Ma rencontre avec Karine

 

(Roman-catastrophe)

 

 

 

I

Je veux peindre la France, une mère torturée, assassinée. Ses enfants achetés, trompés par les profiteurs, les friqués, les politiques, les idéologues du masochisme, ont perdu la tête. Ils se glorifient de la dépouiller. Ils se croient nobles, ils s’admirent quand ils l’ont livrée aux voleurs, aux pillards, aux tueurs. Quelles belles âmes ! Quels sots ! La bêtise prétentieuse bien flattée peut croire n’importe quoi et on ne compte plus ces Français qui vivent dans la misère après avoir donné, encore donné, aux étrangers qui d’implorants sont devenus exigeants, de plus en plus exigeants, ces Français qui vivent dans la misère à côté de ceux à qui ils sont donné, encore donné, lesquels se moquent de leur générosité en leur prenant, et cette fois souvent de force, leur dernier argent, leurs derniers biens. Comme ils s’admirent, ces ilotes, à côté des maîtres auxquels ils se sont livrés ! Générosité, antiracisme, mondialisation grâce aux délocalisations de nos biens, entraide à sens unique, respect de la religion de l’envahisseur rampant qui bientôt ne rampe plus et ne respecte rien, tolérance mal comprise, tolérance niaise, athéisme dirigé seulement contre la chrétienté, journalisme de propagande payé en cadeaux innocents jaillis de pétro-dollars, dressage des jeunes par les chansons de haine de notre civilisation, dressage des jeunes par les écoles aux mains des gauchistes de la trahison, voilà les lanières du fouet qui fait hurler de douleur la France agonisante.

Le pays est envahi de toutes les façons, de tous les côtés, chaque jour des gens trouvent leur intérêt dans l’acte de favoriser l’entrée de plus d’étrangers, de leur distribuer des papiers pour s’installer, en masse, dans des lieux à eux, que la police craint, où les politiques ordonneront quelques opérations coup-de-poing filmées à l’approche d’élections, se gardant le reste du temps de toute velléité; pour eux le gain n’est obtenu qu’en endormant les derniers Français par des discours rassurants, lénifiants, menteurs. Une carrière de ministre en quelques années peut aboutir à la perte pour le pays de communes entières, de villes entières. Le politique devient gras sur la pourriture qu’il a créée.

 

 

Première partie.

 

I

Partout les flammes, partout les viols, partout les meurtres, la pays est en guerre et on le lui cache, la guerre est là, le naïf aveuglé par la presse et les politiques ne la voit pas, les Français ne voient plus la France, ceux qui sont sur le point d’écarter l’illusion façonnée par la propagande collaborationniste, on leur crève les yeux, sans hésitation, la justice s’en charge. La justice ? Elle est entre les mains avides de la trahison appelée tolérance, antiracisme, aimons-nous les uns les autres, oui, cela veut dire livrez votre pays. La justice se charge des résistants. Ils n’ont pas fait preuve de ces qualités admirables qui permettent aux envahisseurs de s’octroyer ce que les ancêtres des derniers Français ont construit, ont défendu. Que de guerres gagnées dans le don de soi au pays pour qu’il soit enfin livré contre du fric par ceux qui utilisant habilement les lois de la démocratie ont su s’enrichir en le livrant.

Il n’y a plus d’espérance. Il est trop tard. Chosset a accompli l’irrémédiable, il est l’assassin. Il rit des derniers soubresauts de son pays trahi. Dans les luxueuses demeures des chefs de la décadence la vie est joyeuse. La danse infernale sur l’agonie sanglante et désespérée de la plus grande des nations que la terre ait portée conduit en pleine joie à la chute dans le néant. La fin est atroce sous les hurlements des mjusics populardières des barbares. Ils sont innombrables, ils pullulent dans les cités occupées, ils en sortent en hordes, en meutes, pour des campagnes de pillage, pour prendre, prendre, et envoyer le butin là-bas, chez eux; ils y expédient ce pays en pièces détachées; mais bientôt ils seront sur une terre déserte, hors eux; une terre dépossédée des siens; ils seront sur une terre morte. Ils resteront là, il n’y aura plus rien à envoyer, ils pulluleront là, les assassins mourront là, sans rien.

 

La péninsule brûlait. Un feu s’était déclaré, puis un autre, et un troisième. Les pompiers appelaient les renforts d’autres casernes, la population aidait tant bien que mal, les sirènes hurlaient, les gens hurlaient. «Au moins protégez ces maisons», dit le maire qui les désignait de la main, «ce sont les seules anciennes.» On ne comprenait pas les feux. Il fallait une malveillance, il fallait... Pourquoi ? Et la question revenait sans arrêt dans les pleurs. Les enfants regardaient les adultes pleurer, les vieillards sans réaction, Dieu s’était retiré de la terre fuyant devant la douleur.

La péninsule est divisée en propriétés luxueuses, le terrain y vaut une fortune, les demeures y sont vastes, meublées d’ancien vrai, de moderne de pointe. Elle avance en deux cornes dans la mer, l’une basse, moins chère, l’autre, celle du phare, telle une colline, étagée en cercles, en ovales plutôt, sur neuf niveaux, et à chacun sont attachés des noms prestigieux de propriétaires d’autrefois dont on se sent proche quand on accède à la fortune. Les demeures les plus chères ne son pas forcément les plus élevées, certains préfèrent dominer directement la mer.

Il fallait faire évacuer, au moins en partie; l’incendie s’était déclaré dans l’ouest de la partie haute, sur le versant éloigné de la corne basse, il avait vite gagné d’arbre en arbre, il dansait en arbres de feu; le vent s’était levé, il aidait le feu. Le vent aimait le feu, ses baisers lui livraient la colline. Pas de mort pour l’instant. On maîtrise encore l’unique route de sortie, il faut évacuer. Qui le voulait ? L’autorité seule le voulait. Partir ? Les souvenirs ? Les souvenirs ! Les générations futures n’auront que celui de l’incendie, les souvenirs des hommes ne sautent pas d’âme en âme comme le feu d’arbre en arbre, ils brûlent.

Des renforts arrivaient, on fit partir en les y forçant un peu les gens dont les maisons ne pouvaient plus être défendues, ils demandaient souvent d’attendre qu’elles soient en torches devant leurs yeux, la capitaine des pompiers refusait, il ne parvenait pas à empêcher certains de rester, de regarder. Pour ceux qui n’avaient en ce lieu qu’une résidence secondaire, voire une résidence parmi d’autres, bon, mais on le découvrait, quelques-uns avaient là tout ce qu’ils avaient, ils avaient acheté leur rêve, leur rêve était là, ils se sentaient mourir avec lui.

Ce lundi matin de fin d’été voit le plus grand embouteillage qui ait eu lieu dans ce coin pourtant touristique. C’est la raison pour laquelle les renforts peinent tant à arriver et sont encore si faibles, trop faibles. Sinon la corne d'or aurait été sauvée. Tout le long de la côte, de la route continentale, mais aussi bloquant les rues des bourgs à flanc de colline qui offrent le panorama splendide de la beauté de notre baie, du luxe des yatchs sur les vagues douces et du drame, des voitures, des gens se sont agglutinés, l’avidité de regarder les a conduits massivement sur les gradins. Il n’y a pas encore d’horreur, l’horreur est le plus beau des spectacles, ils attendent. L’horreur est le désir, les multitudes sur les collines en attendent l’orgasme. On s’y raconte les premiers morts, imaginaires en fait, cet enfant arraché aux flammes par son père et un arbre de feu s’abat sur eux les tuant sur le coup, cette mère abrutie de douleur devant les cadavres de ses jumelles se jetant dans les flammes, si, on l’a entendu à la radio; la télévision a montré une maison incendiée derrière les fenêtres jaunes de laquelle on devinait des hommes, des femmes qui hurlaient, on devinait leurs agonies, on restait muet à regarder, regarder encore ces images sur les téléphones portables, sur les téloches des voitures, un oeil tourné cependant sur le spectacle vivant. Mais lointain. On ferait peut-être partie de ceux qui subissent la prochaine fois. L’horreur tentait comme un vertige.

Dans la car on fait monter Jean. Plusieurs personnes s’y trouvent déjà. Elles se taisent, même les enfants. Il faut le soutenir, son mal aujourd’hui, lancinant, ne lui laissait pas de répit. Le car du silence à quelques mètres des ordres, des protestations, des cris de refus, voit entrer, presque porté, celui dont on dit qu’il a l’âme de la parole, celui qui peut s’adresser à vous derrière les barreaux de la lutte professionnelle, de l’envie de réussir, de la peur, de l’amour, de l’intérêt, de la prétention; nous sommes des prisonniers cernés d’illusions engendrées par la société des hommes, qui d’autre peut encore nous parler, nous trouver ? Oui, Jean le peut. Il est des paroles que les blindages les plus sûrs n’arrêteront jamais. Il est des paroles qui ont la simplicité des évidences invisibles même juste devant soi et qui les rendent visibles. Quand on écoute Jean, quand il accepte de parler, on renaît. Ou plutôt on naît, le prisonnier sort, il sort dans le monde, il se sait et il connaît, ce qui l’entoure cesse d’être étranger, ce qui était important devient sans importance, sa liberté découvre qu’il n’a jamais existé de prison, la solitude disparaît car il n’y a pas de barreaux entre une liberté et une liberté, les hommes ne sont qu’un. Mais Jean ne prêche plus, la souffrance l’a conduit au refus, il a refermé les portes. Jean reste derrière les portes. La foule attend en vain. Il ne libère plus. «Je suis la douleur qui m’habite», a-t-il dit. Cacher le mal par l’abrutissement de calmants n’empêche pas le mal, il n’en veut pas; mais le mal se nourrit de lui. Seule en délivre la mort, qui n’est pas une valeur des hommes. Une puissance au-delà des hommes n’est pas un passage. Une force aveugle qui est une loi n’est pas un passage. «La mort n’est une chance que pour les saints», a dit Jean., ce qui signifie sans doute «pour ceux qui sont libérés de tout, qui sont vraiment libres»; la force alors ne peut plus s’exercer sur rien, il n’y a rien à prendre, la mort n’est que la dernière illusion à s’avérer illusion, la liberté n’a rien, donc la mort n’existe pas.

Ce détail eût été carrément contesté par la première brûlée qu’emportait une ambulance en trombe, avec une sirène tonitruante qui fit frissonner tout le public de toute la côte. La femme avait été imprudente. En somme il s’agissait d’un accident. Voilà le fait puisque vous ne trouverez pas les images, la télévision à ce moment filmant des sculptures devant une façade qui changeait de couleur dans un bel effet il faut le reconnaître. La femme n’était qu’une employée, ses biens étaient évidemment restés chez elle qui n’était pas chez elle. Mais ses biens elle y tenait d’autant plus qu’elle en avait peu et qu’elle devenait chômeuse en n’ayant plus rien du tout; le conseil du désespoir fut de tenter la récupération de l’essentiel avant l’arrivée sur la demeure des flammes proches, très proches, trop proches; les pompiers surveillaient les flammes, pas la femme, les arrosaient, un premier canadair passait; le désespoir ne fut pas plus rapide que les flammes. Dans l’ambulance la brûlée - pas très gravement - qui avait laissé échapper ce qu’elle avait récupéré en s’enfuyant, pleurait répétant qu’elle n’avait jamais eu de chance. Elle avait sans doute toujours agi comme ce jour-là. Ne soyons pas méchants, évitons-lui ses vérités. Et puis peut-être qu’elle n’avait pas de chance après tout. Qui sait ? Ou si Jean avait accepté de prêcher encore, elle n’en serait pas là ? On va renoncer à savoir. Mais on ne peut pas renoncer à savoir. Heureusement qu’il suffit de se laisser aller pour être convaincu de quelque chose, de n’importe quoi, suivant les circonstances; si le hasard existe on aurait aussi bien pu être convaincu d’autre chose. Alors revenons-en aux faits, qui déjà ne sont pas toujours très sûrs, et dont l’interprétation ne l’est jamais, en admettant qu’ils soient à interpréter (et pourquoi le seraient-ils ?), aux faits donc, qui ne sont pas rassurants comme on l’a forcément remarqué, mais qui, étant donné le nombre de spectateurs, de témoins sur toute la côte, sont sûrs du moins dans les grandes lignes.

Le car était parti pour la corne basse, on regroupait les sinistrés dans le jardin de son seul grand hôtel, qui venait de fermer car la saison était finie pour lui, sa rentabilité n’aurait pas été suffisante le reste de l’année. Le personnel, encore sur les lieux pour quelques jours, affairé à ranger, à nettoyer, aidait de son mieux, il avait ressorti des chaises, des tables, apporté des boissons. A manger, non, il n’y avait plus rien, mais on trouvait de petits restaurants sur le quai, à cent mètres. On n’allait pas rouvrir l’hôtel pour y installer tous ces gens ! Ce n’était pas pensable. Alors quoi ? Quelle solution ? Que proposez-vous ?

Du jardin aux pins immenses et aux palmiers si joliment décoratifs on apercevait parfois des flammes, des brasiers brusques sur la corne haute, mais c’était surtout la fumée qui impressionnait, noire, forte, tourbillonnante; tandis que le feu gagnait là-bas le côté de la colline visible des réfugiés silencieux, c’était comme une avancée de la nuit, une nuit épaisse, lourde, dévorante, avec de violents embrasements de mort, sans autre choix que la fuite.

On n’avait pas eu l’idée que l’incendie pût sauter d’une corne à l’autre par-dessus la crique, on était si habitué à considérer qu’il y avait pour ainsi dire deux mondes, celui du luxe et celui plus commun ici, que l’on prenait cette division artificielle pour une réalité. Il était pourtant loin d’être sûr que le feu ait une pensée et observe les conventions. Certains restaient dans la partie du jardin d’où l’on pouvait le mieux voir la fumée, ses progrès, son extension; Jean, lui, s’achemina lentement vers le fond, au bord de la mer, à l’endroit du restaurant. Il s’assit, posa sa tête sur la rampe au-dessus du mur regardant l’eau trois mètres plus bas, les vaguelettes incessantes, douces et paisibles. Il contrôlait sa respiration, il respira au rythme des vagues, il devint les vagues, les yeux mi-clos il était la mer, la réalité s’étirait nonchalante sur des kilomètres par milliers sans jamais perdre de sa force, aucun poisson n’appartenait à cette réalité, tous pêchés probable, hop, et à bas les baleines, libérez mon espace, toute créature est une catastrophe naturelle. Tant que l’incendie n’avait pas saisi la jardin, à quoi bon y penser ? Justement, pour éviter l’angoisse, il suffisait de ne pas y penser. L’autruche n’est pas si sotte, elle est malheureuse un peu plus tard que les autres. La réalité est intérieure. Le temps que le sous-marin a suffisamment d’air, le temps que les parois résistent à la pression.

Un nouveau car plein arriva, ceux qui en descendaient, très agités, donnaient des nouvelles, ils avaient l’air égarés et inquiets comme s’ils étaient poursuivis, comme si quelqu’un ou quelque chose allait les rattraper. En les écoutant on était vite déçu. Ils ne savaient tien si ce n’est qu’il y avait un incendie et qu’ils avaient eu peur. Avoir été il y a quelques instants au coeur de l’action ne leur avait rien appris que l’on ne sache même en étant employé de l’hôtel. Ils avaient pourtant vécu une satanée expérience ! Peut-être, après tout, qu’il n’y a jamais rien d’important à apprendre. Quand une vie sait qu’elle vit, elle sait tout. Jean regarda gesticuler vers la porte d’entrée, puis tourna les yeux de nouveau vers la mer. Un employé sortit une télévision, installa les fils, les gens se regroupèrent autour, on allait savoir les nouvelles.

 

 

 

Pas si loin, dans les collines de l’arrière pays - et même de là on commence à voir la fumée de l’incendie tant elle monte haut dans le ciel -, riches en villages pittoresques, anciens ou tout comme, autochtones et touristes oublient aussi leurs occupations pour le direct de la télévision. Pourtant  on aime le spectacle vivant. Outre la femme brûlée il y aurait une personne calcinée complètement. Le plus fameux des villages enveloppe une colline qui à défaut d’être inspirée vend très bien de l’art tous genres tous goûts aux puérils enrichis qui s’y aventurent en rangs serrés. Le nom du lieu où l’on achète est plus important que la peinture que l’on achète. Du reste la fabrication est honnête, les bonnes recettes sont appliquées, les produits employés pour confectionner les oeuvres sont de première qualité, la répression des fraudes ne trouvera pas plus à réprimer qu’ailleurs. Parmi le personnel des petites mains de la peinture - et occasionnellement de la sculpture - Paul, frère de Jean, tient honorablement une place qui paie le loyer, la bouffe et quelques à-côtés; évidemment les galeristes qui écoulent gardent le gros du gâteau. Paul en fait est ici en résidence surveillée; il doit y rester; il est contrôlé par les débonnaires gendarmes de proximité. Qu’a-t-il commis ? On ne sait pas trop. Un activiste... un révolté de la révolution prolétarienne... un agité du bocal de l’ultra-gauche... Sûr et certain, pour être un bavard, aïe, un sacré bavard. Pas de risque qu’il garde une de ses précieuses idées : il adore le partage. La majorité des touristes ne comprends pas le français, sa présence est donc sans risque; en outre sa production à partir des divers styles qui ont plu historiquement, se vend sans problème, sous une vingtaine de pseudonymes. A l’occasion il se prétend un artiste exploité. Mais il n’insiste pas, comme quoi il a tout de même un certain bon sens.

Avec son portable Paul essaie de téléphoner à Jean. Il est agacé de ne pas avoir de réponse dans ces circonstances parce qu’il est inquiet pour son frère; il est vrai Jean répond rarement au téléphone, il n’accorde plus d’attention à grand chose depuis qu’il est malade. Oui, mais il y a un incendie, il devrait comprendre que l’on veuille de ses nouvelles ! Ou il est mort ? mourant ? ou quoi ?

A une table de son bistrot habituel, pas la sienne, des touristes ignorants s’en sont emparée, Paul s’énerve. Il faudrait qu’il aille là-bas. Mais la télé montre que tout est bloqué. Bien sûr il ne doit pas quitter le village mais qu’est-ce qu’une interdiction quand la vie de l’un de ses frères est en jeu ? Son aîné l’a en partie élevé. Le résultat somme toute est curieux, il prouve du moins que Jean laisse chacun devant ses choix, il n’est pas gourou, pour lui un homme doit devenir un homme, on ne lui dit pas ce qu’il doit faire parce qu’il n’y a pas de devoir humain, on ne lui dit pas ce qu’il ne doit pas faire car il n’y a des interdits que purement humains. Paul a construit sa vérité en puisant à pleines mains dans le trésor néo-marxiste, prolétariophile, écolo, sensible, planétophile, anti-fric, anti-règles, anti-polices, anti-armées, anti-pouvoirs. Une sorte d’anarchiste qui a appartenu tour à tour à tous les partis de gauche. Et qui estime d’ailleurs faire partie de tous de plein droit. Pourquoi l’a-t-on cru dangereux ? On a supposé, à partir de témoignages douteux, qu’un individu radical dans ses pensées et ses paroles devait être prêt à le devenir en actes. Mais, a dit Jean sur un ton ironique pour défendre son frère, pourquoi tant parler si on est un homme d’action ? Ceux qui menacent disent ainsi qu’ils ne veulent pas agir mais simplement être pris en compte. On aurait mieux fait d’inviter Paul à parler à la télévision.

