Ma rencontre avec Karine
(Roman-catastrophe)
I
Je veux peindre la France, une mère torturée, assassinée. Ses enfants achetés, trompés
par les profiteurs, les friqués, les politiques, les idéologues du masochisme, ont
perdu la tête. Ils se glorifient de la dépouiller. Ils se croient nobles, ils s’admirent
quand ils l’ont livrée aux voleurs, aux pillards, aux tueurs. Quelles belles âmes
! Quels sots ! La bêtise prétentieuse bien flattée peut croire n’importe quoi et
on ne compte plus ces Français qui vivent dans la misère après avoir donné, encore
donné, aux étrangers qui d’implorants sont devenus exigeants, de plus en plus exigeants,
ces Français qui vivent dans la misère à côté de ceux à qui ils sont donné, encore
donné, lesquels se moquent de leur générosité en leur prenant, et cette fois souvent
de force, leur dernier argent, leurs derniers biens. Comme ils s’admirent, ces ilotes,
à côté des maîtres auxquels ils se sont livrés ! Générosité, antiracisme, mondialisation
grâce aux délocalisations de nos biens, entraide à sens unique, respect de la religion
de l’envahisseur rampant qui bientôt ne rampe plus et ne respecte rien, tolérance
mal comprise, tolérance niaise, athéisme dirigé seulement contre la chrétienté, journalisme
de propagande payé en cadeaux innocents jaillis de pétro-dollars, dressage des jeunes
par les chansons de haine de notre civilisation, dressage des jeunes par les écoles
aux mains des gauchistes de la trahison, voilà les lanières du fouet qui fait hurler
de douleur la France agonisante.
Le pays est envahi de toutes les façons, de tous les côtés, chaque jour des gens
trouvent leur intérêt dans l’acte de favoriser l’entrée de plus d’étrangers, de leur
distribuer des papiers pour s’installer, en masse, dans des lieux à eux, que la police
craint, où les politiques ordonneront quelques opérations coup-de-poing filmées à
l’approche d’élections, se gardant le reste du temps de toute velléité; pour eux
le gain n’est obtenu qu’en endormant les derniers Français par des discours rassurants,
lénifiants, menteurs. Une carrière de ministre en quelques années peut aboutir à
la perte pour le pays de communes entières, de villes entières. Le politique devient
gras sur la pourriture qu’il a créée.
Première partie.
I
Partout les flammes, partout les viols, partout les meurtres, la pays est en guerre
et on le lui cache, la guerre est là, le naïf aveuglé par la presse et les politiques
ne la voit pas, les Français ne voient plus la France, ceux qui sont sur le point
d’écarter l’illusion façonnée par la propagande collaborationniste, on leur crève
les yeux, sans hésitation, la justice s’en charge. La justice ? Elle est entre les
mains avides de la trahison appelée tolérance, antiracisme, aimons-nous les uns les
autres, oui, cela veut dire livrez votre pays. La justice se charge des résistants.
Ils n’ont pas fait preuve de ces qualités admirables qui permettent aux envahisseurs
de s’octroyer ce que les ancêtres des derniers Français ont construit, ont défendu.
Que de guerres gagnées dans le don de soi au pays pour qu’il soit enfin livré contre
du fric par ceux qui utilisant habilement les lois de la démocratie ont su s’enrichir
en le livrant.
Il n’y a plus d’espérance. Il est trop tard. Chosset a accompli l’irrémédiable, il
est l’assassin. Il rit des derniers soubresauts de son pays trahi. Dans les luxueuses
demeures des chefs de la décadence la vie est joyeuse. La danse infernale sur l’agonie
sanglante et désespérée de la plus grande des nations que la terre ait portée conduit
en pleine joie à la chute dans le néant. La fin est atroce sous les hurlements des
mjusics populardières des barbares. Ils sont innombrables, ils pullulent dans les
cités occupées, ils en sortent en hordes, en meutes, pour des campagnes de pillage,
pour prendre, prendre, et envoyer le butin là-bas, chez eux; ils y expédient ce pays
en pièces détachées; mais bientôt ils seront sur une terre déserte, hors eux; une
terre dépossédée des siens; ils seront sur une terre morte. Ils resteront là, il
n’y aura plus rien à envoyer, ils pulluleront là, les assassins mourront là, sans
rien.
La péninsule brûlait. Un feu s’était déclaré, puis un autre, et un troisième. Les
pompiers appelaient les renforts d’autres casernes, la population aidait tant bien
que mal, les sirènes hurlaient, les gens hurlaient. «Au moins protégez ces maisons»,
dit le maire qui les désignait de la main, «ce sont les seules anciennes.» On ne
comprenait pas les feux. Il fallait une malveillance, il fallait... Pourquoi ? Et
la question revenait sans arrêt dans les pleurs. Les enfants regardaient les adultes
pleurer, les vieillards sans réaction, Dieu s’était retiré de la terre fuyant devant
la douleur.
La péninsule est divisée en propriétés luxueuses, le terrain y vaut une fortune,
les demeures y sont vastes, meublées d’ancien vrai, de moderne de pointe. Elle avance
en deux cornes dans la mer, l’une basse, moins chère, l’autre, celle du phare, telle
une colline, étagée en cercles, en ovales plutôt, sur neuf niveaux, et à chacun sont
attachés des noms prestigieux de propriétaires d’autrefois dont on se sent proche
quand on accède à la fortune. Les demeures les plus chères ne son pas forcément les
plus élevées, certains préfèrent dominer directement la mer.
Il fallait faire évacuer, au moins en partie; l’incendie s’était déclaré dans l’ouest
de la partie haute, sur le versant éloigné de la corne basse, il avait vite gagné
d’arbre en arbre, il dansait en arbres de feu; le vent s’était levé, il aidait le
feu. Le vent aimait le feu, ses baisers lui livraient la colline. Pas de mort pour
l’instant. On maîtrise encore l’unique route de sortie, il faut évacuer. Qui le voulait
? L’autorité seule le voulait. Partir ? Les souvenirs ? Les souvenirs ! Les générations
futures n’auront que celui de l’incendie, les souvenirs des hommes ne sautent pas
d’âme en âme comme le feu d’arbre en arbre, ils brûlent.
Des renforts arrivaient, on fit partir en les y forçant un peu les gens dont les
maisons ne pouvaient plus être défendues, ils demandaient souvent d’attendre qu’elles
soient en torches devant leurs yeux, la capitaine des pompiers refusait, il ne parvenait
pas à empêcher certains de rester, de regarder. Pour ceux qui n’avaient en ce lieu
qu’une résidence secondaire, voire une résidence parmi d’autres, bon, mais on le
découvrait, quelques-uns avaient là tout ce qu’ils avaient, ils avaient acheté leur
rêve, leur rêve était là, ils se sentaient mourir avec lui.
Ce lundi matin de fin d’été voit le plus grand embouteillage qui ait eu lieu dans
ce coin pourtant touristique. C’est la raison pour laquelle les renforts peinent
tant à arriver et sont encore si faibles, trop faibles. Sinon la corne d'or aurait
été sauvée. Tout le long de la côte, de la route continentale, mais aussi bloquant
les rues des bourgs à flanc de colline qui offrent le panorama splendide de la beauté
de notre baie, du luxe des yatchs sur les vagues douces et du drame, des voitures,
des gens se sont agglutinés, l’avidité de regarder les a conduits massivement sur
les gradins. Il n’y a pas encore d’horreur, l’horreur est le plus beau des spectacles,
ils attendent. L’horreur est le désir, les multitudes sur les collines en attendent
l’orgasme. On s’y raconte les premiers morts, imaginaires en fait, cet enfant arraché
aux flammes par son père et un arbre de feu s’abat sur eux les tuant sur le coup,
cette mère abrutie de douleur devant les cadavres de ses jumelles se jetant dans
les flammes, si, on l’a entendu à la radio; la télévision a montré une maison incendiée
derrière les fenêtres jaunes de laquelle on devinait des hommes, des femmes qui hurlaient,
on devinait leurs agonies, on restait muet à regarder, regarder encore ces images
sur les téléphones portables, sur les téloches des voitures, un oeil tourné cependant
sur le spectacle vivant. Mais lointain. On ferait peut-être partie de ceux qui subissent
la prochaine fois. L’horreur tentait comme un vertige.
Dans la car on fait monter Jean. Plusieurs personnes s’y trouvent déjà. Elles se
taisent, même les enfants. Il faut le soutenir, son mal aujourd’hui, lancinant, ne
lui laissait pas de répit. Le car du silence à quelques mètres des ordres, des protestations,
des cris de refus, voit entrer, presque porté, celui dont on dit qu’il a l’âme de
la parole, celui qui peut s’adresser à vous derrière les barreaux de la lutte professionnelle,
de l’envie de réussir, de la peur, de l’amour, de l’intérêt, de la prétention; nous
sommes des prisonniers cernés d’illusions engendrées par la société des hommes, qui
d’autre peut encore nous parler, nous trouver ? Oui, Jean le peut. Il est des paroles
que les blindages les plus sûrs n’arrêteront jamais. Il est des paroles qui ont la
simplicité des évidences invisibles même juste devant soi et qui les rendent visibles.
Quand on écoute Jean, quand il accepte de parler, on renaît. Ou plutôt on naît, le
prisonnier sort, il sort dans le monde, il se sait et il connaît, ce qui l’entoure
cesse d’être étranger, ce qui était important devient sans importance, sa liberté
découvre qu’il n’a jamais existé de prison, la solitude disparaît car il n’y a pas
de barreaux entre une liberté et une liberté, les hommes ne sont qu’un. Mais Jean
ne prêche plus, la souffrance l’a conduit au refus, il a refermé les portes. Jean
reste derrière les portes. La foule attend en vain. Il ne libère plus. «Je suis la
douleur qui m’habite», a-t-il dit. Cacher le mal par l’abrutissement de calmants
n’empêche pas le mal, il n’en veut pas; mais le mal se nourrit de lui. Seule en délivre
la mort, qui n’est pas une valeur des hommes. Une puissance au-delà des hommes n’est
pas un passage. Une force aveugle qui est une loi n’est pas un passage. «La mort
n’est une chance que pour les saints», a dit Jean., ce qui signifie sans doute «pour
ceux qui sont libérés de tout, qui sont vraiment libres»; la force alors ne peut
plus s’exercer sur rien, il n’y a rien à prendre, la mort n’est que la dernière illusion
à s’avérer illusion, la liberté n’a rien, donc la mort n’existe pas.
Ce détail eût été carrément contesté par la première brûlée qu’emportait une ambulance
en trombe, avec une sirène tonitruante qui fit frissonner tout le public de toute
la côte. La femme avait été imprudente. En somme il s’agissait d’un accident. Voilà
le fait puisque vous ne trouverez pas les images, la télévision à ce moment filmant
des sculptures devant une façade qui changeait de couleur dans un bel effet il faut
le reconnaître. La femme n’était qu’une employée, ses biens étaient évidemment restés
chez elle qui n’était pas chez elle. Mais ses biens elle y tenait d’autant plus qu’elle
en avait peu et qu’elle devenait chômeuse en n’ayant plus rien du tout; le conseil
du désespoir fut de tenter la récupération de l’essentiel avant l’arrivée sur la
demeure des flammes proches, très proches, trop proches; les pompiers surveillaient
les flammes, pas la femme, les arrosaient, un premier canadair passait; le désespoir
ne fut pas plus rapide que les flammes. Dans l’ambulance la brûlée - pas très gravement
- qui avait laissé échapper ce qu’elle avait récupéré en s’enfuyant, pleurait répétant
qu’elle n’avait jamais eu de chance. Elle avait sans doute toujours agi comme ce
jour-là. Ne soyons pas méchants, évitons-lui ses vérités. Et puis peut-être qu’elle
n’avait pas de chance après tout. Qui sait ? Ou si Jean avait accepté de prêcher
encore, elle n’en serait pas là ? On va renoncer à savoir. Mais on ne peut pas renoncer
à savoir. Heureusement qu’il suffit de se laisser aller pour être convaincu de quelque
chose, de n’importe quoi, suivant les circonstances; si le hasard existe on aurait
aussi bien pu être convaincu d’autre chose. Alors revenons-en aux faits, qui déjà
ne sont pas toujours très sûrs, et dont l’interprétation ne l’est jamais, en admettant
qu’ils soient à interpréter (et pourquoi le seraient-ils ?), aux faits donc, qui
ne sont pas rassurants comme on l’a forcément remarqué, mais qui, étant donné le
nombre de spectateurs, de témoins sur toute la côte, sont sûrs du moins dans les
grandes lignes.
Le car était parti pour la corne basse, on regroupait les sinistrés dans le jardin
de son seul grand hôtel, qui venait de fermer car la saison était finie pour lui,
sa rentabilité n’aurait pas été suffisante le reste de l’année. Le personnel, encore
sur les lieux pour quelques jours, affairé à ranger, à nettoyer, aidait de son mieux,
il avait ressorti des chaises, des tables, apporté des boissons. A manger, non, il
n’y avait plus rien, mais on trouvait de petits restaurants sur le quai, à cent mètres.
On n’allait pas rouvrir l’hôtel pour y installer tous ces gens ! Ce n’était pas pensable.
Alors quoi ? Quelle solution ? Que proposez-vous ?
Du jardin aux pins immenses et aux palmiers si joliment décoratifs on apercevait
parfois des flammes, des brasiers brusques sur la corne haute, mais c’était surtout
la fumée qui impressionnait, noire, forte, tourbillonnante; tandis que le feu gagnait
là-bas le côté de la colline visible des réfugiés silencieux, c’était comme une avancée
de la nuit, une nuit épaisse, lourde, dévorante, avec de violents embrasements de
mort, sans autre choix que la fuite.
On n’avait pas eu l’idée que l’incendie pût sauter d’une corne à l’autre par-dessus
la crique, on était si habitué à considérer qu’il y avait pour ainsi dire deux mondes,
celui du luxe et celui plus commun ici, que l’on prenait cette division artificielle
pour une réalité. Il était pourtant loin d’être sûr que le feu ait une pensée et
observe les conventions. Certains restaient dans la partie du jardin d’où l’on pouvait
le mieux voir la fumée, ses progrès, son extension; Jean, lui, s’achemina lentement
vers le fond, au bord de la mer, à l’endroit du restaurant. Il s’assit, posa sa tête
sur la rampe au-dessus du mur regardant l’eau trois mètres plus bas, les vaguelettes
incessantes, douces et paisibles. Il contrôlait sa respiration, il respira au rythme
des vagues, il devint les vagues, les yeux mi-clos il était la mer, la réalité s’étirait
nonchalante sur des kilomètres par milliers sans jamais perdre de sa force, aucun
poisson n’appartenait à cette réalité, tous pêchés probable, hop, et à bas les baleines,
libérez mon espace, toute créature est une catastrophe naturelle. Tant que l’incendie
n’avait pas saisi la jardin, à quoi bon y penser ? Justement, pour éviter l’angoisse,
il suffisait de ne pas y penser. L’autruche n’est pas si sotte, elle est malheureuse
un peu plus tard que les autres. La réalité est intérieure. Le temps que le sous-marin
a suffisamment d’air, le temps que les parois résistent à la pression.
Un nouveau car plein arriva, ceux qui en descendaient, très agités, donnaient des
nouvelles, ils avaient l’air égarés et inquiets comme s’ils étaient poursuivis, comme
si quelqu’un ou quelque chose allait les rattraper. En les écoutant on était vite
déçu. Ils ne savaient tien si ce n’est qu’il y avait un incendie et qu’ils avaient
eu peur. Avoir été il y a quelques instants au coeur de l’action ne leur avait rien
appris que l’on ne sache même en étant employé de l’hôtel. Ils avaient pourtant vécu
une satanée expérience ! Peut-être, après tout, qu’il n’y a jamais rien d’important
à apprendre. Quand une vie sait qu’elle vit, elle sait tout. Jean regarda gesticuler
vers la porte d’entrée, puis tourna les yeux de nouveau vers la mer. Un employé sortit
une télévision, installa les fils, les gens se regroupèrent autour, on allait savoir
les nouvelles.
Pas si loin, dans les collines de l’arrière pays - et même de là on commence à voir
la fumée de l’incendie tant elle monte haut dans le ciel -, riches en villages pittoresques,
anciens ou tout comme, autochtones et touristes oublient aussi leurs occupations
pour le direct de la télévision. Pourtant on aime le spectacle vivant. Outre la
femme brûlée il y aurait une personne calcinée complètement. Le plus fameux des villages
enveloppe une colline qui à défaut d’être inspirée vend très bien de l’art tous genres
tous goûts aux puérils enrichis qui s’y aventurent en rangs serrés. Le nom du lieu
où l’on achète est plus important que la peinture que l’on achète. Du reste la fabrication
est honnête, les bonnes recettes sont appliquées, les produits employés pour confectionner
les oeuvres sont de première qualité, la répression des fraudes ne trouvera pas plus
à réprimer qu’ailleurs. Parmi le personnel des petites mains de la peinture - et
occasionnellement de la sculpture - Paul, frère de Jean, tient honorablement une
place qui paie le loyer, la bouffe et quelques à-côtés; évidemment les galeristes
qui écoulent gardent le gros du gâteau. Paul en fait est ici en résidence surveillée;
il doit y rester; il est contrôlé par les débonnaires gendarmes de proximité. Qu’a-t-il
commis ? On ne sait pas trop. Un activiste... un révolté de la révolution prolétarienne...
un agité du bocal de l’ultra-gauche... Sûr et certain, pour être un bavard, aïe,
un sacré bavard. Pas de risque qu’il garde une de ses précieuses idées : il adore
le partage. La majorité des touristes ne comprends pas le français, sa présence est
donc sans risque; en outre sa production à partir des divers styles qui ont plu historiquement,
se vend sans problème, sous une vingtaine de pseudonymes. A l’occasion il se prétend
un artiste exploité. Mais il n’insiste pas, comme quoi il a tout de même un certain
bon sens.
Avec son portable Paul essaie de téléphoner à Jean. Il est agacé de ne pas avoir
de réponse dans ces circonstances parce qu’il est inquiet pour son frère; il est
vrai Jean répond rarement au téléphone, il n’accorde plus d’attention à grand chose
depuis qu’il est malade. Oui, mais il y a un incendie, il devrait comprendre que
l’on veuille de ses nouvelles ! Ou il est mort ? mourant ? ou quoi ?
A une table de son bistrot habituel, pas la sienne, des touristes ignorants s’en
sont emparée, Paul s’énerve. Il faudrait qu’il aille là-bas. Mais la télé montre
que tout est bloqué. Bien sûr il ne doit pas quitter le village mais qu’est-ce qu’une
interdiction quand la vie de l’un de ses frères est en jeu ? Son aîné l’a en partie
élevé. Le résultat somme toute est curieux, il prouve du moins que Jean laisse chacun
devant ses choix, il n’est pas gourou, pour lui un homme doit devenir un homme, on
ne lui dit pas ce qu’il doit faire parce qu’il n’y a pas de devoir humain, on ne
lui dit pas ce qu’il ne doit pas faire car il n’y a des interdits que purement humains.
Paul a construit sa vérité en puisant à pleines mains dans le trésor néo-marxiste,
prolétariophile, écolo, sensible, planétophile, anti-fric, anti-règles, anti-polices,
anti-armées, anti-pouvoirs. Une sorte d’anarchiste qui a appartenu tour à tour à
tous les partis de gauche. Et qui estime d’ailleurs faire partie de tous de plein
droit. Pourquoi l’a-t-on cru dangereux ? On a supposé, à partir de témoignages douteux,
qu’un individu radical dans ses pensées et ses paroles devait être prêt à le devenir
en actes. Mais, a dit Jean sur un ton ironique pour défendre son frère, pourquoi
tant parler si on est un homme d’action ? Ceux qui menacent disent ainsi qu’ils ne
veulent pas agir mais simplement être pris en compte. On aurait mieux fait d’inviter
Paul à parler à la télévision.
Deux noirs installés à quelques tables de lui, sans la moindre discrétion, riaient
de lui. Ils le trouvaient drôle le bonhomme à barbichette. Leurs dents blanches peut-être
fausses cliquetaient de rires mêlés à leurs savants propos sur le ridicule des Blancs
civilisés tandis qu’eux, libérés de l’abominable colonisation, voyaient bien qu’ils
étaient eux-mêmes supérieurs. Certes ils étaient pour l’égalité des races, d’ailleurs
il n’y a pas de races, nous sommes tous fils d’Adam qui a tringlé Eve, lesquels étaient
noirs tous les deux, l’humanité doit redevenir nègre après des errements dus à des
dieux mauvais. Le type à bedon, cheveux gris longs... «barbiche barbiche barbiche»
chantonnaient les bons noirs. Ce manège n’échappait pas à Paul malgré son inquiétude
pour son frère. Il a le sang chaud, le Paul. Plus jeune mais pas impressionné par
deux gorilles qui ont passé leurs vies encore courtes à faire du sport pour se gonfler
les muscles, le thorax et la prétention. Il les apostropha brutalement : «Hé, vous,
c’est d’ma gueule qu’vous vous foutez ?» Ils s’esclaffèrent tout à fait, le farfadet
blanc osait s’en prendre à eux, ils l’écraseraient d’une main. «Qué tu veux, toi,
on t’pâle pâs !» Et de rire. Ils s’esclaffaient, se tortillant sur leurs chaises,
dans c’café d’blancs. «Enfin, pou’ l’instânt !’ dit le Mamouhd au Mustaph qui ajouta
à l’intention du p’tit blanc pas tolérant : «Toi, t’i tê ou j’te la fais ta fête,
mea.» Et de se marrer les braves garçons. Paul, furax, pas commode, le Paul, fulmina
: «Barrez-vous d’chez moi, les nègres, ou ça va mal se passer !» C’en était trop,
des voix s’élevèrent, un homme se dressa et déclara que ce monsieur venait de tenir
d’insupportables propos racistes. Il marcha sur Paul et exigea qu’il s’excuse auprès
de ces deux messieurs étrangers. Les deux noirs s’étaient évadés par le sport d’un
quartier musul d’une grande ville voisine; ils s’esclaffèrent. «Vous avez raison
de prendre les choses du bon côté», approuva une dame, «chez nous il y a trop d’gens
racistes, qui pensent qu’à insulter les autres sur leur aspect physique.» «C’est
vré, cea», se réjouit le Mustaph, «pâtout on t’ouve des gens qui z’aiment pâs les
noi’s»; il se sentait victime et était prêt à s’indigner. Deux noirs ne pouvaient
pas venir s’installer à la terrasse d’un café dans ce pays sans être agressés. Le
racisme est une gangrène terrible. Il mine les terres des gens qui s’estiment propriétaires
de leur sol comme s’ils étaient africains ou asiatiques. Les colonisateurs ne veulent
pas être colonisés, ce qui prouve combien ils sont fondamentalement mauvais. Et racistes,
bien sûr. Paul ne se rendit pas. Cet homme était méprisable, dépourvu de bon sens;
il ne comprenait pas cette évidence que les peuples doivent se mêler sur les terres
blanches, ailleurs ça va, doivent s’enrichir du précieux apport culturel tam-tam
bouge-du-cul et gueule-bien-belle-miuzic le tout à la sauce states et couiné en englishe,
non mais, ce type ne comprenait rien, il fut copieusement injurié, insulté par tous
ceux qui comprenaient le français et par ceux qui ne le comprenaient pas. Enfin tous
ces gens partirent avec les deux noirs, outrés de l’agression raciste à laquelle
ils avaient assisté. Le patron du bar, un vieil ami de Paul, riait et continua de
rire le bar vide, ce qui aurait dû l’attrister. Mais la bêtise décadente ne pouvait
engendrer que le rire ou la violence et il préférait le rire. Paul finit par rire
aussi.
Un peu plus tard dans la journée il reçut la visite de Sophie, ex-épouse de Jean,
qui vit dans un village à mi-chemin entre celui des arts et la mer. La séparation
a eu lieu par choix de Jean au début de sa maladie. Elle ne voulait pas le quitter.
Il ne voulait pas qu’elle subisse avec lui sa maladie. Elle devait vivre, profiter
de sa vie. Elle, elle ne comprenait pas. Profiter de sa vie ? Mais comment ? en quoi
? bref qu’est-ce que cela voulait dire ? Ils étaient ensemble, voilà. Que pouvait-il
y avoir d’autre ? Lui ironisait : un prisonnier a un boulet au pied, sa tendre épouse
l’aide à tirer le boulet. Pourquoi pas ? Que faire d’autre si on ne peut pas l’enlever
? Il croyait, lui, prouver son amour en l’obligeant à être libre de lui. Elle serait
plus heureuse. Elle serait heureuse. Sophie, le bonheur, elle n’avait même pas su
où le chercher, cette chasse au trésor avait sans doute des lieux, des parcours,
des règlements, elle les ignorait, elle ne savait pas où on se renseignait, qui délivrait
les précieux renseignements... Elle n’avait trouvé que du temps vide qu’elle devait
appeler libre, il restait vide, elle n’avait rien à y mettre pour le remplir.
Sa visite inquiète concernait Jean, bien sûr. Elle appuyait nerveusement sur les
touches des télécommandes de la télé et de la radio depuis des heures, s’attendant
à tout instant à apprendre sa mort; finalement elle avait sorti sa voiture et était
venue chercher la compagnie de Paul. Elle se doutait qu’il n’avait aucun renseignement.
Jean ne répondait pas au téléphone, comme d’habitude, ça ne prouvait rien. Oui, elle
avait essayé. Et réessayé. Son beau-frère était en train de finir une peinture de
la colline à la manière de Soutine qu’il signa Albert Creuse, il la contempla d’un
air sévère puis dit : «J’avais plus d’rouge hier, j’ai mis du jaune; drôle d’effet.
Je dirai à Marcel (son principal galeriste) que c’est plus moderne.» Pour sa production
sous son nom, il avait eu sa période jaune, qui consistait à peindre entièrement
ses toiles en jaune laissant parfois apercevoir le support, il expliquait qu’ainsi
on sentait la vibration de la lumière, que... bref tout un discours patiemment mis
au point. Il lui restait un stock de jaune. Sophie, qui ne cessait d’écouter la radio
lui demanda si le nom de Marc Olivstaire lui disait quelque chose, des journalistes
présentaient sa mort comme presque sûre. Non... non. Selon eux il habitait une maison
proche de celle de Jean. Elle essaya de téléphoner aux pompiers; quand elle obtint
la communication, il lui fut répondu qu’il n’y avait pas de renseignements à communiquer.
Elle avait l’impression d’avoir fait quelque chose, d’avoir agi quand même, au lieu
de subir l’attente.
Les touristes déambulaient de vitrine en vitrine dans les ruelles pavées et propres,
ils admiraient les «à la manière de» dont on ne discutait pas l’originalité puisqu’elle
était reconnue par les livres, ils s’extasiaient devant des innovations osées datant
d’un siècle, mais à toute époque, pour le plus grand nombre l’art actuel est celui
d’hier. La journée était superbe, les terrasses bondées; dans le reste du pays il
pleuvait, paraît-il; et voilà, on est ici, au soleil, comme en plein été. On fera
peut-être un achat. Hein ? Qu’est-ce que tu en dis ? Un souvenir qui sorte de l’ordinaire
? Un Albert Creuse par exemple ? Et plus tard on descendra tranquillement des collines
et on ira jusqu’à la mer.
Je suis le troisième frère, celui qui est libre, celui qui ne souffre pas. On n’est
pas sa famille; je ne me sens pas de responsabilités de ce que sont les deux autres.
Moi je ne fais pas de discours, je leur laisse cette spécialité. Je tâche de vivre
dans l’espace que leurs discours ont laissé. Le temps est lent. Mes devoirs, mon
travail, mes occupations y sont comme des planètes très distantes et je m’ingéniais
autrefois à y voir un système planétaire. La raison finit par renoncer à créer de
l’illusion; une fois que l’on s’est défini comme un tissu d’incohérences logiques
on est en paix avec sa raison; moi du moins; elle ne me gêne plus. Mes frères ne
me gênent pas davantage; je les évite, ce qui n’est pas très difficile, et quand
on m’en parle, je fais le sourd. Je fais très bien le sourd. Cela ne me demande aucun
effort.
Comme tout le monde j’ai appris le grand incendie. C’est triste pour ces gens. Mais
quoi ? Ma compassion ne changerait rien pour eux, n’est-ce pas ? Ils ne la connaîtraient
même pas, alors à quoi bon se fatiguer de compassion pour rien ? Si, si, j’ai du
coeur. Je n’aime pas pleurnicher avec les pleurnicheurs, bêler avec les bêleurs,
voilà tout. Quand je crèverai, pas besoin d’hypocrisie; même moi je n’aurai pas une
larme. Aucun regret, je vous laisse la vallée, soyez-y niais autant que vous voulez.
Et à vos souhaits. Pour moi la politique n’est que l’un des beaux arts, la religion
un héritage des siècles obscurs et la vie elle-même une aberration du cosmos, une
aberration d’une aberration. Hosanna si tu veux mais fous-moi la paix. Bon, vous
voyez le genre d’état d’esprit ? Vous reconnaissez ? Quand je suis planqué dans une
foule personne ne va me remarquer. Ceci dit, j’ai horreur de la foule mais quand
on n’est pas fraternel on en a davantage besoin, on s’y enfouit; la foule remplace
avantageusement la fraternité. Le criquet que je suis ne dédaigne pas à l’occasion
d’aller y changer de nature quelques instants ou quelques heures; j’aime les dévastations,
y participer en atome avant de redevenir moi-même. Alors j’achète les journaux et
je me lis dans des actions collectives. Il n’y a pas plus individualiste que moi.
En ce qui concerne Jean il n’a sûrement pas grillé sur sa péninsule, ce serait un
événement et j’aurais déjà la presse à mes basques; si elle n’est pas là, c’est qu’il
va bien. Qu’est-ce que je vais trouver à faire aujourd’hui ? Echapper aux raseurs
de l’actualité. Echapper à ma façon à l’incendie. Il s’est propagé par les mots de
tête en tête, il finira par gagner la planète. Et je ne vais pas jouer les pompiers.
Encore moins bénévole. Flambée planétaire de neurones ! Quand la connerie déferle,
je ferme les yeux.
Le téléphone sonne, le numéro de l’appelant est celui de Sophie; vraiment pas le
moment de décrocher. Qu’elle contacte Paul, en échange il lui casera ses discours.
Sans savoir où j’allais je suis bel et bien allé chez Alessandra. «Centre de secrétariat»
: cette enseigne clignote rouge au-dessus de sa porte qui ouvre sur un escalier.
Il est au premier, au rez-de-chaussée se trouve un salon de coiffure pour femmes;
il a aussi son escalier pour accéder au premier étage, en toute discrétion. Tous
les temps des temps ont été durs, le nôtre n’y fait pas exception et je préfère être
de ceux qui en profitent. Je ne me sens pas coupable de ce que sont les temps. Je
laisse la culpabilité à Jean. Il peut bien souffrir pour deux ou même trois. Ou plus
s’il veut. Je ne me sens pas non plus désireux de changer le monde pas bon pas beau.
Je laisse la révolution à Paul. Remarquez que, avec des révolutionnaires pareils,
les profiteurs ont encore d’agréables moments devant eux dans les salons d’Alessandra.
Je la connais depuis plusieurs années, depuis ses débuts professionnels à la sortie
de l’université. Vite sortie d’ailleurs. Toujours aussi tentante mais maintenant
elle organise les rencontres. Vous mettez deux détresses en contact, cela produit
de l’argent. Il coule il coule; il ne fait que passer, il ne dérange pas. Mes espérances
dépendent de lui, une fille chère console mieux. L’espérance consolée se renouvelle.
On a parlé du temps, du beau temps, elle a eu le tact de ne pas lâcher un mot sur
l’incendie. On regardait aussi qui était au salon, les deux filles ne me disaient
rien, même en les coiffant mieux on ne me les rendrait pas désirables; une troisième
était «occupée» à côté, je l’ai vue sortir, elle m’aurait convenu mais pas juste
après je ne sais qui. Alessandra a sorti quelques photos, j’ai pointé sur une très
mignonne, elle a téléphoné, quinze minutes après la très mignonne venait se faire
coiffer. Il y a un supplément pour les travaux de secrétariat par du personnel normalement
à l’arrêt, les jours de congé doivent être respectés. Elle était venue avec son enfant
que les dames du bas gardèrent pour la dame du haut. Les non-professionnelles qui
font profession à mi-temps de leur corps me conviennent particulièrement; le faux
a l’air vrai, il l’est même en partie, on flotte à des limites indistinctes qui changent
presque le salaire en cadeau. Presque. N’exagérons pas. Je ne ferais pas des cadeaux
d’un prix si élevé.
La morale j’ai un frère pour s’en occuper, je ne peux pas suffire à tout. Les relations
humaines sont indispensables mais pas forcément faciles, elles nécessitent en ce
qui me concerne des investissements. Pourtant j’ai Karine. Mais Karine est mon problème.
Je veux dire que Karine n’est pas une solution et n’a pas de solution. Si je pouvais
rayer Karine de mon existence, je pourrais peut-être - peut-être - me passer d’Alessandra.
Une fois j’ai essayé d’en parler avec Sophie, la femme de Jean, enfin ex-femme, mais
elle ne connaît pas Karine, elle n’a pas compris. Sa bonne volonté et sa gentillesse
étaient des murs d’incompréhension. Peu importe. J’ai assez de planètes à visiter
pour résister quelques jours encore, j’espère, au besoin de Karine.
Rentré chez moi j’ai machinalement mis la télé-compagnie, la fille n’avait pas suffi
à écarter Karine. La télé faisait une nouvelle crise de pensée, cela se produisait
parfois comme naît une bulle au fond d’un lac en zone volcanique et monte irrésistiblement
et éclate en surface. Au début toujours on invite quelques professionnels du cogito;
étonnés de la caricature d’eux-mêmes que leur renvoie ce medium ils préfèrent vite
contrôler leur attirance pour la lumière vive; alors on a recours aux chanteurs,
aux acteurs et aux sportifs. Il y a une parapensée comme une parapharmacie, une paramédecine,
une paraphysique... Les gens d’à-côté en somme, les voisins, adorent investir, envahir,
dominer des lieux publics certes en principe mais tenus par des individus spécialisés
dans l’ironie et l’interdiction d’entrer. Un voisin de la Sorbonne s’installait en
chaire et professait sur un sujet qu’il ne connaissait pas plus que son auditoire
mais pour certains on apprend en enseignant, le toupet suffit donc. Lindrone sur
ce point ne craignait nul. Acteur de son état, dans la catégorie comédie réaliste,
il était le recours idéal dans les pannes de personnel philosophique pour des émissions
abyssales. Quoi pensait le Lindrone ? Il pensait la pensée dans sa totalité. Aperçu
philosophique de la cogito lindronesque : ah la planète bleue plus assez verte; ah
étrangers sans papiers, donner papiers alors plus étrangers, et voilà; ah racistes
les qui veulent renvoyer chez eux ceux à qui on a procuré papiers, des françouais
comme eux donc, sales racistes qui pas donner; des puants les racistes, des de drouète,
ah puante la drouète, j’crache sur drouète, faschos, salauds, ils puent, racistes
qui veulent pas France multiçaci, bref musulmane quoué, j’crache catho, j’crache
christiens, moi athée, vive les musuls, papiers pour tous, et qu’ils fassent v’nir
la f’mille, quoué, puants qui s’y oppose... etc. Des kilomètres de pensée entièrement
gratuite sur ce modèle un peu répétitif.
Lindrone habitait la plupart du temps un luxueux palais au Maroc, il ne l’avait pas
payé cher, la restauration n’avait pas été coûteuse non plus, la main-d’oeuvre travaille
beaucoup pour peu d’argent là-bas. Comme il est logique, il ne voit pas pourquoi,
puisqu’il vit au Maghreb, pourquoi les Maghrébins ne viendraient pas s’installer
massivement en France. Non mais, pourquoi pas ? Hein ? Pourquouoi pea ? Puants ceux
qui s’y opposent. Assurément Lindrone était un nez, on n’en aurait néanmoins pas
voulu pour faire carrière dans les parfums.
J’ai voulu changer de chaîne; en vain; quand la télé pense elle pense aussi en chansons,
elle pense en feuilletons, elle pense en pubs, elle pense en commentaires sportifs...
Uns fois un vrai de vrai a même osé le silence, trente-six secondes où la télé a
fermé sa gueule sans qu’on l’éteigne; et on paie pour quoi au juste ? Dans le noble
but de paraître originaux, certains font vraiment n’importe quoi. S’ils ont les copains
ils restent en place. Les n’importe quoi il y en a plein les écrans. C’est à cause
de la baise. Le people est au-dessus de la morale ordinaire. C’est comme le salon
d’Alessandra mais en gagnant plus.
II
Je tombai sur les clips-vidéos des penseuses : Madonna, Shakira, Lady Gaga... toutes
pensaient du haut en bas de leurs beaux corps dansants. Le monde pensait Eros. Les
sexe-machines devenaient l’âme du monde. Les paroles incandescentes flambaient à
l’écran de la flamme de leurs jolies langues. L’âme racolait sur les ondes. Les temples
avaient vacillé, leurs colonnes s’étaient effondrées; il restait la danse sur les
restes d’une civilisation agonisante, la danse-sexe était devenue sacrée made in
télé.
La femme est le premier sortilège qui nie la liberté par l’attirance qu’elle exerce.
Elle s’allie à l’espérance, aux pouvoirs, à l’argent pour écarteler la volonté. On
ne peut plus vouloir que ce qui crée la souffrance : la jouissance en effet fuit
devant Tantale. Les beaux corps dansants ne sont que des mirages. Les cordes, les
chaînes de quelques mètres font se glorifier d’être libre de quelques mètres.
Gloire des pantins qui vont mourir, gloire en poncifs, la femme et l’eau déferlante,
la dame et les chiens, la femme entourée de mâles étrangers, la dame qui évite les
zones d’ombre inquiétantes, la femme sur la plage à palmiers vide... L’hymne entêtant
se ressasse, la litanie de la jeunesse triomphante qui s’hypnotise sur son présent,
les corps de la mort hurlent sur les écrans en folie.
Je sens que je ne pourrai plus rester seul, je vais aller voir Karine. Je ne tiendrai
pas plus longtemps. J’y suis obligé. C’est terrible de sentir les farces et attrapes
de ce monde. Tout est risible. Alors tout est insupportable. L’alignement solennel
des vieillards d’une maison de retraite dans les grands fauteuils de la salle commune;
ils n’ont plus rien à se dire au bout de quelques jours, ils n’ont jamais rien eu
à dire, ils s’en aperçoivent quand ils n’ont plus les forces pour agir; la directrice
si aimable vient leur annoncer des jeux; heureux vieillards. «Jusqu’à ce que la mort
nous sépare.» Mais la mort est le seul lien. La mort est la chaîne, aucun ne peut
se séparer d’aucun; jamais.
Ressortir.
Le groupe de résidences dont la mienne fait partie est hyperprotégé; asile de paix
dans la fureur des vols, des viols et des meurtres il s’entoure de murs et a sa garde
armée. On y entre avec badge, après passage de deux barrières, on ne se sent libre
du monde qu’une fois entré, l’espace de la liberté est un peu réduit, forcément,
mais on est au calme, on profite de la nature : les jardins et le parc sont relativement
grands, pour les jeunes enfants c’est merveilleux, les parents n’ont pas de soucis
de surveillance, pour les personnes âgées les pièges des rues disparaissent. On en
a pour son argent.
Avec Alessandra aussi . En somme j’exploite les différentes possibilités offertes
par ce monde aux gens qui voient, je me laisse acheter pour me taire. Mais Jean parlait
bien assez pour deux. Ce frère n’a pas tort; Paul non plus; je suis plus habile,
je ne prêche pas dans le désert, à quoi bon ? Je reçois le pain, le salaire de mon
inaction. Malheur à celui par qui le scandale arrive mais le système dansant paie
sans compter la collaboration, la lâcheté, l’omerta. Pour vivre heureux il suffit
de se laisser acheter.
- Qu’est-ce que tu fais là ?
- Tu nous demandes de l'argent, à nous !
Les deux jeunes sont indignés par le comportement du clochard des riches. Il est
pistonné pour être toléré sur cette péninsule préservée des HLM ? On a empêché le
bétonnage des côtes par la construction des villas de rêve. Ni Barthélemy ni Laurent
ne sont d'ici, n'habitent ici. Ils ont visité le zoo un peu plus bas sur la colline
du phare, puis ils ont voulu faire un tour en fumant, ils sont arrivés par hasard
devant Job assis en paix au pied d'un muret près du portail à vidéo mais ouvert d'une
propriété d'exception. Job n'entre pas; il n'entrerait pas. Il est connu des gardiens.
Il répond à leurs questions gentiment; il les renseigne éventuellement; il lui font
confiance.
Barthélemy et Laurent sont deux jeunes pleins d'avenir; l'avenir est en eux, bouillonnant,
avec des promesses bien sûr mais sont-elles sincères ? Ils finissent leurs études
au lycée cette année scolaire qui vient de commencer. BAC avec mention, aucun doute
sur ce point. Puis ingénieur ou chirurgien. Leur présent est Job au pied du muret.
Ce présent a une mauvaise influence sur eux.
Ils veulent savoir. Leur ton est mauvais. Et finalement ils secouent un peu le clochard
parce qu'il ne répond pas, ou pas clairement, ou ... Qui tu es, hein ? Qui tu es
vraiment ? Mais le sait-il ? Si les gardes de la villa arrivaient, ils le défendraient;
où sont-ils passés ? Tu as bien dû travailler un jour ? Qu'est-ce que tu avais comme
métier ? On t'a mis à la porte ? Le ton est monté. Il se plaint. Laurent lui flanque
un coup de pied.
Le jour de fête avec sa sortie était arrivé, ils avaient emporté des sandwiches et
quelques bières; chacun n'en avait encore bu que deux. La musique dans les oreilles,
la musique qui n'était pas la leur, braillait sans cesse une langue étrangère sur
des rythmes hallucinogènes; Barthélemy arrache brusquement les écouteurs, on entendait
juste un petit couinement qui continuait de s'en échapper; il réfléchissait. Ou quelque
chose de ce genre; disons que des opérations mentales exigeaient le rendement maximum
de ses neurones et que la volonté de la bière n'y était pas pour rien. Ce n'était
d'ailleurs qu'une volonté de penser; si un agent extérieur ne nous y pousse pas,
nous avons tendance à nous laisser vivre, nous évitons seulement de regarder les
précipices au bord du chemin du bonheur.
Job n'était pas une chance pour eux. Surtout après avoir visité le zoo. Ils lui proposèrent
une bière mais il avait son litre, il ne buvait que du vin. Les gens de cette colline
se sentaient si protégés que les gardes oubliaient de garder. Laisser une porte ouverte
signifie "entrez". Prenez garde au chien, prenez garde à Job. Plus de place au zoo,
hein, c'est ça ? Alors on laisse les bêtes errer dans les rues, faute de moyens.
Faute de moyens, dans cette péninsule ! Ils rirent. Et mieux vaut en rire, non ?
Mais le rire ne dure pas. Et l'abus d'alcool donne des maux de tête. On vous réduit
à l'état de Job. Une larve. T'es une larve, toi, hein ? Allez, reconnais-le, t'es
une larve ! Le vieux niait. Il refusait l'évidence. Ceux qui refusent de reconnaître
une évidence irritent. La colère monte vite quand on a affaire à des gens comme ça.
Ils vous prennent pour un con à nier, ils veulent que vous pensiez que vous, oui
vous, vous ne comprenez rien. Le salaud cherche à vous faire croire que vous êtes
un salaud. Le demeuré est assez malin quand même pour faire croire que vous êtes
demeuré. Mais rétablissons l'ordre de la réalité.
Bribe par bribe ils arrachent de Job son passé. Chassé de son travail pasque l'patron
i préf'rait engager des immigrés sans papiers au noir; cé pâ chêr. Interdit certes,
certes; mais les employeurs responsables doivent faire de l'argent, compr'nez ? Sinon
à quoi bon être employeur ? Entre eux ils forment une vaste chaîne de solidarité.
Avec ses parties visibles : son député, son conseiller régional, la justice des prud'hommes...
Job perdit salaire, alors il perdit appart. Et la femme qui garda l'appart mais se
mit avec un bougnoul sans papiers mais avec salaire. Les femmes n'ont pas forcément
le goût d'être clochardes. Les deux jeunes gars s'indignèrent : "Mais tu pouvais
pas leur flanquer un coup de couteau à cet employeur et c'bougnoul ?" Job se savait
physiquement moins fort. "Alors un coup de fusil, quoi !" Mais Job ne voulait pas
aller en prison, il préférait encore vivre dans la rue. Les deux lycéens sont dégoûtés.
"T'es bien une larve", dit Laurent. Il ouvre une bière et la boit silencieusement;
il réfléchit. Barthélemy entre dans la propriété, par défi; il va jusque dans le
garage. Personne. Et ouvert. Ces gens ont de la chance que Laurent et lui ne soient
pas des voleurs. Il y a une moto, des jerricanes avec de l'essence dedans probable,
quatre, des bonbonnes de gaz, un petit stock, et ce qu'il faut pour le barbecue en
travertin que l'on aperçoit vers la terrasse, et des pneus, et des planches, et des
rouleaux de laine de verre... Barthélemy revient vers Laurent qui réfléchit toujours.
Job est accepté ici parce que des gardiens l'ont connu quand il travaillait encore.
Ils étaient à la fois voisins et en relation d'affaires, oui, la formule plaît à
Job, il la répète presqu'en chantonnant : "En relation d'affaires". Il est sale,
veule, un peu saoul, stupide, sans réaction contre ceux qui lui prennent tout. Laurent
s'est levé et brusquement il se met à le frapper à coups de pied. Dans la figure,
dans la tête, dans le ventre. Dans le dos. Parce que les mains seraient trop nobles
pour un Blanc, un Français, tombé aussi bas. Il déshonore son pays et sa race en
les laissant voler par les étrangers. Barthélemy lit le nom du propriétaire de la
maison sur un paquet dans la boîte aux lettres laissée ouverte du côté intérieur
: Ahmed Abdar. Il laisse tomber le paquet. Semble méditer. Puis se rend dans le garage,
en ressort avec un jerricane. Revenu il pousse Laurent sans un mot; il arrose Job
d'essence; il y met le feu.
C'est ainsi que tout commença.
Les deux jeunes reculèrent de quelques pas; ils regardaient Job brûler, son agonie.
Quand ce fut fini, Barthélemy se dirigea vers le garage, Laurent le suivit. Ils sortirent
deux jerricanes, le contenu des autres arrosa le garage et des arbres; ils tracèrent
une traînée d'essence jusqu'au portail en emportant chacun un jerricane; ils allumèrent.
