La mort de croûton

(Chronique des années 2005-2007)

Roman

 

 

I Un pays tranquille

1

Il était une fois une place creusée de larges trous à deux pas de notre mer. Les graviers, les gravats, du goudron par plaques, en tas amoncelés, accumulés, désespéraient de leurs pyramides trois touristes égarés. Ah s'ils avaient su... Pourtant, ici, chez nous, les Arabislams n'avaient pas encore fait sauter de bombes, ils étaient si occupés en Irak qu'ils ne prenaient pas de vacances. Les palmiers tristes dont les palmes pendouillent, sans reflets dans la mer liquoreuse, rêvent d'atolls et leurs familiers fauchés d'une vengeance aux élections trop lointaines. Merlet a promis un tramway. Avec son entrain habituel pour le début des travaux - il faut que l'administré se rendre compte qu'on administre -, il avait fait creuser partout, il avait déclenché une opération grandiose de creusement; parfois d'ailleurs il ne s'agissait que de relier d'anciens trous jamais rebouchés et dont on avait oublié la haute justification première, mais il se trouvaient une nouvelle raison d'exister. Après la première phase de ces travaux on ne passa pas tout de suite à la deuxième, il fallait que chacun prenne conscience des efforts accomplis. En outre Merlet n'avait pas prévu les détails de la suite; avec les entreprises on savait qu'on devrait les payer, le reste était relativement flou; elles n'avaient pas voulu ennuyer le grand concepteur avec les basses misères de la réalisation. Adjoint aux travaux toujours en sieste à l'heure des réunions. Cet homme aimait dormir, il aurait fait un bon maire.

Mais notre actuel frétillait, il trottinait, inlassable, le tête débordant sur la ville de projets bruyants. Et depuis qu'il s'était marié avec une presque vedette du presque cinéma, une présentatrice de la télé, il adorait les inaugurations. Anticipées parfois. Récemment, avec sa Cléopâtre, il a inauguré un parking sur les terres de l'ouest lointain, pas loin de chez moi; la presse et les petits fours ont bien joué leurs rôles; nous avons été contents d'admirer dans le journal local. Pour le parking on sera autorisé à aller y payer dès la fin de l'année. Ou au début de la suivante.

Les panneaux-pubs des Maisons publiques de presse, étalent les heureux du monde dans des postures indécentes, plus ou moins déshabillés, plus ou moins provocants, en des photos souvent consenties. Ce racolage à peine passif mais très localisé grise l'oeil et pimente les conversations; on connaît les nuits de noces de célébrités, on a vu les vidéos à la télé, on se refile les adresses internet qui mondialement diffusent les misérables secrets, on cancane de la Boilton, de la Baonna, de la Charlie... Au fait c'est le jour de rentrée, la scolaire. Avant la grande, la politique.

Tout à coup la rue se vida. Un événement quelconque faisait rentrer les gens chez eux. Un chien se planta en plein milieu de la rue, aucune voiture ne vint le défier, il était vieux, il tournait la tête lentement pour voir d'où viendraient les cris, il n'y avait rien.

Trois bombes avaient éclaté le métro de Londres. Des gens se tordaient dans le sang; les civières ressortaient de la fumée avec des êtres défigurés, aux yeux hagards; des pompiers se mêlaient aux policiers, aux rescapés qui ne répondaient pas aux questions, comme stupides, aux curieux qui arrivaient pour bien compatir. Des journalistes cherchaient avec une activité fébrile la victime qui avait filmé sur son portable ou son caméscope, ou au moins pris des photos, là, dans la gueule de l'horreur, peut-être au moment même de l'explosion, on fournirait au public avide de se désoler le léger différé du drame; il fallait trouver, trouver vite, après les gens prennent conscience de la valeur du témoignage et veulent profiter du gâteau.

La gangrène islamiste pourrissait des régions, des pays, s'étendait dans tous les continents; on entendait parler fréquemment de complots déjoués, on ne savait pas s'il fallait le croire; mais la mort cette fois s'étalait, des sites internet islamistes se réjouirent et glorifièrent leur allah, la haine religieuse dansait sur les cadavres.

2

Croûton restait méditatif devant la rue vide. Les gens étaient allés vivre le drame du pays voisin par la télévision mais cette forme de partage, sans risque d'ailleurs, n'était plus en mesure d'alléger le poids de sa propre vie et il était resté là. A tort; il allait encore passer pour quelqu'un différent des autres, qui se sent supérieur même peut-être, il ne se cachait pas assez dans la foule, on le remarquait, on ne l'aimait pas.

Un soleil fou frappait la ville sans une goutte de pluie depuis trois mois, on parlait de hausse générale des températures de la planète, la pollution avait déréglé la climat, la terre était malade des hommes. Les océans chauffent, débordent, avancent sur nous, les îles se noient, les baleines se suicident, le pétrole nage en plaines noires, les hôpitaux pour tortues sont débordés, ceux des oiseaux aussi, le pôles se vident de leurs ours blancs, les phoques suent...

Croûton se remit à marcher, la mer l'attirait; il se ferma aux drames, aux gens qui hurlent dans des tunnels incendiés, aux continents qui s'asphyxient, à toutes les souffrances qui rôdent autour de leurs proies; il se vida des pensées; il marchait d'un pas mesuré, il ne regardait rien, il connaissait tout sur ces rues, c'était presque pareil qu'à son arrivée dans la ville, voici bien des années. Sauf qu'elles étaient à moitié défoncées; aucun ouvrier n'y travaillait; les trous béaient; une curieuse odeur - nettement désagréable - s'en évadait sans que l'on puisse localiser sa source. Devant la mer enfin, croûton se trouva une chaise sans difficulté, néanmoins ne remercia pas les drames anglais made in islam, et regarda, regarda.

Les vagues égales qui filent en stries d'argent, s'échouent sur les galets qui, noyés d'écume, au retrait restent un instant couvertes d'une dentelle de mer. Les profondeurs là-bas varient les bleus au noir, elles attirent croûton, inaccessibles, sauf au rêve, elles possèdent des poissons aux couleurs violentes qui sont comme des fleurs, leurs formes biscornues nées de mélanges incongrus dans un jeu amusé et sans scrupules d'expériences avec la vie s'entremêlent en ballets élégants sans âme...

La mer monte dans le tête de croûton comme une marée, elle la hante de ses monstruosités, de ses bizarreries, sage juste en surface sous l'apaisement dur du soleil; elle est la pensée, elle est le temps. Croûton s'efface. Il sent son esprit se diluer, s'étendre à la dimension des mers, coïncider avec tout ce qui est. La raison murmure l'être. On dirait un balbutiement éperdu, on l'entend, on le comprend, on ne pourrait pas le mettre en mots, il brise toute barrière; la révélation, d'une évidence si simple, est fluide comme l'eau, elle recule comme une vague, on croit en retenir encore une dentelle, puis il ne reste rien.

De loin Proviçat repéra croûton. Lui aussi avant la rentrée avait eu envie d'une sortie et, quoiqu'il ne fût pas un habitué des eaux et des plages, bravement, sans gardes de son petit corps, ô aventure, il avait osé l'expédition. La vue de l'indésirable lui gâchait la vue. Encore un mauvais point pour ce reste de drouète au bordel-licé, dirigé d'une savante main gaucho-gaucho par le fidèle fervent de Jozin, phare du progrès, sauvagement battu aux dernières présidentielles par les forces du mal.

Croûton tout autant décidé à ne pas le voir.

Proviçat avait déjà dû, un peu avant, éviter les proviçats-ritrouête, ceux qui l'avaient précédé au haut poste, sans avoir ses éminentes capacités mais qui, avec l'inconscience de l'âge, s'avisaient de lui donner des conseils quand ils arrivaient à le rencontrer. Cette ville était pleine d'embûches. Comment ces vieux pouvaient-ils manquer de modestie au point de ne pas sentir la différence entre Lui et de simples précurseurs ? Proviçat était agacé rien qu'à les apercevoir. Le bord de mer est abominablement fréquenté, il devrait y avoir des heures réservées aux élites. Pour devenir Proviçat, ç'avait été dur. Il avait fallu remplir le dossier d'inscription. Après, comme l'écrit à l'examen ne comptait pas, ça allait, et puis à l'oral, l'entretien, on n'avait pas eu de mal à vérifier sa conformité aux grands principes socialos-Meumeu et il l'avait emporté haut-la-main. Meumeu était celui qui avait converti les naïvetés gauchos-gauchos en grande pédagoglie au moyen d'un baratin à sonorités scientifiques qui convainquait les convaincus et en imposait aux parents; les résistants à une mainmise idéologique sous couvert de pédagogie étaient démolis dans des Instituts spécialisés, variante Meumeu des Centres de rééducation des pays communistes qu'il avait tant admirés dans sa jeunesse, Instituts également chargés du dressage des nouveaux enseignants. Au début il avait fallu mater les récalcitrants qui riaient des grandes idées, les instits qui y tenaient le pouvoir n'avaient pas fait de cadeaux pour le garder. Là on pouvait dire comme des vérités pour l'enseignement des Terminales les naïvetés de la maternelle et enfin, grâce à Meumeu et à l'Allégrette, on avait raison. L'Allégrette était le ministraillon qui avait donné le pouvoir aux copains pour que les grades et les avancements dépendent d'eux, de leurs rapports socialos-Meumeu, afin que les copains des copains fassent de belles carrières, aient les places et le pognon, alors qu'avant il fallait passer de vrais concours, ils n'y arrivaient pas et c'était injuste. Maintenant un rien pouvait devenir agrégiais hors-classe devant un vrai, et c'était justice. Proviçat était un pur produit de la justice. Mauvais à l'école autrefois, parce que les profs pas avoir grande haute belle pédagoglie, il avait été surveillant en même temps qu'apprenti au socialo-parti; puis vague enseignant technique il avait grimpé dans la hiérarchie à la fois syndicale et politique; enfin parvenu en haut de l'échelle gaucho, il avait appris son Meumeu par coeur et on lui avait livré la direction d'un licé technique d'abord, et, devant son aptitude à éliminer les opposants, le bordel-licé où il rayonnait aujourd'hui.

3

Petite Pervenche arrivait en 1re. Elle n'avait que dix-huit ans. Bientôt dix-neuf. Son heure de gloire était arrivée. Elle le sentait. Toujours elle avait étudié les grands modèles : Karine, qui appuyait sur toutes les sonnettes quand elle allait à l'école pour avoir un public à la hauteur de l'événement, Lisbeth, la spécialiste des savantes coiffures colorées avec perles, puis Chimpan, absentéiste avec aventures douteuses mais nombreuses - ah, quels récits palpitants ! -, enfin, après une bonne correction de papa acharné à sauver sa fille, Blonde la gauchère qui avait su être le maillon indispensable entre Proviçat, son Sous, les forces administratives d'éducation, et les élèves. Entourée d'une bande de garçons triés sur critères exclusivement physiques, l'héroïne avait mené une carrière scolaire exemplaire couronnée d'une mention Bien au Bac et cela quoiqu'elle n'ait jamais étudié. Proviçat avait dû promettre un diplôme pour services rendus à la déstabilisation des profs non-croyants en Jozin, dieu de le pédagoglie, avec à sa droite l'Allégrette, l'organisateur, et à sa gauche Meumeu, le dialectichien; elle préparait le terrain pour les inspections sur critères Meumeu contre ceux qui essayaient encore de faire connaître la culture nationale aux générations nouvelles, mais Meumeu, gocho-gocho, est pour le pluriethnique multiculturel, la culture la françouaise faut en dire un mot comme alibi et ajouter automatiquement : Mais la culture du pays s'enrichit des différences; mais la culture pays s'enrichit de mettre les autres à sa place; mais la culture ex-pays s'enrichit de sa disparition. Blonde d'accord. Petite Pervenche d'accord.

Tous bien formés à la Meumeu dans le bordel-licé. Proviçat Brouboulle très fier de cette réussite qui n'apparaît toutefois pas aux examens en françouais quoique Inspec Rédgional - selon les doctes libertés permises à ses nommés par l'Allégrette - impose une moyenne de 11 à l'oral et de 9 à l'écrit, sinon il remonte les notes réglementairement. Les grandes décisions de ce genre ont bien fait progresser le taux de réussite au baccalauréat, plus de 80 %; les 20 % restants l'ont l'année suivante ou encore la suivante. Mais tout le monde est servi; si la soupe n'est pas bonne, au moins elle est populaire.

Petite Pervenche est fin prête pour sa rentrée. Pendant toutes les vacances elle a oeuvré dur à entretenir et développer ses relations et, entourée de ses Cabochiens, elle n'a plus qu'à apprendre de quels professeurs elle doit s'occuper cette année. Son instinct lui promet le croûton. Elle en entend parler depuis toujours. Elle était encore chez les Marmousets qu'elle imaginait déjà le grandiose affrontement. On le lui doit. La légende croûton aura une fin Pervenche. Blonde la gauchère sera remisée aux oubliettes, la gloire de sa cadette obscurcira ce soleil. Ça va boumer !

Arzi l'Andouille de son côté devenu Sous mettait la dernière main à la préparation de la rentrée. Son prédécesseur pourtant avait tout fait mais il avait tout revu, et amélioré à sa façon. Très aimé de Cabochien la Blonde il soupirait en lui rêvant une remplaçante et puisqu'il avait été vaguement éleveur lui-même les précédentes années, il cherchait en sa tête la taille pliante qui remplacerait la disparue; Petite Pervenche tiendrait sûrement toutes ses promesse, à condition d'avoir grandi en harmonie avec les espérances pendant ces trois mois de repos. Comme enseignant l'Arzi avait laissé le souvenir d'un bon bougre, ses élèves disaient : "Il n'est pas bien fort mais il est marrant", alors il avait eu, sur recommandation de Proviçat, de bons rapports socialos-meumeu par Inspec Rédgional, baptisés pédagogiques. Il avait aussi passé la promotion gocho-gocho concjurs pour être chef, maintenant il était Sous mais bientôt il serait Chef. Il élaborait de révolutionnaires stratégies pour l'avenir, quand il aurait en ses mains les destinées humaines; il supplanterait Proviçat; il dépasserait Meumeu; il serait le phare et s'il y avait des récalcitrants (des récalcitrantes il n'en supposait même pas), les Centres de rééducation idéologique baptisés Instituts de formation les sauveraient, même si l'on devait y travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre ! O Jozin ! O L'Allégrette ! O Meumeu ! La relève est assurée, Arzi l'Andouille est là ! Il est prêt.

Le ministraillon d'l'éduc, l'actuel, personne ne sait qui c'est. Il y en a sûrement un. Bien caché; s'il se montre, les profs descendent dans la rue, même le premier jour, ils ont besoin d'exercice après deux mois de vacances (trois pour ceux des lycées qui habilement évitent les corrections des examens). Les syndicats ont une longue liste de tout ce qui ne va pas aller; c'est la même depuis vingt ans : comme ils font grève dès que l'on veut toucher à leur belle liste, elle reste belle. Voyons, il faudrait tout de même découvrir le nom du ministre avec lequel on va jouer... - Ce ne serait pas l'ancien des transports ? Il n'était pas aux Transports, avant ? - Je crois bien qu'il s'agissait plutôt des Télécommunications. - C'était pas encore avant qu'il oeuvrait aux Télécoms ? - Vraiment je ne m'en souviens pas. - Un vrai pro, personne ne se souvient de lui. Soyons doublement vigilants.

Ainsi tout est en place. Action ! Chosset est encore aux commandes, il essaie toujours de les bloquer; moins on avancera plus il restera longtemps. Mais il ne réussit plus à toutes les contrôler; Quiqui lui a pris son parti, le parti du président et devenu celui du futur président. Chosset a henni sur le traître. Quiqui lui doit tout et il essaie de lui prendre le reste. Politique est une vieille chatouilleuse qui minaude comme une ingénue, elle traite en rois ses gigolos qui dans leurs costards de luxe croient acquérir la dignité, l'estime, le mérite, alors qu'ils foulent la morale aux pieds et se prostituent. On a en vue plusieurs élections; de tous côtés des gens désintéressés salivent en pensant aux places, aux avancements qu'ils auront gagné si leur candidat gagne; pour notre réjouissante justice il n'y a pas là d'"enrichissement personnel" ni de corruption; c'est pareil mais c'est légal.

4

Dans le local djournal, on apprit une suicidaire noyade. Merlet pesta contre l'irresponsabilité de la presse qui sabote la réputation de la ville par des informations prématurées : on ne savait même pas de qui il s'agissait. Chacun, plein d'espoir, passait en revue la liste de ses ennemis cherchant si l'un d'entre eux n'avait pas disparu depuis quelques temps. Et on était déçu ! De ce fait le tempérament heureux de nos concitoyens tournait à l'aigre et les remarques désagréables fusaient en rafales des bouches désabusées. Voilà les dégâts que peut faire une presse incontrôlée, alors que les gens ont tellement besoin d'avoir le moral pour vivre. Merlet ne décolérait pas devant une telle inconscience anti-civique.

Le mort était lui-même un grand fautif. A cause de lui nous ne pouvions plus regarder notre mer sans voir flotter des dizaines de cadavres près de sa surface. On n'osait plus la regarder. Quant à s'y baigner, en septembre, heureusement que ce n'était plus la pleine saison, des germes de mort, minuscules, invisibles mais exactes répliques du grand requin blanc, attendaient pour se jeter sur vous, entrer en vous et vous inoculer la noyade. Cette fois la presse n'en parlait pas et on lui savait gré de sa discrétion.

Proviçat était si affolé à l'idée d'une attaque des monstres par l'eau du robinet que, dans le louable but de préserver les jeunes innocents qui lui étaient confiés, le jour de la rentrée il avait coupé l'eau. Des parents, indifférents au risque couru, se plaignirent au sujet des toilettes. Du reste beaucoup d'enseignants manquaient, jugeant en vrais responsables qu'il valait mieux attendre pour sortir des jours meilleurs.

On identifia le criminel. Ce noyé était un nordique, de Lyon ou Grenoble, converti à l'arabislam et qui avait des liens avec Aïecaïda, une organisation terroriste; c'est ce qui expliquait son lâche attentat déjoué grâce à la vigilance de nos pêcheurs, momentanément au chômage.

Croûton avait beaucoup haussé les épaules durant la période d'angoisse, il s'était encore fait des ennemis.

Merlet non plus ne l'aimait pas. En vrai légaliste il jugeait que celui qui dirige un établissement doit être le plus intelligent et, au lieu de remettre en cause le système socialo-Meumeu de distribution des places, il s'offusquait qu'un inférieur soit supérieur, se permette d'avoir un niveau de réflexion, de pensée, au-dessus de sa condition au point que cela se remarque. Où allais-tu, ô France, si la poblituic et ses nobles représentants pouvaient être remis en cause par la seule présence d'un croûton ? Il faut balayer devant sa porte. Et ce n'était sûrement pas, lui, Merlet Lion-lion, qui s'opposerait au ménage en territoire adverse. La chossétienne droite laissait carte blanche au frère gaucho-gaucho sur ses terres. Il n'y avait même pas de limites à la période de chasse. Proviçat d'accord. Arzi l'Andouille d'accord. Le seul problème résidait dans les lois qui s'appliquaient à tout le monde; elles refusaient de se plier tout à fait aux poblituics exigences. De grandes réformes étaient indispensables dans ce pays.

Et d'abord, Proviçat enfournait son dada de bataille : "Plus autonomie, plus pouvoir il faut à moâ ! Oh, mon Sous, croûton l'ordure nous nargue, il ricane quand j'expose les grands principes, il m'a même un jour traité de con, moâ !

- Et moi, interrogea l'Arzi angoissé, est-ce qu'il a dit quéquchose sur moi ?

- En ma présence, il t'a appelé l'âne des Laîtres.

- Ah, c'est tout, fit l'Arzi soulagé. Pas grave. Je suis Sous maintenant."

La rentrée s'était bien passée, sauf les absences de beaucoup de bien-pensants et la présence de croûton. On avait fait le plein des classes, trente-cinq élèves minimum dans chacune, et malgré les fuites des meilleurs vers le privé, grâce à une attitude sociale d'ouverture plus grande aux défavorisés, à ceux dont les années de coclège avaient laissé le cerveau en friche, on ne manquait pas de matière première. On ne leur avait pas donné le brevet mais on leur donnerait le bac.

Pourtant une voix s'élevait, une voix un peu ânonnante mais forte s'élevait pour condamner l'évolution de la jeunesse, celle de notre futur maire - selon lui -, Nona, un vieillard sportif et sympa, classé extrême et que Merlet et Proviçat évitaient avec le courage de l'affolement. Il fit sa déclaration de rentrée : "Sa-alut. Le Merlet, j'ai bien co-onnu son père. Son ppère, le maire avant, un brave. Paas fort. Mais brave. I m'causait souvent des problèmes du p'tit, i comprenait rien à l'écôle. Alô i l'a mis chez ses adversaires socialos et au moins il a eu l'diplôme. Pou l'papa, c'était l'essentiel. Depuis c'temps-là, ici, les conns font la loi. I s'entraident. Mais moâ, Nona, dès que j'rai maire, je vas renversouer la vapeur. Boum. On aura des licés d'excellence. Oui. Avé d'l'exlence d'dans. Et ça s'verra d'l'exrieur. Faut virer Proviçat avé Merlet. Tout remplacer. Rien ne va plus. Leur progrès c'est le régrès. I sont des ânes même pas bâtés. Not'ville elle mérite mieux qu'ça. Vive ma mairie future, vive la France !"

Et il alla prendre son bain frais journalier dans une mer respectueuse. Car il osait, lui ! Pourtant l'eau n'était qu'à 20° ! Intrépide vieillard, mémoire - intermittente - de la ville, conscience de nos valeurs, Nona, le futur t'attend.

5

Et Proviçat vit Cléopâtre.

Ce fut au bord d'un fossé profond; juste derrière s'élevait le monticule des cailloux, graviers et saletés retirés, puis une zone curieusement cabossée s'étendait jusqu'au trottoir en face où elle passa. Des touristes norvégiens égarés avaient photographiés les restes restaurés de cette enceinte défensive d'un camp romain en pleine ville aujourd'hui, pensaient-ils.

Un regard suffit. Il suffit d'un regard ! Le coeur de Brouboulle était pris, serré, captif. Cléopâtre passait insensible dans sa beauté. Elle répandait le mal, la torture dans un coeur affolé, sans le savoir, occupée d'elle-même et de son image qui aujourd'hui méritait particulièrement d'être fixée sur papier glacé.

"Ooooh", fit-il. "Bêêelle." Il resta planté devant les défenses romaines. Un sympathisant socialo en promenade et, le futé, devinant son centre d'intérêt, l'informa : "C'est la femme de Lion-lion." Ah oui, c'est vrai, mais dans le journal on voyait surtout le mari, elle n'était qu'à l'arrière-plan...

Rentré chez lui il pensa à lui écrire une belle lettre. Devant une feuille de beau papier, dans le silence rassurant de son beau bureau, il fronçait son gros front pour en extraire les mots dont la lecture rendent une femme folle d'amour en retour. Il ne voulait pas de la littérature mais les formules magiques qui provoquent la réciprocité fougueuse d'une passion incontrôlable. Elle lirait, elle quitterait l'infâme Merlet, elle viendrait tomber dans ses bras, dans son lit.

Mais les mots... les mots... non. Il tenait l'idée. Mais les mots... Evidemment son habitude d'écrire se limitait à signer en bas des textes rédigés par sa secrétaire. Les basses oeuvres qui nécessitent les techniques rudimentaires de la grammaire et de l'orthographe sont réservées au petit personnel; les hautes sphères, elles, concoctent. D'ailleurs, comme tout bon gaucho-gaucho, il avait toujours été pour une réfaurme de l'aurtografe, qui serait valable quand elle permettrait de déclarer un long texte de se propre main rédigé exempt de toute faute. En attendant Cléopâtre comprendrait-elle le Proviçat ? Quelle serait la réaction de la divine ?

Réfléchissant dur, Brouboulle se dit qu'il lui faudrait l'aide d'un spécialiste. Une secrétaire ne trouverait pas les formules magiques... Certes l'Arzi avait bien enseigné les laîtres... mais il avait surtout réussi avec ses élèves en jouant au foot. Pour le bac, Inspec rédgional avait dû arranger les notes afin que la justice nouvelle l'emporte... Risi l'oie, elle était plus éducatrice qu'enseignante, ce qui était très très bien... mais servant plus à faire carrière qu'à écrire. La Catleen, maîtresse de son ancien Sous, elle savait copier. Dans les livres du maître, les revues professionnelles, les livres de cuisine. Mais là il aurait fallu des compétences... Restait le croûton... Car tous les autres, Proviçat les passait en revue... Bons enseignants à la Meumeu et à l'Allégrette, mais en-dehors de l'animation culture-banlieue agrémentée de chansonnettes quicaines... Dire au croûton, ah, dur quand même; amour ! L'amour torturait Proviçat.

Quand croûton entendit la demande, il resta coi. La stupéfaction lui coinça le rire et sa bouche bée fit douter son noble interlocuteur de ses capacités de rédacteur de formules magiques. Pourtant à quoi servaient les laîtres si elles ne donnaient pas la connaissance utile et utilisable dans la vie ?

"Ah, dit Proviçat en clignant des yeux, et faut parler de Jozin... Elle doit connaître l'illumination jozinienne avec l'extase de nos amours !"Croûton acquiesça gravement. Il avait d'abord pensé se fâcher, envoyer sur les piquants de rose les fesses grassouillettes de cet attardé en pleine crise sentimentale ado; mais l'amusement l'emportait, jouer à Cyrano avec ce Christian à la moustache stalinienne blanche promettait des délices auxquels il aurait été masochiste de résister.

Quelles lettres pouvaient paraître irrésistibles à cet ancien enseignant en plomberie, ancien directeur d'établissement technique, fourvoyé à cause des bêtises idéologiques du néo-KGB Meumeu et ministraillon d'l'éduc l'Allégrette à la formation culturelle des générations nouvelles ? Proviçat, dans sa suffisance bornée, jugeait tout aussi normal de dire à la concierge de promener son chien ou de faire exécuter des travaux d'écriture au personnel sous sa haute direction; il en attendait des résultats, "je veux des résultats" (phrase reprise à Jozin alors Premier ministre qui s'adressait à son équipe nouvellement nommée), les autres n'ont qu'à trouver la route, le moyen de locomotion, le carburant, les mécaniciens, les services de protection etc..., bref s'occuper des utilités.

Croûton, méditatif, rentré en sa demeure F2, jugea judicieux de s'inspirer des discours administratifs et politiques de Proviçat rédigés par sa secrétaire et son parti. Le chef-d'oeuvre devait ressembler à son supposé créateur, le nègre s'effacerait pour ne viser que l'effet.

Après plusieurs tentatives il créa la missive d'amour :

"Belle, ô belle ! Bisous, dis, vite bisous. Je t'ai vue toi et moi j'ai aimé. Le Merlet i te vaut pas. Viens à moi, ô mon adorée ! Jozin bénira le nid nuptial. Jozin est grand et moi, son Proviçat, je fais régner Sa vérité. Les formes de ton corps ont l'abondance noble des déesses sans ombre au regard qui ne cille jamais. Elles ont fait boum dans mon intérieur. Ça est tout chaud. Ton Proviçat il est une bombe à répétition pour toi. J'ai trouvé tes photos déshabillées sur l'internet, elles tapissent le mur de ma chambre. Je veux toi dans la chambre moi. O belle, nous enfanterons les temps nouveaux. Bisous partout et toi à moi. Ma chérie, ma rêverie, mon fantasme et mon avenir c'est toi. Le Merlet il est nul. Un salaud de Drouète. J'ai au licé une cuisine grande comme un hall de gare, on peut s'en servir le soir car il n'y a pas d'internat. Tu ne peux que jouir avec moi, tu jouiras tout l'temps, alors tu seras heureuse. Je te conduirai à Jozin et il nous mettra à sa droite. Nous vivrons dans sa lumière et tu enfanteras des prodiges.

Amour, bisous.

Ton Proviçat Brouboulle."

Croûton relut avec soin, ajouta quelques fautes d'orthographe pour l'authenticité et présenta l'Oeuvre à un Proviçat ravi qui découvrit la lettre de ses rêves. Tout était parfait. La divine serait appâtée, attirée, irrésistiblement, elle viendrait d'elle-même, peut-être ce soir ? Il alla sur-le-champ vérifier et arranger. La nuit serait fougueuse, longue, ravageuse.

6

Tout le pays évitait soigneusement d'en parler. Soixante-trois millions de Français étaient des modèles de discrétion et n'en parlaient pas.

Femme de Quiqui, l'un des prétendants au trône, avait fugué avec un bellâtre. On avait les photos. Elle se baladait main dans main, bouche contre bouche dans un étranger pays avec... On ne dit pas mais ce n'est pas un Apollon, elle aurait pu trouver mieux pour les photos. Remarquez, elle n'était plus si jeune; encore pas mal; bien habillée surtout.