Deux noirs installés à quelques tables de lui, sans la moindre discrétion, riaient de lui. Ils le trouvaient drôle le bonhomme à barbichette. Leurs dents blanches peut-être fausses cliquetaient de rires mêlés à leurs savants propos sur le ridicule des Blancs civilisés tandis qu’eux, libérés de l’abominable colonisation, voyaient bien qu’ils étaient eux-mêmes supérieurs. Certes ils étaient pour l’égalité des races, d’ailleurs il n’y a pas de races, nous sommes tous fils d’Adam qui a tringlé Eve, lesquels étaient noirs tous les deux, l’humanité doit redevenir nègre après des errements dus à des dieux mauvais. Le type à bedon, cheveux gris longs... «barbiche barbiche barbiche» chantonnaient les bons noirs. Ce manège n’échappait pas à Paul malgré son inquiétude pour son frère. Il a le sang chaud, le Paul. Plus jeune mais pas impressionné par deux gorilles qui ont passé leurs vies encore courtes à faire du sport pour se gonfler les muscles, le thorax et la prétention. Il les apostropha brutalement : «Hé, vous, c’est d’ma gueule qu’vous vous foutez ?» Ils s’esclaffèrent tout à fait, le farfadet blanc osait s’en prendre à eux, ils l’écraseraient d’une main. «Qué tu veux, toi, on t’pâle pâs !» Et de rire. Ils s’esclaffaient, se tortillant sur leurs chaises, dans c’café d’blancs. «Enfin, pou’ l’instânt !’ dit le Mamouhd au Mustaph qui ajouta à l’intention du p’tit blanc pas tolérant : «Toi, t’i tê ou j’te la fais ta fête, mea.» Et de se marrer les braves garçons. Paul, furax, pas commode, le Paul, fulmina : «Barrez-vous d’chez moi, les nègres, ou ça va mal se passer !» C’en était trop, des voix s’élevèrent, un homme se dressa et déclara que ce monsieur venait de tenir d’insupportables propos racistes. Il marcha sur Paul et exigea qu’il s’excuse auprès de ces deux messieurs étrangers. Les deux noirs s’étaient évadés par le sport d’un quartier musul d’une grande ville voisine; ils s’esclaffèrent. «Vous avez raison de prendre les choses du bon côté», approuva une dame, «chez nous il y a trop d’gens racistes, qui pensent qu’à insulter les autres sur leur aspect physique.» «C’est vré, cea», se réjouit le Mustaph, «pâtout on t’ouve des gens qui z’aiment pâs les noi’s»; il se sentait victime et était prêt à s’indigner. Deux noirs ne pouvaient pas venir s’installer à la terrasse d’un café dans ce pays sans être agressés. Le racisme est une gangrène terrible. Il mine les terres des gens qui s’estiment propriétaires de leur sol comme s’ils étaient africains ou asiatiques. Les colonisateurs ne veulent pas être colonisés, ce qui prouve combien ils sont fondamentalement mauvais. Et racistes, bien sûr. Paul ne se rendit pas. Cet homme était méprisable, dépourvu de bon sens; il ne comprenait pas cette évidence que les peuples doivent se mêler sur les terres blanches, ailleurs ça va, doivent s’enrichir du précieux apport culturel tam-tam bouge-du-cul et gueule-bien-belle-miuzic le tout à la sauce states et couiné en englishe, non mais, ce type ne comprenait rien, il fut copieusement injurié, insulté par tous ceux qui comprenaient le français et par ceux qui ne le comprenaient pas. Enfin tous ces gens partirent avec les deux noirs, outrés de l’agression raciste à laquelle ils avaient assisté. Le patron du bar, un vieil ami de Paul, riait et continua de rire le bar vide, ce qui aurait dû l’attrister. Mais la bêtise décadente ne pouvait engendrer que le rire ou la violence et il préférait le rire. Paul finit par rire aussi.

Un peu plus tard dans la journée il reçut la visite de Sophie, ex-épouse de Jean, qui vit dans un village à mi-chemin entre celui des arts et la mer. La séparation a eu lieu par choix de Jean au début de sa maladie. Elle ne voulait pas le quitter. Il ne voulait pas qu’elle subisse avec lui sa maladie. Elle devait vivre, profiter de sa vie. Elle, elle ne comprenait pas. Profiter de sa vie ? Mais comment ? en quoi ? bref qu’est-ce que cela voulait dire ? Ils étaient ensemble, voilà. Que pouvait-il y avoir d’autre ? Lui ironisait : un prisonnier a un boulet au pied, sa tendre épouse l’aide à tirer le boulet. Pourquoi pas ? Que faire d’autre si on ne peut pas l’enlever ? Il croyait, lui, prouver son amour en l’obligeant à être libre de lui. Elle serait plus heureuse. Elle serait heureuse. Sophie, le bonheur, elle n’avait même pas su où le chercher, cette chasse au trésor avait sans doute des lieux, des parcours, des règlements, elle les ignorait, elle ne savait pas où on se renseignait, qui délivrait les précieux renseignements... Elle n’avait trouvé que du temps vide qu’elle devait appeler libre, il restait vide, elle n’avait rien à y mettre pour le remplir.

Sa visite inquiète concernait Jean, bien sûr. Elle appuyait nerveusement sur les touches des télécommandes de la télé et de la radio depuis des heures, s’attendant à tout instant à apprendre sa mort; finalement elle avait sorti sa voiture et était venue chercher la compagnie de Paul. Elle se doutait qu’il n’avait aucun renseignement. Jean ne répondait pas au téléphone, comme d’habitude, ça ne prouvait rien. Oui, elle avait essayé. Et réessayé. Son beau-frère était en train de finir une peinture de la colline à la manière de Soutine qu’il signa Albert Creuse, il la contempla d’un air sévère puis dit : «J’avais plus d’rouge hier, j’ai mis du jaune; drôle d’effet. Je dirai à Marcel (son principal galeriste) que c’est plus moderne.» Pour sa production sous son nom, il avait eu sa période jaune, qui consistait à peindre entièrement ses toiles en jaune laissant parfois apercevoir le support, il expliquait qu’ainsi on sentait la vibration de la lumière, que... bref tout un discours patiemment mis au point. Il lui restait un stock de jaune. Sophie, qui ne cessait d’écouter la radio lui demanda si le nom de Marc Olivstaire lui disait quelque chose, des journalistes présentaient sa mort comme presque sûre. Non... non. Selon eux il habitait une maison proche de celle de Jean. Elle essaya de téléphoner aux pompiers; quand elle obtint la communication, il lui fut répondu qu’il n’y avait pas de renseignements à communiquer. Elle avait l’impression d’avoir fait quelque chose, d’avoir agi quand même, au lieu de subir l’attente.

Les touristes déambulaient de vitrine en vitrine dans les ruelles pavées et propres, ils admiraient les «à la manière de» dont on ne discutait pas l’originalité puisqu’elle était reconnue par les livres, ils s’extasiaient devant des innovations osées datant d’un siècle, mais à toute époque, pour le plus grand nombre l’art actuel est celui d’hier. La journée était superbe, les terrasses bondées; dans le reste du pays il pleuvait, paraît-il; et voilà, on est ici, au soleil, comme en plein été. On fera peut-être un achat. Hein ? Qu’est-ce que tu en dis ? Un souvenir qui sorte de l’ordinaire ? Un Albert Creuse par exemple ? Et plus tard on descendra tranquillement des collines et on ira jusqu’à la mer.

 

 

 

Je suis le troisième frère, celui qui est libre, celui qui ne souffre pas. On n’est pas sa famille; je ne me sens pas de responsabilités de ce que sont les deux autres. Moi je ne fais pas de discours, je leur laisse cette spécialité. Je tâche de vivre dans l’espace que leurs discours ont laissé. Le temps est lent. Mes devoirs, mon travail, mes occupations y sont comme des planètes très distantes et je m’ingéniais autrefois à y voir un système planétaire. La raison finit par renoncer à créer de l’illusion; une fois que l’on s’est défini comme un tissu d’incohérences logiques on est en paix avec sa raison; moi du moins; elle ne me gêne plus. Mes frères ne me gênent pas davantage; je les évite, ce qui n’est pas très difficile, et quand on m’en parle, je fais le sourd. Je fais très bien le sourd. Cela ne me demande aucun effort.

Comme tout le monde j’ai appris le grand incendie. C’est triste pour ces gens. Mais quoi ? Ma compassion ne changerait rien pour eux, n’est-ce pas ? Ils ne la connaîtraient même pas, alors à quoi bon se fatiguer de compassion pour rien ? Si, si, j’ai du coeur. Je n’aime pas pleurnicher avec les pleurnicheurs, bêler avec les bêleurs, voilà tout. Quand je crèverai, pas besoin d’hypocrisie; même moi je n’aurai pas une larme. Aucun regret, je vous laisse la vallée, soyez-y niais autant que vous voulez. Et à vos souhaits. Pour moi la politique n’est que l’un des beaux arts, la religion un héritage des siècles obscurs et la vie elle-même une aberration du cosmos, une aberration d’une aberration. Hosanna si tu veux mais fous-moi la paix. Bon, vous voyez le genre d’état d’esprit ? Vous reconnaissez ? Quand je suis planqué dans une foule personne ne va me remarquer. Ceci dit, j’ai horreur de la foule mais quand on n’est pas fraternel on en a davantage besoin, on s’y enfouit; la foule remplace avantageusement la fraternité. Le criquet que je suis ne dédaigne pas à l’occasion d’aller y changer de nature quelques instants ou quelques heures; j’aime les dévastations, y participer en atome avant de redevenir moi-même. Alors j’achète les journaux et je me lis dans des actions collectives. Il n’y a pas plus individualiste que moi.

En ce qui concerne Jean il n’a sûrement pas grillé sur sa péninsule, ce serait un événement et j’aurais déjà la presse à mes basques; si elle n’est pas là, c’est qu’il va bien. Qu’est-ce que je vais trouver à faire aujourd’hui ? Echapper aux raseurs de l’actualité. Echapper à ma façon à l’incendie. Il s’est propagé par les mots de tête en tête, il finira par gagner la planète. Et je ne vais pas jouer les pompiers. Encore moins bénévole. Flambée planétaire de neurones ! Quand la connerie déferle, je ferme les yeux.

Le téléphone sonne, le numéro de l’appelant est celui de Sophie; vraiment pas le moment de décrocher. Qu’elle contacte Paul, en échange il lui casera ses discours.

Sans savoir où j’allais je suis bel et bien allé chez Alessandra. «Centre de secrétariat» : cette enseigne clignote rouge au-dessus de sa porte qui ouvre sur un escalier. Il est au premier, au rez-de-chaussée se trouve un salon de coiffure pour femmes; il a aussi son escalier pour accéder au premier étage, en toute discrétion. Tous les temps des temps ont été durs, le nôtre n’y fait pas exception et je préfère être de ceux qui en profitent. Je ne me sens pas coupable de ce que sont les temps. Je laisse la culpabilité à Jean. Il peut bien souffrir pour deux ou même trois. Ou plus s’il veut. Je ne me sens pas non plus désireux de changer le monde pas bon pas beau. Je laisse la révolution à Paul. Remarquez que, avec des révolutionnaires pareils, les profiteurs ont encore d’agréables moments devant eux dans les salons d’Alessandra.

Je la connais depuis plusieurs années, depuis ses débuts professionnels à la sortie de l’université. Vite sortie d’ailleurs. Toujours aussi tentante mais maintenant elle organise les rencontres. Vous mettez deux détresses en contact, cela produit de l’argent. Il coule il coule; il ne fait que passer, il ne dérange pas. Mes espérances dépendent de lui, une fille chère console mieux. L’espérance consolée se renouvelle.

On a parlé du temps, du beau temps, elle a eu le tact de ne pas lâcher un mot sur l’incendie. On regardait aussi qui était au salon, les deux filles ne me disaient rien, même en les coiffant mieux on ne me les rendrait pas désirables; une troisième était «occupée» à côté, je l’ai vue sortir, elle m’aurait convenu mais pas juste après je ne sais qui. Alessandra a sorti quelques photos, j’ai pointé sur une très mignonne, elle a téléphoné, quinze minutes après la très mignonne venait se faire coiffer. Il y a un supplément pour les travaux de secrétariat par du personnel normalement à l’arrêt, les jours de congé doivent être respectés. Elle était venue avec son enfant que les dames du bas gardèrent pour la dame du haut. Les non-professionnelles qui font profession à mi-temps de leur corps me conviennent particulièrement; le faux a l’air vrai, il l’est même en partie, on flotte à des limites indistinctes qui changent presque le salaire en cadeau. Presque. N’exagérons pas. Je ne ferais pas des cadeaux d’un prix si élevé.

La morale j’ai un frère pour s’en occuper, je ne peux pas suffire à tout. Les relations humaines sont indispensables mais pas forcément faciles, elles nécessitent en ce qui me concerne des investissements. Pourtant j’ai Karine. Mais Karine est mon problème. Je veux dire que Karine n’est pas une solution et n’a pas de solution. Si je pouvais rayer Karine de mon existence, je pourrais peut-être - peut-être - me passer d’Alessandra. Une fois j’ai essayé d’en parler avec Sophie, la femme de Jean, enfin ex-femme, mais elle ne connaît pas Karine, elle n’a pas compris. Sa bonne volonté et sa gentillesse étaient des murs d’incompréhension. Peu importe. J’ai assez de planètes à visiter pour résister quelques jours encore, j’espère, au besoin de Karine.

Rentré chez moi j’ai machinalement mis la télé-compagnie, la fille n’avait pas suffi à écarter Karine. La télé faisait une nouvelle crise de pensée, cela se produisait parfois comme naît une bulle au fond d’un lac en zone volcanique et  monte irrésistiblement et éclate en surface. Au début toujours on invite quelques professionnels du cogito; étonnés de la caricature d’eux-mêmes que leur renvoie ce medium ils préfèrent vite contrôler leur attirance pour la lumière vive; alors on a recours aux chanteurs, aux acteurs et aux sportifs. Il y a une parapensée comme une parapharmacie, une paramédecine, une paraphysique... Les gens d’à-côté en somme, les voisins, adorent investir, envahir, dominer des lieux publics certes en principe mais tenus par des individus spécialisés dans l’ironie et l’interdiction d’entrer. Un voisin de la Sorbonne s’installait en chaire et professait sur un sujet qu’il ne connaissait pas plus que son auditoire mais pour certains on apprend en enseignant, le toupet suffit donc. Lindrone sur ce point ne craignait nul. Acteur de son état, dans la catégorie comédie réaliste, il était le recours idéal dans les pannes de personnel philosophique pour des émissions abyssales. Quoi pensait le Lindrone ? Il pensait la pensée dans sa totalité. Aperçu philosophique de la cogito lindronesque : ah la planète bleue plus assez verte; ah étrangers sans papiers, donner papiers alors plus étrangers, et voilà; ah racistes les qui veulent renvoyer chez eux ceux à qui on a procuré papiers, des françouais comme eux donc, sales racistes qui pas donner; des puants les racistes, des de drouète, ah puante la drouète, j’crache sur drouète, faschos, salauds, ils puent, racistes qui veulent pas France multiçaci, bref musulmane quoué, j’crache catho, j’crache christiens, moi athée, vive les musuls, papiers pour tous, et qu’ils fassent v’nir la f’mille, quoué, puants qui s’y oppose... etc. Des kilomètres de pensée entièrement gratuite sur ce modèle un peu répétitif.

Lindrone habitait la plupart du temps un luxueux palais au Maroc, il ne l’avait pas payé cher, la restauration n’avait pas été coûteuse non plus, la main-d’oeuvre travaille beaucoup pour peu d’argent là-bas. Comme il est logique, il ne voit pas pourquoi, puisqu’il vit au Maghreb, pourquoi les Maghrébins ne viendraient pas s’installer massivement en France. Non mais, pourquoi pas ? Hein ? Pourquouoi pea ? Puants ceux qui s’y opposent. Assurément Lindrone était un nez, on n’en aurait néanmoins pas voulu pour faire carrière dans les parfums.

J’ai voulu changer de chaîne; en vain; quand la télé pense elle pense aussi en chansons, elle pense en feuilletons, elle pense en pubs, elle pense en commentaires sportifs... Uns fois un vrai de vrai a même osé le silence, trente-six secondes où la télé a fermé sa gueule sans qu’on l’éteigne; et on paie pour quoi au juste ? Dans le noble but de paraître originaux, certains font vraiment n’importe quoi. S’ils ont les copains ils restent en place. Les n’importe quoi il y en a plein les écrans. C’est à cause de la baise. Le people est au-dessus de la morale ordinaire. C’est comme le salon d’Alessandra mais en gagnant plus.

 

 

 

II

Je tombai sur les clips-vidéos des penseuses : Madonna, Shakira, Lady Gaga... toutes pensaient du haut en bas de leurs beaux corps dansants. Le monde pensait Eros. Les sexe-machines devenaient l’âme du monde. Les paroles incandescentes flambaient à l’écran de la flamme de leurs jolies langues. L’âme racolait sur les ondes. Les temples avaient vacillé, leurs colonnes s’étaient effondrées; il restait la danse sur les restes d’une civilisation agonisante, la danse-sexe était devenue sacrée made in télé.

La femme est le premier sortilège qui nie la liberté par l’attirance qu’elle exerce. Elle s’allie à l’espérance, aux pouvoirs, à l’argent pour écarteler la volonté. On ne peut plus vouloir que ce qui crée la souffrance : la jouissance en effet fuit devant Tantale. Les beaux corps dansants ne sont que des mirages. Les cordes, les chaînes de quelques mètres font se glorifier d’être libre de quelques mètres.

Gloire des pantins qui vont mourir, gloire en poncifs, la femme et l’eau déferlante, la dame et les chiens, la femme entourée de mâles étrangers, la dame qui évite les zones d’ombre inquiétantes, la femme sur la plage à palmiers vide... L’hymne entêtant se ressasse, la litanie de la jeunesse triomphante qui s’hypnotise sur son présent, les corps de la mort hurlent sur les écrans en folie.

Je sens que je ne pourrai plus rester seul, je vais aller voir Karine. Je ne tiendrai pas plus longtemps. J’y suis obligé. C’est terrible de sentir les farces et attrapes de ce monde. Tout est risible. Alors tout est insupportable. L’alignement solennel des vieillards d’une maison de retraite dans les grands fauteuils de la salle commune; ils n’ont plus rien à se dire au bout de quelques jours, ils n’ont jamais rien eu à dire, ils s’en aperçoivent quand ils n’ont plus les forces pour agir; la directrice si aimable vient leur annoncer des jeux; heureux vieillards. «Jusqu’à ce que la mort nous sépare.» Mais la mort est le seul lien. La mort est la chaîne, aucun ne peut se séparer d’aucun; jamais.

Ressortir.

Le groupe de résidences dont la mienne fait partie est hyperprotégé; asile de paix dans la fureur des vols, des viols et des meurtres il s’entoure de murs et a sa garde armée. On y entre avec badge, après passage de deux barrières, on ne se sent libre du monde qu’une fois entré, l’espace de la liberté est un peu réduit, forcément, mais on est au calme, on profite de la nature : les jardins et le parc sont relativement grands, pour les jeunes enfants c’est merveilleux, les parents n’ont pas de soucis de surveillance, pour les personnes âgées les pièges des rues disparaissent. On en a pour son argent.

Avec Alessandra aussi . En somme j’exploite les différentes possibilités offertes par ce monde aux gens qui voient, je me laisse acheter pour me taire. Mais Jean parlait bien assez pour deux. Ce frère n’a pas tort; Paul non plus; je suis plus habile, je ne prêche pas dans le désert, à quoi bon ? Je reçois le pain, le salaire de mon inaction. Malheur à celui par qui le scandale arrive mais le système dansant paie sans compter la collaboration, la lâcheté, l’omerta. Pour vivre heureux il suffit de se laisser acheter.

 

 

 

- Qu’est-ce que tu fais là ?

- Tu nous demandes de l'argent, à nous !

Les deux jeunes sont indignés par le comportement du clochard des riches. Il est pistonné pour être toléré sur cette péninsule préservée des HLM ? On a empêché le bétonnage des côtes par la construction des villas de rêve. Ni Barthélemy ni Laurent ne sont d'ici, n'habitent ici. Ils ont visité le zoo un peu plus bas sur la colline du phare, puis ils ont voulu faire un tour en fumant, ils sont arrivés par hasard devant Job assis en paix au pied d'un muret près du portail à vidéo mais ouvert d'une propriété d'exception. Job n'entre pas; il n'entrerait pas. Il est connu des gardiens. Il répond à leurs questions gentiment; il les renseigne éventuellement; il lui font confiance.

Barthélemy et Laurent sont deux jeunes pleins d'avenir; l'avenir est en eux, bouillonnant, avec des promesses bien sûr mais sont-elles sincères ? Ils finissent leurs études au lycée cette année scolaire qui vient de commencer. BAC avec mention, aucun doute sur ce point. Puis ingénieur ou chirurgien. Leur présent est Job au pied du muret. Ce présent a une mauvaise influence sur eux.

Ils veulent savoir. Leur ton est mauvais. Et finalement ils secouent un peu le clochard parce qu'il ne répond pas, ou pas clairement, ou ... Qui tu es, hein ? Qui tu es vraiment ? Mais le sait-il ? Si les gardes de la villa arrivaient, ils le défendraient; où sont-ils passés ? Tu as bien dû travailler un jour ? Qu'est-ce que tu avais comme métier ? On t'a mis à la porte ? Le ton est monté. Il se plaint. Laurent lui flanque un coup de pied.

Le jour de fête avec sa sortie était arrivé, ils avaient emporté des sandwiches et quelques bières; chacun n'en avait encore bu que deux. La musique dans les oreilles, la musique qui n'était pas la leur, braillait sans cesse une langue étrangère sur des rythmes hallucinogènes; Barthélemy arrache brusquement les écouteurs, on entendait juste un petit couinement qui continuait de s'en échapper; il réfléchissait. Ou quelque chose de ce genre; disons que des opérations mentales exigeaient le rendement maximum de ses neurones et que la volonté de la bière n'y était pas pour rien. Ce n'était d'ailleurs qu'une volonté de penser; si un agent extérieur ne nous y pousse pas, nous avons tendance à nous laisser vivre, nous évitons seulement de regarder les précipices au bord du chemin du bonheur.