Le feu s'empara des feuilles sèches, des buissons, du garage en un instant. Ils regardaient.
Prudents, ce n'était pas des Job, ils s'éloignèrent avant que des curieux et des
pompiers n'arrivent, pour allumer deux autres feux plus loin.
Jean s'entendit appeler, il tourna la tête, il vit une infirmière qui lui demanda
comment il se sentait. Elle le demandait à chacun, on l'avait dépêchée là en urgence
et elle ne savait trop s'il y avait vraiment du travail ou s'il s'agissait de figuration
pour la presse. "Monsieur ? Vous allez bien ? Vous ne voulez pas me répondre ?"
La femme avait une quarantaine d'années, brune à mèches blondes, des cernes, des
plis autour de la bouche, d'elle émanait la résignation et la tristesse d'être résignée.
Avait-elle pourtant jamais été quelqu'un d'autre dans sa tête ? que quelqu'un qui
avait renoncé à être ? La plupart des résignés sont sans désirs profonds, sans autres
projets que stéréotypés, sans ambitions réelles; ils se réalisent pleinement dans
la résignation. Leur domaine s'étend de la soumission sous l'argent à la soumission
sous les paroles habiles, sous les règlements, sous les ordres. Les résignés n'ont
pas besoin de dressage pour venir se soumettre au fouet, il donne à leur vie le sens
qu'ils n'auraient pu y trouver. Jean fit un effort pour convertir cette présence
en moins pénible, une femme qui ne lui rappelle pas sa maladie, sa souffrance, qui
ne semble pas rassurer, c'est-à-dire écarter momentanément le mal par la résignation.
Il n'acceptera pas. Il n'acceptera jamais le réel comme réalité, l'illusion imposée
comme réalité. Accepter le monde c'est se soumettre au monde. Se résigner sous les
fouets. C'est renoncer à exister. Le but de l'illusion. Jean, si malade, se sent
vidé de ses forces devant la tentation de s'abandonner à l'aide de l'infirmière.
"Je suis là pour vous aider", dit-elle. Sa sincérité est totale. Elle s'efforce d'être
persuasive car elle est sûre de son utilité. Alors dans sa faiblesse contre cette
utilité, il a recours à la plus basse des substitutions, il a recours à l'image de
l'infirmière pornographe. La pauvre fait pourtant mal l'affaire. Mais elle commence
à se déformer sous l'attaque. Son air résigné est résigné à autre chose, il est un
appel, la pute a besoin d'un maître, elle vient le demander. Son statut vient de
glisser d'elle comme glisse une robe; le système, si grossier soit-il, permet à Jean
de respirer, d'échapper. Echapper aux infirmières du mal c'est échapper à la maladie
même si elle vous torture; l'érotisme est la première porte à ouvrir pour qui veut
fuir. Brusquement Jean entendit : "Laissez, je m'en occuperai"; il leva les yeux
et à côté de l'infirmière vit Sandra. Même costume d'ailleurs; même état officiel.
Il se mordit les lèvres, c'était sa faute; en somme il l'avait appelée. "Comme vous
voulez. A moi il ne répond pas." L'infirmière réintègre sa résignation habituelle
et s'en va. Sandra est une gardienne. Elle est une incarnation sans aucune morale
qui préserve de l'extérieur. Avec elle il y a une aide-soignante et le conducteur
de l'ambulance. Jean pourrit de sa maladie à l'abri du pouvoir des guérisseurs qui
changent les malades en leurs malades, par compensation de leurs propres humiliations
subies pour arriver à ces postes si utiles. Mais l'utilité n'est pas une excuse.
Elle n'est qu'un moyen dont la fin est une illusion morale. Particulièrement pratique
pour un athée, ou un pervers, ou un naïf. Pas fausse pour autant, bien sûr.
Paul, lui, est une santé. Cet atout lui a permis de se réaliser en tant que grande
gueule. Beaucoup de bruit pour rien, des mots des mots des mots. Mais dans un pays
en plein effondrement les phrases qui n'enjolivent pas sont repoussées, refusées
avec indignation. Le monstre avait insisté, on l'avait sanctionné. Le premier président
(gauchiste) de la décadence se fâchait rouge quand on osait le mot décadence; on
n'impressionnait pas Paul; il n'était pas davantage sensible aux campagnes médiatiques
sur le thème "La France progresse" avec grande émission sur la recherche scientifique,
téléfilms de propagande afin de convertir l'immigration-remplacement de population,
en sorte que les friqués fassent plus de fric et que les naïfs se glorifient de leur
générosité suicidaire, la convertir en bienfait, bons p'tits étrangers, tu donnes
? oui, tu donnes ? non, alors on prend. Paul dénonçait le recours comme gardiens,
vigiles, policiers divers, contre ces populations d'invasion à des membres de ces
populations. Les vols avaient explosé et maintenant tous les magasins avaient du
personnel de surveillance baraqué; si on prenait des Blancs, l'accusation des arabes
arrêtés tombait illico : racisme, naturellement - ils avaient demandé, on ne leur
avait pas donné, ils avaient bien été obligés de prendre, pas' que chez eux, ô Maghreb
on était pôvre, l'Iurop y était considérée comme une sorte de supermarché où on allait
se servir après avoir exigé des papiers; et la jiustice saisie par l'indignation
des prétendues associations des droits de l'homme et qui étaient plutôt, selon Paul,
des associations des droits maghrébins contre les Français, des sortes de taupes,
grâce aux lois d'autoprotection de Chosset, ex-petzident qui craignait d'être pendu
pour avoir livré son pays à l'étranger, la jiustice magouille de l'occupation rampante,
soutenue par le puant Lindrone et ses acolytes des médias bien payés en cadeaux par
les pays à pétro-dollars, condamnant pour se dédouaner elle-même et ne pas risquer
des accusations. Donc, habileté, habileté, les magasins puisaient en terre maghrébine
leur protection anti-maghrébine, en pays noir leur protection anti-noirs. Paul prophétisait
que l'on payait et entraînait une armée d'invasion. Pendant que les Blancs travaillaient,
cherchaient, produisaient, les immigrés gardaient contre eux-mêmes, se renforçaient,
devenaient de plus en plus nombreux, de plus en plus forts. Il y aurait l'étape suivante,
l'union des gardiens pour prendre ce qu'ils gardaient, ils faisaient du sport pour
leur travail et pendant leurs heures libres pour être les plus forts, les autochtones
n'avaient guère le temps. Quand la guerre éclaterait, la culture française, si précieusement
enrichie par l'immigration selon les médias et politiques achetés, ne subsisterait
pas longtemps, elle finirait d'être éradiquée, elle avait déjà disparu de nombre
de lycées sous les refus des musuls déclarant qu'ils n'en voulaient pas, faisant
la foire en restant impunis, crachat à chaque cours sur le pays qui les accueillait
naïvement, ils voulaient Mahomet à la place, eux; avec leur petit sourire habituel,
ils étaient l'armée des assassins.
Mes frères ont leurs opinions : Bon... Je ne travaille pas dans ces domaine de l'opinion,
je travaille dans la publicité. Je pourrais dire malicieusement que je suis le plus
convaincant des trois. Une belle fille à poil dans des poses pas ordinaires - mais
parfois ordinaires, pour surprendre - sera toujours plus persuasive que des raisonnements;
on comprend ce qu'elle veut, ce qu'elle coûte en somme, et ce que l'on aura; du moins
on y rêve. La morale peut alors entrer en action à son tour, faire son p'tit business
comme disent les Amerloques, la fille nue remplit les poches de la morale bien habillée.
Après tout, par définition, la fille nue n'a pas de poches.
Globalement, moi, je n'ai pas eu à me plaindre de la vie, enfin un minimum, assez
peu. Du moment qu'on ignore que j'ai des frères ou plutôt de qui je suis le frérot,
ça va; sinon je dois persuader qu'on ne juge pas quelqu'un d'après ses frères...
une évidence qui passe mal. J'ai intérêt à avoir le soutien de quelque belle fille
pas farouche en robe qui découvre et donne envie de voir davantage. Paul est un risque
naturel plus grand pour moi que Jean. Il indispose tout le monde. Je sais que ça
l'amuse. Si on s'indigne de ses propos, il en rajoute. En ce qui concerne Jean, il
me fait du tort dans la mesure où l'on doute de mon amoralisme nécessaire dans ma
profession. On peut pourtant me faire confiance.
Si le monde ne va pas bien, qu'il se soigne, je ne suis pas médecin; ni économiste
ni politique. Je profite certes de lui, je suis un élément de son cancer mais comme
quantité d'autres; il serait injuste de me donner un statut privilégié de coupable.
L'Histoire est en marche, qu'est-ce que j'y peux ? Quedal, mon bon. Au lieu de pleurer
sur l'ambulance et le corbillard, pensons à les fournir et à nous faire payer.
Les citoyens du monde me paraissent tous drogués ou à la recherche de drogue, ils
sont à gémir sans arrêt sur leur triste sort de prisonniers de la terre et à quémander
un soulagement de leur misère. Ils dégoûtent, ces camés, ces bourrés; la planète
à came, voilà sûrement la réputation de la nôtre dans les galaxies. Aider son prochain
consiste à lui dénuder de belles filles; elles, elles ne demandent que ça, que quelqu'un
les découvre, leur procure l'alibi pour s'exposer, s'offrir. On leur rend service
en les prostituant tous les uns aux autres. Le fric sert à cet unique but, elles
sont aussi son moyen pour changer de poches, pour les gens à poches, aller d'une
poche à une autre poche par le moyen de ceux et celles qui n'en ont pas. Job permet
Salomon. Il le crée même. Les Jobs produisent des Salomons en série. Deux catégories
d'humains aussi vicieuses l'une que l'autre. A moi on ne me reprochera pas d'être
idéaliste.
Tout le monde veut fuir l'horreur, mais les horreurs sont partout, alors tout le
monde veut fuir, ce qui crée des profits. D'une part en aidant à fuir - quoique la
fuite soit impossible -, d'autre part en consolant de l'échec de la fuite, enfin
en remettant sur pied les prisonniers pour qu'ils puissent tenter une nouvelle évasion.
En tant que publicitaire je suis sur tous les fronts.
Médée est la mère la plus aimante parce qu'au lieu de les laisser à la merci des
autres elle tue ses enfants. Les lâches s'indignent de cet amour. Ils disent que
la monstruosité consiste à ne pas être lâche. Ils ont le nombre pour eux. Elle a
sauvés ses enfants d'eux. On comprend qu'ils ne le lui pardonnent pas. Ils ont le
nombre et ils ont le temps qui joue en leur faveur. Au procès éternel de Médée elle
n'a que des avocats commis d'office. Ils servent leur intérêt de carrière. La coupable
est la victime de ses avocats et puis de la déformation professionnelle des juges
au service du droit du peuple, du droit de tous, au service des lâches, au service
des insignifiants, au service donc des vrais monstres, au service des vrais coupables
de l'horreur de la vie.
Ne pas avoir d'enfant volontairement, c'est tuer ses enfants. C'est être Médée. Médée
incognito. On nous apprend que la natalité chez nous a baissé au fur et à mesure
que le niveau scolaire général augmentait. Plus le niveau est élevé plus les gens
réfléchissent et moins ils font d'enfants. Médée triomphe. Ceux qui réfléchissent
tuent leurs enfants. Les enfants échappent ainsi à la monstruosité du monde, ils
échappent à la vie, à l'humiliation constante d'être derrière des barreaux de chair,
d'ordre, de fric, de croyances... La liberté a besoin de se nourrir de celle des
autres. Le baiser de la liberté est une dévoration. La liberté limitée au respect
de celles des autres n'est qu'un barreau de plus, on dirait qu'on se moque de nous
avec cette liberté surveillée. Le meurtre de ses enfants est la seule solution de
l'amour. La liberté n'est qu'un piège à renards. On s'y retrouve coincé, sans autre
espoir que de se délivrer de cette liberté.
"Médée ! Médée !" crieraient des marins en détresse, des pilotes d'avion en détresse
- mauvaise blague, soit. Mais quand tombe sur elles la nuit, les villes la chassent
à force de néons, de spectacles, de jeux, de danses. La nuit sue la peur. Chacun
fuit la vie dans les plaisirs. Les tortures de l'ombre sont repoussées, elle est
aux coins des rues, ses pièges à renards sont posés partout. Tout plaisir est une
prostitution. Le fait d'être celui qui paie n'y change rien; au contraire. Payer
pour se prostituer au plaisir afin de chasser l'ombre, se prostituer à l'ombre, en
la payant pour qu'elle accepte, s'abaisser, s'humilier, se livrer, la lâcheté est
là, quotidienne, normale, elle sue la peur inévitable, elle blâme ceux qui refusent,
ceux qui veulent s'évader, qui refusent les barreaux. Les corps de suicidés de la
nuit sont exposés pendus à des cordes sur les places publiques au petit matin. Ils
sont la honte de leurs familles, ils ont abandonné les leurs, qui peut leur pardonner
? On dit qu'ils ont été mis dans une autre prison, pire. Seule la mère peut vraiment
tuer ses enfants; sans elle ils ne peuvent pas vraiment mourir avant que la mort
ne le décide pour eux.
La surface de notre terre était encore calme en apparence malgré l'incendie qui détruisait
la péninsule et noircissait le ciel mais des forces à peine visibles ordinairement,
qui affleurent parfois, sans plus, des forces que l'on contient par des règlements,
des lois, des obligations en nombre considérable, incroyable, commençaient à la faire
frémir de légères secousses, elles tentaient d'en émerger, l'infra-monde veut régner,
il n'a pas de scrupules, pas de freins, l'avidité aveugle, le désir assoiffé, l'insensible
volonté de pouvoir, la jouissance de torturer sourde aux supplications, la joie sordide
de sentir la peur enfin ressortent de l'ombre après avoir été maîtrisés si longtemps,
maîtrisés en partie et à grand peine, leur heure est venue, plus forcenés de l'attente.
Les signes sont là, on ne veut pas les voir. L'incendie n'est qu'un incendie. La
presse, selon son habitude, traite ce sujet comme s'il était coupé du reste de la
vie, coupé de tout; l'événement est isolé par le mots mais la réalité n'a pas de
barrières naturelles, il faut les construire, les lui imposer, et elles finissent
par craquer sous la pression. N'importe, l'événement fait la une pour la raison qu'il
est spectaculaire. Quelles belles couleurs ! Aucun artiste n'a créé une telle beauté.
Voir est un tel bonheur. Mais le bonheur ne justifie pas, l'exploitation d'une mine
de diamants avec ses blessés et ses morts n'est pas justifiée parce que chérie est
si belle de leur éclat sur la blancheur de ses seins. Les seins de marbre portent
l'éclat des larmes.
Où aller quand la foule captive d'images s'agglomère tout le long de la côte ? Rester
chez soi ? Il suffit de s'y sentir obligé pour que cela devienne insupportable. Là-bas
la foule ne comprend pas ce qu'elle voit. Elle croit qu'un incendie est un événement.
Elle regarde son avenir proche, elle ne comprend pas. L'incendie va s'emparer d'elle,
la foule sera brûlée vive. Les souffrances infligées par ces forces que l'incendie
de la péninsule libère seront atroces, il n'y aura pas d'oubli possible, les drogues
ne seront plus que des tortures. Mais Médée peut tuer ses enfants pour qu'ils échappent
à l'horreur. Seule la mère en a la possibilité. Il faut l'amour. Il faut que l'amour
soit assez fort pour qu'elle accepte de renoncer à leurs vies. Les enfants de la
terre sont les suppliciés de la terre, il n'y a pas de pardon au fait de vivre, la
terre n'aime pas ses enfants.
Où fuir l'ennui des plaintes, des pleurs, les souffrances qui demandent naïvement
pourquoi, le spectacle dégradant des vainqueurs jouissant des viols et des humiliations
qu'ils infligent sans comprendre qu'ils ne sont que des outils ? Le temps des assassins
est revenu, il revient toujours. Des hommes vont encore croire dominer des hommes.
La lutte est impossible tant que les forces déchaînées ne sont pas repues. Elles
agissent qu'on laisse ou qu'on ne laisse pas faire. Il est trop tard pour les arrêter.
Elles ne s'arrêtent que lorsque la terre est jonchée des cadavres de suppliciés.
III
"Et puis nous recevrons le Marcou qui dans son livre balance sur son ancienne chaîne,
peut-être parce qu'il y a perdu son emploi. Il y aurait un rapport qua ça ne m'étonnerait
pas." Rires de l'animateur et de ses chroniqueurs autour de la table. Je ne vais
pas en regarder long. Je vais regarder quand même. Le Marcou, on le connaît un peu.
Regarder la télé dix minutes évite de lire un livre quasiment vide, il y a des cas
où la publicité du livre remplace avantageusement sa lecture. Pourtant des gens achètent
après... Esbroufe, esbroufe, esbroufe. Même pas le mini scandale qui aurait laissé
espérer plus... Le tout émaillé de grosses blagues avec pour trois sur quatre des
sous-entendus sexuels. On éduque la jeunesse qui assiste à cette émission familiale
: les types qui n'affichant pas de maîtresses sont sûrement des pédés, les femmes
publiques sont plus publiques qu'on ne croit, les hommes pas baraqués sont efféminés,
les filles à l'air tranquille doivent bien sucer, les gros baraqués on connaît leurs
moeurs dans les vestiaires, les femelles à la mode sont des gourmandes, on a leurs
vidéos sur le net, autant des chanteuses et actrices américaines, le sommet pour
la blague est qu'elles avalent, ah elles aiment ça, la vie sans chiennes et sans
pédés serait une vie sans blagues, du chômage en perspective pour les animateurs.
Karine adore ces blagues. Pourquoi ? Je ne le comprends pas. Surtout qu'elle en est
parfois, et même assez souvent victime. Mais sur les autres, ah, elle se tord de
rire. C'est idiot. Karine adore ce qui est idiot. En tant que chanteuse, et chanteuse
vraiment connue, elle devrait, à mon sens, être révoltée de façon générale contre
de tels sous-entendus constants, répétés. Même sur elle-même, je la soupçonne de
n'avoir qu'une indignation de surface. Ce qui la ravit dans les soirées animées en
petit comité c'est de lâcher de grosses blagues de ce genre elle aussi. Elle en rit
aux éclats. Les autres également. Ses amis sont de son genre, vous voyez ? Sauf moi,
son mouton noir (elle dit "mon étalon blanc"). En ce qui concerne les professionnels,
les idées, les goûts... Karine est entourée pour les femmes de sous-Karine et pour
les mâles de dépravés sexuels avec ou sans talent - artistique.
Elle vit avec Eric. Enfin plus ou moins. Elle n'est pas à lui. Elle dit qu'elle est
à moi. Mais qu'est-ce que cela signifie ? Une sorte de blague qui la fait rire. Mais
pour Karine la frontière entre la réalité et la blague, salace de préférence, est
difficile à tracer, à situer; elle se déforme, elle se déplace, elle peut même disparaître
complètement. On ne réussit pas à tenir Karine entre ses mains, Protée femelle elle
devient pierre qui s'effrite, chienne qui vous lèche les doigts, harpie à la chevelure
de serpents, liane pliante, pleureuse qui se change en ses larmes, mirage de walkyrie,
fantôme de Diane, folle du désert, sage de boulevard... Karine n'existe que quand
elle chante. Le reste du temps elle est insupportable. Pour moi. Elle me dit qu'elle-même
elle a du mal à se supporter. Mais qu'est-ce que cela signifie ? La sincérité de
Karine n'est qu'une vérité de cinq minutes, la sincérité suivante n'aura pas plus
de durée. En tout cas, elle se voit comme un être stable, les pieds bien sur terre,
qui sait compter les sous des contrats, jouir des plaisirs de la vie (dont apparemment
je suis), et même vieillir. Karine en femme parfaite, il en faut de l'imagination
sur soi.
Le problème avec des artistes de son genre réside dans le refus de ne l'être qu'à
un moment donné, leur vie quotidienne nourrit leurs chansons, leur art s'est emparé
de tout leur temps de vie, la vie est une drogue, les drogues amplifient la drogue
de la vie, sur scène on est plus vivant, on vit plus quand on s'exhibe, s'offrir
aux voyeurs est une délectation pour Karine, le talent permet de les faire venir,
le talent permet de s'offrir plus. Pour les artistes de son genre, entendons-nous.
Je l'ai vue saoule plus d'une fois. D'une certaine manière je fais partie de son
spectacle; elle m'attire très consciemment; le rôle qui m'est imparti n'est pas clair
pour moi. Dans l'autre sens elle est une passion pour l'oubli; Karine est un simple
taxi, l'amour est son prix.
Le dernier scandale qu'elle a créé a pris pour cible un journaliste TV; il l'interviewait
en direct mais elle n'était pas sur le plateau, elle était dans sa loge avant de
chanter; il avoua qu'il n'avait pas vu le spectacle - ô tentation -, très vexée elle
lui claqua en pleine figure qu'il ne faisait pas son travail, qu'il était scandaleux
que des gens comme lui se fassent passer pour des professionnels - blême le type
qui s'efforçait de répondre dignement sous l'attaque -, paf pif poum ! chanteuse
offensée tape gueule tendue de l'homme en service, délices de l'insulte exhibition,
jouissance rare de la provocation totale sans réplique immédiate possible, noir désir
du crachat et attente infernale de la réplique, tout coup est une demande de coup,
Karine demande s'il est un bon coup, Karine en public demande une réponse en privé;
comprenez que Karine ensuite, très éméchée de son scandale, en a (je n'ose dire "délicatement")
extrait une blague, une bonne blague, salace à souhait par conséquent. Ce que je
sais, comme tout le monde, c'est que peu de temps après le journaliste l'a de nouveau
invitée à son émission et que l'entente parfaite a rétabli l'ordre médiatique sans
que l'on sache où et comment a été essuyé le crachat. Il lui avait téléphoné après
l'interview-catastrophe, ils s'étaient rencontrés pour s'expliquer, Karine a une
de ses blagues au sujet de la rencontre, je préfère en rire sans comprendre.
Que ce soit clair : je ne suis pas un acheteur de Karine; elle se vend partout, en
tous formats et en toutes (petites) tenues, mais je ne suis pas client. Je ne profite
pas d'elle non plus. Elle a bien essayé de m'entraîner dans une relation de cette
sorte, mais pas moi, non. Alors elle boudait. Certes les relations normales dans
son monde sont impossibles avec moi, je suis impossible. Elle a raison. Je ne m'en
repens pas mais elle a raison. Seulement elle ne connaît pas mes deux frères. A cause
d'eux je ne suis pas vraiment du milieu de la publicité. Il y a un lien invisible
plus fort que l'argent, que le sexe, que la volonté. Il est difficile d'expliquer
que l'intelligence n'est pas exactement individuelle. Encore plus que l'intelligence
peut nous être imposée de l'extérieur et que vous êtes contraint d'y participer.
Voilà, y participer est la bonne expression. Ce n'est pas un sujet pour chanson.
Si je dis cela à Karine elle va encore hausser les épaules. Elles sont belles les
épaules de Karine. Superbes. Presque toujours découvertes. J'adore lui faire hausser
les épaules, j'adore être le haussement d'épaules de Karine. Là où la pensée devient
chair, devient chanson, même si c'est une blague, une énorme blague. Salace, peut-être,
soit, passons, qu'importe, mais Karine va chanter, la vie de Karine va chanter.
Je vais la rejoindre. Je ne tiendrai pas plus longtemps. Me saouler d'elle, en être
ivrogne pour chasser l'intelligence, la lucidité n'est drôle que de la part des extra-lucides,
Karine est une extra-lucide, j'irai car je sais que Karine va chanter.
- Pâs' que vous i êt qu'deux ici, c'é g'and ici. Vu z i êt qu'deux. Nous neûf.
- Ecoutez, il faut nous laisser ou j'appelle la police. Nous sommes chez nous, allez-vous-en.
- La pilice, t'i pû l'appler si tu vê. Mi j'i crains pas la pilice. J'i di'ai qu't'es
raciste. De sales racistes. V'i êt qu'deux et c'é g'and ici. On vê s'installer ici.
On est neûf.
- Allez-vous-en ! Allez-vous-en !
Les deux vieux essayaient de repousser les gosses qui essayaient de passer. Ils voulaient
refermer leur porte, ils regrettaient amèrement de l'avoir ouverte. Ils avaient hésité
en les voyant mais ils avaient craint, s'ils n'ouvraient pas, à cause de la propagande
TV sous couvert de journalisme de Pourat et de Louzette qu'ils regardaient tous
les jours en croyant être informés tandis qu'ils subissaient la propagande collaborationniste
payée en somptueux cadeaux - mais non, nous n'avons reçu que des petits qui entretiennent
l'amitié -, ils avaient craint d'être accusés de racisme.
A cette époque le système de dénonciation camouflé mais appliqué sans faille par
des associations en apparence bien pensantes ("Contre le racisme", "Pour l'égalité
des peuples" etc...) était une inquisition comme la France n'en avait jamais connue.
Des trois occupations (la boche, l'amerloque et la bougnoule) la troisième avait
trouvé tous les collabos des précédentes; il avait suffi de payer et sous prétexte
de générosité, de grandeur d'âme, d'amour entre les races, le pays avait été livré.
Chosset était l'âme damnée de Mahomet. Chosset était le traître. C'est lui qui avait
fait les lois qui permettaient aux envahisseurs d'envahir légalement.
Bref les deux vieux qui après une vie dure de travail avaient réussi à s'acheter
une maison, avaient ouvert. Les autres les poussaient. Bientôt les arabes furent
dans le salon, les gosses se jetèrent sur le divan et les fauteuils avec des cris
de joie.
- Fö pâ êt râciste, répétait le père avec le petit sourire habituel "tu donnes ?
tu donnes ? " Sinon plus de sourire, ils prennent. Partout.
Le père était il y a quelques années entré illégalement. Comme déjà, grâce à Chosset,
il n'y avait plus à se gêner, il avait carrément "exigé" des papiers. On avait que
ne pas... et ci et ça... puis il y avait eu une régularisation, pas massive, rassurez-vous
- il ne faut pas avoir peur des bons arabes, tolérants, gentils... si tu donnes -,
en réalité massive, mais, selon l'habitude, en disant le contraire. Désormais avec
papiers, il avait fait venir la famille, c'est normal, on ne va pas vivre ici et
la famille là-bas. La femme et sept enfants, en fait la plus grande des filles était
sa deuxième épouse. Les associations caritatives avaient immédiatement pris en charge
ces malheureux. Mais ils n'étaient pas contents. Les Français ils n'accueillent pas
bien les étrangers. Regardez dans quoi on vit ! La taille de l'appartement donné
par ces associations ! Elles sont gentilles mais on voit bien que leurs membres n'ont
pas eu de familles nombreuses. Une impatience vite estimée justifiée gagnait les
maghrébins d'être si mal logés. Ils avaient donc décidé de remédier au mauvais accueil
raciste par des opérations coup-de-poing, un peu partout, pour un logement digne.
Ils choisissaient la maison qui leur plaisait et ils s'y installaient de force. De
préférence une maison avec des vieux qu'il suffisait d'expédier en maison de retraite
avec l'aide des compréhensives associations humanitaires. Pourat et Louzette se chargeaient
d'expliquer dans leurs journaux TV que tout cela était logique, que les maisons doivent
être aux plus nombreux. Il ne faut pas voir le mal partout et il faut bien accueillir
les étrangers.
La France s'enrichit, mais oui, mais oui, de l'invasion musul. On vient encore de
détruire un clocher et de changer l'église en salle des fêtes dans une commune dont
le maire athée trouvait scandaleux de devoir payer (quoique ce ne soit pas son argent
mais celui des impôts) pour un vieux truc catho cher à entretenir comme s'il n'y
avait pas de séparation entre l'état et l'église, mais il avait trouvé de l'argent
pour l'exigence de maghrébins pour une mosquée et son minaret au nom de la tolérance
religieuse, de la liberté religieuse, parce que les étrangers qui nous ont fait l'honneur
de venir s'installer de force chez nous, ont le droit, oui madame, oui monsieur,
le droit de pratiquer leur culte. Ce maire gaucho était très généreux dès qu'il s'agissait
de la religion étrangère, il disait même, en vue d'élections, que pour montrer sa
haute tolérance, il était prêt à se convertir au Mahomette. Hein ? quel bel exemple
d'ouverture d'esprit ? Tellement ouvert que tout pouvait s'y engouffrer. La tête
des vents de sable.
Les deux vieux étaient repoussés vers la porte de sortie. Ils devaient comprendre
qu'ils gênaient la famille. Il fallait qu'ils s'en aillent. La vieille dame pleurait.
Le vieil homme essayait avec ses dernières forces de lutter. Alors les ménagements
prirent fin puisque ces débris ne comprenaient pas. Le père et ses deux femmes les
bousculèrent et le père les traîna dehors. La porte se referma sous les applaudissements
des enfants.
Le vieil homme aida sa femme à se relever. Elle ne pleurait plus. Elle n'arrivait
pas à parler. C'étaient de braves gens qui avaient toujours donné ce qu'ils pouvaient
aux associations pour l'accueil des étrangers, qui avaient cru qu'il fallait donner
des papiers, à certains du moins, ou - ils ne savaient trop - peut-être à tous ceux
qui en voulaient ? Ils avaient cru à cause de la propagande que la France s'enrichissait
d'une nouvelle occupation quand ils voyaient pourtant le résultat de la précédente
par les émissions TV où on ne chantait quasiment qu'en amerloque sur tous les rythmes
amerloques, quand ils voyaient que leur propre culture mourait chaque jour sur les
ondes des radios et des télévisions.
Que pouvaient-ils faire ? Aller à la police. On prit leur déposition très sérieusement,
l'affaire était grave. Les policiers allèrent demander poliment à l'arabe de quitter
la maison volée. Il refusa. Ils firent un rapport. Les deux vieux attendaient sur
des chaises dans le commissariat, ils croyaient encore qu'ils allaient rentrer chez
eux et le soir même.
Ce commissariat avait déjà été attaqué plusieurs fois à coups de pierres par des
hordes de "jeunes" comme disaient pudiquement les médias (car dire maghrébins était
raciste), il avait donc reçu des ordres de prudence. D'ailleurs on n'avait pas un
effectif suffisant pour repousser l'attaque qui aurait immanquablement lieu si on
chassait la famille arabe de la maison volée. Le mieux était grâce aux associations
caritatives de trouver une chambre pour les deux vieux, on allait bien réussir à
leur trouver un hébergement au moins pour quelques nuits. On ne dirait pas que la
police ne faisait rien, elle agit du mieux possible pour le bien des citoyens.
Parmi les forces de police, il y avait plusieurs maghrébins à l'air particulièrement
goguenards. Ils trouvaient que les leurs avaient réussi un bon coup. Ils étaient
là ainsi qu'un noir au nom des obligations du service public à s'ouvrir à la nouvelle
diversité ethnique imposée par la propagande et les lois de Chosset, si enrichissante
tu parles, grâce à laquelle notamment la drogue en provenance du Maroc coulait à
flots partout.
Uns fois un homme avait tiré sur des maghrébins qui pillaient sa maison. Le Pourat
et la Louzette avaient dit avec indignation que des biens matériels ne pouvaient
justifier l'assassinat. Ailleurs un autre homme avait tiré et tué un "jeune". Et
pour quoi ? Pour des choses ! Les choses ne peuvent valoir une vie humaine ! L'homme
avait été traîné dans la boue médiatique par les collabos Pourat et Louzette, la
"justice" de Chosset l'avait lapidé, condamné. Partout dans le pays on n'osait plus
se défendre. On avait autant peur de la justice et des médias que des musulmans qui
attaquaient chaque jour. On avait constaté que l'on ne pouvait pas compter sur la
police; si elle agissait Pourat et Louzette se chargeaient de déverser la boue médiatique
en tonnes sur elle, la justice trouvait des bavures dès qu'un maghrébin était tué,
les maghrébins de plus en plus nombreux envahissaient les rues dans de violentes
manifestations contre l'assassinat de l'un des leurs. Ils prenaient ? Et alors ?
Ils volaient le pays ? Et alors ? Cela ne justifiait pas de les tuer ! Ils avaient
inventé la prise de guerre sans morts de leur côté. De leur côté car dans tout le
pays ils tuaient. Depuis le recul du Pape au sujet de la violence des musulmans (sous
la menace) on n'osait même plus appeler violence les meurtres qu'ils commettaient
partout. Et les associations caritatives leur trouvaient des excuses, les avocats
les tiraient souvent d'affaire et quand ils étaient condamnées, ils étaient les héros
des prisons et de leur communauté.
Dans la soirée de l'incendie, la péninsule fut envahie par les pillards. En temps
normal elle était habilement surveillée, les vigiles intervenaient très vite pour
bloquer les audacieux, les renforts policiers étaient mobilisés sans problème car
les habitants avaient les relations qui font des vagues, éventuellement des tempêtes
: les dommages collatéraux risquaient d'avoir lieu même parmi les chefs; mais les
hordes voyaient de la côte l'affaiblissement des défenses. Les pompiers avaient fini
d'éteindre les premiers incendies, il avait suffi de quelques infiltrés pour en allumer
d'autres. Le ballet des camions de pompiers avait repris aussitôt, les évacuations
aussi, les maisons sauvées étaient vides, leurs propriétaires avaient dû laisser
sans gardes des trésors.
La nuit tombée les hordes franchirent en nombre le goulot de l'entrée, l'unique route
d'accès ne leur permettait pas de passer inaperçues mais qui les arrêterait ? L'envie
de pillage était telle qu'elles n'avaient même pas pensé à la manière d'emporter
les objets volés; pourtant d'habitude elles s'intéressaient surtout aux téléviseurs
géants, au matériel HI-FI de pointe... difficiles à transporter à pied sur des kilomètres.
Au petit matin on retrouva une commode Louis XV cassée et abandonnée au milieu de
la route, des vases rares de Chine brisés à plus d'un kilomètre de la villa où ils
avaient été pris, des soieries aux motifs merveilleux déchirées, souillées d'excréments...
On aurait dit que les meutes avaient cherché systématiquement à détruire ce qu'elles
ne pouvaient avoir.
La police avait bien été obligée d'intervenir. Mais curieusement tard. Pour la première
fois, au cours des affrontements, un de ses maghrébins rejoignit les troupes en face.
Ses congénères policiers s'affirmèrent consternés; vraiment ils ne comprenaient pas,
c'était un bon français, un bon musulman, qu'est-ce qui avait pu lui passer par la
tête ? Le vent des sables, probable.
Donc il y avait eu bataille. Les forces de l'ordre en armure de protection avec bouclier
avaient la peur de la bavure qui aurait consisté à tuer un ennemi car la presse était
à l'affût. De ce point de vue tout se passa bien mais, forcément, quand l'ordre se
limite à sa présence et à sa propre défense... sous le harcèlement mobile, rapide,
des meutes qui cherchent à se rendre insaisissables... qui allument d'autres incendies...
Ah la presse ne fut pas tendre avec cette police inefficace. Où va l'argent du contribuable
? je vous le demande, ouais, pourquoi paie-t-on ces types puisque le résultat est
que la catastrophe a quand même lieu ? Après ils se plaignent des restrictions de
budget. Lamentable.
On ne pouvait pourtant pas leur reprocher des blessés parmi les assaillants. On eut
beau chercher, on n'en trouva pas. A l'hôpital on ne trouva que des policiers. Les
maghrébins le lendemain en lisant les journaux étaient hilares et fiers. Ils avaient
gagné la bataille.
La presse ne parla guère du pompier assassiné à coups de barre de fer. Tout à son
idée d'éteindre l'incendie il s'était trouvé en un endroit de transport d'oeuvres
d'art qu'il avait considérablement gêné avec son puéril jet d'eau. Il avait fallu
arrêter une action préjudiciable aux biens, il en était mort. La presse ne blâmait
que la police pour ne pas avoir été capable d'empêcher ce meurtre horrible.
La presse fait son travail, oui madame, parfaitement monsieur. Vous attaquez la presse
! Vous attaquez la liberté de la presse ! Vous attaquez les libertés fondamentales
! Vous attaquez la liberté ! Ce discours avait permis au journalisme de propagande
arabe de s'emparer des ondes. De même que la tolérance était utilisée pour l'invasion
en faisant croire que c'était noble, généreux, admirable, de se laisser envahir,
de même que les lois étaient utilisées contre ceux qui voyaient le pays mourir du
cancer de la tolérance irresponsable et de la générosité abrutie, de même les médias
avaient été détournés et servaient le contraire de l'idéal républicain, garder son
pays libre. Les capitaux des pétro-dollars bien placés et les cadeaux somptueux avaient
eu raison de l'identité nationale.
Le problème c'est que l'intérêt de la presse n'est pas forcément celui de ses lecteurs.
Ils n'achètent pas assez pour entretenir cette belle fille. De pure aux idéaux nobles
elle est devenue la pute de la république. Elle est à baiser par qui a des millions
à lui jeter. L'intérêt de l'actionnaire d'un journal n'est pas l'intérêt du lecteur,
l'intérêt du directeur du journal n'est pas l'intérêt du lecteur, l'intérêt des journalistes
n'est pas l'intérêt du lecteur. Dans un monde d'argent ils veulent de l'argent et
personne n'est en mesure de leur lancer la première pierre. Mais la pute s'est trop
vendue, bientôt elle n'aura plus rien à vendre, le temps joue contre elle. Les actionnaires
d'hier ne pensent déjà plus qu'à s'en débarrasser. Il y a des putes si stupides que
quand on les baise elles croient accomplir une action humanitaire. Du moins si on
ne les paie suffisamment. L'argent aide à la crédulité.
En gros dans la presse : Bons p'tits bougnouls, gentils, tolérants, juste un peu
voleurs, violeurs, tueurs; Forces de l'ordre très méchantes, pas tolérantes car ordre,
pas gentilles car ordre, contre la répartition des richesses. Et d'ailleurs dire
méchants bougnouls au lieu de gentils jeunes c'est raciste, absolument, toute vérité
n'est pas bonne à dire quand on a la presse mercantile contre soi.
Les meutes s'étaient donnné de jolis noms que les médias reprenaiennt avec complaisance
comme s'il s'agissait d'un film, moins policier que d'épouvannte, où l'art décore
l'horreur. "Les Vandales", "Les Aliens", "Les Combattants de la haine", "Les Ostrogoths",
"Les Vengeurs de la coloniale"... Eugène Sue n'eût pas trouvé mieux (ou pire). Ces
"jeunes" étaiennt des garçons qui s'entraînaient par le sport pratiqué à longueur
de journée sur des musiques rap passées en boucle. Ils connaisssaient en tout et
pour tout l'islam, déclaré tolérant : ils voulaient faire ériger des minarets partout,
symboles de virilité. Leur obsession : baiser des blanches. Ces filles-là on finissait
par en avoir, c'étaient des putes, après on allait fièrement au pays - car on n'était
françouais que de papiers - épouser des femmes de chez nous, vierges, dociles, poour
les féconder et plus tard les faire venir ici avec les gosses. Les blanches elles
croient qu'elles montrent qu'elles sont tolérantes, généreuses, pas racistes, quand
elles se laissent fourailler par un arabe, ce sont de vraies putes; quand un les
a eues, un autre les aura; tu parles c'est pas comme les nôtres, ça couche les blanches,
il suffit de leur faire croire que sans ça elles sont racistes. Et elles croient
n'importe quoi.
Tout garçon est une machine de guerre biologique. Il est l'arme intelligente. Enfin
plus ou moins. Mais les plus forts sont capables d'utiliser les plus intelligents.
Et inversement dans la démocratie. En principe. Il sert l'horloge, la mécanique infernale
du temps, il trouve de lui-même comme but de la servir. Sa vie s'étend devant lui,
immense étendue plane que seuls des moments de violence peuvent modifier; on n'a
pas de relief sans tremblements de terre. Les montagnes font apparaître les cours
d'eau, les torrents et les fleuves; le désert verdit des guerres. Caïn crée le bonheur;
son remords engendre l'existence individuelle, les oppositions apparaissent, les
contrastes vont alors se développer, l'ombre aux infinies variétés et la lumière
aux insaisissables et fugitives variations. Les arbres sont immenses sur le domaine
de la mort.
Les hordes ont des filles, pas encore utilisées comme reproductrices. En apparence
elles ont une volonté et une indépendance. Elles veulent voir des blanches soumises.
Elles vont voir les viols dans les caves. Elles attirent les blanches sous des prétextes
divers pour satisfaire les garçons. Dominer les filles des adversaires, des ennemis,
est depuis toujours le moyen le plus sûr de la conquête. La fille fière est par nature
domesticable, ses idéaux ne tiennent pas sous la virilité, un mâle ardent prend leur
âme. Le sperme est la loi. Les filles des hordes sont aussi souvent utilisées pour
piéger les gens du pays; ils croient attirer à eux et à leurs valeurs celles qui
agissent conformément à leur modèle, ils croient qu'elles s'intègrent et que les
garçons suivront. Mais les hordes les reprennent quand elles veulent. Les filles
ont le choix entre la soumission et la mort. Elles ne sont qu'un piège de l'invasion.
Celles qui enfantent sous des blancs ont du moins empêché la reproduction des blancs,
elles ont servi; les hybrides sont des êtres de second ordre, ils ne sont pas reconnus,
acceptés.
Tel était bien leur monde. Ces idées étaient bien les leurs. Niées officiellement
par la presse. Si quelqu'un les disait, Lindrone, Pourat et Louzette... montaient
au créneau. Ils faisaient le travail des cadeaux. Ainsi le mensonge médiatique couvrait
la réalité de son nuage au nom du journalisme et du vedettariat. Les élites n'avaient
accès au porte-voix médiatique que si elles collaboraient, celles qui avaient un
point de vue négatif et voulaient renvoyer les immigrés chez eux étaient vilipendées
sans pouvoir s'emparer des médias qui étaient à elles aussi mais leur étaient interdits.
Des ministres-figurants lisaient régulièrement des discours de préfabrication standard
sur l'horreur de proférer des propos hostiles à l'invasion au lieu de répéter le
prêcha-prêcha obligatoire du microcosme politico-médiatique. La liberté de pensée
n'est pas la liberté de parler, la liberté d'expression n'est pas la liberté de communiquer,
la liberté de la presse n'est pas la liberté des autres. Les lois de Chosset et son
système de propagande n'avaient pas été remis en question après se chute. La corruption
était partout, particulièrement dans le système éducatif où on aurait dû développer
la résistance et où on la brisait par tous les moyens, faisant des jeunes Français
des proies faciles pour les envahisseurs. La défense était brisée par l'école. Les
politiques et les médias y veillaient.
Croire que toute évolution est bonne pour ne pas voir. Le pays s'effondrait sur lui-même
du poids acquis par une immigration insensée. Rien ne pouvait plus le sauver.
Paul, antimondialiste et antiraciste, n'était pas défavorable aux mesures innombrables
qui favorisaient l'immigré contre le Français. Sur sa colline des ventes d'art ou
apparenté il pensait avoir une vue sur l'avenir comme il en avait une, superbe, sur
le paysage. Ses lectures d'ultra-gauche néanmoins l'amenaient à constater que la
fuite des élites de leurs pays d'origine pour vivre mieux sans effort chez nous écartait
les révolutions anti-capitalistes nécessaires pour les peuples. La corruption effarante
des pays en voie de développement servait indirectement celle, aussi effarante mais
mieux cachée, des pays développés; quand il n'y a pas de révolution et de prise de
pouvoir des perdants de la vie, ils continuent de perdre. Paul était extrêmement
convaincu que seule une révolution anarchiste pouvait régler les problèmes du tribalisme.
Et ce tribalisme il le voyait recréé non loin de chez lui par les hordes. La solution
des problèmes locaux passait par la solution des problèmes de pays lointains. Ses
écrits dans des feuilles diverses à l'audience confidentielle fournissaient les raisonnements
aptes à convaincre du bienfait collectif de quelques milliers de morts. Tuer les
profiteurs, tuer les têtes permet la libération populaire et l'instauration de l'égalité
par la distribution ou plutôt la répartition selon les besoins de l'abondance réelle
mais cachée pour la voler par les mafias économiques, politiques et médiatiques.
Avec la prospérité dans leurs pays d'origine et les possibilités de réalisation personnelle,
voire d'ascension, les hordes y rentreraient non plus pour y passer les vacances,
comme aujourd'hui, mais pour y rester. Car enfin - et là il rejoignait dangereusement,
disaient ses détracteurs, des propos criminels d'extrême-droite - elles n'étaient
pas là pour une réintégration ou pour enrichir ce pays, mais pour s'enrichir. Le
prétexte de fuir des menaces si bien qu'on ne devait pas les renvoyer avait fait
son temps même s'il continuait de servir pour les Pourat et les Louzette; il n'y
avait pas un cas sur dix mille pour qui l'argument valait. On leur servait la soupe,
les nouveaux françouais s'emparaient du plat de résistance et volaient le dessert.
Pour beaucoup de Français véritables la vie maintenant se passait à les regarder
manger. Dévorer. Paul, donc, s'était brouillé avec une frange extrémiste qu'il vilipendait
sauvagement; quant aux autres gauchistes il s'opposait à eux en essayant de leur
expliquer la vérité depuis des années. Ses tentatives de discussion avec Jean sur
ce point avaient également avorté. Notre frère Jean voyait le monde sans réagir au
monde. Ses mécanismes lui paraissaient dérisoires, un cache devant la réalité. Sa
réalité à lui était derrière les conduites, les actes des hommes; il pensait au niveau
de l'espèce, l'évolution de celle-ci était une programmation dont il fallait s'abstraire.
Pour ne pas être victime du mirage de l'actualité il faut ouvrir les yeux de l'âme.
Voir signifie voir au-delà. Les apparences ne sont pas seulement trompeuses, menteuses,
elles sont l'enfermement entre des murs, elles sont une cellule que l'on croit immense
et qui en fait est réduite à quelques mètres. L'homme se croit riche de potentialités
infinies alors qu'il est limité à quelques comportements inévitables pour lui dans
des conditions imposées. On ne peut créer une liberté qu'en refusant le monde. Thème
traditionnel de l'aveugle qui seul voit. Mais Jean par sa seule présence effaçait
les murs et sa parole guidait le long des précipices sans que la peur de tomber n'effleure
même ceux qui le suivaient. Seulement sur nous ses frères il n'avait pas d'impact,
il ne l'avait pas voulu, je pense même qu'il avait voulu le contraire, mais on ne
peut pas en être sûr.