Quiqui dans l'adversité montra ses qualités morales. Il ne se laissa pas abattre. Il y avait de quoi pourtant, comme on le lui faisait remarquer. Soixante-trois millions de personnes forcées à la discrétion ! Les rombières allaient à la nuit tombée seulement acheter les magazines à scandales qu'elles cachaient dans leurs cabats comme de vieux messieurs des magazines pornographiques. Certains catholiques organisaient des réunions de prière pour qu'Elle revienne. Les socialos donnaient son prénom à des soirées très spéciales. Dans les cours des petites écoles même, pour la première fois de l'Histoire, les minuscules jouaient à la politique l'actuelle et à voix basse au lieu de pousser des cris perçants, sauf quand femme de Quiqui se faisait fusiller ou torturer pour livrer le nom de son complice.

Quiqui engagea une suppléante conjugale. Il interdit ses photos qui coûtèrent donc plus cher. On se passionna pour la nouvelle mais on fut critique. Elle ne valait pas l'autre. Quiqui fut rapidement informé du refus des masses laborieuses; ce ne pourrait être un contrat à durée indéterminée, elle serait envoyée dans son obscurité; Titus ne pouvait baiser qu'avec Bérénice; après des siècles l'union n'était pas seulement possible mais exigée par le peuple.

Pour la première fois, Proviçat trouvait un homme de drouète sympathique. Leurs cas se ressemblaient beaucoup, pensait-il. Tous deux voyaient dans la presse leurs femmes de rêve dans les bras d'un inférieur. O femmes ! Quoi dans vos têtes peintes ? Hein ? Faut pas penser qu'à s'amuser dans la vie !

C'est vers ce temps que le candidat de grande gauche opposé à Quiqui se transforma en candidate. En réalité il y avait encore d'autres prétendants mais ils pâlirent de jour en jour. La presse avait fait son choix. Elle fit ses sondages qui donnèrent ses résultats. Les candidats de la petite gauche vitupérèrent. Les freluquets de la grande exigèrent des primaires à la quicaine en copie non conforme. C'est les adhérents du parti qui choisiraient le candidat socialo, on n'imposerait ni un choix d'en-haut ni un choix d'à-côté. Un modèle de démocratie. Du reste ils savaient qui ils devaient choisir

Les raisons du pré-choix de Candidate femelle étaient simples et savantes à la fois. Et paf, d'une : proposer une femme pour l'Elusé faisait moderne; et paf, deuxio : les autres, le public les connaissait trop et depuis trop longtemps; et paf, en troisième position mais de la première importance : les ventres voteraient pour un ventre, quantité de femmes n'écoutaient jamais les discours politiques et votaient comme elles achetaient des chaussures sur la vague impression que ça leur irait et d'après les campagnes publicitaires. La conscience politique est omniprésente en démocratie, tous les citoyens qui se dérangent pour voter font abstraction de leurs petites personnes pour ne penser qu'au pays, à son avenir, à sa grandeur. C'est ainsi que la France pouvait rester une grande puissance.

Candidate femelle avait un concubin qui se trouvait être le dirigeant en chef du socialo parti. On n'avait pas voulu de lui pour porter la couleur rose à la pézidentielle et il en avait gros sur le petit coeur. N'était-il pas le porteur de rose naturel comme ses prédécesseurs en son poste l'avaient été ? L'injustice lui faisait de la peine, beaucoup de peine. Alors - supposait-on - il avait utilisé ses pouvoirs, prérogatives et relations pour promouvoir la noble compagne et démolir ceux qui l'avaient démoli. L'essentiel était de présenter un front uni de tous les responsables, uni et serein, face au méchant Quiqui, lequel ne pensait qu'au pouvoir, un obsédé du pouvoir et du rasage gratis.

Proviçat attendait la réaction de Jozin. Retiré depuis son échec aux pézidentielles précédentes en l'île du Roué, dont il ressortait souvent, celui-ci attendait que ses anciens dévoués viennent en longue délégation lui demander de reprendre leur tête pour la bataille. Et voilà qu'un ventre était mis à la bonne place. Qu'allais-tu en penser, ô Jozin ? Qu'allais-tu faire ?

7

Banlieues, boum. De partout ça pétaradait. Les flambeurs de voitures jouaient gros : mille la nuit sur toute la France. Au début les précurseurs dépassaient à peine le quota admis (par Chosset mais ignoré des citoyens qui le découvrirent à cette occasion avec horreur) de cent cinquante la nuit, deux cents le week-end, mais l'ambition leur vint avec la presse, la nationale d'abord, mais à force de travail ils obtinrent la consécration de l'internationale. C'est boursouflés de vanité qu'ils montraient au monde comme ils savaient bien détruire les biens des autres.

En France on titrait : "Les Jeunes des banlieues se révoltent !"; à l'étranger on titrait sur l'intégration ratée à cause d'une immigration trop forte pour les capacités d'accueil du pays, Chosset n'était pas épargné dans les commentaires, notant que le taux d'arabislams en taule était si élevé depuis si longtemps que seul un aveugle pouvait ne pas le voir et seul un sourd pouvait ne pas entendre les avis d'arrêt d'urgence. Il n'en avait pas moins continué à ne rien faire tout en disant qu'il faudrait mais que bien sûr on ne pouvait pas; si quelqu'un insistait son célèbre large sourire disparaissait et il disait le mot des maux : Bruxelles.

En pleine crise le système mis en place par Chosset pour se couvrir continuait de fonctionner : nul journal n'osait dire que les jeunes en question étaient des arabislams, on disait "les jeunes" à la grande exaspération des autres; si quelqu'un osait le parler vrai, les prétendues associations anti-racistes flairaient le bon coup, elles jubilaient, procès-prison pour le malheureux car il était raciste bien sûr ! Mais pas le bon Chosset à cause de qui il y avait tant d'arabislams dans le pays. Il avait su faire voter des lois pour se couvrir lui à défaut d'avoir la moindre capacité défensive pour le pays.

Le drôle de l'histoire c'est qu'aux yeux innombrables de la foule apeurée par la guerre sur ses terres, civile si l'on veut, c'est Quiqui de l'Intérieur qui portait le chapeau, qui paraissait le responsable, qui laissait brûler les belles voitures, qui...

Les heurts avec les forces policières furent extrêmement violents. Les bandes s'étaient organisées. Elles avaient des tactiques pour attirer les forces de l'ordre dans des pièges et imposer leur ordre. Des milliers de gendarmes étaient appelés au front, leurs blessés cachés par la presse socialo-chossetienne pour ne pas affoler la population.

Qu'avait donc fait Quiqui pour donner le prétexte attendu par les hordes guerrières ? Qu'avait-il dit ? D'abord il s'était rendu sur ce qu'elles appelaient depuis longtemps "leur territoire"; elles se disaient françaises lorsque ça les arrangeait mais criaient à l'occasion Dehors les Français ou de ce genre. Quiqui les avait traitées de "voyous" et avait menacé de passer leurs cités "au karsher" pour faire propre. Le bon sens et le droit national présents dans ses propos après des années de langage Chosset avaient suffi à indigner les coupables. Ils montreraient que, avec l'aide la presse, ils étaient les plus forts.

Proviçat soutenait les défavorisés des banlieues (selon la terminologie autorisée dans notre pays libre). Il en avait au bordel-licé. On les acceptait même sans résultats au coclège "pas qu'i z'étaient des pov' défavorisouais". Eh oui. Partis de pays dans lesquels ils n'avaient rien, ou nés ici de parents qui en avaient assez de ne pas toucher d'allocs et aides diverses en leur patrie, ils étaient devenus - grand pas économique en avant - des défavorisés avec appartement, télé à parabole (pour suivre les programmes d'là-bas), voiture - qui, elle, ne brûlera pas -, assurance chômage ou emploi que des gens vraiment d'ici auraient bien voulu avoir... Chosset avait toujours à produire un économiste qui pour faire carrière expliquait gravement sur les médias, chiffres à l'appui, que les étrangers avec papiers ne prenaient pas le travail des Français, pas du tout, il n'y avait d'ailleurs que 10% de chômage grâce aux conseils si intelligents des mêmes économistes, ô prodige, et d'ailleurs les Français ne voudraient pas occuper les petits emplois donc il fallait de l'immigré, et s'ils les voulaient ces emplois, c'est qu'ils étaient racistes. De sales racistes qui voulaient voler leurs emplois aux immigrés. On en venait toujours là quand les arguments des pro-arabislams étaient démontés : ceux qui montraient l'erreur étaient des racistes. Des xénophobes pour le moins. Or justement le bon Chosset et ses copains avaient fait des lois spéciales contre ces gens-là. Les Français avaient intérêt à fermer leurs gueules ou procès-prison quand le matraquage des médias ne suffit pas.

Quiqui, lui, était allé aux states et votait pour la discrimination positive au faciès : si vous avez la gueule d'ailleurs vous avez la bonne place; vous voyez, plus besoin de casser pur obtenir, suffit de dire : je veux ça, et le Français qui a bossé toute sa vie vous voit passer devant. Bon Quiqui. Encore meilleur que Chosset. Dans l'éduc, c'était déjà pratiqué à titre d'essai et ça marchait, on avait mis au pas les récalcitrants qui ne voulaient pas obéir aux arabislams. Grâce à une natalité supérieure à la moyenne nationale car ils tenaient bien leurs femmes, ceux-là tiendraient aussi un jour le pays. On l'avait fait remarquer à Chosset, il avait répondu : "Et alors ? Je ne suis pas raciste."

8

Devant le fourmillement fou des nuits en flammes, Quiqui rappela des forces spéciales actuellement en vacances.

Je revois Lola, à l'aéroport, l'air renfrogné, un coup de soleil sur son joli nez, secouant sa chevelure rousse comme une menace de contre-feu pour ceux qui étaient coupables de son retour prématuré. Mais le devoir l'appelait. Elle comprenait que le pays ne pouvait se passer d'elle. Un pays peut-il se passer de beauté, ô Delacroix ? Les barricades des sauvages elle allait les écraser, elle allait casser du casseur, elle allait rétablir l'ordre anti-Chosset.

Dès le lendemain elle réunit ses collègues et notre chef de police, qui n'osait plus rien dire depuis qu'elle l'avait pincé cinq fois de suite pour excès de vitesse sur sa moto, et dicta la nouvelle marche à suivre.

- Eh bien, admira Gros tas, tes vacances t'ont donné des idées...

- Lola, c'est une tête ! approuva La Flicaille. Si j'avais pu avoir une idée je n'aurais pas trouvé mieux.

Le soir vint tout doucement, on se reposait dans chaque camp, il fallait être en forme pour aller jouer. Le dîner fut partout parfaitement équilibré en glucides, lipides, protides. Il y eut une petite séance d'échauffement avant, en fin d'après-midi, et encore du repos après.

Puis on mit les armures, on distribua les armes, on fit les prières, pas les mêmes de chaque côté (Gros tas n'avait jamais su même les bases mais il s'y mettait) et après les cris de début de match : "A bas Chosset", "Vive Quiqui", "Mort aux Français", "Les Français dehors"... on prit position dans les tranchées, derrière les barricades, sur les toits... Et les voitures - sans doute laissées là pour bénéficier de l'assurance ou alors leurs propriétaires devaient être d'une bêtise inouïe - commencèrent de flamber !

Mais tout à coup... Que se passait-il ? Des feux non programmés éclatèrent, montèrent, se propagèrent dans les immeubles des casseurs. Ultérieurement on prétendit que la police détournait leur attention et que pendant ce temps des groupes d'intervention en civil les allumaient. Toujours est-il que, entre les feux des uns et les feux des autres, parfois au-dessus ou en-dessous, la population qui devant les caméras condamnait les "jeunes" sans les condamner et le reste du temps les soutenait ou même les poussait, redevint neutre et essaya d'appeler les pompiers. Mais à la caserne la sonnerie ne sonnait pas. Ce n'était pas volontaire de leur part, quoiqu'ils en aient assez d'être caillassés à chaque sortie dans ces quartiers alors même qu'ils allaient secourir, aider; non, elle ne voulait pas sonner, c'est tout. Ça flambait, ça flambait... Les casseurs pour sauver leurs biens tentèrent finalement d'éteindre les incendies chez eux mais la police en profita pour attaquer. Lola arrêta autant de jeunes en une nuit que toute la police sur tout le reste de la France. Elle les passa à la matraque électrique pour qu'ils retrouvent leur calme. Pendant ce temps, comme leur sonnerie s'était réveillée, les pompiers sauvaient les biens des défavorisés.

La presse locale loua. Mais la presse nationale au service de Chosset et des socialistes blâma, multiplia les sous-entendus et même accusa. Un vieux dégarni d'une chaîne de télé privée encore très regardée voulut interviewer en direct notre chef de police; Lola vint à sa place car il était souffrant après avoir dirigé les actions sécuritaires pendant la nuit; le djournaliste comprit "blessé" et n'insista pas. L'affrontement fut bref et violent. A la question "est-ce que des forces droitières n'avaient pas mis le feu intentionnellement aux immeubles des immigrés et des Français de papiers", elle répondit nettement que, contrairement à ce que l'on pouvait comprendre dans son livre où il racontait à mots non couverts ses aventures sexuelles, elle n'avait pas couché avec lui pour fêter ses dix-huit ans après le bal de la police, il n'y avait pourtant qu'une rousse ici, ce n'était pas une autre et ce n'était pas elle, il avait menti. Le type dégarni prétendit bassement qu'elle ne répondait pas à la question. Lola répliqua que son livre sur la mort de sa fille était une exploitation indécente, honteuse et qu'il ne devrait plus oser présenter ce journal. Il s'obstina à sous-entendre que Quiqui aurait donné des ordres spéciaux; elle en appela à toutes les femmes contre le machisme journalistique, elle avait eu du mal, voyez-vous, à s'imposer dans le monde dur de la police et le jour où elle devait répondre à la place du chef, le vieux beau en profitait pour tenter de l'humilier. Lola était si belle que tous les hommes lui donnèrent raison. Même dans les banlieues. Les femmes la jugèrent compétente, très capable, mais exagérément rousse.

9

Au bordel-licé Proviçat Brouboulle frémissait, se tortillait d'indignation en permanence. Il avait réuni plusieurs fois sa garde rapprochée, "professeurs principaux" qui devaient le supplément de paye auquel cette fonction donnait droit à une haute compréhension idéologique des directives idéologiques des directives modernes et post-modernes, progressistes gogoches en tout cas, du héros de l'enseignement. Il avait harangué puis donné cette ligne de conduite : souplesse totale avec les élèves combattant contre les forces réactionnaires; quant aux autres pas de quartier, ce n'est pas avec du travail scolaire que l'on impose des temps nouveaux.

Certes Cléopâtre lui tournait aussi la tête, mais cette tête tournait tellement vite et dans tous les sens qu'il en oubliait d'attendre l'effet de sa belle lettre. Et Jozin ? O Jozin ! Toujours aucune réaction. Pourquoi ne sortait-il pas de l'île du Roué pour prendre la tête des émeutes ?

Il lut la presse le lendemain des contre-feux, notre Proviçat; son brave petit coeur battit, battit d'indignation. Il vit et entendit Lola à la télé et dut s'étendre tout l'après-midi pour se remettre. Enfin il communiqua à la presse un communiqué : "Le Quiqui, c'est un mauvais; le monde d'l'éduc i veut pas d'Quiqui à L'Elusé; si les françouais i votent po iceloui, ça bard'ra." Et comme d'habitude le local djournal ne publia pas.

Croûton, lui, constatait avec tristesse que ceux que l'on ne devait pas appeler les envahisseurs, ou procès-prison, s'organisaient de pire en pire pour ce que l'on ne doit pas appeler une guerre anti-française, ou procès-prison, afin de s'emparer des places, faites gaffe à dire "s'intégrer", et d'imposer les superstitions islamistes, dites "profiter au maximum de la tolérance religieuse de la France", ou procès-prison. En langage socialo-chossétien : "les jeunes veulent s'intégrer, ils manifestent contre les attitudes racistes, xénophobes, qui veulent leur retour dans leurs pays d'origine qu'ils ne connaissent même pas car ils sont nés ici et n'y vont que pour les vacances; en outre ce sont des musuls modérés, du moins pour le moment, et ils sont beaucoup moins nombreux qu'on le dit car on ne doit pas compter ceux qui sont nés ici; ils sont français du sol, nés de français de papiers." Chosset toujours grand sourire béat, à serrer des pognes : "Ça va ?", "Ça va bien ?", "Bonjour", "Quel joli petit", "Vous verrez, tout ça s'améliorera, on y travaille"...

Merlet était invisible. Il pensait qu'un maire doit rassembler, un maire est un rassembleur. Conséquemment sa bonne gueule sympa doit rester à l'abri pendant les combats, car après il faut pouvoir sourire. L'engagement d'un maire pour sa ville consiste à attendre patiemment son heure, celle où l'on aura besoin de lui comme symbole de l'unité, celle où il sera utile même s'il ne sait rien faire. Donc pour être à même de remplir sa mission, devant l'ampleur des affrontements, Lion-lion était parti pour quelques jours de vacances avec Cléopâtre en une île du Pacifique.

Quand Proviçat l'apprit, il fut indigné, il comprit que c'était l'enlèvement par un mari jaloux qui avait intercepté la lettre qui allait toucher le coeur de la belle. C'est pour cela qu'elle ne répondait pas ! Croûton consulté (en tant que spécialiste de l'amour) opta gravement pour ce point de vue.

Lola, quant à elle, fut furax lorsque la nouvelle lui parvint. Alors... elle, on la faisait rentrer et les responsables politiques du désastre se sauvaient ! Merlet, quoique réélu, était largement méprisé - ô République ! -, ce qui ne le gênait pas du moment qu'il gardait la place et les sous, mais là elle voulait qu'on le dégrade publiquement... au son du tambour... et c'est elle Lola qui lui arracherait les insignes de la royauté locale ! Quant à sa pétasse de la télé, qu'on les mettre sur un ring toutes les deux et elle s'en occupera comme il faut !

Du reste le nombre de voitures brûlées qui avait brutalement chuté chez nous, avait amorcé sa décrue partout; on en était à cinq ou six cents par nuit, sans plus. Il faut dire que les télés internationales commençaient de se lasser et, dans une démocratie, quand les reportages baissent, les manifestations baissent. Il faut se renouveler. Sans cesse créer de nouveaux spectacles. Alors djournaliste vous fait le grand honneur de vous convoquer.

- Allons bon, soupira Cléopâtre en sa chaise longue sur la vaste blanche plage à cocotiers, il va falloir rentrer, cette vie est épuisante. Toujours dans l'avion... Et dire qu'il y en a qui nous envient...

Merlet barbotait avec sa bouée et construisait un beau château de sable. Il pensait à son ex-crétaire qui faisait des trucs que sa femme elle voulait pas. Il avait dû la virer pour la bonne cause matrimoniale mais sans elle c'était difficile au bureau.

Cléopâtre voulait élever son Merlet au poste de ministre.

10

Au bord de notre mer, y a des gens qui courent, y a des gens qui courent. Pas vite d'ailleurs. Et pas tous les jours. Chez nous on les appelle les sportifs. Quand on vous a vu une fois user vos forces au noble exercice, vous êtes classé pour la vie. Vous êtes un de ces fous qui passent leurs loisirs à sculpter leur corps dans l'espoir de séduire, vous êtes un narcissico-libidineux qui cache son jeu sous la sueur du sport.

La blonde vénitienne aux sourcils de jais qui court qui court, murée dans sa musique... sa musique qui explose dans ses oreilles, issue d'un baladeur... d'un baladeur caché entre ses seins, qui l'enlace de ses fils... la blonde la Vénitienne sans regard, musique folle qui court... et sa foulée longue toujours égale est parfois vibrante, comme parcourue d'un tressaillement... son souffle rythme la musique et parfois s'oppresse... il s'accélère... il s'étouffe comme un sanglot... la Vénitienne ne voit personne dans sa course hors du temps... pourtant un jour ses yeux ont rencontré ceux de croûton.

L'homme méditait dos tourné à la mer, assis sur une des chaises bleues chichement fournies par la mairie, comme tant, avant de repartir d'un pas tranquille, et le non-événement se produisit sans intention. Les sourcils fournis de la fille comme nulle n'ose en montrer, pilosité comme deux ailes d'hirondelle sur les yeux, voletèrent légers, doucement. Et le phénomène, grand soleil ou pluie, se reproduisit. Croûton baignait dans l'énigme. Il se garda bien d'essayer d'en sortir. D'habitude on vit seulement dans des énigmes qui dépassent, genre quoi qu'est la vie, alors quand on en trouve une à sa taille, on se love dedans.

Il venait au bord de mer vivre une énigme. Cela le changeait du bain de bêtise au bordel-licé, de l'incroyable niaiserie du socialo-Meumeu Proviçat, la Vénitienne était l'air de la mer. Elle courait hors de la logique. Elle l'emmenait en voyage malgré son âge sur ses ailes d'hirondelle dans les univers hors du doute, où les mirages calment la soif, où les malheurs s'assèchent, où les yeux ouvraient sur d'autres yeux à l'infini.

Elle était l'envol au bout de sa carrière, car croûton attendait la fin. En regardant courir la Vénitienne, il ressassait le passé. Il se revoyait débutant dans le métier, jeune professeur épuisé par des études longues et si dures quand on avait des parents sans instruction et sans argent. Il arrivait à son premier poste, un collège à quatre cents kilomètres de chez lui, le chemin de fer ne passait pas là; il arrivait, se logeait mal car rien n'était prévu et à la rentrée, il n'en était pas revenu, les autres, ceux qui n'avaient pas été capables d'endurer autant, de travailler autant, de surmonter tant de peines, ils avaient un jugement préfabriqué pour accueillir le nouvel agrégé : il était un privilégié. Croûton, non, n'en était pas revenu. Il avait été aimable, comme toujours, gentil comme toujours, serviable; alors on l'avait jugé privilégié et poire. Il était resté seul parce qu'il était seul de son niveau. Il avait voulu partir et il était parti. Un autre collège; il voyait arriver à sa tête un simple maître auxiliaire titularisé parce que de temps en temps, quand ces personnels étaient trop nombreux, un ministre en mal d'électeurs titularisait en masse; l'individu ne pouvait même pas écrire une lettre sans incorrections graves, il avait enseigné ans un collège technique on ne savait trop quoi; mais présenté aux élections par son parti il était devenu Conseiller général; un élu; le recteur de droite ne voulut pas qu'un élu de gauche soit brimé par une position inférieure; selon les avis du ministre il favorisa l'ascension du fils nul de bourgeois aisés, baptisée ascension sociale tandis que croûton, sidéré, voyait pour la première fois passer devant lui son inférieur intellectuel. Toutefois sa carrière contenait encore des promesses, mais elle s'arrêta net et définitivement en 81 quand le socialiste Prédissident arriva au pouvoir le tout en haut grâce à la trahison de Chosset dont la conception politique était simple : pour la droite c'est moi ou personne; et il démolissait ceux de son camp pour que nul ne soit devant lui. Croûton passé en lycée vit arriver un premier Proviçat. Le type, ancien prof de Sciences économiques au plus bas niveau, avait aidé en sa ville un proche de Prédissident, qui, grâce à la dynamique créée par la Petzidentielle était monté puté, puis micuistre : alors il avait distribué prébendes aux siens. Comme ça un peu partout on voyait les grognards en postes dans le pays. Et les lycées, grâce à de magnifiques idées de progrès, étaient devenus les bordels-licés. Révolution opérée en quelques années. Mais croûton n'avait pas vu le pire. Meumeu et l'Allégrette, sous la haute autorité de Jozin, y travaillèrent dur dur et réussirent. Meumeu déguisa le programme éducatif vaseux des socialos en beaux termes à l'air savant et baptisa le tout pédagoglie; l'Allégrette, second de Jozin et plus tard ministraillon d'l'éduc nomma des copains et créa le système des promotions par rapports pédagogliques réalisés par les copains pour les copains - et naturellement il fallait démolir les autres, les vrais profs, qui faisaient tache. Des maîtresses auxiliaires qui couchaient bien furent bombardées agrégiais et hors classe en un temps prématuré. Pour casser les récalcitrants, l'Allégrette eut recours avec Meumeu au vieux truc socialo-communiste des Centres de rééducation idéologique qu'ils baptisèrent pour l'occasion Instituts de formation des maîtres, dans lesquels tous les "formateurs" étaient des bien-pensants, qui avaient pour seule ambition de ne jamais retourner devant les élèves (châtiment suprême pour cette nouvelle élite de l'enseignement), et qui formataient sans état d'âme sur les critères Meumeu. Croûton avait d'abord cru que Chosset élu casserait le système, avait cru ce que Chosset disait, puis, celui-ci au pouvoir, avait mesuré l'étendue du mensonge et de la trahison. Chosset ne servait absolument que ses intérêts. Et ses intérêts n'étaient pas la confrontation avec les socialos, mais une répartition des territoires. Croûton avait vu paraître les nouveaux inspecs d'l'éduc, ils devaient leurs carrières à Meumeu et servaient, plus près du KGB que de la culture française. Il avait vu défiler pour des inspections truquées les représentants de ses ennemis, la Bigearde, gros tas dégoûtant qui, pur fruit de pédagoglie, veillait au non-enseignement, la Launyaise instit promue inspec par bienveillance spéciale et toute fiérote d'aller faire la leçon à son supérieur réel, un véritable agrégé, et elle, eh bien voilà, devant, sans attendre le ciel auquel elle n'avait pas besoin de croire. Les Proviçats de gauche s'étaient succédé. L'école de France n'était plus qu'un centre de formation au gauchisme et - curieusement - à l'américanisme; l'anglais y supplantait le français, les français de papiers ne se souciaient ni de la culture ni de la langue, ce n'étaient pas les leurs, et les socialos-chossétiens expliquaient que la France était désormais pluriethnique pluriculturelle, bref tout mais française le moins possible. Pour ne pas déplaire aux immigrés, aux gogoches aux idées simplistes et naïves, aux Chossetiens de plus en plus riches grâce à leur habile mondialisation. Contre ceux qui protestaient, Chosset et les socialos firent des lois spéciales. Ainsi dans le pays de la liberté d'expression, il était interdit de protester contre le désastre politique. Ceux qui étaient contre c'est qu'ils étaient racistes, xénophobes, donc condamnables. Elémentaire et malhonnête système qui réussit merveilleusement.

11

Un redoutable concurrent pour Quiqui, dans son propre camp, était le Prime minister factotum de Chosset.

Il avait un argument de poids : il avait pris un bain froid dans la Mer du Nord devant les caméras.

Et quand il courait, Quiqui ne pouvait pas faire le footing à côté car le factotum avait de plus grandes jambes.

Les sondeurs sondèrent et créèrent plusieurs fois l'événement par leurs résultats. Le fléau de la balance penchait parfois du côté de ce concurrent. Quelques coups de pouce et...

C'est alors qu'éclata l'affaire Clairestring, un foutoir où des innocents dont Quiqui paraissaient coupables au moyen d'un listing truqué de comptes à l'étranger. Comme personne n'y comprenait rien, djournalistes pouvaient s'en donner à coeur joie et pondre long article sur long article. Chaque semaine livrait de grandes révélations qui ajoutaient à la confusion.

Le factotum devait avoir une part de culpabilité. Il avait voulu piéger le Quiqui. Il fut puni par les sondeurs. Personne ne protesta car c'était justifié, de noirs soupçons planaient sur lui.

Il y avait un corbeau, un corbeau de l'enfer, qui avait porté la liste truquée à la lumière mais seul son bec blanc avait été vu. On le cherchait sans espoir.

Quiqui, blessé dans son honneur de Quiqui, avait porté plainte.

Il ne désignait personne.

Le factotum était suspecté par la presse. Chosset ne la tenait plus comme autrefois depuis que son parti lui avait glissé des serres. Et puis elle était joueuse, la putain, en plus d'être chère. Elle ne se livrait dès qu'elle était presque libre, qu'après s'être mise aux enchères, elle s'offrait au plus offrant et avec les élections les grandes bien en vue ça allait flamber avant l'extinction de la chandelle.

Les p'tits cand'dats servaient à rigoler. C'étaient de p'tits. Certains voulaient passer la corruption au lance-flammes. Ils n'avaient pas de parti. Sauf le type de l'extrême-drouète. L'Extrême était un mauvais. Quand on est contre la corruption ne serait-on pas contre la liberté de la presse ? Mais il devenait vieux. Il envoyait sa fille à sa place, souvent. Fifille n'avait pas la phrase-révolution de droite, elle était rassurante sans mentir, elle n'inquiétait personne. A l'opposé, ceux tellement à gauche que Candidate socialo horrifiée de leurs propos se serait écriée : "Mais qui c'est, ces gens-là !" Elle en avait déjà entendu parler, évidemment, mais son tendre compagnon l'avait protégée des mauvaises rencontres. Ils disaient des choses pas gentilles sur elle, par exemple qu'elle n'était pas de gauche. Elle n'avait pas brûlé d'OGM, elle n'avait pas campé avec les sans-abris, elle n'avait pas roulé à vélo, elle n'avait pas tagué dans les banlieues, elle n'avait pas... mais qu'avait-elle fait au juste ? Un journal révéla qu'elle payait l'impôt sur la fortune. "Oui, mais juste un p'tit peu", dit-elle. Son concu ne se montrait pas trop, le marionnettiste jouait gros et on ne devait pas voir les ficelles. Il dirigeait son parti hors caméra, la presse globalement jouait son jeu, très contente pour ses gros titres et ses photos du Candidat femelle.