Job n'était pas une chance pour eux. Surtout après avoir visité le zoo. Ils lui proposèrent une bière mais il avait son litre, il ne buvait que du vin. Les gens de cette colline se sentaient si protégés que les gardes oubliaient de garder. Laisser une porte ouverte signifie "entrez". Prenez garde au chien, prenez garde à Job. Plus de place au zoo, hein, c'est ça ? Alors on laisse les bêtes errer dans les rues, faute de moyens. Faute de moyens, dans cette péninsule ! Ils rirent. Et mieux vaut en rire, non ? Mais le rire ne dure pas. Et l'abus d'alcool donne des maux de tête. On vous réduit à l'état de Job. Une larve. T'es une larve, toi, hein ? Allez, reconnais-le, t'es une larve ! Le vieux niait. Il refusait l'évidence. Ceux qui refusent de reconnaître une évidence irritent. La colère monte vite quand on a affaire à des gens comme ça. Ils vous prennent pour un con à nier, ils veulent que vous pensiez que vous, oui vous, vous ne comprenez rien. Le salaud cherche à vous faire croire que vous êtes un salaud. Le demeuré est assez malin quand même pour faire croire que vous êtes demeuré. Mais rétablissons l'ordre de la réalité.

Bribe par bribe ils arrachent de Job son passé. Chassé de son travail pasque l'patron i préf'rait engager des immigrés sans papiers au noir; cé pâ chêr. Interdit certes, certes; mais les employeurs responsables doivent faire de l'argent, compr'nez ? Sinon à quoi bon être employeur ? Entre eux ils forment une vaste chaîne de solidarité. Avec ses parties visibles : son député, son conseiller régional, la justice des prud'hommes... Job perdit salaire, alors il perdit appart. Et la femme qui garda l'appart mais se mit avec un bougnoul sans papiers mais avec salaire. Les femmes n'ont pas forcément le goût d'être clochardes. Les deux jeunes gars s'indignèrent : "Mais tu pouvais pas leur flanquer un coup de couteau à cet employeur et c'bougnoul ?" Job se savait physiquement moins fort. "Alors un coup de fusil, quoi !" Mais Job ne voulait pas aller en prison, il préférait encore vivre dans la rue. Les deux lycéens sont dégoûtés. "T'es bien une larve", dit Laurent. Il ouvre une bière et la boit silencieusement; il réfléchit. Barthélemy entre dans la propriété, par défi; il va jusque dans le garage. Personne. Et ouvert. Ces gens ont de la chance que Laurent et lui ne soient pas des voleurs. Il  y a une moto, des jerricanes avec de l'essence dedans probable, quatre, des bonbonnes de gaz, un petit stock, et ce qu'il faut pour le barbecue en travertin que l'on aperçoit vers la terrasse, et des pneus, et des planches, et des rouleaux de laine de verre... Barthélemy revient vers Laurent qui réfléchit toujours. Job est accepté ici parce que des gardiens l'ont connu quand il travaillait encore. Ils étaient à la fois voisins et en relation d'affaires, oui, la formule plaît à Job, il la répète presqu'en chantonnant : "En relation d'affaires". Il est sale, veule, un peu saoul, stupide, sans réaction contre ceux qui lui prennent tout. Laurent s'est levé et brusquement il se met à le frapper à coups de pied. Dans la figure, dans la tête, dans le ventre. Dans le dos. Parce que les mains seraient trop nobles pour un Blanc, un Français, tombé aussi bas. Il déshonore son pays et sa race en les laissant voler par les étrangers. Barthélemy lit le nom du propriétaire de la maison sur un paquet dans la boîte aux lettres laissée ouverte du côté intérieur : Ahmed Abdar. Il laisse tomber le paquet. Semble méditer. Puis se rend dans le garage, en ressort avec un jerricane. Revenu il pousse Laurent sans un mot; il arrose Job d'essence; il y met le feu.

C'est ainsi que tout commença.

Les deux jeunes reculèrent de quelques pas; ils regardaient Job brûler, son agonie. Quand ce fut fini, Barthélemy se dirigea vers le garage, Laurent le suivit. Ils sortirent deux jerricanes, le contenu des autres arrosa le garage et des arbres; ils tracèrent une traînée d'essence jusqu'au portail en emportant chacun un jerricane; ils allumèrent. Le feu s'empara des feuilles sèches, des buissons, du garage en un instant. Ils regardaient. Prudents, ce n'était pas des Job, ils s'éloignèrent avant que des curieux et des pompiers n'arrivent, pour allumer deux autres feux plus loin.

 

 

 

Jean s'entendit appeler, il tourna la tête, il vit une infirmière qui lui demanda comment il se sentait. Elle le demandait à chacun, on l'avait dépêchée là en urgence et elle ne savait trop s'il y avait vraiment du travail ou s'il s'agissait de figuration  pour la presse. "Monsieur ? Vous allez bien ? Vous ne voulez pas me répondre ?" La femme avait une quarantaine d'années, brune à mèches blondes, des cernes, des plis autour de la bouche, d'elle émanait la résignation et la tristesse d'être résignée. Avait-elle pourtant jamais été quelqu'un d'autre dans sa tête ? que quelqu'un qui avait renoncé à être ? La plupart des résignés sont sans désirs profonds, sans autres projets que stéréotypés, sans ambitions réelles; ils se réalisent pleinement dans la résignation. Leur domaine s'étend de la soumission sous l'argent à la soumission sous les paroles habiles, sous les règlements, sous les ordres. Les résignés n'ont pas besoin de dressage pour venir se soumettre au fouet, il donne à leur vie le sens qu'ils n'auraient pu y trouver. Jean fit un effort pour convertir cette présence en moins pénible, une femme qui ne lui rappelle pas sa maladie, sa souffrance, qui ne semble pas rassurer, c'est-à-dire écarter momentanément le mal par la résignation. Il n'acceptera pas. Il n'acceptera jamais le réel comme réalité, l'illusion imposée comme réalité. Accepter le monde c'est se soumettre au monde. Se résigner sous les fouets. C'est renoncer à exister. Le but de l'illusion. Jean, si malade, se sent vidé de ses forces devant la tentation de s'abandonner à l'aide de l'infirmière. "Je suis là pour vous aider", dit-elle. Sa sincérité est totale. Elle s'efforce d'être persuasive car elle est sûre de son utilité. Alors dans sa faiblesse contre cette utilité, il a recours à la plus basse des substitutions, il a recours à l'image de l'infirmière pornographe. La pauvre fait pourtant mal l'affaire. Mais elle commence à se déformer sous l'attaque. Son air résigné est résigné à autre chose, il est un appel, la pute a besoin d'un maître, elle vient le demander. Son statut vient de glisser d'elle comme glisse une robe; le système, si grossier soit-il, permet à Jean de respirer, d'échapper. Echapper aux infirmières du mal c'est échapper à la maladie même si elle vous torture; l'érotisme est la première porte à ouvrir pour qui veut fuir. Brusquement Jean entendit : "Laissez, je m'en occuperai"; il leva les yeux et à côté de l'infirmière vit Sandra. Même costume d'ailleurs; même état officiel. Il se mordit les lèvres, c'était sa faute; en somme il l'avait appelée. "Comme vous voulez. A moi il ne répond pas." L'infirmière réintègre sa résignation habituelle et s'en va. Sandra est une gardienne. Elle est une incarnation sans aucune morale qui préserve de l'extérieur. Avec elle il y a une aide-soignante et le conducteur de l'ambulance. Jean pourrit de sa maladie à l'abri du pouvoir des guérisseurs qui changent les malades en leurs malades, par compensation de leurs propres humiliations subies pour arriver à ces postes si utiles. Mais l'utilité n'est pas une excuse. Elle n'est qu'un moyen dont la fin est une illusion morale. Particulièrement pratique pour un athée, ou un pervers, ou un naïf. Pas fausse pour autant, bien sûr.

Paul, lui, est une santé. Cet atout lui a permis de se réaliser en tant que grande gueule. Beaucoup de bruit pour rien, des mots des mots des mots. Mais dans un pays en plein effondrement les phrases qui n'enjolivent pas sont repoussées, refusées avec indignation. Le monstre avait insisté, on l'avait sanctionné. Le premier président (gauchiste) de la décadence se fâchait rouge quand on osait le mot décadence; on n'impressionnait pas Paul; il n'était pas davantage sensible aux campagnes médiatiques sur le thème "La France progresse" avec grande émission sur la recherche scientifique, téléfilms de propagande afin de convertir l'immigration-remplacement de population, en sorte que les friqués fassent plus de fric et que les naïfs se glorifient de leur générosité suicidaire, la convertir en bienfait, bons p'tits étrangers, tu donnes ? oui, tu donnes ? non, alors on prend. Paul dénonçait le recours comme gardiens, vigiles, policiers divers, contre ces populations d'invasion à des membres de ces populations. Les vols avaient explosé et maintenant tous les magasins avaient du personnel de surveillance baraqué; si on prenait des Blancs, l'accusation des arabes arrêtés tombait illico : racisme, naturellement - ils avaient demandé, on ne leur avait pas donné, ils avaient bien été obligés de prendre, pas' que chez eux, ô Maghreb on était pôvre, l'Iurop y était considérée comme une sorte de supermarché où on allait se servir après avoir exigé des papiers; et la jiustice saisie par l'indignation des prétendues associations des droits de l'homme et qui étaient plutôt, selon Paul, des associations des droits maghrébins contre les Français, des sortes de taupes, grâce aux lois d'autoprotection de Chosset, ex-petzident qui craignait d'être pendu pour avoir livré son pays à l'étranger, la jiustice magouille de l'occupation rampante, soutenue par le puant Lindrone et ses acolytes des médias bien payés en cadeaux par les pays à pétro-dollars, condamnant pour se dédouaner elle-même et ne pas risquer des accusations. Donc, habileté, habileté, les magasins puisaient en terre maghrébine leur protection anti-maghrébine, en pays noir leur protection anti-noirs. Paul prophétisait que l'on payait et entraînait une armée d'invasion. Pendant que les Blancs travaillaient, cherchaient, produisaient, les immigrés gardaient contre eux-mêmes, se renforçaient, devenaient de plus en plus nombreux, de plus en plus forts. Il y aurait l'étape suivante, l'union des gardiens pour prendre ce qu'ils gardaient, ils faisaient du sport pour leur travail et pendant leurs heures libres pour être les plus forts, les autochtones n'avaient guère le temps. Quand la guerre éclaterait, la culture française, si précieusement enrichie par l'immigration selon les médias et politiques achetés, ne subsisterait pas longtemps, elle finirait d'être éradiquée, elle avait déjà disparu de nombre de lycées sous les refus des musuls déclarant qu'ils n'en voulaient pas, faisant la foire en restant impunis, crachat à chaque cours sur le pays qui les accueillait naïvement, ils voulaient Mahomet à la place, eux; avec leur petit sourire habituel, ils étaient l'armée des assassins.

Mes frères ont leurs opinions : Bon... Je ne travaille pas dans ces domaine de l'opinion, je travaille dans la publicité. Je pourrais dire malicieusement que je suis le plus convaincant des trois. Une belle fille à poil dans des poses pas ordinaires - mais parfois ordinaires, pour surprendre - sera toujours plus persuasive que des raisonnements; on comprend ce qu'elle veut, ce qu'elle coûte en somme, et ce que l'on aura; du moins on y rêve. La morale peut alors entrer en action à son tour, faire son p'tit business comme disent les Amerloques, la fille nue remplit les poches de la morale bien habillée. Après tout, par définition, la fille nue n'a pas de poches.

Globalement, moi, je n'ai pas eu à me plaindre de la vie, enfin un minimum, assez peu. Du moment qu'on ignore que j'ai des frères ou plutôt de qui je suis le frérot, ça va; sinon je dois persuader qu'on ne juge pas quelqu'un d'après ses frères... une évidence qui passe mal. J'ai intérêt à avoir le soutien de quelque belle fille pas farouche en robe qui découvre et donne envie de voir davantage. Paul est un risque naturel plus grand pour moi que Jean. Il indispose tout le monde. Je sais que ça l'amuse. Si on s'indigne de ses propos, il en rajoute. En ce qui concerne Jean, il me fait du tort dans la mesure où l'on doute de mon amoralisme nécessaire dans ma profession. On peut pourtant me faire confiance.

Si le monde ne va pas bien, qu'il se soigne, je ne suis pas médecin; ni économiste ni politique. Je profite certes de lui, je suis un élément de son cancer mais comme quantité d'autres; il serait injuste de me donner un statut privilégié de coupable. L'Histoire est en marche, qu'est-ce que j'y peux ? Quedal, mon bon. Au lieu de pleurer sur l'ambulance et le corbillard, pensons à les fournir et à nous faire payer.

Les citoyens du monde me paraissent tous drogués ou à la recherche de drogue, ils sont à gémir sans arrêt sur leur triste sort de prisonniers de la terre et à quémander un soulagement de leur misère. Ils dégoûtent, ces camés, ces bourrés; la planète à came, voilà sûrement la réputation de la nôtre dans les galaxies. Aider son prochain consiste à lui dénuder de belles filles; elles, elles ne demandent que ça, que quelqu'un les découvre, leur procure l'alibi pour s'exposer, s'offrir. On leur rend service en les prostituant tous les uns aux autres. Le fric sert à cet unique but, elles sont aussi son moyen pour changer de poches, pour les gens à poches, aller d'une poche à une autre poche par le moyen de ceux et celles qui n'en ont pas. Job permet Salomon. Il le crée même. Les Jobs produisent des Salomons en série. Deux catégories d'humains aussi vicieuses l'une que l'autre. A moi on ne me reprochera pas d'être idéaliste.

Tout le monde veut fuir l'horreur, mais les horreurs sont partout, alors tout le monde veut fuir, ce qui crée des profits. D'une part en aidant à fuir - quoique la fuite soit impossible -, d'autre part en consolant de l'échec de la fuite, enfin en remettant sur pied les prisonniers pour qu'ils puissent tenter une nouvelle évasion. En tant que publicitaire je suis sur tous les fronts.

 

 

 

Médée est la mère la plus aimante parce qu'au lieu de les laisser à la merci des autres elle tue ses enfants. Les lâches s'indignent de cet amour. Ils disent que la monstruosité consiste à ne pas être lâche. Ils ont le nombre pour eux. Elle a sauvés ses enfants d'eux. On comprend qu'ils ne le lui pardonnent pas. Ils ont le nombre et ils ont le temps qui joue en leur faveur. Au procès éternel de Médée elle n'a que des avocats commis d'office. Ils servent leur intérêt de carrière. La coupable est la victime de ses avocats et puis de la déformation professionnelle des juges au service du droit du peuple, du droit de tous, au service des lâches, au service des insignifiants, au service donc des vrais monstres, au service des vrais coupables de l'horreur de la vie.

Ne pas avoir d'enfant volontairement, c'est tuer ses enfants. C'est être Médée. Médée incognito. On nous apprend que la natalité chez nous a baissé au fur et à mesure que le niveau scolaire général augmentait. Plus le niveau est élevé plus les gens réfléchissent et moins ils font d'enfants. Médée triomphe. Ceux qui réfléchissent tuent leurs enfants. Les enfants échappent ainsi à la monstruosité du monde, ils échappent à la vie, à l'humiliation constante d'être derrière des barreaux de chair, d'ordre, de fric, de croyances... La liberté a besoin de se nourrir de celle des autres. Le baiser de la liberté est une dévoration. La liberté limitée au respect de celles des autres n'est qu'un barreau de plus, on dirait qu'on se moque de nous avec cette liberté surveillée. Le meurtre de ses enfants est la seule solution de l'amour. La liberté n'est qu'un piège à renards. On s'y retrouve coincé, sans autre espoir que de se délivrer de cette liberté.

"Médée ! Médée !" crieraient des marins en détresse, des pilotes d'avion en détresse - mauvaise blague, soit. Mais quand tombe sur elles la nuit, les villes la chassent à force de néons, de spectacles, de jeux, de danses. La nuit sue la peur. Chacun fuit la vie dans les plaisirs. Les tortures de l'ombre sont repoussées, elle est aux coins des rues, ses pièges à renards sont posés partout. Tout plaisir est une prostitution. Le fait d'être celui qui paie n'y change rien; au contraire. Payer pour se prostituer au plaisir afin de chasser l'ombre, se prostituer à l'ombre, en la payant pour qu'elle accepte, s'abaisser, s'humilier, se livrer, la lâcheté est là, quotidienne, normale, elle sue la peur inévitable, elle blâme ceux qui  refusent, ceux qui veulent s'évader, qui refusent les barreaux. Les corps de suicidés de la nuit sont exposés pendus à des cordes sur les places publiques au petit matin. Ils sont la honte de leurs familles, ils ont abandonné les leurs, qui peut leur pardonner ? On dit qu'ils ont été mis dans une autre prison, pire. Seule la mère peut vraiment tuer ses enfants; sans elle ils ne peuvent pas vraiment mourir avant que la mort ne le décide pour eux.

La surface de notre terre était encore calme en apparence malgré l'incendie qui détruisait la péninsule et noircissait le ciel mais des forces à peine visibles ordinairement, qui affleurent parfois, sans plus, des forces que l'on contient par des règlements, des lois, des obligations en nombre considérable, incroyable, commençaient à la faire frémir de légères secousses, elles tentaient d'en émerger, l'infra-monde veut régner, il n'a pas de scrupules, pas de freins, l'avidité aveugle, le désir assoiffé, l'insensible volonté de pouvoir, la jouissance de torturer sourde aux supplications, la joie sordide de sentir la peur enfin ressortent de l'ombre après avoir été maîtrisés si longtemps, maîtrisés en partie et à grand peine, leur heure est venue, plus forcenés de l'attente.

Les signes sont là, on ne veut pas les voir. L'incendie n'est qu'un incendie. La presse, selon son habitude, traite ce sujet comme s'il était coupé du reste de la vie, coupé de tout; l'événement est isolé par le mots mais la réalité n'a pas de barrières naturelles, il faut les construire, les lui imposer, et elles finissent par craquer sous la pression. N'importe, l'événement fait la une pour la raison qu'il est spectaculaire. Quelles belles couleurs ! Aucun artiste n'a créé une telle beauté. Voir est un tel bonheur. Mais le bonheur ne justifie pas, l'exploitation d'une mine de diamants avec ses blessés et ses morts n'est pas justifiée parce que chérie est si belle de leur éclat sur la blancheur de ses seins. Les seins de marbre portent l'éclat des larmes.

Où aller quand la foule captive d'images s'agglomère tout le long de la côte ? Rester chez soi ? Il suffit de s'y sentir obligé pour que cela devienne insupportable. Là-bas la foule ne comprend pas ce qu'elle voit. Elle croit qu'un incendie est un événement. Elle regarde son avenir proche, elle ne comprend pas. L'incendie va s'emparer d'elle, la foule sera brûlée vive. Les souffrances infligées par ces forces que l'incendie de la péninsule libère seront atroces, il n'y aura pas d'oubli possible, les drogues ne seront plus que des tortures. Mais Médée peut tuer ses enfants pour qu'ils échappent à l'horreur. Seule la mère en a la possibilité. Il faut l'amour. Il faut que l'amour soit assez fort pour qu'elle accepte de renoncer à leurs vies. Les enfants de la terre sont les suppliciés de la terre, il n'y a pas de pardon au fait de vivre, la terre n'aime pas ses enfants.

Où fuir l'ennui des plaintes, des pleurs, les souffrances qui demandent naïvement pourquoi, le spectacle dégradant des vainqueurs jouissant des viols et des humiliations qu'ils infligent sans comprendre qu'ils ne sont que des outils ? Le temps des assassins est revenu, il revient toujours. Des hommes vont encore croire dominer des hommes. La lutte est impossible tant que les forces déchaînées ne sont pas repues. Elles agissent qu'on laisse ou qu'on ne laisse pas faire. Il est trop tard pour les arrêter. Elles ne s'arrêtent que lorsque la terre est jonchée des cadavres de suppliciés.

 

 

 

III

"Et puis nous recevrons le Marcou qui dans son livre balance sur son ancienne chaîne, peut-être parce qu'il y a perdu son emploi. Il y aurait un rapport qua ça ne m'étonnerait pas." Rires de l'animateur et de ses chroniqueurs autour de la table. Je ne vais pas en regarder long. Je vais regarder quand même. Le Marcou, on le connaît un peu. Regarder la télé dix minutes évite de lire un livre quasiment vide, il y a des cas où la publicité du livre remplace avantageusement sa lecture. Pourtant des gens achètent après... Esbroufe, esbroufe, esbroufe. Même pas le mini scandale qui aurait laissé espérer plus... Le tout émaillé de grosses blagues avec pour trois sur quatre des sous-entendus sexuels. On éduque la jeunesse qui assiste à cette émission familiale : les types qui n'affichant pas de maîtresses sont sûrement des pédés, les femmes publiques sont plus publiques qu'on ne croit, les hommes pas baraqués sont efféminés, les filles à l'air tranquille doivent bien sucer, les gros baraqués on connaît leurs moeurs dans les vestiaires, les femelles à la mode sont des gourmandes, on a leurs vidéos sur le net, autant des chanteuses et actrices américaines, le sommet pour la blague est qu'elles avalent, ah elles aiment ça, la vie sans chiennes et sans pédés serait une vie sans blagues, du chômage en perspective pour les animateurs.