Je me souviens de notre père, nous étions enfants, quand il nous réunissait autour
de la table, notre mère poussait un soupir de lassitude et d'agacement, pour que
nous décidions ensemble de ce que nous allions pouvoir donner à diverses associations
et en quoi nous allions nous restreindre car sinon ce ne serait pas possible, et
elle laissait faire. Il calculait, il écrivait les chiffres, il avait tracé les colonnes
comme à chaque fois, il les remplissait peu à peu, il calculait, il traçait les chiffres
lentement, avec application, il expliquait. Nous étions tous concernés. Nous cinq
autour de la table. De la même façon. Il expliquait encore et encore. Je revois surtout
le visage de ma mère. L'image de la résignation, pour moi, est son visage. Elle devait
l'aimer, pour accepter ainsi ? Il était convaincu, il était totalement convaincu
par ce qu'il disait, il croyait à son rôle planétaire par nos sacrifices afin de
donner. Il se sacrifierait plus que nous - nous le savions bien. Il attendait de
nous des propositions. Si l'on a des enfants, il faut les éduquer du mieux possible;
le mieux possible selon lui était de nous éduquer suivant les principes auxquels
il croyait. Il espérait de toutes ses forces que nous adhérerions totalement à sa
foi du don. Seul Jean proposait. Paul était si petit. Je l'ai dit, c'est Jean qui
l'a éduqué, nos parents sont morts trop tôt - ou au bon moment pour moi car j'aurais
été le mauvais fils, je les aurais désespérés. Mon père surtout, ma mère se serait
résignée. Sûr que ces séances ont marqué mon enfance. Mon rejet inébranlable de tous
ceux qui ont des convictions (même mes frères) vient de là. Après la séance mon père
me remettait la liste des privations qui étaient "mon engagement", j'avais entre
les mains cette horreur de liste, et si je contrevenais, il m'expliquait les larmes
aux yeux qu'il devait me punir, qu'il me punissait parce que j'avais contrevenu,
je n'avais pas été fidèle à "mon engagement". L'enfant comprend et pleure. La haine
vient plus tard. On ne veut pas haïr son père. Au moins on peut haïr ce qu'il vous
a forcé à faire par des discours. Encore des discours. Paul n'a pas retenu le contenu,
il était trop petit, il a retenu la chanson du discours et la conviction. Jean a
tout retenu. Il a transcendé le tout. Mais il n'est pas gourou, non, Jean est l'âme
des mots. Mes principes d'enfant ont peut-être aidé à l'invasion, sûrement même,
pas de quoi glorifier mon père, au contraire. Incapable de répondre à un discours
par un discours ne veut pas dire être d'accord, ne pas savoir comment justifier son
désaccord ne signifie pas consentement, être faible devant les adultes et leur "justice"
ne signifie pas que leur force est le droit, être faible n'est pas avoir tort. Mes
privations d'enfant ont contribué à tout ce que je blâme, à l'effondrement de mon
pays. Je blâme mon père qui a livré ce que nous avions pour d'autres puissent venir
s'emparer du reste. En nous forçant - et il était convaincu, il y croyait - à livrer
ce que nous avions - c'est vrai pour Paul et moi en tout cas mais pour notre mère
aussi, je le sais, j'en suis sûr -, il livrait un peu de nous, il nous déchirait
dans un idéal de sacrifice, ses idéaux l'emportaient sur nous, sur notre existence,
nous n'avions pas un droit total à l'existence puisqu'il livrait une part de nous
aux autres, à ceux qui sont à visage découvert aujourd'hui, à ceux qui s'avèrent
de plus en plus décidés à prendre la place, notre place, toute la place. Ou bien
ils nous laisseront une, comment dit-on pour les Indiens ? une réserve. J'en veux
à mon père d'avoir trahi mon avenir pour des idées creuses de naïf par lesquelles
il s'est laissé duper.
Les articles des journaux sur les feux de la péninsule, la recherche des criminels,
les vols, la traque des voleurs, ne m'ont pas fait frémir. La boule de neige grossit
en descendant la pente, elle est finalement remarquée même par les myopes; mais je
la distinguais dans la neige dès le début, on en avait bloqué d'autres, celle-là
a réussi à passer, elle a grossi, grossi, et maintenant si on se lance à sa poursuite,
si on essaie de l'arrêter - et comment n'essaierait-on pas ? -, on déclenche une
avalanche. Tout est trop tard. Il n'y a plus rien à tenter. Laissons discourir.
La bourse va bien. Alors le politique va bien. Alors la presse va bien quoiqu'elle
ne se vende pas. L'argent tourne, il passe de la Grande roue au Grand huit, et puis
aux autres manèges à effet, la chute verticale de vingt mètres qui vous décroche
le coeur, la navette folle avec tête en bas, en haut, en bas, on ne sait plus, où
est ma tête ? on court après sa tête, on la rejoint, ouf, elle repart la drôlesse,
toute seule, et la course reprend sur un décor d'insondables galaxies tourbillonnantes.
Moi je ne gêne personne. Paul m'appelle gentiment "le parasite tranquille". La société
me paie bien pour que je reste tranquille. Avec deux frères inquiétants ma valeur
est importante; ils me rapportent gros; d'un côté ils me nuisent, je l'ai dit, mais
de l'autre, réflexion faite, si l'on dépasse le niveau vie quotidienne pour une vision
d'ampleur sur ma vie, globalement, oui, le système, pas les gens, le système - les
gens croient créer le système qu'ils servent sans s'en rendre compte - m'a choyé,
il a payé pour que je ne sois pas dangereux. Il a eu surtout la preuve vivante des
limites des discours de mes frères : voyez, ils ne peuvent même pas se convaincre
entre eux, voyez, le troisième est des nôtres, ils ne peuvent rien. On monnaye ce
que l'on a. Celui qui sait chanter s'enrichit du chant, celui qui a la tête à calculs
calcule sa vie durant... moi, à défaut de mine d'or ou d'uranium, j'ai deux frères
qui tous deux, de façons différentes, sont des dangers sociaux. Ça sert, la famille.
Les discours, les discours... je ne les crains pas. Il n'est pas d'avocat qui puisse
me duper (mon père m'a vacciné). Je ne crains que les banalités. Tôt ou tard on se
cogne le crâne contre les banalités. Inévitable. Elles sont simples, sommaires pour
être plus exact, elles sont bornées, de la pierre, sans beauté, pas du marbre, le
vulgaire caillou, inutilisable, inexploitable. La banalité a toujours raison. Elle
est trop dure pour que le ver du doute y entre. Ne pas regarder. Ne pas la regarder
pour ne pas être changé en pierre à mon tour. La pétrification vous guette sans cesse,
elle est notre destin. Ma seule véritable occupation est de lui échapper. Parfois
je suis sur le point de regarder, je sens que je vais craquer, je ferme les yeux
très fort, très fort... je ne les rouvre que sur Karine. Car j'ai Karine. Je
sais qu'elle m'attend. Elle sera ironique : "Tiens, on rentre à la maison, quand
même..." La maison... La vie de Karine est un vaste foutoir, elle prétend que je
suis l'aiguille de sa boussole, une de ses blagues érotiques, elle est inexorablement
déboussolée, un grenier est en ordre comparé à sa vie, l'image de la poubelle serait
plus significative, quoi de plus "riche" qu'une poubelle ? en diversité du moins,
en amalgames, en saugrenu, en bizarre... le clochard de Karine que je suis survit
grâce à elle à la banalité.
IV
Barthélemy et Laurent étaient rentrés chez eux, dans leurs familles paisibles. Père
et mère côté Barthélemy étaient de gauche, père côté Laurent de droite, mère centriste.
Pas engagés, aucun; des idées politiques plutôt que des convictions; idées resserrées
autour d'une "figure dominante" du discours politique. Rien de très sérieux en somme.
La république des courants d'air passait par eux sans même flanquer un coup de froid.
En principe basée sur la liberté de pensée et la liberté d'expression... L'inquisition
était faiblarde à côté de la presse libre et des associations anti-racistes. Le terrorisme
médiatique et juridique condamnait sans relâche pour le moindre mot d'opposition
à la troisième occupation. Inutile de croire que vous ne serez pas dénoncé. Les délateurs
sont partout. A la solde du système d'invasion par détournement de nos valeurs, la
tolérance, le respect de l'autre, la religion chrétienne... tout devenait marteau
entre les mains de la presse libre pour aider le politique à casser la résistance.
L'ineffable djournaliste Pourat et la brave Louzette étaient les spécialistes des
conseils au pape, eh oui, il avait bien besoin de leurs conseils, ils appelaient
cela du journalisme avec la propagande musul, l'exigence de papiers pour les sans-papiers,
de logements réquisitionnés pour les immigrés que l'on recevait très mal alors qu'ils
nous faisaient l'honneur de nous confondre avec un supermarché (gratuit)... Vraiment
les journalistes étaient libres, mais pas vraiment la presse - écrite, radio ou TV
- à cause des journalistes.
La liberté d'expression selon les journalistes doit être totale... pour les journalistes.
Et les copains (associations, juges, politiques...). Les autres pensent mal. Les
journalistes sont là pour les blâmer, pour les coincer d'une manière ou d'une autre.
"Ah ! Vous attaquez la presse !" Bien obligé pour que la République recouvre la liberté
d'expression.
Les chiens servent les maîtres. Le plaisir des chiens qui se prennent pour des dieux
quand le maître les caresse ! Tous les propriétaires de la péninsule ont leurs gardiens.
Mais comme l'avaient constaté Barthélemy et Laurent les maîtres sont faibles sans
leurs chiens. Les deux amis suivaient à la télé le développement de leur acte, ils
le voyaient enveloppé des actes des autres, grossi des actes des autres, dans des
proportions stupéfiantes, et en même temps il disparaissait, il disparaissait sous
la masse des actes des autres, l'origine n'attirait plus l'attention. Une étincelle,
on ne se le cachait qu'avec peine avant, trouverait un terrain idéal. Une étincelle
ne pouvait que déclencher un incendie qui se propagerait si vite, tant le terrain
était idéal, que rien ne l'arrêterait. Une étincelle, tôt ou tard, était inévitable.
On s'efforçait de ne pas y penser. On savait bien. Mais on réussissait à ne pas y
penser. L'étincelle avait jailli. Peu importe qui. Elle était inévitable. Alors on
ne pensait guère à qui. Les incendiaires réels étaient les Lindrone, les Pourat,
les Louzette, les bénéficiaires du système, ceux qui l'avaient amené là, au point
crucial de dépendre d'une étincelle. Et quand le terrain est prêt pour l'incendie,
l'étincelle finit par se produire. Elle était inévitable. Les suites aussi.
Quand un homme ne peut ni accepter ni refuser, l'arme de guerre qu'est un homme se
met en marche. Ces jeunes garçons ne pouvaient pas accepter que l'on ait livré leur
pays, que les têtes en place se soient vendues et l'ait vendu sûres de l'impunité
grâce à des lois créées sur mesure; ces jeunes garçons ne pouvaient pas refuser car
la presse libre était là pour les en empêcher, car les politiques élus grâce à leur
accès à la presse libre, bloquaient tout refus en pondant les lois qui les arrangeaient
eux, car la justice indépendante dépendait de la presse libre et de la politique
libre - on gagne bien des sous dans toutes ces nobles fonctions. Et puis les films,
et puis les téléfilms, et puis les chansons... le fric pour la propagande musul il
y en avait toujours, pour les jeunes comme Barthélemy et Laurent il n'y en avait
pas; la presse, la musique, la radio, la télé, l'édition (trahissez d'abord on vous
éditera après) leur étaient fermées. Et il fallait supporter, de force, les leçons
du puant Lindrone, des puants Pourat, Louzette et tant d'autres aux poches curieusement
pleines...
Alors le lendemain de leur acte presque involontaire, jailli des circonstances par
une réaction d'instinct pour se réapproprier leur territoire, le matin, Barthélemy
et Laurent partirent en guerre.
Cette fois ils étaient armés. Le père de Laurent avait un revolver (pour le cas où...),
le grand-père maternel de Barthélemy un fusil (il avait été chasseur autrefois).
Pour un début, et sans savoir tirer, soit. Ils prirent des provisions et se rendirent
dans les collines protégées de la construction afin de s'entraîner. Il faut pouvoir
tirer juste si on veut ne pas être la victime. L'ennemi était mieux armé qu'eux et
il serait nécessaire de lui prendre des armes : dans les "cités" la kalachnikov était
à 150 euros, la police n'arrêtait plus le trafic d'armes depuis longtemps; étant
donné qu'on lui tirait dessus avec ces armes précisément si elle s'y aventurait,
le risque n'était pris qu'en cas d'enjeu électoral. Et il y avait des blessés (parfois
des tués) à chaque tentative. Du côté policier uniquement car la presse libre aurait
écrasé les dirigeants s'il y avait eu un blessé même léger du côté des assaillants,
et les musuls auraient envahi les centres-villes en hurlant, en cassant tout, en
menaçant de s'emparer des mairies tout de suite... les maires en place voulaient
gagner du temps, après eux le déluge, ils diraient que ce n'était pas de leur faute,
que c'étaient les circonstances, qu'il fallait être tolérant...
Les deux garçons n'étaient pas maladroits, ils se souvenaient aussi des conseils
des films de guerre, des films de bandits, des jeux vidéos où l'on s'exerce virtuellement,
ils progressaient bien et vite. Ils étaient intelligents et désormais leur intelligence
était au service de la prise de pouvoir chez eux. Ils voulaient chasser l'occupant
rampant qui ne rampait plus mais prenait tout. Ils voulaient libérer leur pays de
la troisième occupation.
Au loin l'incendie avait repris. Stoppé dans la nuit précédente, il s'était ranimé
vers neuf heures, en plusieurs endroits. Le pillage n'était pas terminé. Mais cette
fois les proprios et leurs chiens contenaient les meutes, ils s'étaient armés, enfin
les armes ils les avaient avant mais pris au dépourvu et terrifiés par les lois jusqu'ici
ils n'avaient pas osé se défendre. Ça tirait de partout. Ce qui explique que les
détonations de Barthélemy et Laurent, loin certes, ne fassent accourir personne,
on ne se sentait pas curieux, il ne faisait pas bon être curieux. Les pompiers là-bas
essayaient d'agir, ils voulaient éteindre les incendies, ils étaient canardés de
tous côtés, par les assaillants dont les renforts avaient apporté de l'artillerie
quand ils étaient devenus des cibles, par les assaillis, cernés par des flammes qui
devaient les chasser et contre lesquelles ils tentaient de lutter de l'intérieur
tout en tirant sur tout ce qui bougeait dehors. La police était arrivée, naturellement.
Et très vite. Elle bloquait l'entrée de la péninsule mais les hordes s'en fichaient,
cette fois elles avaient des bateaux, la plupart "réquisitionnés". La police, déjà
durement éprouvée la veille, ne pouvait pas aller au massacre, son chef avait demandé
l'aide de forces spéciales d'intervention, des cars de CRS, de Gardes mobiles étaient
en route.
Mais un nombre non négligeable des gardiens était issu des cités des hordes. On leur
criait leurs noms. Est-ce qu'ils pouvaient trahir les leurs ? Au pays (c'est-à-dire
leur pays d'origine) comment les recevrait-on la prochaine fois ? Est-ce qu'ils oseraient
y retourner ? De quel côté était leur "devoir" certains ne le savaient plus, quelques-uns
se mettaient à tirer plus juste et les appels en face cessaient, la plupart rejoignaient
leurs parents, leurs proches, leurs anciens camarades de classe et de maraude, dans
trois ou quatre maisons il avait fallu les maîtriser, ils tentaient d'ouvrir les
portes ou retournaient leurs armes contre ceux qu'ils devaient défendre.
Au journal de midi Louzette parla de bandes de jeunes qui réagissaient aux provocations
de la police commises hier. Les jeunes exigent le respect et la police avait procédé
à quelques arrestations, certes des interventions supérieures avaient contraint de
relâcher les suspects dont la vie avait été mise en danger sous le simple prétexte
que l'un courait avec des rideaux et leurs tringles dans les bras ("Pas facile de
courir dans ces conditions !" ironisa la Louzette faisant bien comprendre par là
combien la version de la police était suspecte), un autre poussait une brouette tout
simplement, chargée de menus objets, un troisième poussait une moto trouvée qu'il
ne savait même pas mettre en marche... A quelles nouvelles provocations policières
ne fallait-il pas s'attendre aujourd'hui ? Le président et le premier ministre suivaient
de près l'actualité, heureusement. Les porte-paroles minimisèrent pour donner leur
véritable ampleur aux événements : des "jeunes" un peu énervés, il faut les comprendre.
Les associations montèrent au créneau : voilà ce que c'est que de ne pas donner de
travail aux étrangers qui viennent ici justement parce qu'ils n'en ont pas chez eux,
ils s'ennuient dans leurs cités, oui, et il faut plus d'immigration, raciste qui
dit le contraire.
Sophie avait pris le car de neuf heures, l'impossibilité d'avoir des nouvelles de
Jean alors que l'incendie avait cessé la tourmentait. Etait-il rentré chez lui ?
Paul le supposait, mais Paul supposait en général ce qui l'arrangeait. Pas grand
monde dans le car à cette heure; les gens du pays préfèrent le confort de leurs voitures,
les touristes ne se lèvent pas assez tôt, ils prennent leur petit déjeuner en ce
moment. Il allait faire beau; le mois de septembre est toujours beau ici. Les paysages
familiers ne la réconfortaient pas, la beauté ne réconforte pas. Sophie est plus
sensible que fragile, le poids du drame qui s'est emparé de la région, pèse sur elle.
Quand les premières détonations ont retenti, les autres passagers se sont regardés
avec surprise et inquiétude, ils n'ont pas voulu comprendre tout de suite, puis le
chauffeur a dit : "Je crois que ça vient de la péninsule. On dirait que ça recommence
- en pire. Dans ce cas on ne pourra pas y accéder. Peut-être que certains préfèrent
s'arrêter là et rentrer ?"... Sophie aux coups de feu avait eu la confirmation de
ce qu'elle ressentait. Le malheur ne la surprenait jamais. Il lui semblait l'état
naturel des hommes, entrecoupé de pauses que l'on voulait à tort prendre pour la
vraie vie. On ne s'habitude pas à ce que l'on est. Elle ne voulait pas descendre,
personne ne l'a voulu. Même sans espoir d'arriver au bout, chacun continuerait, chacun
garderait une journée conforme à ce qu'il attendait jusqu'à la limite du possible.
Après tout, on ne sait si... On craint ceci, cela, et il se passe autre chose...
ou rien... Il ne faut pas faiblir. Tenez bon. Le parcours se déroule comme prévu,
avec l'inquiétude en plus. Inquiétude que le futur condamnera peut-être comme immotivée.
Vous êtes des imaginatifs, vous êtes des émotifs. Cette image infériorisante de soi
on va au-devant d'elle comme une espérance.
Le car s'arrête. Trois maghrébins sont en plein milieu de la route. Plusieurs apparaissent
sur les côtés. Et d'autres. Une voiture arrive en face, ils la laissent passer, son
occupant se croyait coincé, il accélère, soulagé. L'un d'eux frappe à la porte du
car, le chauffeur la tient fermée, fort de son bon droit : on n'est pas à un arrêt
normal, il n'y en a d'ailleurs plus avant la péninsule. Deux arabes se mettent à
frapper de toutes leurs forces sur la porte, le chauffeur n'ouvre pas, il essaie
d'avancer mais ceux qui sont sur la route ont leur petit sourire habituel et ne s'écartent
pas, ils savent bien que le Blanc n'osera pas, il serait lapidé par la presse et
le jiustice pour s'être défendu. Un arabe prend une pierre et la lance contre une
vitre, elle résiste cette fois mais les passagers ont très peur; le chauffeur ouvre
la porte. Les assaillants s'y engouffrent, extirpent le chauffeur de son siège, le
jettent hors du car. Il tombe, ils le bourrent de coups de pied, ça lui apprendra
à résister. "Allêz, dehôrs ! Dehôrs ! Ploû vît qu'çâ ! Et vû d'nez les pôtables."
Les passagers, fouillés rapidement, pris de panique, s'enfuient du car, sauf une
dame âgée qui, tétanisée, n'arrive pas à bouger, Sophie revient sur ses pas : "Vous
voyez tout de même qu'il faut que je l'aide !" Le car repart, les laissant sur le
côté, le chauffeur se relève péniblement, Sophie va l'aider, il dit seulement : "Je
ne peux même pas prévenir." Le car est plein mais il semble vide, seul son conducteur
est visible, les autres sont planqués assis par terre entre les sièges ou couchés
dessus. Le conducteur a travaillé un temps dans la compagnie et sur cette ligne même,
il connaît le parcours.
Les photos des journaux du lendemain montreront un car vide qui force la barrière
mise par la police en travers de la route, celle-ci éclate, les policiers qui avaient
fait signe de s'arrêter ont été surpris quand il a foncé sur eux, ils ont juste eu
le temps de s'écarter, maintenant ils n'osent pas tirer, ils devraient, ils n'osent
pas, qui sait s'il n'y a pas des passagers ligotés par terre ... ? Un policier vise,
on voit son chef crier dans sa direction pour le stopper. La photo suivante montre
les maghrébins apparaissant aux fenêtres, hilares, hurlant, ils se fichent de la
figure des policiers, le car s'éloigne, ils ont ga-gné, ils ont ga-gné, l'exploitation
de la peur de la bavure leur a permis d'arriver en renfort dans la péninsule. Une
troisième photo montre les passagers débarqués arrivant à leur tour vers la barrière
désormais défoncée. Ils expliquent au lieutenant ce qu'ils ont subi. La seule réponse
est que l'on va prendre leurs dépositions; il comprend, bien sûr, mais il ne peut
rien. On entend les tirs disséminés sur la péninsule. Pourtant des passagers voudraient
s'y rendre. La police refuse. C'est trop dangereux. Au-delà de la barrière on ne
maîtrise plus rien, c'est la guerre. "Si l'un d'eux est tué il devient un martyr
et nous des assassins; comment voulez-vous qu'on gagne une guerre où on a juste le
droit de recevoir les balles ?" Quel politique renoncerait à sa carrière pour sauver
son pays en donnant le permis de tuer ? La décadence était trop avancée pour que
l'on puisse se défendre. L'inquisition avait pourri les esprits, anéanti les résistances
jusque dans les têtes. La manipulation mentale et le lavage de cerveau médiatiques
avaient laissé les citoyens cons et pleurnichards. Rien ne pouvait être fait. Ceux
qui se défendaient dans la péninsule auraient tort devant la jiustice; s'ils blessaient
ou tuaient un assaillant, la presse et la jiustice se chargeraient de les détruire
avec les hordes de "jeunes" indignées que l'on attente à la vie de l'un des leurs
sous le prétexte qu'il volait, une vie pour des choses !
Les renforts de CRS et de Gardes mobiles n'arrivaient pas. Ils avaient été bloqués
à une dizaine de kilomètres au moyen de blocs de pierre sur la route. Ceux qui étaient
sortis des cars avaient essuyé le feu nourri de kalachnikovs. A l'évidence toutefois
on n'avait pas voulu les atteindre. Pour passer il avait fallu une action de commando
des CRS des cars les plus éloignés. Ils avaient progressé d'arbre en arbre, puis
essayé de tourner l'ennemi. A l'assaut final, alors que les tirs avaient cessé depuis
un moment, ils n'avaient trouvé personne. On était reparti. Moins d'un kilomètre
plus loin, même scénario. Et encore une autre fois. Et encore une autre. Mais maintenant
les cars traversaient la ville, ils arriveraient dans quelques minutes.
Sophie avait demandé avec insistance des nouvelles de Jean. A tout hasard elle avait
même "exigé", puisque ça marchait pour les autres on ne sait jamais. Mais non, le
mot magique n'agissait pas prononcé par les autochtones. Elle regarda passer l'armée
des renforts. Une trentaine de cars. Ils s'arrêtèrent deux trois cents mètres après
la barrière, on voyait les forces de l'ordre sortir les boucliers, finir de se préparer;
puis elles se divisèrent en trois escadrons, chacun avait un rôle précis, l'un de
garde ici, un autre de contournement par la voie circulaire pour rabattre les assaillants
vers le premier, le troisième d'intervention dans les propriétés par petits groupes
sur toute la colline. Ils essuyèrent les premiers feux dès leur entrée sur la "corne
d'or" comme on l'appelait; apparemment ils n'avaient pas prévu qu'au fur et à mesure
de leur progression l'autre corne serait envahie, pas intéressante pour les pillages
mais puisqu'elle restait la seule issue terrestre... Les bateaux empruntés pour l'abordage
il n'y en avait pas assez pour tous et puis les Gardes-côtes sillonnaient les baies,
sans efficacité il est vrai vu leur nombre insuffisant. La corne basse a un port
de plaisance et naturellement dans un port on trouve des bateaux. Qui ne servaient
en ce moment à personne. Qui ne servent quasiment jamais. Les Gardes-côtes bloquèrent
la sortie du port dès qu'ils comprirent. Désormais, étant donné l'afflux d'assaillants
en fuite devant l'avancée là-haut des CRS et des Gardes mobiles, ils devinrent la
cible. Il fallait faire sauter ce bouchon coûte que coûte. Et vite. On n'épargna
rien. A la nage, en barque, protégés par le feu nourri de ceux planqués sur la jetée
on donna l'assaut. Un seul (sur dix-huit) des Gardes-côtes survécut. Les bateaux
pris on s'y mit en aussi grand nombre que possible, on gagna la côte et on les incendia.
Les copains suivirent dans les bateaux "réquisitionnés". Là-haut les tirs avaient
cessé mais les prisonniers étaient peu nombreux. Tous ces faits sont bien connus
car beaucoup filmaient fréquemment sur leurs portables et le soir même mirent leurs
exploits sur l'internet. En les visionnant ce serait la fête au pays, de l'autre
côté de la Méditerranée.
Dans son journal (de vingt heures), Pourat fut sévère pour les forces de l'ordre.
Tant de moyens mobilisés pour quelques tireurs isolés ! Et pendant ce temps un peu
plus bas on tuait des fonctionnaires mal équipés ! A qui la faute ? A qui ! Les têtes
des coupables doivent tomber ! En outre il y avait eu des brutalités policières.
Encore ! Sur d'innocents immigrés pris, arrêtés, sans preuves, sans armes à la main
! A quand la torture pour leur faire avouer ce qu'on voudrait qu'ils avouent ?
Le ministre de l'Intérieur, convoqué par Pourat en son journal, dut s'expliquer.
Et sans exactement présenter ses excuses, il déclara qu'il y aurait une enquête interne
pour évaluer les responsabilités.
Sandra avait emmené Jean. L'ambulance était d'abord remontée vers l'unique route
de sortie puis, malgré deux policiers, elle avait brusquement tourné et avait franchi
à grande vitesse le raidillon qui donne accès à la corne d'or. Là on évita les pompiers,
on ne prit évidemment pas l'anneau mais de bout de route en chemin de terre on grimpa
jusque chez Jean. Il n'y avait plus personne autour. La maison était dans un état
lamentable. Jean, soutenu par Sandra, parcourut les lieux. Il faudrait une fortune
pour une remise en état. Il ne l'avait pas. Les assurances s'arrangeraient pour faire
traîner jusqu'à sa mort. Les vols, plus l'incendie, plus l'eau pour éteindre l'incendie
avaient eu raison du rêve. Il n'avait pas survécu. Jean refusait de s'en aller. Il
refusait de céder devant la bêtise, l'avidité, l'envie de salir ce qu'ont les autres,
de la détruire puisqu'on ne peut l'avoir. Le seul endroit habitable était l'ambulance.
Jean passerait la nuit sur la couchette de malade. Après sa piqûre du soir il était
resté les yeux ouverts sur autrefois, il méditait ou il songeait. Le chauffeur et
l'aide-soignante avaient cherché dans la maison puis s'étaient introduits dans celles
voisines, en meilleur état mais vides, ils y avaient trouvé dans les frigos arrêtés
quelques provisions directement consommables; les pillards eux cherchaient des biens
plus précieux. On mangea en silence entre les arbres calcinés et les flaques d'eau
que la chaleur commençait d'assécher. Les étoiles sans coeur rayonnaient merveilleusement
sur le désastre du jour. L'aide-soignante après avoir écouté à la radio des nouvelles
qu'elle connaissait (et pour cause) prit les sièges avant comme lit, le chauffeur
se chercha un endroit sec pour y étendre une couverture, Sandra resta sur le siège
à côté de Jean; elle s'endormit très vite, on eût dit que c'était lui qui la veillait.
Il n'avait jamais été un homme de l'espérance. Celui qui voit la vie, ce qu'est la
vie, n'espère rien de la vie. Le désastre de sa maison ne le surprenait pas, il ne
s'y attendait pas non plus;; il était bien là avant, il n'avait pas d'autre endroit,
il y était revenu. Sans doute n'aurait-il pas dû appeler Sandra. Il avait été faible.
Il était faible. Sandra savait qu'un jour il serait faible et que malgré lui il l'appellerait.
Il suffit de penser aux gens pour qu'ils soient là. Sandra était là. Elle ne partirait
plus. Elle ne le quitterait plus. Sandra est une ancienne danseuse nue. Sa vie a
vendu sa beauté. Que faire d'autre ? La théorie s'amuse de potentialités innombrables
pour chacun, la théorie est de la littérature, Sandra n'a trouvé qu'un chemin, périlleux,
mal entretenu, un sale chemin qui ne lui plaisait pas; mentalement elle est restée
au bord, elle est restée devant sans y poser le pied, son corps seul s'est avancé,
parce que les corps sont mouvement, ils ne peuvent rester sur place, sauf si la paralysie
les bloque, les y contraint pour une autre torture, il s'est avancé sans elle, la
petite fille regardait du début du chemin vivre ce corps dans lequel elle ne se reconnaissait
pas.
Pendant la nuit Jean se réveilla, il poussa tout doucement Sandra sur la couchette,
elle fut sur le point de s'éveiller, mais non, et il sortit. Des forces lui étaient
revenues pour l'adieu. Pour un adieu il faut être seul. Il revit chaque pièce, chaque
coin de sa maison sans étage, à peine visible de quelque endroit que ce soit, enfouie
dans ses arbres, il revisita chaque souvenir, chaque moment; puis il se mit à effacer
ses dernières traces. Ceux qui viendraient après sa mort ne s'empareraient d'aucun
souvenir, il détruisit les derniers objets ou quand ce n'était pas possible les rendait
inutilisables : une chaise fut démontée à coups de pied, les fragments jetés dans
des directions diverses, les pièces d'un jeu d'échecs furent écrasées à coups de
pierre, une petite table d'acajou intacte de façon incompréhensible fut brisée...
Le chauffeur et l'aide-soignante durent entendre mais il avaient aussi vu Jean sortir
de l'ambulance, ils se rendormirent. Seule Sandra ne s'éveilla pas, mais Sandra était
le dernier souvenir, elle était destinée à être le dernier souvenir, celui auquel
on n'arrive pas à renoncer. Il ne resterait rien. Rien ! On n'achètera pas aux enchères
des objets parce qu'ils auraient appartenu à Jean; nul doute que certains n'aient
été prêts à payer cher. Un homme disparaît de la terre, sa fierté est de ne rien
laisser. Embarqué non volontaire il ne laisse rien de lui. Il n'a pas collaboré au
monde, il n'a pas collaboré à cette horreur qu'est le monde. Jean n'est pas d'ici.
Le passant de la terre efface les traces de ses pas.
Dans un de ses "contes" (Jean n'écrit pas mais des gens qui sont allés l'écouter
ne peuvent s'empêcher d'enregistrer, de filmer, de mettre par écrit ce qu'ils ont
entendu; les paroles se figent en textes que l'on retrouve partout, sur l'internet,
dans les librairies; ces gens ne comprennent pas que les mots de Jean n'ont d'âme
que dans l'instant, un instant ne se communique pas, il est unique, il ne reviendra
jamais), jugé par certains énigmatique, mais certains qui l'ont seulement lu ou qui
ont seulement entendu ou vu un enregistrement, Jean décrit une cave emplie de malheureux
chaînes au cou, aux pieds, aux mains, la chaîne du cou reliée à un anneau dans le
mur; au centre sont les instruments de torture pour les punitions; au centre il y
a la terreur. Le bourreau descend les marches. On sait qu'il va punir. Là-haut, en
surface, on cherche un ou des criminels, des gens sont enlevés, parfois on retrouve
leurs cadavres, affreusement mutilés; ici le criminel est la justice, il est la toute-puissance.
Il saisit une femme par les cheveux, elle a été enlevée il y a trois jours, elle
supplie, elle a peur; elle a déjà "vu"; le bourreau est masqué, il est la loi, il
détache le collier de la femme, elle tombe devant lui, elle a vu ce qu'il fait, elle
l'a vu - était-ce avant-hier ? - couper un membre, un bras d'une de ses proies, il
la ranimait pour qu'elle sente les lames de la scie; elle supplie, elle obéira, elle
demande pardon, il jouit d'elle devant les autres et elle remercie, elle croit échapper
à a punition, elle croit acheter le pardon. La cave est pleine d'amputés, plusieurs
en phase finale; la cave est pleine de justice. Le bourreau aime aussi expliquer.
Il s'est redressé, il saisit la femme et la traîne jusqu'à un appareil étrange, il
l'y attache. Il prend plaisir à lui expliquer le mécanisme, des pointes vont s'avancer
vers ses yeux, elles vont s'enfoncer dans ses yeux. La femme ne peut pas y croire.
Elle fera tout ce qu'il veut. Il a déjà ce qu'il veut. C'est cela qu'il veut. Elle
n'a plus la force de hurler. Il prend un fouet et il la bat durement, lentement.
Elle ne hurle pas sous le fouet. Elle ne peut plus pleurer. Elle voit les pointes
devant ses yeux. Elle sait que c'est la dernière chose qu'elle verra, elle veut fermer
les yeux. Il lui rouvre les paupières, de force, il met du collant aux paupières
pour qu'elle ne puisse pas les fermer. Dans la cave les autres voudraient ne pas
regarder, ils savent qu'il seront punis s'ils ne regardent pas, ils seront punis
de toute façon mais ils regardent car ainsi ils ne seront peut-être pas le prochain.
La femme n'a plus d'espérance, elle cherche à espérer : c'est un cauchemar et il
va finir, mais ce n'est pas un cauchemar; le bourreau lui caresse tout doucement
les cheveux, il veut jouir d'elle au maximum; elle cherche une espérance dans le
hasard qui pourrait amener ici des hommes, dans l'intelligence qui pourrait amener
les enquêteurs à sa recherche ici, en Dieu auquel elle ne croit pas - elle ne croit
pas en sa propre espérance, son espérance est vide, elle n'a pas de solution. Le
bourreau lui enfonce les pointes jusqu'au fond des yeux. Elle criera des jours dans
le noir devenu sans fin, il s'assied à côté d'elle, sans qu'elle le sache, pour la
regarder crier. Personne ne sait quand la punition va tomber sur soi; nul n'échappe;
il n'y a pas de solution. La cave des horreurs sera découverte un jour; la puanteur
était telle que des voisins avaient prévenu les égoutiers de la commune. De refus
de les laisser entrer en insistance des voisins, de visite amicale d'élus en menaces
s'il refusait d'obtempérer, l'homme avait dû tenter de vider sa cave en catastrophe
avec sa femme qui l'aidait à nourrir les punis et à panser leurs plaies pour qu'ils
restent en vie le plus longtemps possible. C'est un simple chien qui, d'une certaine
manière, les arrêta. Son flair s'intéressa à leur chargement entre leur porte et
leur camionnette; le contenu des sacs l'attirait; il les harcela si bien qu'ils laissèrent
choir un sac qu'il déchira; des voisins de leurs fenêtres virent des restes qu'ils
identifièrent immédiatement quoique à distance comme humains. Le bourreau et sa noble
compagne ne furent jamais accessibles qu'aux seuls regrets de ne pas pouvoir continuer
l'horreur.
Deuxième partie.
I
Avec tout ce cirque partout, les routes bouchées, les interdictions de prendre telle
rue alors que d'habitude justement... et puis alors je passe par où ? Impossible
de s'y retrouver. Le foutoir. Le foutoir complet. A cause de ce qui se passe sur
la péninsule. Le mal a gagné le dehors. Pourquoi ? Pas d'explication, évidemment.
On ne sait rien. L'agent qui est au point de déviation ne sait rien. La radio, la
télé ne savent rien. On est bien obligé d'obtempérer. J'ai essayé de protester, les
forces policières ont montré les dents. Je fais demi-tour, je rentre la voiture au
garage; je vais prendre le train.
Ça va de travers pour moi, il faut que je me rassure par Karine. Ce que ça doit l'amuser,
ce cirque. Surtout si elle sent - et on dirait souvent une infaillible voyante -
que je suis tombé dedans. Elle, elle est en-dehors, ou bien elle est l'oeil des cyclones,
bref elle n'est pas ballottée, secouée; elle écrira une chanson. Karine, journaux
par terre, sur les meubles, télé son coupé, radio à fond, écrit la chanson; j'en
suis certain; j'ai un sixième sens spécial qui me souffle où est Karine, à quoi elle
s'occupe. A la gare, plein de monde. Joyeux. Comme nous avons tous eu la bonne idée
en même temps elle s'est métamorphosée en mauvaise idée. Je vais boire un café. Je
reviens... il n'y a plus personne. Où sont les gens ? Un train part à l'extrême bout
d'un quai. Eh quoi ? Notre train était en retard mais il viendra d'une autre ville
avant et celui-là qui fout le camp je l'ai vu et revu, je suis allé jusqu'à lui,
fermé, aucune indication... Furax. Allons aux renseignements... Là il y a du monde.
Une belle file. Ceux qui ont été piégés comme moi sans doute. Après ça on s'étonne
que je déteste les gares et le train. J'abandonne la file; à quoi bon ? les renseignements
ne font pas venir les trains. Je retourne sur mon quai. Des forces de police l'occupent,
elles me jettent un vague coup d'oeil, pas plus, ça va... Quelques personnes aperçues
aux renseignements arrivent; bon signe. On attend... On attend... Ah ? Un train.
Il vient ici. Mon train ! Il s'arrête, il est bourré de monde. Les portières s'ouvrent,
la police empêche de descendre, elle nous empêche d'approcher. Des cris. Des protestations
de tous les côtés. Le train s'arrête et on n'en descend pas. Et on n'y monte pas.
C'est absurde. Le train attend. Quoi ? On ne nous donne aucun renseignement. Les
cris, les protestations cessent. Cinq minutes. Dix minutes. Vingt. Sifflet. Le train
repart. Mais les gens qui venaient là ? On apprendra le soir à la TV qu'il y avait
une échauffourée à quelques rues de distance; ceux qui avaient fui la péninsule avaient
aussi pensé à prendre le train, ils s'étaient heurtés à de nouvelles forces de police.
Les clients descendront à la prochaine. Le train parti la police s'en va aussi. Le
temps passe, je pense à rentrer chez moi mais quand j'ai décidé de partir je me résous
difficilement à l'échec. Je reste tout de même. Brusquement le haut-parleur donne
enfin une indication, un train stationné au quai 6 va partir et dans la bonne direction
! On fonce. Tous foncent. Dans la joie retrouvée. On s'installe. Et on attend. On
attend. Dix minutes. Quinze. Sans nouvel avertissement le train part. On apprendra
le soir que, des insurgés ayant réussi à contourner le barrage policier, pour qu'ils
ne trouvent aucun train, la direction avait décidé de faire partir le dernier, le
seul à quai. En tout cas nous voilà partis ! Et avec place assise s'il vous plaît
!
L'euphorie règne dans les coeurs meurtris par l'attitude SNCF. Nous étions venus
si pleins de confiance en elle, et elle nous avait traités avec mépris. On s'était
sentis bafoués, humiliés. Maintenant elle se rachetait; le train mis à notre disposition
fonçait le long de la mer pour regagner nos coeurs. On n'alla pas loin. A cause des
gares, il y en a partout, tous les trois quatre kilomètres. Notre train spécial n'avait
pas d'ordre pour en sauter une seule. Des gens en profitent pour monter. Heureusement
ils étaient peu nombreux, dans mon wagon il reste des places. Seuls deux types avec
une petite fille se sont installés. Personne à côté de moi. Je regarde le paysage
côté collines; sur la route proche parfois des cars de police à toute allure, par
cinq six, dans les deux sens. La petite fille danse sur les dessus des fauteuils,
les accoudoirs, son père (si j'ai bien compris) a cru devoir l'empêcher de tomber,
elle a ri, elle ne peut pas tomber, elle est danseuse. On entend des coups de feu.
Plus rien. Nouvel arrêt. Trois personnes encore ici. Et v'lan une à côté de moi.
Ces gens demandent pourquoi il n'y a pas eu les trains aux horaires normaux. On n'en
sait rien. Notre train n'est pas le grand sauvage, le grand fou, amateur d'excès
de vitesse, ivre du vent; la réalité, je vais la dire, eh bien voilà, il nous déçoit.
On attendait plus de lui. La petite fille perchée gracieusement sur le dossier du
fauteuil de l'ami de papa (si j'ai bien compris) me regarde, m'examine avec un grand
sérieux, je la fixe sans qu'elle détourne le regard, elle m'examine jusqu'au fond
des yeux; puis elle se remet gracieusement à danser. Le train s'arrête, on fait des
gares vraiment partout. Ah mais, cette fois il y a du monde. Une bande de maghrébins,
dix douze rien que pour notre wagon. On comprend ce qui s'est passé; les policiers
ont concentré leur effort sur puis autour de la péninsule, les fuyards qui n'ont
pas pu prendre le train en ville ont dû aller trois gares plus loin, tout de même
ils ont fait vite. On aperçoit des vélos jetés en tas, des vélos en libre-service
de la ville, ils ont dû savoir pirater le système informatique, ou autrement... Pour
le moment ils se tiennent à carreau. Encore heureux. La petite fille s'est arrêtée
de danser pour examiner les nouveaux venus. Elle a bien senti que son père et l'ami
étaient tout d'un coup nettement moins souriants. On se remémore certaines histoires
de train récentes : des "jeunes" y cassent tout, terrifient les voyageurs, leur prennent
leurs montres, leur argent, tout ce qui a de la valeur, les baladeurs, les téléphones...
puis tirent le signal d'alarme, descendent tranquillement. L'un des passagers avait
réussi à avertir la police avant d'être trouvé par la meute. On l'a retrouvé dans
un état lamentable. C'est que les gens qui travaillent par définition ne passent
pas leur temps à faire de la musculation. Deux filles avaient été violées dans ce
train.
Ces meutes, on croyait que c'étaient des chiens et c'étaient des loups. Maintenant
ils étaient dans notre wagon à nous, tout pouvait arriver. Les passagers évitaient
les regards, on faisait comme s'ils n'étaient pas là, comme si on ne savait pas ce
qu'ils étaient. Le bon Pourat en sa télé disait que la peur de l'autre est une stupidité
du manque de tolérance, tu parles, il ne risquait rien, lui, on lui faisait des cadeaux,
il était pour eux; mais pas nous. Leurs regards sur nous s'efforçaient d'être sympathiques,
on sent quand il s'agit d'un effort; notre espérance était qu'ils aient intérêt à
ne pas attirer l'attention de la police, qu'ils aient intérêt à ne pas bouger. Soudain
l'un d'eux qui avait en permanence son portable à l'oreille tira le signal d'alarme,
tous descendirent. Le train repartit. La gare après grouillait de policiers. Ils
montèrent, posèrent quelques questions, examinant chacun. La petit fille interrogeait
papa et son ami, ils répondaient à côté, ils voulaient surtout qu'elle n'ait pas
une peur rétrospective. Je me dis que les conséquences peuvent être lourdes quand
on cache la réalité aux enfants. En tout cas on se sentait délivrés. Légers. La petite
fille se remit à danser sur les sièges, on se sentait danser avec elle. Le train
s'arrêta à la gare suivante. Des "jeunes" montèrent, moins nombreux que la première
bande... j'en reconnus deux parmi ceux qui montèrent dans notre wagon; c'était la
même, les policiers nous avaient fait perdre beaucoup de temps, eux avaient couru
jusqu'à la gare après, ils sont forts en sport; maintenant la police ne penserait
pas qu'ils étaient dans notre train, ils seraient tranquilles jusqu'au bout, à condition
que personne ne puisse prévenir par téléphone et que personne ne descende avant eux.
Aussi en entrant, à la différence de la première fois, se répandirent-ils dans tout
le wagon. Si quelqu'un sortait son téléphone, même pour répondre à une sonnerie,
le plus proche bougeait légèrement la tête en signe que non en s'approchant, il n'y
avait pas le choix; quand quelqu'un voulut descendre, même signe de ceux qui gardaient
la porte. Il paraît que dans un autre wagon un homme voulut forcer la sortie et fut
assez maltraité. Ils descendirent tous dans la grande ville suivante, une heure et
demie plus tard, je descendais là aussi.
Jean écoutait la guerre autour de lui. Il ne l'avait certes pas voulue. Il avait
toujours cherché des arguments pour les opposer à Paul qui l'annonçait comme inéluctable,
il en avait trouvé, il en avait fourni - involontairement - à Pourat, à Louzette,
à Lindrone; aujourd'hui il s'avouait qu'il avait raisonné contre le réel. La réalité
lui avait souvent paru une sorte de pieuvre sadique qui s'amusait de toutes ses tentacules
et contre laquelle il luttait. Le héros sait qu'il ne peut pas vaincre, il lutte
néanmoins. Et plus tard les gens voient le danger, plus longtemps ils jouent à se
croire heureux; l'enjeu est de taille. Le canot est entraîné inexorablement vers
le précipice, l'impressionnante chute d'eau admirable depuis la berge, regardons
les jolis poissons.
Sandra vint jusqu'à lui. Il fallait partir, il n'y avait plus rien, il avait fini
le travail des pillards, tout était brisé. Mais aller où ? L'ambulance descendit
lentement la colline. On croisait des insurgés, des groupes de policiers en armure,
ils jetaient un vague coup-d'oeil ou bien il fallait s'arrêter. On arriva sur l'anneau
et là on traversa une véritable troupe; l'accès à la péninsule, lui, ressemblait
à une frontière en temps de guerre. Ensuite il n'y eut plus de problème.
Sophie était repartie quand l'ambulance passa. Qui ne conduirait pas Jean chez elle,
bien sûr. De la part de Sandra ce serait curieux. Sandra est très possessive. Elle
est totalement à Jean. Quand il l'a appelée, l'appel l'a trouvée prête, consentante
sans limite, elle sait qu'elle est la mort de Jean.
Les places de parking le long de la route côtière sont vides. Des policiers de place
en place interdisent tout arrêt. La leçon d'hier a servi.
Vue de la côte la péninsule semble à peine différente, on aperçoit juste un peu de
brûlé par-ci par-là, pas tellement. De l'intérieur on voyait un désastre. De quel
côté se trompe-t-on ? Peut-être a-t-on grossi l'événement ? La grenouille a enfin
réussi à devenir éléphant.