Pour se présenter il fallait cinq cents signatures de dignitaires des élections diverses, les partis en place depuis longtemps et de ce fait largement pourvus en millions par l'Etat tenaient donc bien le système. Les p'tits ils auraient des signatures si les grands le voulaient bien. L'électeur ne pourra voter que pour ceux pour qui on lui dira va voter, et voter dans ces conditions c'est un acte civique, qui rapporte gros à ceux qui font les belles carrières quand l'électeur a bien voté pour leur candidat. Le système n'est pas vraiment moral, il a été mis au point par et pour Chosset, un spécialiste de la politouic mais pas de la morale. Pour s'assurer des réélections il en a fait bien d'autres. Mais il a obtenu des votes de l'assemblée et des décisions du Conseil constitutionnel pour le couvrir. Il sort couvert, la morale ne passera pas par lui.

12

Proviçat était dans les gros calculs. Apprenez, brimborions, que les De la haute concoctent. Tôt le matin, vers les 11 heures, quand vous oeuvrez aux tâches ordinaires des emplois subalternes, il y a des sérieux qui pensent.

Les grands modèles étaient en lui. Il se recueillit, Jozin l'illumina. Prédissident vint aussi. Et à la table ronde se pointèrent le jovial Marx, Staline le béat, Lénine l'acidulé, le profond Mao et l'efficace Pol Pot. Tout le monde étant là, la séance de pensée put commencer.

- Comment imposer aux Françouais par l'école une évolution qu'ils refusent en politique à chaque élection. Comment faire leur bonheur malgré eux : mettre fin aux nations, installer les arabislams encore plus, les africains musuls, achever de tuer le catholicisme à coups de médias, mettre Hollywoude dans la vie de chacun avec chwouingommes et embourregueules, remplacer le françouais par l'anglais coûte que coûte.

- En disant le contraire, fit remarquer Pol Pot le sage.

- Mais certains remarquent ce qu'on fait au lieu d'écouter ce qu'on dit !

- KGB, expira le profond Staline.

- On a déjà, avec les Instituts pédagogos, centres de rééducation idéologique comme il y en a eu partout dans vos grands pays.

- Les mal-pensants c'est la plaie, opina le grand Mao. Il vous faut une révolution culturelle.

- Mais pour la produire il faudrait faire sauter les barrières, éliminer de l'enseignement les conservateurs afin de pouvoir former librement la jeunesse...

- Alors élimine, conseilla Lénine.

- Le mal, cria Proviçat dans sa tête, c'est le croûton ! Même si côté lettre d'amour, il faut reconnaître...

- A bas le croûton ! hurla Marx jovial.

Prédissident prit la parole :

- Le point faible c'est toujours les femmes. Il faut bien dire qu'elles sont le point fort, et alors tu en fais ce que tu veux.

Jozin conclut que dans l'éduc et particulièrement dans l'enseignement des Laîtres elles étaient suffisamment nombreuses pour qu'une action efficace pour l'amélioration de la société puisse être opérée. Les détails de l'opération étaient laissés au libre choix du glorieux représentant du progrès.

Le maternage bêtifiant généralisé appuyé sur le gauchisme actif de l'instituteur Meumeu maquillé outrageusement en apôtre de la pédagoglie la novatrice, grossissait jusqu'à la difformité trop visible. En rangs serrés les fâmes prétendaient enseignouer le françouais. Ecjute mâman. Les hommes aux techniques et scaïences, les fâmes aux laîtres. France glissait à fond de mare dans la satisfaction générale. Les ventres prenaient le pouvoir et c'était moooderrne. Ah oui. Les ventres tâchaient d'écarter les hommes par tous les moyens de leurs domaines désormais réservés qui s'agrandissaient toujours. Il est bien temps. C'est bien notre tour. Pas de scrupule donc. Jamais de scrupule. Quand le passé réinventé justifie les saloperies du présent, on peut y aller, on n'a pas à s'gêner.

Proviçat conscient de l'évolution pensa à l'utiliser. Le croûton défendait les Lettres seul reste mâle dans l'enseignement des fâmes et elles seraient la barrière qui le stopperait. Déjà il était isolé de toutes les façons. Elles se réunissaient entre elles pour d'interminables parlottes qu'elles baptisaient avec bonne foi Conseils d'enseignement ou de préparation au Bac blanc ou... où on papotait des gosses, du mari éventuellement, des revues fâmes, des émissions fâmes, des chansonnettes fâmes... Après, ah on a bien travaillé. Il faut rentrer à la maison et deuxième métier, s'occuper de cette maison si le mari ne l'a pas fait. Au début croûton allait à ces réunions, obligatoires d'ailleurs, puis il avait espacé ses présences sans que les papoteuses s'en aperçoivent, finalement il n'y allait plus et elles croyaient que c'étaient des réunions réservées aux fâmes. Elles n'arrivaient pas à comprendre qu'au XXIe siècle un homme en soit encore à enseigner les Lettres françaises. Les élèves bien formés en étaient à se demander si ce n'était pas un pédé. Sinon, comment explicouiller ? Et par en-dessous Proviçat laissait entendre que... eh bien... humhum...

Arzi l'Andouille fut chargé d'encourager les élèves à chambouler l'unique cours de Lettres au bordel-licé. Il passa un accord avec Petite Pervenche pour que les sanctions du croûton ne soient jamais effectuées - sans qu'il le sache -, et dans les promesses inclut le bac auquel le père tenait absolument. Petite Pervenche convoqua une réunion extraordinaire des jumelles roses, de la salope, ainsi appelée parce que ses obsessions pornographiques se manifestaient par des propos sans préservatifs, du fils à papa gauchogaucho et de l'oie délurée Germaine.

La nouvelle table ronde fut vite en place avec gâteaux secs et boissons roses. Le débat portait sur les tourments à infliger à l'ennemi.

- On pourrait ne pas rendre les devoirs et dire qu'on les a rendus, proposa Fils papa gaucho.

- Pasqu'avec lui il faudrait rendre des devoirs ? Jumelle Une n'en revenait pas.

- Cé dé lé barbraïe, articula Jumelle Deux la bouche pleine.

- Il est certain, nota la cultivée Petite Pervenche, que ces pratiques pédagogiques nous renvoient à l'époque de Cro-mignon.

- Trop mignon du bas, j'suis sûre que je m'l'fais, dit joyeusement Salope.

- Oui, dit Petite Pervenche, il aime les propositions. En cours.

- Ah oui ? fit Salope un peu étonnée.

- Et ne pas rendre les devoirs, répéta l'obstiné Fils papa.

L'Oie Germaine but et proféra :

- Moi ses cours i m'intéressent pas.

- Y en a aucun qui t'intéresse, riposta Fils papa.

- Et alô ? J'me dérange pour venir ici, i z'ont qu'à m'intéesser.

- Bite, proféra joyeusement Salope.

- Chacun sa solution, philosopha Petite Pervenche. L'essentiel est que le croûton i démissionne.

- C'est pas un peu dégueu de pousser à ça, dit Jumelle Une le doute à la bouche.

- Si l'Arzi le demande, répliqua Petite Pervenche, c'est pour le bien du licé, on peut y aller à fond.

- Ah ah ah ah, fit Salope simulant l'orgasme.

- Et les autres, questionna Fils papa, comment i vont réagir ?

- J'en connais au moins trois qui demandent que ça, dit Jumelle Deux.

Petite Pervenche fit le bilan :

- Si on ouvre la brèche, les peureux et les hésitants s'y engouffreront. Faut oser puisqu'on est couvert. Faut oser, c'est tout.

 

II L'éduc, ventre de l'avenir

1

Les banlieues étaient calmes, c'est-à-dire qu'on ne dépassait pas les deux cents voitures flambées par nuit, un ou deux caillassages de pompiers par jour, quelques batailles de gangs ou aux urgences de l'hôpital - les bruns haïssaient les noirs et les invitaient à rentrer vite-fait en Afrique -, des pillages de magasins... Les viols en réunion qui avaient disparu pendant la guerre civile reprirent, le problème des femmes voilées ou gare refit la une.

Chez nous Lola avait son petit Guantanamo, copié sur le grand modèle amerquicain. Oh, c'était modeste. Nous n'avons pas les moyens d'une grande installation et l'ancienne fabrique excentrée que nos défenseurs utilisent est sans confort. Mais les lois de la République permettant aux coupables de démolir petit à petit la République, elle avait eu l'idée de mettre en pratique une charia spéciale pour arabislams, afin qu'ils ne se sentent plus désorientés, pis : mal-aimés. Donc quand la justice eut fini de remplir ses paperasses de libération des meneurs, elle les fit embastiller par Gros-tas de La Flicaille en des locaux inappropriés qui permettaient leur intégration provisoire dans le système pénitentiaire quoique sans papiers. On tâchait de copier au mieux ce qui se passait dans le grand modèle quicain, mais sans stage c'était difficile.

Au siège de la police Lola reçut des plaintes pour des disparitions; elle enquêta elle-même sur les auteurs des plaintes et ils allèrent grossir les effectifs à Guantamini.

Comprenez bien que je n'excuse ni ne défends Lola en ses coupables actions, son zèle simplement était plus méritant que ses actes.

Du reste chez nous c'était le calme plat dans nos banlieues, on les oubliait. Elles, elles ne nous oubliaient pas. Merlet de retour unifiait à sa façon très poblitic. En clair il annonça un programme-foutoir de dix millions d'euros pour ces banlieues. On payait la casse d'un côté, on payait une rançon pour avoir la paix d'un autre côté. Une paix provisoire. Ce système rappelle celui du chantage, il est sans fin. Mais les Merlet et les Chosset peuvent continuer, à nos frais, leurs belles carrières.

Il y avait même, paraît-il, à Guantimini, des sortes de jugement où le prévenu avait à choisir quelle main on allait lui couper ou quel oeil on allait lui crever, parce qu'il s'en était servi pour nuire. Ce n'est pas sûr. Quant à l'exécution de la sentence, les vidéos sur internet ne prouvent rien. A mon avis, avec toutes ces cagoules, ces cris, ces gros plans sanglants on est dans le cinéma, pas dans la réalité. Du cinéma grossier, sans art en fait, du cinéma gore d'amateur. Car, où est la Rousse ?

D'ailleurs l'usine a flambé, on ne voit d'éclopés nulle part, la presse a fait chou-blanc dans sa tentative de déstabilisation des forces spéciales - à croire qu'elle tente d'atteindre le but des émeutes par d'autres moyens -, et notre Chef de la police a été félicité par Merlet, parfaitement; en échange notre Chef de la police a dit que notre Merlet est un grand Merlet, qu'il a remarquablement géré la crise en laissant libres d'action les professionnels. Lola au premier rang a vivement applaudi. La télévision a fait un long gros plan sur Lola. Elle est belle, Lola.

Et Cléopâtre donc. Elle a repris boulot sur les ondes de téléplate, elle si bien carrossée. C'est l'émission préférée de Proviçat. Il a repris sa correspondance après avoir plongé dans le décolleté de Bêêêlle car elle aime ouvrir les boutons du haut et si on est sage et que l'on écoute bien, on a droit à des gros plans et on peut plonger.

Il fit venir croûton et lui exposa ses aspirations. Elles tenaient à des boutons superflus qu'il fallait ouvrir. Cyrano prit sa plume et rédigea la lettre aux boutons. "O toi la compressée, libère-toi, femme, deviens rêve !" etc... Roxane montra à Merlet qui constata que son bordel-licé était dirigé par un fou. Il en conclut qu'il fallait garder les preuves car elles pourraient servir dans les négociations un jour. Croûton, lui, composait odes sur odes rigolotes et jouissait pleinement de la situation, y compris chaque dimanche avec le décolleté affriolant. L'émission portait sur les programmes de télévision, il s'agissait d'en dire du bien, dans ces conditions il était difficile de faire de l'audience, l'attrait résidait dans la présentatrice néanmoins entourée de chroniqueurs rougeauds avec un invité ou une invitée. Merlet aurait bien voulu avoir sa tête à côté du décolleté de Cléopâtre dans la lucarne mais le prétexte télé manquait, il ne quittait pas les coulisses. Alors pour s'occuper il lisait et relisait les lettres et il eut l'idée ingénieuse d'y répondre.

2

Quiqui haussait le circonflexe de ses sourcils en une concentration réflexive einsteinnienne. Il cherchait son futur nom. Le nom de son sacre. Il ne pouvait s'appeler Quiqui 1er, cela manquait d'allure. Les disciples de Chosset l'avaient irrité en insinuant en des lieux médiatiques qu'il serait Chosset II. Mais lui voulait réaliser de grandes choses... Il lui fallait le nom qui l'annoncerait.

Il avait pensé à César mais le chiffre à mettre après prêtait à discussion, Napoléon IV lui avait été refusé par des descendants bornés des numéros antérieurs, Alexandre était bien... non, non, ce prénom ne va pas, il fait trop... passe-partout... Ah ! ... Je ne vois pas... Ou... Peut-être...

Se penchant sur l'arbre généalogique de sa famille, il considéra que, venus des contrées hongroises, ses ascendants avaient sûrement... oui... probablement... des ancêtres Huns. Attila II, roi de France. Cela sonnait bien. Mais il y avait des connotations négatives... Il chercha dans un gros livre et conclut que, effectivement, des esprits chagrins trouveraient à critiquer. Il essaya un diminutif : Titi 1er ? On le croirait seulement roi de Paris. Attiléon ?...

A cette époque son rival Vilepinte, sous le prétexte qu'il était Premier ministre, en profitait pour mettre en place diverses solutions au chômage. Pour ceux qui n'étaient jamais embauchés il fit jaillir le Contrat Première Embauche. Le principe était à son sens d'une aveuglante évidence : en rassurant le patronat qui craignait de devoir garder du personnel inadéquat et en lui ôtant les charges etc il le convainquait par son intérêt d'engager plus. Provisoirement. La lumière n'aveugla pas ses adversaires; ils prétendirent que le but était de développer l'esclavage moderne. Les sans-emplois seraient des sous-employés. Ils en baveraient, les corvéables; les adjudants du profit s'en chargeraient. Jamais ! répondait le noble chevalier Vilepinte, la morale n'est peut-être pas fréquente en politique mais chez les petits, les sans-grades, les riens, elle est très présente. Il faut savoir faire confiance au peuple.

Une grande partie du peuple ne fit pas confiance à une autre grande partie et descendit dans la rue.

On était habitué.

Quand il n'y avait pas eu une grande grève dans l'année - et une dizaine de ses petites soeurs - on s'ennuyait. Et on se posait des questions sur les capacités de l'équipe gouvernementale; alors on descendait dans la rue.

Vilepinte en était à vouloir faire passer de force son CPE. Schéma classique. La droite terroriste menaçait la gauche en pacifique promenade. Les jeunes, concernés en masse par la lumineuse invention, claquaient des dents de peur en considérant ce qui les attendait. Etudier dans ces conditions, avec l'angoisse de l'avenir CPE, n'était pas humainement supportable. Autant ne rien faire. Inutile de suer pour subir.

Comme toujours dans les rues on était très joyeux. La grève est la dernière grande fête populaire; qui n'a pas connu ça n'a pas connu la joie républicaine. La jeunesse se forgeait les bons souvenirs qui font supporter plus tard tant d'aléas. On avait envie de l'aider parce qu'on sait comme la vie est dure... Ainsi grossissait la foule dans la rue.

Chez nous aussi y avait d'la joie. Proviçat avait expliqué aux élites d'l'éduc que le Vilepinte on se l'faisait. Arzi l'Andouille avait exhorté les troupes adolescentes et en avant la bataille. Petite Pervenche trouvait la tâche écrasante : s'occuper à la fois du croûton et du Vilepinte... cela méritait deux Bacs. Et elle envisageait de les passer dès la fin de la 1re.

C'est au cours de ses travaux d'Herculette que Lola l'aperçut. Tout de suite elle sentit le gibier. "Tudieu, fit-elle, en secouant se chevelure rousse, le beau brin.

- J'peux l'arrêter ? implora La Flicaille allumé.

- Ou moi ? risqua Gros tas.

- Voyons, c'est une mineure, répliqua la rousse Lola, je m'en charge."

Entre l'Arzi qui la surveillait d'un côté et Lola de l'autre l'inconsciente Petite Pervenche avait des ennuis en vue quand Papa déboula en bagnole, sortit, flanqua une baffe à fille chérie, l'embarqua sans ménagement et repartit. Lui, il se demandait bien que faire d'elle quand il n'y aurait plus moyen de la faire garder à l'école et il était pour le CPE. Il n'avait pas envie de l'avoir à sa charge, à la maison, encore dix ou quinze ans.

La fête continua donc sans elle, le défilé fut calme et organisé, long, long... et on put enfin se taper sur la gueule. Même le Chef de la police vint jouer. Il avait besoin de se détendre; les bureaux, toujours les bureaux... C'était bien plus amusant que la bataille de fleurs au carnaval. Dans l'enthousiasme Lola fit même flamber quelques voitures mais elle se reprit vite et en arrêta des auteurs présumés qu'il fallut relâcher faute de preuves. Notre Chef de la police eut l'avantage sur le député socialiste et le dirigeant syndical trotskiste, comme quoi il n'était pas si rouillé, après ils allèrent finir la nuit en boîte. Les putes du coin travaillèrent bien mais elles en profitèrent pour augmenter leurs tarifs sous prétexte que l'offre était inférieure à la demande, elles se justifièrent par des propos du ministre des finances. On leur répondit par des propos du ministre de la justice mais elles ne se laissèrent pas intimider et il fallut payer. Quelle belle période ! Nul n'avait besoin de se droguer, tout le pays planait. Au matin, vers onze heures, car on avait le réveil difficile, on avait juste à décrocher le téléphone pour prétendre, quand l'employeur était là évidemment, que l'on avait eu beau attendre les transports en commun, rien. Et on retournait se coucher, satisfait du devoir accompli.

A cette époque aussi quelques esprits soupçonneux accusèrent les PDG des entreprises automobiles de faire eux-mêmes flamber les voitures dans les rues pour relancer leurs ventes. On prétendait les avoir vus en personne, blouson et casque noirs, opérer. Mais les médias ne relayèrent pas, alors il n'y eut pas de scandale. L'absence de preuves y fut aussi pour quelque chose. Et le fait que les témoins étaient saouls.

Croûton, lui, déclara que, comme le père de Petite Pervenche, il était pour le CPE. Cet homme était un asocial.

3

"O toi, toi le p'tit mignon tout plein, fleur d'l'éduc, Proviçat frère de Roméo, je gis sur mon lit en relisant tes laîtres folles, ô mon fou, libre dans mes idées tandis que Merlet il me tourne autour l'air soupçonneux. Ah, s'il savait ! Je jouis de toi dans mes pensaies, j'adore ton corps grassouillet, mes fantasmes te suivent comme les poules demandent le coq. Quel amour que le nôtre !"

Quand Merlet eut fini d'écrire il montra à Cléopâtre sortie épuisée et contente de son émission. "Tu ne devrais pas", dit-elle amusée.

Croûton n'en crut pas ses yeux, Proviçat sans façon débarqua chez lui pour montrer la missive de l'aimée. Que se passait-il ? Cléo dans sa tête médiatique avait-elle vraiment des spasmes orgiaques de dépravation comique ? Il douta et s'en tut. Ainsi commença entre Lion-lion et le croûton une correspondance laissant derrière elle Héloïse et Abélard, Diderot et Sophie, la Vache et le Prisonnier...

Régulièrement les politiques, les djournalistes, les miss France et les plus penseurs des footballeurs ainsi que des chanteurs et même des acteurs de ciné venaient rappeler aux masses que l'on n'était pas en décadence. Depuis que le prédécesseur de Chosset, le De la gauche Prédissident, s'était fâché rouge en disant qu'il ne voulait plus entendre ce mot, qu'il était le Louis XIV de la République et que si ses électeurs étaient trop cons pour le comprendre au moins qu'ils la ferment, c'était devenu un rituel. Il s'agissait de faire semblant de croire que ne pas et de développer sur le sujet sans rire. Chosset aussi intransigeant que Prédissident, tout en n'étant officiellement pas à gauche, et en fait pas à droite, et même moins à droite que ledit (quand on insinuait qu'il avait bien roulé les électeurs, cela le faisait rire, il prenait le reproche pour un compliment). Le rapport avec les belles lettres chichement citées avant, c'est que l'art, bien loin de disparaître comme dans les périodes noires, s'épanouissait au contraire jusque dans les lieux les plus inattendus; si autrefois Paris était la ville des artistes maintenant France était leur pays. Certes l'art naïf dominait, et même l'art candide, mais c'était merveille de voir à tous les niveaux sociaux tous les gens produire de l'inouï, laissant loin derrière le parapluie et sa table d'opération. Si les temps futurs ont du temps à perdre ils trouveront amplement matière en des recherches sur le nôtre. A défaut qu'ils me fassent confiance et me croient sur parole. Je suis d'une sincérité bien renseignée et peux dire la vérité d'au moins 20 % de la population. Sans failles et sans flatteries.

Certains prétendaient qu'aux Unitaides states c'était pire; pourtant là-bas, c'est sûr, ils ne connaissaient même pas nos gloires des arts alors que nous on est obligé de se taper leurs films et leurs chansonnettes. Ils ne nous précèdent pas en tout, ils ne sont pas pour tout en avance sur nous; et la décadence on l'ignore comme ils ne l'ignoreront pas avant longtemps.

Donc nos gloires épistolaires futures dialoguaient d'amour tendre. Les lettres de part et d'autre étaient recueillies dans de beaux portefeuilles, de marocain blanc pour Merlet, bordeaux pour Proviçat. Mais seul Proviçat embrassait celles qu'il recevait. Croûton soignait le style pour les anthologies futures. Il allait chercher l'inspiration sur la promenade de la mer en regardant courir la blonde aux sourcils d'hirondelle. Elle le regardait en le frôlant et elle devenait énigme. Le rêve de l'entêtée sportive hantait ses lettres à Cléopâtre et il lui échappait parfois des phrases de vraie poésie que Proviçat censurait horrifié constatant que ce type ou sabotait le travail ou était victime d'égarements dramatiques. Il faut une tête solide pour contrôler le petit personnel créatif.

4

Cette année-là, chez nous, on reçut la TNT, la télé numérique terrestre. De cinq chaînes, plus une payante pour les riches, on passait à quatorze, plus celles payantes pour les riches. Les nouvelles n'avaient pas d'argent, donc pas de programmes, elles piquaient dans les poubelles des autres et pour le reste passaient en boucle des clips vidéos musicocos ou faisaient du direct avec papotage accrocheur qui n'accrochait guère. On regardait parce qu'elles étaient nouvelles.

Merlet avait fêté l'événement à sa façon, c'est-à-dire en se montrant aux installations techniques locales à inaugurer, avec obligations pour le djournal le nôtre (et surtout le sien) de faire sa publicité comme si la mouche était l'organisateur. Il faut toujours ratisser large dans la crédulité publique, on finit par y gagner des voix.

Le décolleté de Cléo était plus net en numérique, mais pas plus profond. Le modernisme est décevant.

La pensée est l'honneur des hommes, mais c'est si bon d'être des bêtes.

Au bordel-licé, le croûton, plein de vaillance, posa carrément une question à Jumelle rose l'aînée. Elle se réveilla indignée; "Vous savez bien que je sais pas, pourquoi vous me la posez la question !" s'étrangla la victime de l'abominable offensive. "J'comprends pas l'texte et j'comprends pas la qouestion, c'ment j'pourrais y répondre ?

- C'est justement pour aider à comprendre le texte que je pose des questions, répliqua croûton avec un illogisme flagrant.

- Pourquoi il embête ma soeur ! cria Jumelle rose puînée. I sait bien qu'elle peut pas ! Alôors."

Une agitation cyclonique parcourut la salle. Le croûton se livrait à un acte de torture.

Petite Pervenche, en tant que déléguée, jugea son intervention indispensable :

"Monsieur le Proviseur i a dit com ça : Soyez tranquilles, j'vous f'rai pas mettre en ténique, quoiqu'i dise."

Un brouhaha de satisfaction gonfla, vola, poussa un peu les murs.

"Chouette. Bite. Ah ah ah, dit joyeusement Salope.

- La paix, la dingue", répliqua le vexant croûton qui ne savait pas admirer la culture des jeunes d'aujourd'hui, laquelle n'est évidemment pas comme celle des jeunes d'autrefois. Il faut vivre avec son temps. La prof d'histoire, une fidèle de Proviçat, le comprenait, elle. D'ailleurs elle ne répondait même pas bonjour à croûton. Aussi Proviçat l'avait-il choisie pour travailler en équipe TPE avec le monstre; le but étant de démontrer que le monstre ne savait pas, ne pouvait pas travailler en équipe. Les TPE, vagues Travaux peu Personnels diversement Encadrés, avaient pour le Bac une notation rassurante : 8 points mis par les Encadreurs eux-mêmes - s'ils ne mettaient pas de bonnes notes, ils reconnaissaient donc qu'ils étaient de mauvais encadreurs -, douze points par un jury de copains, choisis par Proviçat en son bordel-licé. Les élèves commençaient par expliquer - obligatoirement - au jury que les TPE c'était bien et qu'ils avaient beaucoup appris et qu'ils étaient très contents - précaution des concepteurs de cette révolution pédagoglique destinée à les couvrir en prouvant que le public scolaire leur devait biaucoup, biaucoup -, donc ils prouvaient par ces nobles paroles leur investissement dans leurs études; puis ils présentaient leur oeuvre déjà vue par le jury qui avait le droit de poser des questions pas embêtantes (sinon toi, tu ne reviens pas l'année prochaine et Inspec d'l'éduc se charge des représailles); le papotage ayant droit à six points il en restait six sur vingt pour le travail véritable; mais de toute façon il ne faut pas décourager les élèves.

Salope a une mère très active et un papa très tolérant. Elle n'est pas plus bête qu'une oie et par conséquent elle est en classe littéraire. Elle n'a jamais aimé lire parce qu'elle n'a pas eu de bons enseignants. Mais cette petite est courageuse. Elle vient tous les jours à l'école voir les copains. Parfois même ils travaillent ensemble le dimanche.

"Oh, je mouille, répondit-elle avec à propos à croûton, histoire de prouver qu'elle avait de la repartie et qu'elle avait des connaissances.

- Bon sang, fermez-la, gueula le croûton pas correct.

- I f'rait mieux d'app'ler tout de suite son avocat", dit plaisamment Fils papa, papa un pur gauchiste friqué intime de Proviçat.

Petite Pervenche était légitimement indignée en tant que déléguée. Elle sortit de la salle en claquant la porte et se précipita dans le bureau d'Arzi l'Andouille. Il lisait le local djournal quand entra la mignonne encore verte; il s'intéressa à elle et écouta ses propos; il en référerait à Proviçat, les choses étaient trop graves pour qu'il osât usurper les prérogatives d'intervention du Chef d'établissement; et elle, elle allait bien ? On se fit quelques confidences. Puis elle retourna en classe en déclarant au croûton qu'il ne perdrait rien pour attendre. Non mais !

5

L'armée de défense populaire anti-CPE, au nom des forces de progrès, voulait la tête de Vilepinte. Lui, le méchant, ne voulait pas la donner. Dans la rue les gens ne comprenaient pas : Chosset avait toujours lâché les micuistres qui sur son ordre avaient entrepris ses réformes, même Jupin son grand ami, alors ? Pourquoi ne lâchait-il pas celui-là ?

Chosset n'était plus celui qu'il avait été. Qui mettre à la place de Vilepinte ? Qui avait assez envie de la place pour se compromettre avec un président sur sa fin ? Quiqui tenait le parti, celui de Chosset devenu le sien, il tenait donc l'élection. Chosset ne pouvait même pas se risquer à une nouvelle candidature. Lui qui avait tant lâché les autres s'indignait d'être lâché. Il voyait partout des ingrats. Il concoctait en sa tête sombre de noires vengeances, projets désormais illusoires.

Vilepinte donc. Et jusqu'au bout. Pour qu'il soit au maximum dans l'incapacité d'agir Quiqui ravivait de temps en temps la plaie Clairestring. Ça faisait mal, c'était bien. Vilepinte clamait son innocence; s'il l'était c'était encore plus utile de raviver. Occupé à se défendre il n'était plus en mesure de penser aux présidentielles.

Du côté socialo on s'activait aussi. Candidate femelle rencontrait de l'opposition : on avait décidé en haut conseil de faire des primaires; les militants choisiraient le candidat du parti. Elle se mit aussitôt à renouveler sa garde-robe. Les hommes en effet ont des couturiers à la longue expérience, qui savent ce qu'il faut à un puté, à un micuistre, à un petzident. Elle était un cas nouveau. Tour était à inventer.