Karine adore ces blagues. Pourquoi ? Je ne le comprends pas. Surtout qu'elle en est parfois, et même assez souvent victime. Mais sur les autres, ah, elle se tord de rire. C'est idiot. Karine adore ce qui est idiot. En tant que chanteuse, et chanteuse vraiment connue, elle devrait, à mon sens, être révoltée de façon générale contre de tels sous-entendus constants, répétés. Même sur elle-même, je la soupçonne de n'avoir qu'une indignation de surface. Ce qui la ravit dans les soirées animées en petit comité c'est de lâcher de grosses blagues de ce genre elle aussi. Elle en rit aux éclats. Les autres également. Ses amis sont de son genre, vous voyez ? Sauf moi, son mouton noir (elle dit "mon étalon blanc"). En ce qui concerne les professionnels, les idées, les goûts... Karine est entourée pour les femmes de sous-Karine et pour les mâles de dépravés sexuels avec ou sans talent - artistique.

Elle vit avec Eric. Enfin plus ou moins. Elle n'est pas à lui. Elle dit qu'elle est à moi. Mais qu'est-ce que cela signifie ? Une sorte de blague qui la fait rire. Mais pour Karine la frontière entre la réalité et la blague, salace de préférence, est difficile à tracer, à situer; elle se déforme, elle se déplace, elle peut même disparaître complètement. On ne réussit pas à tenir Karine entre ses mains, Protée femelle elle devient pierre qui s'effrite, chienne qui vous lèche les doigts, harpie à la chevelure de serpents, liane pliante, pleureuse qui se change en ses larmes, mirage de walkyrie, fantôme de Diane, folle du désert, sage de boulevard... Karine n'existe que quand elle chante. Le reste du temps elle est insupportable. Pour moi. Elle me dit qu'elle-même elle a du mal à se supporter. Mais qu'est-ce que cela signifie ? La sincérité de Karine n'est qu'une vérité de cinq minutes, la sincérité suivante n'aura pas plus de durée. En tout cas, elle se voit comme un être stable, les pieds bien sur terre, qui sait compter les sous des contrats, jouir des plaisirs de la vie (dont apparemment je suis), et même vieillir. Karine en femme parfaite, il en faut de l'imagination sur soi.

Le problème avec des artistes de son genre réside dans le refus de ne l'être qu'à un moment donné, leur vie quotidienne nourrit leurs chansons, leur art s'est emparé de tout leur temps de vie, la vie est une drogue, les drogues amplifient la drogue de la vie, sur scène on est plus vivant, on vit plus quand on s'exhibe, s'offrir aux voyeurs est une délectation pour Karine, le talent permet de les faire venir, le talent permet de s'offrir plus. Pour les artistes de son genre, entendons-nous. Je l'ai vue saoule plus d'une fois. D'une certaine manière je fais partie de son spectacle; elle m'attire très consciemment; le rôle qui m'est imparti n'est pas clair pour moi. Dans l'autre sens elle est une passion pour l'oubli; Karine est un simple taxi, l'amour est son prix.

Le dernier scandale qu'elle a créé a pris pour cible un journaliste TV; il l'interviewait en direct mais elle n'était pas sur le plateau, elle était dans sa loge avant de chanter; il avoua qu'il n'avait pas vu le spectacle - ô tentation -, très vexée elle lui claqua en pleine figure qu'il ne faisait pas son travail, qu'il était scandaleux que des gens comme lui se fassent passer pour des professionnels - blême le type qui s'efforçait de répondre dignement sous l'attaque -, paf pif poum ! chanteuse offensée tape gueule tendue de l'homme en service, délices de l'insulte exhibition, jouissance rare de la provocation totale sans réplique immédiate possible, noir désir du crachat et attente infernale de la réplique, tout coup est une demande de coup, Karine demande s'il est un bon coup, Karine en public demande une réponse en privé; comprenez que Karine ensuite, très éméchée de son scandale, en a (je n'ose dire "délicatement") extrait une blague, une bonne blague, salace à souhait par conséquent. Ce que je sais, comme tout le monde, c'est que peu de temps après le journaliste l'a de nouveau invitée à son émission et que l'entente parfaite a rétabli l'ordre médiatique sans que l'on sache où et comment a été essuyé le crachat. Il lui avait téléphoné après l'interview-catastrophe, ils s'étaient rencontrés pour s'expliquer, Karine a une de ses blagues au sujet de la rencontre, je préfère en rire sans comprendre.

Que ce soit clair : je ne suis pas un acheteur de Karine; elle se vend partout, en tous formats et en toutes (petites) tenues, mais je ne suis pas client. Je ne profite pas d'elle non plus. Elle a bien essayé de m'entraîner dans une relation de cette sorte, mais pas moi, non. Alors elle boudait. Certes les relations normales dans son monde sont impossibles avec moi, je suis impossible. Elle a raison. Je ne m'en repens pas mais elle a raison. Seulement elle ne connaît pas mes deux frères. A cause d'eux je ne suis pas vraiment du milieu de la publicité. Il y a un lien invisible plus fort que l'argent, que le sexe, que la volonté. Il est difficile d'expliquer que l'intelligence n'est pas exactement individuelle. Encore plus que l'intelligence peut nous être imposée de l'extérieur et que vous êtes contraint d'y participer. Voilà, y participer est la bonne expression. Ce n'est pas un sujet pour chanson. Si je dis cela à Karine elle va encore hausser les épaules. Elles sont belles les épaules de Karine. Superbes. Presque toujours découvertes. J'adore lui faire hausser les épaules, j'adore être le haussement d'épaules de Karine. Là où la pensée devient chair, devient chanson, même si c'est une blague, une énorme blague. Salace, peut-être, soit, passons, qu'importe, mais Karine va chanter, la vie de Karine va chanter.

Je vais la rejoindre. Je ne tiendrai pas plus longtemps. Me saouler d'elle, en être ivrogne pour chasser l'intelligence, la lucidité n'est drôle que de la part des extra-lucides, Karine est une extra-lucide, j'irai car je sais que Karine va chanter.

 

 

 

- Pâs' que vous i êt qu'deux ici, c'é g'and ici. Vu z i êt qu'deux. Nous neûf.

- Ecoutez, il faut nous laisser ou j'appelle la police. Nous sommes chez nous, allez-vous-en.

- La pilice, t'i pû l'appler si tu vê. Mi j'i crains pas la pilice. J'i di'ai qu't'es raciste. De sales racistes. V'i êt qu'deux et c'é g'and ici. On vê s'installer ici. On est neûf.

- Allez-vous-en ! Allez-vous-en !

Les deux vieux essayaient de repousser les gosses qui essayaient de passer. Ils voulaient refermer leur porte, ils regrettaient amèrement de l'avoir ouverte. Ils avaient hésité en les voyant mais ils avaient craint, s'ils n'ouvraient pas, à cause de la propagande TV sous couvert de journalisme de Pourat  et de Louzette qu'ils regardaient tous les jours en croyant être informés tandis qu'ils subissaient la propagande collaborationniste payée en somptueux cadeaux - mais non, nous n'avons reçu que des  petits qui entretiennent l'amitié -, ils avaient craint d'être accusés de racisme.

A cette époque le système de dénonciation camouflé mais appliqué sans faille par des associations en apparence bien pensantes ("Contre le racisme", "Pour l'égalité des peuples" etc...) était une inquisition comme la France n'en avait jamais connue. Des trois occupations (la boche, l'amerloque et la bougnoule) la troisième avait trouvé tous les collabos des précédentes; il avait suffi de payer et sous prétexte de générosité, de grandeur d'âme, d'amour entre les races, le pays avait été livré. Chosset était l'âme damnée de Mahomet. Chosset était le traître. C'est lui qui avait fait les lois qui permettaient aux envahisseurs d'envahir légalement.

Bref les deux vieux qui après une vie dure de travail avaient réussi à s'acheter une maison, avaient ouvert. Les autres les poussaient. Bientôt les arabes furent dans le salon, les gosses se jetèrent sur le divan et les fauteuils avec des cris de joie.

- Fö pâ êt râciste, répétait le père avec le petit sourire habituel "tu donnes ? tu donnes ? " Sinon plus de sourire, ils prennent. Partout.

Le père était il y a quelques années entré illégalement. Comme déjà, grâce à Chosset, il n'y avait plus à se gêner, il avait carrément "exigé" des papiers. On avait que ne pas... et ci et ça... puis il y avait eu une régularisation, pas massive, rassurez-vous - il ne faut pas avoir peur des bons arabes, tolérants, gentils... si tu donnes -, en réalité massive, mais, selon l'habitude, en disant le contraire. Désormais avec papiers, il avait fait venir la famille, c'est normal, on ne va pas vivre ici et la famille là-bas. La femme et sept enfants, en fait la plus grande des filles était sa deuxième épouse. Les associations caritatives avaient immédiatement pris en charge ces malheureux. Mais ils n'étaient pas contents. Les Français ils n'accueillent pas bien les étrangers. Regardez dans quoi on vit ! La taille de l'appartement donné par ces associations ! Elles sont gentilles mais on voit bien que leurs membres n'ont pas eu de familles nombreuses. Une impatience vite estimée justifiée gagnait les maghrébins d'être si mal logés. Ils avaient donc décidé de remédier au mauvais accueil raciste par des opérations coup-de-poing, un peu partout, pour un logement digne. Ils choisissaient la maison qui leur plaisait et ils s'y installaient de force. De préférence une maison avec des vieux qu'il suffisait d'expédier en maison de retraite avec l'aide des compréhensives associations humanitaires. Pourat et Louzette se chargeaient d'expliquer dans leurs journaux TV que tout cela était logique, que les maisons doivent être aux plus nombreux. Il ne faut pas voir le mal partout et il faut bien accueillir les étrangers.

La France s'enrichit, mais oui, mais oui, de l'invasion musul. On vient encore de détruire un clocher et de changer l'église en salle des fêtes dans une commune dont le maire athée trouvait scandaleux de devoir payer (quoique ce ne soit pas son argent mais celui des impôts) pour un vieux truc catho cher à entretenir comme s'il n'y avait pas de séparation entre l'état et l'église, mais il avait trouvé de l'argent pour l'exigence de maghrébins pour une mosquée et son minaret au nom de la tolérance religieuse, de la liberté religieuse, parce que les étrangers qui nous ont fait l'honneur de venir s'installer de force chez nous, ont le droit, oui madame, oui monsieur, le droit de pratiquer leur culte. Ce maire gaucho était très généreux dès qu'il s'agissait de la religion étrangère, il disait même, en vue d'élections, que pour montrer sa haute tolérance, il était prêt à se convertir au Mahomette. Hein ? quel bel exemple d'ouverture d'esprit ? Tellement ouvert que tout pouvait s'y engouffrer. La tête des vents de sable.

Les deux vieux étaient repoussés vers la porte de sortie. Ils devaient comprendre qu'ils gênaient la famille. Il fallait qu'ils s'en aillent. La vieille dame pleurait. Le vieil homme essayait avec ses dernières forces de lutter. Alors les ménagements prirent fin puisque ces débris ne comprenaient pas. Le père et ses deux femmes les bousculèrent et le père les traîna dehors. La porte se referma sous les applaudissements des enfants.

Le vieil homme aida sa femme à se relever. Elle ne pleurait plus. Elle n'arrivait pas à parler. C'étaient de braves gens qui avaient toujours donné ce qu'ils pouvaient aux associations pour l'accueil des étrangers, qui avaient cru qu'il fallait donner des papiers, à certains du moins, ou - ils ne savaient trop - peut-être à tous ceux qui en voulaient ? Ils avaient cru à cause de la propagande que la France s'enrichissait d'une nouvelle occupation quand ils voyaient pourtant le résultat de la précédente par les émissions TV où on ne chantait quasiment qu'en amerloque sur tous les rythmes amerloques, quand ils voyaient que leur propre culture mourait chaque jour sur les ondes des radios et des télévisions.

Que pouvaient-ils faire ? Aller à la police. On prit leur déposition très sérieusement, l'affaire était grave. Les policiers allèrent demander poliment à l'arabe de quitter la maison volée. Il refusa. Ils firent un rapport. Les deux vieux attendaient sur des chaises dans le commissariat, ils croyaient encore qu'ils allaient rentrer chez eux et le soir même.

Ce commissariat avait déjà été attaqué plusieurs fois à coups de pierres par des hordes de "jeunes" comme disaient pudiquement les médias (car dire maghrébins était raciste), il avait donc reçu des ordres de prudence. D'ailleurs on n'avait pas un effectif suffisant pour repousser l'attaque qui aurait immanquablement lieu si on chassait la famille arabe de la maison volée. Le mieux était grâce aux associations caritatives de trouver une chambre pour les deux vieux, on allait bien réussir à leur trouver un hébergement au moins pour quelques nuits. On ne dirait pas que la police ne faisait rien, elle agit du mieux possible pour le bien des citoyens.

Parmi les forces de police, il y avait plusieurs maghrébins à l'air particulièrement goguenards. Ils trouvaient que les leurs avaient réussi un bon coup. Ils étaient là ainsi qu'un noir au nom des obligations du service public à s'ouvrir à la nouvelle diversité ethnique imposée par la propagande et les lois de Chosset, si  enrichissante tu parles, grâce à laquelle notamment la drogue en provenance du Maroc coulait à flots partout.

Uns fois un homme avait tiré sur des maghrébins qui pillaient sa maison. Le Pourat et la Louzette avaient dit avec indignation que des biens matériels ne pouvaient justifier l'assassinat. Ailleurs un autre homme avait tiré et tué un "jeune". Et pour quoi ? Pour des choses ! Les choses ne peuvent valoir une vie humaine ! L'homme avait été traîné dans la boue médiatique par les collabos Pourat et Louzette, la "justice" de Chosset l'avait lapidé, condamné. Partout dans le pays on n'osait plus se défendre. On avait autant peur de la justice et des médias que des musulmans qui attaquaient chaque jour. On avait constaté que l'on ne pouvait pas compter sur la police; si elle agissait Pourat et Louzette se chargeaient de déverser la boue médiatique en tonnes sur elle, la justice trouvait des bavures dès qu'un maghrébin était tué, les maghrébins de plus en plus nombreux envahissaient les rues dans de violentes manifestations contre l'assassinat de l'un des leurs. Ils prenaient  ? Et alors ? Ils volaient le pays ? Et alors ? Cela ne justifiait pas de les tuer ! Ils avaient inventé la prise de guerre sans morts de leur côté. De leur côté car dans tout le pays ils tuaient. Depuis le recul du Pape au sujet de la violence des musulmans (sous la menace) on n'osait même plus appeler violence les meurtres qu'ils commettaient partout. Et les associations caritatives leur trouvaient des excuses, les avocats les tiraient souvent d'affaire et quand ils étaient condamnées, ils étaient les héros des prisons et de leur communauté.

 

 

 

Dans la soirée de l'incendie, la péninsule fut envahie par les pillards. En temps normal elle était habilement surveillée, les vigiles intervenaient très vite pour bloquer les audacieux, les renforts policiers étaient mobilisés sans problème car les habitants avaient les relations qui font des vagues, éventuellement des tempêtes : les dommages collatéraux risquaient d'avoir lieu même parmi les chefs; mais les hordes voyaient de la côte l'affaiblissement des défenses. Les pompiers avaient fini d'éteindre les premiers incendies, il avait suffi de quelques infiltrés pour en allumer d'autres. Le ballet des camions de pompiers avait repris aussitôt, les évacuations aussi, les maisons sauvées étaient vides, leurs propriétaires avaient dû laisser sans gardes des trésors.

La nuit tombée les hordes franchirent en nombre le goulot de l'entrée, l'unique route d'accès ne leur permettait pas de passer inaperçues mais qui les arrêterait ? L'envie de pillage était telle qu'elles n'avaient même pas pensé à la manière d'emporter les objets volés; pourtant d'habitude elles s'intéressaient surtout aux téléviseurs géants, au matériel HI-FI de pointe... difficiles à transporter à pied sur des kilomètres. Au petit matin on retrouva une commode Louis XV cassée et abandonnée au milieu de la route, des vases rares de Chine brisés à plus d'un kilomètre de la villa où ils avaient été pris, des soieries aux motifs merveilleux déchirées, souillées d'excréments... On aurait dit que les meutes avaient cherché systématiquement à détruire ce qu'elles ne pouvaient avoir.

La police avait bien été obligée d'intervenir. Mais curieusement tard. Pour la première fois, au cours des affrontements, un de ses maghrébins rejoignit les troupes en face. Ses congénères policiers s'affirmèrent consternés; vraiment ils ne comprenaient pas, c'était un bon français, un bon musulman, qu'est-ce qui avait pu lui passer par la tête ? Le vent des sables, probable.

Donc il y avait eu bataille. Les forces de l'ordre en armure de protection avec bouclier avaient la peur de la bavure qui aurait consisté à tuer un ennemi car la presse était à l'affût. De ce point de vue tout se passa bien mais, forcément, quand l'ordre se limite à sa présence et à sa propre défense... sous le harcèlement mobile, rapide, des meutes qui cherchent à se rendre insaisissables... qui allument d'autres incendies... Ah la presse ne fut pas tendre avec cette police inefficace. Où va l'argent du contribuable ? je vous le demande, ouais, pourquoi paie-t-on ces types puisque le résultat est que la catastrophe a quand même lieu ? Après ils se plaignent des restrictions de budget. Lamentable.

On ne pouvait pourtant pas leur reprocher des blessés parmi les assaillants. On eut beau chercher, on n'en trouva pas. A l'hôpital on ne trouva que des policiers. Les maghrébins le lendemain en lisant les journaux étaient hilares et fiers. Ils avaient gagné la bataille.

La presse ne parla guère du pompier assassiné à coups de barre de fer. Tout à son idée d'éteindre l'incendie il s'était trouvé en un endroit de transport d'oeuvres d'art qu'il avait considérablement gêné avec son puéril jet d'eau. Il avait fallu arrêter une action préjudiciable aux biens, il en était mort. La presse ne blâmait que la police pour ne pas avoir été capable d'empêcher ce meurtre horrible.

La presse fait son travail, oui madame, parfaitement monsieur. Vous attaquez la presse ! Vous attaquez la liberté de la presse ! Vous attaquez les libertés fondamentales ! Vous attaquez la liberté ! Ce discours avait permis au journalisme de propagande arabe de s'emparer des ondes. De même que la tolérance était utilisée pour l'invasion en faisant croire que c'était noble, généreux, admirable, de se laisser envahir, de même que les lois étaient utilisées contre ceux qui voyaient le pays mourir du cancer de la tolérance irresponsable et de la générosité abrutie, de même les médias avaient été détournés et servaient le contraire de l'idéal républicain, garder son pays libre. Les capitaux des pétro-dollars bien placés et les cadeaux somptueux avaient eu raison de l'identité nationale.

Le problème c'est que l'intérêt de la presse n'est pas forcément celui de ses lecteurs. Ils n'achètent pas assez pour entretenir cette belle fille. De pure aux idéaux nobles elle est devenue la pute de la république. Elle est à baiser par qui a des millions à lui jeter. L'intérêt de l'actionnaire d'un journal n'est pas l'intérêt du lecteur, l'intérêt du directeur du journal n'est pas l'intérêt du lecteur, l'intérêt des journalistes n'est pas l'intérêt du lecteur. Dans un monde d'argent ils veulent de l'argent et personne n'est en mesure de leur lancer la première pierre. Mais la pute s'est trop vendue, bientôt elle n'aura plus rien à vendre, le temps joue contre elle. Les actionnaires d'hier ne pensent déjà plus qu'à s'en débarrasser. Il y a des putes si stupides que quand on les baise elles croient accomplir une action humanitaire. Du moins si on ne les paie suffisamment. L'argent aide à la crédulité.

En gros dans la presse : Bons p'tits bougnouls, gentils, tolérants, juste un peu voleurs, violeurs, tueurs; Forces de l'ordre très méchantes, pas tolérantes car ordre, pas gentilles car ordre, contre la répartition des richesses. Et d'ailleurs dire méchants bougnouls au lieu de gentils jeunes c'est raciste, absolument, toute vérité n'est pas bonne à dire quand on a la presse mercantile contre soi.