Ce jour-là parmi les nouveaux morts qui intéressèrent la presse : un policier habilement
isolé qui une fois tombé à terre fut achevé à coups de pied par des "jeunes", une
femme qui passait sous le prétexte qu'elle était chez elle, trois employés de maison
qui avaient cru devoir défendre une maison qui n'était pas la leur, et deux "jeunes".
Une enquête définirait dans quelles conditions.
Les soubresauts au ralenti d'un pays qui meurt, livré pas certains des siens, attirent
les voyeurs du monde entier. La presse sans pudeur fait son métier de proxénète,
elle convertit le malheur des uns en jouissance des autres, elle offre la tragédie
embellie de perles des larmes au désir irraisonné des foules avides, elle assouvit
leur sadisme, complaisante à leurs attentes, elle la vend sans scrupules et les foules
pensent qu'elles n'ont pas à avoir de scrupules puisqu'elles ont payé.
Y avait d'la tragédie partout, d'la pute premier choix. Les plaisirs des foules sont
des orgasmes de mort.
On traversa la première ville, puis Jean indiqua le village rarement inspiré de son
frère assigné à résidence. Il est piéton, le parking est à ses portes. L'aide-soignante
alla chercher Paul. Celui-ci abandonna sur-le-champ pinceaux et clients marmonnant
: "Pouvait pas téléphoner..."
Le chauffeur alla se promener dans le village; l'aide-soignante buvait une boisson
forte à la terrasse d'un café, regardait les passants autrement que par ses yeux
habituels, comme si elle était la boisson forte. Dans ce cas-là pour elle toutes
les rencontres étaient possibles. Et elle s'accordait juste la pensée du possible
qui s'accomplissait. Qu'elle accomplissait à fond, tel un rôle, cédant à tout pour
avoir la sensation de vivre intensément, de vivre une véritable aventure avant de
retourner à la vie.
Jean était venu pour l'adieu au "petit". Il allait vers sa fin, elle était proche,
ils ne se reverraient plus. Ils n'avaient pas précisément quelque chose à se dire,
l'émotion était forte.
Ils discutèrent aussi des événements. Jean basait son explication sur l'impossibilité
du pardon. Quand les intérêts ont abouti à tant d'abus, que les intérêts contradictoires
se sont renforcés de ces abus, que les fossés entre eux se sont trop creusés, qu'on
ne peut plus combler ces fossés trop creusés, le passif devient impardonnable. On
endort un temps les conflits, les politiques distribuent de l'argent, truquent des
élections, les journalistes déversent une propagande mielleuse, on multiplie les
films-cultes bien-pensants, les chansons-cultes bien-pensantes, et toute la mêlasse
des téléfilms, des feuilletons, des matches de foot, des compèts mondiales... Les
vieilles recettes font gagner du temps aux profiteurs de l'effondrement. Mais un
jour les vapeurs médiatiques, artistiques, politiques et sportives se dissipent,
l'ivresse cesse, la réalité montre sa tête sous les vapeurs qui s'évanouissent. La
réalité est l'ennemi. Celui qui l'aperçoit cherche à la tuer. Il n'y a pas de solution.
Le pardon est impossible. Il faut tuer pour avoir la place. Occuper la place. Ceux
qui disent vouloir partager sont ceux qui ont le discours pour prendre. Ceux qui
se laissent duper par les discours sont les tués et ils sacrifient les leurs par
naïveté. Il faut être le plus fort. Celui qui n'est pas le plus fort chez lui, perd
chez lui, il laisse chez lui au plus fort. Qui s'y est introduit grâce au discours
du partage. Celui qui n'est pas le plus fort chez lui est faible; le faible doit
céder la place à un plus fort. Il n'y a pas de pardon possible. Il n'y a pas de solution.
Paul voyait le feu, voyait le sang; il était d'accord avec Jean mais version sociale.
Les conflits de classes recouvraient les conflits ethniques, le prolétariat importé
attaquait les positions conservatrices, les fortifications conservatrices qui s'étaient
d'abord maintenues par l'apport de cette main-d'oeuvre étrangère, le système ne pouvait
durer, le prolétariat autochtone finissait par comprendre malgré les médias, les
immigrés voient le gâteau à portée de kalachnikov, et qui pour le défendre ? Les
profiteurs sont gras, les autres ont été écartés parce qu'ils ne permettaient pas
assez de profit, la défense semble faible.
A cela se superposait encore le problème religieux c'est-à-dire de civilisation.
La civilisation de la misère aux portes du paradis de l'opulence perdait toute mesure
par l'envie, l'avidité gloutonne, le vernis religieux craquait de toutes parts, la
condamnation des biens matériels se noyait dans les biens matériels. L'ivrogne ne
peut pas s'arrêter de boire avant d'être ivre mort. Le coma éthylique est son destin,
la peur n'arrête pas, boire est un besoin.
Chacun accuse Caïn. Chacun est justifié puisqu'il est victime. La mort s'amuse. La
musique des pleurs des femmes quand elles n'ont pas été les plus fortes et qu'elles
jouent la dernière partition pour être les plus fortes. Le sang retourne à la terre.
Paul regardait l'ambulance repartir, des gens le klaxonnèrent, ils avaient repéré
la place libre, planté là il les gênait. Il rentra chez lui à petits pas. Ce jour-là
serait celui des souvenirs. Le monde qui peuplait sa tête s'en évadait pour peupler
le village, des gens du passé s'emparaient des corps des touristes et les rues s'animèrent
d'époques diverses devenues coexistantes. L'église se mit à sonner, le carillon sortait
de son sommeil si profond, des enfants sortirent d'une école en courant, les écoles
du temps rouvraient les unes après les autres. Le village d'art fut celui d'une âme
en détresse, une seule. Sa peur était le moment où les rues se videraient.
Les temps sont des erreurs, des successions d'erreurs incontrôlables. La sortie de
l'erreur fait peur. On pense qu'il n'y a rien au-delà. La vie est une crise de panique
dès que l'on prend conscience de son corps. Nous sommes des erreurs. Des erreurs
qui jouent à s'accepter. L'horreur est notre enfantement. Les erreurs enfantent le
monstre.
Qu'y avait-il à faire ? Qu'est-ce qui pouvait être fait ? L'utile est le carburant
de l'horreur. Tout acte appartient à un ensemble que l'individu satisfait de ses
efforts ne voit pas, préfère ne pas voir; le recul condamne même l'intention la plus
louable; les détails changent de nature dans la vue d'ensemble. Les années de Paul
condamnent forcément Paul.
Pourat et Louzette investis de la noble tâche de la tolérance pour l'invasion arabe
fulminaient contre l'incroyable répression policière qui s'abattait sur toute une
région à cause de quelques débordements à l'évidence grossis par les puantes forces
droitières. Il fallait de la pensée pour que les masses voient le droit chemin de
la saine raison. Tu vois, mon p'tit gars, c'est simple, c'est tout droit. Qui
était libre pour ce soir ? On se trouvait face à une urgence. Heureusement le brave
Lindrone était en pleine promo de son dernier film, il n'hésita pas et, convié, il
vint penser. En direct.
Il y avait provocation, voyons; évidence ! Des policiers en civil avaient incendié
des demeures probablement choisies comme appartenant à des opposants au pouvoir,
ainsi la répression paraîtrait justifiée à ceux qui ne réfléchissaient pas. Pourat
retrouvait le sourire; son petit sourire suffisant habituel, en écoutant cette lumineuse
démonstration. Enfin les aveugles virent. L'acteur Lindrone nouveau Jésus quoique
passé Maomais, enseignait la vérité médiatique gauchiste sans droit de réponse pour
les non-croyants. On eut aussi l'intervention, toujours en direct, d'un confrère
de Pourat à la presse écrite, directeur d'un hebdo américanisé de gauche, qui appuya
Lindrone, confirma qu'il supposait les mêmes suppositions et entonna le couplet "les
arabes sont de bons arabes alors pourquoi est-ce qu'ils ne seraient pas plus nombreux,
il ne faut pas avoir peur, il faut être tolérants, ce sera un grand pas de la tolérance
quand le pays sera aux mains d'un arabe musul au lieu d'être dans celles d'un Blanc
chrétien, à bas la civilisation judéo-chrétienne, vive le Maomais, vive les pétro-dollars,
vive le fric, vive la gauche et même la drouète quand elle collabore bien".
Juste après le journal la chaîne, payée par les impôts, donnait un téléfilm consacré
à la réhabilitation des femmes tondues à la libération de la Seconde Guerre Mondiale.
Depuis quelques années on avait insinué que ces femmes collabos étaient à plaindre.
Les maquisards torturés et tués passaient pour rien à côté d'une seule femme tondue.
Tondue ! Non mais, vous comprenez l'abomination ! Ces résistants qui tondaient les
femmes au lieu de les tuer étaient des sadiques. Elles avaient bien le droit de coucher
avec le boche si ça leur chantait la aïe ïe aïo o au lieu de la Marseillaise, chant
de mort soit dit entre parenthèses, Pourat, Louzette, Lindrone et les copains tous
pour la suppression de l'épouvantable chant nationaliste. Bref on avait commis une
injustice envers ces femmes qui avaient juste pensé à elles-mêmes au lieu d'entrer
dans l'absurdité de la guerre. Ces collabos étaient des héroïnes, oui monsieur, on
n'avait pas le droit de les punir. Elles préparaient l'après-guerre en somme, elles
avaient de l'avance; ceux, celles qui sont en avance sur leur temps ne sont pas compris
de leur temps. Et voyez ces femmes de nos jours qui couchent avec les arabes et les
nègres, qui se laissent féconder pour produire des arabes et des nègres, elles ont
compris le pluri-ethnisme et le multiculturalisme (quand on leur fait comprendre
avec quelques punitions qu'elles doivent devenir musuls, pour les enfants ce sera
mieux), elles sont l'avant-garde dans la troisième occupation et la TV les soutient
à fond. On avait payé cher un téléfilm pour ça avec plein de vedettes TV ravies de
collaborer à une opération de réhabilitation.
Par ailleurs on se livrait à une chasse sévère contre tous ceux qui utilisaient les
mots collaboration, résistance, invasion. On ne se contentait pas de la bannir des
médias. Les lois d'exception de Chosset pour empêcher la liberté d'expression en
déclarant racistes, xénophobes et n'importe quoi tous ceux qui tentaient de défendre
leur pays faisaient merveille; Pétain n'était pas allé aussi loin; Munich sous Chosset
était devenu la vérité permanente. Brave TV, comme elle travaillait bien à la mort
de son pays ! le fric des impôts y dégoulinait détourné pour le service public de
l'étranger.
Toute la soirée sur la chaîne-Pourat fut donc consacrée à la pensée. Les gens sensibles
pleurèrent devant leurs écrans à la vue des cheveux tombant des héroïnes incomprises.
Comment avait-on pu commettre un méfait pareil ? Les pauvres... Les musuls comprenaient
qu'il s'agissait d'empêcher des femmes de devenir musuls et ils s'indignaient; de
quel droit voulait-on les empêcher eux de devenir les plus nombreux ici et de s'emparer
du pays, ils y étaient nés pour beaucoup, ils étaient chez eux, quoi, le pays était
à eux, quoi, et il devait devenir musul comme eux, quoi. C'est ça la liberté de religion,
que les chiens de chrétiens qui ont construit ce pays le perdent au profit des pétro-dollars
qui investissent pour Maomais. C'est ça les libertés démocratiques. Et vive Chosset,
le bon musul malin qui a bien servi la tolérance, les finances de ses copains et
les siennes.
Que de braves gens dans la France torturée avalaient la propagande baptisée liberté
de la presse et subissaient le matraquage médiatique baptisé démocratie. Avant ce
magnifique exemple dont on se serait bien passé on avait toujours cru que la liberté
de la presse permettait l'information qui permettait le vote en totale connaissance
de cause qui permettait la pérennité de la démocratie. Les cadeaux aux journalistes
et le développement du stupéfiant image avaient bouleversé la théorie, internet l'avait
achevée. On croulait sous les informations mais les informations déformées comme
dans un miroir spécial, et parmi elles même les plus perspicaces souvent ne discernaient
pas les justes. Le monde s'était déformé des regards viciés de l'information. Les
illusions s'étaient épaissies au point de former une sorte de brouillard, un brouillard
de fausseté et d'erreur; or comme chacun sait, le seul moyen d'en sortir, c'est de
le couper au couteau.
On ne tue pas des illusions sans tuer des hommes. Derrière chacune d'elles se cache
des hommes. Il faut ne pas avoir de coeur pour détruire une illusion. C'est cruel.
Forcément. La tentation de ne pas être cruel est forte. Qui veut assumer les morts
? Chosset passe pour bon, celui-là passerait pour le mal incarné. Renversement sensible
de la vérité que l'histoire reprendrait de la presse. On ne peut pas sauver la démocratie
sans dégorger la presse. La presse libre est comme Calchas, elle est aveugle. Elle
lutte de toutes ses compétences contre la démocratie dont elle se nourrit, elle est
un ver dans le fruit, un parasite qui certes protège contre d'autres parasites jusqu'à
ce que, devenu sans adversaire puissant, il prenne le pouvoir et dévore la fruit
sans voir qu'il programme sa propre mort.
La curiosité des pauvres devant leurs télés venait en grande partie de ce qu'ils
avaient en elle une fenêtre permanente sur le luxe, le vice. Les animateurs ne cessaient
de tenir des propos obscènes et d'en faire dire à leurs "invités", on les écoutait
en famille, prêt à punir les enfants pour un gros mot. La TV vous offrait quotidiennement
les plus belles femmes, elles se déshabillaient, elles étaient nues, elles baisaient
devant vous, on leur écartait les bras, on leur écartait les jambes, on les retournait.
On vous en mettait plein la vue, si l'on ose dire. Puis les Pourat et les Louzette
casaient leurs "informations". Une parenthèse du monde irréel. La parenthèse avait
des bords qui n'étaient pas imperméables. On retrouvait dedans des infos sur les
films, les chanteurs, les scandales, la drogue, on retrouvait en vrai ce qui soi-disant
hors des parenthèses était du faux. On y voyait les mêmes actrices, les mêmes acteurs,
les mêmes chanteurs, mais en plus les producteurs, les réalisateurs surtout, bref
les magiciens, du moins les illusionnistes, ceux qui réduisaient des braves gens
à l'état de marionnettes. Que ne doit-on pas à ces artistes, parfois grands artistes,
qui vous changent la vie; vous leur livrez la vôtre en temps, en bon argent gagné
au travail par la redevance TV ou les billets d'entrée aux spectacles, et eux, mais
c'est de l'art, ils vous refilent de la fausse monnaie. Vous ne ferez rien avec ce
qu'ils vous ont donné quand vous ressortirez de leur illusion particulière, si vous
trouvez la sortie de leur art, certains ne trouvent pas, rien de bon avec de la fausse
monnaie. Et si les gabelous vous pincent, vous, votre fausse monnaie ne passera pas,
vous paierez encore en prison ou en argent gagné au travail, pour le plaisir de l'art;
de l'art et de l'information à la Pourat, à la Louzette; cochon de payeur, l'art
t'attend au coin de la rue bien caché dans de l'information, ou bien c'est l'inverse,
on ne sait plus, en tout cas on va te rançonner, te racketter; le couple infernal
a de la morale, parfaitement, de la morale qui rapporte, qui rapporte gros sinon
le jeu des illusions ne vaut pas la chandelle. Laissez-les créer votre monde, laissez-les
faire le monde, ayez confiance - ce sera à leur profit.
II
On apprit qu'un vieux s'était fait exploser dans une "cité". Ce vieux était un Blanc,
un catholique de surcroît. Peut-être n'aimait-il pas le Pape ? Il avait enfreint
règle sur règle, loi sur loi : suicide, meurtres, tolérance de l'invasion, racisme
ou antiracisme (c'est tout un), respect de la vie humaine, commandement biblique
etc... Une soixantaine de morts. Des "jeunes" comme dit Pourat, pour l'essentiel;
quelques femmes à nombreuse progéniture aussi. Il n'avait averti personne. Personne
n'avait eu le moindre soupçon. Un brave petit vieux en sa maison de retraite paisible.
Apparemment il en avait eu assez d'attendre la mort; au lieu d'attendre il avait
choisi. Chosset avait agi en sorte, supprimant toute information militaire pour les
jeunes Français, qu'ils ne sachent pas se défendre, mais lui était aussi vieux que
Chosset maintenant en retraite d'or noir; il s'était confectionné une bombe et il
s'était fait sauter avec.
Renseignements pris par Pourat et Louzette, ce vieux n'était pas un bon vieux. Il
voulait libérer son pays au lieu d'être tolérant. L'horreur. On lui donnait pourtant
bien à manger dans sa maison de retraite. Son comportement atroce suscitait l'incompréhension.
Du moins officielle et journalistique. Suivant son habitude la presse généralisait
: 'Tout le monde est horrifié", "Tout le monde condamne..." Il fallait lui trouver
une raison autre que celle de la lettre qu'il avait laissée sur son lit. Il était
fou. Enfin, sénile. Fou sénile gâteux timbré détimbré... et, ajouta le Lindrone comme
argument massue : puant, hypothèse corroborée par les directions des journaux de
gauche. On n'hésita pas à interviewer Chosset, oui Chosset en personne, qui confirma
qu'il valait mieux profiter de sa retraite que... La condamnation était universelle
- selon la presse - qui généralise toujours - pour faire croire qu'elle détient la
vérité.
Ce vieux aimait son pays qui n'était plus guère le sien. Il avait regretté de ne
pas avoir eu le courage d'assassiner Chosset et Jozin quand il était encore temps.
Il avait voté, on répétait tellement que dans une démocratie le vote est l'arme des
mécontents, il avait voté et on n'en avait tenu aucun compte. Chosset étant le grand
spécialiste du système "les votes qui ne m'approuvent pas ne comptent pas". La politique
de mise en liquidation du pays pour remplir des poches pourtant déjà bien pleines
avait continué, les penseurs l'avaient déclarée "sens de l'Histoire", ah oui l'Histoire
a une direction et eux la connaissent, bon pourboire aux penseurs, gare à ceux qui
prennent le sens interdit, les économistes bien payés expliquaient que le sens de
l'économie passait par la misère du petit vieux et la liquidation du pays, sinon
ils ne faisaient pas une belle carrière universitaire, et la presse libre servait
la soupe à Chosset, évidemment, sinon il n'aurait pas gagné les élections, elle avait
habilement truqué les élections en démolissant qui il fallait, en couvrant qui il
fallait, elle avait reçu de gros chèques gouvernementaux pour survivre dans ces temps
difficiles, avec vacances en palaces, arabes en général. Bref ce petit vieux n'avait
compris ni l'Histoire, ni l'économie, ni la Haute politique, ni la presse.
Il fut le premier d'une longue série. Celui qui montre l'exemple est celui qui a
le plus de mal à se détacher de la propagande, il est aussi le plus insulté post
mortem. Les insultes acharnées des Pourat, Louzette, Lindrone, des associations "tolérantes",
des anti-racistes benêts ou si gloutons de fric, des défenseurs des droits d'invasion
etc... n'eurent pas l'effet escompté en dépit de la énième généralisation de la presse
sur la réussite de sa campagne contre le vieux qui s'était réveillé malgré le somnifère
Chosset asséné à dose massive pendant des années à coups de pétro-dollars. Les crachats
sur une tombe font prendre conscience de la vérité; les yeux se dessillèrent, des
aveugles virent malgré la condamnation du Pape menacé directement par les musuls
qui auraient frappé les siens n'importe où, à répétition, jusqu'à ce qu'il dise "bon
p'tit musul".
Le p'tit vieux ne devint donc pas martyr, à cause du Pape. Il fut en tout cas un
révélateur. Il permit à beaucoup la prise de conscience. Alors Pourat et Louzette
entonnèrent le refrain "ah si vous touchez un cheveu de journaliste, vous attaquez
la presse, vous attaquez la liberté"..., ces lâches avaient la frousse de devoir
payer ce que le p'tit vieux appelait leurs crimes contre leur pays. Pour échapper
à la mort ils devraient aller se réfugier en pays musul, ce qui les terrifiait, surtout
Louzette.
La lettre laissée par l'apôtre de l'intolérance, le suppôt de Satan pourfendeur du
pluri-ethnisme, le monstre gâteux à sept têtes dévoreur du multi-culturalisme, expliquait
son horrible pensée, sa coupable pensée, son abomination de pensée. Il avait vu à
la télé les kamikazes musuls et beaucoup lu sur eux, il avait décidé de faire pareil
pour défendre les siens. Les penseurs, tels Lindrone, vinrent expliquer, eux, qu'il
ne faut pas avoir peur des musuls, avoir peur qu'ils prennent notre place, avoir
peur qu'ils nous tuent, car c'était une évolution, l'évolution normale qui consistait,
puisque Chosset et Jozin avaient bien travaillé à l'effondrement de la natalité blanche,
au déversement du trop-plein des pays musuls chez nous; et v'là, ça c'est d'la pensée
! Economisto-politico-religioso-fumier ! Premier choix ! Petits cadeaux en pétro-dollars
si vous faites avaler ça à des gens assez cons pour y croire. Comme on le constate,
le p'tit vieux n'y allait pas ramollo dans sa vindicte. Les services concernés perdirent
donc sa lettre presque tout de suite. Presque, donc trop tard. Des gens l'avaient
vue, pas tous bien intentionnés. Ils parlèrent !
Des drogués de maisons de retraite s'éveillèrent; on leur assena une dose massive
de propagande qui en rendormit beaucoup. Restaient les Justes. Sur ceux-là on ne
peut rien. On ne peut que les tuer. Les employés de ces maisons, souvent d'origine
étrangère, oeuvrèrent pour le bien. La mortalité fut en hausse et la justice remarqua
seulement que c'était normal. La normalité survivante alla se tuer toute seule en
des lieux divers au moyen de bombes plus ou moins réussies. Même des femmes s'y mirent
mais elle trichaient car pour les bombes elles s'étaient fait aider. Que voulez-vous,
on ne peut que blâmer ces atrocités. Voilà ce que font des séniles quand ils n'ont
pas pris le médicament Pourat-Louzette. On en a perdu des lettres en ce temps-là
et sans l'aide des facteurs. Les services de l'état perdaient tout; pas leur faute,
les pauvres; pas de tête, c'est tout; séniles les services de l'état.
Donc boum ici boum là. Cacophonie de rues et de médias. Chosset avait fui en vacances
à l'étranger. Lors d'une émission de radio en direct avec auditeurs au téléphone,
triés en principe habilement, Pourat avait dit dans la tradition "Bon p'tit musul",
le type à son phone lointain hurla : "Ta gueule, tas d'merde !" Il avait triché,
le salaud, il s'était fait passer pour quéqundbien. Le débat ordurier fâcha les oreilles
munichoises, le type au phone lointain fut blâmé par les cerveaux néo-conservateurs,
par les cerveaux progressistes et par les cerveaux pas au courant; la presse généralisa;
la plus grande partie des auditeurs pensa que les propos de libre-parole n'avaient
pas à être condamnés.
Le monde se déstabilisait doucement, de profit en profit; les pleins-aux-as grâce
à la corruption raciale anti-raciste glorifiaient la belle époque. Ça coulait, l'fric,
ça oui, et les banlieues finissaient de s'armer de kalachnikovs et autres joyeusetés.
Forcément il y aurait des déçus car les armes étaient en trop grand nombre par rapport
à celui des gens à tuer; certains auraient économisé dur pour se procurer du matériel
opérationnel et en fin de compte ce serait pour rien. Il faut être raisonnable :
on ne peut pas avoir de l'horreur pour tout l'monde, parfois il faut se contenter
de regarder.
Mais les bons conseils, bast... chacun veut tenter ce qu'il croit sa chance. Pour
ma part je ne me mêle pas des affaires des autres, je ne me mêle de rien. Je suis
en effet arrivé à cette remarque évidente : tout ce qui se produit a une cause, or
cette cause n'est pas moi, donc je n'ai pas à me sentir impliqué par ce qui se produit.
J'ai déjà bien assez à répondre de mes actes, je ne vais pas en plus répondre de
ceux des autres. Ras-le-bol de toutes leurs conneries. Pas question de dire comme
un fumeux humaniste : rien de ce qui est con ne m'est étranger. La connerie n'est
pas mon fort et la kalachnikov non plus; je les laisse régler leurs comptes ensemble.
Pasque j'ai à faire, moi, du boulot, ben quoi, y en a qui travaillent. Et puis surtout,
j'ai Karine.
Des étudiants se payaient une soirée alcoolisée. Tous étaient consentants, ils avaient
apporté les bouteilles. De concours de nombre de verres vidés en paris de descendre
une bouteille entière d'un coup, sur fond musical rythmé jungle, transe, avec braillements
de saoulardes et saoulards, ils fêfêtaient la la, ils, et la, c'est la fêêête ! allez
va, va, aaaah ! le roi boit, béat, boit, bats-la, bats, bats-toi, boit, aaaah ! c'est
la fêêête ! d'un coup, hop, bois, dans bois bats-toi, d'un coup, il va, il va, elle
boit, elle bave le boit, elle reboit bave, va, va, béat, d'un coup, d'un bon coup,
la gars a fini, la fille rit en béat boit, coule du goulot sur la fille filmée qui
s'exhibe, saoule, boit, boit, d'un coup, applaudie, applaudis, la fille a perdu,
accompagne le garçon branlant dans la pièce à côté, autre concours plus loin, ici
on aime la compèt, on est v'nu pour ça, perdre ou gagner c'est gagner, on est venu
jouer gros, jouer soi, se perdre soi c'est gagner, bois, bois, bats-la, bats-le,
bats-la, emmène-la, gagne-la, on est là pour ça, bois-le, bats-la, qui est là, qui
est qui, qui est moi, tout à tous, tous à tous, bois, crie, bois, béat, aïe, aaiiïe,
qui est toi moi, bois, bats, donne-la, danse-la là, elle a perdu, elle a gagné, il
a perdu gagné, bois, bois...
Une fille à demi dénudée s'était déjà laissé entraîner deux fois dans la pièce à
côté. Barthélemy et Laurent s'étaient introduits dans cette soirée quand la surveillance
à l'entrée s'était relâchée; ils avaient appris la fête et s'y étaient invités. Mais
leurs principes n'étaient pas en accord avec les décadents; ils leur étaient même
carrément défavorables. Quant à leurs intentions elles étaient bonnes. En un sens.
En un sens seulement. Car les saouls n'apprécieront pas. Donc la fille se laissait
entraîner pour la troisième fois, hébétée, rigolarde et la bouche pâteuse. Sa liberté,
selon les deux impartiaux partiaux observateurs, avait vocation de salope. "Elle
va avec le bougnoul", nota sobrement Laurent. Ce n'était pas un bon point pour elle.
Quand la salope fait oeuvre de bienfaisance locale, elle est sinon intégrée du moins
tolérée; mais quand elle étend ses bienfaits à l'étranger tout en privant ipso facto,
de plus proches, elle n'est plus qu'une pute gratuite que s'envoie l'envahisseur.
Elle avait vraiment eu tort de trop boire. Barthélemy remarqua que l'alcool tue et
qu'ainsi il fait justice quoique se faire justice soi-même soit interdit par la Justice
qui ne touche pas les taxes sur l'alcool. On pourrait penser qu'il était cynique,
mais en réalité il tentait seulement d'évaluer une situation complexe en la réduisant
à ses banalités répétées sans cesse partout, comme si la banalité était la substance
même des faits, leur moelle épinière en somme, les clichés en ce cas sont les vérités
simples que les raisonnements savants cachent. Quoi qu'il en soit ne pas agir c'est
laisser faire, laisser faire c'est être complice, être complice de l'anéantissement
des siens par la luxure, l'alcool, les drogues qui complétaient le service du bonheur
dans la petite pièce. La liberté du vice est-elle la liberté ? Aux yeux de Laurent
(pas spécialement croyant) elle est le rire de Satan. La volonté individuelle tombée
dans le vice n'est qu'une incapacité à avoir une volonté individuelle; or il n'y
a pas de liberté sans volonté. Les deux garçons entrèrent non-accompagnés dans la
chambre des extases. Sniffeuses et sniffeurs s'activaient sans faiblesses dans une
pénombre orangée, acteurs et voyeurs, les têtes sonnantes de la musique d'à-côté,
les inhibitions étaient dépouillées à l'entrée, laissées aux non-initiés, celles
et ceux qui n'avaient pas franchi le pas (de porte). L'effet global du spectacle
informel ne fut pas positif sur les deux esprits certes préparés mais déjà mal disposés.
Les excès du bonheur le conduisirent à sa perte. Il y eut la porte qui s'ouvrit,
une détonation forte, des cris, de la fumée et selon le SAMU un spectacle (nouveau)
"pas beau à voir". Les conséquences d'un tel acte meurtrier sont évidemment éternelles.
Les soldats de l'éternité ne se soucient pas des pleurs des hommes. La salope ne
ferait plus jouir, elle fut la plus regrettée; elle eut même droit à un service religieux.
Il ne s'agit pas de glorifier le crime, le meurtre, l'assassinat, sous prétexte qu'il
serait de groupe, une sorte d'assassinat-partouze en l'occurrence, seuls les états
peuvent se permettre le crime de groupe, et encore, les plus puissants, pour les
autres ce sont des crimes de guerre; certes pas; notons toutefois qu'après tout ceci,
le taux d'alcoolémie universitaire baissa brusquement (mais provisoirement) ainsi
que la vente de drogues (ce qui mécontenta les professionnels; l'économie parallèle
fait - bien - vivre beaucoup de monde).
Remarquons que ce drame affreux fut largement utilisé par la presse pour cacher ce
qui s'était passé dans la péninsule et ce qui commençait de se passer sur le continent.
Il n'y avait à l'évidence aucun rapport ! On le répétait sur les TV, les ridiots,
les djourniais, on y découpait artistiquement la réalité en tranches. Comme si des
faits se déroulant dans un même endroit pouvaient ne pas avoir de rapport. Ou dans
des endroits différents. Lindrone déclara, vive Lindrone ! photo ! autographe ! quel
homme ! vous avez vu son aventure avec la quicaine Marylaine ? un acteur-penseur,
un aqueteur complet quoi, vive les musuls, à bas les françouès, tout le monde papiers,
lui un palais, donnez, donnez, soyez taulairants, donnez, les poires, vivent les
poires, les autres racistes, tous racistes, donc Lindrone déclara qu'il voulait jouer
un téléfilm sur le drame universitaire. Il n'avait plus vraiment l'âge. On oublia
ce détail. Et puis on ne savait pas ce qui s'était passé. On oublia aussi ce détail.
Les scénaristes de gauche remédieraient aux insuffisances de la police.
Mais l'arbuste ne peut pas cacher longtemps la forêt. Les aveux inconsidérés sur
leurs pratiques des survivants ne plaidaient pas en faveur des morts. On comprenait;
que jeunesse passe etc...; mais penser que sa fille sert de pute après s'être laissé
saouler... Seul le petit monde artistico-journalistico-politico n'y voyait rien à
redire. Mais les moeurs de ces gens ne sont pas celles de tous. Pourat avait souvent
en douce poussé vers la tolérance pour les drogues douces, Louzette aussi; mais les
résistances étaient fortes et Chosset avait dû condamner le progrès. Pourtant les
profits auraient été énormes.
La violence menaçait le sexe, la guerre ne se laissait plus affaiblir par l'amour.
Une sévère remise en question aurait été nécessaire mais les champions du discours
"remets-toi en question", gauchistes dont c'était le truc pour la drouète, jugeaient
détenir la vérité et donc que le discours ne s'appliquait pas à eux. L'inconscience
n'avait pas de limites. L'inconscience jouissait d'elle-même, narcissique et provocante
sur les ondes, elle s'étalait en propos complaisants, le pourrissement de l'état
ne lui paraissait même pas du domaine du possible; elle s'admirait; elle s'adulait.
La société entière était secouée comme par un tremblement de terre. Les chocs à répétition
étaient si violents que la peur devait être cachée par chacun. On voulait rester
dignes. En-dehors des moments de pillages, de vols, de viols, d'agressions, de meurtres
où agresseurs et victimes peuvent déroger. Car la presse ne passe qu'après. Toute
la côte était devenue la côte des lamentations. Dignes, naturellement. Avec des parents
dignes de victimes dignes d'agresseurs dignes. La vérité était plutôt une haine grandissante
contre les musulmans. On en voulait aux politiques et au Pape de laisser les gens
sans défense pour se protéger eux-mêmes, le tout en se servant du baratin ressassé
de la tolérance que tout un chacun jugeait désormais à son juste prix (en pétro-dollars).
Quand ça va mal, que les "jeunes" attaquent, le slogan de "paix" habituel est "faites
du sport". Faut les occuper. Leur changer les idées, aux braves p'tits "jeunes".
Brusquement, par ordre d'En-Haut, le sport fut partout; des matches capitaux étaient
sur le point d'avoir lieu; des compétitions d'une telle importance que l'équilibre
de l'univers en dépendait seraient disputées là, maintenant. On bourrait les crânes
de sport. Les illuminés du sport montraient la voie, "suivez-nous vers la coupe",
mais la coupe elle était pleine, elle débordait même, elle débordait de sport, d'un
trop-plein de sport, elle inondait ses illuminés d'un liquide malodorant, jaunâtre,
dans lequel les analyses trouvèrent des anabolisants, des stupéfiants, des tas de
trucs savants du sport savant, mais par ordre d'En-Haut on tut les analyses.
Paul s'échappa de la colline vaguement inspirée et porta son inspiration en plein
stade. Il voulait parler de la révolution prolétarienne à la foule car selon lui
les conditions étaient enfin réunies. Son plan consistait à s'emparer du micro officiel
et de rendre ainsi en quelque sorte officielle la déclaration de révolution. Les
forces de la conservation par le sport s'opposeraient à la conversion de la masse.
Ces gens de terrain se méfiaient de l'intellect; ils se méfiaient instinctivement
des gens qui tenaient des discours qu'ils ne comprenaient pas; c'est dire qu'ils
se méfiaient tout l'temps. A notre époque le sport-panacée rapportait gros, les investissements
énormes engendraient des profits dignes des quarante voleurs. Les revues même non-spécialisées
faisaient plusieurs fois l'an leurs couvertures avec des Ali-Baba émerveillés qui
avaient trimé des années et qui n'en revenaient pas d'avoir enfin eu la chance sportive.
On n'en était plus aux combats de boxe truqués à la quicaine. De mauvaises langues
prétendaient que le ministre des sports chaque début de saison se réunissait avec
les pontes de la presse et des organisations sportives pour décider des victoires,
des Ali-Baba, des scandales, des évictions, des investissements, des gains... Donc
Paul s'empara du micro officiel et se lança dans un discours auquel personne ne comprit
rien. Le mécontentement fut grand que ce beau match de foot soit salopé dès son début
par un intello et par la politique; ici on vient s'amuser, brailler, on est entre
braves gens. Quand les forces de l'ordre eurent maîtrisé la politique, une fille
nue traversa la pelouse en courant, pourquoi ? ça... Elle eut droit à quelques applaudissements,
à quelques "hou hou" et à pas mal de photos car elle était bien bâtie, la pute, sûrement
une pub érotique, on chercherait sur internet, voir le prix d'abord. Enfin on crut
que... ah... un vrai match de "paix" dans le délire du monde. Seulement les je-ne-sais-qui
habités par je-ne-sais-quoi, peut-être drogués aux amphèts, ou autres, ils ont bazardé
l'idéal coubertinien capitalistinien. Quand les nègres firent leur entrée sur le
stade, des cris racistes fusèrent; on leur expédia dessus des canettes que l'on avait
pris soin préalablement de vider, ce qui prouve que l'on ne voulait pas vraiment
faire mal. Les Noirs ne se laissèrent pas déstabiliser par les pauvres, eux étaient
bien payés. Fallait-il tout arrêter ? On fit entendre la Marseillaise qui fut sifflée,
abominablement sifflée, par les maghrébins, la moitié du public à peu près; ils n'aimaient
ni la Marseillaise (comme leur copain Pourat) ni les Noirs. Le Noir est musul mais
il n'a été qu'à demi musulmanisé car il est resté noir. Les Blancs eux n'ont rien
réussi nulle part, alors ce sont eux qui sont envahis aujourd'hui, les colonisateurs
officiels sont les grands vaincus de la colonisation. On joua. Il n'y avait pas que
des Noirs sur la pelouse, faut pas exagérer, ils étaient quoi ? les deux tiers pas
plus, les autres bruns et deux blancs, un dans chaque équipe, pour que les clubs
ne soient pas accusés de racisme, on était en France quand même, merde. Donc ils
jouèrent.
Paul avait été malmené, il n'était pas très solide, la police dut appeler un proche,
en l'occurrence Sophie. Les femmes de Paul n'ont été que des intermittentes de ce
spectacle politique permanent qu'il se donne à lui-même et qui ne passionne que lui.
D'une certaine manière son art est dans son action politique plutôt que dans sa peinture.
Un art qui ne laissera aucune trace, un art éphémère, une vie pensée et repensée,
d'un incroyable sérieux frivole, d'une incroyable absurdité capitale, soi-même en
oeuvre d'art périssable, soi-même pièce unique d'un monde qui n'a pu éclore. Sophie,
ex-femme de Jean, était la seule à pouvoir comprendre Paul, leurs solitudes leur
donnaient une fraternité. Il fallut discuter, il fallut convaincre; comme la police
ne savait trop quoi faire de l'énergumène et qu'elle avait en ces temps troublés
besoin de place dans ses geôles, elle se laissa convaincre avec plaisir de rendre
la politique à la peinture. Paul fut rendu à ses pinceaux. Il ne remercia pas. Sophie
le chapitra. Elle savait ses propos inutiles mais, puisqu'elle avait promis pour
obtenir sa libération, en femme de devoir elle affrontait l'inefficacité, l'inutilité,
l'absurdité de la parole. Consciemment. Mais sans faiblesse. Sans s'épargner une
note de cette musique monotone. Paul ne l'arrêtait pas. Plein de sympathie il l'écoute
assurer son devoir.
Pendant ces péripéties, le match, après une première mi-temps houleuse, en jouait
une seconde calamiteuse. Des Noirs deux étaient tombés, mais trois maghrébins. Un
bon coup de tête brune avait expédié un des nègres à l'hosto, son compère avait fait
une main non vue par l'arbitre pour marquer un but et un direct en pleine tronche
avait rendu la justice du sport. Le public hurlait mais de façon confuse, tout le
monde ne voulait pas la même chose, et même il y avait des exigences contradictoires,
inconciliables. On voulait du sang mais les victimes expiatoires variaient suivant
les gradins; la police recevait des ordres pour empêcher le public d'envahir la pelouse
afin de se battre. Ordres puérils. On aurait pu en finir rapidement avec les problèmes.
Il faut savoir faire la part du feu; laisser exploser une bombe où se trouvent les
artificiers évite d'avoir des bombes qui explosent un peu partout, de façon imprévisible,
et qui tuent des gens, pas vraiment innocents certes, mais moins coupables qu'eux,
vous en conviendrez; au besoin activer la bombe des artificiers là où ils se trouvent,
relève du salut public. La bonne conscience des belles carrières politiques ne voulait
pas quelques morts qui sauvent de nombreuses vies, elle voulait que l'on admire ses
jolies mains blanches, enfin blanc cassé. Heureusement les gradins en folie avaient
dépassé la politique. La police fut débordée; pour éviter des pertes humaines importantes
dans ses rangs elle effectua un repli stratégique réussi. On se foutait sur la gueule
dans tout le temple; sur la vaste pelouse les joueurs terrassés, traînés par les
pieds, salement amochés, avaient renoncé à la fois au ballon et aux vestiaires. Ils
voulaient abandonner ceux qui avaient pourtant payé. Quelle absence de sens marchand
! Quel manque d'honnêteté sportive ! Le capitaine doit couler avec le navire, la
garde meurt et ne se rend pas. Le stade coulait. Sans grandeur, sans panache. Les
drapeaux en berne disparaissaient dans la foule folle qui brisait leurs mâts, une
Marseillaise hésitante se faisait entendre jouée par un unique musicien qui s'était
vu héros en rappelant l'unité nationale, il fut submergé. Puis ce fut le sauve-qui-peut,
l'écrasement des uns par les autres pour gagner les sorties, goulots d'étranglement
qui virent périr étouffés les faibles. Le stade était ivre de sang sur la mer déchaînée.
La haine y sanglotait, affolée de peur et de plaisir. Une énorme jouissance terrorisée.
Un rut colossal enfin libéré des droits et des lois. La fille qui avait couru nue
gisait dans un des vestiaires, violée de nombreuses fois; on avait jeté sur elle
un nègre dont on avait coupé les couilles. Plus loin on trouva deux maghrébins empalés,
au sens exact du terme, sans doute par représailles pour le noir; et encore vivants.
Plus loin on avait déféqué sur la tête d'un autre, puis une adolescente au ventre
ouvert dont les boyaux avaient été artistiquement disposés autour, et encore et encore,
des filles inconscientes débraillées peinturlurées aux couleurs de leurs équipes,
curieusement par deux, une de chaque, comme si chaque fois que l'on avait trouvé
une des siennes violée et démolie on en avait traîné une des ennemis ici pour qu'elle
subisse le même sort à côté de la première. La vie tuait la vie, la vie jouissait
de la vie, la vie torturait en bourreau immonde ses adorateurs drogués. Personne
ne distinguait plus de limites entres les souffrances et le plaisir, le bien des
siens se nourrissait du mal de créatures détestées. La haine nourrie sur les corps
des vaincus se changeait en spasmes de jouissance. Le stade possédé était devenu
un gigantesque bordel meurtrier. Toute torture est supérieure à la caresse, tout
tueur rit, la mort entre dans les corps comme un viol, toute mort est un viol, la
domination s'abreuve de souffrance dans le déchirement des cris.
III
L'ambulance de Jean avait été arrêtée par les forces de l'ordre, réquisitionnée,
obligée de laisser Jean sur un quai d'où on l'avait transporté jusqu'au navire hôpital
envoyé ici en urgence, et elle fut expédiée en mission pour ramener des blessés,
des malades. Afin de justifier la dépense exceptionnelle de l'affrètement et l'équipement
de ce bateau il fallait le remplir. On avait vu grand. L'état s'était voulu prévoyant
: il avait le moyen performant de lutter contre les épidémies, les pandémies, le
long des côtes, les nôtres et celles des autres, on pouvait secourir - le temps d'arriver
- les blessés de séismes, les blessés de guerres - à condition qu'il s'agisse de
séismes et de guerres côtiers. Le personnel militaire qui travaillait humanitairement
à bord était compétent et dévoué. La chair à chirurgie manquait. La chair malade
manquait. Le dévouement ne faisait pas le plein. La presse risquait de devenir ironique.
Alors on ratissait large.
Jean fut traîné devant des médecins inconnus; quand ils comprirent qu'ils avaient
en leur pouvoir une célébrité leur vanité se félicita d'avoir fait de telles études,
ils se sentaient récompensés de leur travail. Ils se trompaient, personne ne peut
avoir de pouvoir sur Jean. Mais leur foi en la médecine, le noble art, en la chirurgie
sauveuse, en la pharmacologie, en la multithérapie, s'enorgueillissait de satisfaction
à la vue de l'illustre souffrant. Il ne pourrait pas s'évader. De l'eau tout autour.
Il était entre leurs mains, il serait forcé d'y rester.
Jean écoutait leurs discours savants, la programmation d'examens savants contre sa
mort annoncée, il entendait les puérilités cachées dans leurs têtes, il entendait
ce qu'ils se cachaient à eux-mêmes sur eux-mêmes. La vérité de leur médecine était
ce qu'ils étaient. Pour le malade la médecine est le médecin.
Puis il eut un moment de répit, on le lui laissa sans doute parce que l'hydre médicale
digérait ce petit bonheur que le sort lui avait jeté dans les mâchoires. Il visita
l'installation fonctionnelle. Les cabines étaient bien conçues, pratiques, le personnel
infirmier pouvait exécuter ses tâches en un temps record, il était motivé par la
fierté de se montrer performant, il était l'un des meilleurs du pays, le meilleur
pensait-il. Ici on était sûr de ne pas échapper aux soins. Le pouvoir médical y était
une dictature sans faiblesses. Aucune résistance n'était possible. La médecine n'est-elle
pas par essence une veuve noire ? Elle soigne avec patience les tortures qui sans
elles seraient terminées depuis longtemps, elle prolonge infiniment (pour eux) le
supplice de ses mourants. La veuve est une hydre inassouvie qui trouve en ses pulsions
inavouables le droit de continuer. Elle devient la loi. Elle est la force. La loi
a le droit d'utiliser la force. Aider donne le droit de contraindre.
Les horaires étaient stricts, comme les prescriptions et leurs applications. L'armée
médicale luttait avec le mal sans peur. Compétence, capacité, efficacité unies par
la discipline la rendaient admirable et terrifiante. La souffrance isolée sur ce
bateau, arrachée à la côte pour être isolée sur ce bateau, avec le but secret de
l'éradiquer de la côte, de la maintenir à distance et de la réduire petit à petit,
combat par combat, semblait la marque de condamnés que la société devait rejeter
pour survivre et qu'elle livrait en fermant les yeux aux médecins endurcis qui, habitués
au front, ne reculeraient devant rien pour l'emporter, assoiffés de domination, rejoignant
la maladie dans la soumission totale du malade souffrant, sans échappatoire possible,
soumis par les deux combattants, simultanément, simple terrain de lutte qui veut
encore se croire une personne. L'hydre est plus forte qu'Ulysse, ses maux l'ont conduit
jusqu'à elle, la lutte a été vaine. "Vous avez intérêt à vous soumettre", "Soyez
le patient idéal, soyez un idéal en ces moments difficiles", "Subissez pour votre
bien", "Subissez sans vous plaindre", "Votre soumission est la voie de la guérison"
: ces slogans de l'entr'aide humaine étaient peints sur les côtés de la galerie centrale,
hall immense autour duquel toute la vie médicale s'organisait; ils étaient sans ambiguïté
sur la noblesse des intentions. La pleine confiance et la totale bonne volonté du
patient étaient une demande si naturelle qu'elle se changeait en exigence bien compréhensible.
En fait la volonté du malade doit être remise entre les mains de ses médecins. Elle
ne peut que lui nuire en lui soufflant de mauvais conseils de résistance. Nous, nous
avons les connaissances, les compétences, la formation adéquate, votre volonté ne
les a pas; votre volonté ne sait pas ce qu'elle dit; il est donc préférable qu'elle
ne dise rien. Le calmant remédie à la volonté.