Il y avait trois séances à une télé TNT, la chaîne des putés. Les trois postulants, deux décatis et elle, seraient debout à des pupitres devant deux djournalistes assis, dont une belle fille pour retenir les amateurs. On avait un grand sujet à chaque séance et on parlerait longtemps. C'était une nouvelle ère : la démocratie dans le parti !

Candidate femelle qui en balade sur les ondes, avait flotté sur tous les sujets, ignorant le nombre de sous-marins nucléaires, le prix de ceci ou cela et l'âge de la plus vieille cigogne de France, désormais entourée de savants amis, apprenait leurs fiches. Quoique putée depuis des années et pézidente rédgionale depuis peu elle allait de découverte en découverte; c'était très intéressant, vraiment. Tiens, ah je n'aurais jamais cru... Oh, vous êtes sûrs ? Là ?... Oui ? Ah bon...

Ses conseillers lui concoctèrent aussi une série de voyages à l'étranger pour lui donner une carrure internationale, elle boxerait dans les mi-lourds.

C'est ainsi qu'elle découvrit le Liban, Israël, la Chine... La Chine lui plut beaucoup; les gens sont moins libres que chez nous mais du coup ils emmerdent moins; de temps en temps les responsables liquident quelques non-responsables qui voulaient le devenir et l'ordre socialiste règne; on apprend dans les voyages. Là-bas ils ont un mur pour les promenades; Candidate femelle s'y rendit et y fit une déclaration sur la "bravitude" chin-chin et la sienne contre les hordes droitières. Mao mort, elle, elle était là. Elle voulait une révolution culturelle pour France, bien fait, tu vas voir, et les deux concurrents aux primaires elle les croquerait d'une dent dédaigneuse.

Sur ses déplacements on lui reprocha seulement ses propos. Au Liban elle n'avait pas condamné le terrorisme, au Maroc l'immigration, en Chine les atteintes aux droits de l'homme... "Ils pinaillent", dit-elle agacée par ces critiques réactionnaires, "c'est parce que je suis une femme."

Là était sa grande réponse. Et comme ses propagandistes assimilaient constamment le modernisme et le fait d'élire une femme, toute attaque passait pour du machisme écoeurant. Il fallait parler politique sans aucune agressivité, sinon on était politiquement perdu.

Le bruit se répandit qu'elle projetait au cours des primaires à la première apparence d'ombre de violence verbale des mâles, de fondre en larmes devant les caméras et d'en appeler ensuite à toutes les femmes de France à soutenir l'une des leurs pour en finir avec l'écrasement millénaire, la domination millénaire, l'humiliation millénaire dont elles étaient les victimes. Pour ce elle avait une séance d'entraînement par semaine avec une comédienne célèbre. Car la photo à la une de tous les quotidiens devrait en même temps montrer sa dignité, la montrer comme une évidence pour la haute fonction présidentielle.

Vrai ou faux, en tout cas, les concurrents choisirent d'être angéliques aux primaires. Tout le monde s'endormit devant et elle fut déclarée victorieuse à une écrasante majorité.

Les observateurs pobliloustics déclarèrent qu'elle n'avait toujours pas de programme; elle répliqua avec justesse que ses opposants n'en avaient pas eu non plus. Et c'est pour cela qu'ils n'avaient pas gagné. Elle rappela ensuite qu'elle était une femme. Car les bigleux votent. Les mêmes observateurs notèrent encore que les éléphants - un djournaliste en forme avait trouvé un jour cette image comique pour désigner les chefs du parti et les autres djournalistes répétaient mécaniquement la blague depuis des dizaines d'années en la prenant pour une haute pensée - ne lui étaient toujours pas acquis et que les vaincus ne se ralliaient pas.

Et Jozin ? Qu'allait faire Jozin ?

6

Le froid a saisi la mer, elle transporte sur le dos de ses vaguelettes des crêtes de glace qui éblouissent au soleil. Les poissons ne sortent plus. Les derniers pêcheurs tremblent de prendre un bain. Sur les longues plages désertes où crottent les chiens, des désespérés s'aventurent parfois jusqu'au bord, torturés dans leur solitude aux murs faits de bruits de voiture incessants dus à la quasi-autoroute juste derrière.

Notre ville est un passage pour ceux qui habitent à droite et vont travailler à gauche; inversement aussi. Il serait plus simple d'habiter à droite quand on travaille à droite, mais on loue, on achète, où l'on trouve. Merlet préfère construire des voies supplémentaires un peu partout plutôt que chercher des solutions. Réfléchir n'a jamais été son fort et si le bruit constant des véhicules gâche des vies, pas la sienne en tout cas, il a les moyens du silence.

Notre tramway fonctionnera un an plus tard que prévu, sa construction aura duré plus longtemps qu'ailleurs, des riverains protestent. Ils agacent Lion-lion : Quoi ! Ils seront bien contents après. Quatre ans de vie impossible, de circulation impossible, de bruits augmentés, de pollution augmentée. Lion-lion a un mot : Après. Mais on ne vit pas "après", on vit "maintenant", les années gâchées parce qu'un Merlet n'a pas su gérer un chantier, ne se récupéreront pas.

Il est persuadé qu'il sera réélu.

Nona, l'illustre concurrent, fait régulièrement le point avec la presse qui lui envoie une journaliste émérite (sa petite-nièce qu'il aime bien et à qui il a procuré ce boulot). "Le Merlet, il ê ê ê pas fort. Plus con qu'son père qui l'était plus qu'son grand-père, qu'j'é é é bien connu. Le trameway il fâllaiaît le construire tronçon par tronçon, pour pas foutre le bordel et pas d'arrêt comme ça poô les ent'prises, elles t'avâilleraient en continu, d'un tronçon l'autre, tu com-comprends ?

- Oui, grand-père."

La presse convaincue publiait pourtant rarement car le directeur de la publication ménageait l'un et ménageait l'autre, les électeurs ayant l'habitude de faire n'importe quoi, il faut se méfier d'eux.

Lion-lion, la mort dans l'âme, finit par aller visiter le chantier. Quand il y aurait des rails sur les trous, remarqua-t-il, l'ensemble aurait fière allure. Il se rendit dans la rame qui était présentée au bord de notre mer à l'admiration des foules avides, c'était une belle idée chère qu'il avait eue là, tout le monde pouvait venir s'asseoir un instant et rêver qu'il roulait. Mais des méchants avaient tagué leurs saletés et Merlet préféra ne pas s'attarder. Entouré des adjoints concernés, filmé par local TV, il testait sa notoriété, laquelle à l'évidence sombrait, le Titanic avait heurté un fantôme de tramway. Alors, notre grand politique, inspiré par les dieux et par le fait que ses administrés lui tournaient ostensiblement le dos, sentit subtilement ô le fin que les temps changeaient, que Chosset était une époque qui faisait eau, laquelle serait glaciale - et lui si délicat -, et il cria de tous se petits poumons aspirant à la réélection : "Vive Quiqui !" Prodige ! Les indifférents voire hostiles il y a une seconde se tournèrent vers lui comme vers le soleil retrouvé, quelques-uns applaudirent, un sourire apparut sur les lèvres amincies des martyrs du tramway, une lueur d'espérance se mua en rayon qui vint frapper les coeurs tristounets et dans un dernier effort, notre grand timonier en sueur articula : "Il roulera."

Ce fut une belle journée car désormais c'était comme si la petite main de Quiqui était au-dessus de la cité pour la protéger. Le soir Cléo sortit avec mari, ils se montrèrent à l'opéra; ceux qui n'avaient pas droit à la grande entrée - les gens du poulailler devaient s'y rendre par une petite porte de côté et un escalier miteux; on faisait avaler ça en prétextant une tradition locale - se pressèrent au bord de leur réserve pour les apercevoir en la loge héritée des princes d'autrefois hélas hélas.

Les grands acteurs du grand chantier stupéfaits reçurent des injonctions et, comme ils renâclaient objectant qu'ils étaient très occupés ailleurs, les avocats de la mairie agirent sur ordre-Merlet par trucs de justice si bien que, un jour tout beau, on revit des ouvriers sur nos rues défoncées.

Nona expédia aux organes de presse des communiqués pour signaler que le prochain maire c'était toujours lui et que le Merlet pas fort était en outre opportuniste. On ne publia pas.

La mer se réchauffa un peu et supprima une crête de glace sur deux.

7

Après le retour des pavés, le retour des bicyclettes, le retour des tramways (en réalisation), le retour de l'ordre dans les banlieues (en attente) et le retour au plein-emploi (en projet), nos dirigeants, géants de ce début de millénaire, cherchaient une nouvelle idée aussi originale.

L'électeur est flatté quand on lui explique qu'il pense, il est nécessaire de lui fournir son avoine.

Alors dans un grand élan gauche-droite, solennellement fut prôné le retour aux valeurs républicaines.

Quiqui glorifia le noble passé et fit la nique à Chosset fanatique des demandes de pardon tout partout. Il fallait assumer la tête haute la grandeur et la décadence de l'empire français afin de repartir avec Attiléon vers des cimes nouvelles. Mais Candidate femelle ne voulut pas être en reste et en fin de mitingue la gauche se mit à chanter la Marseillaise. C'était une révolution. Les autres têtes du socialo-parti tâtaient leurs cous avec inquiétude pour être sûrs qu'ils étaient toujours d'un seul tenant; dans les salles ils firent interdire les piques.

L'Extrême fut très fâché. On lui volait sa chanson. On lui volait ses valeurs. On lui volait son programme. On lui volait jusqu'à ses discours de ses campagnes précédentes ! Il devrait tout de même y avoir des limites au plagiat ! Même en politique ! Un comble : Quiqui déclara officiellement qu'il voulait lui voler ses électeurs. Interrogée sur cette dérive du toujours ministre de l'Intérieur vers l'électorat ultra, Candidate femelle répliqua : "J'en veux aussi, y a pas d'raison. En tant que femme j'ai droit à la parité." Les à-gauche d'la gauche hurlèrent au blanchiment d'extrémistes droitiers.

Jusque là les voix de l'Extrême étaient selon Chosset nauséabondes, celles des strotskistes etc ne l'étaient pas; les voix tout à droite n'étaient pas comptées, il s'agissait (déclaration chossétienne de mars 200.) de citoyens de seconde zone. Ceux qui avaient voulu en tenir compte avaient vu leurs carrières politiques impitoyablement brisées par Chosset qui ne pouvait être réélu qu'en isolant les électeurs de droite hostiles à sa corruption afin de charmer les centristes, conciliants par nature.

Les intouchables, stupéfaits, se voyaient réintégrés dans le droit de vote.

Etre fidèle à la France, à ses valeurs, à son passé, n'était plus un crime qui vous faisait traiter de fasciste, de nazi. L'immigration insensée fut remise en cause par Quiqui; sa concurrente battit de l'aile un certain temps, tiraillée entre les fanatiques qui avaient multiplié les filières d'entrée illégale et les inquiets après la guerre des banlieues, mais finalement elle s'adapta et se prononça pour une immigration mesurée face à l'immigration choisie du ministre dont elle dénonça le caractère inquiétant.

Pour l'Europe, l'un et l'autre étaient européens sans vouloir livrer les clefs de France comme Chosset toujours prêt à tout donner et à demander pardon en plus, alors grand sourire tout content.

L'Extrême ironisa en disant qu'on lui volait son Europe des nations. Les deux autres s'y empressèrent.

Devant tant d'effrayantes nouveautés on comprend la perplexité de notre Proviçat. Cette femme qui représentait son parti lui paraissait une irresponsable qui, par exemple, ne comprenait pas que le pays pour devenir plus pluriethnique, plus multiculturel devait importer plus d'arabislams; elle ne disait même pas qu'il fallait payer des mosquées et démolir ces saloperies d'églises de cathos; elle n'avait pas de programme ! Pour l'éduc, elle voulait un aménagement de la carte scolaire (que Quiqui voulait supprimer) si pratique pour qu'il puisse former le jeune nouveau, le socialiste nouveau, l'homme nouveau sans que les parents y puissent rien puisqu'ils n'avaient pas le droit d'envoyer leurs enfants ailleurs. Elle était folle, la mémère !

Jozin ! O Jozin, pourquoi te tais-tu ? Il faut revenir, le pays a besoin de toi, il ne le sait pas mais ton Proviçat l'explique pourtant. Reviens ! Dis sur les médias que Mémère se trompe, qu'il ne faut pas voter mémère. Votons Jozin.

De l'île du Roué seul un grognement lui parvint.

Face à cette évolution, le centriste Bêgroux se dit qu'il avait des amis dans le journalisme. Ancien micuistre d'l'éduc quatre années merveilleuses pour lui et les gogoches, il était connu pour n'avoir obstinément rien fait. Rien. Il en déduisait premièrement que personne n'avait rien à lui reprocher, deuxièmement que les socialos qui avaient si bien pu se distribuer les places sous son ministorat et multiplier les pires élucubrations baptisées "expériences pédagogiques" non seulement sans être sanctionnés mais en bénéficiant ipso facto de belles promotions devant ceux qui faisaient réellement le travail, que ces socialos donc, inquiets des projetsprojets de Mémère, voteraient pour lui.

Les sondeurs ne lui donnèrent pas tort. Chosset l'encouragea en cachette. Les chaînes TV amies multiplièrent les reportages bienveillants. Avec tant d'appuis, les uns hostiles à Quiqui, les autres hostiles à Candidate femelle, il commença à grimper, péniblement, dans les pourcentages d'intentions de vote.

Les p'tits can'dats aussi, oui, ils avaient des programmes. Plus cohérents d'ailleurs. Le côté rationnel inquiétait. Des gens si convaincus, s'ils arrivaient au pouvoir, ne transigeraient jamais. Ils réaliseraient. Coûte que coûte. Aïe aïe aïe. Ils vous répondraient qu'il faut souffrir pour avoir une belle humanité... Tu parles... Avec le candidats des partis à putés, on est tranquille, ils ne seraient pas arrivés à la tête de ceux prêts à tout pour être réélus sans être les meilleurs en ce domaine. C'étaient de vrais républicains.

8

Ce jour croûton en avait marre de la connerie Proviçat. Dans le brouhaha calculé par les futurs bacheliers-Brouboulle, il attrapa Petite Pervenche par les épaules et la poussa dehors, sur sa lancée il expédia son cartable d'ailleurs léger léger si bien qu'il retomba plus loin que souhaité.

Au lieu de s'excuser du mal qu'elle faisait, la gosse sûre de la corruption de ceux qui l'avaient corrompue, alla se plaindre. A la fin du cours les autres apprenant qu'il y avait des mentions au Bac à gagner allèrent à la demande de Brouboulle l'aider en se plaignant qu'un prof veuille faire des cours véritables au lieu de faire du Meumeu et ait mis à la porte une élève qui avait le courage de s'y opposer.

Brouboulle nageait dans le bonheur. Il se précipita à la fin du cours suivant de croûton pour l'insulter, lui dire qu'il avait commis un forfait, que son Proviçat allait faire un rapport sur lui (à sa manière), qu'il passerait devant une commission disciplinaire... Croûton répliqua violemment à l'imbécile qu'il n'y avait rien et qu'il perdrait son temps. La suite vérifia son affirmation. Mais Brouboulle n'était pas capable de voir si loin. Il était ivre de joie. Il tenait, croyait-il, le type de drouète, on allait éliminer la drouète, on virerait avec les copains la drouète; ô Jozin ! Il faut que je t'écrive notre bonheur ! Comme tu seras réconforté dans ton exil. Car à la base c'est grâce à toi que ton Proviçat a pu arriver au haut poste, qu'il a pu faire rayonner l'idéologie socialo sur la jeunesse malgré les opposants de drouète. O Jozin, on va liquider le dernier ! Enfin le règne gauchogaucho sera total sur l'école !

P'tite Pervenche se prenait pour l'héroïne du bordel-licé : on la regardait avec de grands yeux ronds, on parlait à voix basse sur son passage, on la laissait passer plus facilement devant dans la file d'attente de la cantine... Le père de Fils papa gochogocho appela Proviçat pour le féliciter et il acheta illico la moto à Fils papa, celle promise pour le Bac désormais considéré comme acquis.

La lâcheté et l'idéologie s'unirent dans les têtes calibre moyen des collègues et croûton fut seul parce que dans un bordel-licé gaucho une gosse avait plus de pouvoir que lui. C'était une honte que ces proviçats incompétents aient pu occuper de tels postes. Chosset, Bêgroux, Jozin, l'Allégrette, le Daim en étaient les coupables. Au coclège voisin l'équipe dirigeante passait pour être à la pointe du progrès parce qu'elle avait su trouver un centre d'intérêt commun pour les élèves : le basket; naturellement le vaste projetprojet pédagoglique n'allait pas user de contrainte pour l'étude de la culture de la France; cela aurait été antipédagoglique; au contraire pour le grand projetprojet cour de récréation façon sport, nulle contrainte n'était nécessaire, l'équipe dirigeante se flattait d'avoir obtenu le consensus rien que par la discussion. Les profs de franc' là, i z'étaient d'bons profs pas'qu'i jouaient au basket; Inspectric'rédgionale êl fisiait bon rappôort à eux car i compr'naient les jeûnes, i leu fâ'cissaient pas la tête avé tas d'trucs pas c'nus ailleûrs. Proviçat aimait serrer la pince de ses égaux en pédagoglie. Enfin, presque égaux.

Les parents de drouète, majoritaires, firent comme croûton, ils haussèrent les épaules devant la nouvelle sottise de Proviçat. Mais à trop hausser les épaules au lieu de régler un problème on finit pas laisser faire n'importe quoi. Déjà à cause de la carte scolaire ils étaient obligés de livrer leur progéniture à un fada de gauche, et pour éviter des représailles sur ladite progéniture ils s'étaient petit à petit abstenus de toute critique ou opposition directe, en plus ils laissaient nuire à ceux qui pensaient comme eux, qui sauvaient ladite d'une ignorance crasse. Ils étaient habitués à laisser faire. C'est qu'ils avaient été trompés par Chosset aux discours de droite pour être élu et pragmatique une fois élu : pour que ces gauchistes ne bloquent pas l'école et ne fassent pas descendre les mineurs dans la rue, on laisse l'école aux gauchistes. Les micuistres choisis avaient joyeusement accepté les oeillères pour avoir le bon poste.

Les plus petites choses ne sont pas sans rapport avec les grandes. Les légèretés d'en-Haut aboutissent aux drames d'en-bas. Chosset couvrait le tout de son large sourire béat. Pour ses amis il était un grand politique. Il avait de moins en moins d'amis.

On appris à cette époque que le PDG de la Firme d'aviation franco-européenne avait commis ou n'avait pas su voir une gaffe qui entraînait un retard considérable dans la livraison du plus gros avion jamais construit; l'action chuta; des milliers de gens furent licenciés; il avait, et quelques-uns de ses proches avec lui, vendu des actions juste avant. De mauvais esprits refusèrent de voir là un hasard. Le PDG dut être remercié; il s'indigna; on le gratifia de huit millions d'indemnités pour services illusoires; alors il accepta, blessé néanmoins, des suspicions notamment. Il représentait pleinement l'ère Chosset.

Croûton ne prit même pas un jour de congé sous un prétexte quelconque; le lendemain du coup monté, il était là. A l'heure.

9

Lola avait fait une rafle de putes au bord de notre mer. C'est que l'on en a encore trouvé une assassinée sur les galets de la plage l'autre jour. On leur en voulait de se faire assassiner là. Surtout que beaucoup venaient de pays lointains, elles auraient pu faire ça chez elles. Notre journal estimait devoir publier ce genre d'événements, cela ne rendait pourtant service à personne; et des lecteurs l'été suivant ne voulaient plus venir à cet endroit comme s'il appartenait définitivement à la morte; étant donné qu'il en meurt chaque année, pour certains ça en fait des endroits tabous. Heureusement que les touristes n'ont pas lu notre journal.

Lola n'a toujours pas été nommée Chef de notre police. Elle en remplit les fonctions pour ainsi dire bénévolement. Il y a des protestations. Quiqui sur son bureau de l'Intérieur avait trouvé une pétition anti-Lola, notre Chef de la police officiel l'aurait même signée; heureusement pour nous Il n'a pas donné suite, Il a préféré l'efficacité à l'officialité. Tout le contraire de Chosset.

L'opération s'est déroulée en pleine nuit, elle n'a gêné personne, on a arrêté aussi des sortes de surveillants de l'organisation qui fait tourner les filles d'une ville à l'autre, d'un pays à l'autre de l'Union européenne; comme l'avait annoncé Chosset la suppression des frontières a permis de développer des entreprises et de multiplier les profits; tout le monde ne profite pas du système, bien sûr.

Ces surveillants ont protesté, de toute façon aujourd'hui tout le monde proteste en permanence et sur tout. Ils estimaient qu'un meurtre prouvait certes de leur part une négligence mais ne remettait pas en cause l'utilité de leur profession; au contraire; pour un meurtre commis, combien en avaient-ils empêché ?

Les prostituées parlaient peu; il faut dire que les quelques phrases en français qu'on leur avait apprises ne trouvaient pas vraiment leur usage dans un commissariat convenable. La Flicaille, chargé de leur interrogatoire en tant que père d'une famille nombreuse et client régulier, c'est-à-dire à la fois protecteur des jeunes et spécialiste de la question grâce à ses stages sur le terrain, fut vite découragé de ne rien comprendre. Il fit venir des interprètes. Mais les Roumaines ne comprenaient pas le roumain, les Russes ne comprenaient pas le russe, les Autres ne comprenaient pas l'autre, bref on n'avançait pas. Finalement on les renvoya sur le trottoir mais on leur interdit de servir la clientèle sur les plages.

Merlet à un conseil de la mairie fit une intervention remarquée par les plus éveillés, il causa sur la rafle, brillamment paraît-il, pour constater que sous l'autorité de Quiqui on agissait enfin; s'il y avait moins de prostituées, il y aurait moins d'assassinats de prostituées !... Mais aussi moins de séminaires d'entreprises, moins de salons commerciaux, moins de rencontres internationales scientifiques, moins de rencontres internationales politiques, moins de touristes...

L'entreprise illicite engendre de vastes réseaux de profiteurs indirects légaux. Quand nous pesons le pour, ah ah, et le contre, aïe, n'oublions pas le bandeau.

Bref, en fin politique, il était : un, pour Quiqui; deux, pour la morale; trois, pour l'action policière; quatre, pour le bon fonctionnement de l'économie de sa ville.

"D'ailleurs", ajouta-t-il -mais cette phrase fut niée -, "l'assassinat de la prostituée a sans doute évité l'assassinat d'une brave fille de chez nous."

Sur ce il alla écrire une belle lettre à Proviçat :

"O chéri, comme j'ai frémi en pensant à la malheureuse et à toi. Ta dernière lettre menaçait de m'immoler des femmes ordinaires comme à une déesse. Est-ce le cas ? Lui as-tu fait murmurer mon nom quand tu lui tranchas sa gorge de ton couteau effilé en inox ? O mon pervers adoré, renonce à tes crimes, fais-le pour moi; je ne te dénoncerai pas mais je veux de toi cette promesse. J'attends avec ardeur ta réponse calmante."

Merlet relut (quand même) et fut satisfait. Il ne croyait pas du tout en la culpabilité de Proviçat mais il voyait là une possibilité d'obtenir une réponse compromettante.

Proviçat plongé dans le ravissement de la lecture, à demi allongé sur le sofa violet de sa chambre seigneuriale, pâlissait de bonheur et d'angoisse. Oh oui, aimée, j'aurais voulu l'avoir fait pour toi, mais c'est dur de penser et de réaliser, et puis il y a les conséquences. Répondre. Répondre tout de suite pour lever les doutes.

Il se précipita chez croûton mais celui-ci refusa de lui ouvrir sa porte. Les gens sont mesquins. On n'est pas servi comme il se doit par le petit personnel.

Alors il décida d'écrire lui-même.

Il pouvait faire aussi bien que le croûton ! Et puis il avait ses beaux modèles, il avait gardé tous les brouillons qu'il avait dû recopier.

Revenu dans le secret de sa chambre, sur son sofa violet, il passa la nuit sans même songer à fermer un oeil et il ratura, réitéra, pensa à téléphoner tout simplement, trouva, calligraphia :

"Oh, ma" ...

Et sa plume stoppa.

Aucune encre ne la fit repartir.

Que faire ?

Pauvre Proviçat.

Inutile de compter sur les profs d'laîtres, braves p'tites femmes et maîtresses bonnes à autre chose, inutile de compter sur le parti... Le mauvais croûton avait trahi la cause de l'amour, on lui f'rait payer. Il est vrai que l'on ne pouvait guère faire pire que ce que l'on avait fait.

... ?

... ?

Il fallait réunir un comité scientifique consultatif.

Evidemment.

Les meilleurs de l'établissement vinrent sur-le-champ informés qu'un cas grave devait être traité d'urgence et que la solution dépendait d'eux. Il y avait Mad'Malkoviave, prof matématic qui se vantait de n'avoir jamais ouvert un livre à part les livr'd'matmatic - cela lui valait l'admiration de la profession - et qui devait sa carrière à son action syndicale sans faille - elle ne répondait même pas bonjour à un collègue qui n'était pas de gauche -, M'selle Hébée, prof de phisichimi, placée par Proviçat à la tête du syndicat-maison, créé antérieurement de toute pièce pour aider l'Arzi à monter en grade grâce à son "investissement personnel dans la vie de l'établissement", et qui était sympa avec les élèves mignons - mais sans aller trop loin ! Ou rarement -; il y avait M'sieur Bléanc, prof de sciennat, baptisée par les gochos avec la pompe qui les caractérise, "sciences de la vouie et de la têr", qui connaissait donc les mécanismes de base et avait fait ses preuves sur les grenouilles; enfin, homme ouvert, Proviçat ajouta un prof de l'Histoire, M'dame Peireze, oie couronnée à un concjurs.

La réunion de travail fut intense. Proviçat exposa la problème en quelques mots émouvants et tout le monde convint que croûton décidément était un beau salaud. Ensuite on passa à la recherche. L'évolution de l'humanité dépend du développement de la recherche. Profmat demanda tailles, poids, longueurs des nez etc et conjectura avec des x pour les vides; profphisi demanda dates de naissances et calcula l'horoscope de l'amour; profnat calcula le meilleur moment pour les meilleurs rapports; profhist chercha comment avaient procédé les grands rois précédents. Le fruit de ces travaux scientifiques fut une lettre; la voici :

"Salut, ô. Proviçat soleil à lune Cléopâtre. Nous sommes faits l'un pour l'autre le mardi 4 avril entre 4 h 10 et 4 h 55. On aura l'temps. Nos signes se chevaucheront en orgasmes versaillais. Pour la pute tuée, ce pas triste car elle été heurheuse de tuées être pour toâ. La mise en facteur commun de notre énergie multipliée par notre masse engendrera de l'amour à ma puissance 10. Tant pis pour la Montespan. Mets tes cheveux en chignon pour dégager ta jolie nuque. T'es une vraie bête en rut, j'aimerais être au zoo avec toi. Dans la même cage, bien sûr. Je t'en tuerai d'autres pour te les offrir. Il y a aussi le 6 juin de 18 h 10 à 18 h 12. Mais c'est la période des élections, j'aurai pas l'temps. Ta bite sans faille,

ton Proviçat,

Proviçat IV du bordel-licé."

Quand Merlet lut, il fut ravi; un peu amusé aussi, il n'aurait jamais cru que l'amour puisse ainsi amener l'homme à se transcender. Que c'était beau. La vie même dans ses aspirations les plus grandes vibrait sur ce papier. Songeur il alla le montrer à Cléo qui en conçut presque de nymphomanes pensées.

10

Vilepinte se rongeait. Il voyait le Quiqui courir. Et Chosset, son cher tonton flingueur en était à craindre pour sa vie. Le destin les avait laissé tomber. L'absence de parti à sa botte est un anti-destin. Oh goût amer des chrysanthèmes au petit-déj, à midi, au dîner; Vilepinte projetait une grève des inaugurations, on viendrait le supplier en larmes, il coupait si bien les rubans.

Histoire de prouver qu'il était un bon Premier, il fit publier des statistiques sur le chômage où tout était excellent : le taux de recul, le taux de résistance, les sous-taux et les taux de taux. Personne n'y crut. On est si habitué aux catastrophes qu'on ne croit que les mauvais chiffres. Pourtant il y avait du vrai. Et à la télé les graphiques étaient plus joyeux que d'habitude, avec plus de couleurs.

Mais le temps de la planète n'était pas bon. Il chutait des nuages entiers en des lieux paisibles, des torrents de boue s'infiltraient dans les cuisines, la grêle était composée d'oeufs de pigeon, des tornades venaient vous voler votre toit profitant de votre sommeil... comment, dans ces conditions, croire à une éclaircie si le soleil n'était pas à la tête du pays ? Ses chiffres il aurait mieux fait de les garder, on n'en voulait pas. Ils avaient un air de bons résultats d'après l'élection de Quiqui, ils en devenaient suspects avant.

