les contes béton.
1
Ulrika rentre, il est six heures du matin, elle boite, sa lèvre est fendue. Son joli visage sous le masque du maquillage semble défraîchi; sans espoir. On l'a brutalisée dans la nuit. Elle avait déjà mal avant, le jeune homme au regard dur l'a encore frappée. On l'a brutalisée dans la nuit, elle n'a jamais fait de mal à personne.
Une voiture de police s'arrête à sa hauteur. Elle sait ce qu'ils veulent. Gros-
La voiture s'est arrêtée. Gros-
Les ombres quittent la scène; ceux qui sont tout à fait vivants commencent de se presser au carrefour; le soleil s'élève très doux, les mimosas éclairent les parcs des immeubles dont les lumières s'éteignaient. Encore un instant et près de la grande serre violette un marmouset en avance passe lentement, chez lui les parents doivent partir tôt, ils travaillent loin.
On ne voit pas encore de murs sortir du trou de l'église mais il n'y a presque plus d'eau au fond, de gros tubes noirs semblent avoir la mission d'en maintenir les côtés et des pans de béton glissent jusque dans la boue dans laquelle les bottes des ouvriers en s'arrachant laissent des traces qui se referment. Personne ne s'intéresse à l'avancée des travaux, on les a soigneusement oubliés. Même le vieux sénateur ne vient plus et il ne croit guère au futur campanile. Le travail est fait.
Des Cabochiens apparaissent, en pleine dispute. Une histoire de devoir pour lesquels certains n'ont pas eu les réponses à temps et risquent une punition. Comme si c'était de leur faute.
On va célébrer les mimosas et on va célébrer les citrons; gloires locales. La glu à touristes est jaune, le touriste aime le bleu en été, le jaune en hiver. Les sociologues et les psychologues se sont penchés sur son cas : il se paye cher une petite alzheimer momentanée avant la grande dont on le menace souvent à la télé, il se prépare en somme à l'alzheimer par les mimosas et les citrons.
A cette occasion on fête carnaval. Longuement. On a laissé en place les guirlandes
d'ampoules depuis Noël, on allumera Noël et ce sera joli au carnaval. En outre on
verra des chars avec des grosses têtes, ça plaît aux gosses et aux vieux, ceux-
Le résultat pour notre carrefour est un embouteillage particulièrement bien bouché pour des raisons routières encore plus confuses. Mais la carnaval gêne les travaux du trou. Le béton n'arrive plus. Le ferraillage manque de ferraille. La vengeance des citrons est terrible, elle se calcule en jours de retard; la Vierge Marie est narquoise, elle bloque les feux au rouge et bénit le radar.
N'empêche que les Cabochiens sont très affairés en ce moment. Ils ne sont pas en vacances alors que les touristes rappliquent, quel cumul de boulots ! Le carnaval c'est 15 % du chiffre d'affaires du Cabochien intelligent, tu as toujours à ramasser en services, en trouvailles diverses, parfois directement sur le touriste, tu peux être sur un char (surtout les jolies filles), la Cabochien blonde a une autorisation spéciale de Proviçat pour défiler sur un char, et puis un coup de chance tu rencontres un riche... ou une riche...
L'Ecole de Commerce participe au carnaval pour la formation de ses étudiants et les
bénéfices qu'elle en soutire. Aussi n'est-
On répète le bonheur à oeillères pour gens d'ailleurs avec des variantes légères,
ils viennent assister à une fiction de fête, ils se sentent fiers de débarquer comme
Napoléon ici même qui a conquis une plage parce qu'il s'ennuyait sur une île. Quand
on sait que l'on doit être content et s'amuser, il suffit de suivre les règles, sinon
: "Rabat-
2
Quiqui en a bien ri dans son Intérieur. Ses propres radars l'ont flashé à 170 sur
une autoroute. Il avait dit en somme à son chauffeur : je suis pressé alors presse-
La presse a repris la petite drôlerie de Quiqui; on s'est marré partout entre hommes, les femmes ont fait leurs gros yeux ronds furibonds. Il va falloir une action pour ne pas perdre leur électorat.
C'est ainsi que des photos dans un magazine à grande diffusion nous introduisent
dans la vie privée de l'Illustre. Comme n'importe qui il regarde la télé avec sa
femme, avec ses enfants; sa femme l'aide bien dans son travail, sans elle il n'y
arriverait pas, sans elle il ne serait pas ce qu'il est. La famille est bien logée
mais la maison ne sent pas le fric, de son côté à elle il n'y avait pas d'argent,
leurs enfants ne sont pas charmants, ils sont comme les autres, sûrement moins bien
élevés, enfin la femme fait ce qu'elle peut, ce n'est pas une critique, mais il faut
qu'elle aide son mari. Ah elle sait jouer du piano; comme ce doit être agréable quand
la télé est en panne. Ils ont un chien, mais moins beau que le nôtre, hein toutou,
viens voir la photo, qu'est-
Pendant que son ministre cultivait son image, Savarin ramassait les débris de la
sienne. Les sondés n'avaient pas trouvé marrante l'idée de faire payer des dimanches
aux grévistes, décidément on ne goûtait plus les bonnes blagues dans ce pays décadent;
et pis... le lundi de la Pentecôte les égoïstes ne voulaient pas le donner, le coup
de la solidarité était un coup de Jarnac, la générosité vide-
Savarin préparait sa contre-
4
Et voilà que le trou de l'église n'est plus un trou. Du béton nous en est né, mêlé
de ferraille. Le commerce remplace l'âme. Aussi elle se défendait si mal, sans argent.
Les temps nouveaux sont pleins de promesses, surtout de promesses; en donnant des
sous à l'Ecole de Commerce vous trouverez peut-
Les bétonneuses ont un ronron qui ne dérange pas comme les cloches, on les entendait
jusqu'à la cité interdite, les musulmans se plaignaient : elles empêchaient d'entendre
le muezzin, et puis ce n'était pas leur culture, pas leur civilisation, alors de
quel droit les dérangeait-
Il paraît que c'est normal qu'il y ait des laissés pour compte parce que c'est toujours
comme ça, c'est plus normal quand on n'en fait pas partie, on n'aspire pas à la vache
enragée qui devrait être réservée aux génies avec leur revanche post-
L'immobilier, pour le cas où vous auriez des actions ou des investissements directs, flambe. Une bonne nouvelle, hein ? Les loyers grimpent, les profits grimpent, les prix de vente grimpent, le nombre d'acheteurs potentiels baisse; mais ce n'est gênant que pour eux. Les économistes expliquent que la bulle gonfle donc il faudra savoir vendre avant qu'elle n'explose mais la pierre c'est du sûr, elle n'explose pas comme les actions en bourse au dernier krach.
Croûton vient de faire une croix sur une espérance d'achat. Il doit déjà payer ses dettes à Savarin, tous ces dimanches payants qu'il a vécus à ne rien faire comme les autres, payants pour lui. Parce qu'on lui a pris une partie de sa retraite il paie des dimanches. C'est la nouvelle logique; tout le monde n'apprécie pas ses progrès.
Le croûton il n'est pas aimé pasqu'il é pâ côm les ôtres. Les ragots ne sont pas
bons sur lui. Difficiles de trouver son péché originel -
L'Arzi, que tout le monde aime, un brave petit con bien de chez nous, ne l'aime pas.