De le proue à la poupe, les ponts sont purifiés, les cellules sont nettes, les blouses
blanches. Il n'y a pas de fuite possible. Il n'y a pas de solution. Les forces de
l'ordre médical ont des exigences, et encore des exigences; la rébellion ne peut
pas être tolérée, la rébellion au combat est inacceptable. Les sept têtes sont inassouvies,
elles exigent encore, elles dominent toujours plus ceux à qui elles ont enlevé la
force de fuir. La médecine a été enfantée par la maladie, elle est à l'image de sa
mère contre laquelle elle lutte, la mère et la fille se déchirent et s'aiment; elles
sont semblables; les corps des hommes sont leurs orgies; elles se repaissent inlassablement;
une ivresse sans frein. La révolte est punie. La révolte ne peut pas être tolérée.
Il n'y a pas de fuite possible. Il n'y a pas de solution.
Mais une aide extérieure pourrait être supérieure si le mal et le bien sont sans
prise sur elle. Sandra cherche le moyen de ramener Jean sur la côte. Sandra appartient
à Jean, sans lui elle n'a pas d'existence, la peur en elle a été éradiquée il y a
longtemps.
Les copulations de l'enfer et du paradis à coups de drogues engendrent de nouveaux
mirages dans lesquels il faut vivre. Sandra est sexe, un infirmier n'a pas résisté
et organise sa montée à bord. Le désir jouit des désirants. Sandra n'est pas vêtue
de scrupules; autrefois danseuse nue elle a eu l'habitude d'effeuiller ses scrupules,
de s'en dépouiller lentement pour plaire, depuis elle n'est vêtue que de tentations,
de promesses. Elle n'a pas froid aux yeux, assurément. D'un côté la prostitution
sacrée a toujours dégoûté ceux qu'elle fascinait, de l'autre l'illusion du sacré
sauve ces prostituées du dégoût d'elles-mêmes; le corps a ses illusions que la raison
ne connaît pas. Passons donc sur les formalités sexuelles de la belle. Ayant payé
son dû elle mit dans les boissons du personnel une drogue qui enlève toute volonté
et rendit zombies aides-soignantes, infirmiers, marins, médecins, chirurgiens. Le
bateau entier dépendait de la femelle sans entrave, protégée par son illusion du
sacré - port dans lequel entra le bateau. Les ordres furent de libérer le maximum
de malades. Les médecins les conduisaient eux-mêmes jusqu'aux canots. La presse eut
vent du débarquement de libérés et fit des photos sur les quais. Jean ne figure sur
aucune d'elles; Sandra l'avait déjà emmené. L'ambulance était repartie vers sa mort.
Une mort que ne voleraient pas les médecins. Les athées voleurs d'âmes dans leurs
hôpitaux stérilisés où les morts doivent être standards, où la mort s'offre des corps
sans résistance, drogués, soignés. L'horreur de la mort n'excuse rien, ni la pitié
ni le manque de pitié, ni la sentimentalité ni l'indifférence, ni la bonté ni la
cruauté; l'horreur de la mort condamne tout.
L'ambulance filait sans but. La mort n'est pas un but. Ni une promenade. Jean regardait
par une vitre le bateau là-bas, cancrelat blanc sur la mer; le va-et-vient des canots
avait cessé, les ordres avaient été exécutés. Le personnel, sans ordre désormais,
attendait sans le savoir le retour de la volonté. Il en retrouverait les exigences
impitoyables comme une délivrance. Il regarderait avec stupéfaction les fiches bien
remplies des départs motivés de malades parfois sans espoirs de survie.
Je suis arrivé à l'appart de Karine, il était tard, elle était déjà partie. Il m'a
fallu chercher où elle donnait un concert, le temps de trouver un taxi, le salopard
a gonflé le prix, après ces gens s'étonnent qu'on ne les aime pas, triste coin à
ruelles et poubelles pleines pour la camion du matin. Presque minuit. Entrer. On
n'entre pas. Allons bon. Je n'ai pas parcouru tout ce chemin pour m'entendre dire
ça. Il faut que j'aille à Karine. Que je la voie. Il faut qu'elle soit là. Privé,
privé. Moi aussi je suis privé, d'elle en l'occurrence, bon sang les jeux de mots
idiots me reviennent quand je me rapproche d'elle. Il doit y avoir une entrée des
artistes, du moins une sortie secondaire, c'est légal, faut observer les lois, droite
gauche derrière ?
Finalement j'ai trouvé une porte sans indication qui avait le mérite d'être sans
garde, j'ai forcé l'entrée, j'étais dans une sorte de couloir dans lequel je n'ai
pas osé allumer la lumière, j'ai buté sur des choses, puis je suis arrivé à une petite
cour, sale, autant que je puisse en juger étant donné l'heure, j'ai retrouvé un couloir,
j'étais dans les coulisses, j'entendis, j'entendais, oui - je me suis glissé dans
la salle -, Karine commençait de chanter "Akhenaton" :
Bats, bois, bête, braise; bois, bête, bise, bats, braise; brise-moi ! brise-moi !
bois mort entre tes mains ! B A BA, BI A BI, brise-moi, brise-moi ! jette-moi dans
le vent de tempête !
Dis-le moi ! Dis-le moi ! Que tu m'aimes !
Akhenaton je t'adore, Akhenaton je veux t'adorer, je veux brûler dans tes rayons,
rôtir
rôtie
La sotte au rot d'Akhenaton qui la brûle comme un filon d'or devenu liquide qui prendra
la forme
que tu veux
bats, bois, brise-moi ! brise-moi ! Les paroles de Karine sont généralement étranges,
avec un choix délibéré du sexuel et du grotesque, la salle est pleine pour cette
si belle femme chantant en Bacchante l'obscénité qui s'exhibe, un cri de désir inassouvissable,
la belle est la chienne, elle hurle à Hécate, les ardents brûlent de ses rythmes
obsédants à paroles.
Akhenaton, rêve de soleil, écartèle-nous de tes rayons, que mes bras, mes jambes
deviennent tes rayons, donne-moi la forme que tu veux, que je sois selon ta volonté,
désir, souffrance, obscénité,
laisse-moi, laisse-moi, abandonne-moi, dans le désert, or liquide dans le désert,
au vent du désert
Karine en courte robe bleue et la tête comme une flamme dans des flashes d'éclairs
incessants, dans la musique impitoyablement répétitive, obsédante en brisant une
à une les barrières mentales, envahissant les cerveaux et les corps, Karine à la
tête des zombies engendrés par ses fantasmes et ses rythmes
sotte au vent
folle au vent
sans billet de métro ni carte d'identité
sans billet ni étiquette
où est mon étiquette ? ah je vais demander au chauffeur, il me répond : demande à
Akhenaton
bats, bas, haut, vent, bois, brise-moi ! brise-moi ! que je sois ta volonté !
sans toi je n'existe pas, envahis-moi, j'ai une vie, j'ai une volonté, j'ai Akhenaton
Tous ces gens à oreilles les secouent à la bonne cadence, allô, allô, y a-t-il quelqu'un
derrière les oneilles ? Où est-ce que je suis là ? Où est-ce que moi là je serais,
éventuellement je veux dire, si mon moi là flotte quelque part là ou si mon là est
encore moi
rôtie de toi baisée de nous
sotte de moi droguée de nous
étiquette-moi, illumine-moi, que ta volonté m'étiquette, me déchiquette,
brise-moi ! détruis-moi ! détruis-moi !
que je sois transportée par le vent aux quatre coins du désert
la musique a ralenti, s'est adoucie comme pour une pause avant la seconde partie
Karine bouge à peine balançant métronomiquement la tête sa bouche ouverte sur ses
dents de louve le faux vaut mieux que le vrai Karine est fausse un mensonge de la
tête aux pieds on ne peut que désirer le mensonge quand on a entrevu le réel
moi, là, toi, haut, bas, bois, bois, bats,
brise-moi ! brise-moi ! sois mon enfer
dis-le moi ! dis-le moi ! que je suis à la bonne adresse devant cette porte sans
numéro qui s'ouvre tout à coup sur des couloirs infinis; où es-tu, où est Akhenaton
?
saut à sotte, bègue de toi
saut dans l'infini, rayons de rire
je marche sur les rayons je tombe sur les rayons je me redresse je vais vers toi
le faux vaut mieux que le vrai si l'on admet l'existence du faux, on appelle peut-être
ainsi à tort une partie de ce vrai que l'on connaît mal ou même que l'on ne connaît
pas, ou même que l'on vit dans le faux dont on appelle une partie le vrai, à tort
peut-être, allez savoir où on est, où est là, la raison discerne des degrés, un escalier
du faux ou vrai, ou l'inverse, qui va de là - mais où est-ce - à la cave et au grenier,
ce n'est pas mieux, ou s'imaginer au milieu appartient aux enfantillages, ailleurs
aussi, il n'y a que des enfantillages, je n'est nulle part
souffle tes rayons sur moi, un à un ils me brûlent ils me marquent de ton nom ils
me forcent à
l'adoration
ris de moi moque-toi de moi
ris de la sotte de toi
Akhenaton Akhenaton
bègue de toi sotte de toi poule rôtie au feu de toi
étiquette-moi pour que tes bagagistes ne me perdent pas ta proie ta brûlée ta folle
sotte brûlée vive marquée hurlante rire de tes rayons larmes mes larmes adoration
rire de tes rayons
comment avais-je pu échapper à ces salles, d'autres, enfiévrées, surexcitées; Karine
s'amuse à dire qu'elle préside les cérémonies des suicides des moeurs. Mais ce que
l'on appelle les moeurs n'est peut-être qu'une excroissance maladive du comportement
libre donc sain - équivalence hasardeuse j'en suis conscient. Au moins avec Karine
je cesse d'être quelqu'un, ce qui à mon sens représente un grand pas; je me fonds
dans un ensemble comme si la liberté ne pouvait exister que par le consentement à
sa propre disparition, comme si les barrières du soi devaient être abattues pour
accéder à un stade supérieur. Renoncer à soi permet d'échapper à soi. On sait bien
qu'on ne vaut pas la peine d'être vécu. On se vit quand même. On cherche l'issue;
le suicide ne résoudrait rien, il faudrait sans doute recommencer; la mort ne résout
rien, elle est imposée; mais la fusion des êtres permet de dépasser ce que l'on est,
le corps permet de fuir le corps. Il faut l'utiliser comme clé pour fuir...
Le concert était fini, je m'en suis rendu compte tout à coup. J'avais oublié même
où j'étais. Je me suis précipité vers la loge de Karine pour qu'elle ne parte pas
sans moi.
Me voyant elle dit simplement : "Ah, mon poupée rentre à la maison." Ne pas chercher.
Karine a son langage à elle. Il y a toujours une grosse blague derrière. Les mal-entendants
ont intérêt à éviter la guérison. Elle sourit en se regardant dans le miroir. Mais
c'est moi qu'elle regarde sans avoir l'air, je le sais bien. Elle m'examine. Je ne
dis rien, ça ne sert à rien d'expliquer avec Karine, elle va trouver ses explications
à elle, son monde ainsi restera le sien. Je n'y suis qu'invité. Invité privilégié.
Elle se maquille ou comme si. Eric entre, souriant, pourquoi sourit-il toujours ?
Il me dit bonjour sans paraître surpris de me soir. On dirait que je suis le seul
surpris de me voir là. Comment est-ce que je peux me retrouver avec ces gens si différents
de moi et que je ne comprends même pas ? Ils sont mon mystère. Ce que, en moi, je
ne comprends pas. Ils existent pourtant. Ils sont vrais. Et même réels. Dans un cas
pareil je remets à plus tard de réfléchir. Je peux très bien remettre éternellement
à plus tard. C'est un bon truc. D'ailleurs quand on réfléchit on ne comprend pas
forcément, alors on s'est donné un mal de tête pour rien; déjà qu'ça va pas fort...
Rentrés à l'appart, direct, Eric met ses affaires dans sa valise, toujours souriant
- pourquoi ? et qu'est-ce qu'il faisait là ? et qui est-il pour Karine ? -, et part
en emmenant le chien, un gros grand, blanc. Je n'aime pas les chiens; lui non plus
n'a pas l'air de m'aimer, il ne m'accueille pas en frétillant et en aboyant joyeusement,
peut-être parce qu'il est mis à la porte de chez lui à chaque fois que j'arrive.
Nous voilà seuls, je ne me sens pas gêné, jamais avec elle, on pourrait parfaitement
rester sans rien dire mais j'ai besoin d'entendre encore sa voix.
Karine n'est pas une chanteuse kleenex, on ne peut pas la remplacer par une autre
et avoir le même produit commercial. Sa voix assez basse, mezzo léger je dirais,
avec des intonations rauques, a une chaleur communicative et affolante. Elle a raison
d'écrire ses textes car ils ont les sons qu'il faut pour sa voix; quant à leur sens,
qu'on n'aille pas les croire de moi, je n'ai rien à voir dans leur bizarrerie grotesque.
J'ai déjà deux frères côté bizarre, j'ai laissé le bizarre à l'extérieur de moi.
Il est dans Karine.
Je lui parle du train, elle me dit : "Par ta faute j'ai failli arriver en retard
au concert. En fait je suis arrivée en retard, je t'ai attendu. Alessandra m'avait
téléphoné." Ah. J'avais oublié. Alessandra et Karine se connaissent. Est-ce que,
durant la période précédant le succès, Karine a travaillé pour Alessandra ? Typique
de la question à éviter. Evidemment elle sait qu'avant de craquer et de revenir avec
elle, ou bien pour ne pas craquer grâce à elle, grâce à mon retour, enfin bref, je
tente ma chance d'échapper à tout ça en ayant recours aux filles d'Alessandra. Je
n'ignore pas que le remède ne remédie pas, j'essaie quand même; le résultat des mêmes
actes est chaque fois le même, l'échec d'échapper semble m'être nécessaire. Pour
ce qui est de son retard au concert, ses fans auraient été sacrément surpris si elle
avait commencé à l'heure, Karine tient à mettre en évidence son statut de vedette,
elle se fait désirer (dans tous les sens du terme). Je le lui dis et elle s'en amuse
: "Tu es mon motif préféré; je suis fautive de toi, mon amour." Elle rit.
Ce qui amuse Karine m'est profondément étranger. Je suis un homme sérieux. Professionnellement.
Et sexuellement. J'ai des références (femmes). Elles me classent en tête parmi les
mâles à cinq coups et même les mâles à six coups. Donc aucun complexe. Je ne suis
pas fidèle; je suis prisonnier de Karine. Elle me laisse partir sans problème, elle
sait que je serai obligé de revenir.
Chaque fois que je reviens je revis ma rencontre avec Karine. On m'avait traîné,
je ne sais qui, à un concert, je me rasais, je pensais à autre chose, je dormais
éveillé dans le boucan musical, et soudain j'ai entendu, j'ai regardé la scène :
Karine chantait "Akhenaton". Sa chanson venait jusqu'à moi, un hallucinogène musical
qui m'arrachait à la misère de ma vie, ces jours qui ressemblaient aux jours, sans
autre espérance que leur éternelle répétition, pour ne pas tomber de ces jours de
privilégié de l'argent, du sexe, de la position sociale. La répétition fut rompue.
Karine avait trois chansons dans cette soirée, elle n'était pas encore la seconde
partie à elle seule. Je me suis approché de la scène comme le poisson ferré est attiré
vers la rive. J'étais juste devant elle. Karine a ri. Elle venait de finir la troisième
chanson. Elle s'est assise sur la scène juste devant moi, elle a fait un signe, Eric
souriait tout là-bas, et elle a repris "Akhenaton". Elle a eu un triomphe. Ensuite
l'amie avec laquelle j'étais venu était mécontente, furieuse même, elle m'a laissé,
elle est partie. Eric a été à côté de moi, il m'avait touché le bras pour attirer
mon attention, il souriait, il m'a dit : "Viens, elle t'attend." Il m'a conduit jusqu'à
sa loge, il nous a laissés. La voix de karine brisait la répétition. "Moi je te connais,
m'a-t-elle dit, ta réputation court chez les femmes, c'est vrai que tu es un maquereau
?" Elle rit. Par la suite elle a toujours essayé de m'offrir des cadeaux. Elle aurait
voulu que l'on me voie avec des objets de luxe, montre, téléphone, chaussures...
que l'on saurait qu'elle avait achetés. Achetés pour moi. Je les ai obstinément refusés.
Alors Eric les porte. "Tu vois, me dit-elle, lui ne fait pas le difficile, il les
porte, il n'est pas capricieux comme toi." Qui est Eric ? je préfère ne pas y penser.
Elle m'a emmenée ce soir-là, cette nuit-là en fait, dans son restaurant préféré,
rendez-vous en vue après les spectacles, elle m'a affiché, officialisé en quelque
sorte avant même que je sois son amant. Puis elle m'a emmené chez elle.
La répétition a fait place à une surface du monde craquelée dont les morceaux sur
l'eau allaient à la dérive. Les jours nés des jours ignoraient leurs géniteurs, le
moment présent ne se sentait pas sous le regard d'ancêtres, je voyais les gouffres,
je voyais les abîmes, je ne pouvais rien. Il n'y a pas de solution.
Dès le lendemain notre "photo de couple" était dans des magazines, Karine me les
a apportés au lit, m'a embrassé, lu les textes en riant et commenté gravement. C'est
alors qu'elle m'a parlé d'Alessandra, elle me connaissait d'abord par elle; quelles
avaient été leurs relations ? le plus souvent j'ai l'impression qu'elles ont vécu
ensemble, d'autres fois que l'une a employé l'autre (Alessandra ? ou Karine lui a
refilé un petit job qu'elle avait mis au point ? évitons de chercher), Karine fonctionne
à voile et à vapeur, j'en suis presque sûr, du moins certains magazines le prétendent,
en fait ils n'en savent rien, personne n'en sait rien.
Ma rencontre avec Karine a éveillé le somnambule. Etre éveillé ne sert à rien. Je
voudrais me rendormir.
L'accompagner aux courses dès le lendemain fut une première expérience de la popularité,
les regards sournois des clients et les sourires niais. L'attente à la caisse, la
caissière, horripilantes. Karine adore cette gêne. Très à l'aise dans ce qu'elle
faisait avant d'être connue et qu'elle s'obstine à faire - de temps en temps. Mais
le pire est le jour du métro. La lubie semble lui venir subitement mais peut-être
a-t-elle préparé son coup : aujourd'hui, expédition dans les souterrains du métro.
D'après certains propos d'Eric, avec lui elle n'irait jamais. Mais moi, je dois subir
ça. D'abord elle se prépare pour son anonymat. Dans des dédales étroits et populeux
être reconnue cent pour cent présenterait un risque d'étouffement, de manque d'air,
d'obstruction au libre passage des citoyens - dont beaucoup vont travailler - dur
- loin de chez eux. Dans l'intérêt de tous elle se change en elle-même quasi invisible.
Comme si une superbe fille pouvait passer inaperçue où que ce soit. Une fois atteint
le point de métamorphose où Karine ne reconnaît plus Karine, elle passe à l'anonymat
de ma personne. Bien sûr je vais porter des lunettes. Elle m'habille. Elle m'équipe
à son idée, dépitée quand je refuse une bague (qu'elle a sûrement achetée exprès)
ou... En général son idée est de me rendre voyant (mais transformé) pour éteindre
en quelque sorte sa présence à mes côtés. L'expédition se fait quasiment sans parler.
Elle savoure chaque regard interrogateur, chaque situation d'enfermement et d'ouverture,
chaque risque d'être découverte. Une fois on l'a abordée, elle a répondu en ce qu'elle
m'a affirmé être du norvégien - mais où l'aurait-elle appris ? Aller et retour, évidemment.
Entre, elle a prévu un restaurant, un bar, parfois une exposition, un film, ou...
un grand magasin. Elle ne me dit jamais avant ce qu'elle a prévu, elle prétend même
qu'elle ne sait pas ce qu'on fera, vraiment pas. Mais elle sait très bien comment
on y va. Elle a donc soigneusement repéré les changements et les arrêts. Ah, le grand
magasin... On ne revient pas sans avoir acheté, vous pensez bien. Karine paie en
liquide. Sinon on verrait son nom sur sa carte de crédit. Je ne découvre qu'au dernier
moment qu'elle s'est trimbalée avec tout ce fric dans le métro ! Un jour dans un
magasin, un petit, de luxe, la marchande ne voulait pas de tant de liquide, elle
trouvait sans doute cette dame et le type voyant assez suspects. Pendant que Karine
furieuse se heurtait à la caissière, j'ai dû parlementer en douce avec la marchande,
lui montrer ma carte d'identité et payer avec ma carte de crédit; après quoi elle
a dit à la caissière d'accepter l'argent de Karine, elle me l'a remis en douce et
c'est moi qui ai dû affronter le métro avec une fortune dans les poches. Et en plus
les paquets à porter. Karine ne peut porter qu'un petit sac, autrement ce serait
incompatible avec sa dignité de femme. Et de vedette. Tout ça quand on est à Paris;
dans notre région elle ne passerait inaperçue nulle part. Il faut voir son air triomphant
quand elle a réussi une de ces expéditions. Jamais l'individu inconnu du moyen de
locomotion popu n'a eu plus d'importance aux yeux de quelqu'un. Des années après
elle se souvient de certains à cause de certaines situations qui... une fois, elle
a prétendu en reconnaître un, on l'a même un peu suivi. "C'est notre vedette", me
disait-elle en riant suspendue à mon cou.
IV
Devant la vague de violences, les partis politiques pris d'une crise de responsabilité
décidèrent des réunions publiques. Ils prenaient leurs fameuses fumeuses responsabilités.
Eh oui. Parfaitement. Autrement dit ils demandaient avec véhémence aux autres partis
de faire leur mea culpa. Que les responsables s'avancent, la corde au cou ! Mais
nul ne s'avançait. Dans les autres partis, ceux dans lesquels sont les coupables,
les gens manquent de courage. C'en est affligeant. Les nantis de la pli'tic s'angoissaient
de l'assèchement du pactole si la libre circulation de l'argent était arrêtée par
des barricades contestatrices, voire révolutionnaires. Il fallait parler, dire des
dires, discourir des discours, alerter des alertes. Le peuple doit comprendre le
dramatique de la situation. Aux armes, citoyens ! Fric se taille, pétro-dollars se
défilent, la bourse se casse sa gueule dorée. Patatras les finances, patatras les
profits. Or depuis que la république s'identifiait au capitalisme elle s'identifiait
au profit. L'assemblée nationale légiférait à l'ombre de la bourse.
Paul, de gauche, s'était toujours senti "la gauche". Il ne se considérait pas seulement
comme représentant parfait de la gauche, il l'incarnait. Il était elle, lui. Quelques
grands hommes au cours de l'histoire ont pu incarner l'état. L'Histoire s'inclinait
devant eux. Respect, ô homme de la Providence. Mais les temps étaient ingrats. Le
prédestiné restait au placard. Ouvrez ! Ouvrez ! Tu nous donnes combien pour qu'on
te laisser rétablir la république ? Fric chasse France de chez elle. Il se veut seul
maître. Pour lui il faut une immigration plus forte, pour braves chiens il a les
médias et les niais, les associations; mais comment persuader la population quand
elle est terrifiée par la continuelle agression maghrébine et nègre sur ses terres
? Beaucoup d'hommes et de femmes politiques sont avocats de profession; ils allaient
plaider.
Oh les beaux discours que l'on a eus. Si on n'allait pas dans les salles on était
bien obligé de les gober à la télé pas'qu'i avait rien d'autre; les salauds, ils
avaient pris la place des programmes.
Mais Paul se rendit sur le terrain. Y avait la télé qui enregistrait. Il se coula
du public au micro et comme un p'tit gros à binocles occupait avec insistance la
tribune, voulait avec obstination que l'orateur ce soit lui, être le seul orateur,
il le bouscula un peu beaucoup, bref il le cogna parce que dans les droits de l'homme
il y a le droit d'expression et que le droit d'expression dépend du droit de parler
dans le micro. Et devant la télé. Mais le type était connu, c'est-à-dire qu'il avait
des relations, des types qui avaient intérêt à ce qu'il soit connu parce qu'il dirait
ce qui les servait, on avait donc souvent mis sa bobine dans la télé, tandis que
Paul ne l'était pas. Ainsi un 14 juillet un type connu préside un défilé de l'armée,
à qui il a fait tuer un nombre certain d'individus, et un autre type pas connu sort
un fusil pour le tuer lui seul, on arrête le type qui n'est jamais passé à la télé.
Paul savait qu'il n'aurait pas la durée, mais il avait le direct, ce qui est appréciable,
les services d'ordre ne vous cognent pas dessus tout de suite quand une caméra filme,
ils tentent de trouver une autre solution; comme il n'y en a pas, on arrête le direct
et ils vous cognent dessus.
Paul démonta en quelques phrases le capitalisme assassin des libertés et des patries.
Le dollar livrait des pays libres aux musuls contre du pétrole. La solution consistait
à rendre le pouvoir au peuple. Mais en fait comme les politiques ne rendraient pas
le gâteau il fallait la révolution. Paul voulait mettre la tête du p'tit gros à binocles
au bout d'une pique, il aimait les traditions de son pays. Une période de foutoir
complet était nécessaire avant de passer à la reconstruction fraternelle. Oh les
beaux jours ! L'adorable perspective ! Une humanité dédollarisée avec chacun chez
soi, les musuls chez les musuls, les anti-racistes chez les musuls, les médias chez
les musuls, et nous enfin libres.
Paul agissait. Action ! Son film TV n'aurait aucun succès. Il s'y attendait. Il était
sans illusion sur le degré d'abrutissement des masses laborieuses. Mais l'humanisme
exige de se faire des films d'action.
Bien sûr l'Histoire a un sens. Et un sens obligatoire ! Mais le sens obligatoire
est aussi un sens interdit. Un sale coup des religieux. Et des friqués qui se servent
de la religion pour prêcher la soumission, mais derrière le masque divin serein,
se tord de rire Fric qui fait la fête en se tapant des pucelles. Les médias achèvent
le travail de lobotomisation. Ils réussissent à faire croire aux travailleurs d'un
pays qu'une immigration forte de travailleurs étrangers que l'on pourra payer moins
cher ne nuit pas à leur emploi. Les économistes bien payés viennent l'affirmer publiquement
et alors il font des carrières universitaires. Paul en appelle au bon sens contre
les discours savants qui peuvent se prétendre justes parce que personne ne les comprend.
Le savant et le politique justifient la bombe atomique, la bombe économique de l'immigration,
la bombe des moeurs pourries des médias, tous des avocats au service des affairistes.
Dans son court discours Paul réussit à introduire le présent d'autrefois. Avant l'immigration
insensée de Chosset au service de l'étranger. Ce présent introduit dans le présent
actuel était lui aussi une bombe, il le faisait exploser, des morceaux projetés ici
et là apparaissaient dans leur vérité, la jolie enveloppe peaufinée par les avocats
et leurs aides, les Pénélope de la déco, ne cachait plus, on voyait ce qu'il y avait
en-dessous. Le traître Chosset, aux poches pleines, devait être puni; que l'on fonde
son or et qu'on lui en emplisse la panse. Comme pour Paul il n'y a pas d'au-delà
il faut punir avant la mort. Et frapper les esprits d'une terreur qui traversera
les siècles.
TV coupée le héros fut malmené. Les sbires du fric de gauche n'étaient pas plus doux
que les sbires du fric de droite, l'argent et la force n'ont pas d'opinions politiques
et leur odeur commune, la sueur, il y a longtemps qu'ils l'annulent avec de l'anti-transpirant,
ils ont donné les ordres aux savants pour leur inventer ce qu'il leur fallait. L'humanité
progresse, elle fonce même, en plein sens interdit, c'est l'interdiction qui crée
la joie du progrès, l'ivresse. Le honni tabassé ne jouit pas de son anti-popularité.
Il avait trop mal de sa réussite personnelle. Il souffrait un peu partout de sa réussite.
Brève, condamnée illico par le brave Pourat et la brave Louzette, mais nationalo-politico-télévico.
Gloire à ceux qui ne vont pas droit, ces saouls de la pensée, au moins ils zigzaguent
dans le sens interdit, ils ne foncent pas comme des aveugles en criant "ah c'est
bon ! ah c'est bon ! c'est bon puisque c'est tout droit !" Bien poussés ils prennent
le même chemin que les autres mais eux ne s'en glorifient pas et au lieu de se prétendre
organisateurs ils se demandent comment on les pousse. Paul manu militari fut reconduit
à la colline vaguement inspirée. Il ne s'en formalisa pas, il avait besoin de récupérer.
Moi je suis du côté de la gaîté; partisan je reste, des soirées alcoolisées, des
belles filles putes, des drogues qui mènent ailleurs, du tabac qui tue, de la vitesse
qui tue, de la fête qui tue mais rien à foutre, fais ton régime j'me charge du délicieux,
cours, cours, vas-y, je reste au lit, dans ta course anti-bide, anti-déprime, anti-graisse,
anti-tout, tu pourrais m'apporter mon p'tit déjeuner au lit ? en passant je veux
dire, tu ne t'arrêtes même pas. L'humanité fait son jogging dans le sens interdit,
sans moi. Merci bien. J'ai des tas d'choses à faire. En particulier rien, qui m'occupe
énormément.
La kermesse hurle et je danse et je danse, il y a des manèges, avoir la tête en bas
que c'est bon, heureux les temps où il suffisait de changer d'hémisphère, la terre
est une tête et je suis un de ses neurones incontrôlables, que la terre ait mal de
moi, on ne se venge jamais assez d'être là.
Devant Dieu et les hommes, je dis fièrement : Je suis le Déserteur ! celui qui a
fui tous les pièges, celui qui fait la nique aux larbins, je sais ce qu'est la piège
d'une responsabilité, le piège d'une famille, le piège d'un devoir, le piège d'un
pays, le piège d'une ethnie, le piège de l'entraide, le piège des sentiments, le
piège de la solitude, le piège de l'argent, le piège de la pauvreté... le neurone
fou déserte de la terre, il vit la joie. Désertez ! Désertez !
"Ils ont tué des enfants", s'indigne le Pourat bonne place bien payée; "c'est ignoble".
Des vieux s'étaient fait exploser en terre ennemie des cités de conquérants. Quand
un vieillard était assassiné par eux, selon Pourat le fait était peut-être grave
mais compréhensible car ils n'avaient pas de travail ici, chez eux non plus mais
la question ne se posait plus puisqu'ils étaient ici; quand un agresseur était tué
par un vieux agressé qui se défendait faute de pouvoir compter sur l'imprévisible
police, Pourat et la justice encadrée par les médias lui réglaient son compte : on
ne tue pas quelqu'un pour des biens matériels ! une vie vaut plus que des choses
! Bien sûr, qui dit le contraire ? Et en appliquant ce principe, excellent d'ailleurs,
bientôt t'as plus rien. Or là... la tuerie en grand... l'horreur, sénile évidemment...
Lindrone gueula en TV contre les vieux. On passait sous silence que les envahisseurs
se cachaient systématiquement au milieu des enfants pariant sur la sensiblerie chrétienne,
omniprésente même chez les athées, qui n'était pas la leur. Tout le discours Pourat
Lindrone était archi-connu. On l'entendait avec les pubs sur les fast-food quicains,
sur les cinés quicains, sur le coca quicain, sur... Truc connu et résultats vus quotidiennement.
Beau discours, résultats de merde. Conclusion ?
Lindrone disait : "Puants, puants ces vieux, aaah je vomis, aaah, ils me donnent
envie de vomir, je vomis sur ces vieux". Les pas collabos le puant Lindrone à l'odeur
de vomi leur réglait médiatiquement leur compte sans problèmes avec la justice car
il était riche et les autres étaient pauvres : lui il tournait ciné des conneries
qui remplissent les poches. Le meurtre certes est globalement interdit, mais (car
il y a un MAIS) on doit être compréhensif envers les envahisseurs qui nous tuent
parce qu'ils sont pauvres, pour prendre notre place chez nous, et blâmer avec la
dernière force les nantis des pays riches, non pas les riches des pays riches, les
nantis dont il s'agit sont les pauvres des pays riches, lesquels comprennent mal
qu'ils sont des nantis et doivent partager. Lindrone n'a pas à partager son palais
au Miarôque, ni la pactole ciné françouè, ah françouè, je crache sur françouè, je
crache sur cocorico, vivent les quicains ! vive la mort de cocorico, tous métis,
vive le métissage bougnoulo-négro, à mort le cocorico, les médias sont là, ils se
chargent de le tuer.
Chaque jour voyait la réapparition d'une horde, en tel endroit, en cet autre, une
apparition-éclair, puis disparition, plus rien, introuvable. Selon la police. Selon
la presse. Selon les politiques. Vous auriez demandé à n'importe qui dans la rue,
il vous aurait indiqué : oui, par là. Mais le racisme seul, voyons, pouvait faire
donner des informations pareilles en désignant du doigt les cités dont la gangrène
d'ailleurs avait touché nombre d'autres lieux. Les kamikazes du quatrième âge n'étaient
pas une solution, l'hypocrisie médiatique non plus, la lâcheté politique encore moins.
On vivait dans une guerre de harcèlement, une guerre dont on taisait le nom, raciste
qui le dit, la justice servait à faire taire, faire taire, faire taire, surtout qu'on
ne dise pas, empêcher les gens de dire, empêcher les gens de parler, raciste qui
dit, raciste qui parle, c'était la guérilla incessante, les attaques imprévisibles,
des morts chaque jour couverts par les médias : Les Françouès ont cherché à se défendre
! Voilà le crime : se défendre. Raciste qui se défend. La guérilla partout. La guérilla
quotidienne. L'ennemi sort de l'ombre. Il disparaît dans l'ombre. On se plaint ?
Je porte plainte ! La police enquête, gravement. Vous savez, il n'y a pas qu'vous.
Alors que s'est-il passé ? Je viens de vous le dire ! Eh bien recommencez. La guérilla.
Sur qui portera l'attaque aujourd'hui ? Ce qu'il y a de certain c'est que la police
ne sera pas là. Les hordes sont renseignées, probablement. Elles ont des complicités
dans la police. La guérilla. A qui le tour pour être maltraité, volé, peut-être tué
?
Louzette finit par donner un chiffre du nombre d'assaillants : ils étaient neuf.
Oui, neuf en tout ! Et on condamnait toute une communauté à cause de neuf individus
que la police se montrait incapable d'arrêter ! Du coup la police devint curieuse
et voulut savoir d'où Louzette tenait ce chiffre, d'où elle tenait ses informations,
qui auraient, si on la croyait, permis d'arrêter les criminels. Elle se retrancha,
évidemment, derrière la haute morale journalistique de protection de ses sources,
le secret professionnel. Mais le chiffre était sûr certain. Neuf ! Aux mille bras,
probablement.
Le Haut Conseil Musul publia un communiqué. Kamikazes quand on est vieux est plus
facile que quand on est jeune, on n'a rien à perdre; c'est dégueulasse que des vieux
tuent des jeunes. Et raciste. Les musuls, eux, sont taulairants. Mais pauvres. Il
faut partager avec les musuls. Donne, donne. Comme ça tu s'ras pas tué. Et v'là.
Tout simple. Suffisant d'être taulairant. Et pas raciste.
La volonté partout, la bonne, la mauvaise, la volonté d'agir, d'aller de l'avant,
où ? ça... se gonflait pour devenir aussi grosse que le boeuf, que l'éléphant. Déjà
tout allait de travers, mais quand la volonté s'y met, forcément c'est pire. La pression
monte. Les bouchons vont sauter. La situation cessera d'être pourrie pour devenir
une catastrophe. Noble progression. Chacun s'interrogeait en conscience : Que faire
? que faire ? Il répondait : Il faut la volonté de s'en sortir. Je veux je peux.
Qui voulait quoi ? La volonté est soeur du rêve. Le seul rêve qui hantait les médias
et par conséquent tout le monde était de se remplir les poches, fric.
Innocents ! Innocents ! Innommables innombrables innocents ! Des innocents tabassaient
des innocents. Des innocents volaient des innocents. Des innocents tuaient des innocents.
Tant que les gens sont bons, c'est moins grave. Le plus innocent selon les médias
et même son successeur était Chosset qui avait de force mené son pays au désastre.
Toujours très souriant devant les caméras. Il n'y a pas d'innocent. Mais pour les
anges, eh, pas difficile, ils ont le couvert et le logis et... Selon Pourat les vieux
qui se faisaient exploser n'étaient pas innocents parce qu'ils étaient vieux, les
jeunes qui les attaquaient quotidiennement étaient innocents parce qu'ils étaient
jeunes. Pourat qui, en son djournal, donnait souvent des conseils au pape (marier
les prêtres, demander pardon, d'venir musul), était le sage, le divin devin, le médiatologue-politologue-savantologue,
le chantre djournalistic du progrès, progressons mes frère, ne résistez pas au progrès
envoyé de Dieu, laissez-vous piller et tuer, le progrès est le remplacement de vous
chez vous par d'autres venus de musulie, mourez heureux dans le fabuleux progrès.
Il en oubliait son pluriethnisme multiculturalisme pour vous balancer à la guillotine
ou à la poubelle grâce aux foules en bateaux qui débarquaient sans cesse venue des
pays musuls de la misère. Pourquoi toa pas comprendr' qu'cé progrès que des gens
qui ne parlent même pas ta langue et ne se soucient pas de l'apprendre, d'une autre
culture, d'une autre civilisation en fait, qui font disparaître la tienne, qui à
la place de ta civilisation ont papiers, j'veux papiers j'ai papiers j'suis chez
moé, prennent ta place. T'as peur de quoi ? Faut pas avoir peur. Bons p'tits musuls,
Pourat l'a dit, qui a reçu cadeaux, et Chosset et ses copains milliardaires, s'ils
sont contents, alors tous contents; ou t'es raciste, bien sûr, c'est ça.
L'ambulance de Jean tâchait d'éviter la police employée aux razzias pour remplir
le bateau de la médecine. Il risquait de ne pas être rentable, il fallait ren-ta-bi-li-ser.
Néanmoins à un carrefour tenu par cinq képis et trois blouses blanches - ils s'étaient
si bien planqués qu'on avait cru le passage libre -, elle se retrouva comme dans
une nasse. Ni avancer ni reculer, les rusés avaient jeté des plots sur la voie dès
qu'elle s'était engagée, devant d'abord, derrière ensuite. Un cri fusa : "C'est lui
! C'est son ambulance !" La médecine allait pouvoir le médeciner; de force pour son
bien, car elle a le savoir et vous, vous ne l'avez pas. Quand on sait, on a le droit
pour soi; celui qui fait le bien est bon, celui qui est bon doit être aidé par la
force publique, celui qui est aidé par la force publique qui représente le droit
a le droit, celui qui a le droit vous charcute s'il le juge bon.
Le chauffeur ne s'affola pas. Il n'était ni bon ni médecin, il était au service de
Jean. Pour lui la parole de Jean était supérieure à tous les savoirs. Les savoirs
sont les marches d'un interminable escalier dont on ne verra jamais le bout, la parole
de Jean vous introduit dans le monde d'en-haut directement, bien mieux qu'un ascenseur,
avec lui on est reçu, on est admis. Troquer de l'éternité contre des savoirs serait
un marché de dupe, convenez-en.
Ecraser quelques officiels est plus grave qu'écraser des non-officiels quoique ce
soit pareil. Sans vouloir faire des comptes macabres, un policier égal un médecin
et demi ou trois infirmiers, à peu près; mais s'il s'agit d'infirmières, ce n'est
plus exact car médiatiquement l'infirmière écrasée produit plus d'effets secondaires
que l'infirmier; ou alors, pour retrouver les proportions il faut mettre à la base
une policière au lieu d'un policier. Ceci sans vouloir énoncer de choquants calculs.
Bien sûr un policier = à peine un bras ou une jambe de journaliste. Pas pour vraiment
évaluer, je signale, v'là tout, histoire de donner une idée juste aux pas clairs
du ciboulot. Aux perdus de la table de divisions. Le politique, lui, tout dépend
de son grade; de rien à moyen. Pas plus. Parce qu'il y a trop de gens prêts à le
remplacer. La demande est supérieure à l'offre. On n'a pas le temps d'enterrer que
la place en vue est prise. Et quel que soit le danger. Les médias doivent couvrir
l'actualité, l'actualité est le changement, elle s'arrête à l'entrée du cimetière,
"laissons reposer les morts" et on s'tire vite, rapido presto.
Fonce mon gars. Par les côtés. Ce ne fut pas un ordre de Jean - Jean ne donne jamais
d'ordre à personne -, ni un conseil de Jean - il ne conseillerait pas à une mouche
de liquider un puceron -, simplement l'instinct de conservation de l'ambulance, si
l'on peut supposer une communauté de refus d'obtempérer de ses occupants, l'emporta
sur l'instinct de conservation des assaillants. Qui se trouvaient avoir le pouvoir
légal. Bilan ? L'infraction au juste comportement routier, aggravée par le refus
d'obtempérer, s'alourdit de deux morts sur le coup qui se relevèrent presque tout
de suite, pas morts dans la durée mais la tentative réussie de fuite n'en devenait
pas mois tentative d'homicides. Les morts indignés étaient un policier et un médecin
ou infirmier, on ne sait pas trop, ce qui complique l'estimation du forfait. Non
qu'il s'agisse de compter, pas du tout, mais administrativement on a besoin d'être
clair sur ce que l'on reproche à des gens.
Liberté ! Liberté chérie ! L'ambulance fonce joyeuse, sans aucun but, pour rien,
sans projets. Libre de désirs et de devoirs, pleine d'entrain sur la route pleine
d'embûches. O joie de la balade quand il ne pleut pas, que l'on a à manger et à boire
! Que le monde est beau, vu de loin, d'en haut, à condition de ne participer à rien
!
Le bateau médical fonctionnait à nouveau au minimum vital pour lui; il risquait de
perdre les crédits; il risquait la casse. Heureusement pour le salut de la chirurgie,
de la médecine et de la psycho les hordes devenaient de plus en plus violentes et
en passant derrière elles les ramasseurs de la santé avaient de quoi vivre. On en
n'était pas au taux de remplissage qui justifierait une annonce officielle mais on
progressait doucement, les chiffres étaient bons, meilleurs que les médecins affirmaient
déjà de mauvaises langues, d'ailleurs si les médecins sont trop performants ils risquent
de décourager la maladie, ce qui relève d'une attitude non-productive - nous plaisantons,
ces braves bravaient le mal, ils faisaient honneur à leur serment fondamental sur
des tas d'choses; du moment qu'on ne proteste pas, qu'on ne résiste pas, qu'on ne
pose pas trop de questions, qu'on ne se prend pas pour une personne, qu'on n'est
pas énervé, qu'on ne décourage pas les autres...
L'ambulance sauvée d'un côté fut agressée par Scylla. Une horde revenait d'une expédition
les bras chargés de biens et elle souhaitait un moyen de les transporter moins fatigant
et plus pratique. Un malade prend la place d'au moins six téléviseurs, deux réfrigérateurs,
quatre ordinateurs, cinq enregistreurs médias, deux climatiseurs, plus des bricoles.
La santé occupe un espace, un moyen de transport nécessaire à la libre circulation
des produits; elle est d'une utilité indiscutable mais peut s'avérer un réel handicap
pour une société moderne à cause de son coût exorbitant qui finit par pénaliser l'économie.
La horde n'était pas sentimentale. Son projet consistait à sortir Jean et les autres
et, en conservant le matériel médical qui peut servir un jour, qui sait, à remplir
l'espace libéré par des objets correspondant aux besoins de la vie moderne. Un des
siens, qui n'avait plus le permis à cause de son goût pour les courses de vitesse
sur parking, conduirait la camionnette de déménagement, elle-même entièrement récupérable.
Les intentions de ces jeunes étaient bonnes, mais seulement en ce qui les concernait.
Jean et Sandra avaient déjà été descendus. La belle fille suscitait des convoitises.
Certains la trouvaient supérieure aux téléviseurs. Il y eut débat. Le chauffeur n'avait
pas renversé un policier et un médecin (ou infirmier) pour être trop regardant sur
quelques "jeunes" qu'on n'aurait même pas su comptabiliser; quelle erreur de logique
de ne pas avoir d'abord obligé à descendre le chauffeur ! Comme on était pressé de
repartir avec son véhicule on avait négligé de lui ordonner de couper le moteur !
Il fonça brusquement sur les imprudents devant, il recula en biais vers la gauche
particulièrement peuplée, repartit vers l'avant, recula en biais vers la droite particulièrement
peuplée, repartit vers l'avant, recula vers Jean et Sandra qui remontèrent, recula
porte arrière fermée sur des "jeunes" qui eux avançaient, repartit vers l'avant et
disparut. Nous avons affaire là à un cas majeur de cynisme sans scrupule. Car, nous
avons oublié de la préciser, chaque manoeuvre renversait quelques individus, les
plus faibles probablement, ceux dont les réflexes étaient les plus lents, et ceux
qui s'étaient imprudemment placés devant le véhicule pour le contraindre à s'arrêter
ne se relevèrent pas après son départ parce qu'il leur avait roulé dessus. N'exagérons
rien, ils auraient pu être sauvés; mais il aurait fallu une ambulance.
On ne peut prétendre que la parole de Jean valait plus qu'une vie humaine, ou deux,
ou trois... La vie humaine n'a pas de prix déterminé, la parole de Jean non plus.
Toute comparaison serait vaine. Du moins dans l'absolu car si l'on prend le point
de vue du chauffeur il a raison et si l'on prend le point de vue de la horde l'un
des siens valait plus que les vies de Jean, Sandra, le chauffeur et l'aide-soignante
réunies. Mais moins qu'un téléviseur grand-écran. Le calcul est impossible. La culpabilité
dépend seulement du point de vue adopté. Et comme on n'est pas obligé de juger, on
peut s'en passer.
Troisième partie
I
Barthélemy et Laurent allaient au lycée assez souvent. Mais ces jeunes avaient leurs
problèmes eux aussi. Les réveils ne sonnent pas à l'heure, les bus ne passent pas
à l'heure, les encombrements dépriment, les cantines flanquent des gastros, la pluie
mouille les écoliers... Le jeune entre dans la catastrophe planétaire avant de savoir
penser; ensuite il découvre que savoir penser ne sert à rien. Le réveil se fout de
la pensée.