Celui-ci cherchait toujours son nom sacré. Il renonça à l'originalité et choisit la tradition. Tenant compte de ses prédécesseurs de la cinquième publique, il s'appellerait Louis mais le XXVème, Louis XXV. France l'attendait. Il était l'aimé.

Candidate femelle, qui croyait toujours en elle-même, voulait une nouvelle Publique pour avoir droit à un prénom des temps modernes. Elle en aurait voulu un dans le genre bolcheviquoaméricainarab, un prénom consensus. En attendant l'illumination, elle chantait la Marseillaise en ses mitingues et ajouta à son répertoire "La Madelon viens nous servir à boire", elle chantait sans orchestre et encourageait le public à chanter avec elle.

Jozin trouvait qu'elle n'avait pas la mesure et il sortit de l'île du Roué. Concubin de Candidate femelle l'y aurait poussé. Selon des confidents il y eut une dispute conjugale au sommet. De gros mots furent prononcés. Des menaces furent proférées. Il y aurait eu aussi une assistante blonde de Concubin qui aurait été une sorte de tentation de sortir de la droite ligne du concubinage. Quiqui constata avec plaisir que chez les autres ça n'allait pas mieux que chez lui; finalement ne pas se marier n'était pas une solution. Lui de l'Intérieur faisait surveiller Femme vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour qu'elle ne file plus. Mais elle réussit à rencontrer Concubin au Fouquest's, paraît-il, et ils rédigèrent ensemble la charte des conjoints de candidats à la pézidentielle. En même temps ils jetèrent les bases d'une réflexion sur le statut de conjoint de l'Elu(e); on ne pouvait plus, comme dans les temps où la femme n'était que l'ombre de l'homme, accepter - surtout si la femme était l'Elue et l'homme le sous - les grands travaux des réceptions, des voyages à l'étranger, des interviews, sans un statut... avec paiement. Pas d'argent pas de boulot, faut être juste.

Jozin constata un manque de soutien dans sa tentative de sauvetage du socialo-parti et se résigna à annoncer son appui à Candidate femelle. Son temps était mal passé. D'autres créeraient les désastres des temps nouveaux. La roue de l'infortune est rose.

L'Elusé est un beau palais. On y mange bien et il y a des dorures. Les tapis sont rouges. Les meubles, les objets ne peuvent pas être emportés quand on perd la place, ils retournent dans les caves du Mobilier national ou servent l'infâme successeur.

Chosset ressassait. Il avait toujours eu de la chance. Il avait été élu et réélu quand nul ne le croyait. Alors... une fois de plus ? Même sans son parti, avec la chance... Et ainsi barrer la route au petit traître; c'est lui qui lui avait mis le pied à l'étrier, sa femme avait reçu à ses côtés le couple infâme et au lieu de déborder de reconnaissance humble et servile, l'homme lui avait piqué ses bottes. Il franchissait sept lieues à chaque pas et Chosset restait cloué là. Et en plus l'autre il courait. Tout le temps. Sans parapluie. Décidément, annoncer, au bon moment, sa candidature, après avoir joué du doute, de l'attente grâce à la presse...

Mais la presse libre de droite avait, perchés sur sa tête aveugle, des cornacs milliardaires amis du Futur. Ils pariaient sur lui et gagneraient gros. Les temps n'étaient pas difficiles pour tout le monde. Ils l'étaient seulement pour les pauvres; les pauvres sont toujours les mêmes parce que la stabilité les rassure. Chosset savait bien rassurer.

11

- Bite. Aïe. Miam miam, répondit aimablement Salope qui n'avait pas de tocs.

- J'ai mal au cul, intervint pour être dans la note Mignonne, copine de Fils papa gaucho.

- C'est ça les oies, reprit tranquillement le croûton pas démonté. Et il continua son cours sur l'illusionnisme dramaturgique et romanesque...

Petite Pervenche n'en revenait pas qu'il soit encore là. Elle l'avait dit à Proviçat lors d'une très récente réunion au sommet. Le croûton il était pas croyable. Tous les élèves pourtant avaient bien travaillé, ils avaient saboté systématiquement les travaux divers, appliqué les meilleures méthodes de déstabilisation enseignées par les amis des jeunes, rien appris au nom de la liberté d'expression, rien écouté au nom des techniques môôôdernes de pédagoglie, rien écrit pas qu'i changent les temps, main'nant on a le t'lephone.

Croûton s'en fichait. Il se fichait de con-Proviçat, d'Arzi l'Andouille maître auxiliaire à la belle carrière grâce aux copains d'gogoche, et des ados qui foutaient avec peine un bordel supérieur à celui des autre cours, ceux des bien-pensants. Mais ailleurs c'était signe de merveilleuse pédagoglie. Ici de mauvaise. Autre différence notable : le croûton faisait son cours quand même; si les élèves poussés par Proviçat ne voulaient pas le faire avec lui, il le faisait tout seul. Parfois les élèves étaient si découragés que le silence leur tombait dessus. C'était un silence lourd de dépression face aux injustices de la vie qui ne récompensait pas tant de travail durement accompli. Comment espérer de l'avenir ? Face au calme le croûton levait juste un sourcil ironique, il ne s'arrêtait même pas. Petite Pervenche était à bout d'imagination.

Proviçat entra en action.

Appuyé sur sa gauche par CPE, un fidèle de la conquête du pouvoir gaucho en lycée, qu'il avait tenu à avoir ici auprès de lui, sur sa droite par l'Arzi, trois pas derrière Bizi l'oie et la Catleen, avec un dico et une grammaire, il barra le chemin à l'homme de drouète qui sortait d'un cours dans lequel il avait chahuté les élèves.

- Stop ! dit Proviçat. Si t'i viens pas dans mon bireau, mon bi'eau i vient à toâ.

Applaudissements discrets de Bizi l'oie qui avait trouvé la citation.

- Alô, t'i as foutu porte P'tite Pervenche, une fille à nous, j'ai fait un p'tit rappô, main'nant j'vas en faire un rappô à l'IGS ! T'es foutu, l'croûton !

Le choeur de l'Arzi, CPE, Bizi et la Catleen reprit : "T'es foutu, l'croûton !"

- C'é moâ qui règne, c'est moâ qui règne ! hurla Proviçat en trépignant. J'fous d'hors qui je veux. Je note, je règne, je fais c'que j'veux.

- I faut plus pouvoirs aux proviçats, renchérit l'Arzi qui pensait l'être bientôt.

Croûton leva son sourcil glacé croûtonique et déclara :

"On dit : dehors. Il y a un e."

Proviçat pâlit :

- Chèche dans l'dico, ordonna-t-il à la Catleen qui tourna frénétiquement les pages. Elle trouva, releva une tête sinistrée.

- C'est vrouais, avoua-t-elle.

Proviçat ne se démonta pas :

- Corrige le dictionnaire, dit-il froidement.

La Catleen dans un silence effrayant de silence sortit d'entre ses seins un stylo rouge et... raya le e félon.

Un ouah de triomphe jaillit des quatre poitrines des soutiens du grand progressiste.

- I a longtemps qu'i faut une réfaurme d'l'otograsse, proféra doctement l'Arzi.

- Elle est en marche ! hurla le héros. Et il enchaîna contre croûton : Ta classe c'est un bordel qu'est pas l'bon bordel !

- On dit "qui n'est pas", souligna le croûton pas poli, la négation doit être complète. Et le relatif aussi.

Un nouveau silence submergea de sa vague les forces de progrès agressées par la Réaction :

- Chèche, dit le bon Proviçat à Bizi l'oie.

Elle tourna les pages de la grammemère, elle disait : "Où ? Mais où ?"

Croûton donna une indication : "Dans la table des matières. Au mot "négation" par exemple."

Bizi l'oie n'hésita pas à profiter du renseignement. Elle oeuvra avec une admirable dextérité, trouva, déchiffra laborieusement, puis lut le passage d'une haute voix tremblante.

- Le croûton, i a r'son, fit-elle au bord des larmes, la pauvre créature.

- Raye, dit froidement Proviçat.

Il y eut une hésitation dans les forces de progrès. Et puis le progrès l'emporta. La Catleen ressortit son stylo rouge d'entre ses seins, le prêta à la Bizi, qui, un bref instant le tint suspendu au-dessus de la page, puis le stylo s'abaissa brusquement et traça un sanglant trait révolutionnaire.

Les applaudissements éclatèrent autour du grand Proviçat.

- Voilà ! souligna-t-il fièrement. Faut oser, c'est tout. Pour toi, dit-il au croûton, c'est l'conseil d'disciplouine.

Et il se retira avec ses troupes au son des trompettes de la gloire.

 

III Futur croise les doigts

1

Les TV et les radios bruissèrent, on chuchotait derrière les micros mais à l'ouïe sabotée par la mjusic quicaine des auditeurs parvint néanmoins un nom : Chosset. Qu'est-ce qu'il avait encore fait ? Les plus sourds demandèrent aux moins sourds qui n'avaient pas entendu non plus. Coâ ? Coâ ? Le pays entier se questionnait. En vain. On était terrifié. Y avait-il un coup d'état ?

Chosset était à l'hôpital, une attaque cérébrale l'avait plaqué au sol, il avait perdu connaissance, on l'avait emporté d'urgence, on lui faisait passer des examens, il avait repris connaissance, il parlait presque normalement, il serait bientôt sur pied, il prenait bien ses médicaments, il recevait le Premier ministre, il se reposait, il se levait, il marchait, il parlait, il pensait.

Tout le petit monde poliloustic prit la face triste et fit des déclarations d'enterrement prématuré. Quiqui évoqua les bons moments rares, Candidate femelle se souvint qu'avec lui on se marrait en conseil des ministres. Ceux qui ne le connaissaient quasiment pas se vengèrent de ses dédains en parlant plus que les autres.

Le peuple de France n'eut pas droit aux paris d'argent sur "Va crever l'vieux", "Va finir sur des roulettes", "Va pas s'en déb'rasser", il pariait néanmoins par liberté d'opinion.

La presse entreprit de rassurer les foules laborieuses qui n'étaient pas inquiètes. La tâche était délicate. Mais notre presse libre ne recule devant rien. Des émissions spéciales sur la glorieuse carrière du Grand Président pleuvaient dans les postes et en plus elles utilisaient l'argent de la Redevance qui doit servir à créer des téléfilms, du nouveau, or on servait du réchauffé rassi. Personne n'était content mais Radio TV s'en fout, l'argent vient de l'état et des PDG des Grandes Entreprises : on ménage le propriétaire pas les citrons.

Dans le monde il ne se passait rien parce que les journalistes étaient regroupés devant l'hôpital.

Le public fut déçu car aucun drame n'avait lieu. On s'ennuyait. Des gens qui sont emmenés à l'hôpital sous les sirènes il y en a chaque seconde, seuls ceux qui ont du pouvoir embêtent leurs concitoyens sur les ondes.

La seule chose sûre c'est qu'enfin il ne se représentera pas; l'argument même non-dit de sa récente crise suffirait à sa chute s'il tentait l'élection. Chosset seul n'avait pas fait son deuil de lui-même. Il espérait contre l'âge. Il avait perdu, forcément. Il avait simplement vécu d'illusions plus longtemps que les autres.

Un qui ne lâcha pas un mot gentil fut le grand garçon maigre aux yeux brûlants désigné comme prochain Premier ministre par Quiqui. Quand il serait P'tit Louis XXV ème, il le placerait à sa droite. C'est qu'il lui devait la mainmise sur le parti de Chosset et qu'il fallait la garder. La carrière du Bras droit était déjà longue, avec plusieurs ministères; mais du dernier, il avait été chassé. Par Chosset, lâcheur ! menteur ! Et par le Vilepinte, salaud ! saligaud ! Voilà ce qui s'était passé. Il était micuistre d'l'éduc, tranquille et tranquille. Chosset pour faire bien devant l'électorat exigea des réformes. Et lui... il le crut ! Absolument. Il avait pourtant derrière lui des années de politique... Alors il se fit détester par la réforme des retraites de l'enseignement en allongeant de cinq ans le travail des travailleurs. Chosset fut ravi et se débarrassa de cet inconscient haï au premier remaniement. Vilepinte lui annonça la sentence avec sa désinvolture souriante et se crut quitte. La rancune mordait le coeur tendre de Flonflon. Il avait été trahi ! Trahi par les siens qu'il aimait tant. Le Père l'avait rejeté alors qu'il avait tout accompli pour lui plaire. L'hydre Vilepinte avait craché du feu sur lui, l'avait brûlé à un degré qui en enverrait un autre à l'hôpital, puis à la morgue. Mais le héros, seul, soigna ses blessures; il hurla dans la nuit; il reparut devant les médias et il dit froidement, se contrôlant parfaitement : "Vengeance." Et il ajouta après un silence : "La trahison de Chosset a fait de moi le directeur de campagne de Quiqui." Lequel se souvenait des accusations de trahison de Chosset à son égard lorsqu'il lui avait préféré un concurrent pour la pézidentielle d'il y avait douze ans déjà. Les temps du sablier Chosset finissaient de couler. L'accusateur devenait l'accusé. Etait-il à la tête du coup monté de l'affaire Clairestring, avec ses listings truqués, son corbeau, son juge expérimenté imprudent... ? Les services secrets dépendants du président avaient commis bien d'autres sottises, on se souvenait de Raineboue Warior du temps de Prédissident...

2

En ces heures noires pour tant de travailleurs français jetés à la rue pour délocaliser en Chine, façon des hauts responsables d'aider les pays en développement (en faisant fructifier leurs propres finances), les petits, lassés de payer le prix fort pour la géniale politique de mondialisation, se révoltaient parfois en jacqueries désespérées. Mais le syndicalisme s'avérait utile pour les maîtriser; nombre de ses dirigeants, idéologiquement anti-capitalistes, devenaient le plus fidèle rempart du système. On leur faisait confiance parce qu'on savait qu'ils étaient contre.

Néanmoins sous Chosset si généreux envers le tiers-monde directement ou indirectement par ses amis PDG, la fuite enrichissante des entreprises devint telle qu'une réaction devenait inévitable. Le système du rachat des grandes entreprises françaises par des étrangers qui annonçaient d'abord qu'ils préserveraient l'emploi puis délocalisaient en masse quelques mois après s'être emparés de ce patrimoine, ce système s'épuisait. Des voix de plus en plus nombreuses réclamaient des barrières douanières pour l'Europe afin de protéger ses travailleurs des salaires dérisoires des pays émergents. Toute la bourse refusait de toutes ses forces. Le consommateur n'était-il pas bien content, quand il n'avait plus d'emploi, de trouver des vêtements à si bas prix - parce qu'ils venaient de Chine - que, avec son indemnité de chômage, il parvenait à s'en payer ?

Devant le danger, Chosset avait trouvé... un discours. L'actionnariat patriotique. Que les grandes entreprises françaises (plus ou moins) restent françaises. On n'avait plus l'acier, on n'avait plus l'aluminium, on n'avait plus... sauvons le yaourt et les boissons gazeuses !

Une grande campagne-parapluie fut ouverte, à l'abri de laquelle les autres purent continuer comme avant. Les citoyens purent s'exprimer librement dans la presse libre contre les fonds de pension quicains et les patrons-voyous. Ce bon défoulement permit de ne rien changer. Il canalisait les indignations et grâce à lui on identifia les protestataires les plus dangereux. Ensuite on connaît les vieilles recettes, carotte ou bâton pour chacun y a du bon. Quand on a su retarder une explosion, c'est un pétard. Chosset sacrifia un patron aux yeux éblouis des chômeurs en masse reconnaissants et on put annoncer avec juste quelques émeutes des plans de licenciement massifs.

Pour alléger le chômage, il en fit alléger les chiffres. Il avait remarqué, le subtil, qu'il suffisait que quelqu'un n'ait pas de travail pour qu'on le déclare chômeur. Or, pourquoi compter ceux qui recevaient l'aumône capitaliste sous une forme ou une autre ? pourquoi compter les découragés qui ne se manifestaient même plus dans les Agences pour l'emploi ? pourquoi compter ... ? Le chômage commença de baisser fortement quoique les chômeurs augmentent peut-être. Vilepinte agit efficacement sur les listings. Le moral des chômeurs remontait parce que le chômage baissait.

Les patrons-voyous ne voyaient pas ce qu'il y avait de mal à se faire donner une indemnité de départ substantielle (quelques millions d'euros) en plus des stocks-options quand ils avaient commis quelque gaffe qui flanquait à la rue des milliers de personnes. Eux aussi avaient de petits enfants à soixante ans de leurs femmes de vingt, et ils devaient penser à leur avenir, vu le prix des bonnes écoles privées. On n'allait pourtant pas envoyer les gosses dans un bordel-licé !

"Poquâ paaas ?" s'indignait Proviçat. "Est bien, ici, tout bien." Il admirait son oeuvre et ne comprenait pas (comme eux en somme) que l'on ne reconnût pas ses hautes capacités exceptionnelles.

Prenez l'intégration pluriethnique multiculturelle, les patrons y oeuvraient en donnant notre travail là-bas, Proviçat en préparant les immigrés à le prendre ici. En outre il exigeait que l'on donne des papiers à tous ceux qui entraient par les portes grandes ouvertes grâce au bon Chosset, il exigeait qu'on leur fournisse le logement, la nourriture et l'argent de poche. Quant à leurs enfants ils avaient le droit que l'on ne les embête pas avec la cjultur la françouaise puisque ce n'était pas la leur. Et l'intégration ce n'était pas l'assimilation mais le patchwork. Enrichissant par la disparition de la cjultur la françouaise : Je me pince le nez ! Salaud de croûton qui, puisqu'il enseignait n'éduquait pas. Il fallait en finir avec l'enseignement pour que règne l'éducation seule grâce à "l'investissement personnel des professeurs" dans les tâches autres que les leurs et de ce fait prometteuses en belles carrières car notées par Proviçat. Je note ! L'adjudant avait le pouvoir du général. Celui qui avait les capacités d'être général resterait troufion, on n'était pas sous Napoléon, on était sous Chosset. Finissant.

La campagne présidentielle officielle commençait. Quinze jours avant le vote. On ne remarquait même pas son début car elle ne marquait que la fin de la vraie.

Toutefois à la télé il y avait des spots publicitaires pour chaque candidat, payés par le contribuable; si on était devant le poste au bon moment on s'apercevait donc que c'était désormais officiel. Les candidats n'avaient sans doute jamais autant souri de leur vie. Tous ne le faisaient pas avec naturel. Ils s'étaient entraînés devant des glaces, bien sûr, certains avec des acteurs professionnels pour les mimiques, les gestes, la diction, l'expressivité - il s'agit des grands candidats, qui ont de grands moyens. Les professionnels de l'image avaient fait de leur mieux pour les clips-vidéos de ces amateurs. Les couleurs étaient belles, le rythme bon, les plans bien multipliés. Restait qu'un amateur est un amateur. Mais ils voulaient si bien faire qu'ils en étaient touchants, on ne disait pas que ce n'était pas très réussi, on ne voulait pas leur faire de peine.

3

Proviçat lisait les sondages avec inquiétude. Il avait fini par soutenir Candidate femelle à cause de l'intérêt supérieur du parti. Mais une grosse angoisse rongeait son petit coeur. La drouète... la drouète serait encore au pouvoir ! Et alors ... alors elle l'empêcherait p'tête de poursuivre ici les grandes réfaurmes qui sauveraient le monde. Qui le sauveraient du capitalisme, du nationalisme, du patriotisme, de l'individualisme...

Il était allé à un mitingue de Candidate femelle pour soutenir cette candidature par sa haute présence. On ne lui avait pas demandé de discours, ce qui déjà laissait un doute sur les projets socialistes de la concubine, mais surtout, à la fin, elle entonna un chant barbare... Proviçat ne reconnut pas tout de suite... les autres s'étaient mis à chanter aussi... il reconnut le chant national contre lequel il avait tant ironisé... il était allé applaudir ceux qui en avaient modifié la musique... il était allé applaudir ceux qui en avaient changé les paroles... et là, elle, qu'il soutenait, elle, oui, la chantait ! Cauchemar de Proviçat : les paroles "ils viennent jusque dans nos bras" évoquaient les bons petits immigrés que l'on rejetait : Marchons ! Marchons !" et que l'on voulait tuer parce que quelques-uns par juste ressentiment contre l'infâme colonialiste avaient "égorgé" quelques compagnes et quelques enfants sûrement de drouète et racistes.

Il restait assis, les autres debout; les lèvres serrées, pincées, les mâchoires contractées par la souffrance d'ouïr blasphémer contre les vraies valeurs qu'il représentait. O Jozin ! pourquoi n'as-tu pas balayé l'ange de la mort du socialisme qui reprend en ma présence le tube de l'Extrême ?

Celui-ci dans les sondages voyait fondre son électorat. Puisque Quiqui promettait la même chose et pouvait accéder au poste suprême qui en permettrait la réalisation, pourquoi voter pour celui qui ne serait jamais élu (avec le même programme) ? Ne risquait-on pas de laisser gagner la gauche au moment où on pouvait gagner parce que l'on aurait voté pour un homme par habitude au lieu de voter pour la réalisation de ses idées ?

L'Extrême répondait seulement qu'il ne croyait pas en Quiqui, celui-ci ne ferait rien, il laisserait l'immigration pullulante achever le pays. La réaction était faible. Son électorat désirait croire que le sauveur était arrivé. Peu importe si la déception était au bout, au moins on aurait tenté la chance.

Quiqui, un jour, prononçait un discours de l'Extrême, un jour prononçait un discours de Jaurès... il finit même par dire du bien de Chosset, il ne reculait devant rien.

"Je ne vous trahirai pas" : c'étaient son leitmotiv. Il répétait la belle phrase inlassablement. Mais qui était le "vous" ? Parmi les électeurs parfaitement incompatibles qu'il voulait séduire, chacun comprenait qu'il s'agissait de lui et ses amis directs. P'tit Louis aimait tout le monde, tous ceux qui voteraient pour lui. Mais qu'aurait-il fallu croire ?

Proviçat devant le danger des urnes décida d'agir. Il fallait atomiser le croûton avant les élections car ce ne serait peut-être plus possible de faire régner l'ordre nouveau après. Il contacta plusieurs inspecs rédgionaux pour l'exécution. Personne ne voulait; on lui répondit carrément que ses rapports sur le prétendu acte barbare étaient idiots et que l'inspec qui se baserait là-dessus risquerait gros car devant un tribunal si l'idée lui en venait croûton transformerait en passoire les forces de progrès. Proviçat était blessé par ces propos de lèse-majesté. Ces gens étaient des médiocres peureux, le croûton n'était pas malin, on le rayerait d'un coup de stylo de la liste de l'emploi en bordel-licé. De l'audace, encore de l'audace et les copains qu'il faut. De son parti, alliée sûre, il contacta la Liaunyaise. C'était une instit, comme Meumeu, qui copiant l'illustre modèle gaucho-gaucho, avait accédé à l'échelon inspec d'instits, puis, grâce à l'Allégrette qui par la promotion socialo avait intelligemment brisé les barrières étroites entre les niveaux scolaires, s'était retrouvée inspec rédgionale d'l'éduc, pouvant inspecter, je note ! à tous niveaux, sans aucune expérience réelle mais guidée par les livres-Meumeu qu'elle connaissait par coeur. Proviçat avait aidé sa carrière de toutes ses relations, elle lui devait un service. A vrai dire jamais on ne l'envoyait inspecter plus haut que la maternelle, mais là, les actes du croûton étaient d'une telle gravité et l'exigence de renvoi d'ascenseur si forte qu'elle s'autodésigna pour une mission d'autodafé d'un croûton.

Elle fit sa prière à Candidate femelle, leva la tête : l'étoile-Meumeu était là en plein jour, elle la suivit jusqu'au bordel-licé où Proviçat engraissé de suffisance attendait les forces de l'ordre. Ils se firent le bisou et on élabora la tiquetique :

- Entrer dans la classe, laisser commencer croûton, intervenir pour dire "ça va pas", dire aux élèves : "suis v'nue vous aider", "vous pas aimer croûton, vous raison". Un croûton devant Proviçat, devant moâ, pas être plus qu'un élève, non ! Si élève se plaint, moâ faire comparaître le croûton, condamner le croûton ! Je suis le Proviçat et toi l'inspect rédgionale; on va l'lessiver.

- Bravo, dit la Liaunyaise illuminée. On est des forts. Si y en avait plus des comme nous, not'cand'date elle gagnerait, elle serait roi de la France dans quinze jours.

- Montrons la voie !

- Tu l'as déjà montrée. Et tu l'as ouverte.

- Grande ouverte !

- Le croûton y a plus qu'à l'pousser !

En choeur :

- Pous-sons ! Pous-sons !

4

Les élèves avaient reçu les consignes. Petite Pervenche avait organisé la réunion, l'Arzi était venu annoncer la venue de Proviçat, lequel auréolé du proche succès avait tenu un véritable discours électoral enflammé qu'il avait conclu par "Vive Jozin !" Il s'était trompé d'élection. Pas grave. Dans cette classe de 1re il n'y avait que six élèves de plus de dix-huit ans, ce qui lui faisait affirmer qu'il s'agissait d'une bonne classe car les élèves en général avaient suivi un cursus normal; le petit nombre d'électeurs n'était pas intéressé par le fait de voter; et le discours de Proviçat n'eut pas l'effet incitatif que l'on pourrait supposer; pour les autres, selon Proviçat, il n'était jamais trop tôt pour les préparer à leur futur rôle d'électeur et il avait conscience d'avoir fait de l'éducation civique - car s'ils votent, ils doivent bien voter ou l'éducation a manqué son but.

Cauchemardez qu'un brave p'tit gars du bordel-licé vote à drouète, je me pince le nez ! Un jour Proviçat avait émis cette folle hypothèse devant Bizi l'oie. Elle avait eu la bouche grand béé et les yeux en bille affolés :

- Qué horreueur ! Ooooh !

- C'é qui chèche li croûton cheu nous.

- E pas p'ssible ? Ooooh !

- Il faut lutter ! cria Proviçat.

- A mô le croûton ! hurla la Bizi hors d'elle dans un état d'affolement au bord de l'appel aux pompiers (pour elle). I veut que j'rentre chez moâ, au Ma'ôc, j'veux pas, j'suis bien ici.

- I est antimulticulturel, confirma Proviçat ses cheveux dressés sur sa tête.

- Horreueur ! C'é un râciste.

- Ouais un sale raciste de drouète ! I veut la friance aux françouais.

- Et nous alô ? Pouquoà j'i au'ais pas droit à la friance ? J'ricchis friance pâr culthur d'là-bas cheu moi.

- I comprend pas !

- Grâce à nous qu'la popu elle augmente, sinon ce s'rait l'effondrement déografic.

- I comprend pas !

- E les vieux d'ici ? Côment on les remplac'ra si on laisse pas v'nir les jeûnes d'chez moà ?

- I comprend rien, qu'j'te dis. I devrait pas êt ici.

Heureusement on allait enfin en terminer avec l'anomalie culturelle qu'il représentait, d'ailleurs les sondages le disaient, l'électorat tout à drouète s'effondrait.

Proviçat conduisit la Liaunyaise à la classe de l'exécution du croûton. Il fit entrer les élèves présents et attendit les autres pour leur glisser un petit mot d'encouragement, beaucoup étaient en retard parce qu'ils étaient sûrs que croûton ne pourrait pas les disputer ce jour-là. La Liaunyaise marchait d'un pas calculé et noble de dinde dans les allées entre les tables serrées de la salle trop petite pour le nombre d'élèves que l'on y entassait.

Croûton arriva, s'installa au bureau sans tenir compte de personne, redescendit de la chaire pour aller fermer la porte, Proviçat devant à attendre les derniers élèves qui à leur arrivée hilares eurent droit à la remarque habituelle de croûton additionnée d'une autre sur le bordel dans ce licé dû à Proviçat - qui entendit en s'éloignant.

La Liaunyaise vint devant le bureau d'un air important mais il ne la regarda pas. Elle était indignée. Elle échappait pourtant ainsi à la gifle, il s'était promis de ne pas traiter les oies comme il l'aurait dû et de rester patient. Elle put s'emparer du cahier de textes et se replier au fond de la classe où prise d'une crainte sur sa mission elle ne releva plus la tête. Elle compulsait nerveusement le cahier et constatait qu'elle ne connaissait rien de ce qui était enseigné ici. Elle eut peur qu'il lui posât brusquement une question, un abîme s'ouvrit et lui fit un clin d'oeil.

Croûton rendait des devoirs. Personne ne s'y attendait, il aurait dû les rendre trois jours plus tard. Il utilisait froidement la présence de la Liaunyaise pour donner du poids à ses félicitations à quelques-uns, ses blâmes aux autres.

- Foutre ! Bôôô, fit Salope stupéfaite. On lui avait pourtant dit de se taire ce jour-là. Heureusement la Liaunyaise était sourde.