Dès son arrivée il a senti en croûton le type qui n'était pas favorable à sa carrière,
un type qui aurait voulu que l'on tienne compte de diplômes ou de trucs comme ça;
or l'essentiel est de s'in-
Meumeu, dans une de ses célèbres conférences, l'a proféré : "L'élève avant le cours,
l'élève après le cours et à bas le cours !" En gros fallait casser le système et
quand il ne resterait rien, que resterait-
Du reste tout le monde commentant gravement les dernières infos sur lui, finissait par subrepticement piquer une part de ce qu'il enseignait. L'espionnage culturel avait finalement une fin méritante. Tu piques et tu profites. L'Arzi s'était entendu féliciter par Inspec rédgional pour un quart de cours inspiré de très près pas un cours du croûton venu à lui par l'intermédiaire de la Cabochien blonde. A l'occasion, si son intérêt direct le demandait, elle savait très bien prendre des notes.
Bref il fallait se débarrasser de croûton mais pas tout de suite, Arzi l'andouille
était pour un moratoire. Proviçat s'inquiétait. Et s'il contaminait tous les braves
? La tolérance excessive finit par être un danger. A force de piquer, les autres
ne risquaient-
5
On sortait devant les mairies les panneaux de bois pour les élections régionales. Les affichettes légales que l'on avait déjà vues ailleurs y seraient collées. Les déchireurs allaient pouvoir pratiquer leur art.
De savants calculs avaient persuadé Chosset et Savarin que les Françaises et les
Français comprenaient leur action et sauveraient les meubles de la droite dite républicaine.
Peut-
Ce qui le préoccupait davantage était le procès imminent en appel de son ancien bras
droit, premier ministre, conseiller, le fusible Jupin, accusé de tas de petits détournements,
pots-
Quiqui avait fait savoir qu'il allait prendre la suite de Jupin à la tête du parti
du président. Le toupet ! Savarin, mandaté par Chosset, lui glapit à peu près ce
discours : Tu te tiens tranquille, tu te tais, tu fais ce qu'on te dit. Et pour claquer
le bec de l'agité, Chosset dit noblement à la télé : "Je décide, il exécute." Quiqui
pencha la tête en zyeutant le Chosset : "Croâ ?" dit-
Les électeurs cependant ne se préoccupaient pas des élections. Ils semblaient ne
pas comprendre à quel point elles étaient importantes pour les politiques. Les qualifiés
du haut conseil des partis hésitaient : fallait-
On ne pouvait pas dire que ça allait mal en cette chossétienne période, non, valait
mieux pas l'dire; tu parles contre l'immigration folle, en taule; tu parles contre
la mondialisation cinglée, en taule; tu parles contre l'européanisation dingue, on
ne te met pas en taule tout de suite... on attend que tu parles aussi de l'immigration.
Car tu es raciste; sans le savoir, soit. Mais tu l'es. Puisque tu t'opposes à la
marche de l'Histoire servie par les grands-
La liberté d'expression est capitale pour admirer les brillantes compétences de la caste dirigeante. Elle ne doit pas être détournée de son noble but par des irresponsables qui veulent se mêler de ce qu'ils ne peuvent évidemment pas comprendre. Faut une grosse tête, hein ! Je décide, vous approuvez. Le droit de vote est capital dans une démocratie pour donner la crédibilité à la caste dirigeante. Ça fait bien sur l'échiquier international où les puissants jouent sans vous.
Mais l'électeur, décidément, est louche ces temps-
A part ça, il fait beau chez nous, un peu frais, mais le ciel est bleu, la mer bave languissamment sur les galets.
6
Le plus grand problème actuel c'est le passage d'Arzi l'andouille à la vitesse Proviçat.
Aidé de toutes parts, cerné de bonnes volontés, poussé et tiré, il avait du mal.
Vous auriez dit quelqu'un avec un escargot porteur sous chaque pied. A-
L'Arzi avoua tristement un jour à Bizi l'oie : "Franchement... tous ces trucs...
moi, j'y crois plus." La confidence était négligemment balancée dans la bonne oreille
et tous le surent avant la fin de la journée dans un bordel-
Tout de même... Le chéri des dieux, le favori des gogoches, le rejeton prédestiné de Pédagoglie et de Proviçat, avait perdu la foi ! O espérance, comme tu nous fuis. Quelle pouvait être la cause d'un tel mou dans la cervelle ? Qu'il s'explique !
Pressé de questions, le futur Dignitaire d'abord résista. Pas longtemps. Puis il
cracha le morceau : Est-
Proviçat fut rassuré : ce n'était pas un manque de foi, c'était un excès de foi qui avait entraîné une dépression momentanée. Il fit venir le disciple en son beau bureau et en prélude il lui passa un disque vidéo.
Il avait en effet un stock. Etiqueté avec un maniaque soin. Il s'agissait de la collection complète des discours de Jozin. O Jozin, comme ils ont été mauvais, les Françouais, en te virant de la politique ! Mais ne leur en veux plus; reviens. Reviens, Jozin !
Il mit un disque d'or dans le lecteur vulgaire et la figure sacrée et parlante apparut. Il prononçait son "Sermon sur le montparnasse" qui dictait les lignes de la foi aux missionnaires, rayonnants d'abnégation à ses pieds. Proviçat sortit son mouchoir et s'essuya les yeux. Puis les lunettes. Jozin expliquait que la lutte serait longue et rude mais que la victoire était inéluctable car elle était inscrite sur les tables de l'Histoire. Il l'avait vu, il l'avait lu, vous pouvez me faire confiance, je vis une échelle et j'entendis une voix qui me dit : Monte, je montai, un échelon après l'autre, puis deux à la fois, puis trois, enfin dans un cumulonimbus très propre, entre un boeing qui partait à ma gauche et un airbus qui revenait à ma droite, je vis les tables. Elles étaient très bien écrites. Aucune faute d'orthographe. Au stylo ordinaire. Les dix commandements de la pédagoglie étaient inscrits, les voici : (...) Ils les connaissaient tous deux, vous les connaissez, passons à la suite... Quand même :
Tu ne pactiseras pas avec la drouète.
Tu feras l'instruction des forces de progrès.
Tu adoreras Meumeu la semaine, te reposeras le samedi et le dimanche.
Tu oeuvreras en équîiipe et ferez la tortue face au privé.
Tu parleras du foot dans tes cours.
Tu répéteras souvent que l'anglais est Le langue international.
Tu organiseras de grandes expositions.
Tu sortiras l'élève régulièrement.
Tu aimeras Proviçat comme toi-
Tu participeras aux sorties libres entre professeurs de gauche.
Tu admireras la poaisite des néophytes.
Tu mangeras à la cantine au moins une fois par semaine.
Donc du bon sens, et du bon sens, et encore du bon sens. Pourquoi y a-
-
-
Ils étaient très émus tous les deux. S'étreignirent. Et l'Arzi ressortit du beau bureau les doutes bien balayés, l'esprit lavé pour de nouvelles aventures.