A la tête du noble établissement des dures études était Brouboule. Il ne cachait
pas sa fierté de se retrouver là; c'était vraiment inattendu; lui n'avait jamais
compris les trucs durs d'un tas de matières, il lisait uniquement les textes administratifs
nécessaires, et encore pas tous, pour le reste... la culture françouèse lui paraissait
un casse-tête alors il plaidait pour le multiculturalisme qui permettait de ne pas
la connaître. Comment avait-il atterri là ? Et pourquoi pas ? Pourquoi les bons postes
bonnes planques i s'raient pas pour tou li mond' ? Quel rappaport entre le fait de
comprendre Mondiaire, Cornouille, Radine et l'aptitude à diriger ? Je dirige ! Je
conduis ! Son enthousiasme de gauche, son engagement sans faille lui avaient donné
les relations, les copains qui créent les carrières. Fugitif Conseiller général,
plusieurs fois Adjoint au maire d'une petite commune, syndicaliste fanatique (avant
de devenir dirigeant), enseignant épisodique d'une matière technique qui ne doit
pas être dévalorisée en ne permettant pas les belles promotions, il avait obtenu
des siens par la cooptation vaguement déguisée en concours la réussite de la nomination
au poste de proviseur de lycée technique. L'ambition vient en mangeant. Quand on
en eut assez de lui où il était, et cela ne tarda pas, il demanda une nouvelle promotion
ou bien il ne partait pas. Les copains d'gauche, souverains quoique le pouvoir politique
soit de droite - et même d'autant plus - ne nommèrent à la tête d'un lycée d'enseignement
général. Il fut aux anges ! Le voilà devant, lui l'élève nul paraît-il, devant ceux
qui enseignaient les matières auxquelles il n'avait jamais rien compris ! Notamment
le françouè, contre celle-là il avait une rancune particulière parce que l'on avait
voulu le forcer à lire des livres épouvantablement gros. Non mais. La cjultur ça
sè à 'ien, main'nant y a l'progrès, y a le multiculturalisme. Encadré par les soldats
de la gauche il occupait ses fonctions en livrant à son échelle une guerre farouche
à la France. Il tenait des discours dans lesquels il expliquait vouloir sauver les
jeunes du conservatisme, pour les ouvrir au monde nouveau, tous métis et surtout
pas de culture françouèse. Les coups bas contre ceux qui l'enseignaient en la connaissant
lui semblaient permis; les autres étaient des pédagogues; les gauchistes nommés inspecteurs,
la Bigearde, Liaunyaise, ex-institutrice, l'aidaient de leur mieux. L'ignorance culturelle
était la voie du progrès.
Barthélemy et Laurent avaient eu affaire plusieurs fois à Proviçat. Ils le jugeaient
demeuré. Lui s'étonnait que des p'tits jeunes, car ce sont des jeunes eux aussi,
ne semblent pas spontanément de gauche ainsi qu'il l'avait flairé lors de leurs vagues
entretiens. Les récalcitrants au progrès, aux nobles idéaux socialos il en tenait
la liste, on n'est jamais trop prudent; à défaut de la capacité intello, il possédait
le nez, le flair des fins limiers, il aurait pu être un espion de Staline, mort hélas
hélas, Marx ait son âme, un délateur de l'inquisition, un... enfin ces gens-là sont
de toutes les époques mais c'est la première fois dans l'Histoire qu'on osait les
mettre à la tête des établissements scolaires (quoique certains des religieux aient
eu une réputation sulfureuse, il faut le reconnaître, mais l'école laïque en plus
avait bénéficié du progrès). Donc un fossé s'était creusé entre l'administration
scolaire et des jeunes même pas défavorisés. La raison, selon Proviçat, se trouvait
dans ce regrettable accident social : n'étant pas défavorisés ils comprenaient moins
bien, forcément. La vérité leur était masquée par les avantages sociaux dont ils
bénéficiaient. Certes ils étaient excellents en maths et mauvais en françouè, mais
ce bon point pour eux n'était qu'apparent; ils n'avaient pas la foi; le prof de philo
les avait à plusieurs reprises dénoncé à Proviçat : aucun d'eux ne connaît les manifestes
révolutionnaires, lors des grèves ils ne viennent pas crier les slogans, dans l'atelier
de création de tracts, atelier utile pour savoir lutter contre l'oppression de la
drouète, ils restaient les bras ballants ou ils faisaient de la provoc. Oui, Monsieur,
de la provoc ! Ces deux-là étaient des révisionnistes. Des cromagnons. Leur prof
de SVT toujours excitée avait compris des trop mignons, elle n'était pas une intellectuelle
elle non plus, elle s'entendait bien avec Proviçat mais elle préférait les jeunes.
La diversité ethnique de l'école, destinée au progrès du métissage, ajoutée à la
mixité sociale ne pouvait qu'aboutir à des lendemains qui chantent. En effet tout
était bon dans la théorie. Mais la violence, les clans, les agressions se développaient.
Il y avait des ratés dans le système. La raison très profonde, selon Proviçat, approuvé
par Nique-ta-mère rectum de cette académie, aveuglait : des trucs de drouète, comme
le niveau scolaire, altéraient la limpidité moderne. On avait alors créé une nouvelle
manière d'évaluer l'école et de considérer la valeur de la formation des élèves.
Il suffisait d'y penser : si les résultats ne sont pas bons (selon les organismes
internationaux notamment), il suffit pour y remédier de modifier... la façon d'évaluer,
les critères d'évaluation. Quoi dit quoi fait. Mais pour les ratés ils continuaient.
Ils s'en vont en guerre, Barthélemy et Laurent. A défaut de gloire le combat les
attend. Ils ne sont que deux contre des hordes et contre une décadence des leurs
telle qu'elle rend impossible leur réveil. La fleur au fusil, le sourire aux lèvres,
ils vont. Ils n'attendent ni médailles - ceux qui les donnent sont corrompus - ni
remerciements de la patrie; même s'ils meurent au champ d'honneur; les collabos iront
cracher sur leurs tombes. Ils affrontent le Goliath des médias, un monstre de propagande
déguisé en journalisme et en arts des images et du son. Ils sont seuls. Ils ont en
eux la noblesse de leurs ancêtres qui ont combattu pour cette terre qui est la leur.
Ils ont en eux la force du droit contre les lois, la force de la tradition contre
la trahison, la force du sacré contre la bassesse, l'argent, la religion d'importation.
Ils n'ont rien. Ils ont le devoir.
Ceux qui n'ont pas les historiens pour eux ne seront pas les héros. Ceux qui ont
combattu n'auront pas les honneurs de papier après avoir été volés de leur pays.
Le merlet d'une cité voisine vient de faire déplacer un monument aux morts de la
guerre de 14-18; il a expliqué que celui-ci gênait un projet d'agrandissement de
la gare ou de la route, il ne savait trop, qu'il gênait, quoi; ce rappel des morts
pour la France le gênait lui qui importait du musul en se faisant glorifier par les
médias pour sa générosité, pour sa fraternité, son accueil de l'étranger (à condition
qu'il soit musul), sa haine de la colonisation (pas celle de son pays par les musuls),
son emploi des fonds publics au service du multiculturel musul et du pluriethnique
musul. Et pas dire musul ou t'es raciste. Sale raciste. Xénophobe, ouais, racistes
xénophobes tous ceux qui s'opposent à l'invasion arabo-noire musul. Lui, Merlet,
dans le sens du progrès ! Et les poches pleines.
Dans l'éduc aussi on faisait carrière sur ces nobles critères. Proviçat et Bigearde
et Liaunyaise et Nique-ta-mère pouvaient en témoigner. Ils ne le feraient pas, évidemment.
Mais en temps de respect de la France aucun d'eux n'aurait jamais pu atteindre le
moindre poste de responsabilité. Il avait fallu les prendre à ceux qui auraient dû
les avoir. Il avait fallu gangrener le pays, le pourrir par les médias, les chanteurs
drogués, les acteurs putes, les journalistes vedettes, pour que les derniers soient
les premiers et donnent des ordres aux autres. Ils avaient tué l'école de France,
ils avaient les poches pleines et le pouvoir, ils se fichaient bien des résistances
qu'ils appelaient forces réactionnaires, vocabulaire habile destiné à tromper les
naïfs, les citoyens peu habitués à la manipulation mentale des spécialistes des médias.
La défrancisation par l'appât de Fric et sous le fouet de Générosité étendait ses
tentacules sur le pays drogué. Drogué de force par Pourat et Louzette et Lindrone
et leurs acolytes, notamment au moyen de la plus insidieuse des drogues : la répétition;
elle a le pouvoir de rendre indubitable la plus stupide des affirmations, inébranlable
la plus vacillante des convictions, certaine la plus douteuse des idées. Dans la
lointaine contrée où les ânes vivent libres, leur assemblée se réunit. Le pré choisi
était d'un vert merveilleux, l'herbe y était d'un goût délicieux. L'ordre du jour
était d'importance : il s'agissait, ni plus ni moins, de savoir si la peste était
un âne et de ce fait devait être accueillie parmi eux. Le problème était si complexe,
si compliqué qu'une foule d'experts était nécessaire pour le résoudre. Un âne expert
en charité déclara que les ânes du pays de l'herbe verte vivaient trop heureux, on
ne pouvait l'accepter plus longtemps; ne se sentaient-ils pas coupables ? Ils l'étaient
pourtant. D'autres meurent de faim et font plus d'enfants que vous ! Un objecteur
en conscience fit remarquer que ces affamés étaient donc des irresponsables et qu'ils
ne mourraient pas de faim s'ils limitaient d'abord les naissances, mais l'expert
indigné, d'ailleurs partisan de la limitation des naissances dans ce pays-même, hurla
que l'on devait accueillir ces pauvres petits enfants et leurs parents, tous ces
pauvres petits enfants et tous leurs parents affamés. Il y eut un peu de brouhaha.
Mais on comptait sur l'expert suivant. Il s'agissait d'un âne reconnu, un grand expert
en économie. Il fit d'abord remarquer que le précédent s'était écarté du sujet.
Lequel était la peste. On n'avait plus de maître, pourquoi avait-on toujours des
oeillères ? N'était-on pas capable de regarder la peste en face et de profil ? Non,
elle n'était pas un âne. Elle était le progrès. Oui, ô mes compatriotes, elle sera
l'ouverture au monde ! Au lieu de rester refermés sur vous-mêmes, ouvrez-vous au
monde ! Changez de bonheur, votre économie grâce à cette mondialisation produira
plus de richesses, la peste est un bien, elle vous conduira à un développement économico-politico-spirituèlo
admirable, formidable, sensas ! Et ambitieux d'applaudir. On suspendit la séance
pour brouter. Quand on sonna la reprise beaucoup rêvaient d'une petite sieste. Une
douce torpeur les gagnait. Il fallait pourtant faire effort d'attention. Ils essayaient.
Le bal des experts recommença. On avait eu recours sans hésiter même à des étrangers.
Le renard expliqua qu'un renard est une sorte d'âne de petite taille, il ne faut
pas rejeter les êtres de petite taille, ils ont plus de mal que les autres alors
que ce n'est pas leur faute ! L'éléphant expliqua qu'un éléphant est un âne de grande
taille et que leur herbe lui plaisait beaucoup... On n'avançait pas. On finissait
toutefois par comprendre d'expert en expert que tout le monde était pareil et que
tout le monde devait vivre ensemble. On n'avait pas vraiment parlé de la peste, mais
puisqu'elle était différente, c'est qu'elle était pareille. La rejeter aurait été
un acte barbare, disons le mot : dégueulasse; un refus des différences, voilà. Les
ânes étaient nobles, généreux, tolérants. La peste fut légalement acceptée parmi
eux.
Barthélemy connaissait un bon coin où on attrape aisément des arabes. Il s'agissait
d'obtenir des informations. Que ce soit dans le civil ou dans le militaire, le problème
est semblable, le plus fort est celui qui sait. Un p'tit chef, dans quelque domaine
que ce soit, a du pouvoir parce qu'il peut savoir certaines choses que les désormais
inférieurs ne peuvent pas savoir. Son pouvoir réside dans l'ignorance plus grande
des autres. Il tient donc à la barrière, il la garde avec soin et la fait garder;
que personne ne la passe et ait accès à l'égalité. Laurent inventa une sorte de filet,
comme dans les histoires de sauvages en pleine jungle, et ils capturèrent deux femelles
et deux mâles qu'ils chargèrent dans la camionnette empruntée au papa de Barthélemy.
On alla dans les collines, plus précisément une ancienne grange ou hangar isolé afin
de converser avec les prévenus. L'aide éventuelle de la coercition n'était pas dédaignée.
Toutes les bonnes volontés sont méritantes. Les suspects n'étaient pas bavards. Il
leur fallut dans la longue tradition une aide au bavardage. Toute domination est
un viol. La lutte pour se sauver de l'invasion rampante n'était pas compatible avec
les lois d'exception de Chosset mais pas davantage avec les autres. Pour vaincre
il faut tuer - illégal -, torturer - illégal -, manipuler l'opinion - général mais
illégal -, prendre l'argent de la guerre où on le trouve - récupération illégale
-, l'utiliser sans appels d'offre - illégal - ... bref sauver son pays était un acte
illégal. Ce dont Barthélemy et Laurent se fichaient désormais totalement. Les criminels
capturés étaient de fortes têtes. Ils essayaient de profiter de l'inexpérience de
leurs bourreaux. Ils se voyaient déjà de retour parmi les leurs en héros vainqueurs
des dragons. La guerre sainte aurait conquis le reste des territoires en un clin
d'oeil. Jouir d'une fille sans limite était une expérience entièrement nouvelle pour
les artisans de la liberté, ils en oubliaient les aveux. Enfin la lucidité leur revint
et ils écoutèrent un peu. Des traitements adaptés à chaque prisonnier donnèrent quantité
d'informations inutiles. Inutiles d'un certain point de vue, celui de la localisation
des hommes et des armes, car ils étaient répandus partout. Mais utiles quand même
parce que fut prouvé - et enregistré - un projet encore vague d'islamisation de la
région par la multiplication de l'immigration et l'importation de pondeuses qui tripleraient
la civilisation de remplacement en quelques années. Ou quadrupleraient... Elles feraient
autant de gosses qu'on le leur dirait, qu'il le faudrait. Les journalistes, politiques
se baseraient sur les économistes pour parler sans rire de la forte natalité de la
France. Les criminels avaient avoué et demandé pardon, ils furent enterrés très honnêtement.
On ne peut pas tout expliquer, paraît-il, quoique les religions expliquent tout.
Le fait que Dieu soit incompréhensible explique tout. Louzette avait un idéal athée
d'unification des hommes par la disparition des religions, mais comme elle ne pouvait
oeuvrer partout elle ne luttait que contre la chrétienne, celle des "cités" n'était
pas de son ressort, sa disparition n'était d'ailleurs du ressort de personne. Sauf
de Barth et Laurent qui, très logiquement, avaient ajouté à sa disparition celle
de Louzette. Celles de Pourat et Lindrone aussi. Entre autres. Vous ne pouvez supprimer
un agent infectieux du corps social en laissant des possibilités de récidive. Tout
ou rien. Les demi-mesures tuent le malade au lieu du mal.
Une fois informés de l'étendue de la cancérisation ils repartirent décidés à amputer.
Il ne faut pas faiblir. Le mal compte sur la faiblesse du médecin, du chirurgien.
Les politiques au pouvoir grâce au pouvoir des médias étaient trop occupés à peaufiner
leurs carrières et à engranger les profits ainsi durement acquis pour lutter efficacement.
De temps en temps ils avaient des velléités. Ils agissaient. Avec modération pour
ne blesser personne, au sens figuré du terme bien sûr. La situation posait des problèmes
mais où n'y en a-t-il pas ? Les problèmes ont un début, une adolescence, une jeunesse,
une maturité, une vieillesse, et par conséquent une fin. Le grand politique est le
politique patient. Il aide par ses discours les citoyens à attendre. A attendre que
le problème meure de sa belle mort. La société après n'est pas comme la société avant
parce qu'elle évolue. En effet il y a le progrès. Créé par la mort de problèmes qui
ont eu le temps, ô oui le temps, d'en engendrer beaucoup d'autres. Quand une société
a longtemps évolué de la sorte grâce à ses politiques, économistes et journalistes,
elle crève de son évolution. Le désaccord avec Barthélemy et Laurent résidait dans
l'issue fatale qu'ils prétendaient donc empêcher en amputant le mal et ses métastases.
Là où les autres voulaient juste changer les idées de la société malade, lui faire
croire que sa maladie était bonne, ils voulaient soigner et guérir.
L'ambition de l'idéal, effarante mais si compréhensible, imposait des mesures, des
procédés, qui allient la précision du scalpel à l'efficacité de la bombe. "Une bombe
chirurgicale" pour reprendre les propos des pince-sans-rire des médias lors des raids
d'avions dans des guerres récentes. Il s'agit là plutôt d'une vision lointaine, très
journalistique, de l'effet produit en bas, là où la frappe est "chirurgicale", mais
l'effort a besoin de se soutenir le moral en occultant les conséquences. Pleurnicher
sur son sort ne sert à rien; pleurnicher sur celui des autres quand on en est coupable,
encore moins; mais ne pas agir et attendre c'est mourir.
Les bien-pensants sont souvent des lâches-pensants. On ne défend pas les siens parce
qu'il faudrait être coupable. On préfère accuser les temps, le progrès, l'évolution
inéluctable. On a une haute idée de soi, le navire coule, il aurait pu continuer
de naviguer, il aurait fallu à temps jeter les insurgés à la mer; on a été bon, on
a eu pitié; ils ont pillé, violé, démoli le bateau; le bateau coule, le capitaine
salue les couleurs en train de couler.
Les hordes s'étaient multipliées, organisées. Elles existaient depuis des années
mais à l'état embryonnaire, leur développement était spectaculaire. Les critères
de chacune étaient précis, on n'entrait pas dans l'une ou l'autre sur faciès, il
fallait prouver son origine ethnique ou pour d'autres son fanatisme musul. Au début
des noirs étaient admis parmi les arabes mais une évolution rapide qui laissait penser
à ceux-ci n'avoir plus besoin des médias et de la taulairance, avait abouti à une
ségrégation quasi totale. Les noirs en avaient assez de ne jamais pouvoir diriger
dans les hordes arabes et celles-ci les tenaient pour des inférieurs. Alors il y
avait des hordes séparées mais dans la région on trouvait un noir pour sept arabes.
Les affrontements n'en étaient pas moins inévitables, imprévisibles. Tour à coup
on apprenait qu'une bagarre violente entre cent ou deux cents "jeunes" avait eu lieu.
Soit préméditation de l'une d'elles, qui avait tendu une embuscade - pour des représailles
en général - soit hasard. La police et la gendarmerie arrivaient trop tard. En infériorité
numérique. Pour avoir une force suffisante il leur fallait le temps de faire venir
des renforts. Le temps de comprendre la gravité d'un problème, d'avertir les autres
unités, le temps qu'elles viennent... En admettant qu'elles ne soient pas déjà déployées
sur leur secteur, ce qui était de plus en plus rare. De toute façon on arrivait sur
place trop tard, la bataille était finie. On préférait arriver trop tard. De plus
en plus. Des blessés et des morts policiers et gendarmes la liste commençait d'être
longue. Les défections des musuls étaient désormais fréquentes, ils se sentaient
plus proches de ceux qu'ils auraient dû combattre et après avoir joué le double jeu,
mis dans la nécessité de choisir entre la république et les leurs, entre la taulairance
et les leurs, ils choisissaient les leurs. Pourquoâ le pays pas d'v'nir musul ? Cé
râciste d'pas d'v'nir musul. Eux t'lérants, oui, mais musuls donner les ordres, les
aut' d'voir s'intégrer au nouvel ordre national, l'ordre musul. Les 'ichesses elles
doivent êt' à ceux d'Alla pas'que. Pas b'soin d'aut' réson. Planète musul. Et supprimer
le françouè. Chié d'apprendre françouè. Maomais pas l'connaît'. Merde aux écol's
où on veut vous fo'cer à app'end' françouè. Parler arabe et anglais. Mort à la France.
Quoi ? Papiers, j'ai papiers, j'souis françouè autant qu'vous, cé pas connaît' françouè
ou trucs de friance qui fait le françouè, cé la mosquais, quand tu vas bien mosquais
avê papiers tou es françouè. Et v'là.
La logique du nombre, de l'agressivité, de l'agression, de l'impunité engendre pour
les médias des profits parce que chacun achète éventuellement des journaux etc. pour
y trouver sa logique et qu'il faut beaucoup d'acheteurs pour beaucoup de profits.
En fait les hordes n'achetaient que les journaux sportifs et le local mais les mjusics
rap chié friance, oui, et aller ciné avec héros arab' ou noir amé'icain qui tue des
blancs, ça bon. Surtout, ce qu'ils cherchaient, leur obsession, c'était de baiser
des blanches, blondes de préférence. Les voir à poil au ciné, ces chiennes, ça donnait
des idées. Et les pubs. T'as vu les pubs ? Y a des chiennes tout pa'tout. Le grand
truc de base quand elles t'évitent, dire qu'elles sont racistes; à cause des bons
Pourat, Louzette, Lindrone et de leurs acolytes, elles ont très peur; elles n'osent
plus t'éviter; alors t'i vas du leitmotiv; toi pov' p'tit arab' ou nègr' mais les
musuls sont bons, pas avoi' peu' musul, pourquoâ el' avoi' peu' ? Elle dit qu'elle
n'a pas peur, non. Alô, on boâ un pô ensembl' ? Elle n'ose pas refuser. La harceler.
Présenter les copains (hilares derrière son dos). L'isoler des siens - très important.
Toute résistance est du racisme, la propagande TV, radio, film, mjusic, bons p'tits
musuls, musuls taulairants, essaie l'musul la pute. Tondre les filles collabos des
boches à la fin de la Seconde Guerre Mondiale fut une horreur, une atrocité; les
millions de morts en camps de concentration étaient peu de chose en comparaison.
O horreur. O horreur. T'i voa, t'i risqu' pas d'êt' tondue. Pourquoa ti vê pâ coucher
avec moâ ? Pasque ya souis arab' ? (ou noar ?) T'es raciste, ouais, t'es racist'.
La naïveté des filles prises au piège d'un baratin élémentaire serait sidérante si
elle n'était due aux médias collabos. Mais les parents eux-mêmes à cause des politiques
comme le traître Chosset étaient déboussolés, incapables de défendre les leurs, même
leurs propres filles. Ils se croyaient nobles et généreux de laisser les musuls en
faire des putes dans leurs caves. Quand une "affaire" arrivait à être connue, Pourat,
qui n'osait pas la cacher, la noyait dans une série de propos et de reportages "bons
p'tits musuls taulairants et tout ça". Et le drame national s'était amplifié, amplifié.
Les collabos tenaient le haut du pavé, fiérots, dédaigneux, insultant dès qu'ils
ouvraient la bouche les vrais Français, mais ils n'étaient que des marionnettes
tenues par les pétro-dollars et leurs maîtres déjà riaient d'eux avec mépris avant
de les liquider et de s'installer. Penser, des gens qui ont livré leur pays, qui
aimerait les garder chez lui ? Ils dégoûtent, ces gens-là. Et leur baratin sur la
générosité, la tolérance, le pluriethnisme, le multiculturalisme etc, ils avaient
tort d'oublier qu'on le leur a payé. La propagande s'achète avec ceux pour la dire.
Quand ils ont reçu l'argent, qu'ils ne s'attendent pas à autre chose que le mépris.
II
La force et l'ordre n'étaient plus main dans la main. La force attaque l'ordre. L'entente
cordiale a volé en éclats. Que vaut l'ordre face à la force ? Il n'est qu'une machine
à rendre propre, pour que tout soit propre. Les citoyens le prenaient pour une protection;
et lui, qui le protégeait ?
Le pouvoir central avait appelé l'armée. Les vaillants soldats, tenus hors du corps
social par la discipline, assureraient la pérennité d'un système social attaqué qui
maintenait en même temps des discours officiels qui le sapaient dans ses fondations
mêmes. De la sorte l'ordre était un but vide. Un but sans but. L'idéologie des hordes
avait l'efficacité de la bêtise : prendre, croître, dominer. L'ordre ne peut ni tuer
l'un de ses ennemis ni laisser tuer l'un des siens, le scandale créé par toute mort
rejaillit sur lui et l'affaiblit un peu plus; en face on exploite les morts, on exploite
la mort, on l'utilise pour complexer par les médias, pour faire chanter l'ordre par
les médias, mais on ne se soucie pas des morts, parmi les siens - ils deviennent
des héros, immédiatement oubliés d'ailleurs mais Alla s'en occupe - ou parmi les
autres - un de moins et on a été les plus forts.
L'armée, depuis que Chosset avait supprimé le service militaire, avait recruté beaucoup
de maghrébins qui ne savaient pas comment gagner de l'argent faute de métier dans
un pays qui perdait des emplois au lieu d'en créer alors qu'il avait une immigration
constante stupéfiante. De ce fait ils étaient majoritaires dans certaines unités.
Comme, pour lutter contre les discriminations, on avait eu soin de nommer certains
d'entre eux aux grades de pouvoir, parfois injustement au détriment de plus méritants
mais vrais Français, il n'y eut pas de manque à la discipline quand elles changèrent
de camp.
On pourrait penser que le force cherchait simplement un nouvel ordre. L'ancien n'était
plus bon. Le fameux progrès selon les collabos. Les vrais coupables des morts étaient
ceux qui résistaient au nouvel ordre. Celui des envahisseurs. Pourat en son djournal
national ne cessait de le répéter : si on accueillait mieux ces étrangers, ils ne
deviendraient pas agressifs. Tu donnes ton portefeuille au voleur comme ça il ne
te vole pas; et ne t'agresse pas. L'écoeurant discours médiatique de la collaboration,
impuni dans son acharnement contre ceux qui défendaient leur pays, plaçait ensuite
ses profits chez l'oncle Picsou ou oncle Sam, le grand argentier de la planète, là
où Pourat, Louzette, Lindrone et les autres se réfugieraient peut-être si ça tournait
mal pour eux. Mais le risque leur semblait minime. Chosset pouvait même chaque année
aller parader à la Grande Foire Agricole et être applaudi par ceux qu'il avait ruinés,
ridiculisés, dépossédés au profit d'un prétendu mondialisme dont les vaste poches
n'étaient pas mondiales.
La première volte-face d'une unité militaire eut lieu lors d'une intervention en
zone commerciale de banlieue. Deux bandes s'étaient affrontées, une de noirs une
d'arabes; le conflit avait éclaté dans l'allée à petits magasins d'un hypermarché,
réduit alors à une dizaine d'individus en tout; bataille à poings - mais ceux qui
perdaient avaient sorti les couteaux; bataille à couteaux - plusieurs saignaient,
de chaque côté; certains avaient alors sorti... leurs téléphones portables : ils
appelaient le reste de la bande à l'aide; les plus près de la bagarre arrivèrent
de suite et l'alimentèrent de leurs forces; désormais toute l'allée commerciale vidée
des clients réfugiés dans les magasins dont les vendeurs essayaient de baisser les
rideaux de fer était possédée de rage, une furie entêtée de ne pas perdre le combat
pour la domination de la zone poussa à prouver sa force. Il fallut faire venir des
armes à feu. Qui a peur de mourir ? Les lâches ont peur de mourir. La dissuasion
ne fonctionne pas. Il fallut donc se servir des armes de dissuasion. Quelques-uns
tombèrent. On tirait dans l'allée, dans le parking en se cachant derrière les voitures
où s'étaient réfugiés des clients affolés qui dans leur fuite s'étaient bloqués les
uns les autres, ne pouvant plus avancer ni reculer, dont les enfants hurlaient de
peur - certains pris de panique en se voyant coincés ainsi avaient abandonné parfois
leurs voitures, étaient partis en courant, les laissant au milieu des passages -,
dans l'hypermarché où des gondoles renversées servaient de protection à un groupe
de femmes et d'enfants blancs que deux hommes sans armes s'efforçaient de sauver
tandis que des combattants chargés d'occuper le terrain tentaient de débusquer leurs
ennemis, animés des mêmes intentions, obéissant aux mêmes ordres, en tirant au petit
bonheur puisque personne ne voyait personne. Le combat ne pouvait être gagné dans
un tel rapport des forces. Il fallut faire venir des armes plus performantes avec
les derniers des bandes, ceux qui ce jour-là étaient chez eux ou près de chez eux;
ils apportèrent les kalachnikovs, les bazookas, les grenades et quelques autres armes
plus rares, sur lesquelles on comptait donc pour l'effet de surprise. Il y eut sans
doute des tués à ce moment. On se retrancha dans des secteurs que l'on tenait désormais
et on tentait des sorties, des attaques, pour déloger l'ennemi. On n'y arrivait pas.
Alors on eut recours aux portables. Chaque horde entretient des alliances plus ou
moins vagues, plus ou moins fortes avec d'autres bandes; des liens existent, des
intérêts communs existent. Les alliés arrivèrent en masse de chaque côté; la bataille
eut la dimension de la zone commerciale et même au-delà. Certains avaient des gilets
pare-balles, certains avaient des boucliers, certains des casques, on avait fait
sortir des réserves des plaques de blindage, le tout volé aux gendarmes et aux policiers.
Il y avait au moins quinze cents combattants dans chaque armée. Les arabes avaient
trouvé des renforts arabes; les noirs avaient dû ratisser large, la horde asiatique,
deux hordes blanches, deux métisses non musuls, mais ils faiblissaient, les ressources
humaines des autres, même en métis l'emportaient en nombre.
Pendant ce temps la légalité ne restait pas les bras croisés attendant qu'ils se
liquident entre eux pour ramasser les survivants. La méthode avait déjà été essayée
et il y avait trop de survivants. En plus la presse s'en prenait à la police. Non,
on évaluait. Les policiers du secteur avaient immédiatement évalué qu'ils étaient
dépassés et, conformément aux ordres, ne devaient pas intervenir mais prévenir; les
renforts arrivés rapidement avaient, tout aussi rapidement, évalué que la dégradation
de la situation avait été telle avant leur arrivée rapide qu'ils ne pouvaient intervenir
sans des renforts. Ceux-ci de toute la région se mirent en route sans tarder mais
il fallut pendant leur progression les prévenir que les armes désormais utilisées
sur le terrain dépassaient leurs compétences et prévenir l'armée. Celle-ci fit ce
qu'elle devait. Le général choisit pour combattre le feu par le feu une unité vaillante
composée de soixante-dix pour cent de musuls, de quelques noirs, musuls ou pas, et
pour le reste de blancs athées. Ils accédèrent à la zone d'intervention en moins
de vingt minutes car leur camp n'était pas éloigné. A ce moment il y avait dans les
deux cents deux cent cinquante morts déjà. Le but : séparer les combattants grâce
aux engins blindés, plusieurs avec canons. Le colonel chargea sans distinction d'ethnies,
de cultures, de religions, deux groupes de réduire la résistance à l'armée, l'un
des arabes l'autre des noirs et "tutti quanti" (dit-il). Il semble que des noirs
soldats les premiers aient refusé de tirer sur leurs frères, en tous cas les non-musuls
d'entre eux furent tués par des arabes du même groupe. Et on a l'image filmée du
premier canon qui, tourné vers les insurgés arabes se tourne lentement vers les véhicules
occupés par les blancs, les autres noirs et les arabes loyalistes. Il tira. Puis
d'autres se tournèrent et les hordes maghrébines derrière eux avancèrent. En face
on fut si surpris que la déroute fut complète. Le colonel avant d'être tué eut juste
le temps d'expliquer la situation au général en hurlant dans son téléphone. Les hordes
qui avaient triomphé finissaient de piller les magasins et d'emporter leur butin
quand arrivèrent les hélicoptères, les forces de police et de gendarmerie qui n'avaient
pas arrêté leur progression malgré l'intervention militaire, estimant que l'on aurait
peut-être néanmoins besoin d'elles, et bientôt les chars. Les hordes prirent la fuite
en laissant le reste du butin sur place. Les soldats rebelles avaient abandonné leurs
véhicules et étaient cachés dans les cités, nouveaux héros. On ne prit pas grand
monde. Des seconds couteaux maladroits dont on fit des exemples, que la presse photographia
et filma longuement. Ils devinrent aussi des héros jusqu'aux plus éloignés des pays
musuls. Ils représentaient les forces d'Alla combattant les alliés du satan quicain
qui a plein de belles choses à prendre.
Le soir en son djournal le national Pourat fut terrible pour les forces de l'ordre.
Elles étaient impuissantes ! Où va-t-on ! Hein où l'va l'bateau ? Rien ne va. Et
pourquoi ? A cause de l'incurie des chefs de l'armée, de la police et de la gendarmerie,
bien sûr. Mais surtout... surtout ! pasqu'on n'a pas assez bien accueilli musuls
en édifiant mina'ets tout pa'tout, alo' musuls contents, et si donner biaucou biaucou
alo' pas tirer. V'là. C'est simple, non ? Bons p'tits musuls, taulairants et tout
ça. Mais on ne leur donne pas assez. V'là.
Trois cent soixante-sept morts. Apparemment peu de blessés parce que les hordes n'avaient
laissés sur le terrain que les plus touchés, ceux qui auraient besoin absolument
des hôpitaux des blancs. Le pouvoir au plus haut niveau : ministres, puis premier
ministre, puis président, annonça que la situation était grave et qu'il allait...
y réfléchir. Après il prendrait des mesures. Réfléchir demande du temps. On ne fait
rien de bon dans la précipitation. Ceux qui avaient averti que ces événements auraient
lieu un jour étaient en prison ou avaient dû s'exiler ou avaient été amochés par
les taulairants ou même liquidés, ils ne risquaient donc pas de rappeler que le temps
on l'avait eu et que presse, politiques, associations, artistes portaient la responsabilité
de l'inaction. Lindrone acculé par des téléspectateurs dans une émission de radio,
finit par leur répondre : "Ça vous f''ra pt'êtr' mieux accueillir les étrangers."
Ouais, les associations répercutèrent : ce qui venait de se produire était une bonne
leçon pour ceux qui n'étaient pas tolérants comme elles, voilà à quoi on arrivait,
la mixité totale aurait évidemment évité ce drame, mais les blancs avaient pour certains
refusé le métissage alors les maghrébins avaient dû prendre, on les comprend; si
tou li mond' i d'vient musul, âlo plou di problèm', car musul taulairant; or y a
des qui ont peu' musuls; toâ pâ avoi' peu'; ti conve'ti musul, et v'là.
On les voyait, fiérots des assassinats perpétrés, avec leurs crânes rasés, leurs
casquettes à l'envers, leur français esquinté, aux aguets perpétuellement, toujours
prêts à bousculer un blanc, à se plaindre habilement, à tenter de profiter de toute
situation. Leur audace s'amplifiait de jour en jour. On en voyait des groupes partout
aux quatre coins des villes, se téléphonant les uns les autres sans arrêt pour se
communiquer des renseignements, et tout à coup ils se réunissaient, ils attaquaient
un magasin ou des gens isolés ou un groupe ennemi. La guérilla s'était instaurée.
Le gouvernement réfléchissait à des mesures d'urgence. Il ne voulait vexer personne.
Surtout pas les pays musulmans qui ont du pétrole et dans lesquels se trouvent des
résidents français qui seraient tués immédiatement au nom de la taulairance musul
s'il décidait de punir ou de chasser les criminels. Les chasser ! Les associations
montèrent au créneau et passèrent en boucle à la TV, à la radio, monopolisèrent les
unes de la presse écrite pourtant alimentée en fric public pour dénoncer par avance
toute velléité gouvernementale d'arrêter le pluriethnisme musul, le multiculturalisme
musul. L'invasion continuait.
La France humiliée, la France assassinée pendant que le gouvernement réfléchissait
pour ne rien faire. Même Pétain et Laval étaient des héros de la résistance comparés
à l'ignoble Chosset et à ses sbires qui avaient vendu leur pays. Les V 2 n'avaient
pas le force du pétrole, ils n'emplissaient pas les poches, sinon la city aurait
prêché la taulairance aux V 2.
On eut l'idée - on : quelqu'un dans un ministère et la lumière monta pour illuminer
le président actuel, successeur du sinistre Chosset, l'actuel plein de bonne volonté
en discours - d'une renaissance patriotique par la célébration des grandes heures
nationales. D'abord, dans les écoles au lieu de faire de la haute pédagogie en cours
d'histoire on exigerait que les élèves la connaissent, ils devraient apprendre par
coeur; ensuite on chanterait la Marseillaise dès la maternelle et ainsi quand ils
seront grands les jeunes ne la siffleront plus dans les stades, ils chanteront joyeusement;
enfin la TV publique allait consacrer des émissions, des téléfilms aux Grands du
pays, aux Illustres. Donc on ressortit des archives et les enseignants se mirent
en grève. Il y avait une intolérable agression contre la liberté d'enseignement.
A la TV on rediffusa un Napoléon, un Henri IV et un documentaire sur Versailles.
On avait pensé à tourner un téléfilm sur Robespierre mais l'Elysée tiquait. Pourtant
les modèles de conquérants n'étaient peut-être pas à glorifier dans la situation
actuelle. On aurait peut-être mieux fait de remettre en question les grands modèles,
le sanguinaire Napoléon et l'opportuniste Henri. Toujours est-il qu'après un coup
d'épée dans l'eau, le pouvoir estima avoir du temps pour réfléchir davantage. Et
puis après des épreuves pareilles on avait besoin d'évasion. De vacances. Loin. Bien
loin d'ici. Au soleil. A l'étranger.
Sur notre coupable zone le calme ne revenait pas malgré les discours officiels, les
visites officielles des ministres et l'omniprésence des forces de l'ordre. On était
contrôlé partout. A quoi cela servait-il ? Assaillants, assaillis les papiers étaient
les mêmes. C'était censé rassurer les citoyens que ça embêtait. Personne n'était
rassuré. Au contraire. On comprenait que faute de solution l'ordre roulait les mécaniques;
il n'aurait pas eu besoin de s'exhiber, de prouver qu'il pouvait enquiquiner tous
les innocents s'il avait été capable de maîtriser et d'arrêter les coupables. Dans
un pays moribond le pouvoir magicien dresse des illusions pour décourager les envahisseurs.
Et il se croit fort. Le pouvoir fait son cinéma. Salut l'artiste. Mais on ne sauve
pas un pays avec de l'illusion.
En même temps les discours habituels continuaient. D'abord tous ceux qui disent arabes
sont racistes, tous ceux qui disent musuls sont racistes, tous ceux qui disent rentrez
chez vous sont racistes, tous ceux qui disent Français d'abord racistes, tous ceux
qui disent "noirs sont noirs" racistes, tous ceux qui disent pas donner racistes,
tous ceux qui disent pays chrétien racistes, tous ceux qui disent "pas livrer nos
filles" racistes, tous ceux qui disent " pas de discrimination positive" racistes,
tous ceux qui disent "on ne veut pas de ces étrangers" racistes, tous ceux qui disent
"ils nous prennent notre boulot" racistes, tous ceux qui disent... Mais on a la liberté
d'expression ! On est dans un pays libre ! Libre, Chosset en ricane encore. Libre,
mais pas pour tout le monde, libre pour ceux qui viennent d'ailleurs, les associations
et ceux qui se remplissent les poches (hommes d'affaires, politiques, artistes, journalistes...)
Les autres on a les lois d'exception pour les mettre au pas.
On attrapa, par hasard semble-t-il, officiellement grâce à des informateurs - et
ce n'est pas impossible car peu après on découvrit plusieurs cadavres affreusement
mutilés -, deux soldats qui avaient trahi, tiré sur l'armée et déserté. Le pouvoir
était très embarrassé par ces captures. Etre sévère risquait d'enflammer les banlieues,
les fameuses "cités" où la police depuis de lustres entrait si rarement et uniquement
en masse pour opérations "coup-de-poing". Or comment ne pas être sévère . Le pouvoir
se résigna à réfléchir. Et selon la vieille habitude, pour l'aider, puisqu'il ne
voyait pas de solution, pour gagner du temps, pour que d'autres événements graves
aient le temps de se produire et qu'ainsi ces prisonniers perdent de l'importance,
voire soient oubliés, il créa une commission.
La télé oeuvrait dur pour les musuls en dépit des précautions, car la liberté de
la presse et des animateurs et des aqueteurs et des chianteurs a le droit, oui madame,
oui monsieur, grâce à la répétition médiatique, de limiter la liberté des autres
citoyens. Par exemple l'émission quotidienne de l'hilare Mironini : "oh il a dit
ça", "oh, si, si, il l'a dit, il l'a dit", il a dit quoi ? qui "il" ? Le Miro donc
faisait une chasse féroce, le brave homme, hi hi drôle c'est drôle, aux abominables
propos... racistes. Qu'est-ce qui est raciste ? Eh ben... "il" a dit, qui ? un journaliste,
eh oui, que les arabes étaient peut-être devenus trop nombreux à certains endroits.
Oh ! Mironini yeux ronds main sur la bouche. Oh ! Ses chroniqueurs révulsés sur leurs
tabourets. Oh ! Comment ce journaliste pouvait-il encore s'exprimer sur les ondes
? Pourtant le ménage avait été bien fait. Horreur. "Qu'en pensez-vous, spectateur
? Exprimez-vous. Dites-le-nous sur le Mironini point fr. Les meilleurs courriels
seront lus ici-même." Parfois il lisait l'un des autres pour montrer jusqu'où l'indignité
pouvait aller, des gens racistes, ah oui, tous ceux qui ne sont pas d'accord avec
cette immigration c'est bien simple ils sont racistes, xénophobes racistes, on devrait
les chasser du pays ou les tuer, d'ailleurs les arabes justement s'en occupent. L'autre
cas que les journalistes tous journaux et chaînes confondus appelaient gravement
"le cas Longueret" ou "l'affaire Longueret" était celui d'un sénateur qui avait timidement
mais imprudemment ô combien, émis la suggestion, filmée hélas, que l'on ne confie
pas une commission déterminante sur l'immigration... à un immigré, comme on prétendait
que le voulait le président, mais plutôt à un "Français de souche"; ces paroles furent
dénoncées par le parti socialiste car le supposé futur nommé était un socialiste;
le numéro deux du parti socialiste, qui était lui-même un immigré récent, s'insurgea
et parla d'insulte envers les immigrés, de trahison de la longue tradition française
d'accueil des étrangers, d'obscurantisme dans la patrie des droits de l'homme. Il
fit monter au créneau son successeur à la tête d'une association contre le racisme
qui vint s'indigner à la télé dans son costard de luxe des propos racistes du sénateur
qu'il allait poursuivre devant les tribunaux. Il n'acceptait pas, non il n'acceptait
pas, qu'un immigré soit écarté des décisions sur l'immigration musul, lui-même était
musul et alors ? C'est normal être musul, ici comme partout, ou il y a discrimination,
il tolérait bien les chrétiens, lui ! Et pourtant beaucoup de musuls commençaient
de trouver qu'il gênaient. Mais il n'y avait pas de tueries comme au Soudan, en Iran,
en Irak, en Indonésie... car ici les musuls sont taulairants. Pour le moment. Mais
faudrait pas pousser le bouchon trop loin et empêcher la multiplication des mosquais
et des mnina'ets comme en Suisse (tous les chroniqueurs de Mironini yeux ronds et
main sur la bouche d'horreur quand les Suisses avaient osé décider de rester Suisses
au lieu de s'intégrer aux arab' musuls). Et fallait punir le sale sénateur raciste.
Quatre vieux cacochymes se rendirent dans des cités et se firent sauter tuant des
"jeunes". Parmi lesquels on s'aperçut qu'il y avait beaucoup de soldats déserteurs.
Apparemment ils avaient trouvé là où la police ne trouvait rien; et de leurs maisons
de retraite encore ! Mais le pouvoir avait déjà deux déserteurs rattrapés, il n'en
voulait pas plus, ceux qui avaient réussi la capture n'avaient pas eu d'avancement
et n'étaient pas prêts d'en avoir. Cette fois il suffisait de honnir ces vieux, le
problème n'en était pas un. Au contraire - mais à ne pas dire, chut !
L'horreur quotidienne n'empêchait pas de bien vivre la décadence dans les derniers
jours d'une civilisation qui sans Chosset, ses milliardaires et leurs adversaires
devenus leurs solides alliés : les idéologues gauchistes, aurait pu vivre encore
des millénaires. On crevait dans un déluge de bons sentiments médiatiques. Jamais
le fric n'avait autant coulé à flots. Ceux des misérables "cités" avec leur économie
parallèle vivaient mieux que les plus aisés de leurs pays d'origine devenus leurs
pays de vacances. Ils y allaient régulièrement étaler leurs profits et subir l'endoctrinement
nécessaire, ils revenaient considérant qu'ils n'étaient plus tout à fait de là-bas
et qu'ils devaient faire venir ceux de là-bas ici. Rien de paradoxal selon eux dans
ce système de pensée. En bref ils voulaient prendre, prendre, puisqu'il n'avaient
rien su faire, et qu'importe le reste.
III
Du haut des remparts de son village vaguement inspiré par le copiage avec variantes
infinies, Paul, regardant le moutonnement verdoyant jusqu'à la mer, méditait amèrement.
Ainsi la guerre une nouvelle fois remplaçait la révolution. Les vieux schémas triomphaient.
L'invasion avait pris l'aspect mendiant avant de se révéler soldat. Le vieux truc
du cheval de Troie ou de la cinquième colonne l'emportait sur la noblesse de la pensée.
Pourtant il avait expliqué et encore expliqué comment on sortait d'une situation
intenable, il avait indiqué la porte de sortie, il l'avait ouverte, maintenue ouverte...
Personne n'était sorti. Le monde se répétait. Vieux disque raillé rayé. L'espoir
en l'homme n'est qu'une vaste blague. Brailler, jouir, se plaindre, se battre et
crever, voilà ce qu'il est capable de réaliser. O temps fabuleux ! Le roman de la
vie est pitoyable. Chacun copie sur un père, un voisin, une vedette, une mère, une
héroïne de cinéma copiée sur... Il faudrait faire la chasse aux originaux de cette
planète, s'il y en a encore, être une sorte de collectionneur, réunir ces êtres rares
à part et, soldant tout compte, supprimer les autres, la catastrophe des autres.
A quoi servent-ils ? L'humanité sert-elle ? Alors c'est pire. Elle sert et ne le
sait pas. Elle a une raison d'exister qu'elle ne connaît pas. Il n'y a pas de solution.
La sottise est trop générale pour que les populations agissent, dans un sens ou dans
un autre, sans être manipulées. D'elles-mêmes elles resteraient immobiles, mourraient
sur place sans agir pour reculer la mort. La manipulation mentale est une nécessité
historique. S'adresser à l'intelligence est inopérant. L'intelligence est individuelle,
l'histoire ne l'est pas. Un criquet seul est raisonnable, attiré dans un nuage de
criquets il n'est plus qu'un élément d'une force dévastatrice. Il faut détruire ce
nuage. Ce n'est pas un raisonnement qui l'arrêtera. Il va dévaster les moissons.
Ceux qui réfléchissent au lieu d'agir sont ses alliés à bonne conscience. Mais il
n'est pas question de criquets, il est question d'hommes. Faut-il savoir tuer des
hommes ? Il faut savoir tuer des hommes. Sinon on sacrifie les siens avec bonne conscience.