Les meutes s'étaient donnné de jolis noms que les médias reprenaiennt avec complaisance comme s'il s'agissait d'un film, moins policier que d'épouvannte, où l'art décore l'horreur. "Les Vandales", "Les Aliens", "Les Combattants de la  haine", "Les Ostrogoths", "Les Vengeurs de la coloniale"... Eugène Sue n'eût pas trouvé mieux (ou pire). Ces "jeunes" étaiennt des garçons qui s'entraînaient par le sport pratiqué à longueur de journée sur des musiques rap passées en boucle. Ils connaisssaient en tout et pour tout l'islam, déclaré tolérant : ils voulaient faire ériger des minarets partout, symboles de virilité. Leur obsession : baiser des blanches. Ces filles-là on finissait par en avoir, c'étaient des putes, après on allait fièrement au pays - car on n'était françouais que de papiers - épouser des femmes de chez nous, vierges, dociles, poour les féconder et plus tard les faire venir ici avec les gosses. Les blanches elles croient qu'elles montrent qu'elles sont tolérantes, généreuses, pas racistes, quand elles se laissent fourailler par un arabe, ce sont de vraies putes; quand un les a eues, un autre les aura; tu parles c'est pas comme les nôtres, ça couche les blanches, il suffit de leur faire croire que sans ça elles sont racistes. Et elles croient n'importe quoi.

 

 

 

Tout garçon est une machine de guerre biologique. Il est l'arme intelligente. Enfin plus ou moins. Mais les plus forts sont capables d'utiliser les plus intelligents. Et inversement dans la démocratie. En principe. Il sert l'horloge, la mécanique infernale du temps, il trouve de lui-même comme but de la servir. Sa vie s'étend devant lui, immense étendue plane que seuls des moments de violence peuvent modifier; on n'a pas de relief sans tremblements de terre. Les montagnes font apparaître les cours d'eau, les torrents et les fleuves; le désert verdit des guerres. Caïn crée le bonheur; son remords engendre l'existence individuelle, les oppositions apparaissent, les contrastes vont alors se développer, l'ombre aux infinies variétés et la lumière aux insaisissables et fugitives variations. Les arbres sont immenses sur le domaine de la mort.

Les hordes ont des filles, pas encore utilisées comme reproductrices. En apparence elles ont une volonté et une indépendance. Elles veulent voir des blanches soumises. Elles vont voir les viols dans les caves. Elles attirent les blanches sous des prétextes divers pour satisfaire les garçons. Dominer les filles des adversaires, des ennemis, est depuis toujours le moyen le plus sûr de la conquête. La fille fière est par nature domesticable, ses idéaux ne tiennent pas sous la virilité, un mâle ardent prend leur âme. Le sperme est la loi. Les filles des hordes sont aussi souvent utilisées pour piéger les gens du pays; ils croient attirer à eux et à leurs valeurs celles qui agissent conformément à leur modèle, ils croient qu'elles s'intègrent et que les garçons suivront. Mais les hordes les reprennent quand elles veulent. Les filles ont le choix entre la soumission et la mort. Elles ne sont qu'un piège de l'invasion. Celles qui enfantent sous des blancs ont du moins empêché la reproduction des blancs, elles ont servi; les hybrides sont des êtres de second ordre, ils ne sont pas reconnus, acceptés.

Tel était bien leur monde. Ces idées étaient bien les leurs. Niées officiellement par la presse. Si quelqu'un les disait, Lindrone, Pourat et Louzette... montaient au créneau. Ils faisaient le travail des cadeaux. Ainsi le mensonge médiatique couvrait la réalité de son nuage au nom du journalisme et du vedettariat. Les élites n'avaient accès au porte-voix médiatique que si elles collaboraient, celles qui avaient un point de vue négatif et voulaient renvoyer les immigrés chez eux étaient vilipendées sans pouvoir s'emparer des médias qui étaient à elles aussi mais leur étaient interdits.

Des ministres-figurants lisaient régulièrement des discours de préfabrication standard sur l'horreur de proférer des propos hostiles à l'invasion au lieu de répéter le prêcha-prêcha obligatoire du microcosme politico-médiatique. La liberté de pensée n'est pas la liberté de parler, la liberté d'expression n'est pas la liberté de communiquer, la liberté de la presse n'est pas la liberté des autres. Les lois de Chosset et son système de propagande n'avaient pas été remis en question après se chute. La corruption était partout, particulièrement dans le système éducatif où on aurait dû développer la résistance et où on la brisait par tous les moyens, faisant des jeunes Français des proies faciles pour les envahisseurs. La défense était brisée par l'école. Les politiques et les médias y veillaient.

Croire que toute évolution est bonne pour ne pas voir. Le pays s'effondrait sur lui-même du poids acquis par une immigration insensée. Rien ne pouvait plus le sauver.

Paul, antimondialiste et antiraciste, n'était pas défavorable aux mesures innombrables qui favorisaient l'immigré contre le Français. Sur sa colline des ventes d'art ou apparenté il pensait avoir une vue sur l'avenir comme il en avait une, superbe, sur le paysage. Ses lectures d'ultra-gauche néanmoins l'amenaient à constater que la fuite des élites de leurs pays d'origine pour vivre mieux sans effort chez nous écartait les révolutions anti-capitalistes nécessaires pour les peuples. La corruption effarante des pays en voie de développement servait indirectement celle, aussi effarante mais mieux cachée, des pays développés; quand il n'y a pas de révolution et de prise de pouvoir des perdants de la vie, ils continuent de perdre. Paul était extrêmement convaincu que seule une révolution anarchiste pouvait régler les problèmes du tribalisme. Et ce tribalisme il le voyait recréé non loin de chez lui par les hordes. La solution des problèmes locaux passait par la solution des problèmes de pays lointains. Ses écrits dans des feuilles diverses à l'audience confidentielle fournissaient les raisonnements aptes à convaincre du bienfait collectif de quelques milliers de morts. Tuer les profiteurs, tuer les têtes permet la libération populaire et l'instauration de l'égalité par la distribution ou plutôt la répartition selon les besoins de l'abondance réelle mais cachée pour la voler par les mafias économiques, politiques et médiatiques. Avec la prospérité dans leurs pays d'origine et les possibilités de réalisation personnelle, voire d'ascension, les hordes y rentreraient non plus pour y passer les vacances, comme aujourd'hui, mais pour y rester. Car enfin - et là il rejoignait dangereusement, disaient ses détracteurs, des propos criminels d'extrême-droite - elles n'étaient pas là pour une réintégration ou pour enrichir ce pays, mais pour s'enrichir. Le prétexte de fuir des menaces si bien qu'on ne devait pas les renvoyer avait fait son temps même s'il continuait de servir pour les Pourat et les Louzette; il n'y avait pas un cas sur dix mille pour qui l'argument valait. On leur servait la soupe, les nouveaux françouais s'emparaient du plat de résistance et volaient le dessert. Pour beaucoup de Français véritables la vie maintenant se passait à les regarder manger. Dévorer. Paul, donc, s'était brouillé avec une frange extrémiste qu'il vilipendait sauvagement; quant aux autres gauchistes il s'opposait à eux en essayant de leur expliquer la vérité depuis des années. Ses tentatives de discussion avec Jean sur ce point avaient également avorté. Notre frère Jean voyait le monde sans réagir au monde. Ses mécanismes lui paraissaient dérisoires, un cache devant la réalité. Sa réalité à lui était derrière les conduites, les actes des hommes; il pensait au niveau de l'espèce, l'évolution de celle-ci était une programmation dont il fallait s'abstraire. Pour ne pas être victime du mirage de l'actualité il faut ouvrir les yeux de l'âme. Voir signifie voir au-delà. Les apparences ne sont pas seulement trompeuses, menteuses, elles sont l'enfermement entre des murs, elles sont une cellule que l'on croit immense et qui en fait est réduite à quelques mètres. L'homme se croit riche de potentialités infinies alors qu'il est limité à quelques comportements inévitables pour lui dans des conditions imposées. On ne peut créer une liberté qu'en refusant le monde. Thème traditionnel de l'aveugle qui seul voit. Mais Jean par sa seule présence effaçait les murs et sa parole guidait le long des précipices sans que la peur de tomber n'effleure même ceux qui le suivaient. Seulement sur nous ses frères il n'avait pas d'impact, il ne l'avait pas voulu, je pense même qu'il avait voulu le contraire, mais on ne peut pas en être sûr.

 

 

 

Je me souviens de notre père, nous étions enfants, quand il nous réunissait autour de la table, notre mère poussait un soupir de lassitude et d'agacement, pour que nous décidions ensemble de ce que nous allions pouvoir donner à diverses associations et en quoi nous allions nous restreindre car sinon ce ne serait pas possible, et elle laissait faire. Il calculait, il écrivait les chiffres, il avait tracé les colonnes comme à chaque fois, il les remplissait peu à peu, il calculait, il traçait les chiffres lentement, avec application, il expliquait. Nous étions tous concernés. Nous cinq autour de la table. De la même façon. Il expliquait encore et encore. Je revois surtout le visage de ma mère. L'image de la résignation, pour moi, est son visage. Elle devait l'aimer, pour accepter ainsi ? Il était convaincu, il était totalement convaincu par ce qu'il disait, il croyait à son rôle planétaire par nos sacrifices afin de donner. Il se sacrifierait plus que nous - nous le savions bien. Il attendait de nous des propositions. Si l'on a des enfants, il faut les éduquer du mieux possible; le mieux possible selon lui était de nous éduquer suivant les principes auxquels il croyait. Il espérait de toutes ses forces que nous adhérerions totalement à sa foi du don. Seul Jean proposait. Paul était si petit. Je l'ai dit, c'est Jean qui l'a éduqué, nos parents sont morts trop tôt - ou au bon moment pour moi car j'aurais été le mauvais fils, je les aurais désespérés. Mon père surtout, ma mère se serait résignée. Sûr que ces séances ont marqué mon enfance. Mon rejet inébranlable de tous ceux qui ont des convictions (même mes frères) vient de là. Après la séance mon père me remettait la liste des privations qui étaient "mon engagement", j'avais entre les mains cette horreur de liste, et si je contrevenais, il m'expliquait les larmes aux yeux qu'il devait me punir, qu'il me punissait parce que j'avais contrevenu, je n'avais pas été fidèle à "mon engagement". L'enfant comprend et pleure. La haine vient plus tard. On ne veut pas haïr son père. Au moins on peut haïr ce qu'il vous a forcé à faire par des discours. Encore des discours. Paul n'a pas retenu le contenu, il était trop petit, il a retenu la chanson du discours et la conviction. Jean a tout retenu. Il a transcendé le tout. Mais il n'est pas gourou, non, Jean est l'âme des mots. Mes principes d'enfant ont peut-être aidé à l'invasion, sûrement même, pas de quoi glorifier mon père, au contraire. Incapable de répondre à un discours par un discours ne veut pas dire être d'accord, ne pas savoir comment justifier son désaccord ne signifie pas consentement, être faible devant les adultes et leur "justice" ne signifie pas que leur force est le droit, être faible n'est pas avoir tort. Mes privations d'enfant ont contribué à tout ce que je blâme, à l'effondrement de mon pays. Je blâme mon père qui a livré ce que nous avions pour d'autres puissent venir s'emparer du reste. En nous forçant - et il était convaincu, il y croyait - à livrer ce que nous avions - c'est vrai pour Paul et moi en tout cas mais pour notre mère aussi, je le sais, j'en suis sûr -, il livrait un peu de nous, il nous déchirait dans un idéal de sacrifice, ses idéaux l'emportaient sur nous, sur notre existence, nous n'avions pas un droit total à l'existence puisqu'il livrait une part de nous aux autres, à ceux qui sont à visage découvert aujourd'hui, à ceux qui s'avèrent de plus en plus décidés à prendre la place, notre place, toute la place. Ou bien ils nous laisseront une, comment dit-on pour les Indiens ? une réserve. J'en veux à mon père d'avoir trahi mon avenir pour des idées creuses de naïf par lesquelles il s'est laissé duper.

Les articles des journaux sur les feux de la péninsule, la recherche des criminels, les vols, la traque des voleurs, ne m'ont pas fait frémir. La boule de neige grossit en descendant la pente, elle est finalement remarquée même par les myopes; mais je la distinguais dans la neige dès le début, on en avait bloqué d'autres, celle-là a réussi à passer, elle a grossi, grossi, et maintenant si on se lance à sa poursuite, si on essaie de l'arrêter - et comment n'essaierait-on pas ? -, on déclenche une avalanche. Tout est trop tard. Il n'y a plus rien à tenter. Laissons discourir.

La bourse va bien. Alors le politique va bien. Alors la presse va bien quoiqu'elle ne se vende pas. L'argent tourne, il passe de la Grande roue au Grand huit, et puis aux autres manèges à effet, la chute verticale de vingt mètres qui vous décroche le coeur, la navette folle avec tête en bas, en haut, en bas, on ne sait plus, où est ma tête ? on court après sa tête, on la rejoint, ouf, elle repart la drôlesse, toute seule, et la course reprend sur un décor d'insondables galaxies tourbillonnantes.

Moi je ne gêne personne. Paul m'appelle gentiment "le parasite tranquille". La société me paie bien pour que je reste tranquille. Avec deux frères inquiétants ma valeur est importante; ils me rapportent gros; d'un côté ils me nuisent, je l'ai dit, mais de l'autre, réflexion faite, si l'on dépasse le niveau vie quotidienne pour une vision d'ampleur sur ma vie, globalement, oui, le système, pas les gens, le système - les gens croient créer le système qu'ils servent sans s'en rendre compte - m'a choyé, il a payé pour que je ne sois pas dangereux. Il a eu surtout la preuve vivante des limites des discours de mes frères : voyez, ils ne peuvent même pas se convaincre entre eux, voyez, le troisième est des nôtres, ils ne peuvent rien. On monnaye ce que l'on a. Celui qui sait chanter s'enrichit du chant, celui qui a la tête à calculs calcule sa vie durant... moi, à défaut de mine d'or ou d'uranium, j'ai deux frères qui tous deux, de façons différentes, sont des dangers sociaux. Ça sert, la famille.

Les discours, les discours... je ne les crains pas. Il n'est pas d'avocat qui puisse me duper (mon père m'a vacciné). Je ne crains que les banalités. Tôt ou tard on se cogne le crâne contre les banalités. Inévitable. Elles sont simples, sommaires pour être plus exact, elles sont bornées, de la pierre, sans beauté, pas du marbre, le vulgaire caillou, inutilisable, inexploitable. La banalité a toujours raison. Elle est trop dure pour que le ver du doute y entre. Ne pas regarder. Ne pas la regarder pour ne pas être changé en pierre à mon tour. La pétrification vous guette sans cesse, elle est notre destin. Ma seule véritable occupation est de lui échapper. Parfois je suis sur le point de regarder, je sens que je vais craquer, je ferme les yeux très fort, très  fort... je  ne  les rouvre que sur Karine. Car j'ai  Karine. Je sais  qu'elle m'attend. Elle sera ironique : "Tiens, on rentre à la maison, quand même..." La maison... La vie de Karine est un vaste foutoir, elle prétend que je suis l'aiguille de sa boussole, une de ses blagues érotiques, elle est inexorablement déboussolée, un grenier est en ordre comparé à sa vie, l'image de la poubelle serait plus significative, quoi de plus "riche" qu'une poubelle ? en diversité du moins, en amalgames, en saugrenu, en bizarre... le clochard de Karine que je suis survit grâce à elle à la banalité.

 

 

 

IV

Barthélemy et Laurent étaient rentrés chez eux, dans leurs familles paisibles. Père et mère côté Barthélemy étaient de gauche, père côté Laurent de droite, mère centriste. Pas engagés, aucun; des idées politiques plutôt que des convictions; idées resserrées autour d'une "figure dominante" du discours politique. Rien de très sérieux en somme. La république des courants d'air passait par eux sans même flanquer un coup de froid.

En principe basée sur la liberté de pensée et la liberté d'expression... L'inquisition était faiblarde à côté de la presse libre et des associations anti-racistes. Le terrorisme médiatique et juridique condamnait sans relâche pour le moindre mot d'opposition à la troisième occupation. Inutile de croire que vous ne serez pas dénoncé. Les délateurs sont partout. A la solde du système d'invasion par détournement de nos valeurs, la tolérance, le respect de l'autre, la religion chrétienne... tout devenait marteau entre les mains de la presse libre pour aider le politique à casser la résistance. L'ineffable djournaliste Pourat et la brave Louzette étaient les spécialistes des conseils au pape, eh oui, il avait bien besoin de leurs conseils, ils appelaient cela du journalisme avec la propagande musul, l'exigence de papiers pour les sans-papiers, de logements réquisitionnés pour les immigrés que l'on recevait très mal alors qu'ils nous faisaient l'honneur de nous confondre avec un supermarché (gratuit)... Vraiment les journalistes étaient libres, mais pas vraiment la presse - écrite, radio ou TV - à cause des journalistes.

La liberté d'expression selon les journalistes doit être totale... pour les journalistes. Et les copains (associations, juges, politiques...). Les autres pensent mal. Les journalistes sont là pour les blâmer, pour les coincer d'une manière ou d'une autre. "Ah ! Vous attaquez la presse !" Bien obligé pour que la République recouvre la liberté d'expression.

Les chiens servent les maîtres. Le plaisir des chiens qui se prennent pour des dieux quand le maître les caresse ! Tous les propriétaires de la péninsule ont leurs gardiens. Mais comme l'avaient constaté Barthélemy et Laurent les maîtres sont faibles sans leurs chiens. Les deux amis suivaient à la télé le développement de leur acte, ils le voyaient enveloppé des actes des autres, grossi des actes des autres, dans des proportions stupéfiantes, et en même temps il disparaissait, il disparaissait sous la masse des actes des autres, l'origine n'attirait plus l'attention. Une étincelle, on ne se le cachait qu'avec peine avant, trouverait un terrain idéal. Une étincelle ne pouvait que déclencher un incendie qui se propagerait si vite, tant le terrain était idéal, que rien ne l'arrêterait. Une étincelle, tôt ou tard, était inévitable. On s'efforçait de ne pas y penser. On savait bien. Mais on réussissait à ne pas y penser. L'étincelle avait jailli. Peu importe qui. Elle était inévitable. Alors on ne pensait guère à qui. Les incendiaires réels étaient les Lindrone, les Pourat, les Louzette, les bénéficiaires du système, ceux qui l'avaient amené là, au point crucial de dépendre d'une étincelle. Et quand le terrain est prêt pour l'incendie, l'étincelle finit par se produire. Elle était inévitable. Les suites aussi.

Quand un homme ne peut ni accepter ni refuser, l'arme de guerre qu'est un homme se met en marche. Ces jeunes garçons ne pouvaient pas accepter que l'on ait livré leur pays, que les têtes en place se soient vendues et l'ait vendu sûres de l'impunité grâce à des lois créées sur mesure; ces jeunes garçons ne pouvaient pas refuser car la presse libre était là pour les en empêcher, car les politiques élus grâce à leur accès à la presse libre, bloquaient tout refus en pondant les lois qui les arrangeaient eux, car la justice indépendante dépendait de la presse libre et de la politique libre - on gagne bien des sous dans toutes ces nobles fonctions. Et puis les films, et puis les téléfilms, et puis les chansons... le fric pour la propagande musul il y en avait toujours, pour les jeunes comme Barthélemy et Laurent il n'y en avait pas; la presse, la musique, la radio, la télé, l'édition (trahissez d'abord on vous éditera après) leur étaient fermées. Et il fallait supporter, de force, les leçons du puant Lindrone, des puants Pourat, Louzette et tant d'autres aux poches curieusement pleines...

Alors le lendemain de leur acte presque involontaire, jailli des circonstances par une réaction d'instinct pour se réapproprier leur territoire, le matin, Barthélemy et Laurent partirent en guerre.

Cette fois ils étaient armés. Le père de Laurent avait un revolver (pour le cas où...), le grand-père maternel de Barthélemy un fusil (il avait été chasseur autrefois). Pour un début, et sans savoir tirer, soit. Ils prirent des provisions et se rendirent dans les collines protégées de la construction afin de s'entraîner. Il faut pouvoir tirer juste si on veut ne pas être la victime. L'ennemi était mieux armé qu'eux et il serait nécessaire de lui prendre des armes : dans les "cités" la kalachnikov était à 150 euros, la police n'arrêtait plus le trafic d'armes depuis longtemps; étant donné qu'on lui tirait dessus avec ces armes précisément si elle s'y aventurait, le risque n'était pris qu'en cas d'enjeu électoral. Et il y avait des blessés (parfois des tués) à chaque tentative. Du côté policier uniquement car la presse libre aurait écrasé les dirigeants s'il y avait eu un blessé même léger du côté des assaillants, et les musuls auraient envahi les centres-villes en hurlant, en cassant tout, en menaçant de s'emparer des mairies tout de suite... les maires en place voulaient gagner du temps, après eux le déluge, ils diraient que ce n'était pas de leur faute, que c'étaient les circonstances, qu'il fallait être tolérant...

Les deux garçons n'étaient pas maladroits, ils se souvenaient aussi des conseils des films de guerre, des films de bandits, des jeux vidéos où l'on s'exerce virtuellement, ils progressaient bien et vite. Ils étaient intelligents et désormais leur intelligence était au service de la prise de pouvoir chez eux. Ils voulaient chasser l'occupant rampant qui ne rampait plus mais prenait tout. Ils voulaient libérer leur pays de la troisième occupation.