- Tais-toi, souffla Petite Pervenche que tout le monde entendit.

Le croûton posa quelques questions auxquelles personne ne répondit. Il s'y attendait. Ceux qui répondaient d'habitude n'osaient pas. L'Arzi et Petite Pervenche avaient été nets sur les représailles. Le croûton n'était pas gêné par si peu. Il mena son cours de bout en bout à sa guise, épingla au passage l'incurie de Proviçat, ce que la Liaunyaise n'entendit pas, le désastre créé par Meumeu et par les socialos qui tenaient l'école par leurs inspecteurs, ce que la Liaunyaise n'entendit pas, le tout ponctué par quelques "Bite", "Aaaaah" etc de Salope pâmée de surprise en surprise. Les copies rendues avec commentaire à chacun, les sujets corrigés, le croûton renvoya tout le monde comme la sonnerie retentissait.

Le voyant partir la Liaunyaise s'approcha d'un air important et dit qu'elle allait l'attendre dans le bureau de Proviçat.

Croûton se demanda s'il n'avait pas vu assez d'oies pour la journée. Pour que l'on ne puisse pas prétendre qu'il se défilait, il s'y rendit néanmoins. Là, Proviçat avait dû laisser son veau bureau un instant à l'étrangère mais son utilité au service de friance était telle qu'il ne reculait devant aucun sacrifice; la Liaunyaise voulut faire un compte rendu de ce qu'elle n'avait pas écouté, selon les directives de Proviçat. Le croûton lui coupa la parole et lui dit qu'elle racontait n'importe quoi. Indignée la Liaunyaise ! Elle avait la feuille écrite par Proviçat avec tout ce qu'elle devait dire devant elle ! Elle savait lire quand même ! Alors croûton lui fit carrément la leçon sur ses devoirs, sur ce qu'elle aurait dû dire si au lieu de connaître les livres de Meumeu, l'instit gaucho-gaucho qui tenait sous sa coupe les Institututs de rééducation idéologique, elle avait connu son métier. S'il y avait autre chose à savoir elle se demandait bien où elle aurait pu l'apprendre, il n'existait aucun endroit libre de Meumeu et ses acolytes, l'Allégrette et ses successeurs centristes y avaient veillé. Croûton n'en continua pas moins et fit sa leçon jusqu'au bout.

- Alô ? demanda Proviçat plein d'espoir quand l'ennemi parti il osa se pointer.

- Oh, oh aïe aïe, i a dit que des trucs dif'ciles ! J'i ai rien compris.

- Ah, comment qu'tu veux qu'i enseigne ici, i dit tou'ours des trucs qu'on comprend pas. Et i m'admire pas, ajouta Proviçat qui tenait à mettre en avant le point le plus choquant.

- C'é pas vré ? Oh aïe. J'ai cru entendre les trompettes du jugement d'la môr. (Elle avait une teinture lettrée tout de même.)

- Què trompettes ? interrogea Proviçat affolé, i joue d'la trompette main'nant ?

- J'ai eu peueur-re. Mais j'ai ta feûillle, j'vas lui r'diger un rappô pédagoglique dont i s'remettra pas !

5

C'était le dimanche du premier tour de l'élection présidentielle. Celui où on vire les animateurs, les rigolos et les naïfs. Ensuite restent ceux qui ont à la fois l'argent et le parti.

Le temps ni beau ni moche permit une participation exceptionnelle.

Comme la publication des sondages était interdite les derniers jours mais pas les sondages, beaucoup connaissaient les résultats par l'internet étranger, mais on tenait à confirmer les résultats de ses sondeurs préférés : quand ils avaient bien créé des coups, des montées, des chutes pendant des mois, offrant ainsi une distraction permanente en plus du foot et du loto, on leur avait une petite reconnaissance; c'étaient de braves cons qui ne savaient pas quoi inventer pour nous faire plaisir.

Les résultats enfin. Personne ne fut surpris. En réalité c'était encore des résultats de sondeurs mais ceux-là étaient réputés si sérieux qu'on les considérait comme officiels. Les candidats faisaient sans gêne leur allocution, finale sauf pour les deux finalistes, juste après. On n'attendait pas la vérité des urnes, la télé joue un rôle essentiel dans la soirée des résultats et la télé est pressée. Si vous attendez le lendemain pour votre allocution, elle ne la passe pas.

Donc Quiqui en tête, Candidate femelle en deux, le centriste opportuniste en trois, l'Extrême en quatre alors qu'il était allé en finale la fois précédente, et des miettes pour les tout p'tits. Il s'agissait surtout de se servir de l'effondrement de l'Extrême, de 18 % à 10 %, pour le papotage politologue : des évidences, donc vues de tous, étaient proférées par des spécialistes, des penseurs de la politique, des intellos, avec gravité, si bien que l'on se rendait enfin compte combien on était intelligent.

L'Extrême avait baissé, chuté, s'était cassé gueule, était baisé, éliminé, avait capoté, avait rétréci au lavage quiqui, il était vieux, caduc, décrépit, il n'était plus lui-même à cause de sa fille qui voulait ne pas être insultée dans la rue, il avait l'uppercut, il était KO, il était ratiboisé, il ne comptait plus, il n'aurait plus rien à manger, son avenir c'était SDF et la soupe populaire...

Comme ça toute la soirée sur toutes les chaînes. On parlait aussi un peu du centriste opportuniste, un ancien ministre d'l'éduc de Chosset pour qui on avait créé l'expression de "ministre fainéant" sur le modèle de "roi fainéant", quatre ans à l'éduc sans rien foutre, maintenu là par Chosset pour cette raison d'ailleurs, pas d'agression sur le territoire socialo, que les gauchos y fassent ce qu'ils veulent, interdiction de les déranger. Eh bien il était riche maintenant, il avait des chevaux, il bénéficiait du flou du programme socialiste et il trouvait des électeurs déçus par la gauche, inquiets de l'activisme de Quiqui. Ces gens devaient vraiment être des désespérés pour s'être résolus à voter pour lui.

Quiqui fit un discours joyeux, Candidate femelle aussi : il n'y avait pas de raison, ce n'est pas parce qu'elle était arrivée seconde qu'elle allait se laisser priver de la victoire. Même l'Extrême parut de bonne humeur, pour cacher des larmes sans doute. Le centriste opportuniste n'invita pas ses électeurs à voter pour Quiqui, il était mauvais perdant le richard du centre, le richard Extrême avait plus d'estomac.

Enfin, on avait bien pique-niqué devant la télé, les vedettes étaient venues, on avait causé de choses graves et oeuvré avec biscuits et boisson pétillante à la grandeur du pays.

Le lendemain on retrouva son travail ou son chômage avec moins de déprime. Les sondeurs sondèrent pour le deuxième tour : Quiqui serai Louis. On avait quinze jours pour s'y habituer. Mais Candidate femelle ne voulait même pas essayer. Elle disait qu'elle était une femme et donc qu'elle devait être élue. Concubin avait beau essayer de la raisonner, elle s'obstinait à dire bonjour à tout le monde.

Il y aurait bientôt le grand débat entre les deux rescapés des urnes. Elle s'y préparait en apprenant par coeur des tas de notes sur tous les sujets rédigées par tous les meilleurs spécialistes du parti. La fois précédente le débat n'avait pas eu lieu, Chosset ne faisait pas le poids contre l'Extrême étant donné toutes les casseroles qu'il traînait joyeusement depuis sept ans déjà à l'Elusé, son seul risque de ne pas être réélu petzident était le débat; alors, avec sa désinvolture pragmatique habituelle il le supprima.

Mais là on aurait la distraction. Les candidats auraient très peur de passer l'oral devant nous, on ne serait pas sévères s'ils jouaient bien, s'ils y mettaient du leur, mais on voulait de l'agressivité non agressive, des échanges vifs sans exagération, des variations de rythme, des gros plans qui feraient date sans être négatifs ni trop positifs, des questions qui seraient précises avec l'imprécision indispensable, des sujets tous abordés dans leurs aspects les plus techniques sans développement technique, un face-à-face direct mais indirect à la fois, un énoncé des programmes complet sans se perdre dans les moindres aspects, de la dignité dans l'escarmouche, de la noblesse dans l'intimité du débat chez nous.

Le choix des journalistes était donc important, on prit deux vieux qui savaient des trucs et on parla surtout de la table, comme d'habitude.

6

Lola secoua sa chevelure rousse, elle n'était pas d'accord, elle ne voulait pas. Notre Chef de la police insistait lourdement, à ses risques et périls. Les ordres, il est vrai, descendaient de l'Olympe parigot; le remplaçant de Quiqui à l'Intérieur (car ce dernier avait dû quitter ce poste chéri et précieux un peu avant l'échéance électorale) trouvait que, à l'occasion du déplacement de Candidate femelle dans notre région, il serait bon, il serait bien, il s'imposait que, nonobstant des divergences d'opinion qui n'ont pas à intervenir dans l'exercice des fonctions, une femme, une héroïne connue, assure en personne la protection de la future vaincue. Lola disait journellement pis que pendre de ladite dont les propos anti-ordre et pro-immigrationnistes la révulsaient; elle lui aurait volontiers passé les menottes pour incitation au désordre; quant au micuistre parigot, elle parlait de réunir ses troupes et d'aller s'emparer de son ministère et de sa personne; la suite était floue mais, à mon avis, il était bon pour un séjour à Guantamini.

Notre Chef de la police sut être persuasif, on n'a pas les détails mais notre Lola adore les hommes faibles et câlins; bref le jour de l'arrivée de celle qui celle que elle était là et salua réglementairement. Celle qui celle que l'aperçut, lui fit de grands sourires et profitant de la situation comme s'il s'agissait d'une partisane vanta la promotion des femmes même en territoire macho de la police, Lola était un être d'élite ! Et prise d'enthousiasme elle l'embrassa carrément. Eh bien, notre Lola fut absolument correcte. Fantastique. On l'avait privée de ses matraques électriques, de ses menottes, des balles dans son pistolet, de son couteau, même de son téléphone; La Flicaille se tenait à l'arrière avec tout le précieux matériel; Gros tas, lui, était à côté d'elle pour lui souffler à l'oreille des conseils, et surtout du calme du calme.

Proviçat aussi était venu. Il n'avait pas été moins difficile à décider. Il était une figure locale du grand combat, son absence aurait été commentée. Or l'union était plus que jamais nécessaire. Il s'était fait prier au maximum; enfin, quand il avait compris qu'on ne le prierait plus, qu'il ne servait à rien d'attendre près de son téléphone, il abdiqua. Il vint.

Après avoir loué Lola, Candidate femelle loua Proviçat. Elle voulait ratisser large. Jozin restait maussade en son île, on en avait juste tiré quelques communiqués du genre "pour perdre, autant celle-là qu'un autre", alors elle tâchait de rallier les jozinistes ou du moins de s'afficher avec eux à ses côtés. Proviçat essaya de caser quelques paroles :

- Pou'l'éduc, faut plus de réfaurmes...

- Bien sûr, il faut améliorer l'accueil des handicapés.

- Hein ? fit-il.

- Il est inacceptable que tant de familles se heurtent à des difficultés insurmontables pour la scolarisation de leurs enfants handicapés, particulièrement dans les lycées.

- ... Et plus de pouvoir au Chef d'établissement, bredouilla-t-il.

- Oui, oui. Et elle passa pour aller prononcer son discours.

Dans le mouvement de foule occasionné Proviçat sous la pression recula vers le centre droit et se retrouva à côté de Lola. Ils se regardèrent avec méfiance. Ils s'étaient déjà vus. De loin.

Lola malgré elle était passée du rôle de flic en service au statut d'invitée privilégiée. Le service d'ordre interne national qui ne la connaissait pas, débordant le local qui la connaissait trop, la poussa doucement vers l'avant; Candidate femelle la voulait au premier rang. Elle aimait sa chevelure flamboyante, véritable symbole d'une ère nouvelle. Notre belle Lola, nous l'avons dit, ne savait pas résister à la douceur; elle lança un regard désespéré à Gros tas qui ne put qu'esquisser un geste d'impuissance, La Flicaille tenta une percée pour lui apporter ses armes mais la foule était trop dense et il dut se résigner à la soutenir mentalement par sympathie télépathique.

Candidate femelle commença son discours rassembleur face à notre belle rousse sur le thème "femmes unissons-nous"; elle parlait de moins en moins de socialisme; le parti était en crise idéologique depuis longtemps mais on n'en avait pris conscience qu'en pleine campagne présidentielle, jusque là l'intérêt de ceux en place, dont Concubin, avait réussi à cacher la forêt; alors elle naviguait à vue, un coup de barre à droite, un coup de barre à gauche, tant que l'on avance ça va. Ensuite elle parla des handicapés, puis des délocalisations, du chômage, de la vie difficile, de l'ordre nécessaire (Lola applaudit vigoureusement), des libertés, de la fraternité, de l'égalité. Ensuite on chanta l'hymne national et Lola oubliant complètement où elle était chanta joyeusement à pleins poumons; Proviçat, mal assis, sur un strapontin, resta assis néanmoins et ne chanta pas.

Le lendemain notre local djournal publia en une la photo de notre belle rousse avec Candidate femelle; elles venaient de chanter ensemble et en redescendant de la tribune Candidate femelle n'avait pu résister à l'envie d'embrasser notre belle rousse, les larmes et la joie aux yeux d'avoir si bien chanté. On parlait d'un ralliement spectaculaire. On en restait ahuri dans la banlieue.

Lola découvrant la photo eut un éblouissement qui l'aurait conduite à l'évanouissement si la rage ne l'avait emporté. Elle hurla qu'on l'avait trahie. Elle voulait passer tout le commissariat à la matraque électrique. Notre Chef de la police eut encore besoin de beaucoup de douceur pour la ramener au calme. A l'évidence il savait d'y prendre.

7

Quiqui aussi eut son mitingue chez nous. On l'aimait bien ici.

Lola, qui n'était pas en service, vint assister au beau discours avec tous les copains qui n'étaient pas en service non plus, c'est-à-dire à peu près tout le commissariat. On avait laissé au piquet deux dissidents centristes complices idéologiquement de l'Opportuniste et donc des gauchistes. Même les partisans de l'Extrême avaient droit à la fête. Un moment notre Chef de police prit la main de Lola et ils allèrent ainsi chantant gaiement pour se mettre en train "Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine", un tube d'autrefois toujours agréable à chanter et à entendre, histoire de rappeler aux Teutons que l'européisation n'est pas l'annexion. La salle était bien chauffée quand la vedette entra.

Futur Louis, avec toute la vigueur du Hun sur le champ de bataille, serrait les pognes qui se tendaient quand il aperçut notre belle rousse. Sa chevelure attirait l'oeil. Il écarta de ses bras puissants les sympathisants qui les séparaient, marcha jusqu'à elle, la prit dans ses bras et l'embrassa dans un délire d'applaudissements. Lola était toute rose de bonheur. Quiqui fit un signe à son service d'ordre, il la voulait au premier rang. On laissa notre Chef de la police où il était, il eut le bon goût de ne pas s'en formaliser.

Proviçat n'était pas là.

Croûton avait pensé venir mais il n'avait pas réussi à croire suffisamment que le nouvel élu changerait quelque chose pour vaincre sa fatigue après une journée à garder les gosses gangrenés par Proviçat.

Futur Louis commença son discours sur le thème de la femme libre au travail, valeur clef. Le mérite partout devait être récompensé. Il se réjouissait de la promotion de femmes comme Lola qui avait prouvé une efficacité hors du commun. Il la fit acclamer. Ensuite il parla des handicapés, trop souvent rejetés par l'école, notamment par les lycées, et il nota à ce sujet qu'aucun proviçat n'était là ce soir parce ces gens n'aiment pas s'entendre dire leurs vérités. De ce point on passa aux délocalisations et aux patrons voyous : il fallait vaincre le chômage, rien de sérieux n'avait été fait depuis vingt ans (il ne cita pas le nom de Chosset), il était indispensable de mettre en avant le travail, eh oui, au lieu des trente-cinq heures censées libérer des postes et qui n'avaient rien libéré du tout. La vie était difficile, on pouvait la rendre meilleure, il suffisait de le vouloir vraiment, de vouloir agir. Il était là, il était avec nous, il nous montrait la voie. Bien sûr, pour réussir, l'ordre était nécessaire, y compris dans les banlieues (Lola applaudit vigoureusement). Assez de la chienlit immigrée et gauchiste (les partisans de l'Extrême hurlèrent leur satisfaction de ces propos), Jaurès n'aurait pas approuvé, Blum non plus, c'est dire. Revenons à nos vraies valeurs ! L'Occident n'a pas à se laisser naïvement envahir par l'Orient et par l'Afrique. Soyons nous-mêmes ! Défendons les libertés contre l'islam, troisième religion de France payée par l'Arabie Séoudite ! Quiqui dut estimer qu'il avait assez donné à cette partie de son électorat car il bascula des libertés sur l'égalité qu'il développa comme un Marx américanisé cent pour cent, le résultat était le même qu'avec les dirigeants socialistes, mais dit par lui on n'était pas choqué et il acheva sur la fraternité, ceux qui n'étaient pas venus n'avaient qu'à venir.

En redescendant de la tribune après le martial hymne de la nation il ne put s'empêcher d'embrasser notre belle rousse qui avait les larmes et la joie aux yeux d'avoir ouï un si beau discours et après d'avoir bien chanté.

Le lendemain notre local djournal publia en sa une la photo historique de Lola dans les bras de Louis sous les regards charmés de Gros tas, de La Flicaille et de notre Chef de la police. Il était en train de l'inviter pour assister à la grande fête qu'il donnerait le soir de son élection. Elle avait dit oui d'une toute petite voix émue.

La banlieue retrouvait ses marques, elle avait été déboussolée par une fausse information de la presse, on ne savait plus où était l'ennemi. Au même moment disparaissait Guantamini - dit-on; il n'a peut-être jamais existé ? Ou il a disparu avant, je pense cette supposition plus probable. En tout cas la prévention, certes, avait échoué, la répression, certes, avait échoué, mais si l'Extrême dans sa volonté de renvoyer les millions d'immigrés dans leurs pays d'origine, avait échoué, Louis avec son immigration choisie, sa discrimination positive, ses quotas de places pour gens d'ailleurs refusant de partir d'ici, ses plans d'aide au développement des banlieues et éventuellement son karsher, réussirait peut-être.

8

Et Merlet ? C'est vrai... Il devait pourtant s'y trouver, au mitingue. Je ne l'ai pas vu. Sans son papa Lion-lion ne serait pas poliloustic important ici, il passe inaperçu. Sauf avec Cléopâtre. Elle n'y était pas, j'en suis sûr. C'était peut-être un jour d'enregistrement télé ? Il aurait été présent tout seul... Il faudra que je me renseigne... Une telle gaffe politique, son absence je veux dire, m'étonnerait de sa part.

...

Je me suis renseigné, personne ne l'a vu. Ce n'est pas une preuve de son absence, évidemment. Mais selon la rumeur, pendant que Cléo travaillait en la lointaine Paris, il aurait renoué avec son ancienne crétaire, il en aurait oublié l'heure, la journée, la soirée, la nuit et même le lendemain. Ensuite elle s'est réinstallée dans Son bureau d'où elle a balancé par la fenêtre les affaires de sa remplaçante, elle a averti les sous-fifres que tout redevenait normal.

La politique avait subi là un accroc dû à l'intrusion de la vie personnelle, mais ce n'était pas dramatique, l'exemple d'en-haut le couvrait de son parapluie, on n'oserait pas faire de reproches. A l'étage au-dessus Femme de Quiqui avait animé les papotages, enfin j'ai déjà dit, mais en outre Concubin, on commençait à le susurrer, n'aurait pas été hors de tout soupçon. Il aurait mal agi à l'égard de la mère de leurs quatre enfants, il n'aurait pas eu la vie du père de famille exemplaire. On ne nous en disait pas plus, la presse réservait ses effets pour la vente après l'élection.

Pour le moment on se préparait à assister au grand débat qui aurait lieu ce soir.

Chacun mit sa chaîne préférée pour regarder les mêmes images. On faisait de la démocratie de salle à manger. On avait déjà le commentaire républicain à la bouche. Les enfants étaient tenus de regarder, c'était bon pour leur éducation civique. On était à un spectacle familial. Même s'il y avait à dire côté famille sur les deux vedettes... On se souvenait de Prédissident et de sa fille cachée avec la complicité de toute la presse libre et consciente de ses devoirs pour qu'il puisse avoir des voix de catholiques pratiquants sans lesquelles il serait resté secrétaire général du parti socialo, on se glissait des anecdotes invérifiables sur Chosset selon lesquelles la Première dame était la première cocue de France, bref pour les nouveaux postulants on n'était plus très regardants. La TV enseignait tous les jours que les familles recomposées rendent les enfants parfaitement heureux, que la séparation des parents n'est pas un drame mais une heureuse conséquence de la libération des moeurs et de la femme... les deux candidats étaient les parfaits représentants de cet enseignement. Les journalistes ne s'étaient pas trompés, il n'y avait pas d'erreur de casting.

Les entrées en scène furent sobres. Les journalistes d'abord. Puis les candidats qui serrèrent la main aux premiers arrivés. Quiqui avait reçu du sort la droite de l'écran. Rien que de beaux costumes. Elle était bien aussi mais le tissu de son tailleur n'avait pas le raffinement de celui de Futur dont la cravate ne put pas davantage être l'objet du plus éhonté reproche. La table se tenait de pieds fermes, elle soutint le poids de la gauche et de la droite sans broncher.

Il y eut de grands moments destinés à la rediffusion : la sainte colère de Candidate femelle contre Quiqui qui causait aussi des handicapés alors qu'il se trompait sur...

Elle avait été blessée au début de sa campagne par les pièges de journalistes qui, ne croyant pas à sa candidature, en avaient profité; on lui demandait des chiffres précis sur ceci, des détails sur cela et quand elle avait répondu à côté, s'était trompée ou n'avait pas répondu du tout, on se gaussait dans la presse pendant des jours. On avait carrément essayé de la faire passer pour sotte. Elle avait une revanche à prendre.

A son tour de parole, elle procédait envers Quiqui comme les journalistes à son égard. Elle voulait prouver qu'elle connaissait les chiffres. Le ton de son côté était un peu tendu. Elle savait des choses, nota-t-on, mais elle était agressive.

En face, Futur composait : s'il répondait sur le même ton, c'était le mâle dominant qui voulait s'imposer par la force à la faible femme; s'il ne répondait pas assez fermement il ne portait pas la culotte. Les hommes devant la télé, qui s'étaient trouvés une fois ou l'autre dans ce même cas, attendaient le modèle. Futur ne perdit pas son sang-froid, il ne répondit pas à l'agressivité par l'agressivité, il trouva son ton de président. Avec sa femme il avait de l'entraînement.

Un sommet fut sur la part du nucléaire dans l'électricité domestique; coincé, il dut lui répondre un chiffre; elle triompha : le bon était un autre chiffre, qu'elle donna. Il se trompait, elle se trompait aussi. On sut plus tard qu'ils s'étaient trompés tous les deux. Les deux journalistes étaient restés cois, ils n'en savaient rien. Mais on comprit que pour suivre la soirée il fallait l'Encyclopédie à portée de la main, on alla la chercher et on tentait de vérifier au fur et à mesure.

On frôla le jeu de massacre.

Est-ce qu'un président doit sortir des généralités ? Mais elle avait une revanche à prendre.

On ne s'engueula pas sur scène parce que Quiqui voulait totalement être président.

Dans les familles on régla les comptes à coups d'encyclopédie, les urgences multiplièrent les points de suture en fin de soirée, les meilleures encyclopédies étaient celles en papier, celles sur ordinateur étaient trop dangereuses pour une soirée électorale.

A la fin Futur Président fit la tournée de la table pour les poignées de main en commençant par sa noble adversaire.

Sans eux on passa au débat traditionnel : qui a gagné ? Dans le poste les djournalistes voulaient donner l'avantage à Candidate femelle mais hors du poste, massivement l'avantage fut donné à Futur : les politologues se soumirent à la décision de la rue.

9

Croûton avait juste jeté un coup d'oeil au débat. Le cirque démocratique lui paraissait nécessaire sans qu'il se crût obligé d'assister au spectacle. Il faudrait éviter le lendemain les gens à l'éternelle question du quoiquonenpense. Il avait assez de problèmes dans la vie pour se ficher du superflu. Il préférait Quiqui sans en attendre rien, simplement son discours était conforme à ce qu'il attendait autrefois.

Toute notre ville bruissait de commentaires qu'il traversa indifférent pour se rendre au bordel-licé. Proviçat lui fonça droit dessus dès son entrée pour l'informer de la vérité officielle ici : Candidate femelle avait ga-gné !

Pourtant elle n'avait pas compris la né'ss-té des réfaurmes, grandes réfaurmes tout partout, et plus pouvoir aux chiefs ss'tabli'ss'ment. Surtout elle n'insistait pas ssuffissamment sur le SMIG à 1500 euros pour commencer et elle n'était pas descendue des 35 heures de travail hebdomadaire à 32. Elle n'avait pas la poigne idéologique né'ss-ai'ss-aire pour contraindre la drouète fasho catho de se soumettre démocratiquement aux aspirations du peuple. Vivent la révolution, l'immigration et l'aïslame.

Croûton répondit ironiquement à Proviçat que Poitiers était unijambiste aujourd'hui. Après consultation du Haut conseil pédagoglique du bordel-licé Proviçat décida que ces propos étaient réacs, d'un sale réac, et donc inadmi-ss-ible dans un bordel-licé qui se respecte. Si les lois étaient ce qu'elle devraient être, il aurait pu virer le mal-pensant sur l'heure. Lui-même dire à croûton : "Mal-pensant d'l'éduc, ouste, la pôôôrte, de-hô !" Mais des petits plaisirs comme celui-ci n'appartenaient qu'au privé et le génie de la pédagoglie (après Meumeu) était privé de ce plai-ss-ir à cause de l'incurie des législateurs.

A quoi i servait-i le croûton ? Main-nant Proviçat écrivait ses lettres tout seul à Cléopâtre et main-nant elle répondait chaque fois. Dans la dernière il lui expliquait que le Merlet il la trompait. Tout le monde main-nant i était au courant. Sauf elle. Il avait révélé mais elle n'était pas accourue se consoler dans ses bras. La réponse avait été celle de l'incrédulité; pire, elle l'avait accusé d'avoir tout inventé pour la faire souffrir; de l'avoir trompée pour l'avoir. Main-nant elle voulait plus lettres de lui, ôôôh, trissetesse ! ôoooh maleure ! Cléopâtre réponds-moi. Ton Proviçat, sans toi, c'est côm un licé sans bordel, un bordel sans l'éduc, l'éduc sans Jozin. O Jozin, la vipère de Belfort qui t'a fait exiler en l'île du Roué, qu'on la pique. Main-nant l'espérance, elle est morte. L'amour est môoort. O Jozin ! Reviens et ressuscite l'amour ! Tu en as le pouvoir, je le sais. De ta descente aux enfers, remonte, remonte. Main-nant ton Proviçat n'espère plus qu'en toi. Candidate femelle n'é pas une bôôônne. D'ailleurs Concubin lui-même i va ailleurs, i vot'ra pas pou'elle, Proviçat non plus.

Il en était au désespoir très profond quand Lola épaulée par La Flicaille et Gros tas pénétra sans façon dans le sanctuaire adolescent de l'enseignement, de l'éducation et du sport. Il était question de cannabis, elle voulait arrêter Petite Pervenche. Proviçat remonta des abysses dépressives pour contrer la scandaleuse intrusion des forces de l'ordre en territoire gaucho. Le droit d'asile interdisait une arrestation ici. L'attentat ferait la une de la presse la nationale demain, l'Arzi filmait avec son portable.

Le rousse Lola commençait d'en avoir marre. Elle balançait dangereusement et très nerveusement sa matraque électrique. Gros tas prévint la bavure. Il entama des pourparlers diplomatiques avec l'anti-France au pouvoir dans le bordel-licé et la juge au téléphone qui exigeait l'assaut. Finalement Proviçat téléphona de son côté au Prézident du Conseil régional qui téléphona à Merlet qui connaissait bien la juge (du même parti politique) à laquelle il consentit à téléphoner (Prézident lui devrait un service), qui dans le phone annula.

Lola se retira avec ses troupes mais elle avait la rage. Ce Proviçat elle le coincerait un jour. Elle flairait le terroriste-taupe, l'endormi que l'aïeslame réveillerait au moment qu'il croirait opportun mais elle serait là.

Le soir Petite Pervenche n'osa pas rentrer à la maison. Papa qui avait fait tant d'efforts pour l'éduquer yoyotait entre ô rage et ô désespoir. Il multipliait les reproches à sa placide épouse, et c'est vrai qu'elle était bovine, mais sans ça elle ne l'aurait pas épousé. Brusquement Papa changea de peur : est-ce que Petite Pervenche n'aurait pas fugué ? Il était tard. Où était-elle ? Quand il avait appris il avait aussitôt préparé sa colère et voilà que fille ingrate n'était pas rentrée. L'absentéisme à l'école ne lui suffisait plus, elle y joignait l'absentéisme à la maison. On ne sait plus quoi faire avec les gosses d'aujourd'hui. Pendant des années on s'est laissé casser les oreilles par la music braillée anglo-quicaine, et c'est tout le remerciement qu'on en a. Encore heureux qu'on n'ait eu qu'un gosse. La natalité baisse mais il y a des raisons.