La lâcheté et la trahison avec bonne conscience. La révolution n'aura pas lieu. Tuer
ou être tué il n'y a eu d'autre choix qu'en illusion. Les vieux schémas reviennent
à leur tour, il doit y avoir un ordre répétitif en cercle des vieux schémas comme
la terre tourne. Paul veut cesser d'être un marginal puisqu'il est inutile. Pourquoi
ne rentrerait-il pas dans le nuage ? Pourquoi ne renoncerait-il pas à la raison qui
l'isole et le ridiculise ? Lui aussi peut servir la mort. Son dieu était la vie humaine,
mais la lucidité ne sert à rien, elle l'a empêché de bien vivre. Le bonheur consiste
à débouler la pente, à jouir du vertige au lieu d'y résister, à s'écraser en bas
s'il existe. Il a eu tort de vouloir. Vouloir stopper une chute générale. Comme si
c'était possible. Ce n'était pas possible. Il aurait donné sa vie pour sauver les
autres, il avait perdu sa vie.
Il part. Il est descendu des remparts, il s'évade. L'homme est dans le mal comme
le poisson est dans l'eau. Paul veut vivre. Il se rend par bus dans la presqu'île.
Là, lentement, en touriste pour ainsi dire, il se promène sur la corne haute de trace
de drame en trace de drame, d'incendie en incendie, de détresse en détresse. D'autres
suivent le circuit et ils ne sont pas les premiers; quand on a des loisirs on s'ennuie
si on ne les occupe pas; on vient s'instruire sur l'actualité, on voit par soi-même
au lieu de voir par l'oeil des médias, l'impression est différente, on n'est plus
séparé du drame par des discours; on le ressent si on a de l'imagination. Le tourisme
du malheur n'est pas plus malsain que le journalisme du malheur et il n'est pas blasé.
La routine du malheur s'inscrit dans les vieux schémas, elle fait trois petits tours
et s'en va. Paul remarqua que pour ses compagnons de visite la contemplation ne conduisait
pas à la méditation. Voir suffisait. IL n'y a sans doute aucune leçon à tirer de
quoi que ce soit parce que toutes les leçons possibles on les connaît déjà; ces visites
confirment ce que l'on sait, elles n'enseignent pas. Car quel homme a besoin d'apprendre
ce que sont les hommes ? Il a tous leurs actes en lui, dès son premier jour; il n'a
rien à apprendre, il ne s'avoue pas savoir tout de suite, il recule l'échéance, il
va faire l'étonné sur les champs d'horreur quand il s'ennuie, il va s'y voir sans
être surpris, il ne découvre que ce qu'il sait.
Ensuite Paul gagne la corne basse. Après avoir "visité" la maison de Jean, il a en
effet eu l'idée de vivre sa journée dans la diversité. Or en bas, au bord de la rue
qui dessert les propriétés des criques, sur le côté externe de l'unique tournant,
il connaît de réputation la dernière maison mitoyenne d'un bloc d'une cinquantaine
de mètres, la seule à posséder une entrée de côté donnant sur une cour, pavée en
rose, où l'on s'arrête et d'où l'on repart sans être remarqué.
Le facteur est en train de sonner à la porte. Une femme d'aspect revêche, mince,
au ton cassant, robe grise, échange quelques mots avec lui, prend un paquet, signe;
elle apostrophe Paul, lui demande ce qu'il fait là, lui dit de s'en aller. Apparemment
on ne "visite" pas sans rendez-vous. Paul recule, attend sans en avoir l'air. La
femme ferme la porte. Le facteur, passant à côté de Paul, lui demande ironiquement
s'il peut lui rendre service. Paul dit qu'il cherche à louer ou à acheter, il a vu
un panneau derrière cette propriété, il le montre, il croyait que la cour était le
passage; le facteur explique gravement qu'il faut faire le tour du pâté de maisons
à gauche. Il doit savoir quelles sont les occupations de la femme qui vient de refermer
la porte, à quoi sert cet endroit de crapules. Le facteur s'en va en même temps que
Paul.
Paul revient. Il sonne. Il sonne. La porte s'ouvre. La femme a un sourire ironique
et dit il ne sait quoi. Il ne l'entend pas. Il jette un coup d'oeil alentour pour
vérifier que personne ne le voit. Il bouscule la femme, il entre de force, elle veut
crier, il la frappe, il ferme la porte, elle essaie de se redresser, d'appeler, il
la frappe contre les marches de l'escalier, elle ne bouge plus, elle se tait.
Il s'arrête, il goûte le silence, la paix avant que l'action ne le reprenne. Il la
sent monter en lui.
Il monte l'escalier. Un couloir. Il ouvre brutalement les portes. Personne. Personne.
Personne. Dans une chambre, oui, sur le lit, il y a une fille. Il s'approche. Son
coeur frappe, cogne. Elle est comme dans les contes. La beauté a été volée par le
bordel. La femme des rêves se vend. Paul la reconnaît. Il l'a vue sur des magazines.
C'est un mannequin connu mais moins engagé depuis quelque temps. Elle n'a pas peur,
elle attendait un client, elle ne connaissait pas ce client, elle le prend pour le
client. A l'évidence ici on ne paie pas en liquide et d'avance, elle ne lui demande
que ce qu'il veut, elle lui fait des propositions. Paul dit, elle obéit. La beauté
vile se salit d'humiliations baptisées commerciales. Paul jouit d'une fille à 100
000 balles. La pute d'or se comporte à l'image de toute la presqu'île; elle en est
pour Paul la personnification; la presqu'île est un domaine, une propriété, son corps
qu'elle offre au plus offrant et l'argent du riche gagné par l'oppression, le vol
et la corruption, retombe sur elle; les lieux ont les nymphes qu'ils méritent; la
beauté se loue, elle s'abîme de location en location, comme une voiture de luxe dont
on ne remplacerait pas les pièces défaillantes; la fille et le client appartiennent
au luxe, la fille a un prix et le client a un prix, le luxe n'a pas de prix. L'humiliation
commerciale de la beauté est changée en fierté quand le prix est élevé. C'est d'ailleurs
une règle générale non seulement du commerce mais du monde du travail. La beauté
pute croit avoir le droit de penser comme les autres. Un journaliste TV avait dit
un jour à la fille qui, de la mode avait glissé au charme : "Vous pensez à ce que
des hommes doivent faire en regardant vos photos ?" Elle le leur faisait directement.
Pour les photos elle n'y avait pas pensé avant que le journaliste ne l'y insinue
dans sa pensée; pour ce qui est d'aller plus loin ce sont les propositions hors antenne
du journaliste (refusées) qui le lui avaient insinué dans sa pensée; ces idées implantées
dans sa tête s'y étaient développées, le besoin d'argent pour rester dans le luxe
cachait le sordide, par une amie elle avait rencontré Alessandra qui l'avait prise
à l'essai, qui lui avait donné sa chance, qui lui avait fait confiance. Alessandra
avait des adresses. La fille venait ici de temps en temps quand elle était demandée
pour des sommes qui la rendaient impatiente du client. Elle continuait de se montrer
à des réceptions, à passer quelques photos dans des magazines à la limite de la mode
et de l'érotisme. Paul jouissant du capitalisme ne renonça pas à ses idées révolutionnaires.
Il étrangla la pute. Ce qui moralement est discutable. En redescendant l'escalier
il acheva la gardienne de ces lieux qui serait remplacée sans difficulté, elle avait
été belle, elle s'était louée, elle avait cessé d'être belle, elle avait loué les
autres. Elle ne voyait pas de différence entre son agence et une agence immobilière,
comme quoi les raisonnements sont souvent de précieuses oeillères.
Tant de traces attirent la police. Sur le point de quitter les lieux Paul s'arrêta.
Il réfléchissait. Dans la mesure où son esprit confus le lui permettait. Il rentra
dans la maison. Le feu. Le feu est nécessaire. Le feu le purifiera de cette maison.
Il cherche, il faut... pour allumer... pour... Il trouve une petite cuisine. Voilà.
De l'alcool. Des allumettes. Et le gaz. Les incendiaires vont encore frapper. Il
rit en allumant les incendies à l'étage. Une dernière fois il regarde la fille morte,
longuement, comme s'il l'avait connue depuis toujours, comme s'il avait eu avec elle
une histoire d'amour, elle est l'histoire d'amour de la vie de Paul, elle ne le quittera
plus, il va encore la tuer par le feu, il la tuera éternellement. Il redescend, ouvre
le gaz, passe près de la gardienne, sort. Il est déjà loin quand la maison explose,
tuant les habitants de la maison mitoyenne et des passants. "Bon, se dit-il en riant,
un peu plus de morts un peu moins de malheur sur cette terre." Peut-être que l'un
des passants était le client attendu par la fille. On ne le saura jamais.
Paul n'était pas devenu cynique, il avait simplement renoncé à attendre la révolution.
On ne peut pas vivre dans un monde sans espoir. Les gens ne doivent pas vivre sans
espoir, comme des bêtes qui vivent parce qu'elles vivent, sans but. Le but justifie
d'accepter la vie. Il n'y a plus qu'à détruire la vie car elle n'a plus de but. Le
plaisir est un système de destruction. Mais de destruction lente. Qui permet le renouvellement
des bêtes à plaisir. Paul opta pour l'orgie. Brutale, sans lendemain. Droguer ce
monde jusqu'à l'overdose. Il s'est habitué à la drogue, ce monde, il ne peut plus
s'en passer; pour en finir avec lui, pour qu'il finisse, il faut et il suffit de
lui procurer ce qu'il désire. Le capitalisme triomphant meurt de jouissance. Et c'est
le révolutionnaire qui lui apporte sa drogue.
Karine me fait la tête. Et pourquoi ? Je ne suis pas un type bien. Ce crime m'est
habituel. Je ne vais pas pleurer sur le sort de ceux qui m'ont rencontré. Eric était
dans le salon avec elle il y a un instant. Elle a dû l'appeler. Quand il est parti
il m'a jeté un regard froid, son sourire pour une fois avait disparu. J'étais dans
la cuisine, je l'ai vu passer, il n'est pas venu me saluer. Elle est peut-être malade
? J'ai horreur des malades. La maladie m'attriste et me dégoûte. Et je vis dans un
monde malade. Cette région est malade, ce pays est malade, le monde est malade, la
planète entière. La vie est une maladie de la planète. Je ne suis pas médecin. Il
paraît qu'il y a un navire hôpital, qu'on y emmène Karine. Vraiment je ne me sentais
pas content. L'histoire, le problème, sûrement c'est parce que j'ai déchiré la chanson.
Karine venait d'écrire la chanson. Elle l'a essayée sur moi. Comme d'habitude. J'ai
hurlé. J'ai déchiré ce texte. D'où, probablement l'appel à Eric. Qu'est-ce que j'y
peux. Ce texte était abominable. Il hurlait dans mon corps. Je ne supportais pas,
je n'acceptais pas; la musique insinuait ces mots dans ma tête, les mots étaient
faux, je le lui ai crié mais elle a continué. La chanson elle la voulait sur scène
dès ce soir. Ce texte détruisait Karine, il n'était pas compatible avec Karine, il
appartenait aux autres, à cet ignoble monde des autres dans lequel il faut vivre,
elle était comme passée à l'ennemi, elle pactisait.
Karine apparaît dans l'ouverture de la porte, je fais semblant de ne pas l'avoir
aperçue, je ne lève pas la tête, elle s'appuie contre le chambranle. On ne se parle
pas. Si Karine est ordinaire, alors je suis mort. Alors tout s'effondre en poussière.
Je regarde Karine. Elle me dit : "Tu avais raison. Eric est d'accord avec toi." Les
larmes malgré moi pleurent sur mon visage. Le désespoir a été si grand qu'il jaillit
en larmes. Karine vient s'asseoir sur mes genoux; elle me console; elle me jure qu'elle
ne le fera plus, qu'elle regrette, elle me demande pardon.
La crise est passée. La banalité a dû fuir. L'idée que Karine sur mes genoux pourrait
être un poids d'ordinaire me révulse encore. Elle me caresse tout doucement, me rassure;
à l'oreille elle me chante "Akhenaton". Je redeviens moi-même à sa voix. Je me retrouve,
ami qui m'avait quitté, par la voix de ma maîtresse. Et puis de son corsage elle
sort un nouveau texte. Elle me le chante tout doucement à l'oreille. La mélodie est
la même qu'hier - mais elle a son vrai texte. Le texte est Karine et il me chante
dans la tête son bonheur de revivre ensemble. Comment ai-je pu ne plus t'aimer. Mes
sourcils se froncent quand je pense à moi. Mais je n'ai plus besoin de penser à moi,
Karine a retrouvé la magie de chanter.
Bric et broc, salade salace, nuit de nuisette au séminaire, ô lalâa, pourquoi tu
me plantes lâa, qu'est-ce que j'ai fait, qu'est-ce que je ne t'ai pas fait, pôvr',
pôvr', pôvr', la scandaleuse. Chic et choc, malade de baise, pâle de toi pâle sans
toi, où m'abandonnes-tu ? quelle est cette serre ? ô lalâa, où suis-je sans toi,
qu'est-ce que j'fais lâa, sans tes meurtres sans tes coups sans que tu me démembres.
A ce moment la guerre qui paralysait le pays était moins et plus là; si loin de cette
guerre par Karine j'étais plus près de mon pays que jamais par Karine; comment dire,
comment expliquer qu'elle me permette à la fois la présence et l'éloignement, dans
l'ordre inverse plutôt, il faut que je m'éloigne des banalités de l'actualité pour
me sentir présent au monde, pour communiquer avec lui, sans rire je dirais mystiquement
ou quéqu'chose dans l'genre. O lalâa, pourquoi y a-t-il de moi des choses que tu
n'veux pâas; nique et moque, sac et mode, pends-moi, pends-moi, ne me laisse pas
dans cette serre, casse cette serre, pends-moi, pends-moi, ô lalâa. Toutes mes rencontres
forcées avec des gens qui ont été mis, pions placés, sur mon territoire au même moment,
se concentrent en une rencontre de l'inconnu, du mystère de ma présence, de la mienne,
mystère qui est la vérité, qui me devient en quelque sorte palpable, je le suis pour
moi, la vérité du monde réside dans le mystère de ma présence, le monde est ma présence
au monde, en cet instant elle est totale, l'insondable est évidence, l'absurde est
rationnel, l'âme est mon corps. O lalâa, chic et moque, brique et choc, brique et
brique encore, dis-moi, dis-moi, que tu m'édifies, brique à brique par toi, brique
à brique en toi, reconstruis-moi, reconstruis-moi, reconstruis-moi... Les arbres
de Provence sifflaient dans le mistral chargé d'eau rougeâtre, il n'y aurait pas
de tempête, juste l'insupportable. L'histoire battait son plein, elle accumulait,
mémère, ses gaffes historiques. Les commerciaux pugnaces vendaient l'histoire, la
Provence, les arbres, le vent et même la pluie. Il n'y a plus de reines. Il n'y a
plus de tenues de soirée. La serre éclate, la scène éclate, reconstruis-moi, brique
à brique, brique à brique, tue-moi, mens-moi, mens, mens, mens, reconstruis-moi,
la serre éclate et tu n'es pas lâa. Chic et choc, mimi et parlotte, les fleurs se
flétrissent dans l'air sans ciel, les fleurs se flétrissent dans l'air véritable,
je m'effrite en poussière, je m'effrite en poussière, reconstruis-moi, brique à brique
en toi, reconstruis-moi, que je te sois toi, que je te sois prisonnière, prends-moi,
prends-moi, pends-moi, pends-moi, que je m'effrite de toi, reconstruis-moi. O lalâa.
Puis le chorégraphe est passé pour des mises au point sur une partie du spectacle
de ce soir qui sera utilisée dans le clip vidéo du nouvel album. Je regarde Karine
"parfaire". Elle a une pièce pour son entraînement quotidien. J'y risque rarement
le pied. Mais aujourd'hui on veut absolument mon avis et après notre crise je ne
suis pas en position de refuser. Je trouve tout "parfait". Karine est contente de
moi, alors elle est contente d'elle. Elle veut que je vienne au spectacle ce soir,
il est important pour elle à cause du clip. Je ne suis pas en position de dire non.
Quelle journée. Parfois, voyez-vous, dans un couple, il faut savoir se sacrifier,
multiplier les concessions et puis Eric sera présent pour s'occuper de tout. Karine
a fini de s'entraîner, elle vient m'embrasser. Devant son chorégraphe, elle affiche
sa reconquête, elle se montre propriétaire. Il sourit, un peu à la manière d'Eric.
Mais quand Karine est avec moi le sourire d'Eric gagne tous les visages, ce sourire
étrange, ambigu, mi-complice mi-vice. Sans importance le sourire du monde. Karine
veut m'afficher ce soir. Je suis à l'affiche de Karine. J'ai envie de rentrer brusquement
chez moi. Je suis derrière les barreaux de ses chansons. Elle veut me laver les cheveux,
me peigner, elle veut me manucurer, me parfumer mais de son parfum, m'habiller des
vêtements qu'elle a achetés pour moi en mon absence - "c'est que je pensais tellement
à toi, tous les jours, tout l'temps" -, m'habiller de ces vêtements qui sont à elle
- "à toi, je t'aime, pour toi, je t'aime" -, elle me met les chaussures qu'elle a
achetées "pour aller avec les vêtements" - je ne veux pas, elle est suppliante à
mes genoux, je cède -, un bracelet en or voyant, je ne veux pas, elle embrasse ma
main - "chéri, pour toi, juste ce soir, laisse-moi te le passer, juste un soir" -,
une montre, j'ai déjà une montre, oui mais celle-là va avec le bracelet (c'est tout
dire !), je ne veux pas, elle me caresse - "tu es mon prince, juste un soir, chéri,
un soir" -, elle me supplie, m'embrasse la main, le poignet, je la laisse faire...
Voilà je suis à l'heure de Karine. Je suis prêt pour son spectacle. Pas elle. Mais
elle a le temps parce qu'elle n'a pas l'intention de le commencer à l'heure. Moi,
monstre de foire à exhiber, pas pire depuis l'homme-éléphant, une maladie nouvelle,
l'homme-Karine. Mon Dieu, ce qu'il ne faut pas faire quand on aime plus ou moins.
Enfin. Jamais je ne l'ai vue si joyeuse, si contente, si pleine d'entrain. Pour elle
ce doit être une soirée exceptionnelle, une de celles qui comptent dans une vie,
que l'on attend depuis des années, et quand elle arrive on sait que l'on vit les
plus beaux moments de sa vie. Cette soirée, si j'étais honnête avec Karine je devrais
la lui gâcher.
Mais je ne suis pas honnête. Je la laisserai vivre avec ce mensonge.
Je me demande si nous sommes réels. Je me mets devant une glace, assurément je ne
m'y vois pas. Karine est fière comme une Nobel, jamais je ne l'ai vue aussi docile.
Est-ce qu'en ce moment nous sommes encore indépendants l'un de l'autre ?
Quand je suis avec elle Karine a une vie des plus ordinaires. Très sédentaire. Je
dirais bourgeoise si le mots n'avait pas trop de connotations qui lui sont étrangères,
mais d'apparence oui. Elle n'est pas accroc à la drogue, elle me dit "Ma drogue,
c'est toi", je ne sais pas si c'est vraiment gentil, ambigu en tout cas. Pour moi
elle n'a été droguée qu'une fois - il n'y a pas de drogue à la maison, du jour où
nous avons choisi cet appart ensemble parce que, avait-elle remarqué, le sien était
petit pour une vie de couple même sporadique, et puis elle n'y avait pas d'espace
pour danser. On s'étaient disputés. La faute à qui ? A aucun. Aux deux. Karine me
met toujours dans des positions fausses; je m'explique : notre relation pour moi
devait être basée sur la liberté, nous étions d'accord, nous avions discuté, d'ailleurs
les aventures de Karine... passons; mais les principes pour elle ne sont que des
principes, c'est-à-dire qu'ils appartiennent à la décoration, comme les fleurs ou
les tableaux dans une maison, avoir des principes est donc selon elle important,
sinon de quoi aurait-on l'air quand on discute avec des gens, quand on a des invités
à la maison ? Dans ses chansons Karine n'a pas de principes mais elle joue avec,
en chatte savante. Enfin cette fois-là, et en public, elle multipliait les signes
de soumission, elle se livrait à des ordres que je ne voulais pas donner, elle en
demandait par défi; je ne suis pas un mac; notre "couple" était le scandale de la
soirée, d'un comique dérisoire et de mauvais goût; je ne suis pas contre le mauvais
goût, il lave de l'autre, mais s'il doit conduire à la vie bourgeoise en prenant
des chemins de traverse... Mon principe en somme était de ne pas avoir de principes;
pas de chaînes; pas d'entraves; pas de devoirs. Karine la scandaleuse d'accord avec
tout. Ce qui pour elle voulait dire (je m'en suis rendu compte trop tard) avec tous
donc aucun, autant celui-là que les autres, pas plus pas moins : un principe est
joli, elle l'adopte mais ne le suit pas, parce qu'elle ne peut pas suivre un principe
quel qu'il soit. Elle avait adopté le mien avec enthousiasme, l'avait chanté, et
puis elle en aurait voulu un autre pour une autre chanson. On ne peut prétendre,
ce serait absurde, qu'elle n'avait rien compris. Karine comprend, à la façon de Karine.
Et en ce sens, elle est logique. Donc en pleine soirée le ton est monté parce que
"je ne voulais pas"; il n'y a qu'une lavette pour ne pas avoir de volonté... Vous
devinez la tournure de la dispute ? Un homme se montre homme. Il honore la femme
en était homme à la face du monde. "Je ne voulais pas" alors elle me méprisait, je
la dégoûtais, je l'humiliais en public par mon comportement. Elle a vidé quelques
verres, y compris de personnalités, discrètes, gênées, fascinées. Je l'ai ignorée.
Elle a disparu. Longtemps. Je ne savais où. Puis il y a eu des cris. Une dame m'a
touché le bras et m'a dit : "Votre femme a eu un malaise dans les toilettes." Je
me suis précipité. Karine était par terre, heureusement qu'elle n'avait pas fermé
la porte, elle était inconsciente, de la drogue encore à côté d'elle. Je l'ai prise
dans mes bras, je l'ai emportée. A l'hôpital, à son réveil, elle m'a dit : "Maintenant
je sais la dose qu'il faudra si un jour je suis sûre que tu ne reviendras pas." J'ai
horreur des chantages, je le lui ai dit, elle a souri : "Pardon, mon chéri, je ne
le ferai plus." Elle a tenu parole car jamais je n'ai retrouvé de drogue dans ses
affaires (j'ai vérifié, évidemment). Eric était accouru. A la sortie de l'hôpital,
je parlais de la peur que j'avais eue, il m'écoutait avec attention, me regardait
fixement sans sourire, je lui ai demandé alors s'il m'en voulait, s'il voulait que
je m'en aille, il a fini par me répondre à peu près ceci : "Jusqu'à ton arrivée je
me croyais comme Karine, un excentrique paumé anti-tout et jouisseur; mais non; je
copiais ses comportements; je ne peux pas les partager avec elle, je ne peux que
les lui emprunter. Je suis malheureusement "normal"", je croyais que ce mot n'avait
pas de sens et c'est moi qui lui en donne un... N'oublie pas de revenir." Je ne suis
sûr que des derniers mots, mais pour le reste je ne suis pas loin; enfin, vous voyez
le genre, la petite leçon au type qui n'a pas été bien. J'ai échappé à la police
je me demande comment. Et pourquoi. Eric a dû arranger ça. Je n'aime ni les chantages
ni les leçons. Je vis avec comme bien d'autres. Tout cela est loin, du reste. Autant
en emporte le vent. Il ne s'agissait que des erreurs d'un soir. Les horreurs d'un
soir. Il est presque oublié. Mais la nuit a été terrible, j'étouffais, j'ai cru me
jeter par la fenêtre. Je devais hurler, des voisins sont venus. Ils cognaient à la
porte. On ne meurt pas si facilement. Hélas. Au matin la porte s'est ouverte, Karine
était dans l'entrée, livide mai_
Quatrième partie
I
Les hommes ont travaillé pour les hommes, leurs efforts empuantissent la terre. La
bulle des bonnes actions, des bonnes intentions éclate enfin, en meurtres, en tortures,
en guerre.
Chaque jour la presse s'ingénie à dire sans dire, elle avoue du bout des lèvres les
derniers pillages, les derniers morts. Les journalistes consacrent régulièrement
une partie de leur journal à expliquer qu'il ne faut pas s'en prendre aux journalistes;
plus ils ont servi la propagande d'invasion musul plus ils affirment de façon répétée
l'irresponsabilité des journalistes; le journaliste a tous les droits. Pourat a convoqué
le ministre de la culture pour le rappeler aux masses avec fermeté; on n'est jamais
trop prudent.
L'armée a été déployée sur toute la région, elle couvre le territoire de ses grandes
ailes. Mais l'armée est malade. Ses effectifs musuls sont retournés à Alla avec le
matériel de mort qu'ils ont pu prendre. Chaque jour cette partie de l'armée, appelée
"dissidente" par les djournaux quicains - la Quicanie pense toujours à l'après
et aux profits de reconstruction, à tout hasard elle place des pions dans
chaque camp -, attaque l'autre qui est désormais uniquement composée de blancs; mais
des blancs athées sont passés aux musuls, ils veulent montrer leur grandeur d'esprit,
leur noblesse d'âme, leur générosité, et ceux qui ne trahissent pas comme eux sont
des racistes, de sales racistes... racistes... racistes... racistes...
Les gens qui ne sont pas d'origine arabe ont peur quoique Pourat quotidiennement
déclare les musuls taulairants, "pas avoi' peu'", ils veulent juste la place. Les
économistes invités expliquent que leur implantation massive est bonne pour la France
car leur taux de natalité est excellent; ensuite ils se tirent vite fait et vont
habiter en Quicanie; un océan ne leur semble pas de trop entre eux et la taulairance.
Les politiques expliquent à qui veut les entendre (mais il n'y a pas grand monde)
qu'ils ne sont pas coupables et pas même responsables car rien de ce qui arrive n'était
prévisible. Certes gouverner c'est prévoir, mais on dit ça comme ça, gouverner c'est
surtout plaire aux médias sinon vous n'êtes pas élu et pas réélu. Essayez de gagner
une élection en ayant contre vous toute la presse libre habilement entretenue en
cadeaux, en pétro-dollars, en avancement pour les plus taulairants, comme une pute
de luxe. La pute, elle te baise ou tu la baises mais de toute façon c'est toi qui
paies.
La catastrophe était la faute des racistes. Racistes... racistes... racistes... S'ils
avaient tout donné quand on le leur demandait gentiment, s'ils donnaient tout, eh
bien voilà... tout serait réglé. On se complique la vie pour des riens. On n'est
pas assez généreux et le résultat n'est pas joli joli. Racistes... racistes... sales
racistes...
Contre ceux qui au lieu de livrer leur pays voulaient chasser les musuls de chez
eux, la leader - elle était une habituée des séjours en Quicanie - du socialo-parti,
Aurdy, monta à la tribune des putés avant d'éclater idem devant la presse : "Ils
sont ignobles, ignobles ! La France est terre d'accueil ! Elle doit se livrer à l'ennemi
!" L'ignoble Aurdy avait bonne conscience et bon portefeuille. Dans les résistants
on trouvait surtout des pauvres. Fille à papa d'un éminent socialo elle avait fait
carrière grâce aux amis en ne connaissant les difficultés des masses laborieuses
que par ouï-dire. Mais pour une réélection elle avait dansé avec un pauvre dans un
bal populaire. Les demandes venant d'en bas d'une répression forte et rapide quel
que soit le nombre de morts chez les envahisseurs lui firent pousser des cris stridents.
"Ils sont puants, les qui d'mandent ça ! Puants !" clamait la puante Aurdy. Et l'inénarrable
Lindrone accourut apporter son soutien (il avait un film à promouvoir et arriva aussi
vite que possible du Mâôc) : "Aaah, puants, je vomis, ils me donnent envie de vomir,
aaah, je vomis sur eux. " Aurdy remarqua avec satisfaction que le débat politique
qui était tombé très bas ces derniers temps à cause des réacs qui voulaient chasser
les bons p'tits musuls avait enfin repris de la hauteur. On redevenait fier d'être
Français.
Ceux qui voulaient défendre leur pays étaient racistes... racistes... racistes. Les
prétendues associations de droits de l'homme, les prétendues associations anti-racistes
envoyaient chaque jour des charrettes entières d'individus à condamner aux dociles
tribunaux. Et s'appuyant sur les lois limitant la liberté d'expression de Chosset,
les lois d'autoprotection de Chosset votées grâce aux socialistes, ils condamnaient,
condamnaient, condamnaient. Racistes... racistes... racistes... tous ceux qui défendent
leur pays et l'avenir de leurs enfants sont racistes. En leurs djournaux Pourat et
Louzette chaque jour exigeaient plus de têtes, encore plus de têtes; ils épluchaient
avec leurs fines équipes les moindres propos tenus, parus, ils trouvaient; leur peur
d'être punis pour trahison était telle qu'ils voyaient des crimes contre eux partout,
dans les moindres propos. Tout et tous leur étaient suspects. Ils exigeaient des
condamnations exemplaires. La justice, selon eux, était molle dans leur lutte contre
le racisme. Racistes... racistes... racistes. Le Président se livrait à de lénifiantes
envolées patriotiques et pensait à ses proches vacances en Quicanie, il y serait
bien resté mais les prix sont si élevés là-bas; il ne faisait rien. Agir risquait
de déplaire aux pays à pétrole. De déplaire aux Quicains. Les Quicains ont entre
autres spécialités de poursuivre devant le Tribjunal inte'natiônal comme criminel
tout dirigeant qui résiste à leur politique, laquelle consiste à obtenir du pétrole
à bon marché en livrant aux musuls des territoires européens. Si vous faites le guerre
comme les Serbes pour cesser l'invasion, les Quicains viennent vous tuer et eux ne
passent jamais devant le Tribjunal inte'natiônal - en réalité un tribunal quicain,
des basses oeuvres quicaines.
Un djournaliste non-orthodoxe avait déclaré que dans les affaires de drogue, dans
les affaires de vol, d'agression, la majorité des poursuivis et condamnés étaient
arabes ou noirs. Pourat, Louzette, Lindrone, Aurdy, les associations crièrent, pleurèrent,
braillèrent : raciste ! raciste ! raciste ! Il objecta qu'il suffisait d'aller voir,
la vérification était facile. Vérifier ! Vérifier des propos racistes ! Aah, elle
était bonne celle-là. Il n'y avait rien à vérifier. Il devait être chassé du journalisme.
De fait son journal, quoique de droite, le convoqua illico en vue d'une procédure
de licenciement. L'affaire avorta néanmoins, de nombreux lecteurs de ce journal signifiant
qu'ils ne l'achèteraient plus si cette procédure n'était pas stoppée. Elle le fut.
Les soi-disant anti-racistes en crevaient de haine : voilà la drouète, la sale drouète,
ils veulent chasser les bons p'tits musuls; quelle horreur ces gens de drouète !
Aurdy en versa publiquement quelques larmes médiatiques.
Qui n'a assisté à une séance interne de ces associations anti-racistes nourries,
gavées avec des fonds socialistes venant de mutuelles d'étudiants ou de syndicats
amis, mais aussi des pétro-dollars qui n'ont coûté aucun effort à ceux qui les leur
donnent, ne connaissent pas le degré de haine de ces gens-là pour les vrais Français
qu'ils voulaient purement et simplement éliminer afin d'échapper au châtiment des
traîtres, et dont ils n'hésitaient même pas à nier l'existence puisque homo sapiens
n'était pas né là : aucune ânerie n'arrêtait la haine de ces gens. Une affaire célèbre
de l'époque illustre parfaitement la face sordide de ces associations, si différentes
de celle médiatique. L'un des fondateurs de l'une d'elles se servait dans ses fonds
régulièrement pour s'offrir des montres de luxe. Avéré. Mais il ne fut pas condamné.
Parce que si on commençait par en condamner un... La justice avait été sage.
On ne meurt pas comme on veut. On ne choisit pas sa mort. Les chirurgiens et les
médecins choisissent votre mort. Ils vous prolongent comme ils veulent, eux ont une
volonté qu'ils appellent éthique médicale, ils brisent votre volonté au nom de leur
éthique; ils ont le médicament, ils ont le pouvoir, ils ont la force.
Ils étaient fous de rage que Jean ne soit plus leur prisonnier. Ces étranges prisons
que l'on nomme hôpitaux, où les plus durs châtiments sont infligés et où les récalcitrants
ont double peine sans jugement, ne peuvent tolérer que le subissant se croie libre.
L'humiliation quotidienne est un raffinement que la maladie ne peut imposer que grâce
à la médecine. L'horreur médicale est la collabo humaniste de l'horreur de la maladie.
Le subissant est le sali, l'humilié, l'avili. Tu n'es plus un homme, tu es un malade.
Les employés de la maladie assouvissent sur toi leur soif de pouvoir. Ils se vengent
d'être ce qu'ils sont sur le subissant. Et tu devras les remercier. L'humilié remercie.
Merci Madame la Chirurgienne, Monsieur le Chirurgien de m'avoir amputé, merci Madame,
Monsieur le Médecin de m'avoir déstabilisé et drogué, merci Madame l'Infirmière,
Monsieur l'Infirmier de m'avoir rendu piquouse-dépendant. Je tiens à remercier ici
tout le monde médical. En échange j'espère qu'ils m'autoriseront à crever sinon tranquille
du moins dans des délais pas trop prolongés. Je n'ai rien fait de mal, ou pas plus
que les autres en général, je sais que ce n'est pas une excuse, personne n'a d'excuse.
Mais laissez-moi m'en aller.
Un commando de médecins, chirurgiens, infirmiers de première classe sortit du bateau
médical à la nuit tombée pour traquer Jean. On avait des informations précises sur
le fuyard. Elles avaient été aimablement communiquées par son frère Paul qui se rongeait
les sangs de le savoir perdu pour la science. Paul s'amusait. Il lâchait une meute
de la mort sur le saint prêcheur. La politique hait l'âme. Le repenti de la politique
court le crime comme la pute les grands magasins. Avoir console, calme un instant
la souffrance de se voir ou simplement de s'être aperçu. Quand on est content de
soi on est simplet ou fou. Paul s'était cru médecin du monde en prônant les médicaments
politiques qui allaient le soigner, déçu de lui-même il déléguait à des collègues.
Jean ne se méfie jamais des hommes. Il n'est pas naïf. Il sait non seulement ce qu'ils
sont mais qui ils sont. Les êtres de cette terre ont une existence réelle. Ils se
plaignent d'eux-mêmes et ils brisent tous les miroirs. Jean est un miroir. L'homme
qui ne torture pas, qui ne blesse pas, qui ne tue pas, est un monstre parmi les hommes.
Jean passe par cette terre comme le missionnaire en terre païenne. Les hommes vivent
tous en terre sainte, ils se voilent la face, ils détruisent les images pour ne pas
se regarder, ils choisissent de ne pas vouloir, ils n'ont pas honte d'eux-mêmes.
L'ambulance était garée dans le parking d'un hypermarché aux portes de la ville coincé
entre une autoroute, un fleuve nain, une station d'épuration et la mer, presque vide
à cette heure. Mais par un des ces hasards dont l'histoire des crimes manqués est
pleine Jean était parti se promener, seul en dépit des objurgations de Sandra. D'habitude
elle est vigilante. Elle aurait senti venir l'attaque. Mais elle attendait. Elle
avait consenti à rester, elle n'avait plus de raison de veiller, elle attendait.
Le commando piqua l'infirmière et l'aide-soignante pour qu'elles dorment longtemps
et emporta le chauffeur qu'il prit pour Jean.
Ce chauffeur bénéficia des traitements les plus avancés. Comme Jean avait subi les
prises de sang, dépistages multiples, radio, scanner, lors de sa précédente visite
médicale on ne jugea pas indispensable de les refaire et au lieu de perdre du temps
on commença sans retard le traitement. Il était lourd parce que la maladie était
grave et par-dessus le marché dans sa phase finale : c'était donc la dernière occasion
de le soigner, il ne fallait pas la laisser passer. Le malade était bien traité.
Mais comme il s'était évadé une fois il était nécessaire de prendre des précautions
afin qu'il ne risque pas d'interrompre son traitement. Il était sanglé sur son lit.
Comme on se sent heureux d'aider les autres, de leur être utile, de les sauver dans
la faible mesure du possible. Bien sûr cet homme va mourir mais accrochez-vous, nous
sommes avec vous, nous allons lutter ensemble, nous allons nous battre. Jusqu'à la
fin. La sienne.
Jean revenu à l'ambulance de son pas lent de malade et rêveur, fut médusé. Il n'avait
pas été absent plus de... il regarda sa montre : trente-cinq minutes. Il essaya de
réveiller Sandra. En vain. L'aide-soignante non plus ne pouvait pas se réveiller.
Il s'assit, s'efforça de deviner. Peu de gens disposent de produits à injecter -
il voyait la trace de la piqûre -, ont une seringue, et sont décidés à enlever...
mais pas le chauffeur bien sûr. Dès son réveil Sandra se mettrait en rapport avec
la police et le délivrerait. En attendant comme il ne saurait être question d'échange,
il se mit au volant et l'ambulance se dirigea vers les collines.
La mort le gagnait lentement, il la sentait maintenant dans chacun de ses actes.
Vu par les autres ils étaient ordinaires. Vu par les autres, il était chauffeur d'ambulance.
Et dans celle-ci le corps médical, en fait deux, et charmants, dormait à poings fermés,
inoffensif. Jean n'était pas un bon chauffeur, d'habitude il ne conduisait jamais;
cette nouveauté hardie dans ses dernières heures l'amusa. Pour un moribond quelle
aventure ! Sa première expédition automobile. Il allait prudemment, la circulation
était fluide mais on le klaxonnait souvent, il s'appliquait. La mort s'applique à
ne pas provoquer d'accident sur la route folle. Elle se grise de sa correction raffinée
face aux injures de la bonne santé : "Connard, va donc apprendre à conduire !", "Eh
le demeuré, ton ambulance, pour toi, elle va devenir corbillard !" Le peuple joyeux
rit de la mort qui passe.
L'ambulance erra à travers les pins des collines, enfin stoppa. Le bruit des hommes
s'était tu. Jean sortit lentement encore amusé de son exploit, il vint regarder Sandra,
la secoua vainement, l'aide-soignante dormirait encore longtemps aussi. Il n'aurait
pas voulu être mort avant le réveil de Sandra, il aurait voulu ne pas être mort avant
mais il fallait peut-être se résigner à cela aussi.
Les collines chantaient. Un hymne à la vie qui se reproduit, un hymne à la vie éternelle.
Il était venu ici écouter le chant de la vie.
Il referma la porte arrière de l'ambulance, prit un chemin comme au hasard. Pourtant
il aurait dû s'arrêter, s'asseoir; il avait présumé de ses forces, il était au bord
de l'évanouissement. Il ne pouvait pas s'arrêter. Il marchait en mourant.
Les traces des hommes sont partout dans ces chemins de forêt. Les traces du passé
sont les marques de toute la terre. Elles sont l'imperfection des hommes, le mal
des hommes. Le saint prêcheur sait le mal des hommes, il continue sans regarder les
marques, il n'a pas de but, il n'y a pas besoin de but, la mort n'est pas un but,
la vie n'a pas de but.
Les heures étiraient leurs ombres sur les étendues brunes d'aiguilles de pin tombées.
Jean suit le chemin, de partout les pensées des hommes volent à lui. Sa solitude
est peuplée des espérances et des désespoirs des hommes. Et le prêcheur se souvient.
Les âmes en peine impuissantes à se transformer venant demander qu'on les délivre
de ce qu'elles sont. Les âmes prises au piège du monde dans les cris et les pleurs
supplient sans croire vraiment. La prosternation devant les signes est rancoeur de
ne pas avoir la puissance. Chacun voulait que son désir soit le droit; la volonté
est puérile; la volonté de la sottise parée des attiffements religieux donne le plus
gros comique. L'égoïsme pense en robe d'altruisme; il se remplit les poches en donnant
ce qu'il n'a pas, ce qui n'est pas à lui; son altruisme s'achète cher, on ne lui
aura évidemment aucune reconnaissance de l'avoir vendu.
Barthélemy et Laurent ont exécuté un raid punitif sur une cité pourtant bien gardée.
Les musuls se relaient par équipes pour assurer la sécurité de leur zone. Mais la
nuit deux hommes font ce qu'une division de l'armée ne réussirait pas, ils passent
la ceinture de barricades, accomplissent leur "mission", qualifiée de "forfait" par
les autres, repartent sans tracas. Les cités ont des chiens, ils sont plus à éviter
que les hommes, ils vous harcèleront sans répit s'ils vous dépistent, sans peurs,
sans calculs, sans réflexions. Barthélemy et Laurent se sont mis aux explosifs. Le
fusil, la kalachnikov créent peu de dégâts. Or si l'on ne tue pas assez d'ennemis
la guerre a l'éternité pour elle. Il faut tuer beaucoup afin de l'emporter ou ce
n'est pas la peine de lutter, on a perdu. Les plus nombreux, à terme, sont toujours
les vainqueurs. La volonté pense avoir le droit de choisir le côté des morts. Quand
les musuls le peuvent, même en sacrifiant des leurs - leur dieu s'en chargera -,
ils "nettoient" les blancs chrétiens auxquels ils souriaient la veille pour avoir
des papiers. Leur méthode s'inspire de celle des noirs d'Afrique du sud, beaux discours
copiés sur ceux de la taulairance, prendre, tuer; les naïfs y paient en premier les
prétendus crimes de leurs ancêtres. Tout se justifie, ce n'est qu'une affaire d'avocat
plus ou moins bon, plus ou mains cher. Donc est mathématiquement préférable ce qui
moralement est le plus condamnable. Faire sauter un immeuble plein vaut mieux que
gagner une petite bataille, la nombre de morts est plus grand. Et que l'on ne nous
serve pas qu'il s'agit d'innocents. Les femmes enfantent des guerriers et d'autres
pondeuses, les enfants attendent de pouvoir prendre la relève de ceux qui tombent.
Ils sont une bombe humaine envoyée par la musulmanie et on ne peut pas désamorcer,
il faut la faire sauter elle-même. Seule sa mort peut vous sauver d'elle.
La gloire nimbera les vainqueurs. Les avocats de l'Histoire rendent beaux les crimes
de la gloire. Les vainqueurs seront les héros - leurs descendants tiendront le système
universitaire de l'Histoire. Barthélemy et Laurent sont devenus la guerre. Ils ont
pour eux le droit, le droit de la terre, mais il n'y a pas de droit qui ne soit basé
sur la force; ils savent qu'ils auront le droit de la terre s'ils tuent assez d'envahisseurs
pour que ceux-ci n'aient pas le droit de la terre. Les morts ne sont pas des ombres
qui se réuniront pour vous cacher le soleil. Le soleil brille pour les forts. Les
autres ont des femmes qui pleurent. Ils ont des enfants qui demandent le soleil.
Le reproche des enfants envers les pères qui ont livré leur pays ou été faibles quand
on envahissait leur pays, est, au-dessus de la honte, la torture sans fin. Tous ceux
qui ne naîtront pas à cause de la générosité, de la tolérance des pères, parce que
l'on ne voudra pas qu'ils naissent dans un pays aux mains des ennemis, parce qu'ils
ne voudront pas naître dans leur pays occupé, joignant leurs cris dans le ciel aux
sacrifiés de la terre.
Barth et Laurent ont de loin regardé sauter l'immeuble, ils ont suivi l'affolement,
l'arrivée des secours car les musuls tiennent maintenant plusieurs hôpitaux et des
casernes de pompiers, ils contraignent ceux qui ne sont pas des leurs à les sauver,
la menace porte toujours sur les familles, les filles surtout sont leurs otages,
ils n'ont pas de morale, ils sont un dieu à la morale limitée à leur intérêt.
Combien de morts là-bas ? La seule source de renseignements serait la radio sur laquelle
ils ont mis la main, mais ils y ont imposé la langue arabe alors on ne comprend rien.
Pour eux la nouvelle langue de la France est l'arabe. Quoi ! ils ont papiers, ils
sont aussi françouès que toi ! et leur langue, c'est l'arabe. Trois cents, quatre
cents tués ? Là-bas ils hurlent pour des représailles comme si le crime originel
n'était pas leur présence sur cette terre. Qu'ils aient commencé, oui les premiers,
à tuer, ne gêne pas les Quicains qui contre du pétrole pas cher, affirment que les
immigrés ont bien le droit; bientôt ils proposeront leurs marines pour assassiner
les Français, ils ont agi selon leur intérêt direct sur toute la planète, leur hégémonie
aura été le crime planétaire organisé. Là-bas, au loin, que de morts, mais pas pour
rien. Il n'y a pas de mort pour rien. Les civilisations sont comme l'eau et l'huile,
elles ne peuvent pas se mêler, ce ne sont pas de simples cultures. Il n'y a pas de
la place pour tout le monde au même endroit. On sauve son pays et ses enfants, nés,
à naître, ou on les perd.
Il est indispensable de ne pas laisser de traces. La marque là-bas, la blessure sur
la cité, doit être la seule trace. Les deux guerriers se méfient des chiens; ils
disposent quelques pièges, ils laissent derrière eux quelques pièges à chiens, mais
aussi ils placent quelques mines, dans des endroits où seuls leurs poursuivants passeraient,
peut-être aussi un sanglier; ils laissent derrière eux des lieux de mort. Leur pas
devient plus rapide; ils traversent des routes, ils remontent des rues; ils gagnent
les collines.
Les parents les croient en excursion. Les lycées sont un système de surveillance
auquel ils savent échapper. Les voilà libres de la mort et de la vie jusqu'au soir.
Ils savent où aller, ils ont leur sanctuaire. Un endroit où personne ne vient, où
personne ne peut les attendre.
Jean les attend. Ils sait sans avoir eu besoin de hasard ou de révélation. Il n'a
pas su tout de suite pourquoi, après être logiquement venu se réfugier dans ces collines,
il prenait ce chemin à peine tracé qui disparaissait brusquement. Il a su en voyant
que le sol avait été foulé. En haut il a fait le tour de la cabane, il est entré
dans la cabane. Il s'est ensuite assis au pied d'un pin élancé, au tronc large comme
deux Jean, qui est plus haut que la forêt, et depuis il attend.
Barthélemy et Laurent passent près de l'ambulance. Curieux ils découvrent les dormeuses.