Au loin l'incendie avait repris. Stoppé dans la nuit précédente, il s'était ranimé vers neuf heures, en plusieurs endroits. Le pillage n'était pas terminé. Mais cette fois les proprios et leurs chiens contenaient les meutes, ils s'étaient armés, enfin les armes ils les avaient avant mais pris au dépourvu et terrifiés par les lois jusqu'ici ils n'avaient pas osé se défendre. Ça tirait de partout. Ce qui explique que les détonations de Barthélemy et Laurent, loin certes, ne fassent accourir personne, on ne se sentait pas curieux, il ne faisait pas bon être curieux. Les pompiers là-bas essayaient d'agir, ils voulaient éteindre les incendies, ils étaient canardés de tous côtés, par les assaillants dont les renforts avaient apporté de l'artillerie quand ils étaient devenus des cibles, par les assaillis, cernés par des flammes qui devaient les chasser et contre lesquelles ils tentaient de lutter de l'intérieur tout en tirant sur tout ce qui bougeait dehors. La police était arrivée, naturellement. Et très vite. Elle bloquait l'entrée de la péninsule mais les hordes s'en fichaient, cette fois elles avaient des bateaux, la plupart "réquisitionnés". La police, déjà durement éprouvée la veille, ne pouvait pas aller au massacre, son chef avait demandé l'aide de forces spéciales d'intervention, des cars de CRS, de Gardes mobiles étaient en route.

Mais un nombre non négligeable des gardiens était issu des cités des hordes. On leur criait leurs noms. Est-ce qu'ils pouvaient trahir les leurs ? Au pays (c'est-à-dire leur pays d'origine) comment les recevrait-on la prochaine fois ? Est-ce qu'ils oseraient y retourner ? De quel côté était leur "devoir" certains ne le savaient plus, quelques-uns se mettaient à tirer plus juste et les appels en face cessaient, la plupart rejoignaient leurs parents, leurs proches, leurs anciens camarades de classe et de maraude, dans trois ou quatre maisons il avait fallu les maîtriser, ils tentaient d'ouvrir les portes ou retournaient leurs armes contre ceux qu'ils devaient défendre.

Au journal de midi Louzette parla de bandes de jeunes qui réagissaient aux provocations de la police commises hier. Les jeunes exigent le respect et la police avait procédé à quelques arrestations, certes des interventions supérieures avaient contraint de relâcher les suspects dont la vie avait été mise en danger sous le simple prétexte que l'un courait avec des rideaux et leurs tringles dans les bras ("Pas facile de courir dans ces conditions !" ironisa la Louzette faisant bien comprendre par là combien la version de la police était suspecte), un autre poussait une brouette tout simplement, chargée de menus objets, un troisième poussait une moto trouvée qu'il ne savait même pas mettre en marche... A quelles nouvelles provocations policières ne fallait-il pas s'attendre aujourd'hui ? Le président et le premier ministre suivaient de près l'actualité, heureusement. Les porte-paroles minimisèrent pour donner leur véritable ampleur aux événements : des "jeunes" un peu énervés, il faut les comprendre. Les associations montèrent au créneau : voilà ce que c'est que de ne pas donner de travail aux étrangers qui viennent ici justement parce qu'ils n'en ont pas chez eux, ils s'ennuient dans leurs cités, oui, et il faut plus d'immigration, raciste qui dit le contraire.

 

 

 

Sophie avait pris le car de neuf heures, l'impossibilité d'avoir des nouvelles de Jean alors que l'incendie avait cessé la tourmentait. Etait-il rentré chez lui ? Paul le supposait, mais Paul supposait en général ce qui l'arrangeait. Pas grand monde dans le car à cette heure; les gens du pays préfèrent le confort de leurs voitures, les touristes ne se lèvent pas assez tôt, ils prennent leur petit déjeuner en ce moment. Il allait faire beau; le mois de septembre est toujours beau ici. Les paysages familiers ne la réconfortaient pas, la beauté ne réconforte pas. Sophie est plus sensible que fragile, le poids du drame qui s'est emparé de la région, pèse sur elle. Quand les premières détonations ont retenti, les autres passagers se sont regardés avec surprise et inquiétude, ils n'ont pas voulu comprendre tout de suite, puis le chauffeur a dit : "Je crois que ça vient de la péninsule. On dirait que ça recommence - en pire. Dans ce cas on ne pourra pas y accéder. Peut-être que certains préfèrent s'arrêter là et rentrer ?"... Sophie aux coups de feu avait eu la confirmation de ce qu'elle ressentait. Le malheur ne la surprenait jamais. Il lui semblait l'état naturel des hommes, entrecoupé de pauses que l'on voulait à tort prendre pour la vraie vie. On ne s'habitude pas à ce que l'on est. Elle ne voulait pas descendre, personne ne l'a voulu. Même sans espoir d'arriver au bout, chacun continuerait, chacun garderait une journée conforme à ce qu'il attendait jusqu'à la limite du possible. Après tout, on ne sait si... On craint ceci, cela, et il se passe autre chose... ou rien... Il ne faut pas faiblir. Tenez bon. Le parcours se déroule comme prévu, avec l'inquiétude en plus. Inquiétude que le futur condamnera peut-être comme immotivée. Vous êtes des imaginatifs, vous êtes des émotifs. Cette image infériorisante de soi on va au-devant d'elle comme une espérance.

Le car s'arrête. Trois maghrébins sont en plein milieu de la route. Plusieurs apparaissent sur les côtés. Et d'autres. Une voiture arrive en face, ils la laissent passer, son occupant se croyait coincé, il accélère, soulagé. L'un d'eux frappe à la porte du car, le chauffeur la tient fermée, fort de son bon droit : on n'est pas à un arrêt normal, il n'y en a d'ailleurs plus avant la péninsule. Deux arabes se mettent à frapper de toutes leurs forces sur la porte, le chauffeur n'ouvre pas, il essaie d'avancer mais ceux qui sont sur la route ont leur petit sourire habituel et ne s'écartent pas, ils savent bien que le Blanc n'osera pas, il serait lapidé par la presse et le jiustice pour s'être défendu. Un arabe prend une pierre et la lance contre une vitre, elle résiste cette fois mais les passagers ont très peur; le chauffeur ouvre la porte. Les assaillants s'y engouffrent, extirpent le chauffeur de son siège, le jettent hors du car. Il tombe, ils le bourrent de coups de pied, ça lui apprendra à résister. "Allêz, dehôrs ! Dehôrs ! Ploû vît qu'çâ ! Et vû d'nez les pôtables." Les passagers, fouillés rapidement, pris de panique, s'enfuient du car, sauf une dame âgée qui, tétanisée, n'arrive pas à bouger, Sophie revient sur ses pas : "Vous voyez tout de même qu'il faut que je l'aide !" Le car repart, les laissant sur le côté, le chauffeur se relève péniblement, Sophie va l'aider, il dit seulement : "Je ne peux même pas prévenir." Le car est plein mais il semble vide, seul son conducteur est visible, les autres sont planqués assis par terre entre les sièges ou couchés dessus. Le conducteur a travaillé un temps dans la compagnie et sur cette ligne même, il connaît le parcours.

Les photos des journaux du lendemain montreront un car vide qui force la barrière mise par la police en travers de la route, celle-ci éclate, les policiers qui avaient fait signe de s'arrêter ont été surpris quand il a foncé sur eux, ils ont juste eu le temps de s'écarter, maintenant ils n'osent pas tirer, ils devraient, ils n'osent pas, qui sait s'il n'y a pas des passagers ligotés par terre ... ? Un policier vise, on voit son chef crier dans sa direction pour le stopper. La photo suivante montre les maghrébins apparaissant aux fenêtres, hilares, hurlant, ils se fichent de la figure des policiers, le car s'éloigne, ils ont ga-gné, ils ont ga-gné, l'exploitation de la peur de la bavure leur a permis d'arriver en renfort dans la péninsule. Une troisième photo montre les passagers débarqués arrivant à leur tour vers la barrière désormais défoncée. Ils expliquent au lieutenant ce qu'ils ont subi. La seule réponse est que l'on va prendre leurs dépositions; il  comprend, bien sûr, mais il ne peut rien. On entend les tirs disséminés sur la péninsule. Pourtant des passagers voudraient s'y rendre. La police refuse. C'est trop dangereux. Au-delà de la barrière on ne maîtrise plus rien, c'est la guerre. "Si l'un d'eux est tué il devient un martyr et nous des assassins; comment voulez-vous qu'on gagne une guerre où on a juste le droit de recevoir les balles ?" Quel politique renoncerait à sa carrière pour sauver son pays en donnant le permis de tuer ? La décadence était trop avancée pour que l'on puisse se défendre. L'inquisition avait pourri les esprits, anéanti les résistances jusque dans les têtes. La manipulation mentale et le lavage de cerveau médiatiques avaient laissé les citoyens cons et pleurnichards. Rien ne pouvait être fait. Ceux qui se défendaient dans la péninsule auraient tort devant la jiustice; s'ils blessaient ou tuaient un assaillant, la presse et la jiustice se chargeraient de les détruire avec les hordes de "jeunes" indignées que l'on attente à la vie de l'un des leurs sous le prétexte qu'il volait, une vie pour des choses !

Les renforts de CRS et de Gardes mobiles n'arrivaient pas. Ils avaient été bloqués à une dizaine de kilomètres au moyen de blocs de pierre sur la route. Ceux qui étaient sortis des cars avaient essuyé le feu nourri de kalachnikovs. A l'évidence toutefois on n'avait pas voulu les atteindre. Pour passer il avait fallu une action de commando des CRS des cars les plus éloignés. Ils avaient progressé d'arbre en arbre, puis essayé de tourner l'ennemi. A l'assaut final, alors que les tirs avaient cessé depuis un moment, ils n'avaient trouvé personne. On était reparti. Moins d'un kilomètre plus loin, même scénario. Et encore une autre fois. Et encore une autre. Mais maintenant les cars traversaient la ville, ils arriveraient dans quelques minutes.

Sophie avait demandé avec insistance des nouvelles de Jean. A tout hasard elle avait même "exigé", puisque ça marchait pour les autres on ne sait jamais. Mais non, le mot magique n'agissait pas prononcé par les autochtones. Elle regarda passer l'armée des renforts. Une trentaine de cars. Ils s'arrêtèrent deux trois cents mètres après la barrière, on voyait les forces de l'ordre sortir les boucliers, finir de se préparer; puis elles se divisèrent en trois escadrons, chacun avait un rôle précis, l'un de garde ici, un autre de contournement par la voie circulaire pour rabattre les assaillants vers le premier, le troisième d'intervention dans les propriétés par petits groupes sur toute la colline. Ils essuyèrent les premiers feux dès leur entrée sur la "corne d'or" comme on l'appelait; apparemment ils n'avaient pas prévu qu'au fur et à mesure de leur progression l'autre corne serait envahie, pas intéressante pour les pillages mais puisqu'elle restait la seule issue terrestre... Les bateaux empruntés pour l'abordage il n'y en avait pas assez pour tous et puis les Gardes-côtes sillonnaient les baies, sans efficacité il est vrai vu leur nombre insuffisant. La corne basse a un port de plaisance et naturellement dans un port on trouve des bateaux. Qui ne servaient en ce moment à personne. Qui ne servent quasiment jamais. Les Gardes-côtes bloquèrent la sortie du port dès qu'ils comprirent. Désormais, étant donné l'afflux d'assaillants en fuite devant l'avancée là-haut des CRS et des Gardes mobiles, ils devinrent la cible. Il fallait faire sauter ce bouchon coûte que coûte. Et vite. On n'épargna rien. A la nage, en barque, protégés par le feu nourri de ceux planqués sur la jetée on donna l'assaut. Un seul (sur dix-huit) des Gardes-côtes survécut. Les bateaux pris on s'y mit en aussi grand nombre que possible, on gagna la côte et on les incendia. Les copains suivirent dans les bateaux "réquisitionnés". Là-haut les tirs avaient cessé mais les prisonniers étaient peu nombreux. Tous ces faits sont bien connus car beaucoup filmaient fréquemment sur leurs portables et le soir même mirent leurs exploits sur l'internet. En les visionnant ce serait la fête au pays, de l'autre côté de la Méditerranée.

Dans son journal (de vingt heures), Pourat fut sévère pour les forces de l'ordre. Tant de moyens mobilisés pour quelques tireurs isolés ! Et pendant ce temps un peu plus bas on tuait des fonctionnaires mal équipés ! A qui la faute ? A qui ! Les têtes des coupables doivent tomber ! En outre il y avait eu des brutalités policières. Encore ! Sur d'innocents immigrés pris, arrêtés, sans preuves, sans armes à la main ! A quand la torture pour leur faire avouer ce qu'on voudrait qu'ils avouent ?

Le ministre de l'Intérieur, convoqué par Pourat en son journal, dut s'expliquer. Et sans exactement présenter ses excuses, il déclara qu'il y aurait une enquête interne pour évaluer les responsabilités.

 

 

 

Sandra avait emmené Jean. L'ambulance était d'abord remontée vers l'unique route de sortie puis, malgré deux policiers, elle avait brusquement tourné et avait franchi à grande vitesse le raidillon qui donne accès à la corne d'or. Là on évita les pompiers, on ne prit évidemment pas l'anneau mais de bout de route en chemin de terre on grimpa jusque chez Jean. Il n'y avait plus personne autour. La maison était dans un état lamentable. Jean, soutenu par Sandra, parcourut les lieux. Il faudrait une fortune pour une remise en état. Il ne l'avait pas. Les assurances s'arrangeraient pour faire traîner jusqu'à sa mort. Les vols, plus l'incendie, plus l'eau pour éteindre l'incendie avaient eu raison du rêve. Il n'avait pas survécu. Jean refusait de s'en aller. Il refusait de céder devant la bêtise, l'avidité, l'envie de salir ce qu'ont les autres, de la détruire puisqu'on ne peut l'avoir. Le seul endroit habitable était l'ambulance. Jean passerait la nuit sur la couchette de malade. Après sa piqûre du soir il était resté les yeux ouverts sur autrefois, il méditait ou il songeait. Le chauffeur et l'aide-soignante avaient cherché dans la maison puis s'étaient introduits dans celles voisines, en meilleur état mais vides, ils y avaient trouvé dans les frigos arrêtés quelques provisions directement consommables; les pillards eux cherchaient des biens plus précieux. On mangea en silence entre les arbres calcinés et les flaques d'eau que la chaleur commençait d'assécher. Les étoiles sans coeur rayonnaient merveilleusement sur le désastre du jour. L'aide-soignante après avoir écouté à la radio des nouvelles qu'elle connaissait (et pour cause) prit les sièges avant comme lit, le chauffeur se chercha un endroit sec pour y étendre une couverture, Sandra resta sur le siège à côté de Jean; elle s'endormit très vite, on eût dit que c'était lui qui la veillait.

Il n'avait jamais été un homme de l'espérance. Celui qui voit la vie, ce qu'est la vie, n'espère rien de la vie. Le désastre de sa maison ne le surprenait pas, il ne s'y attendait pas non plus;; il était bien là avant, il n'avait pas d'autre endroit, il y était revenu. Sans doute n'aurait-il pas dû appeler Sandra. Il avait été faible. Il était faible. Sandra savait qu'un jour il serait faible et que malgré lui il l'appellerait. Il suffit de penser aux gens pour qu'ils soient là. Sandra était là. Elle ne partirait plus. Elle ne le quitterait plus. Sandra est une ancienne danseuse nue. Sa vie a vendu sa beauté. Que faire d'autre ? La théorie s'amuse de potentialités innombrables pour chacun, la théorie est de la littérature, Sandra n'a trouvé qu'un chemin, périlleux, mal entretenu, un sale chemin qui ne lui plaisait pas; mentalement elle est restée au bord, elle est restée devant sans y poser le pied, son corps seul s'est avancé, parce que les corps sont mouvement, ils ne peuvent rester sur place, sauf si la paralysie les bloque, les y contraint pour une autre torture, il s'est avancé sans elle, la petite fille regardait du début du chemin vivre ce corps dans lequel elle ne se reconnaissait pas.

Pendant la nuit Jean se réveilla, il poussa tout doucement Sandra sur la couchette, elle fut sur le point de s'éveiller, mais non, et il sortit. Des forces lui étaient revenues pour l'adieu. Pour un adieu il faut être seul. Il revit chaque pièce, chaque coin de sa maison sans étage, à peine visible de quelque endroit que ce soit, enfouie dans ses arbres, il revisita chaque souvenir, chaque moment; puis il se mit à effacer ses dernières traces. Ceux qui viendraient après sa mort ne s'empareraient d'aucun souvenir, il détruisit les derniers objets ou quand ce n'était pas possible les rendait inutilisables : une chaise fut démontée à coups de pied, les fragments jetés dans des directions diverses, les pièces d'un jeu d'échecs furent écrasées à coups de pierre, une petite table d'acajou intacte de façon incompréhensible fut brisée... Le chauffeur et l'aide-soignante durent entendre mais il avaient aussi vu Jean sortir de l'ambulance, ils se rendormirent. Seule Sandra ne s'éveilla pas, mais Sandra était le dernier souvenir, elle était destinée à être le dernier souvenir, celui auquel on n'arrive pas à renoncer. Il ne resterait rien. Rien ! On n'achètera pas aux enchères des objets parce qu'ils auraient appartenu à Jean; nul doute que certains n'aient été prêts à payer cher. Un homme disparaît de la terre, sa fierté est de ne rien laisser. Embarqué non volontaire il ne laisse rien de lui. Il n'a pas collaboré au monde, il n'a pas collaboré à cette horreur qu'est le monde. Jean n'est pas d'ici. Le passant de la terre efface les traces de ses pas.

Dans un de ses "contes" (Jean n'écrit pas mais des gens qui sont allés l'écouter ne peuvent s'empêcher d'enregistrer, de filmer, de mettre par écrit ce qu'ils ont entendu; les paroles se figent en textes que l'on retrouve partout, sur l'internet, dans les librairies; ces gens ne comprennent pas que les mots de Jean n'ont d'âme que dans l'instant, un instant ne se communique pas, il est unique, il ne reviendra jamais), jugé par certains énigmatique, mais certains qui l'ont seulement lu ou qui ont seulement entendu ou vu un enregistrement, Jean décrit une cave emplie de malheureux chaînes au cou, aux pieds, aux mains, la chaîne du cou reliée à un anneau dans le mur; au centre sont les instruments de torture pour les punitions; au centre il y a la terreur. Le bourreau descend les marches. On sait qu'il va punir. Là-haut, en surface, on cherche un ou des criminels, des gens sont enlevés, parfois on retrouve leurs cadavres, affreusement mutilés; ici le criminel est la justice, il est la toute-puissance. Il saisit une femme par les cheveux, elle a été enlevée il y a trois jours, elle supplie, elle a peur; elle a déjà "vu"; le bourreau est masqué, il est la loi, il détache le collier de la femme, elle tombe devant lui, elle a vu ce qu'il fait, elle l'a vu - était-ce avant-hier ? - couper un membre, un bras d'une de ses proies, il la ranimait pour qu'elle sente les lames de la scie; elle supplie, elle obéira, elle demande pardon, il jouit d'elle devant les autres et elle remercie, elle croit échapper à a punition, elle croit acheter le pardon. La cave est pleine d'amputés, plusieurs en phase finale; la cave est pleine de justice. Le bourreau aime aussi expliquer. Il s'est redressé, il saisit la femme et la traîne jusqu'à un appareil étrange, il l'y attache. Il prend plaisir à lui expliquer le mécanisme, des pointes vont s'avancer vers ses yeux, elles vont s'enfoncer dans ses yeux. La femme ne peut pas y croire. Elle fera tout ce qu'il veut. Il a déjà ce qu'il veut. C'est cela qu'il veut. Elle n'a plus la force de hurler. Il prend un fouet et il la bat durement, lentement. Elle ne hurle pas sous le fouet. Elle ne peut plus pleurer. Elle voit les pointes devant ses yeux. Elle sait que c'est la dernière chose qu'elle verra, elle veut fermer les yeux. Il lui rouvre les paupières, de force, il met du collant aux paupières pour qu'elle ne puisse pas les fermer. Dans la cave les autres voudraient ne pas regarder, ils savent qu'il seront punis s'ils ne regardent pas, ils seront punis de toute façon mais ils regardent car ainsi ils ne seront peut-être pas le prochain. La femme n'a plus d'espérance, elle cherche à espérer : c'est un cauchemar et il va finir, mais ce n'est pas un cauchemar; le bourreau lui caresse tout doucement les cheveux, il veut jouir d'elle au maximum; elle cherche une espérance dans le hasard qui pourrait amener ici des hommes, dans l'intelligence qui pourrait amener les enquêteurs à sa recherche ici, en Dieu auquel elle ne croit pas - elle ne croit pas en sa propre espérance, son espérance est vide, elle n'a pas de solution. Le bourreau lui enfonce les pointes jusqu'au fond des yeux. Elle criera des jours dans le noir devenu sans fin, il s'assied à côté d'elle, sans qu'elle le sache, pour la regarder crier. Personne ne sait quand la punition va tomber sur soi; nul n'échappe; il n'y a pas de solution. La cave des horreurs sera découverte un jour; la puanteur était telle que des voisins avaient prévenu les égoutiers de la commune. De refus de les laisser entrer en insistance des voisins, de visite amicale d'élus en menaces s'il refusait d'obtempérer, l'homme avait dû tenter de vider sa cave en catastrophe avec sa femme qui l'aidait à nourrir les punis et à panser leurs plaies pour qu'ils restent en vie le plus longtemps possible. C'est un simple chien qui, d'une certaine manière, les arrêta. Son flair s'intéressa à leur chargement entre leur porte et leur camionnette; le contenu des sacs l'attirait; il les harcela si bien qu'ils laissèrent choir un sac qu'il déchira; des voisins de leurs fenêtres virent des restes qu'ils identifièrent immédiatement quoique à distance comme humains. Le bourreau et sa noble compagne ne furent jamais accessibles qu'aux seuls regrets de ne pas pouvoir continuer l'horreur.