Lola, tard, coinça Petite Pervenche. Elle préviendrait la famille et la juge quand elle aurait cessé d'oublier. Elle se sentait elle aussi une volonté éducative. Là où les autres avaient lamentablement échoué, réussirait-elle ?

10

Candidate femelle avait laissé un message sur le répondeur du battu Centriste opportuniste, ex ministre-fainéant, Bêgroux. Elle lui proposait de lui donner ses voix. Mathématiquement les siennes à elle plus les siennes à lui égal la victoire. En échange il pourrait devenir Premier ministre. Le faignant vit rouge. Quoi ! on rend service et après c'est les galères, les travaux forcés, les douze travaux ! Elle était folle probablement ? Un centriste, c'est un capitaliste qui estime ne devoir pas intervenir pour ne pas perturber les lois du marché, un centriste, c'est un éducateur qui estime ne devoir pas intervenir pour ne pas perturber l'évolution de l'ado, un centriste, c'est un militaire qui estime ne devoir pas intervenir pour ne pas perturber davantage la paix, un centriste, c'est un anti-immigrationniste pro-immagrationniste, un centriste, c'est un partisan du développement de la culture nationale immigrée corrigée par les lois libres du marché libre quicain, un centriste, c'est un catho-athée, un réformateur de la sécu en arrêt de maladie, un riche sans emploi qui touche le chômage au nom de l'égalité, un flic mou, un juge qui comprend tout, un retraité qui ne comprend rien, un employeur qui ne s'occupe pas de politique, un chômeur décidé à le rester... Et voilà qu'en remerciement d'un p'tit service, on lui proposait du boulot, à lui, Bêgroux ! Alors qu'il avait toujours été puté ! Et aussi, c'est vrai, micuistre d'l'éduc, mais de Chosset ! avec comme consigne unique de laisser faire les socialos. Les temps sont durs.

Il accepta néanmoins un rendez-vous avec Candidate femelle parce qu'il y aurait les télés et qu'il aimait bien se regarder.

C'était bizarre de la voir lui tendre la main alors que boudeur il refusait de donner la sienne. Le couple ne dansa pas le tango, il ne dansa pas la samba, il essaya un peu les danses à la mode pour le vote des jeunes, les disquejokeys les plus fous tentèrent des effets racoleurs sur lesquels ils improvisèrent sans dépasser les 50 % de satisfaction, finalement on fit un dernier tour de valse pour les plus de cinquante ans et on se quitta fatigués.

Bêgroux se jura de ne plus jamais répondre aux messages de son répondeur; après on en avait pour des semaines à se remettre.

Le jour du vote fut; les électeurs allèrent; les résultats parurent.

Et Quiqui devint Louis. 53-47.

Le centre s'était partagé équitablement entre les deux candidats. Les voix de l'Extrême avaient fait la différence.

Il y eut deux grandes fêtes : celle de l'élu... et celle de la battue. Les médias auraient bien voulu montrer Candidate femelle en larmes, tristounette, donnant la menotte à Concubin venu la réconforter... Il n'en fut rien. Son score avec une absence de programme due à la déliquescence du parti qu'elle représentait, lui semblait l'assurance de la victoire cinq ans plus tard. Elle était sauvée ! Son score, après les débuts chaotiques de sa campagne, sabotée par remarques et articles de presse de Concubin et d'autres caciques, son score était inespéré. Elle rayonnait. Elle fit de petits discours joyeux. Et ses électeurs déçus ne furent pas mécontents.

Pendant ce temps après un jubilatoire discours bien préparé depuis longtemps, plein de promesses pour tout le monde ("je ne vous trahirai pas" tralala), Louis se rendit au Fouquet's, luxueux restaurant aux prix ad hoc, où des intimes qui avaient aidé à sa campagne mangèrent bien avec lui et reçurent la consigne de ne plus l'appeler Quiqui en public mais Monsieur le président. On trouvait là un chanteur, un fouteballeur... bref des non-politiques qui s'occupaient bien de leurs affaires par leur engagement en s'occupant de celles des autres. Puis Louis se rendit place de la Concorde où pour la fête grand public il traversa d'abord la foule des invités de second rang. Notre rousse Lola y était, je l'ai vue à la télé, radieuse; c'était un plaisir de la voir nager dans le bonheur. Louis la prit par la main au passage pour qu'elle puisse monter à sa suite sur la scène avec les chanteurs qui se relayaient pour faire attendre sa venue depuis le début de son dîner. Il y avait aussi femme de Louis, on la remarqua tout à coup. Elle était bien là. On l'avait oubliée pendant la campagne. Maintenant on était bien obligé de se souvenir d'elle et cela n'enchanta pas.

Louis fit encore un discours. Puis la musique reprit ses droits. Même avec la Marseillaise. On avait ressorti pour l'occasion une vedette d'autrefois qui donnait le la aux vedettes actuelles, et tous en choeur.

Dès le lendemain la presse révéla que femme de Louis n'avait pas voté. On guillotina l'Antoinette dans les gazettes. Beau début pour le couple royal.

Après une nuit en famille, tranquille, dans un hôtel de grand luxe, Louis partit en vacances avec les siens.

11

Notre mer est pâlichonne aujourd'hui, elle a dû prendre un coup de froid; il y a un vent qui chasse les nuages et les degrés; et puis elle a trop fêté la victoire. Ses vaguelettes sont sans force, elles veulent montrer une jolie crête et s'effondrent sans atteindre le rivage, ce n'est pas de sitôt qu'elles rejoueront à l'Atlantique.

Nona, notre futur maire - selon lui - a enfin pu faire publier un communiqué dans notre presse.

"Le Louis, c'est pas lui qui fera fonctionner le trameway. Bonne chance quand même en attendant les municipales."

Avant il y avait l'élection des putés, juste le temps d'une semaine de vacances, de s'installer à l'Elusé, de mettre en place le gouvernement et d'annoncer les premières réformes pour bien expliquer aux électeurs que le nouveau président a besoin d'une majorité, ce que, les sondages le confirment, ils ont bien compris tout seuls.

De retour, à l'aéroport Lola a été accueillie comme une vedette. Notre Chef de la police était venu la saluer, les journalistes locaux posèrent des questions locales, les photos et le reportage télé prouvaient que la police de Louis est photogénique. Aucune pareille chez les quicains, les angles et les saxons, pour ne pas parler des grosses miettes du monde et des petites. Elle s'engagea à une police plus humaine sans faiblesses - on se dit que la matraque dans une main de velours n'en était pas moins électrique. Il y eut un banquet privé dans son commissariat seulement (avec la présence des amis des autres commissariats fermés pour l'occasion mais les délinquants acceptèrent sans protester de ne pas être arrêtés), même les prisonniers eurent une part de gâteau.

Merlet aussi, au fait, était rentré. Mais par l'avion suivant. Il n'y avait plus la presse, il aurait dû arriver avec Lola, mais il ne voyageait pas en classe économique. En plus il était sans Cléopâtre qui se trouvait occupée par son émission; seule crétaire était à l'attendre; un seul être vous manque, mais si vous en avez une autre le bonheur est là quand même.

Les nuits de notre ville ne sont pas calmes. Elles brûlent du désir animal de vivre. On lutte mollement contre la prostitution pour ça. Certains pourraient croire qu'un bon bain de mer et hop voilà les excités calmés; mais pas du tout. Il y a une atmosphère énervée en permanence, justement due peut-être au flux et reflux des vagues que seul un soleil écrasant arrête; mais alors atterrissent des nuées de touristes, débarquent des bancs de touristes, toute notre côte vibre de leurs musiques, de leurs nages, de leurs hors-bords, de leurs excès. Les pauvres en oublient qu'ils sont pauvres; il faut dire qu'ils n'ont jamais eu beaucoup de tête, les pauvres, leur mémoire prend l'eau, qu'on l'arrose une fois par an d'eau de notre mer et le Léthé ne faisait pas mieux, c'est sûrement pour cela qu'ils restent pauvres, le camping est un soutien méritant des ploutocrates.

Tout le monde ou presque est à son poste. Proviçat rumine d'atroces vengeances contre Candidate femelle qui a favorisé l'entrée au parti de gens qui n'ont eu qu'à payer au lieu d'être choisis par les copains. Jusque là le socialo-parti - et d'autres - était une sorte de club privé dont les membres formaient un réseau invisible, un filet à prendre une ville, puis à la tenir, et quand on avait réussi la prise on la dégustait ensemble, jour après jour, un festin grisant qui durait des années et des années, la prise se régénérait comme le foie d'Atlas. C'était bon et c'était légal. Il est bien rare d'avoir les deux; l'alcool, la cigarette, les drogues douces, tout est limite, le sexe même tue, d'ailleurs son abus est dangereux pour la santé, l'important est de ne pas être contrôlé au volant après un excès sexuel, "ils" ont des radars qui paraît-il "les" renseignent aussi sur ça. Faites gaffe aux photos indiscrètes pendant vos vacances chez nous, grâce à internet elles se retrouveront chez vous; chez vos voisins. On a vu un touriste. Perplexe devant notre tranchée du tramway, c'était un Allemand, il a cru bon de s'excuser pour les guerres mondiales. Puis il a tenté un bain dans notre mer, pour les nordiques elle n'est pas froide; d'ailleurs ils doivent avoir raison car les méduses aussi sont arrivées. Autrefois elles étaient rares, maintenant elles déferlent chaque année, leur armée contre celle des baigneurs, elles sont anti-économiques, des méduses militantes de l'écologie, probablement.

 

IV En avant la publique !

1

IL n'y avait pas de scandale, mais non. Ah, il commençait bien. Et où exactement ? J'ai pensé à y aller moi aussi, mais c'est loin. Et c'est cher. Pas pour lui, pour lui c'est gratuit. Mais quand on vous offre, qu'on est si gentil avec vous, on s'attend à ce que vous soyez gentil également, à votre tour. Tout cela ressemble à ce qu'on appelle un geste commercial; on sort du domaine des affaires pour avoir des chances de réaliser de bien meilleures affaires.

Louis, en famille, était à Malte sur un yacht prêté par un milliardaire.

Sûrement une idée de l'Antoinette.

On ne la guillotinera jamais assez.

La rumeur devint certitude quand on eut les images. Le bateau était grand mais d'une allure vieillotte. Moi je n'aurais pas acheté celui-là. Pour l'intérieur, comme il était parfois à la location, on nous fournit quelques vues et je ne regrettai pas de ne pas avoir les sous. La déco était juste bonne pour un milliardaire qui ne savait pas rêver.

Ce n'était pas un scandale. Non. Même les adversaires politiques de Louis le rappelaient avec insistance. On venait de l'élire, il fallait attendre un peu avant de se scandaliser.

Enfin, il avait du beau temps là-bas, c'était l'essentiel.

La presse gonfla ses voiles et mit le cap sur Malte.

Louis fut très dérangé par le téléphone. Ses conseillers conseillèrent. Son porte-parole parla. Le milliardaire était un ami de vingt-trente ans, il prêtait le yacht parce que c'était un gentil.

Louis débarqua sur l'île en courant. Le jogging du yatchman trotta sur fond bleu. Il était un homme comme les autres, la réussite et le luxe ne l'empêchaient pas de suer, il souffrait pour garder la ligne afin de plaire à l'électrice. Les hommes constataient qu'il avait de l'énergie et qu'il faisait comme ils l'auraient fait, le même footing, s'ils avaient été moins fatigués par l'ennui de leurs vies. Parfois Louis arrêtait sa course pour communiquer. Car outre ses gardes du corps, les djournalistes couraient un peu; en fait ils attendaient surtout dans les virages.

Il expliquait qu'il avait travaillé dur et qu'il avait bien mérité quelques jours de vacances en famille. Il expliquait et il comprit qu'il devait rentrer.

Il reprit le même avion. Qui l'avait attendu. Un avion privé gratuit lui aussi. On soulignait que l'escapade n'avait rien coûté au contribuable.

Il se plaignit, il n'avait eu que quarante-huit heures de vacances. Mais voilà, héroïquement il sacrifiait le reste à l'opinion publique.

Le retour de Varennes fut triste. Antoinette et fiston constataient que les châteaux sont tous de sable.

Quelques jours plus tard Louis prit sa place à l'Elusé.

Il raccompagna Chosset à la porte et ne rentra dans son palais que quand il fut sûr que l'ex ne pourrait pas forcer les portes pour revenir.

Il fut intronisé par la Pzident du Consteil Constiti. Il fit un beau discours. Il fit un baiser sur les lèvres à l'Antoinette. Il reçut dynamiquement et joyeusement tout le monde en général et chacun en particulier. Il dit - discrétion, vie personnelle - on ne sait quoi à son fiston qui s'ennuyait un peu.

La journée du triomphe remplit la presse quelques jours. On s'intéressait aussi à la retraite parisienne de Chosset, prêtée par un milliardaire. Chacun avait le sien. Mais, observa-t-on, celui de Chosset était étranger, libanais, tandis que celui de Louis était français.

Chosset n'était pas regretté. Il n'y avait pas de fleurs pour lui. Globalement le pays était soulagé. Il avait le sentiment qu'enfin quelque chose se passerait, que tout devenait possible. Au temps de Chosset il fallait aller dans le sens où paraît-il les choses allaient, l'action consistait à ne pas contrecarrer une évolution déclarée inéluctable; ainsi on ne faisait rien, du moins pas grand chose, on gérait au jour le jour et on baptisait cela grande politique, avec mépris pour les esprits critiques, lesquels ne comprenaient rien, évidemment. Chosset avait viré depuis longtemps au centriste de gauche.

On allait voir ce qu'on allait voir. Les lendemains chanteraient bien un jour. Le coq n'est pas si plumé et il a encore de la voix. Il va chanter à nouveau. Demain.

2

Quand croûton vit le rapport de la Liaunyaise, reçu hors de tous les délais prévus par les textes officiels - sans doute pour échapper à la baffe -, la rage le prit. Que cette oie venue épauler un âne ait osé par sa présence pousser ses élèves à se croire supérieurs à un adulte, qui plus est leur professeur qui devait représenter l'autorité, qui plus est celui qui représentait la culture de la France, c'était déjà une atteinte aux droits d'une éducation normale pour des adolescents qui devaient être formés selon des valeurs morales qui échapperaient toujours à l'incompétent Proviçat (Morale ? Je me pince le nez !). Que, en plus, cette demeurée promue par la corruption légale ose baptiser ce tissu de conneries-Meumeu pédagogie, c'était une insulte pour tous ceux qui soutenaient coûte que coûte l'édifice de l'enseignement français malgré les coups de pioche acharnés des terrassiers de la société multiculturelle. La notation aurait dû être entre les mains des Français et non entre celles de leurs ennemis. Mais Jozin, Bêgroux, l'Allégrette avaient pris des mesures pour que les leurs aient tous les pouvoirs et couvrent leurs abus du foulard opaque de la pédagoglie.

Proviçat se crut vainqueur de la France. Il arborait son petit sourire satisfait et derrière le dos de croûton montrait le rapport aux copains. Voyez comme il était puissant, le Proviçat ! Il obtenait des rapports truqués à la demande; les compréhensifs copains-copines gogoches savaient bien qu'un proviçat doit être obéi sur son territoire, par la force quand l'idéologie la bonne est contestée malgré la transposition en termes pédagoglos par le Meumeu indécrottable. O joie d'être un proviçat qui prépare la société pluriethnique multicucu gogoche ! On fait oeuvre de progrès ! Les forces de progrès passent sur le cadavre de France et depuis peu en chantant la Marseillaise.

Croûton fit de suite le contre-rapport de celui de la dinde. Il le remit à la secrétaire de proviçat qui ouvrit des yeux ronds de stupéfaction, lesquels s'agrandirent à la lecture. Avant la fin de journée tous les bons l'avaient lu. L'Arzi essayait désespérément de contacter Proviçat qui s'était octroyé un jour de vacances pour fêter l'anéantissement de l'ultime ennemi de sa toute-puissance. Si les intelligents ne veulent pas se soumettre totalement aux cons, ils n'ont qu'à se démettre; que Meumeu et les siens règnent et achèvent France.

Voici le contre-rapport :

Remarques sur le rapport de Mme Liaunyaise.

- Mme Liaunyaise rédige son rapport comme s'il s'agissait d'une classe tranquille, calme, ordinaire, or la classe s'est avérée dès la première heure de l'année scolaire impossible. Pour le vérifier il suffisait d'interroger le professeur de Mathématiques (celui de la première moitié de l'année), mais Mme Liaunyaise ne l'a pas fait; d'interroger le professeur de Sciences de la vie et de la terre, mais Mme Liaunyaise ne l'a pas fait; d'interroger le professeur d'Espagnol, mais Mme Liaunyaise ne l'a pas fait, d'interroger le professeur d'Histoire, mais Mme Liaunyaise ne l'a pas fait... Mme Liaunyaise a "parlé" avec le proviçat du lycée mais M. Brouboulle ne sait pas, apparemment, ce qui a été dit et décidé dans les conseils de classe, ou bien il l'a caché sciemment (pourquoi ?).

- Mme Liaunyaise écrit : "il faut s'assurer que celui-ci (le programme) a été assimilé par la classe", or, justement il s'agissait d'une séance où l'on rendait les devoirs qui permettent de voir si la séquence a été "assimilée" ! Mme Liaunyaise aurait pu regarder ces devoirs pour en avoir une idée ! Mais Mme Liaunyaise ne l'a pas fait. Qu'ils n'aient retiré "aucun profit" de la préparation et des corrigés, le bac blanc noté par d'autres professeurs a déjà nettement indiqué que c'est faux.

- Mme Liaunyaise écrit : "pour bavarder sans retenue". Les commentaires des élèves entre eux après la remise des copies, sur leurs notes et les remarques du professeur, sont qualifiés par Mme Liaunyaise de "bavardages" assimilés tranquillement par elle à leur "manque d'intérêt" (pour leurs notes !), ce qui est absurde. C'est évidemment le contraire. Quant aux termes "sans retenue", ils sont mensongers.

- Mme Liaunyaise était censée venir parce que j'avais mis une élève à la porte en la poussant légèrement (sans la faire tomber) parce qu'elle ne voulait pas sortir, le proviçat M. Brouboulle s'était arrangé pour grossir le non-événement et avait inventé un drame; Mme Liaunyaise a "oublié" la raison de sa venue. Pourquoi ? A l'évidence parce qu'elle n'a pas trouvé dans le comportement des élèves les éléments négatifs souhaités pour son rapport.

- Mme Liaunyaise a également "oublié" les quelques propos quasi pornographiques d'une élève psychologiquement perturbée, qu'elle reconnaissait dans l'entretien avoir entendus, et qui dans son rapport deviennent donc des "bavardages". Ou est-ce ce qu'elle (ne) veut (pas) dire en employant l'expression "parfois bruyante" ? (Elève pour laquelle le proviçat, M. Brouboulle, a inventé "l'exclusion en inclusion" !)

- Mme Liaunyaise ignore visiblement l'évolution des lycées et surtout de celui-ci, laquelle n'est évidemment pas due au Croûton mais au proviçat, M. Brouboulle. Les classes silencieuses ? Si une classe est silencieuse c'est que les élèves ont été soigneusement choisis par le proviseur pour un copain dans le but d'inspections qui font alors avancer les carrières. Mme Liaunyaise est l'inspect' rêvée pour ce proviçat.

- Mme Liaunyaise déclare "classe de Ire L dans laquelle il a souhaité enseigner". Que veut-elle dire par cette expression ? Les classes de L, ici, sont toujours données par le proviçat M. Brouboulle à des maîtresses auxiliaires, l'une, paraît-il, compagne d'un ancien proviçat adjoint, l'autre serait l'épouse du principal adjoint du coclège voisin; l'agrégé a été invité à faire le remplacement d'une maîtresse auxiliaire enceinte cette année; Mme Liaunyaise a-t-elle fait le rapport nécessaire pour qu'elle retrouve "sa" place l'année prochaine ?

- Mme Liaunyaise était d'ailleurs venue à l'entretien avec le sujet que la première d'entre elles exigeait pour le bac blanc de 1re L, elle voulait l'imposer à tout prix; apparemment la maîtresse auxiliaire avait absolument besoin de ce sujet-là et M. l'Arzi, actuel proviçat adjoint, l'a ultérieurement imposé quoiqu'il soit assez mauvais.

- Mme Liaunyaise déclare : "doit s'adapter aux besoins et aux possibilités des élèves"; certes, mais une classe de Ire L n'est pas une classe de Ire STG, Mme Liaunyaise ! Vous ignorez que l'orientation consiste à ne pas envoyer n'importe qui n'importe où, ce qui entraîne des problèmes insurmontables pour le professeur ! Mais le rapport de Mme Liaunyaise est fait pour mettre au compte du professeur les erreurs d'orientation du proviçat.

- Je ne suis pas une femme et ne joue pas à la femme; la féminisation abusive de l'enseignement des Lettres a abouti a l'absurdité suivante : le bon professeur est une femme de gauche : Mme Liaunyaise ? Tout en disant refuser le maternage, la prétendue "pédagogie" mise en avant n'est que le maternage.

- Mme Liaunyaise écrit dans son rapport 19 lignes négatives totalement répétitives et 10 lignes positives dont chaque élément n'est cité qu'une fois; l'impression donnée n'a donc rien à voir ni avec l'entretien ni avec la réalité; il s'agit d'un grossier trucage pour démolir un professeur qui, lui, a fait son travail. Or, un rapport, Mme Liaunyaise, ne doit pas être idéologique, il ne doit contenir que des faits pour être honnête.

- Mme Liaunyaise répète les mots "bavardage", "manque d'intérêt" pour que cela pèse sur le rapport; or, dans l'entretien auquel elle se réfère, il en a très peu été question, tant c'était inapproprié vu la classe; elle déforme ainsi la réalité, ce qui est grave. Mme Liaunyaise ne maîtrise pas à l'évidence la notion délicate d'"intérêt"; une certaine idéologie a appris aux élèves paresseux ou faibles qu'il suffisait de déclarer que le cours ne les intéressait pas; le professeur, Mme Liaunyaise, n'est pas là pour amuser les gosses, le verbe ne s'emploie pas sans la notion d'effort ! Il faut faire attention quand on utilise des mots de ce genre !

- Mme Liaunyaise a omis de s'interroger sur le fait que l'autre L, celle sans problèmes, a droit à deux dédoublements et non un, à de l'argent pour aller au théâtre - on a fait en sorte que je ne puisse en profiter -, à de l'argent pour les voyages - on ne m'avait pas informé de cette participation.

- Mme Liaunyaise déclare : "qu'il trouve pénible"; qu'entend-elle par cette restriction ? Je me souviens d'avoir parlé de "classe très pénible dès la première heure alors que les élèves ne me connaissaient même pas", de classe "dont beaucoup d'élèves selon les dossiers avaient posé de graves problèmes les années précédentes", d'orientation farfelue dans le lycée quand une élève redoublant la Seconde passe en Ire L avec 06 de moyenne... Mais Mme Liaunyaise a choisi une restriction parfaitement ambiguë; que veut-elle dire ?

- Ainsi, la classe ayant été soigneusement composée avec certains élèves qui avaient causé de graves problèmes les années précédentes - desquels le professeur a subi un véritable harcèlement moral -, avec certains élèves trop faibles et qui n'avaient nullement l'intention d'étudier, et, il est vrai, avec des élèves sérieux dont les parents demandent au professeur de faire des cours malgré les autres, Croûton a vécu une année épouvantable mais a fait son travail malgré tout, il en est remercié par un rapport scandaleux.

- Je n'ai pas fait carrière, j'ai fait honnêtement le travail, dans l'enseignement c'est devenu incompatible; Mme Liaunyaise est là pour écrire les rapports qu'il faut. Je n'accepterai plus désormais aucune inspection car il est clair qu'aucun professeur n'est en sécurité avec le système actuel.

Contacté enfin, revenu en catastrophe, Proviçat, ce rapport sous les yeux, tremblait de colère gauchiste. Quoâ ! On se permettait de le mettre en côoose, luî, le dieu de la pédagoglo, unanimement admiré par l'Arzi, la Bizi et la Catleen ainsi que de moindres ! L'insolence de l'anti-friance drouète passait les bornes. Il fallait en finir avec les droits de l'opposition. Certes le contre-rapport était prévu par les textes, mais luî, Proviçat, n'avait pas signé ces textes; il existait pour ne pas s'en servir, pour faire démocratique. Le rapport de la Liaunyaise, il était pâ'fé, i était tout comme i av'ait dit à elle, même le stîiile i était bon, on aurait dit du proviçat, voyez.

Aaâââh on va vooir ce con va vooir ! Mô au croûton !

L'Arzi inquiet conseilla une approche sans couteaux ni revolvers. Alors comment en finir ? Les lois n'ont pas toujours l'esprit pratique, la lettre non plus d'ailleurs, et elles ne prévoient pas les exceptions.

Proviçat fit paraître croûton en son beau bureau. Il lui tint ce langage :

"Vous avez offensé en moâ la dignité la grande de Meumeu, de pédagoglo et de Jozin. O Jozin ! Vous étês un infâme. Je ne pâale même pâs de moâ, de ma Personne, mais de tout ce que je r'présent'. Les temps nouveaux sont en moâ. Les forces de progrès sexeprim' à travè moâ. Oui. Moâ ! Ah ! Dans ton rappô (Il tutoyait le criminel comme il l'avait vu faire dans les interrogatoires policiers de la télé), t'i dis des chôooses j'veux pâs ! Quoâ ! Quoâ ! T'i vas enl'ver. Ouste !

- Rien du tout, répliqua froidement croûton.

- T'i vas vooir, t'i vas vooir. La pôort pou'toi ! La pôoort'. Plus bouffer, plus rien. Plus d'a'gent pour payer l'loyer. Ien. Ien. T'i vas enl'ver !

- Rien du tout, réplique croûton, tout ce que j'ai écrit est vrai, vrai ! J'ai même été trop modéré. Donne, je vais en rajouter.

- Enl'ver ! Enl'ver ! J'acèpete pâs les sous-ent'dus que j'ai des copin's, des copains et que je les privilégi'.

- C'est la vérité, la vérité, tonne le croûton. Je l'ai vu et entendu. Je suis témoin.

- J'i è fé un'laître, là, k'i dis toa fé d'la diff'mation. De la diffimation. Là, j'l'écris, j'envoie laître !

- Mais envoie, envoie.

- On va t'vi'er, croûton. T'vi'er !

- On ira devant les tribunaux, menace croûton, les tribunaux. Je t'y traîne. Je ne demande que ça, d'avoir un prétexte, et depuis longtemps !

On se quitta sans progrès dans les négociations. Les autres qui écoutaient derrière les deux portes, d'abord pleins d'espoirs de la mort du croûton, étaient consternés. La secrétaire avait des yeux si ahuris qu'ils lui en faisaient mal. Le croûton ne s'était pas écrasé devant les forces de progrès. La résistance continuait malgré les menaces d'exécution. Il aurait fallu s'en prendre à sa famille. L'Arzi fumait d'indignation, la Catleen répétait sans arrêt qu'il fallait qu'elle s'en aille, elle devait aller chercher ses enfants avant l'heure à la p'tite écôl', la Bizi pleurait à moitié quand elle s'arrêtait de répéter "Titanic ! Titanic !"

Croûton n'en fut pas absent le lendemain pour autant. Il fit ses cours comme d'habitude et comme il entendait les faire.

3

Proviçat l'avait dit, il le répétait à l'Arzi, à la Bizi, à la Catleen qui désespérément tentait toujours de partir, le croûton i d'vait être fou. Oser s'opposer à Proviçat; pire, le dénoncer ! Enfin quoi ! Privilégier les meilleurs, n'est-ce pas logique ? Or quels sont les meilleurs ? Vous, mes amis. Puisque vous êtes à mon image. Vous avez les mêmes idées que moi, les mêmes principes pédagoglos que moi, la même idéologie que moi, vous êtes les plus méritants, ou alors, absurde, c'est que moâ je ne l'srais pas. Or le mérite doit être récompensé. C'est logique, c'est normal. Vous ne bénéficiez pas de passe-droits mais de justes avantages pour votre investissement auprès de ma personne.

- Oui, dit la Catleen, mais si on va d'vant les juges, ceux-ci i sont pas des nôtres.

- I compr'dront pas, abonda la Bizi.

- Mais nous avons aussi des juges au parti, répliqua noblement le noble Proviçat. D'un côté ils ont un syndicat bien-pensant, à nous, de l'autre des juges qui veulent le respect de l'autorité, c'est-à-dire moâ.

- Vaudrait quand même mieux éviter, bredouilla l'Arzi. La presse rendra compte. S'il a une tribune, c'est le pire.