7
Du reste il avait besoin de toute son énergie pour gérer ses multiples activités
et la poubelle débordante des problèmes qu'elles produisaient. Comme il ne suffisait
nulle part devant toujours être ailleurs, il comptait beaucoup sur les autres. L'entraide
n'est-
Un de ses problèmes les plus urgents était de rassurer la Cabochien blonde sur sa
mention au bac. En effet elle voulait, elle désirait, elle exigeait une mention.
Pas une mention très bien, mais non, elle n'allait pas jusque là. Mais une mention
bien. Elle estimait l'avoir méritée. Comment une idée aussi bizarre avait-
Un autre problème était la cohabitation poaitique avec Bizi l'oie. Elle-
Et puis on a tout fait avec l'internouette, le pi-
Les sans-
Alors la Bizi frappa un grand coup, elle sortit un atout maître. On vit surgir au
bordel-
Donc elle apportait l'image de la réussite aux ados créateurs. Elle avait conscience
de son rôle social. Elle voulait être utile. Elle mettait très haut la gueulante
française; les autres chanteurs made in France se hâtaient en cas de célébrité de
brailler englishe, ils s'éclataient mieux, ils espéraient percer à l'étranger, ils
étaient pressés de devenir améquicain; mais elle, elle n'avait jamais bien réussi
à prendre l'accent quicain. Proviçat, averti de la venue de la belle, avait costumé
sa grasse personne en beau. On ne sait jamais. Il avait entendu parler de La belle
et la bête... Le croûton y aurait d'ailleurs fait l'autre jour une mystérieuse allusion
mais en regardant la Bizi. Quelles pouvaient être les pensées secrètes d'un être
si profondément coupé de l'idéologie collective professionnelle ? Enfin, n'y pensons
plus pour le moment, et allons recevoir l'enchanteresse. L'idéal eût été que tout
le monde sur son passage se rangeât en files d'adorants et chantât sans notes fausses.
Mais on ne retape pas en cinq minutes un bordel-
8
Merlet vint voir le trou qui n'était plus un trou. C'est si beau le travail humain qui consiste à boucher. Oh mais c'était beaucoup plus avancé qu'il ne croyait ! Notre carrefour est un peu loin de sa mairie, il n'a pas souvent l'occasion d'y venir, or... Félicitations, Messieurs, et aux ouvriers aussi, naturellement. Du beau boulot.
Les murs de béton gris dardaient. Le soleil s'y éteignait en douceur, perdu dans
leurs taches innombrables; ils dépassaient la palissade, on les voyait de la mer.
Certes l'époque où les architectes prétendaient nous faire admirer le béton nu est
révolue mais on le regrette presque quand on voit ce beau gris à taches, si gris,
c'est, paraît-
Merlet ne se présente pas aux régionales. Non, il est merlet, il est puté, et aussi
conseiller général... en plus cette élection, il ne la sent pas, l'électeur décidément
lui paraît louche ces temps-
Donc Lion-
Sont là aussi le Di de l'Ecole de Commerce au sourire très coincé quand on parle
du campanile et l'architecte qui en a "marre de leurs conneries" mais qui a toujours
jouissance à admirer du beau béton, il espère obtenir qu'on ne le couvre pas entièrement,
qu'on en laisse un peu à l'admiration des esthètes. Pas de Simonet. Ce mauvais adjoint,
bien condamné par Lion-
On aurait pu aussi conserver un trou, modeste, en souvenir de l'autre. On l'aurait baptisé Simonet. Les futurs fins politiques y seraient venus méditer. Le campanile ne les attirera pas. Surtout pas les arabislams de plus en plus nombreux à vouloir se présenter parce qu'ils ont l'électorat des mosquées. Mais Merlet, lui, restera le champion du trou de l'église, celui qui sauva l'âme.
Il a suffi qu'il se déplace jusqu'à notre carrefour perdu et l'âme est revenue. Contre les voitures et le commerce et le violet incandescent de la serre étouffante qui brille dans la nuit, l'église fantôme survit, le campanile rappellera à tous la malédiction de ses assassins aux bonnes intentions fric.
9
En tout cas , l'Electeur y allait. Il se déplaçait. En masse. C'en était inquiétant. On a besoin de votants mais pas trop n'en faut; le bon petit matelas d'abstentionnistes rend plus maîtrisable l'élection par les médias dévoués. Quand des gens qui ne lisent pas, qui ne regardent pas le 20 h à la télé, qui éteignent la radio si elle veut glisser des actus, viennent quand même voter, marchent sur l'urne, l'inquiétude cafardeuse vient lanciner dans les crânes bien peignés des De la politique. Sous prétexte que dans une démocratie on distribue généreusement une carte d'électeur à tous les citoyens, des indésirables en profiteraient pour voter.
Certes on avait remanié le système depuis les dernières régionales. Les forces de
l'Extrême, majoritaires par-
Mais que se passait-
Bref, la droite au pouvoir perdit toutes des régions sauf une. L'Extrême maintenait son fort pourcentage de partisans mais comme le système démocratique n'avait pas été maintenu il n'aurait pas d'élu.
Chosset prit en ses propres mains la presse à l'encre salissante, coupa son sonotone pour stopper l'intarissable bavardage de Savarin et lut en personne les résultats. C'est vrai que ce n'était pas bon. Ce n'était même pas bon du tout... Ainsi, une fois de plus, il n'avait pas été compris... On n'avait pas assez bien expliqué à l'électeur. Ce dernier n'était pas brillant, il comprenait souvent mal, il fallait lui expliquer et lui réexpliquer. Il fallait communiquer plus et Savarin, ce con, n'avait pas su y faire. Ah, Chosset était mal servi ! Enfin...
A sa première apparition publique après cette défaite qualifiée d'historique par les charognards, un djournaliste fêlé lui demanda s'il comptait démissionner. Une telle naïveté ne méritait même pas de sanction; quand tu as la bonne place, tu la gardes. Chosset haussa seulement ses épaules comme Atlas pour donner un soubresaut à la terre, et chassa la mouche. Même quand après avoir dissous une assemblée dans laquelle il avait une écrasante majorité, il s'était retrouvé avec une avalanche de putés de gauche qui avaient imposé la nomination du socialiste Jozin comme premier ministre, il n'avait pas, alors là... pour de simples régionales... la question était même cocasse.
C'était, soyons franc, la faute de Savarin. Certes il était obéissant et suivait à la lettre les ordres bienveillants de Chosset mais il n'avait pas su appliquer; la preuve. On le gardait quand même, allez. Mais oui, tu restes. Savarin en eut les yeux tout humides. Il rentra en son palais pour annoncer la bonne nouvelle à sa femme, mais en approchant il vit une agitation extraordinaire.
Des voyous essayaient de jeter ses affaires par les fenêtres malgré l'héroïque défense
de femme Savarin, et tout cela sous l'oeil impassible de la garde qui ne chargeait
pas. C'étaient les prétendants qui venaient s'installer, ils étaient trois ou quatre;
seul le malin Quiqui n'était pas tombé dans le panneau, il attendait son évidente
nomination sur la tour la plus haute, il s'emmerdait un peu à force d'attendre d'ailleurs.