 

 

 

Deuxième partie.

 

 

I

Avec tout ce cirque partout, les routes bouchées, les interdictions de prendre telle rue alors que d'habitude justement... et puis alors je passe par où ? Impossible de s'y retrouver. Le foutoir. Le foutoir complet. A cause de ce qui se passe sur la péninsule. Le mal a gagné le dehors. Pourquoi ? Pas d'explication, évidemment. On ne sait rien. L'agent qui est au point de déviation ne sait rien. La radio, la télé ne savent rien. On est bien obligé d'obtempérer. J'ai essayé de protester, les forces policières ont montré les dents. Je fais demi-tour, je rentre la voiture au garage; je vais prendre le train.

Ça va de travers pour moi, il faut que je me rassure par Karine. Ce que ça doit l'amuser, ce cirque. Surtout si elle sent - et on dirait souvent une infaillible voyante - que je suis tombé dedans. Elle, elle est en-dehors, ou bien elle est l'oeil des cyclones, bref elle n'est pas ballottée, secouée; elle écrira une chanson. Karine, journaux par terre, sur les meubles, télé son coupé, radio à fond, écrit la chanson; j'en suis certain; j'ai un sixième sens spécial qui me souffle où est Karine, à quoi elle s'occupe. A la gare, plein de monde. Joyeux. Comme nous avons tous eu la bonne idée en même temps elle s'est métamorphosée en mauvaise idée. Je vais boire un café. Je reviens... il n'y a plus personne. Où sont les gens ? Un train part à l'extrême bout d'un quai. Eh quoi ? Notre train était en retard mais il viendra d'une autre ville avant et celui-là qui fout le camp je l'ai vu et revu, je suis allé jusqu'à lui, fermé, aucune indication... Furax. Allons aux renseignements... Là il y a du monde. Une belle file. Ceux qui ont été piégés comme moi sans doute. Après ça on s'étonne que je déteste les gares et le train. J'abandonne la file; à quoi bon ? les renseignements ne font pas venir les trains. Je retourne sur mon quai. Des forces de police l'occupent, elles me jettent un vague coup d'oeil, pas plus, ça va... Quelques personnes aperçues aux renseignements arrivent; bon signe. On attend... On attend... Ah ? Un train. Il vient ici. Mon train ! Il s'arrête, il est bourré de monde. Les portières s'ouvrent, la police empêche de descendre, elle nous empêche d'approcher. Des cris. Des protestations de tous les côtés. Le train s'arrête et on n'en descend pas. Et on n'y monte pas. C'est absurde. Le train attend. Quoi ? On ne nous donne aucun renseignement. Les cris, les protestations cessent. Cinq minutes. Dix minutes. Vingt. Sifflet. Le train repart. Mais les gens qui venaient là ? On apprendra le soir à la TV qu'il y avait une échauffourée à quelques rues de distance; ceux qui avaient fui la péninsule avaient aussi pensé à prendre le train, ils s'étaient heurtés à de nouvelles forces de police. Les clients descendront à la prochaine. Le train parti la police s'en va aussi. Le temps passe, je pense à rentrer chez moi mais quand j'ai décidé de partir je me résous difficilement à l'échec. Je reste tout de même. Brusquement le haut-parleur donne enfin une indication, un train stationné au quai 6 va partir et dans la bonne direction ! On fonce. Tous foncent. Dans la joie retrouvée. On s'installe. Et on attend. On attend. Dix minutes. Quinze. Sans nouvel avertissement le train part. On apprendra le soir que, des insurgés ayant réussi à contourner le barrage policier, pour qu'ils ne trouvent aucun train, la direction avait décidé de faire partir le dernier, le seul à quai. En tout cas nous voilà partis ! Et avec place assise s'il vous plaît !

L'euphorie règne dans les coeurs meurtris par l'attitude SNCF. Nous étions venus si pleins de confiance en elle, et elle nous avait traités avec mépris. On s'était sentis bafoués, humiliés. Maintenant elle se rachetait; le train mis à notre disposition fonçait le long de la mer pour regagner nos coeurs. On n'alla pas loin. A cause des gares, il y en a partout, tous les trois quatre kilomètres. Notre train spécial n'avait pas d'ordre pour en sauter une seule. Des gens en profitent pour monter. Heureusement ils étaient peu nombreux, dans mon wagon il reste des places. Seuls deux types avec une petite fille se sont installés. Personne à côté de moi. Je regarde le paysage côté collines; sur la route proche parfois des cars de police à toute allure, par cinq six, dans les deux sens. La petite fille danse sur les dessus des fauteuils, les accoudoirs, son père (si j'ai bien compris) a cru devoir l'empêcher de tomber, elle a ri, elle ne peut pas tomber, elle est danseuse. On entend des coups de feu. Plus rien. Nouvel arrêt. Trois personnes encore ici. Et v'lan une à côté de moi. Ces gens demandent pourquoi il n'y a pas eu les trains aux horaires normaux. On n'en sait rien. Notre train n'est pas le grand sauvage, le grand fou, amateur d'excès de vitesse, ivre du vent; la réalité, je vais la dire, eh bien voilà, il nous déçoit. On attendait plus de lui. La petite fille perchée gracieusement sur le dossier du fauteuil de l'ami de papa (si j'ai bien compris) me regarde, m'examine avec un grand sérieux, je la fixe sans qu'elle détourne le regard, elle m'examine jusqu'au fond des yeux; puis elle se remet gracieusement à danser. Le train s'arrête, on fait des gares vraiment partout. Ah mais, cette fois il y a du monde. Une bande de maghrébins, dix douze rien que pour notre wagon. On comprend ce qui s'est passé; les policiers ont concentré leur effort sur puis autour de la péninsule, les fuyards qui n'ont pas pu prendre le train en ville ont dû aller trois gares plus loin, tout de même ils ont fait vite. On aperçoit des vélos jetés en tas, des vélos en libre-service de la ville, ils ont dû savoir pirater le système informatique, ou autrement... Pour le moment ils se tiennent à carreau. Encore heureux. La petite fille s'est arrêtée de danser pour examiner les nouveaux venus. Elle a bien senti que son père et l'ami étaient tout d'un coup nettement moins souriants. On se remémore certaines histoires de train récentes : des "jeunes" y cassent tout, terrifient les voyageurs, leur prennent leurs montres, leur argent, tout ce qui a de la valeur, les baladeurs, les téléphones... puis tirent le signal d'alarme, descendent tranquillement. L'un des passagers avait réussi à avertir la police avant d'être trouvé par la meute. On l'a retrouvé dans un état lamentable. C'est que les gens qui travaillent par définition ne passent pas leur temps à faire de la musculation. Deux filles avaient été violées dans ce train.

Ces meutes, on croyait que c'étaient des chiens et c'étaient des loups. Maintenant ils étaient dans notre wagon à nous, tout pouvait arriver. Les passagers évitaient les regards, on faisait comme s'ils n'étaient pas là, comme si on ne savait pas ce qu'ils étaient. Le bon Pourat en sa télé disait que la peur de l'autre est une stupidité du manque de tolérance, tu parles, il ne risquait rien, lui, on lui faisait des cadeaux, il était pour eux; mais pas nous. Leurs regards sur nous s'efforçaient d'être sympathiques, on sent quand il s'agit d'un effort; notre espérance était qu'ils aient intérêt à ne pas attirer l'attention de la police, qu'ils aient intérêt à ne pas bouger. Soudain l'un d'eux qui avait en permanence son portable à l'oreille tira le signal d'alarme, tous descendirent. Le train repartit. La gare après grouillait de policiers. Ils montèrent, posèrent quelques questions, examinant chacun. La petit fille interrogeait papa et son ami, ils répondaient à côté, ils voulaient surtout qu'elle n'ait pas une peur rétrospective. Je me dis que les conséquences peuvent être lourdes quand on cache la réalité aux enfants. En tout cas on se sentait délivrés. Légers. La petite fille se remit à danser sur les sièges, on se sentait danser avec elle. Le train s'arrêta à la gare suivante. Des "jeunes" montèrent, moins nombreux que la première bande... j'en reconnus deux parmi ceux qui montèrent dans notre wagon; c'était la même, les policiers nous avaient fait perdre beaucoup de temps, eux avaient couru jusqu'à la gare après, ils sont forts en sport; maintenant la police ne penserait pas qu'ils étaient dans notre train, ils seraient tranquilles jusqu'au bout, à condition que personne ne puisse prévenir par téléphone et que personne ne descende avant eux. Aussi en entrant, à la différence de la première fois, se répandirent-ils dans tout le wagon. Si quelqu'un sortait son téléphone, même pour répondre à une sonnerie, le plus proche bougeait légèrement la tête en signe que non en s'approchant, il n'y avait pas le choix; quand quelqu'un voulut descendre, même signe de ceux qui gardaient la porte. Il paraît que dans un autre wagon un homme voulut forcer la sortie et fut assez maltraité. Ils descendirent tous dans la grande ville suivante, une heure et demie plus tard, je descendais là aussi.

 

 

 

Jean écoutait la guerre autour de lui. Il ne l'avait certes pas voulue. Il avait toujours cherché des arguments pour les opposer à Paul qui l'annonçait comme inéluctable, il en avait trouvé, il en avait fourni - involontairement - à Pourat, à Louzette, à Lindrone; aujourd'hui il s'avouait qu'il avait raisonné contre le réel. La réalité lui avait souvent paru une sorte de pieuvre sadique qui s'amusait de toutes ses tentacules et contre laquelle il luttait. Le héros sait qu'il ne peut pas vaincre, il lutte néanmoins. Et plus tard les gens voient le danger, plus longtemps ils jouent à se croire heureux; l'enjeu est de taille. Le canot est entraîné inexorablement vers le précipice, l'impressionnante chute d'eau admirable depuis la berge, regardons les jolis poissons.

Sandra vint jusqu'à lui. Il fallait partir, il n'y avait plus rien, il avait fini le travail des pillards, tout était brisé. Mais aller où ? L'ambulance descendit lentement la colline. On croisait des insurgés, des groupes de policiers en armure, ils jetaient un vague coup-d'oeil ou bien il fallait s'arrêter. On arriva sur l'anneau et là on traversa une véritable troupe; l'accès à la péninsule, lui, ressemblait à une frontière en temps de guerre. Ensuite il n'y eut plus de problème.

Sophie était repartie quand l'ambulance passa. Qui ne conduirait pas Jean chez elle, bien sûr. De la part de Sandra ce serait curieux. Sandra est très possessive. Elle est totalement à Jean. Quand il l'a appelée, l'appel l'a trouvée prête, consentante sans limite, elle sait qu'elle est la mort de Jean.

Les places de parking le long de la route côtière sont vides. Des policiers de place en place interdisent tout arrêt. La leçon d'hier a servi.

Vue de la côte la péninsule semble à peine différente, on aperçoit juste un peu de brûlé par-ci par-là, pas tellement. De l'intérieur on voyait un désastre. De quel côté se trompe-t-on ? Peut-être a-t-on grossi l'événement ? La grenouille a enfin réussi à devenir éléphant.

Ce jour-là parmi les nouveaux morts qui intéressèrent la presse : un policier habilement isolé qui une fois tombé à terre fut achevé à coups de pied par des "jeunes", une femme qui passait sous le prétexte qu'elle était chez elle, trois employés de maison qui avaient cru devoir défendre une maison qui n'était pas la leur, et deux "jeunes". Une enquête définirait dans quelles conditions.

Les soubresauts au ralenti d'un pays qui meurt, livré pas certains des siens, attirent les voyeurs du monde entier. La presse sans pudeur fait son métier de proxénète, elle convertit le malheur des uns en jouissance des autres, elle offre la tragédie embellie de perles des larmes au désir irraisonné des foules avides, elle assouvit leur sadisme, complaisante à leurs attentes, elle la vend sans scrupules et les foules pensent qu'elles n'ont pas à avoir de scrupules puisqu'elles ont payé.

Y avait d'la tragédie partout, d'la pute premier choix. Les plaisirs des foules sont des orgasmes de mort.

On traversa la première ville, puis Jean indiqua le village rarement inspiré de son frère assigné à résidence. Il est piéton, le parking est à ses portes. L'aide-soignante alla chercher Paul. Celui-ci abandonna sur-le-champ pinceaux et clients marmonnant : "Pouvait pas téléphoner..."

Le chauffeur alla se promener dans le village; l'aide-soignante buvait une boisson forte à la terrasse d'un café, regardait les passants autrement que par ses yeux habituels, comme si elle était la boisson forte. Dans ce cas-là pour elle toutes les rencontres étaient possibles. Et elle s'accordait juste la pensée du possible qui s'accomplissait. Qu'elle accomplissait à fond, tel un rôle, cédant à tout pour avoir la sensation de vivre intensément, de vivre une véritable aventure avant de retourner à la vie.

Jean était venu pour l'adieu au "petit". Il allait vers sa fin, elle était proche, ils ne se reverraient plus. Ils n'avaient pas précisément quelque chose à se dire, l'émotion était forte.

Ils discutèrent aussi des événements. Jean basait son explication sur l'impossibilité du pardon. Quand les intérêts ont abouti à tant d'abus, que les intérêts contradictoires se sont renforcés de ces abus, que les fossés entre eux se sont trop creusés, qu'on ne peut plus combler ces fossés trop creusés, le passif devient impardonnable. On endort un temps les conflits, les politiques distribuent de l'argent, truquent des élections, les journalistes déversent une propagande mielleuse, on multiplie les films-cultes bien-pensants, les chansons-cultes bien-pensantes, et toute la mêlasse des téléfilms, des feuilletons, des matches de foot, des compèts mondiales... Les vieilles recettes font gagner du temps aux profiteurs de l'effondrement. Mais un jour les vapeurs médiatiques, artistiques, politiques et sportives se dissipent, l'ivresse cesse, la réalité montre sa tête sous les vapeurs qui s'évanouissent. La réalité est l'ennemi. Celui qui l'aperçoit cherche à la tuer. Il n'y a pas de solution. Le pardon est impossible. Il faut tuer pour avoir la place. Occuper la place. Ceux qui disent vouloir partager sont ceux qui ont le discours pour prendre. Ceux qui se laissent duper par les discours sont les tués et ils sacrifient les leurs par naïveté. Il faut être le plus fort. Celui qui n'est pas le plus fort chez lui, perd chez lui, il laisse chez lui au plus fort. Qui s'y est introduit grâce au discours du partage. Celui qui n'est pas le plus fort chez lui est faible; le faible doit céder la place à un plus fort. Il n'y a pas de pardon possible. Il n'y a pas de solution.

Paul voyait le feu, voyait le sang; il était d'accord avec Jean mais version sociale. Les conflits de classes recouvraient les conflits ethniques, le prolétariat importé attaquait les positions conservatrices, les fortifications conservatrices qui s'étaient d'abord maintenues par l'apport de cette main-d'oeuvre étrangère, le système ne pouvait durer, le prolétariat autochtone finissait par comprendre malgré les médias, les immigrés voient le gâteau à portée de kalachnikov, et qui pour le défendre ? Les profiteurs sont gras, les autres ont été écartés parce qu'ils ne permettaient pas assez de profit, la défense semble faible.

A cela se superposait encore le problème religieux c'est-à-dire de civilisation. La civilisation de la misère aux portes du paradis de l'opulence perdait toute mesure par l'envie, l'avidité gloutonne, le vernis religieux craquait de toutes parts, la condamnation des biens matériels se noyait dans les biens matériels. L'ivrogne ne peut pas s'arrêter de boire avant d'être ivre mort. Le coma éthylique est son destin, la peur n'arrête pas, boire est un besoin.

Chacun accuse Caïn. Chacun est justifié puisqu'il est victime. La mort s'amuse. La musique des pleurs des femmes quand elles n'ont pas été les plus fortes et qu'elles jouent la dernière partition pour être les plus fortes. Le sang retourne à la terre.

Paul regardait l'ambulance repartir, des gens le klaxonnèrent, ils avaient repéré la place libre, planté là il les gênait. Il rentra chez lui à petits pas. Ce jour-là serait celui des souvenirs. Le monde qui peuplait sa tête s'en évadait pour peupler le village, des gens du passé s'emparaient des corps des touristes et les rues s'animèrent d'époques diverses devenues coexistantes. L'église se mit à sonner, le carillon sortait de son sommeil si profond, des enfants sortirent d'une école en courant, les écoles du temps rouvraient les unes après les autres. Le village d'art fut celui d'une âme en détresse, une seule. Sa peur était le moment où les rues se videraient.

Les temps sont des erreurs, des successions d'erreurs incontrôlables. La sortie de l'erreur fait peur. On pense qu'il n'y a rien au-delà. La vie est une crise de panique dès que l'on prend conscience de son corps. Nous sommes des erreurs. Des erreurs qui jouent à s'accepter. L'horreur est notre enfantement. Les erreurs enfantent le monstre.

Qu'y avait-il à faire ? Qu'est-ce qui pouvait être fait ? L'utile est le carburant de l'horreur. Tout acte appartient à un ensemble que l'individu satisfait de ses efforts ne voit pas, préfère ne pas voir; le recul condamne même l'intention la plus louable; les détails changent de nature dans la vue d'ensemble. Les années de Paul condamnent forcément Paul.

 

 

 

Pourat et Louzette investis de la noble tâche de la tolérance pour l'invasion arabe fulminaient contre l'incroyable répression policière qui s'abattait sur toute une région à cause de quelques débordements à l'évidence grossis par les puantes forces droitières. Il fallait de la pensée pour que les masses voient le droit chemin de  la  saine  raison. Tu  vois, mon p'tit gars, c'est  simple, c'est  tout droit. Qui  était libre pour ce soir ? On se trouvait face à une urgence. Heureusement le brave Lindrone était en pleine promo de son dernier film, il n'hésita pas et, convié, il vint penser. En direct.

Il y avait provocation, voyons; évidence ! Des policiers en civil avaient incendié des demeures probablement choisies comme appartenant à des opposants au pouvoir, ainsi la répression paraîtrait justifiée à ceux qui ne réfléchissaient pas. Pourat retrouvait le sourire; son petit sourire suffisant habituel, en écoutant cette lumineuse démonstration. Enfin les aveugles virent. L'acteur Lindrone nouveau Jésus quoique passé Maomais, enseignait la vérité médiatique gauchiste sans droit de réponse pour les non-croyants. On eut aussi l'intervention, toujours en direct, d'un confrère de Pourat à la presse écrite, directeur d'un hebdo américanisé de gauche, qui appuya Lindrone, confirma qu'il supposait les mêmes suppositions et entonna le couplet "les arabes sont de bons arabes alors pourquoi est-ce qu'ils ne seraient pas plus nombreux, il ne faut pas avoir peur, il faut être tolérants, ce sera un grand pas de la tolérance quand le pays sera aux mains d'un arabe musul au lieu d'être dans celles d'un Blanc chrétien, à bas la civilisation judéo-chrétienne, vive le Maomais, vive les pétro-dollars, vive le fric, vive la gauche et même la drouète quand elle collabore bien".