Il devait être fou, le croûton. Proviçat avait beau retourner et retourner les faits-problèmes-écrits divers, ô ma tête ! aucune autre solution possible : s'opposer à Proviçat, le dieu de la pédagoglo (après Meumeu), le bras droit ou quasi de l'illustre Jozin... I au'ait fâl'u une exp'ertise ssy-quia-trique, faite par un bien-pensant, et rédigée par Proviçat :

"Le croûton i est foû à lier. Lions vite. Un bon intern'ment à perpète. Ça ar'ange tout l'monde. Bon pour enter'ement pématu'é aussi. Car fou." Signé : Sa Hautesse Proviçat.

Les proviçats et les inspecs d'l'éduc un peu partout en friance avaient utilisé le truc pour briser les résistances. Leur acharnement par leurs rapports idéologiques déclarés pédagogiques, leurs propos insultants destinés à déstabiliser l'homme honnête qui faisait son travail, leurs notes révoltantes pour humilier leurs supérieurs réels qui ne feraient pas carrière car ils n'avaient pas les copains, ah ils en avaient poussé à la dépression, en toute bonne conscience. Des internés sans autre raison qu'eux. Des suicidés aussi ? Mais quoi, pas de vagues, disait Bêgroux. Tous les micuistres d'l'éduc d'accord. Ils ne devaient pas aimer la mer. On ne les voyait jamais chez nous. Le croûton avait le pied marin.

Le croûton se demandait s'il ne pourrait pas faire interner Proviçat. Et flanquer en taule l'oie Liaunyaise. La tâche n'était pas aisée. L'avocat consulté estimait que la connerie, même à très haute dose, n'était ni une preuve d'aliénation ni un crime. Il s'agissait tout de même de deux dangers publics. Il fallait en délivrer la planète ! Restait le meurtre. Cette solution, il le sentait bien, serait critiquée. Si, si. Les mous qui trouveraient la cause juste, trouveraient néanmoins sa liquidation mauvaise. L'idéal était que Proviçat fasse la sottise qui permettrait de porter le débat à la une de la presse par l'intermédiaire du tribunal. Il fallait attendre.

Ce fut en vain. Entre sa vanité et sa panique, Proviçat pour une fois écouta la raison. Il ne bougea pas.

La Liaunyaise non plus.

En apparence rien ne se passait au bordel-licé. On trouvait simplement Petite Pervenche plus calme depuis sa prise en main par Lola. Salope continuait d'étudier le pornographie, son unique centre d'intérêt; Fils papa gaucho avait découvert par hasard le CDI, lieu couvert de livres, il se remettait du traumatisme en une lente convalescence protégée par les puissants parents; les jumelles roses connaissaient le lieu et son insalubrité depuis longtemps, on ne les piégeait pas, elles étaient là pour l'examen pas pour les études. L'animation culturelle avait recueilli leurs derniers poaimes. C'était moderne pas'que c'était n'importe quoi. Pas de règles, pas de principes, pas de contenu. Du moderne ultra pur archi-concentré. D'ailleurs l'hypermarché pas loin avait souhaité une petite exposition pour prouver son intérêt pour l'art des jeunes parce qu'ainsi ils piqueront peut-être moins sur les gondoles. Les jumelles roses sont allées voir leurs oeuvres. Elles étaient très fières.

4

Une fois en la place d'or, Louis promulgua son gouvernement de l'Elusé. Il n'avait pas tardé. Un président dynamique ne traîne pas à donner un gouvernement resserré donc dynamique, de l'énergie concentrée. D'abord il avait nommé Premier ministre son coadjuteur de campagne, Flonflon, long maigre couteau.

Naturellement on avait veillé aux fuites nécessaires pour que les surprises ne secouent pas trop l'opinion et que djournalistes soient satisfaits de donner les bons noms en avant-première.

Louis avait décidé l'ouverture avec les femmes obligatoires dedans.

Il y mit Jupin, l'ex-Prime minister de Chosset, condamné en justice légèrement pour des faits graves et redevenu éligible depuis peu, une marocaine également française, et deux socialistes. Il y en avait d'autres forcément, qui n'attirèrent pas l'attention.

Trop d'habileté tue l'habileté. Si les partisans de Chosset étaient contents de se voir représentés par Jupin, ils n'étaient plus si nombreux, le voir s'occuper de l'écologie en considérant son passé faisait ricaner beaucoup d'autres, son titre de seul ministre d'état fit lever plus d'un sourcil. La présence d'une marocaine à la justice inquiéta : les immigrés désormais tenaient le système judiciaire. Quant aux deux socialos, on remarqua qu'on avait voté contre eux et qu'on les avait quand même là; alors c'était pareil : on votait pour eux, ils étaient micuistres, on votait dehors ils étaient malgré tout dedans, micuistres.

Le parti socialo déclara officiellement traîtres les deux traîtres.

L'Extrême nota qu'il n'y avait personne de son mouvement, or les siens avaient voté pour le nouveau président, pas les socialistes.

Personne n'osa parler contre la marocaine d'une part parce que comme au temps de Chosset on aurait été déclaré raciste, d'autre part parce que c'était une femme et que l'on aurait été déclaré anti-femmes; et puis quand on tient le système judiciaire on le pousse dans le sens que l'on veut...

Le ministère de l'immigration et de l'identité nationale, projet controversé avant l'élection, passa , ainsi que son premier titulaire, inaperçu.

Les nommés étaient contents. Ils arboraient de grands sourires sans se forcer. On les comprenait mais on en avait vu tellement comme ça avant de devoir les changer. Néanmoins le côté patchwork de ce gouvernement divertissait, les coutures en paraissaient grossières, on pariait sur le temps qu'elles tiendraient. Les djournalistes bien informés avaient le droit de laisser entendre que l'on aurait aussi une noire et une autre maghrébine dans les secrétaires d'état, et encore un ou deux socialos. Un trotskiste nous aurait amusé, mais Louis nous le refusa.

Flonflon dirigeait la campagne législative. Il prévint. Un ministre battu aux élections devrait démissionner. On s'intéressa avec sollicitude à son cas.

Les socialos avaient très peur d'être très battus. Le problème, paraît-il, était de savoir dans quelle écrasante proportion. Tu vas être réduit à l'état de galette ! Tiens, prends ça et encore ça ! On aime bien quand les uns ou les autres en prennent plein la gueule. Naturellement il faut sauver la démocratie pour pouvoir s'amuser une prochaine fois; chez les Angles il pleut tout le temps.

Le parti du président demandait d'être logique et de voter pour le parti du président. Ce n'était pas la peine de s'être dérangé pour lui si on ne recommençait pas.

Les centristes s'étaient divisés. Centriste opportuniste Bêgroux avait en effet décidé tout seul d'avoir son parti bien à lui pour ne pas risquer de ne plus être grand dirigeant. Il avait donc par un coup asséné en traître débarqué ses sceptiques, qui dans un nouveau parti présentaient aux élections leurs chauffeurs, leurs femmes de ménage, leurs conseillers matrimoniaux, leurs loueurs de vélo, tandis que lui présentait en son nouveau parti des inconnus.

Chaque voix rapporte annuellement de l'argent de l'état au parti auquel elle s'est donnée.

Candidate femelle ne se présentait pas pour être simple putée mais elle alla bravement soutenir certaines et certains. Elle voulait consolider ses troupes pour s'emparer du parti et reprendre la bagarre contre le roi élu dans cinq ans. Si elle avait un si bon score sans programme valable, sans avoir l'expérience, sans avoir les soutiens inconditionnels des siens, sans grande chance en vérité, tous les espoirs étaient permis avec cinq ans pour se préparer.

Louis agissait certes. Mais toute action est à double tranchant.

5

Dans cette curieuse république tout était fait légalement pour qu'un petit nombre puisse s'approprier l'état démocratiquement. Non seulement les partis, même relativement ouverts depuis peu, étaient des clubs privés ou des systèmes à deux niveaux, des petits actionnaires colleurs d'affiches en bas, nommés militants, et, à l'étage au-dessus le club privé avec ses règles bien à lui; mais surtout on empêchait au maximum de couler les sources d'information sur les détails des rouages aussi bien des mairies que des ministères... On cachait cette vérité par des cours d'éducation civique à l'école et des informations du citoyen consommateur de papiers. Seules quelques grandes écoles délivraient les secrets aux fils à papa et aux élèves trop intelligents pour qu'il ne soit pas franchement dangereux d'en faire des révoltés.

Mettons que vous vouliez, étant donné la nullité d'un maire et de ses quelques concurrents "informés", vous présenter. Alors que vous n'êtes pas dans un système de parti où de plus anciens peuvent vous dire comment gérer la ville. Vous savez ce qu'il faudrait faire, vous ne savez pas comment le faire; ceux qui par hasard ont été élus quand même n'ont pas pu réaliser grand chose; le temps qu'ils apprennent, leur mandat était écoulé et, faute de bilan positif, ils n'avaient pas de deuxième chance. Ceux des partis en place avaient beau jeu de dire : Vous voyez, c'est un métier, ce n'est pas pour vous la démocratie, c'est pour nous, parce que dans notre club privé on nous a appris comment faire. De la sorte aussi ceux qui arrivaient en place imitaient leurs prédécesseurs et, sans une idée nouvelle, pour avoir un bilan ils construisaient une nouvelle voie rapide démolissant la vie de tous les riverains. Mais puisqu'il n'y avait pas vraiment le choix, ils seraient réélus.

Pareil pour les conseillers généraux, les conseillers régionaux, les putés...

Certains réclamaient des cours du soir gratuits et en accès libre partout pour que les citoyens puissent apprendre comment en pratique ils feraient pour réaliser leurs idées s'ils étaient élus. On comprend le ferme et constant refus de ceux en place et qui voulaient le rester. Il n'y a pas de vraie démocratie sans accès général aux techniques de conduite des affaires.

Ainsi Nona, notre futur maire, a beau être très vieux, est-il vraiment au courant de tout ce qui permet à une mairie de bien fonctionner tout en progressant selon des idées neuves ? Ne risque-t-il pas à cause de l'ignorance programmée par l'état de faire quelque grosse gaffe en passant des marchés ou... ? Ne risque-t-il pas en ayant raison contre le maire actuel de nous coûter plus cher quel lui ? Voire une fortune ? Tout est fait chez nous pour qu'élire quelqu'un d'inexpérimenté sans parti derrière soit une véritable aventure. Au mieux il ne fera rien.

Une de nos inquiétudes est l'augmentation des impôts locaux. On nous assène quelques chiffres régulièrement pour la justifier; nous en parlons sans bien savoir, résignés; les vaches conduites à l'abattoir croient peut-être aller en colonie de vacances ? Dans notre société de l'information, les informations qui permettent de tenir les rênes de la démocratie même locale sont soigneusement bridées, recouvertes d'épais tas de paperasses, cachées; le citoyen libre tourne en rond entre ces murs bien édifiés à l'heure de la promenade.

La réjouissance démocratique du moment était la soirée du 1er tour de l'élection putés. On apprit que la participation n'était pas forte. Des électeurs qui s'étaient dérangés aux deux tours de la présidentielle avaient eu une panne d'essence ou bien, vu les prix, n'avaient pas eu les moyens de refaire le plein. Quoi qu'il en soit de leurs raisons, sondées mais sur ce point insondables, le parti du président l'emportait largement. Dès le premier tour il avait de nombreux élus, dont le premier après Louis, Flonflon lui-même.

A partir de ces résultats les sondeurs-pronostiqueurs induirent tranquillement la couleur de l'assemblée à l'issue du second tour, du bleu du bleu du bleu, intense. La déroute pour les roses.

C'est là que l'on comprit que le renouvellement ne devait pas seulement toucher les politiques mais aussi les journalistes et les sondeurs. On nous avait déjà fait le coup. Tout électeur d'expérience sait que le second tour ne sera pas comme le premier sauf cas de force majeure pour l'électeur. On nous servait du réchauffé. On passait la soirée avec des discours qui n'avaient pas lieu d'être pour créer un suspense qui n'existait pas. La télé gâteuse rabâchait.

Les triomphateurs arborèrent un air hypocrite de non-triomphalisme. Les perdants levèrent vers nous de grands yeux tristes savamment agrandis par les maquilleuses. Y avait rien d'autre sur les chaînes et on s'est embêté. Il commençait bien ce nouveau quinquennat. Attends le deuxième tour, tu vas voir !

6

Lola avait reçu pour son commissariat de beaux pistolets électriques. A distance vous appuyez sur la gâchette, le criminel endurci tombe néanmoins, secoué de spasmes nerveux. Cet équipement complétait à merveille ses matraques. La consigne officielle était de faire faire l'expérience de la victime aux policiers afin que, ensuite, conscients des effets produits, ils n'abusent pas de la nouvelle arme. Lola se fit réglementairement tirer dessus par La Flicaille, après quoi elle entra dans une rage épouvantable et il reçut une décharge supplémentaire alors qu'il était à terre du fait de la première. Ensuite elle flingua notre Chef de la police qui voulait jouer à l'exempté et tout le commissariat se tordit bientôt.

De l'expérimentation à la pratique sur le terrain, il y a un petit pas de danse qu'elle franchit sur sa lancée entraînant avec elle ses acolytes Gros tas et le maigre La Flicaille mal remis. Aux abords du bordel-licé la patrouille eut en vue une suspecte aux agissements coupables sur une voiture.

C'était Petite Pervenche qui, avec une application rare pour elle, rayait consciencieusement la voiture rouge de croûton. Elle était toute à sa tâche. Elle n'entendait rien. Sa sérénité était due à la bonne conscience du service commandé. L'Arzi lui avait soufflé l'ordre vengeur de Proviçat. Tout à coup elle entendit : "Stop ! Arrête ça !" d'une voix forte, elle tourne la tête, découvre un commando, dans un compréhensible réflexe se dresse et se met à courir... elle était à terre et ça faisait mal partout, elle n'arrivait pas à se relever... Les autres riaient. L'un se pencha pour lui passer les menottes tandis que la douleur passait et que le contrôle de son corps lui revenait. Elle reconnut Lola.

Croûton ne sut jamais qui avait rayé sa voiture. Il y a tant de voyous. Depuis que l'école gauchiste s'occupe avant tout d'éducation elle en produit tellement.

Celle de Petite Pervenche, d'éducation, Lola la prit en main et, peu de temps après, à un souhait de l'Arzi la déléguée répondit qu'elle ne pouvait pas car elle avait décidé d'entrer dans la police. On ne sait au juste ce qui avait déclenché cette brutale vocation.

La nouvelle consterna Proviçat. Il y vit la corruption de la jeunesse par l'enseignement réac de l'ennemi croûton. Mais que faire pour délivrer les lieux de l'innocence adolescente des forces du mal ? Staline, Mao, Pol Pot avaient su comment agir, mais ici on n'avait pas le droit d'imiter les grands modèles. Pourtant, comment aller de l'avant si on n'élimine pas ceux qui ne peuvent pas être rééduqués ?

Les rapports de ses amis qui oeuvraient dans les Instituts de formation étaient éloquents : aucune méthode de déstabilisation et d'intimidation n'arrivait à bout de certains que l'évidence du génie pédagoglique de leurs maîtres n'avait pas converti. Certes il y avait la sélection cachée sur critères de compréhension idéologique, mais des dangereux passaient, entraient dans le sanctuaire d'l'éduc, ils sont là, parmi nous, parfois ils cachent leurs vraies idées, ils se taisent, ils attendent, ils sont prêts à frapper. Alors il faut frapper les premiers ! C'est de la légitime défense.

Ce sale coup de la drouète pervertissant une héroïne de la lutte contre les fascistes et assimilés (de façon très large) venait s'additionner à une série de décharges électriques que le destin lui avait sadiquement flanquées. Plus de laîtres. Fini. Le grand style de l'amour tomberait dans l'oubli des générations nouvelles car le temps de l'amour n'est plus, du noble, du foufou, de l'amour littérairement approuvé par un comité des meilleurs scientifiques; on ne saurait plus écrire des laîtres comme les nôtres, ô mon adorée; on ne saura même pas les lire. Il faudrait pour éviter ce drame les enseigner dans les classes... Mais si on n'élimine pas croûton d'abord... et tous les réacs... En outre, on venait d'apprendre qu'Elle divorçait. Cléopâtre ! Ton Proviçat ne te rencontrera jamais ! Jamais je ne tiendrai ta petite main dans la mienne. Tout d'abord il avait eu de l'espérance : elle redevenait libre, il était libre. Mais un gros noir nuage noya le rêve de son ombre. Un hebdo du voyeurisme la montrait en boîte de nuit avec un chanteur noir à la mode. Ainsi brailler vous met plus en vue que diriger l'éduc, dure tâche. Troisième coup : il n'était pas sûr qu'elle retrouve son émission à la rentrée. Proviçat ne la verrait donc plus ! Dans quelle agonie il allait passer ses longues vacances si glorieusement gagnées ! Que ce Merlet était stupide. Avoir eu une femme pareille et ne pas avoir fait tout pour la leur garder. C'est même lui qui l'aurait trompée, Elle ! Quant à trouver une explication, même le croûton i ar'ivrait pâs.

7

TVA sociale ? Qu'est-ce que c'est ?

Quelque chose de terrible nous menaçait. Economiquement l'équivalent d'une grippe aviaire ou d'une bombe à neutrons.

Quelles mesures fallait-il prendre ? Fallait-il porter des combinaisons spéciales comme dans les hôpitaux ? Devrait-on prendre des jours de vacances et rester chez soi ?

Le ministère de l'Economie, c'est-à-dire des dépenses après nous avoir raflé nos recettes, était le papa de ce virus qu'il voulait nous inoculer. Des centres d'inoculation étaient prévus dans tous les départements; après il raflerait plus et en outre on serait content. Vu mon caractère il faudrait vraiment que le virus soit fort. Tout le pays était occupé à planquer ses économies. On en oubliait le formalité du deuxième tour des législatives.

La gauche entière multipliait les conseils pour se protéger.

Flonflon vint devant les caméras soutenir son ministre des rafles de nos économies. Il fit des sourires. Ensuite il prétendit qu'en diminuant les charges des entreprises et en augmentant la TVA payée par le consommateur, on créait des emplois. Et les prix n'augmentaient pas. Des pays barbares proches comme l'Allemagne et l'Angleterre avaient déjà appliqué cette excellente mesure. J'ai une longue expérience en la matière : quand on nous assure qu'il n'y aura pas d'augmentation c'est pour nous préparer en douceur à une augmentation. L'instinct de conservation sauva le pays du virus, Louis désavoua l'attentat et promit que les prix n'augmenteraient pas ce qui illico raviva notre inquiétude. Tant d'insistance sur ce point n'était pas naturel.

Tout bougeait car Louis est dynamique. Le ministre de la guerre qui présentait aux législatives son chauffeur et tout son petit personnel nous menaça d'un second porte-avions. La ministresse des sports se battait pour réintégrer un plus de soixante ans pour qu'il nous gagne des coupes de foot. La femme aux universités avait après une seule rencontre avec les étudiants leur promesse formelle de descendre dans la rue. Notre grand micuistre de l'écologie et autres, Jupin, annonça le temps nouveau, il avait fait peur à l'effet de serre.

On n'arrivait plus à suivre tant de nouveautés. Les journaux se retrouvaient en boule dans les corbeilles sans avoir été lus, on évitait les maux de tête comme on pouvait, en pensant aux proches vacances par exemple.

Outre les festivals pour ceux qui ont de l'argent et les animations culturelles des campings pour ceux qui n'en ont pas, il y aurait des remplacements de programmes à la télé. Quand les vedettes ne sont pas là on a des vachettes, mais aussi plein de jeux nouveaux avec des gens normaux déguisés de façons diverses mais toujours avec des couleurs vives, ce n'est pas forcément drôle mais c'est curieux de voir ce que les gens n'hésitent pas à faire. Pas besoin de grimper l'Everest ni de souiller les pôles pour se dépasser. Les cadres et les PDG qui veulent se prouver qu'ils sont capables d'exploits, pourraient descendre parmi nous... c'est plus risqué, forcément.

Lola, toutefois, elle, pense au devoir. Avec l'arrivée des touristes la criminalité augmente. Et on en accuse la police, c'est radical. Les touristes, eux, apportent de l'argent. On leur lave les plages au canon à eau, elles en ont bien besoin; on met des fleurs au fond des trous du tramway; on rouvre les toilettes payantes; les sauveteurs s'entraînent pour empêcher les noyades. Les costumes clairs commencent de donner chaud; il faut déjà lutter contre les torses nus en ville pour garder l'image d'une villégiature de standing. Il y a du travail ici. On engage des saisonniers à bas prix et on tente de leur faire accepter des locations de studios à des prix plus élevés que leurs salaires; à défaut on les parque dans les coins dont personne ne veut.

Mais il y a un vent constant. Cette année la chaleur n'est pas arrivée aussi tôt que d'habitude. Les climatiseurs n'ont même pas encore servi. La mer ne dépasse pas les 21°, la température réelle (avec vent) ne dépasse pas 25 (28 sous abri selon la météo). On ira voter pour que tout rentre dans l'ordre.

8

La participation n'était pas bonne. Au dernier moment on s'était dit au lit : Oh c'est dimanche, quoi ! Une fois réveillé on était fin prêt pour le devoir civique mais le moral ne remontait pas. C'était étrange. La veille encore on était bien décidé, et puis là... maintenant... L'effort demandé par la République semblait au-dessus de nos forces, pour beaucoup. Mais on tenta d'y aller. On se mit en marche. Les obstacles s'accumulaient en chemin : rues vides, temps doux, oiseaux qui chantaient... Des efforts surhumains furent accomplis, peu furent triomphants. Ou l'on fit un demi-tour honteux sous les cris moqueurs des oiseaux, ou on passa derrière la file d'attente des urnes en baissant les yeux pour atteindre la boulangerie et on repassa de même.

Car il y avait quand même une file d'attente, d'une dizaine d'électeurs, pas plus.

A qui l'abstention allait-elle profiter ? Qui laissait faire qui ? Qui renonçait à son droit de vote en faveur de qui ?

Les forces de l'Extrême échaudées par la composition du nouveau gouvernement, n'étaient pas allées voter pour le parti du président. La gauche ressoudée par le rejet de la TVA sociale avait repris du rose.

Comme d'habitude le second tour ne confirmait pas le premier. La Chambre des putés ne serait peinte qu'en bleu pâle. Louis avait sa majorité et même ses aises mais djournalistes pour essayer d'animer la soirée inventaient un effondrement de la droite. Allait-il pouvoir gouverner ?

On s'ennuyait ferme devant le blabla politoclogue quand on apprit la séparation de Candidate femelle et de Concubin. En plein dans les résultats. Paf. Tous les toctoclogues contraints de parler d'amour, de temps qui passe, de rivalité politique dans le couple, sexe et beauté, intelligence et volupté. On ressassait sur nos chaînes radodantes tout ce que l'on savait sur les maisons, les revenus, les vacances, les carrières, les aventures des vainqueurs de la soirée. Ils firent grimper l'audimat au rideau et le septième ciel audiovisuel faillit être atteint. Une nouvelle période de sa vie commençait pour Candidate femelle. On lui donnait la garde des enfants. On lui laissait l'appart à Paris et la maison sur la Côte d'azur. Pour les vacances des enfants. L'électeur est un grand enfant. Délivrée de Concubin elle allait pouvoir materner l'électeur rose de satisfaction. C'était la marche vers l'Elusé qui prenait son vrai départ.

Le vaincu de la soirée fut Jupin. Ex-Prime-minister de Chosset et actuel numéro deux du gouvernement. Si Louis n'avait pas voulu tourner la page de son prédécesseur tout en répétant qu'il le fallait, les électeurs s'en étaient chargés. L'abstention des forces de l'Extrême avait été fatale. Il dut, conformément à la règle établie, démissionner en direct. Mais comme on ne l'aimait pas, au lieu de suivre les exposés sur sa trop longue carrière à condamnation judiciaire unique, on zappait pour participer à la séparation de Candidate femelle, qui, elle, ne se présentait même pas à cette élection. Concubin lui se présentait et avait été élu parce qu'on n'avait appris qu'après.

Les toctoclogues voulaient s'acharner sur le ministre des dépenses qui avait révélé la TVA sociale de façon intempestive selon eux; il fallait que les djournalistes experts en audimat les rappellent à l'ordre sans arrêt pour les faire parler d'amour, d'amour autrefois heureux, aujourd'hui triste...

Le lendemain permit de nouvelles découvertes sur le couple qui avait failli être présidentiel. Que ce serait-il passé si elle avait été élue ? On inventa plusieurs téléfilms. S'était-elle présentée par dépit amoureux ? On ajouta plusieurs téléfilms, tous très pathétiques. Comment supportait-elle la séparation ? On allait lui demander. Elle fit une déclaration courte, digne. Le taux de satisfaction dépassa son score présidentiel. Toutes les espérances lui étaient permises.

9

Croûton tenait en ses mains la mutation demandée. Ainsi c'était fini ? Il en avait fini avec Proviçat et son troupeau ruminant. Mais ne tomberait-il pas sur un de ses pareils ? Il y en avait beaucoup d'autres semblables. Tout de même, les temps changeaient, le nouveau président était en train de balayer la carte scolaire qui avait si bien protégé tant d'abus et tant d'âneries pédagogiques. Serait-il assez fort pour revivifier un enseignement moribond ?

Mort et résurrection ! Il respira un grand coup face à la mer toute en vagues élégantes ce jour-là. Une mer qui s'était faite belle pour recevoir le débarquement des touristes. Elle étalait son bleu pâle de Chambre des putés en rosissant ses vagues douces du soleil levant et en créant des creux légers aux arrondis parfaits avant de remonter le baigneur ravi comme dans une main géante.

Bien sûr nettoyer le système scolaire prendrait du temps. Tous les éléments dirigeants ou presque, contaminés, devaient être remplacés. Le balai n'était guère possible. Croûton se dit qu'il faudrait encore subir des agressions, des contre-offensives pour forcer le bon sens et rétablir l'occupation mentale gocho-Meumeu. Il fallait d'abord que l'on cesse d'attribuer à l'air du temps le comportement des adolescents dans les bordels-licés et que l'on cesse de baptiser remède la cause du mal, une fausse pédagogie de maternage développant leur prétention, leur suffisance et leur ignorance de la culture nationale, ciment d'un pays. Certes ce désastre était lié à tous les autres, l'immigration débridée, la propagande pluriculturelle, la politique corrompue, la recherche frénétique de l'argent, du plaisir... mais le mal était dans le fruit, l'air était moins pollué que le fruit.

Là-bas, il y avait un nouveau président qui jouait la décontraction, raccompagnant ses invités sur le perron de l'Elusé la veste ouverte. Depuis le XIVème jeune aucun Louis n'était allé aussi loin dans le royal refus des apparences guindées. Heureusement que son Colbert restait psycho-rigide. Louis ne donnait pas de bals ou on ne nous les retransmettait pas à la télé, on aurait aimé voir danser l'ouverture politique qui s'amplifiait car il aimait tout le monde. Son propre parti commençait de murmurer. Il avait prévenu pendant sa campagne, affirmait-il; peut-être, oui, mais ces propos-là avaient semblé secondaires et il paraît qu'ils étaient essentiels. Plus on était à droite et moins on avait compris ça. Il ne s'agirait que de la cuite de la victoire ? Attendons un peu. Après il y a la gueule de bois. Et après le vrai règne commence. Attendons jusqu'aux prochaines municipales.

Nona, notre futur maire, est allé à la mairie demander à l'actuel de le mettre au courant des affaires pour que la transition ait lieu sans heurt. La crétaire l'a foutu dehors. Merlet s'était enfermé dans son bureau. Il regarda la fin de l'algarade par la fenêtre caché derrière le rideau. Crétaire était impressionnante dans l'action ouste; forte en gueule et armée d'un redoutable cendrier à pied (objet devenu inutile avec l'interdiction de fumer dans les lieux publics mais audacieusement réemployé et réinséré dans la vie sociale).

La mer stoppa d'un coup, croûton en détourna la tête, les gens formaient partout des groupes, ils discutaient les journaux à la main. Que s'était-il passé ? Il alla jusqu'au kiosque proche, acheta le journal local. En Angleterre des bombes musulmanes avaient par hasard pu être désamorcées, l'une n'avait pas été déclenchée par la sonnerie du portable à côté, une voiture piégée en flammes avait tenté en vain de forcer l'entrée d'un aéroport. La menace était toujours partout.

Il releva les yeux. La blonde aux sourcils d'hirondelle passa, courant, sans le regarder. La mer reprit ses vaguelettes. Elle se soulevait à peine, en respiration apaisante. Son bleu s'intensifia des rêves des vacanciers, un unique voilier au loin s'endormit au soleil, le souffle presque imperceptible du vent fit son tour de plage, câlin. Vers le sable au pied du château-musée et de la mairie, on en trouve plus un grain libre; poussez jusqu'à nos cailloux, sur le dur vous trouverez l'espace.

Fin