Dans la cour Savarin cria "je reste !" Un brusque silence se fit. Les têtes des prétendants
parurent aux croisées, rouges du feu de l'action, l'un échevelé, un autre griffé
odieusement par femme Savarin, une troisième un sabre à la main. "Ce n'est pas possible",
articula avec peine le défrisé; "Chosset n'oserait pas bafouer le peuple", remarqua
avec bon sens le bien griffé; "Tu rentres, je t'embroche", dit sobrement l'ex-
Ceux-
10
Quiqui avait été désillusionné mais son moral restait un diamant. Si le Chosset il avait perpétré un sale coup de plus, au lieu de se retirer noblement, de laisser sa bonne place, il n'en serait que plus honni. Ne pas avoir nommé Quiqui Prime minister, c'était triste pour France. Mais il était là quand même, rassurant, parlant vrai, sans langue de bois.
De nouvelles plumes lui poussaient. Parmi toutes les noires, petites encore, en apparaissaient
de fines, élégantes, rouge et or. Il les contemplait avec satisfaction, les lissait
du bec avec soin sans tirer. Il parcourut intégralement les rues de la mode, la rue
Saint-
Chosset et Savarin qui n'en voulaient plus au gouvernement durent le nommer dans
le nouveau gouvernement, il était désormais trop fort dans le parti du président
qui tout doucement devenait le sien, toujours pour le président, mais plus le même.
Afin de le changer agréablement et dans l'espoir qu'il se casse une jambe on en fit
le ministre-
Il s'installa avec satisfaction dans les locaux modernes à la vue fantastique; avec
sa longue vue il surveillait tout Paris et dirigeait d'ici ses troupes de l'Intérieur,
lequel avait du reste un nouveau représentant. En outre il décida de prendre des
mesures. Diverses. Chosset les débina et Savarin les enterra. Il les ressuscita.
Tout le parti derrière lui. Contre les deux puissants qui leur avaient fait perdre
les bonnes places. Et puis contre le Turc Chosset il fut anti-
Ceux-
Quiqui une fois de plus dit ce qu'il fallait taire sur un problème crucial que seuls les hauts poliloustics pouvaient maîtriser; alors les gens de la rue crurent que leur réaction peureuse était une opinion et, trop faibles intellectuellement pour maîtriser toutes les données, les pauvres, ils n'approuvèrent pas Chosset. Quiqui triomphait avec un plumage de plus en plus magnifique.
Un jour devant une cour-
A la propagande : ce serait pire sans Chosset, succéda : ce serait sûrement mieux
sans lui. L'Elusé gronda. Chosset hurla qu'il allait virer Quiqui. Il était en effet
président de droit divin. Voilà quarante ans qu'il éliminait tous les éventuels opposants
du parti avant même qu'ils aient eu l'idée de l'être, comment avait-
Le Conseil des Ministres du mercredi fut à l'heure mais les têtes des vedettes fronçaient
les sourcils et gonflaient les joues. Savarin patelin lançait des blagues pour réchauffer
le climat, la micuistre de l'écologie s'en tenait les côtes : "Assez, assez", disait-
Car il y en avait déjà eu un. Un rival qu'il prenait pour un ami, c'est-
L'ambition est le pire des maux. Quand on ne réussit pas. C'est la qualité des gagnants, la plaie suppurante des perdants. Chosset était un gagnant. Il avait la veine. Pour lui seulement, pas dans ses actions, France n'en bénéficiait pas. Une veine qui le faisait admirer de tous les joueurs de loto, très nombreux forcément à perdre chaque semaine. Ce type c'était un gagnant de loto à répétition. Chaque semaine un gros lot. Pas partageur; dommage.
Et Quiqui ? As-
Quiqui n'avait peut-
En attendant mieux il donnait de bons coups de bec à Chosset et à Savarin, et cela amusait.
11
Notre carrefour tremble des travaux, la terre forcée semble bouger sous nos pieds dans un bruit que la circulation ne peut plus couvrir. Des murs, des dalles s'agglomèrent; des escaliers volent et viennent se fixer; dans le ciment humide, coulant, viennent se prendre des éléments préfabriqués qui arrivent sans cesse par camions entiers.
Est-
Les Marmousets ont particulièrement admiré l'exploit. Les Cabochiens, eux, font les
fiers, ils auraient pu en faire autant... Mais les Marmousets ont besoin de modèles
paternels. Que faire dans sa vie pour être un seigneur ? Sans argent -
La police enquête. Du ministère l'ordre est venu : l'équipe des héros seule est capable de résoudre l'énigme. Notre chef de l'ordre a fait grincer ses dents mais il a dû s'exécuter au lieu d'exécuter les autres, ce changement d'habitude l'a forcé à rentrer chez lui, il n'a plus le coeur à son travail, il se sent malade. Lola triomphe.
Et qui connaît mieux qu'eux notre carrefour ? L'affaire sera sûrement classée mais
par les meilleurs. La Flicaille est resté sur le bord du chantier, il ne voulait
pas salir ses chaussures neuves, Gros-
Maintenant ils doivent couvrir de loin et de près les spécialistes venus constater
les dégâts occasionnés au matériel de l'état et y remédier si on peut. On ne peut
pas. Ils installeront un nouveau radar mais il faudra le protéger celui-
Les Marmousets sont contents que l'on ne trouve pas le coupable. C'est comme dans les rares livres qu'ils connaissent et les bons films. Ils espionnent narquois Lola la rousse contre le Robin des radars et ne lui donnent pas une chance.
Ils ont un autre éléphantesque problème. Quand ils rendent des services aux Cabochiens
ils ne sont pas rétribués comme ils devraient. Ceux-
C'est ainsi, grâce à un conflit social, que Lola la rousse tomba sur trois Cabochiens
qui s'essayaient, en vain d'ailleurs, au vol de voiture. Elle cherchait des indices
sur le massacre d'un innocent radar. Elle fut contrariée dans ses investigations.
Et comme ni La Flicaille ni Gros-
IV
Les contes espérances.
1
Dans l'église fantôme, perçant des murs, traversant le toit, se gonfle une école
dont l'importance n'apparaît pas nettement aux badauds nombreux parce que l'on inaugure.
Les travaux sont loin d'être finis mais on inaugure. Les officiels sont pressés.
Merlet voudrait en finir avec ce problème, le Di du Co aussi, pour d'autres raisons...
C'est dur d'enterrer une église même sous des tonnes de béton; elle s'insinuait dans
les têtes et donnait une conscience. Et avec, des remords. Ce fut un bel enterrement,
dans les formes, il y eut des discours, un ruban à couper (Merlet s'y reprit à trois
fois), du monde pas mal, le Comité de Soutien au complet, des ex-
Il y avait pourtant une surprise, justifiant la présence du représentant de l'évêque.
A gauche de l'entrée de l'Ecole, à quelques mètres, proche du trottoir, Proviçat
se trouva face à une croix. Plus grande que lui. Géante ! Il aurait voulu partir;
Rector le fixait; ses yeux de drouète menacèrent la liberté de pensée; Proviçat pensa
à Jozin : que ferais-
"Une bonne idée que j'ai eue là", songeait Merlet toujours prompt à l'autoadmiration.
Une route quelque part devait être élargie, c'était, paraît-
Le vieux sénateur a apprécié la délicate attention de Merlet. Il ne croit toujours
pas vraiment au campanile mais au moins il y a désormais un monument commémoratif.