Leur présence est énigmatique. Ils ne croient pas qu'elles soient seules. Ils ressortent
les armes, dissimulées pendant la dernière partie de leur parcours. Leur chemin a
été piétiné. Quelqu'un est passé là, c'est sûr. Mais pourquoi ? Comment aurait-il
pu les trouver... les connaître déjà... ils sont fondus dans la guerre... la guerre
n'a pas livré leurs noms...
Jean ne fait pas la morale, il ne fait pas de morale. Barthélemy et Laurent écoutent
Jean leur parler de la terre. De cette terre sur la terre. Lui seul peut dépasser
leurs actes pour leur parler. Jean prêche pour la dernière fois. Il n'a pas de message.
Ses prêches ne sont pas des listes d'ordres plus ou moins justifiés. Il lutte contre
les oeillères, il ne cherche pas à remplacer des oeillères par des oeillères. Les
contraintes de la raison ne sont pas préférables aux autres, uns prison n'est pas
préférable à une autre. Barth et Laurent se créent des prisons à l'infini, ils s'évadent
de l'une dans une autre et un temps se croient libres; ils fuient de prison en prison;
leurs barreaux sont des morts. On reste prisonnier de ceux que l'on tue. Jean leur
montre le temps. Il les mène au-delà des barrières. On comprend quand on dépasse
sa raison. Le domaine de la raison est infime. La connaissance du fini, limite de
la connaissance de la raison, sera parfaite un jour, cette perfection finie n'ouvrira
aucune porte. Le fini n'a pas de balcon sur l'infini. Au-delà de la connaissance,
commence la vérité. Certes nous en faisons partie, d'une certaine façon, oui, mais
nous vivons dans la raison, c'est-à-dire dans le refus, dans les prisons volontaires,
la volonté s'unit à la raison pour le crime qu'est cette humanité. Nous ne nous voyons
pas. Nous ne nous imaginons même pas. Les hommes enfantent l'illusion de l'Histoire
pour justifier leurs boulets, ils enfantent les espérances, monstres fabuleux qui
se dressent entre eux et le vrai. Le temps est la révolte de Satan, le crime de Caïn,
le fard d'Eve. L'Histoire en putréfaction n'a pas de charognards et l'humanité n'a
pas de prédateur à espérer. Elle marche en un cercle qui n'est que du temps. Il faut
rejeter de ses épaules le vieil homme, renoncer à l'homme.
II
La planète des clowns se prend très au sérieux. On doit suivre toutes ses péripéties
sur les autres planètes, des écrans géants doivent 24 h sur 24 permettre de suivre
en direct les bons moments et il n'y a quasiment que de bons moments. Des moments
drôles. Des moments où l'on tue, dans la bonne conscience car le droit se livre généreusement
à l'un et l'autre parti, un troisième éventuellement, un quatrième... Sa générosité
est sans fin. Le droit tolère tout, chacun a bien le droit, le droit n'a pas de morale.
La morale est la bégueule du droit. Ils se fréquentent mais d'assez loin, quand un
intérêt possesseur de la force les y oblige, qu'ils doivent servir un maître. Mais
pour l'heure, tout va bien. Le droit est à l'aise et se répartit équitablement, il
aide toutes et tous à avoir raison et la raison nourrit les volontés d'arguments
absolument indiscutables; la morale s'est démultipliée, il y a foultitude de morales,
elle a pris des vacances, elle met des masques, elle fait la folle, elle joue de
grandes scènes.
Aujourd'hui un enfant est mort. Des "jeunes" sont venus et l'ont frappé. Ils avaient
une bonne raison : il était blanc. Ils ont tué le gamin de cinq ans parce qu'il
voulait les empêcher de violer sa grande soeur. Ils étaient venus violer et tuer
parce qu'ils n'aimaient pas les parents de ces deux-là. Leurs parents s'opposaient
à ce qu'ils deviennent de plus en plus nombreux dans le pays et exigeaient qu'ils
repartent chez eux. Mais là-bas c'est la misère. Ici il y a à prendre. Et puis ils
sont nés ici, de parents qui ont exigé papiers, ils sont françouès, ils veulent des
mosquais, chaque jour dans le pays on brûle ou on détruit une église. Si quelqu'un
proteste contre l'islamisation, le droit se charge de lui, on le tue. Le pays chrétien
est souillé, sali. Les collabos athées crachent sur le Christ unis aux hordes. Ils
livrent leur pays en se félicitant de la laïcité. Leurs femmes prennent volontiers
le voile pour prouver leur tolérance; ils s'assimilent bien, les athées, on les dresse
vite à être musuls car du moment qu'ils peuvent cracher sur les chrétiens pour eux
tout est bon..
Là-haut sur la colline, Barthélemy, Laurent, l'aide-soignante aident Sandra à enterrer
Jean. Puis elle reste seule. L'aide-soignante va délivrer le chauffeur des griffes
et de la gueule médicales. Barthélemy et Laurent sont sortis du droit et du jeu ambigu
des morales. Ils servent les leurs pour imposer une nouvelle loi. Ils ont l'arme
forgée par Jean. L'épée flamboie dans le soleil, elle est parfaite, elle ne se brisera
pas.
Sandra ne repartira pas. Elle l'a suivi à sa dernière étape. Mais elle n'était pas
là quand il est mort. Ce ne fut pas sa faute. Elle ne s'en consolera pas.
L'avenir redescend les collines. Barthélemy et Laurent y sont montés terroristes,
ils en redescendent chefs. Ils savent que les foules suivent ceux qui clament les
opinions qu'elles ont alors que sans eux elles laissent faire, elles condamnent mais
elles laissent faire. Ils ont été sacrés sur la colline.
Une vérité défend les siens. Le mensonge qui a le masque de la vérité dit et répète
la taulairance. La tolérance des faibles n'est qu'un mensonge pour masquer leur déroute.
Les lâches sous le masque de la tolérance sont les héros du mondialisme, du pluriethnisme,
du multiculturalisme. Leurs enfants esclaves crieront de haine en dressant leurs
poings contre les fantômes de leurs parents.
La vérité des siens crée le droit. On a le droit de ne pas habiter la maison des
courants d'air. Il ne faut pas seulement qu'une porte soit ouverte ou fermée, il
faut pourvoir l'ouvrir quand on veut, la fermer quand on veut. L'auberge espagnole
est à mettre dans les contes et légendes.
Le droit des siens crée la morale. Et il y en a assez d'une car elle est la vérité.
La vérité n'est pas donnée, il faut la créer, la penser, elle ne devient pas raison
du jour au lendemain, il y faut des efforts, il faut tout un travail. Ou on est maître
chez soi ou on n'est rien. Si tu laisses enlever ta porte ou casser ta porte, si
n'importe qui s'installe sur ton canapé et regarde ta télé quand il veut, parce que
la sienne ne fonctionne pas, ou même sans raison, alors ils seront bientôt nombreux
à s'installer chez toi puisque c'est sans risque, alors tu n'es plus chez toi. Alors
ils y seront bientôt chez eux. Ils n'ont pas de scrupules. Si tu as la tolérance
face à l'absence de scrupules quand ils ont décidé que chez toi ce serait un fief
du musulland, tu as tué tes propres enfants. Chosset est l'assassin de son pays,
ses poches sont pleines ainsi que celles de ses amis. Mais la reconquête vient d'avoir
des chefs investis par celui à qui ils ont reconnu le droit de les investir. L'autorité
n'a pas besoin d'autre fondement.
Les temps nouveaux, en quoi sont-ils nouveaux ? Les déserteurs de la patrie ont déclaré
qu'ils seraient nouveaux en ce que la patrie serait livrée à une autre civilisation.
Les déserteurs de la patrie pensent qu'ils ne seront pas fusillés. Barthélemy et
Laurent créeront les temps nouveaux. Les temps nouveaux seront le temps retrouvé.
On a le droit d'être soi.
En fuite sous les étoiles, Paul ricane tout seul. Il n'est pas recherché. Il fait
comme s'il était recherché. Paul le recherche, il le fuit.
Un jour il s'est perdu, la politique a chaviré dans la tempête, il s'est accroché
à tout ce qui surnageait, ce qui flottait. Puis il a lâché prise. Il dérive seul
dans l'océan, il rit de ne pas être mort alors qu'il est mort.
Il erre dans des rues vides. Et soudain il distingue, vers le fond du décor, tout
là-bas, une agitation. Une horde pille un grand magasin. A terre gisent les corps
des vigiles et de leurs chiens. Une dizaine de vigiles. Les deux tiers sont des noirs.
La horde a deux camions, l'un vient juste de revenir après un premier voyage, l'autre
est presque plein. Paul s'approche sans bruit. La horde est blanche.
La confiance en l'armée, en la police, la gendarmerie s'est effondrée définitivement
quand les appels désespérés pendant des attaques ont reçu des réponses destinées
à justifier une attente impossible. Quand les renforts arrivent systématiquement
trop tard on s'arme et on se défend. D'abord les institutions s'en sont prises à
ces gens qui adoptaient le parti de l'auto-défense, donc du chaos. Les médias sont
intervenus pour condamner. Pourat, Louzette, Lindrone, les associations, qui justifiaient
si bien, tout en prétendant ne pas justifier, les agressions des pauv' p'tits musuls
à qui on ne donnait pas assez, ne badinaient plus avec la loi quand il s'agissait
de blancs. Ceux-là étaient des monstres, ils se défendaient. L'argument du chaos
que l'on créerait alors que l'on vivait en plein chaos était faible, comique même.
Les hordes blanches s'étaient organisées; des policiers et des gendarmes les avaient
rejointes; elles se servaient partout comme les autres parce qu'elles devaient lutter
à armes égales avec les autres, avoir le ravitaillement nécessaire pour soutenir
des sièges comme les autres, avoir le matériel de luxe qu'elles n'avaient pu que
voir dans les magasins comme les autres. Leur argument de justice était lumineux
: tout ce qui se trouvait dans cette région avait été réalisé par leur travail et
celui de leurs aînés, tout l'argent qui permettait d'acheter ce qui se trouvait sur
cette terre-ci était le vol du capital sur le travail. Ce qui est ici est à nous,
nous ne faisons que prendre ce qui nous appartient. Les riches n'ont été que les
profiteurs d'un système qui, pour être plus riches, a abouti à ce qu'ils vendent
notre pays, derrière notre dos, sans nous le dire; leur presse libre mentait et mentait
encore pour qu'ils puissent mieux se remplir les poches sans être punis. Ils ont
tout vendu, même notre terre. Grâce aux politiques roublards, aux chanteurs en english
drogués, aux acqueteurs viande à vendre, aux djournalistes à qui on a laissé faire
carrière parce qu'on était sûr qu'ils se livreraient à la propagande musul éhontée
en souillant les ondes et la presse écrite, les écrivains pacotilles d'éditions,
les publicitaires et leurs troupeaux de putes... Marat revenu voulait leur sang pour
le retour de la justice.
Paul hésitait. Il avait envie d'aller proposer son aide, très envie. Mais ces citoyens
n'avaient pas besoin de son aide. Ils risquaient de le prendre pour quelqu'un qui
veut sa part, un individu intéressé. Qui ne l'est pas ? Paul ne l'est pas. Il est
asocial dans le chaos.
L'envie d'aider les pillards le taraude. Toute sa vie il a voulu aider. Pour cela
il a travaillé dur afin d'édifier un nouvel ordre économique, un nouvel ordre politique,
un nouvel ordre moral. Il a écrit des traités. Des traités pour une société plus
juste, pour une société plus fraternelle, pour une société plus libre. Ce militant
de l'avenir âge d'or avait bâti de sa tête un palais pour l'humanité. Avec lui elle
aurait été bien logée. Mais le fleuve des temps avait débordé; partout des inondations
catastrophiques. Chacun était occupé à sauver les siens. Le palais de Paul était
noyé. Sous les eaux. Il serait la nouvelle Atlantide.
De sa cachette il vit le second camion partir, le premier recevoir un nouveau chargement,
puis tous disparurent. Alors il alla jusqu'au magasin, il y entra. Pas trop de casse
par terre. Des rayons presque tous vides; les déménageurs avaient exécuté leur travail
avec sérieux, diligence, efficacité. Du bon boulot, les gars. Il s'empara d'une petite
chose, une babiole, un baladeur numérique oublié, pour participer symboliquement
à l'action. Il jeta un coup d'oeil sur les morts, s'arrêta. Il n'avait pas de prières
pour eux car il ne croyait à rien; ils étaient devant lui et il n'arrivait pas à
penser à eux. Pour lui seule la vie était compréhensible. La horde avait forcément
raison contre les morts puisqu'elle était vivante. Le fait de tuer est condamnable
à l'instant où le meurtre est commis; après, la condamnation n'a plus de sens, il
faut être du côté de la vie.
Marchant dans les rues il réfléchissait. Il aurait voulu entrer dans un groupe, participer
à la lutte finale. Toute sa vie il avait été solidaire, il avait pensé aux autres,
pensé pour les autres, maintenant que sa pensée était inutile, qu'il était avéré
que son passé ne servait à rien, il souhaiterait être un humble maillon de la guerre.
Mais qui veut de lui ? Un homme sans maître est un marteau fou et Paul ne peut servir.
Ni loup ni chien il n'est pas assez bête pour être accepté par une collectivité.
Les individus sont perdus. Ils doivent se cacher en adoptant la comportement, l'apparence
des meutes pour ne pas être supprimés. Un ensemble n'est fort que par la discipline
comme toute armée, la discipline n'est forte que s'il est homogène. Les fauteurs
de faiblesse doivent être effacés. Il faut savoir tuer chez soi avant de pouvoir
tuer chez les autres.
Les hordes blanches ne l'attiraient ni plus ni moins que les colorées. Mais il n'avait
évidemment aucune chance de présenter les caractéristiques ethniques pour être admis
ailleurs; quant à la religion, il n'arriverait jamais à singer les naïvetés "je te
prie alors tu donnes, au moins dans l'autre monde, hein ? d'accord ?" Paul avait
cru en l'homme. Il s'était déçu lui-même. Il avait été aussi naïf que les croyants
en ceci en cela.
Il n'avait aucune raison de voler, aucune raison de tuer; dans une guerre il n'avait
rien à faire. Un chômeur de l'horreur. L'unique possibilité est d'attendre que ça
passe. Mettre en somme la guerre au niveau du mal de dents.
Son désoeuvrement il l'attribuait à son intelligence. Elle l'avait aveuglé et le
résultat : il était seul. Pas seul contre tous. Autrefois il était seul avec tous
sur sa colline d'art, maintenant il était à côté.
La pensée de la pute-mannequin lui traversa l'esprit. Non pour un remords. Au contraire.
Comme une tentation. Le désir lui revenait pour la morte, peut-être parce qu'il l'avait
forcée à considérer sa présence, elle avait été avec lui de force. Elle existait
encore dans son souvenir, uniquement; elle dépendait de lui; elle lui appartenait.
Seule en lui elle appelait des compagnes, il fallait que le maître lui offre des
compagnes. La morte en lui serait apaisée par d'autres mortes.
Les hordes d'arabes et nègres faisaient la chasse aux femmes blanches que l'on ne
pouvait plus laisser sortir sans une escorte solide; surtout elles s'efforçaient
de capturer les vierges et alors c'étaient des viols en groupe, répétés, ils les
réduisaient en esclavage dans les caves qui leur servaient de cellules. La femme
est la maillon faible d'une troupe; perdre des femmes c'est perdre à la fois une
motivation de lutte et une possibilité de reproduction; elle est aussi aisément gagnée
par celui qui lui paraît le plus fort, attirée par la bête mâle en dépit de sa raison;
il faut la garder contre elle-même pour éviter toute trahison. Les blancs n'étaient
pas attirés par les femmes des autres, sauf exception; ils violaient peu par conséquent;
ils en étaient réduits à les tuer tout de suite quand ils en avaient l'occasion.
Mais naturellement ces atrocités ne servent à rien si on ne tue pas les enfants.
Si vous laissez la relève grandir et si les autres réussissent à produire plus d'enfants,
vous êtes perdus. Une guerre se fait d'abord contre les enfants ou elle est perdue.
L'horreur la plus grande est victorieuse de l'horreur moins grande; la victoire due
à la grandeur d'âme c'est du Corneille.
Avant les "événements" on était tenu de se poser deux questions : "Que vais-je faire
?" et "Qu'est-ce que je ne dois pas faire ?" La vie s'était simplifiée, la deuxième
n'avait plus besoin d'être posée. Souvent la première non plus. Vous êtes comme ceci
donc vous vous joignez à ceux-ci ou vous serez vite mort. Mais Paul est à côté de
la guerre. Nul n'a de raison de le tuer mais nul ne le sait. Il est une victime facile.
Prudente aussi. Lui qui ne tient pas à la vie est pourtant aux aguets; au moindre
danger il se cache : ne plus avoir de raisons de vivre ne donne pas l'envie du martyre.
Il n'a pas de raisons de souffrir et de mourir. Paul est comme les fantômes, entre
l'existence et la non-existence. Son seul lien avec les autres réside dans l'état
de subissant. De subissant réfractaire.
Une autre horde. Elle opère sur une maison à la façon d'un commando. Tout se passe
très vite. Des coups de feu. Les arabes ressortent avec des sacs poubelles pleins
et deux filles aux mains attachées qu'ils prennent plaisir à tirer par les cheveux
pour les obliger à avancer. Paul a pitié d'elles, si jeunes; il sait ce qu'elles
vont subir, elles s'en doutent à peine, elles croient probablement que quelque chose
arrivera qui les sauvera ou qu'elles pourront émouvoir leurs violeurs. Il n'a pas
la possibilité d'intervenir. Etre témoin ne sert à rien. Qui se souciera d'elles
après la guerre ?
La meute partie il entre dans la maison. Trois adultes à terre, morts. Des marques
de torture. Brusquement il se trouve face à face avec une fille, jeune. Elle hurle
de peur. D'abord effrayé lui aussi il essaie ensuite de l'attraper. Elle fuit en
criant. Des mots sans suite. Il la saisit, elle se défend mais mal, il la frappe,
elle se tait, elle le regarde, les yeux pleins de larmes sous des mèches de cheveux
acajou... Paul a une idée : "Où y a-t-il un appareil photo ?" Elle ne répond
pas, elle ne comprend pas, il la secoue violemment : "Où ?" Elle regarde dans une
direction, peut-être veut-elle montrer l'endroit faute de pouvoir parler. Il va fouiller.
Brusquement elle se relève et essaie de s'échapper, il est obligé de la rattraper,
de la frapper, de la punir sévèrement pour avoir désobéi. Elle ne bouge plus, elle
respire fort. Il examine le lieu. Sans doute s'est-elle réfugiée dans sa propre chambre,
on trouve encore une poupée... des produits de maquillage... photo de groupe de chanteurs
à la mode... Comment a-t-elle pu échapper à la meute ? On ne voit pas comment elle
aurait pu avoir une cachette secrète dans ce type de maison... Et un appareil photo
numérique !
Paul photographie d'abord la fille telle qu'elle est. Gros plan du visage, très gros
plan sur les larmes... voilà... maintenant la meute l'oblige à prendre diverses postures...
à se déshabiller... elle subit des sévices et ils sont photographiés. La fille est
dominée complètement. Elle ne pleure plus. Elle subit, elle obéit. Sans doute espère-t-elle
échapper ainsi à la mort. Mais la meute est impitoyable. Elle l'avait appelée pour
se débarrasser de sa famille à la suite d'une dispute, d'une vexation, elle s'était
vengée; elle avait été laissée pour donner de fausses indications, la meute saurait
comment la récupérer plus tard. Mais la meute par Paul était revenue. La fille devait
être totalement punie. Elle meurt comme la pute-mannequin, elle la rejoint.
Cette fois, pas de feu. Paul connaît un bureau d'un syndicat avec tout ce qu'il lui
faut. S'y introduire n'est pas si difficile. Il est trois heures du matin. Il travaille.
Sort les photos sur l'imprimante après avoir fait son choix et avoir apporté des
retouches pour plus de vérité. Il est artiste, il sait manipuler tous les bons logiciels
et il croit d'ailleurs se souvenir qu'on lui avait demandé conseil à lui justement
pour avoir l'avis d'un expert et ne pas commettre de regrettable erreur. En tout
cas ce logiciel est cette imprimante ont permis un bon boulot. Paul ajoute le texte
provocateur de la meute, en mauvais français, avec des caractères arabisants. Met
les groupes de copies dans de grandes enveloppes... une adresse pour un journal lointain...
peu de chances d'arriver... et les autres à déposer par lui dans les boîtes aux lettres
des correspondants régionaux des journaux parisiens, de la télé, du journal local,
des radios. En route. On reproche ces temps-ci aux facteurs de rester chez eux mais
le facteur Paul va passer.
Le lendemain, la presse, rien. Le surlendemain, le journal local. Le jour après,
partout.
Une grève sauvage des photographes de métier qui voulaient une prime de risque fut
la cause de la gloire posthume pour cette fille, les sévices et la mort n'auraient
sinon pas suffi à cause du risque de la mise en cause directe d'une horde identifiable.
On craignait moins les représailles que l'accusation de racisme. Toutes les précautions
ne pouvaient garantir de mises en examen injustifiées, d'agressions inquisitoriales
en tribunal de "justice", et de vols et violences légales par sa gestapo d'un nouveau
genre. Mais le besoin d'images était crucial. La logique commerciale l'avait emporté.
Des textes émouvants accompagnèrent les preuves. Pourat en son djournal, les lèvres
pincées, dit : "La France entière est horrifiée, la France a peur." En fait lui commençait
d'avoir peur. Il sentait une réaction grandir. Il avait dû suivre le mouvement pour
cette fille, il ne contrôlait plus la situation, il fallait jouer serré, mais combien
de temps échapperait-il au châtiment ? Il maudissait cette morte qui réveillait le
pays. Très vite les résistances à l'invasion musul, traitées de sales racistes xénophobes
et tout hier, cessèrent d'être dénoncées à tort et à travers. La chute du taux de
délation est une catastrophe pour une inquisition. On n'avait plus le pays pour soi.
Les chrétiens décidèrent des processions, ils y montraient le visage de la fille
martyre à côté de la Vierge Marie - pourtant elle n'avait eu aucune croyance, aucune
foi. La police, sommée d'enquêter vite fait bien fait, non seulement identifia la
maison familiale de la petite mais retrouva ses soeurs, lesquelles ne savaient pas
qu'elle les avait livrées, les retrouva après avoir identifié la meute grâce à une
empreinte malheureuse-heureuse, les retrouva un peu tard pour elles, dans une cave,
avec d'autres qui bénéficièrent aussi de la brusque activité de la police généreuse
car après tout elle ne les recherchait pas, elle n'avait pas d'ordres à leur sujet,
elle aurait pu les laisser. La morte sauva toutes ces vivantes. Chacune des sauvées
était prête à la déclarer sainte. En tout cas d'une certaine façon elle avait bien
été martyre et, d'une certaine façon, elle servait bien la cause de Dieu. Pourat
et Louzette appelèrent Lindrone. Mais de son palais au Maôc il répondit que le temps
était trop beau pour qu'il puisse venir. Les associations furent mises à contribution
pour prêcher leur anti-racisme si particulier qu'il justifiait l'invasion de leur
pays. Malheureusement beaucoup de dirigeants étaient très occupés. Certains, prévoyants,
à préparer leurs bagages. Donc les djournalistes sommèrent des ministres de venir
à leur antenne allumer des contre-feux. Les ministres étaient en dérangement. Il
fallut faire face sans invités. Le prêchi-prêcha apparaît nettement quand on ne peut
le cacher sous l'information par invitations de "spécialistes". Ce jour fatal déboucha
nombre d'oreilles. Les abrutis de télé se demandèrent tout à coup s'ils n'étaient
pas des abrutis de la télé; ils commençaient de penser, action terrible. O la touchante
scène quand les deux filles sauvées vinrent déposer une gerbe de fleurs devant leur
maison, de grandes photos de leur soeur et de leurs parents étaient sur les murs
de la rue. Quelle atmosphère de compassion, de fraternité, d'amour. La meute hurlait
dans sa prison, elle proférait des horreurs sur la morte, cherchant toujours à salir
ses victimes; on avait su la calmer, la faire taire; la mortalité en prison avait
connu une hausse brutale. On avait l'habitude des délateurs de tous côtés; si on
commence d'écouter ces gens-là... l'engrenage est terrible, tout y passe, la main,
le bras et le reste. Il ne faut jamais tenir compte de la délation car elle se nourrit
d'elle-même, ce crapaud devient vite colosse; on retrouvait ce vieux principe, une
renaissance était donc possible.
III
La foi n'est que le reflet de la foi sur la planète des clowns. L'humain fier de
sa pseudo-pensée se croit auguste et il est l'Auguste. On avait édifié de merveilleux
systèmes qui prouvaient que la faiblesse est la force, que celui qui laisse l'étranger
s'emparer de son pays est le grand gagnant, que le brave gars doit tendre la main
aux affamés... qui la dévorent. Le soleil brille pour tout le monde; il cuit les
uns, il laisse geler les autres... sois accueillant toi qui es en zone tempérée...
mais ils prennent la place. Cette générosité que l'on avait prônée et imposée n'était
pas la bonne. La générosité à sens unique n'est jamais la bonne. Elle n'engendre
pas la reconnaissance mais donne l'ouverture aux prédateurs. On s'était trop crus
augustes. L'auto-admiration avait bien fait rire les aidés, les sauvés, les libérés
de la misère. Car la misère est l'esclavagiste. On allait briser ses fers ! Non pas
dans les pays qu'elle dominait mais en important ses esclaves chez nous. Où ils ne
seraient pas esclaves, assurément. Où ils seraient libres de garder leur façon de
penser. Celle que leur maître leur avait enseignée. Leur modèle social. Avec eux
à la place de la misère.
Les musuls sur leur zone conquise nettoyèrent deux maisons de retraite. Depuis que
des vieux se changeaient en bombes, ils avaient raisonné et le résultat de leur concoctation
fut l'élimination du danger potentiel. La mesure extrême se justifiait par des raisons
de sécurité. D'ailleurs eux-mêmes avaient des vieux qui les gênaient chez eux et
l'élimination des uns donna la place aux autres. Dans le fond on serait passé la
veille du remplacement puis le lendemain, seules la couleur de peau et la religion,
la civilisation, avaient changé. Vu d'un peu loin on aurait pu croire que la situation
était la même. En tout cas elle était sous contrôle.
Des fosses communes étaient creusées ici et là. Souvent il n'y avait pas de méchants
calculs à la base de l'opération, non, mais une soudaine inspiration. Qui aboutissait
au nettoyage de blancs dans les zones arabes et noires. Du coup des blancs firent
pareil mais la presse dénonça leur racisme, eux étaient racistes, pour les autres
la presse et les politiques comprenaient : ils avaient été humiliés autrefois, enfin
pas eux mais leurs ancêtres un peu lointains déjà, par la colonisation, ils retrouvaient
donc leur fierté en liquidant les blancs et en exigeant que ceux-ci demandent pardon,
ce que les très niais, les très stupides et les lâches faisaient, après quoi ils
étaient liquidés, on prenait ce qu'ils avaient et on violait leurs filles. Mais la
presse était très compréhensive. Sous la pression des associations et des pétro-dollars
la presse produit un jus amer pour le lecteur qui croit encore à son objectivité,
qui croit que sa liberté et ses innombrables droits dont le citoyen ordinaire ne
bénéficie pas, lui ont servi à autre chose qu'à se remplir les poches. Beau métier,
beaux profits.
Barthélemy et Laurent commençaient de rencontrer les chefs des meutes blanches. Désormais
ils avaient la parole. Ils leur expliquaient qu'il fallait créer un réseau, ils ne
cherchaient pas à unifier mais à créer des liens entre semblables pour que les semblables
en cas de danger puissent faire appel aux semblables. On les trouvait un peu jeunes.
Certains petits chefs les écoutaient dédaigneusement. On n'écoute pas dédaigneusement
la parole de Jean. Ils en sont les dépositaires. Ils ont la mission de sauver les
leurs. Les petits chefs récalcitrants par égoïsme au bien commun durent être éliminés
rapidement; leurs propres bandes en comprenaient la nécessité, seule une poignée
de fidèles et profiteurs s'entêtaient à hurler contre les organisateurs des temps
nouveaux comme s'ils étaient des meurtriers. Ceux qui n'étaient pas capables de comprendre
mais ne nuisaient pas furent laissés en liberté, parfois chassés de leur groupe ils
demandaient vite la tête baissée à y rentrer, à ne pas être laissés seuls, à la merci
des ennemis; ceux qui ne cessaient pas leurs propos de révolte contre la création
de nouveaux liens sociaux à vaste échelle et s'entêtaient dans l'anarchisme étaient
mis en prison, il le fallait bien; ceux qui, fous de haine contre un nouveau pouvoir
auquel ils ne participaient pas, trahissaient, pactisaient pour leur intérêt avec
les hordes musuls, ceux-là étaient tués. A vrai dire les dénonciations étaient nombreuses
et les structures de justice si faibles que les vérifications étaient rares, et quand
elles avaient lieu, très lentes; un sanglant problème de croissance. Barthélemy et
Laurent, eux, n'avaient pas d'ambitions personnelles, ils étaient les outils dont
se servait la parole, les chefs désignés qui n'avaient (donc) rien à demander. Ils
avaient d'ailleurs la chance qui accompagne les Grands : les bombes destinées à les
tuer tuèrent des assistants, des gardes, des badauds... les tireurs isolés manquèrent
leur cible et on ne les rata pas... les kamikazes ne furent pas accueillis dans un
autre monde pour cause d'échec lamentable. Rien de plus bizarre que la chance qui
crée les héros et les grands chefs. Donc une unité réapparaissait, émergeait du chaos.
Quand Pourat et Louzette, bons djournalistes, le découvrirent, ils devinrent fous
de peur; ils jouèrent le tout pour le tout, ils firent tourner des "sujets" très
orientés - regardez ceux-là, extrême-drouète, pas taulairants, puants, aaah puants,
je me pince le nez ! - en caméra cachée, et triomphalement présentèrent en leurs
djournaux payés par les impôts des vrais Français (les autres n'en payaient pas)
les preuves, oui mesdames messieurs, les preuves indiscutables des progrès nauséabonds
de la peste brune qui s'oppose à l'intégration des bons p'tits musuls en masse alors
que tant ne demandent encore qu'à venir chez nous. Les "accablants témoignages" arrangés,
montés de façon très professionnelle par les spécialistes du journalisme de propagande
qui se déclare objectif mais dont plus personne n'est dupe, engendrèrent de graves
atteintes à la liberté de la presse dont tous les justes pensèrent qu'elles avaient
exagérément tardé. Pourat et Louzette devant l'hostilité grandissante à leur vérité
prirent des vacances au Maôc où Louzette bien maquée depuis longtemps prit le voile.
Pourat secrètement dev'nu musul depuis une décennie prit quatre femmes très jeunes,
que dans son pays d'origine on aurait qualifiées de mineures et il était bien toléré
là-bas car il avait beaucoup d'argent.
Dans les "associations" on se répandait en propos haineux contre les refondateurs.
Ils promettaient le martyr à Barthélemy et Laurent les braves gens des "associations"
qui constataient à la chute de leurs finances que la générosité cessait d'être rentable.
Les bénévoles, nombreux indiscutablement, habilement exploités par les autres, les
beaux causeurs de gauche, ultra-gauche ou mini-gauche, se mirent à réfléchir lorsqu'ils
furent moins surveillés par leurs gourous. Avant, le matraquage idéologique quotidien,
selon les plus purs procédés staliniens créaient les oeillères qui selon les hilarants
anti-racistes (sauf en ce qui concerne les Français) permettaient de mieux voir.
Bref il y eut du remue-ménage. Surtout que les musuls n'ayant plus besoin de bénévoles,
qui ne voulaient pas tirer à la kalachnikov ou n'en étaient pas capables, des bouches
inutiles quoi, avaient certes de la reconnaissance mais pas longtemps. Ils s'énervaient
vite de devoir quelque chose, en fait tout, et estimaient ne devoir qu'à Alla qui
se sert des cons pour islamiser le monde chrétien. Cette opinion ne fut pas partagée
par tous les bénévoles, quelques-uns - pas assez anti-racistes - furent même choqués.
Les vapeurs de l'idéologie de la taulairance à l'invasion, à cause de la diminution
du matraquage de la propagande déguisée médiatique, commençaient de s'évaporer. On
était un peu partout en phase de dégrisement. Les yeux se dessillaient. On constatait
avec stupéfaction l'état du pays. On constatait avec stupéfaction ce que l'on avait
fait. Ce n'était pas possible... et pourtant... A quel point on avait été abusés...
Où on en était arrivés...
Paul regardait les combats, atterré. Il comprenait. Comprendre ne sert à rien. On
n'arrête pas un combat en criant : "Je vous ai compris !" Donnons-nous la main, frères.
Et la menotte dans la menotte dansons la gigue. Ah ouiche. L'apocalypse se nourrit
des hommes à son heure et les plaintes et les pleurs ne l'empêchent pas de digérer.
O temps ! O moeurs ! Le progrès aurait été admirable si dans sa grosse tête il ne
manquait pas une case; ou bien il y a un enfer dans sa bibliothèque et de temps en
temps il y prend un livre et il s'oublie dans sa lecture pendant que les hommes meurent.
On peut difficilement espérer un retour à l'âge de la sagaie, qui du reste n'était
pas merveilleux non plus; mais on n'était pas raciste et on était proche de la nature,
parfaitement, c'était le bon temps : pas aux yeux de Paul, il résumait ainsi ce qu'il
entendait par-ci par-là.
Il écrivit à Sophie. Il lui annonçait sa mort.
La terre et la mer sont en feu. Des incendies sont allumés en nombre de plus en plus
grand chaque jour. Au début les pompiers luttaient, luttaient. On a tué des pompiers.
Ils ont moins lutté, on les comprend, ils avaient peur qu'on les tue; et puis leurs
groupes d'intervention étaient réduits, donc moins efficaces. Désormais les gens
se débrouillaient. On éteignait ou pas. En général on détruisait plutôt autour, on
faisait la part du feu. Paul n'en allumait plus. A quoi bon ou mal ? Bon an mal an
un certain pourcentage de personnes grillaient de toute façon. Inutile de s'en occuper
soi-même. Inutile du reste de s'occuper de quoi que ce soit.
Le temps des voleurs, des violeurs et des assassins est revenu. Lors de la paix une
partie d'entre eux étaient en prison - impossible d'avoir une idée des proportions
: grande ? petite ? - mais grâce aux "événements" ils étaient sortis et avaient découvert
leur paradis sur terre. La Bible disait juste. Du coup parfois ils se mettaient à
croire en Dieu. Se joignaient à leurs oeuvres beaucoup d'occasionnels. L'appât du
plaisir défendu. Défendu avant. Maintenant tout était permis, tous les plaisirs.
Il faut reconnaître que les femmes globalement payaient la note, subissant plus d'atrocités
malgré une bonne volonté d'autodéfense. Mais chaque homme entendait dire par les
connaisseurs que celui qui n'a pas violé une fois ne connaît pas le plaisir. La curiosité,
toujours scientifique, venait chevaucher le désir pour assouvir le besoin de reconnaissance
par les autres. N'exagérons pas, les violeurs ne constituaient pas 100 % des hommes;
le taux ne saurait être défini, il devait y avoir des hommes contents de leurs femmes
et on racontait aussi qu'existait une horde d'amazones, des tueuses admirées même,
reconnues par les autres hordes.
Paul avait voulu s'enquérir du sort d'Alessandra, il l'avait en effet supposée en
phase avec les "événements" et se demandait si elle n'était pas une égérie des temps
nouveaux. Il n'en fut rien. Alessandra finit dans des rapports non tarifés; triste
fin pour une pute.
"Me suis-je trompé ?" écrivait-il à Sophie, "je l'ai cru, je ne le crois plus. J'avais
proposé le seul plan qui aurait pu empêcher ce désastre. Un moment j'ai été fou,
je ne comprenais plus rien, j'ai voulu ajouter de la destruction à la destruction,
du feu au feu. Mon délire est retombé. Je vois à nouveau. Les hommes n'ont pas voulu
briser l'anneau du recommencement, ils ont refusé quand je l'ai proposé, ils ont
laissé passer la possibilité, mais elle reviendra, briser l'anneau est possible,
le recommencement n'est pas éternel. L'homme a dans sa tête ce qui le rend esclave
mais aussi la capacité dé détruire dans sa tête ce qui le rend esclave. Le moment
historique ne m'a pas été favorable. Pour moi il est trop tard. Mais l'anneau prévoit
la reconstruction, et dans les temps nouveaux, d'autres moi se lèveront et cette
fois ils seront entendus."
Il voyait, en lucide voyant, pour l'avenir, le noble avenir évidemment, une société
plus juste (ce qui ne serait pas très difficile).
Le plaisir faisait rage sur la planète des clowns. L'amateurisme y égalait en horreur
les spécialistes. Paul, revenu de tout ce qui rend les sens heureux, donc l'esprit
apaisé, était retourné à l'idéal. Il n'était pas le seul dans ce genre de parcours.
Les églises qui n'avaient pas brûlé, étaient de nouveau remplies de fidèles. On ne
saurait dire s'il s'agissait surtout de repentis des plaisirs ou de récalcitrants
à prendre du bon temps sans payer; la proportion de femmes ne dépassait guère la
moitié, soit qu'il y ait moins de repenties - mais on avait eu les preuves que les
"coupables" femmes sont les égales des "coupables" hommes -, soit que l'on en ait
tué davantage. Les statistiques manquent cruellement, si j'ose dire.
Le malheur pétait de santé, on se saoulait la gueule, on prenait le volant, on conduisait
à pleine vitesse dans les rues, on ne savait pas à qui appartenait la caisse, pas
à soi en tout cas, et ta propriété c'est le vol. Les filles sont pimbêches avant
de prendre des excitants, après ça va. Il n'y a plus de feux rouges nulle part, on
n'en allume que des jaune-orange, ils sont plus jolis et ne gênent que ceux qui sont
dedans.
Paul redevenu lui-même n'était mieux ainsi qu'à ses propres yeux. Fou en période
de paix, après une brève période de normalité, il était fou de période de guerre.
Une horde l'avait arrêté, interrogé. Heureusement pour lui - ou malheureusement car
il aurait pu finir en martyr de Marx - il s'agissait d'une horde blanche; un renouveau
d'organisation imposait la remontée des informations jusqu'aux têtes en cas d'arrestation
d'un blanc. Barthélemy et Laurent savaient que Paul était le frère de Jean. Ils ne
l'estimaient pas, mais il était le frère. Intouchable donc. Il fut relâché. Il ne
fut pas admis à les rencontrer.
Paul errait de nouveau dans une ville agonisante. Il ne participait à rien. Il n'était
ni victime ni assassin. Il n'était rien. Il marchait en vain. Au bout de quelques
heures ou de quelques jours il en eut assez. Il écrivit la lettre à Sophie, la mit
dans une boîte aux lettres éventrée - il n'y avait plus de distribution de courrier
- et accomplit son ultime projet.
Il entra dans une belle maison, qu'il supposa vide, s'aspergea d'essence et y mit
le feu. Ce ne fut qu'un incendie de plus.
"Orange... Orfraie... Parloir... Orange Orfraie Parloir. La Nuit flambe, la Nuit
flambe, j'erre en vain ! Or... Or... Or... L'or à mon cou, que tu m'as donné; la
chaîne est d'or, que tu m'as donnée..."
C'est comme dans sa chanson mais c'est moi qui la cherche. J'ai voulu retourner chez
moi, au moins pour voir si ma maison était encore debout, je n'osais espérer y retrouver
mes meubles. J'avais raison de ne pas espérer. Les murs sont encore debout et il
reste une partie du toit. Je suis revenu vers Karine, toute cette partie de la ville
est dévastée. On s'est battu ici, avec une violence inouïe, du matériel militaire
lourd. Des immeubles à demi effondrés, des routes éclatées, des cadavres, des blessés
qui ont hurlé sans doute des heures... il n'y avait plus personne pour venir les
sauver.
On s'attendait à ce que la guerre arrive ici un jour ou l'autre. Mais elle semblait
si lointaine. On savait et on ne savait pas. Non que l'on n'ait pas voulu savoir.
On savait. Et en même temps on n'arrivait pas à savoir. Comme pour la mort : on sait
et on ne sait pas. On n'espérait pas spécialement que la guerre fasse le tour du
quartier au lieu d'y entrer, toutefois il n'était pas impossible qu'il ne se passe
rien. Maintenant on sait que c'était impossible, avant on n'arrivait pas à le savoir.
Je ferme les yeux, Karine est là, elle chante "Akhenaton". J'avais toujours cru pouvoir
rien qu'en fermant les yeux savoir où est Karine. Je n'en sais rien. Elle chante
en moi, elle ne me répond plus. Karine!... Karine ! Cette nuit est d'un silence stupéfiant.
La vie s'est retirée de la ville. Notre immeuble a été à peine touché, la porte de
l'appartement n'a pas été défoncée. Si elle est sortie elle a pu être tuée n'importe
où, blessée peut-être et agonisante, pire : enlevée.
Le téléphone ne sert à rien, personne ne répond. Même pas la police ou le SAMU. Je
suis la dernière vie dans la ville, je cherche Karine. Eric a dû venir la chercher,
peut-être est-il venu dès mon départ; je vais chez lui mais personne, ils sont ensemble
forcément, morts ou vivants. La guerre ne serait pas arrivée si j'avais été là, je
suis incompatible avec la guerre.
Je m'assieds sur un fatras de parpaings, je ferme les yeux, Karine chante. Je suis
avec elle. J'oublie ce malheur autour dont je ne fais pas partie; je me sens à nouveau
heureux.
Un craquement m'oblige à ouvrir les yeux. Non loin de moi le haut d'un immeuble s'effondre.
Je vois le haut des murs chuter, chuter dans le silence, puis l'explosion en débris
sur le sol. Je me mets debout. Il faut chercher. Mais où chercher ? Je marche au
hasard et je me mets à appeler, à crier son nom sur les ruines. La guerre est sortie
des journaux où elle se tapissait, elle en a jailli dès que je suis parti; peut-on
être la cause d'un désastre sans y avoir même participé ? Bien sûr que non; et pourtant
je suis persuadé que sans mon départ rien, ici, ne serait arrivé. Je suis incompatible
avec la guerre, elle ne peut pas s'approcher de moi.
Le bon réflexe serait de m'armer, de trouver des armes lourdes et d'aller tuer pour
délivrer Karine. En admettant qu'elle soit prisonnière. Que je sache où. Et que je
sache tirer.
J'appelle. J'appelle. Je n'espère pas de réponse du hasard. Je sais que Karine n'est
pas là. J'en suis sûr. Certain. J'appelle. J'appelle. Karine ! Karine !
Finalement je reviens à l'appartement. Peut-être est-elle rentrée. Je sais qu'elle
n'est pas rentrée. Je n'ai aucun doute. Je l'appelle en entrant. Je vérifie dans
toutes les pièces.
Je m'assieds devant son piano. Je ferme les yeux. Karine se met à chanter. Elle chante
et chante.
Ce serait horrible que Karine soit un disque.
Je ne sais rien faire.
Je pense à Jean. A Paul. Ils n'ont pas de conseils. "Pour un homme comme toi", disait
Jean en souriant, "même Dieu n'a pas de conseil." Paul disait en souriant : "Ne me
lis pas, ce n'est pas chantant."
Est-il possible qu'elle m'ait laissé seul ?
Le silence est terrible pour l'homme qui ne peut pas mourir.
Les ruines que je regarde de la fenêtre sont sans âme. Sans âmes.
Il n'y avait donc pas de vie ici.
Il n'y avait donc pas d'amour, de disputes, d'enfants ici.
Il n'y avait donc pas de travail, de peine pour améliorer l'existence ici.
Le quotidien répétitif n'était pas la vie, la guerre n'a rien eu à prendre.
J'ouvre la fenêtre et je hurle. Je hurle Karine à la guerre. Le silence a absorbé
le cri. J'ai attendu un peu. Je n'espérais rien. Devant la fenêtre ouverte j'ai essayé
de chanter. J'ai essayé de chanter "Akhenaton".
La mort n'a pas d'existence, on ne peut pas la regarder, ni en face ni autrement.
La mort est une impossibilité que l'on connaît.
Je ferme les yeux. Karine ne chante plus.
La nuit est terrible pour celui qui ne croit pas à la mort.
L'éponge du silence a absorbé ma tentative de chanson. Seule Karine est plus forte.
Le silence vide ma tête lentement de moi. Je me sens devenir mon corps. Un automate
comique qui à la fin du spectacle baisse la tête et pleure.
Il n'y a pas de pleurs en moi, il y a encore un cri.
Il me vient quand même une idée, chercher des stations de radio lointaines avec mon
téléphone, y consulter des sites internet d'information... mais les relais sont détruits,
la batterie sera bientôt vide naturellement... Tout à coup je remarque le téléphone
portable satellite de Karine, il est là...
... On a évacué des blessés vers un hôpital à une cinquantaine de kilomètres d'ici...
On ne parle nulle part d'une vedette...
J'utilise encore le portable de Karine pour téléphoner à cet hôpital dont j'ai enfin
trouvé le numéro. Pas de réponse. Pas de réponse.
En tout cas elle n'a pas été enlevée, les rares témoignages sont clairs, pas de razzia,
une bataille qui s'est abattue là. Une sorte de hasard. Comme une tornade. Elle aurait
pu frapper à côté, plus loin, ailleurs...
Karine ne chante plus. Elle est mourante. Elle mourra tant que je ne serai pas à
côté d'elle.
Je téléphone encore. Encore.
Une voix. L'affluence est trop grande, on ne peut vous dire. On évacue des blessés
plus loin.
Il faut que j'y aille.
Je redescends, je reprends le scooter de Karine avec lequel j'étais allé jusque chez
moi. Après un trajet pareil, l'essence...
Et alors je me souviens que la moto d'Eric n'était pas à sa place tout à l'heure.
Il était donc parti puisqu'il n'y a pas eu de razzia. S'il est parti, il a emmené
Karine.
Je vais aller jusqu'à cet hôpital, je vais y aller d'une manière ou d'une autre.
Quand le scooter s'arrêtera j'irai à pied, je continuerai à pied, je ne m'arrêterai
pas, j'irai jusque là-bas, je trouverai, je trouverai.
Mon scooter s'est arrêté à la limite de la mort de la ville, je l'ai laissé et je
me suis mis à marcher.
La nuit va durer encore des heures.
J'essaie de courir. C'est absurde, je ne suis pas marathonien. Ma poitrine n'en peut
plus, mon coeur cogne; je cesse de croire que je vais courir quarante kilomètres,
en fait je n'y croyais pas.
Je vais marcher.
Marcher.
Karine !...
Karine !
FIN