Lion-
C'est une grande croix sans prétention, sur un socle de pierre blanche (redevenue blanche pour l'enterrement), au métal savamment ajouré, un peu comme pour certaines clefs, où jouent les rayons du soleil. Assez joyeuse, pas intimidante du tout. Elle s'est fait une raison d'être la partie visible d'une église qu'elle ne connaissait pas; elle attend un campanile au carrefour.
Les Cabochiens ont surtout regardé les belles voitures. Ça vaut le coup d'être un
De la politique, t'as vu celle du maire. Lion-
Sommé par Merlet, l'architecte dit quelques mots sur le campanile. Proviçat regarde le ciel, il n'entend pas. Tout le monde applaudit, sauf lui. Rector IV lui lance un regard sévère qu'il ignore, Proviçat est un homme de conviction.
L'Eglise fantôme flotte comme une voile; crucifiée de l'école, elle continue de protéger ce carrefour perdu; le transept déborde de la salle de conférence, le fronton recouvre la fière inscription de l'entrée commerciale, le hall est scandé des statues des saints jusqu'à la chapelle de Marie à droite de l'entrée de la nef qui se perd dans les salles de classe hantées de colonnes avec leurs petits reliefs du chemin de croix. Les murs sont dans les murs, inébranlables et éternels, leur destruction n'est que l'illusion des hommes. Comme l'école tout entière n'est qu'une illusion. Les yeux de la sculpture de Marie voient. La cérémonie s'agite, elle touche à sa fin.
Vraiment on a fait tout ce qu'il fallait. La télé a filmé comme il faut, la presse
écrite a les bonnes photos, tout est bien. Lion-
2
Quiqui avait de plus en plus de belles plumes. A la fois superministre des Finances
et ministre de l'Intérieur, il envisageait sans état d'âme la prise de la place de
Jupin, puis la prise de la place de Chosset. Celui-
Sur la planète entière les égaux sont rares; même parmi la Haute on trouve plus de
déplumés que de fascinants. Mais un solitaire ne passe pas souvent à la télé. Les
belles plumes doivent s'unir pour des effets arc-
Quiqui était dans une phase très morale avec femme de Quiqui encore femme parfaite;
il ne cherchait qu'à produire des arcs-
Ah, ça changeait de Savarin, lui ne recevait jamais personne, il ne sortait pas le
soir et partait tout le temps en week-
Dans ces conditions sa prise de pouvoir du parti de Chosset (qui s'entêtait à ne
pas vouloir) paraissait normale, même le peuple de gauche attendait l'événement avec
impatience. De nouvelles belles plumes or apparaissaient dans le rouge et le noir.
Personne ne pouvait plus rivaliser avec lui. Lion-
Le vote des adhérents le sacra, Chosset mesquin exigea son départ du gouvernement. Selon lui et malgré son propre exemple passé, on ne pouvait être à la fois ministre et chef de son propre parti qu'on lui avait pris. Chosset baissa dans les sondages mais il tint bon parce qu'il était rancunier. Quiqui partit en disant : "Je reviendrai !"
Le coeur des électeurs quitta le gouvernement avec lui. France vivait les cataclysmes à répétition avec le calme de l'entraînement, elle n'avait même pas frémi aux menaces contre l'aimé du terrible Chosset. Quand elle a un favori elle est parfois fragilisée, mais dans ce cas précis son choix ne relevait pas d'un simple caprice, c'était le fruit d'une évolution. Elle constatait que Chosset avait vieilli, à part sa férocité tout était vieux en lui et comme sa santé ne permettrait pas d'avoir des regrets éternels à bref délai, il fallait s'en débarrasser. Au petit chéri elle passait toutes ses fantaisies, comme dans une pâtisserie on laisse le nouvel employé manger tous les gâteaux qu'il veut, certain que rapidement il n'en voudra plus. L'indigestion soigne l'ambition, mal incurable. France gâtait ses favoris à les faire éclater, c'était sa méthode, tout à fait différente des pays du nord par exemple. Les résultats étaient discutables. Mais allez le lui expliquer quand, courroucée, elle enfonce son bonnet phrygien sur sa tête, fronce les sourcils et met les mains sur les hanches. Du reste tout le monde sait que l'on s'ennuie ailleurs; notre télé, notre radio, notre presse écrite sont toutes d'accord sur ce point : il ne s'y passe pas grand chose. Si un avion ne tombe pas, ou si la terre ne tremble pas, ou si de terribles inondations n'inondent pas terriblement... rien. Il ne s'y passe rien. Pauvres gens. En être à attendre, à espérer une catastrophe... J'espère que leur presse leur conte le noble tournoi de Quiqui et de Chosset, qu'elle leur détaille les armes, les chevaux, les écussons, qu'elle donne bien la liste des champions des deux camps, n'oublie pas un mot des superbes défis lancés, qu'elle ramasse les miettes des festins pour les faire analyser, n'oublie pas de visiter les poubelles avant les éboueurs. Mais chez eux, rien. Ah, une fois tout de même, dans un pays proche de nos yeux mais loin du notre coeur on avait changé de premier ministre; ou son avion était tombé, ou il y avait eu un tremblement de terre, ou il s'était noyé. On n'a jamais su. Notre presse libre ne peut pas nous surcharger l'esprit avec des drames externes, elle connaît bien son métier, ses professionnels sont de bons professionnels, ils connaissent les limites de nos pauvres têtes, vite atteintes, ils nous épargnent des réflexions inutiles. En Afrique une fois il y a eu une famine, c'était dans des années lointaines mais on s'en souvient encore car on est trop sensible, je me souviens comment notre vedette féminine du 20 h s'efforçait de s'habiller encore plus mode chic que d'habitude pour nous aider par sa douce image rayonnante à surmonter notre désarroi. Je crois qu'elle a été décorée par Chosset peu après.
Quiqui, rendu à la liberté, fit le tour des circonscriptions. Il voulait rencontrer
le militant de base, lequel était d'accord. C'était peu médiatique. C'était nécessaire
pourtant. Partout il se démena. Partout il serra beaucoup de pognes. Partout il parla.
Finalement, après des tergiversations, il déclara à son parti qu'il faudrait voter
oui au Référendum Européen; lui-
3
Une troupe est assemblée dans le hall de l'école, la partie neuve, collée à l'ancienne comme un raccord de tuyauterie, on entend des commentaires et même des rires. D'abord tous s'étaient regroupés à droite, dans la partie ancienne, puis par le sas ils se sont peu à peu déversés à gauche, dans la partie nouvelle. Quelque chose les a attirés là que l'on ne voit pas depuis la rue.
Deux Marmousets intrigués s'approchent; on ne voit pas. Ils s'éloignent déçus. Pourtant
là-
Dans l'Eglise fantôme, parmi les statues, Ulrika désespérée avance sur les genoux;
l'église flotte de toutes ses voiles dans le vent qui vient de la mer. Elle vient
poser ses fleurs devant l'autel de Marie. Elle pleure. Dans sa solitude elle vient
dire à une présence. Son drame qu'elle ne confiera à personne, son coeur torturé
sont dans le balbutiement de la prière de ses lèvres. Comme elle a vieilli en si
peu de temps, comme les hommes t'ont abîmée, tu n'as plus que le souvenir de ce si
joli visage, tu n'es plus que l'ombre de ta beauté. Les larmes d'Ulrika glissent
lentement dans la douleur des yeux bleus qui survivent, sur les joues flétries et
plâtrées de fard. Elle a toujours voulu être honnête prise au piège de circonstances
qui la dépassaient, tu as voulu mériter l'estime même de tes bourreaux, tu as même
cru apporter du bonheur toi qui n'en avais pas, tu as voulu être une fille bien malgré
tout là où on ne pouvait pas l'être. Les bourreaux ne se soucient de pitié que pour
du commerce d'âme. La prière d'Ulrika devant la chapelle bleue, tandis que les statues
des saints se penchent vers elle, révèle sa souffrance à la présence de Marie qui
étend doucement son manteau sur ses cheveux. L'Eglise a fait disparaître l'école,
elle a arrêté le temps et les affaires, elle vit d'une seule présence humaine; que
reste-
Ulrika est partie; il reste juste le bouquet au bas d'un mur. Les ex-
Ils avaient déjà presque oubliés quand le Di de Co vint voir. Il avait vaguement
entendu dire par quelqu'un qu'il s'était passé quelque chose par là. Tout semblait
normal pourtant. Ah, ce bouquet de fleurs. Il le ramasse. Il le regarde, perplexe.
Interrogés les ex-
4
Avril est moins bleu que de coutume et un vent constant fait plier les pins; les palmiers frémissent d'un envol impossible; la terre pourtant se couvre de petites fleurs sauvages dont les éclats blancs ou jaunes parsèment les herbes. Pâques bientôt et une agitation mystérieuse de certains qui annonce les vacances pour les autres. Juste après : le référendum. L'Européen.
Pour Chosset l'affaire est d'importance. Le blason-
Le oui partit en tête mais le non le rattrapa et le doubla. Ce non concernait une
constitution qui ferait entrer les Turcs et disait nettement que le commerce passait
avant le passé, le passé bien passé, le judéo-
On était dans une époque de grande repentance, un peu sur tout. Le pape avait donné
le ton et Chosset suivait à sa manière. Il s'était donc repenti de la présence française
au Maghreb, de la présence française à Madagascar, de la présence française en Afrique
noire de façon générale... ah que l'on avait été mauvais avant l'arrivée du bon Chosset.
Pour l'Asie on n'y était plus mais il se repentait quand même. Ainsi le glorieux
passé était, paraît-
Comme le non gonflait, il décida de lui porter le coup d'aiguille par une grande intervention personnelle à la TV. On ne sait pourquoi il se croyait un pouvoir sur l'opinion. De grands calculs avaient précédé (et de grands calculs suivirent). En résumé : je parais, je dis ce qu'il faut voter, je décide et ils exécutent; accessoirement je leur dis pourquoi. Ses conseillers avaient travaillé des heures, pesant chaque mot, pour que l'intervention présidentielle ait un impact maximum; les masses du on, convaincues, feraient repentance façon Chosset.
Face à face avec la caméra, le Noble ne cela pas son mécontentement. Comment ! On
se concocte entre De la Haute Iuropéenne une constiti et au lieu d'oblitérer vous
pinaillez ! Ah si j'avais subodoré, j'aurais fait voter le parlement; vos représentants,
vos élus sont à quatre-
Il avait parlé sans regarder ses notes parce qu'il avait oublié ses lunettes. Mais
il était satisfait... Son état-
"Allons bon", dit Chosset, "ils (les Français) n'ont rien compris, il va falloir
recommencer." Car, très naïvement il ne lui venait même pas à l'idée qu'il pouvait,
lui, se tromper. Il était Chosset tout de même. Le phare. Le guide. Les commentaires
des meneurs ennemis se noyaient dans l'ironie; ces gens avaient mauvais esprit, il
ne les aimait pas du tout. Oh, vils noirâtres des forces négatives, sombres têtus
de la France passée, minuscules avortons de la grandeur trépassée, que mes bras puissants
vous écartent, vous écrasent, que ma lumière éclairent les masses bêtes et les conduise
en rangs vers le beau bâtiment tout neuf tout là-
Le cas des socialistes était particulièrement poignant. Figurez-
Seul l'Extrême, la drouète à drouète, semblait serein dans cette campagne. Forcément pour le non, il observait avec curiosité des soutiens inattendus et, ma foi, il ne s'en faisait pas, il ne se fatiguait pas, il laissait Chosset travailler pour lui.
Quiqui dans toute la campagne fit des prodiges. Il alla partout et on ne le vit pas beaucoup. Il prononça beaucoup de discours mais on en entendit très peu. Il servit magnifiquement Chosset sans se brouiller, au contraire, avec ses adversaires. On voyait là un échantillon de ses capacités politiques. France n'avait pas mal choisi son favori, il était malin. Il gagnerait avec le oui, il ne perdrait pas avec le non. Et nul ne pourrait lui faire le moindre reproche.
5
Au bordel-
En apparence tout allait bien, hors le dissident croûton. L'Arzi, malgré ses multiples
occupations, avait trouvé le temps de participer à la campagne du oui, on l'avait
vu aux bons endroits; la Bizi était pour les Turcs; le canari aussi; les profs de
françouè s'étaient associés aux profs d'histoire pour des cours d'éducation civique
principalement destinés aux Cabochiens qui votaient déjà; l'armée professorale suivait
son Proviçat comme France suivait Chosset -
Mais on ne faisait pas que s'occuper du destin du pays, non, l'Arzi découvrait la
lecture en profondeur. Jusqu'ici il avait plutôt été un adepte des résumés des oeuvres
et un passionné des films qui en étaient tirés. Il emmenait toujours les élèves voir
au ciné les adaptations récentes, il n'en manquait pas une. Selon lui la pâle copie
d'un chef-
Le livre, nul n'en savait le titre, mais l'Arzi se livrait parfois à quelques confidences.
Il l'avait déniché dans une librairie. Il l'avait eu quasi pour rien. Il était tout
neuf. C'était merveille que de voir l'astre montant de la pédagogo, bientôt Sous
et certifiais, puis Proviçat et agrégiais, se promener en public avec, en sa poche,
dépassant, le machin. Merveille et moins bizarre que croûton qui se promenait avec
des livres dans la tête. Le contenu était, naturellement, pluriethnique, pluriculturel,
pluriconfessionnel. Un contenu bien pensant à la socialo-
Bizi l'oie s'inquiétait. Est-
Meumeu ouït un écho des événements en sa tour bien gardée, et ses gémissements s'entendirent jusque dans les souterrains de la pédagoglie. Il se passait des choses, des choses terribles. Des attaques contre sa personne. Les patrouilles furent doublées, les contrôles à l'entrée de ses Instituts renforcés et les groupes antiracistes entrèrent en recherche, ils flairèrent partout, mais comme ils trouvaient des racistes partout, on dut renoncer car ils en devenaient suspects.
6
Jozin revint. Sorti de l'Ile du Rouè sans prévenir personne, il marcha sur la capitale
et y fut en trois heures. Son idée était d'une grandeur simple : J'y vais, je gagne
le référendum européen, je reprends la France. La première partie du programme fut
réalisée en bagnole de course rouge et en train. Pour la seconde il se rendit chez
le rondouillard à binocles qui tentait de diriger son parti. "Me voilà", lui dit-
Le non d'une partie du parti serait changé en oui comme l'eau en vin. Il paraîtrait et ça se ferait. Déjà la presse bénéficiait de fuites, laissait filtrer des informations, annonçait le grand retour, qui selon Jozin n'en était pas un, mais qui en serait un. "Il n'est pas venu faire le bisou", remarqua femme de Chosset pas contente, "il aurait pu passer à la maison." "Ces socialistes ne sont pas bien éduqués comme nous", répondit son mari, "j'ai les plus grandes réserves sur leurs établissements scolaires."
Mas ce qui compte c'est de former le maximum de bien votants, et Proviçat avait oeuvré
de toutes ses petites forces dans le noble but. Pour l'heure il vivait dans l'extase.
Jozin est de retour ! Jozin est là ! O Jozin, étoile de ma pensée, toi qui nous clignotes
direction paradis, je suis, et tous les autres derrière moi, ils abandonnent tout
pour suivre l'étoile; elle clignote là-
Chosset ne voulut pas être en reste. Et pour que Jozin n'ait pas tout le mérite du oui à la constiti de l'Iurop, il annonça une nouvelle grande intervention télévisée. Ses troupes de l'Elusé ressortirent leur texte de la fois précédente. Ah on allait en découdre des partisans du non, quelques semaines et il n'en resterait pas un de vivant. Nom de Diou, bataille ! Sortez les drapeaux ! Entonnez les clairons ! Ce sera épique, ce sera grandiose ! Les favoris des dieux, ceux qui ont eu de la veine, s'invitent par la télé chez les autres; l'espace ne leur résiste plus, les murs ne leur résistent plus, le temps pas davantage.
Ainsi on fit revenir l'Ancien, l'Alpha, Degolle, on lui demanda son avis et il dit
oui. Certains, des mauvais esprits, prétendirent que ce n'était pas vraiment lui,
mais une doublure, un acteur payé, toutefois en général ses troupes passées le reconnurent.
Il avait parlé, il fallait s'exécuter. On porta des fleurs sur sa tombe, un peu négligée
depuis quelque temps, pour lui dire merci. Il était là-
Les socialistes ensuite ramenèrent à la vie Prédissident, leur légende, leur premier
grand vainqueur. On avait hésité, avec lui on n'était sûr de rien, il avait l'esprit
si retors qu'il pouvait dire le contraire de ce qu'il disait et en même temps. Mais,
content d'être là, il se tint tranquille. Sa petite tête oscillait à droite, à gauche
-
Le mitingue de Jozin eut lieu. Triomphal. Les musiques étaient bonnes. Chosset repassa
à la télé. Il casa des phrases de son état-
Enfin le jour vint. Les journalistes avaient affirmé que le mal et le bien luttaient
à égalité, le oui et le non s'affrontaient en un combat terrible dont le sort de
l'humanité dépendait. La lumière solaire était pleine de taches, il faisait sombre,
à midi on se serait cru à minuit, c'était sinistre, les électeurs se glissaient dans
les centres à votes comme des ombres, une culpabilité énorme oppressait la respiration
de France. On donnait la participation : élevée, la plus élevée pour un référendum,
ou ... en tout cas pas loin... C'était louche. Pour qui le dormeur du dimanche s'était-
Jospin enflait de satisfaction. Chosset répétait : "J'ai eu du bol de penser à une
seconde intervention sinon il tirait toute la couverture à lui." Le petzident de
Bruxelles nommé par les copains était intervenu dans notre campagne, le chancelier
d'Allemagne était venu se mêler de nos affaires, tous étaient impliqués, tous étaient
aux aguets. L'après-
Le non jaillit de l'urne enfin ouverte ! Il avait dévoré son frère ennemi. Devant
sa télé, l'électeur fit une fête sage; les battus pactisèrent avec les vainqueurs,
ils reconnurent leur erreur, et se réjouirent que le bon sens l'ait emporté sur la
politique et ses journalistes. Chosset resta un instant stupéfait. Alors quoi ? Encore
une déculottée ? Puis son optimisme intarissable reprit le dessus : "Après tout,
dit-
Jozin repartit en exil pour l'Ile du Rouè dès le lendemain.
Chosset annonça la bonne nouvelle : il restait. Accessoirement il virait Savarin, et nommait premier ministre son ancien conseiller Vinplan dont on s'aperçut à cette occasion qu'il était le remplaçant de Quiqui à l'Intérieur. Et lui, le favori ? Eh bien il redevint ministre de l'Intérieur.
Encore plus accessoirement, Chosset informa les Françaises et les Français qu'il était au courant de leur non, qu'ils avaient eu tort, qu'il en tiendrait compte dans les réunions européennes si c'était possible mais que, évidemment, ça ne l'était pas.
7
Fin mai approche avec le début des vacances pour le bordel-
Notre nouveau chef de l'ordre a une foule d'idées bizarres. Il veut interdire le
stationnement en triple file, interdire de passer au feu rouge quand il ne vient
personne (vous avez bonne mine à poireauter pour rien), interdire de dépasser en
cas de bande routière continue... il a passé son permis dans le nord. Les contradictions
ne lui font pas peur : selon lui on a tué ici l'an dernier plus de motards qu'ailleurs
et pourtant il y en a de plus en plus. Ils prolifèrent. Il faut dire qu'il possède
lui-
Tout de même il a de la fermeté et ça fait plaisir de l'entendre. On dirait Quiqui.
Globalement rien n'a changé mais l'image de la police est bien meilleure. Quand vous
arrêtez un délinquant il ne prend plus la peine d'invoquer les mânes de ses ancêtres,
tous tarés, ni d'expliquer par le menu l'écrasant poids du destin social, il dit
gaiement : "Alors je vais au trou ?", on lui répond gaiement : "Eh oui", et voilà.
De toute façon on ne va pas refaire le monde au commissariat. Quiqui s'en occupe,
et Chosset, et Rondouillard etc... Quoique.. Avec l'Iurop on est nombreux à avoir
reçu un sacré allègement du portefeuille, il faut le reconnaître, les sous n'ont
pas été perdus pour tout le monde. Plus une entreprise est riche plus elle fait de
chômeurs mais sa disparition ne ruine aucune fortune. Les loyers ont encore augmenté
de 3-
Les Cabochiens sentent venir l'été. Ils n'en sont pas plus studieux, pour un grand
effort avant le repos, ni plus soucieux de tout tenter pour réussir le bac, mais
le goût de la blague renaît, leur joie de vivre se manifeste par des plaisanteries
d'une finesse exquise. L'autre jour, par exemple, un monsieur déjà blanchi par l'âge
mais pas baraqué, rend la monnaie à un Cabochien joyeux; "Merci Madame", répond respectueusement
celui-
Tout irait bien si on n'était pas en train d'édifier un campanile au carrefour. Proviçat en a eu une crise d'indignation. Les forces de drouète osent, elles dilapident l'argent public pour une idéologie passéiste, rétrograde; je m'pince le nez, monsieur, je m'pince le nez ! Et il se le pinçait effectivement quand on évoquait l'horreur et ses progrès en sa présence; et il partait, indigné.
C'est vrai que le campanile jaillissait de terre. Merlet avait dit à l'architecte
qu'il voulait quelque chose de très simple, que le béton brut ce serait très bien.
Du coup celui-
Notre carrefour va avoir fière allure désormais. Le Di de Co depuis son bureau se
sent Le Quatorzième, il rayonne, l'Ecole va devenir célèbre, on y viendra du monde
entier passer des masteures; déjà les diplômes y sont étrangers, au nom de la mondialisation,
en effet il y supprime la France, la langue interne recommandée est l'englishe triomphant.
Comme tous les dirigeants mis en place par le système socialo-
Enfin, on aura le campanile.
8
Arzi l'andouille attendait en rongeant ses ongles le résultat du concjurs pour régner
Sous. Ses binocles en pendouillaient sur son nez long et ses cheveux en brosse s'étaient
mis en berne. L'avenir de centaines, de milliers de gosses dépendait de la décision
de gens dont on n'était pas tout à fait sûr; l'avenir de l'humanité, car le futur
sera Cabochien, était en attente. Chacun, passant à ses côtés, lui tapotait l'épaule,
Proviçat lui dispensait des sourires confiants. Il portait l'espérance de tous ses
presque semblables (en-
Enfin le résultat fut rendu. Les cheveux de l'Arzi remontèrent en brosse, les binocles
s'en écarquillèrent, la parole fut étranglée par la joie : Il l'était ! Oui, il l'était
! Réjouissez-
Seul le croûton en son coin semblait ironique. Habitué à tirer d'affaire les ex-
Pour fêter cet heureux jour si proche de la fin de l'année scolaire, Proviçat décida de prononcer un discours. Pas seulement en petit comité, mais devant la masse enseignée. Il en tenait un en réserve pour le cas, évidemment quasi certain, où l'Arzi prendrait sa place parmi les Elus. Donc libération des cours de la matinée, fermeture des portes pour limiter les évasions et devant les professeurs et Cabochiens assemblés, depuis le perron à colonnes, Proviçat parla :
"Les temps nouveaux frappent à la porte. Les temps nouveaux sont là ! Dans ce lycée
laïc, que je propose de rebaptiser "Jozin", ô Jozin !, on peut être fier, fier du
travail accompli. Car sous la houlette de notre collègue Arzi, disciple de Meumeu
le Grand, les élèves ont pu progresser librement. Ah, quelle évolution en si peu
d'années ! Quelle révolution, dirais-
-
-
-
"Maintenant la relève arrive. A mes côtés vous voyez un nouveau dirigeant. Vous le
connaissez tous, vous l'avez tous apprécié. (Il y eut quelques applaudissements qui
tirèrent un sourire modeste de la bonne bouille d'l'Arzi.) Simple professeur, par
son investissement acharné pour faire carrière, non qu'il soit intéressé au sens
vulgaire du terme, mais un bon investissement laïc socialo-
Et Proviçat applaudit lui-
9
Le radar qui surveillait les voitures était désormais lui-
Ce projet pourtant ne l'enthousiasmait pas. Lola avait, en vain, demandé à changer d'équipe (aucune n'en voulait) et La Flicaille, de santé fragile, s'était fait porter malade le plus longtemps possible. Mais ils étaient en route.
Leur incursion, imprévue des occupants, se fit très tôt le matin. Les rues étaient
désertes ce qui ne présageait que du terrible, les oiseaux se taisaient car les gens
n'aimaient pas la musique d'ici, les rayons du soleil s'arrêtaient au-
On arrivait à ses locaux. Le rideau de fer avait été attaqué à la barre à mine, avait
été soulevé, tordu, une entrée existait sur le côté et en évitant les bouts de vitre
par-
Ils venaient de réintégrer la policière voiture quand le premier caillou fut lancé
et frappa. Rassurez-
Le rapport de Gros-
En attendant ils surveilleraient les plages, car le soleil ramenait ses touristes.
Ceux-
Quelqu'un s'est aventuré dans l'eau... Ah non, c'était un chien, le maître a lancé la balle trop loin, il est allé la chercher, maintenant il se secoue énergiquement.
Le campanile n'a pas cet air neuf, clinquant, qui choque, celui de l'école de commerce par exemple, je parle du nouveau bâtiment, il semble avoir perdu des ornements passés, être ce qui reste de quelque chose d'irrémédiablement perdu. Le vieux sénateur a répondu à l'architecte un peu inquiet de son jugement : "Il convient parfaitement aux circonstances", propos ambigus qui ne dénotaient pas une admiration nette mais alliaient plutôt la résignation esthétique à la résignation religieuse. En face la serre géante, violette dans la nuit, ferait une superbe église. En tout cas, on a tout ici, des arbres, palmiers, pins, apparus soudain, grands, dans notre décor, des écoles, la seule serre de la région, des immeubles, un carrefour, un radar, une caméra de surveillance et la mer.
Des Cabochiens assis en rond sur les galets discutent inlassablement; il y a encore
des cours au bordel-
La mer est d'une langueur étrange aujourd'hui, elle étouffe les pensées sans les apaiser. Sa douceur lente devient une souffrance pour qui n'a pas la force d'en arracher ses regards. Son bleu ne scintille pas, le soleil n'y a pas prise, le ciel s'y éteint. Pas un frisson de vent. Les bateaux ne passent pas. Le son des voitures derrière la plage est assourdi.
10
L'église apparaît aux yeux d'Ulrika. Elle flotte de toutes ses voiles au bord de la mer accueillante. Il n'est pas sept heures. Dans la lumière limpide, l'école se perd. Il n'y a plus que la nef des statues vivantes contre les piliers qui soutiennent le ciel. Un moineau est entré, il tourne vivement sa petite tête, il sautille, il regarde Ulrika traverser la rue, il est au pied de l'autel.
Elle est blessée. Sa main tient comprimé son côté droit, ses yeux souffrent dans
le visage blanc, ses lèvres frémissent au-
Il n'y a plus de son que le chant de l'oiseau. Il n'y a plus de vie que la sienne. Car Ulrika est en train de mourir.
On dirait que l'église a chassé la ville pour elle, a effacé jusqu'à la serre et jusqu'au carrefour sans voitures, sans raison d'être, d'un temps déjà oublié. L'église seule s'élève, comme nous l'avons tous vue, comme nous avons pu la regarder. Ses murs ont la couleur de notre terre, ils ont sur leurs pierres la forme des milliers de mains des pénitents qui ont prié ici. L'oiseau est devenu silencieux. Il semble attendre.
Ulrika dans l'église qui existe pour elle, s'est arrêtée vers la première chapelle à droite. Elle vient vers Marie. Elle vient pour qu'elle l'aide à mourir. La statue porte son bouquet dans ses bras. Sous la main qui comprime le sang coule, lentement, inexorablement. Les lèvres balbutient. Les milliers de pèlerins sont là, à l'infini; doucement ils reprennent la prière.
C'est comme si l'église était toute la terre; la même cependant. Ulrika n'est plus seule. Elle est avec tous les siens. Sa souffrance ne la torture plus, elle a diminué si vite, elle a disparu avec le monde des hommes. Il n'y a plus de poids.
L'oiseau s'envole. Marie couvre de son manteau bleu Ulrika effondrée à ses pieds.
Il était sept heures un quart. Les cloches du campanile doucement se mettent à sonner.
FIN