Juste après le journal la chaîne, payée par les impôts, donnait un téléfilm consacré à la réhabilitation des femmes tondues à la libération de la Seconde Guerre Mondiale. Depuis quelques années on avait insinué que ces femmes collabos étaient à plaindre. Les maquisards torturés et tués passaient pour rien à côté d'une seule femme tondue. Tondue ! Non mais, vous comprenez l'abomination ! Ces résistants qui tondaient les femmes au lieu de les tuer étaient des sadiques. Elles avaient bien le droit de coucher avec le boche si ça leur chantait la aïe ïe aïo o au lieu de la Marseillaise, chant de mort soit dit entre parenthèses, Pourat, Louzette, Lindrone et les copains tous pour la suppression de l'épouvantable chant nationaliste. Bref on avait commis une injustice envers ces femmes qui avaient juste pensé à elles-mêmes au lieu d'entrer dans l'absurdité de la guerre. Ces collabos étaient des héroïnes, oui monsieur, on n'avait pas le droit de les punir. Elles préparaient l'après-guerre en somme, elles avaient de l'avance; ceux, celles qui sont en avance sur leur temps ne sont pas compris de leur temps. Et voyez ces femmes de nos jours qui couchent avec les arabes et les nègres, qui se laissent féconder pour produire des arabes et des nègres, elles ont compris le pluri-ethnisme et le multiculturalisme (quand on leur fait comprendre avec quelques punitions qu'elles doivent devenir musuls, pour les enfants ce sera mieux), elles sont l'avant-garde dans la troisième occupation et la TV les soutient à fond. On avait payé cher un téléfilm pour ça avec plein de vedettes TV ravies de collaborer à une opération de réhabilitation.

Par ailleurs on se livrait à une chasse sévère contre tous ceux qui utilisaient les mots collaboration, résistance, invasion. On ne se contentait pas de la bannir des médias. Les lois d'exception de Chosset pour empêcher la liberté d'expression en déclarant racistes, xénophobes et n'importe quoi tous ceux qui tentaient de défendre leur pays faisaient merveille; Pétain n'était pas allé aussi loin; Munich sous Chosset était devenu la vérité permanente. Brave TV, comme elle travaillait bien à la mort de son pays ! le fric des impôts y dégoulinait détourné pour le service public de l'étranger.

Toute la soirée sur la chaîne-Pourat fut donc consacrée à la pensée. Les gens sensibles pleurèrent devant leurs écrans à la vue des cheveux tombant des héroïnes incomprises. Comment avait-on pu commettre un méfait pareil ? Les pauvres... Les musuls comprenaient qu'il s'agissait d'empêcher des femmes de devenir musuls et ils s'indignaient; de quel droit voulait-on les empêcher eux de devenir les plus nombreux ici et de s'emparer du pays, ils y étaient nés pour beaucoup, ils étaient chez eux, quoi, le pays était à eux, quoi, et il devait devenir musul comme eux, quoi. C'est ça la liberté de religion, que les chiens de chrétiens qui ont construit ce pays le perdent au profit des pétro-dollars qui investissent pour Maomais. C'est ça les libertés démocratiques. Et vive Chosset, le bon musul malin qui a bien servi la tolérance, les finances de ses copains et les siennes.

Que de braves gens dans la France torturée avalaient la propagande baptisée liberté de la presse et subissaient le matraquage médiatique baptisé démocratie. Avant ce magnifique exemple dont on se serait bien passé on avait toujours cru que la liberté de la presse permettait l'information qui permettait le vote en totale connaissance de cause qui permettait la pérennité de la démocratie. Les cadeaux aux journalistes et le développement du stupéfiant image avaient bouleversé la théorie, internet l'avait achevée. On croulait sous les informations mais les informations déformées comme dans un miroir spécial, et parmi elles même les plus perspicaces souvent ne discernaient pas les justes. Le monde s'était déformé des regards viciés de l'information. Les illusions s'étaient épaissies au point de former une sorte de brouillard, un brouillard de fausseté et d'erreur; or comme chacun sait, le seul moyen d'en sortir, c'est de le couper au couteau.

On ne tue pas des illusions sans tuer des hommes. Derrière chacune d'elles se cache des hommes. Il faut ne pas avoir de coeur pour détruire une illusion. C'est cruel. Forcément. La tentation de ne pas être cruel est forte. Qui veut assumer les morts ? Chosset passe pour bon, celui-là passerait pour le mal incarné. Renversement sensible de la vérité que l'histoire reprendrait de la presse. On ne peut pas sauver la démocratie sans dégorger la presse. La presse libre est comme Calchas, elle est aveugle. Elle lutte de toutes ses compétences contre la démocratie dont elle se nourrit, elle est un ver dans le fruit, un parasite qui certes protège contre d'autres parasites jusqu'à ce que, devenu sans adversaire puissant, il prenne le pouvoir et dévore la fruit sans voir qu'il programme sa propre mort.

La curiosité des pauvres devant leurs télés venait en grande partie de ce qu'ils avaient en elle une fenêtre permanente sur le luxe, le vice. Les animateurs ne cessaient de tenir des propos obscènes et d'en faire dire à leurs "invités", on les écoutait en famille, prêt à punir les enfants pour un gros mot. La TV vous offrait quotidiennement les plus belles femmes, elles se déshabillaient, elles étaient nues, elles baisaient devant vous, on leur écartait les bras, on leur écartait les jambes, on les retournait. On vous en mettait plein la vue, si l'on ose dire. Puis les Pourat et les Louzette casaient leurs "informations". Une parenthèse du monde irréel. La parenthèse avait des bords qui n'étaient pas imperméables. On retrouvait dedans des infos sur les films, les chanteurs, les scandales, la drogue, on retrouvait en vrai ce qui soi-disant hors des parenthèses était du faux. On y voyait les mêmes actrices, les mêmes acteurs, les mêmes chanteurs, mais en plus les producteurs, les réalisateurs surtout, bref les magiciens, du moins les illusionnistes, ceux qui réduisaient des braves gens à l'état de marionnettes. Que ne doit-on pas à ces artistes, parfois grands artistes, qui vous changent la vie; vous leur livrez la vôtre en temps, en bon argent gagné au travail par la redevance TV ou les billets d'entrée aux spectacles, et eux, mais c'est de l'art, ils vous refilent de la fausse monnaie. Vous ne ferez rien avec ce qu'ils vous ont donné quand vous ressortirez de leur illusion particulière, si vous trouvez la sortie de leur art, certains ne trouvent pas, rien de bon avec de la fausse monnaie. Et si les gabelous vous pincent, vous, votre fausse monnaie ne passera pas, vous paierez encore en prison ou en argent gagné au travail, pour le plaisir de l'art; de l'art et de l'information à la Pourat, à la Louzette; cochon de payeur, l'art t'attend au coin de la rue bien caché dans de l'information, ou bien c'est l'inverse, on ne sait plus, en tout cas on va te rançonner, te racketter; le couple infernal a de la morale, parfaitement, de la morale qui rapporte, qui rapporte gros sinon le jeu des illusions ne vaut pas la chandelle. Laissez-les créer votre monde, laissez-les faire le monde, ayez confiance - ce sera à leur profit.

 

 

 

II

On apprit qu'un vieux s'était fait exploser dans une "cité". Ce vieux était un Blanc, un catholique de surcroît. Peut-être n'aimait-il pas le Pape ? Il avait enfreint règle sur règle, loi sur loi : suicide, meurtres, tolérance de l'invasion, racisme ou antiracisme (c'est tout un), respect de la vie humaine, commandement biblique etc... Une soixantaine de morts. Des "jeunes" comme dit Pourat, pour l'essentiel; quelques femmes à nombreuse progéniture aussi. Il n'avait averti personne. Personne n'avait eu le moindre soupçon. Un brave petit vieux en sa maison de retraite paisible. Apparemment il en avait eu assez d'attendre la mort; au lieu d'attendre il avait choisi. Chosset avait agi en sorte, supprimant toute information militaire pour les jeunes Français, qu'ils ne sachent pas se défendre, mais lui était aussi vieux que Chosset maintenant en retraite d'or noir; il s'était confectionné une bombe et il s'était fait sauter avec.

Renseignements pris par Pourat et Louzette, ce vieux n'était pas un bon vieux. Il voulait libérer son pays au lieu d'être tolérant. L'horreur. On lui donnait pourtant bien à manger dans sa maison de retraite. Son comportement atroce suscitait l'incompréhension. Du moins officielle et journalistique. Suivant son habitude la presse généralisait : 'Tout le  monde est horrifié", "Tout le monde condamne..." Il fallait lui trouver une raison autre que celle de la lettre qu'il avait laissée sur son lit. Il était fou. Enfin, sénile. Fou sénile gâteux timbré détimbré... et, ajouta le Lindrone comme argument massue : puant, hypothèse corroborée par les directions des journaux de gauche. On n'hésita pas à interviewer Chosset, oui Chosset en personne, qui confirma qu'il valait mieux profiter de sa retraite que... La condamnation était universelle - selon la presse - qui généralise toujours - pour faire croire qu'elle détient la vérité.

Ce vieux aimait son pays qui n'était plus guère le sien. Il avait regretté de ne pas avoir eu le courage d'assassiner Chosset et Jozin quand il était encore temps. Il avait voté, on répétait tellement que dans une démocratie le vote est l'arme des mécontents, il avait voté et on n'en avait tenu aucun compte. Chosset étant le grand spécialiste du système "les votes qui ne m'approuvent pas ne comptent pas". La politique de mise en liquidation du pays pour remplir des poches pourtant déjà bien pleines avait continué, les penseurs l'avaient déclarée "sens de l'Histoire", ah oui l'Histoire a une direction et eux la connaissent, bon pourboire aux penseurs, gare à ceux qui prennent le sens interdit, les économistes bien payés expliquaient que le sens de l'économie passait par la misère du petit vieux et la liquidation du pays, sinon ils ne faisaient pas une belle carrière universitaire, et la presse libre servait la soupe à Chosset, évidemment, sinon il n'aurait pas gagné les élections, elle avait habilement truqué les élections en démolissant qui il fallait, en couvrant qui il fallait, elle avait reçu de gros chèques gouvernementaux pour survivre dans ces temps difficiles, avec vacances en palaces, arabes en général. Bref ce petit vieux n'avait compris ni l'Histoire, ni l'économie, ni la Haute politique, ni la presse.

Il fut le premier d'une longue série. Celui qui montre l'exemple est celui qui a le plus de mal à se détacher de la propagande, il est aussi le plus insulté post mortem. Les insultes acharnées des Pourat, Louzette, Lindrone, des associations "tolérantes", des anti-racistes benêts ou si gloutons de fric, des défenseurs des droits d'invasion etc... n'eurent pas l'effet escompté en dépit de la énième généralisation de la presse sur la réussite de sa campagne contre le vieux qui s'était réveillé malgré le somnifère Chosset asséné à dose massive pendant des années à coups de pétro-dollars. Les crachats sur une tombe font prendre conscience de la vérité; les yeux se dessillèrent, des aveugles virent malgré la condamnation du Pape menacé directement par les musuls qui auraient frappé les siens n'importe où, à répétition, jusqu'à ce qu'il dise "bon p'tit musul".

Le p'tit vieux ne devint donc pas martyr, à cause du Pape. Il fut en tout cas un révélateur. Il permit à beaucoup la prise de conscience. Alors Pourat et Louzette entonnèrent le refrain "ah si vous touchez un cheveu de journaliste, vous attaquez la presse, vous attaquez la liberté"..., ces lâches avaient la frousse de devoir payer ce que le p'tit vieux appelait leurs crimes contre leur pays. Pour échapper à la mort ils devraient aller se réfugier en pays musul, ce qui les terrifiait, surtout Louzette.

La lettre laissée par l'apôtre de l'intolérance, le suppôt de Satan pourfendeur du pluri-ethnisme, le monstre gâteux à sept têtes dévoreur du multi-culturalisme, expliquait son horrible pensée, sa coupable pensée, son abomination de pensée. Il avait vu à la télé les kamikazes musuls et beaucoup lu sur eux, il avait décidé de faire pareil pour défendre les siens. Les penseurs, tels Lindrone, vinrent expliquer, eux, qu'il ne faut pas avoir peur des musuls, avoir peur qu'ils prennent notre place, avoir peur qu'ils nous tuent, car c'était une évolution, l'évolution normale qui consistait, puisque Chosset et Jozin avaient bien travaillé à l'effondrement de la natalité blanche, au déversement du trop-plein des pays musuls chez nous; et v'là, ça c'est d'la pensée ! Economisto-politico-religioso-fumier ! Premier choix ! Petits cadeaux en pétro-dollars si vous faites avaler ça à des gens assez cons pour y croire. Comme on le constate, le p'tit vieux n'y allait pas ramollo dans sa vindicte. Les services concernés perdirent donc sa lettre presque tout de suite. Presque, donc trop tard. Des gens l'avaient vue, pas tous bien intentionnés. Ils parlèrent !

Des drogués de maisons de retraite s'éveillèrent; on leur assena une dose massive de propagande qui en rendormit beaucoup. Restaient les Justes. Sur ceux-là on ne peut rien. On ne peut que les tuer. Les employés de ces maisons, souvent d'origine étrangère, oeuvrèrent pour le bien. La mortalité fut en hausse et la justice remarqua seulement que c'était normal. La normalité survivante alla se tuer toute seule en des lieux divers au moyen de bombes plus ou moins réussies. Même des femmes s'y mirent mais elle trichaient car pour les bombes elles s'étaient fait aider. Que voulez-vous, on ne peut que blâmer ces atrocités. Voilà ce que font des séniles quand ils n'ont pas pris le médicament Pourat-Louzette. On en a perdu des lettres en ce temps-là et sans l'aide des facteurs. Les services de l'état perdaient tout; pas leur faute, les pauvres; pas de tête, c'est tout; séniles les services de l'état.

Donc boum ici boum là. Cacophonie de rues et de médias. Chosset avait fui en vacances à l'étranger. Lors d'une émission de radio en direct avec auditeurs au téléphone, triés en principe habilement, Pourat avait dit dans la tradition "Bon p'tit musul", le type à son phone lointain hurla : "Ta gueule, tas d'merde !" Il avait triché, le salaud, il s'était fait passer pour quéqundbien. Le débat ordurier fâcha les oreilles munichoises, le type au phone lointain fut blâmé par les cerveaux néo-conservateurs, par les cerveaux progressistes et par les cerveaux pas au courant; la presse généralisa; la plus grande partie des auditeurs pensa que les propos de libre-parole n'avaient pas à être condamnés.

Le monde se déstabilisait doucement, de profit en profit; les pleins-aux-as grâce à la corruption raciale anti-raciste glorifiaient la belle époque. Ça coulait, l'fric, ça oui, et les banlieues finissaient de s'armer de kalachnikovs et autres joyeusetés. Forcément il y aurait des déçus car les armes étaient en trop grand nombre par rapport à celui des gens à tuer; certains auraient économisé dur pour se procurer du matériel opérationnel et en fin de compte ce serait pour rien. Il faut être raisonnable : on ne peut pas avoir de l'horreur pour tout l'monde, parfois il faut se contenter de regarder.

Mais les bons conseils, bast... chacun veut tenter ce qu'il croit sa chance. Pour ma part je ne me mêle pas des affaires des autres, je ne me mêle de rien. Je suis en effet arrivé à cette remarque évidente : tout ce qui se produit a une cause, or cette cause n'est pas moi, donc je n'ai pas à me sentir impliqué par ce qui se produit. J'ai déjà bien assez à répondre de mes actes, je ne vais pas en plus répondre de ceux des autres. Ras-le-bol de toutes leurs conneries. Pas question de dire comme un fumeux humaniste : rien de ce qui est con ne m'est étranger. La connerie n'est pas mon fort et la kalachnikov non plus; je les laisse régler leurs comptes ensemble. Pasque j'ai à faire, moi, du boulot, ben quoi, y en a qui travaillent. Et puis surtout, j'ai Karine.

 

 

 

Des étudiants se payaient une soirée alcoolisée. Tous étaient consentants, ils avaient apporté les bouteilles. De concours de nombre de verres vidés en paris de descendre une bouteille entière d'un coup, sur fond musical rythmé jungle, transe, avec braillements de saoulardes et saoulards, ils fêfêtaient la la, ils, et la, c'est la fêêête ! allez va, va, aaaah ! le roi boit, béat, boit, bats-la, bats, bats-toi, boit, aaaah ! c'est la fêêête ! d'un coup, hop, bois, dans bois bats-toi, d'un coup, il va, il va, elle boit, elle bave le boit, elle reboit bave, va, va, béat, d'un coup, d'un bon coup, la gars a fini, la fille rit en béat boit, coule du goulot sur la fille filmée qui s'exhibe, saoule, boit, boit, d'un coup, applaudie, applaudis, la fille a perdu, accompagne le garçon branlant dans la pièce à côté, autre concours plus loin, ici on aime la compèt, on est v'nu pour ça, perdre ou gagner c'est gagner, on est venu jouer gros, jouer soi, se perdre soi c'est gagner, bois, bois, bats-la, bats-le, bats-la, emmène-la, gagne-la, on est là pour ça, bois-le, bats-la, qui est là, qui est qui, qui est moi, tout à tous, tous à tous, bois, crie, bois, béat, aïe, aaiiïe, qui est toi moi, bois, bats, donne-la, danse-la là, elle a perdu, elle a gagné, il a perdu gagné, bois, bois...

Une fille à demi dénudée s'était déjà laissé entraîner deux fois dans la pièce à côté. Barthélemy et Laurent s'étaient introduits dans cette soirée quand la surveillance à l'entrée s'était relâchée; ils avaient appris la fête et s'y étaient invités. Mais leurs principes n'étaient pas en accord avec les décadents; ils leur étaient même carrément défavorables. Quant à leurs intentions elles étaient bonnes. En un sens. En un sens seulement. Car les saouls n'apprécieront pas. Donc la fille se laissait entraîner pour la troisième fois, hébétée, rigolarde et la bouche pâteuse. Sa liberté, selon les deux impartiaux partiaux observateurs, avait vocation de salope. "Elle va avec le bougnoul", nota sobrement Laurent. Ce n'était pas un bon point pour elle. Quand la salope fait oeuvre de bienfaisance locale, elle est sinon intégrée du moins tolérée; mais quand elle étend ses bienfaits à l'étranger tout en privant ipso facto, de plus proches, elle n'est plus qu'une pute gratuite que s'envoie l'envahisseur. Elle avait vraiment eu tort de trop boire. Barthélemy remarqua que l'alcool tue et qu'ainsi il fait justice quoique se faire justice soi-même soit interdit par la Justice qui ne touche pas les taxes sur l'alcool. On pourrait penser qu'il était cynique, mais en réalité il tentait seulement d'évaluer une situation complexe en la réduisant à ses banalités répétées sans cesse partout, comme si la banalité était la substance même des faits, leur moelle épinière en somme, les clichés en ce cas sont les vérités simples que les raisonnements savants cachent. Quoi qu'il en soit ne pas agir c'est laisser faire, laisser faire c'est être complice, être complice de l'anéantissement des siens par la luxure, l'alcool, les drogues qui complétaient le service du bonheur dans la petite pièce. La liberté du vice est-elle la liberté ? Aux yeux de Laurent (pas spécialement croyant) elle est le rire de Satan. La volonté individuelle tombée dans le vice n'est qu'une incapacité à avoir une volonté individuelle; or il n'y a pas de liberté sans volonté. Les deux garçons entrèrent non-accompagnés dans la chambre des extases. Sniffeuses et sniffeurs s'activaient sans faiblesses dans une pénombre orangée, acteurs et voyeurs, les têtes sonnantes de la musique d'à-côté, les inhibitions étaient dépouillées à l'entrée, laissées aux non-initiés, celles et ceux qui n'avaient pas franchi le pas (de porte). L'effet global du spectacle informel ne fut pas positif sur les deux esprits certes préparés mais déjà mal disposés. Les excès du bonheur le conduisirent à sa perte. Il y eut la porte qui s'ouvrit, une détonation forte, des cris, de la fumée et selon le SAMU un spectacle (nouveau) "pas beau à voir". Les conséquences d'un tel acte meurtrier sont évidemment éternelles. Les soldats de l'éternité ne se soucient pas des pleurs des hommes. La salope ne ferait plus jouir, elle fut la plus regrettée; elle eut même droit à un service religieux. Il ne s'agit pas de glorifier le crime, le meurtre, l'assassinat, sous prétexte qu'il serait de groupe, une sorte d'assassinat-partouze en l'occurrence, seuls les états peuvent se permettre le crime de groupe, et encore, les plus puissants, pour les autres ce sont des crimes de guerre; certes pas; notons toutefois qu'après tout ceci, le taux d'alcoolémie universitaire baissa brusquement (mais provisoirement) ainsi que la vente de drogues (ce qui mécontenta les professionnels; l'économie parallèle fait - bien - vivre beaucoup de monde).

Remarquons que ce drame affreux fut largement utilisé par la presse pour cacher ce qui s'était passé dans la  péninsule et ce  qui commençait de se passer sur le continent. Il n'y avait  à l'évidence aucun rapport ! On le répétait sur les TV, les ridiots, les djourniais, on y découpait artistiquement la réalité en tranches. Comme si des faits se déroulant dans un même endroit pouvaient ne pas avoir de rapport. Ou dans des endroits différents. Lindrone déclara, vive Lindrone ! photo ! autographe ! quel homme ! vous avez vu son aventure avec la quicaine Marylaine ? un acteur-penseur, un aqueteur complet quoi, vive les musuls, à bas les françouès, tout le monde papiers, lui un palais, donnez, donnez, soyez taulairants, donnez, les poires, vivent les poires, les autres racistes, tous racistes, donc Lindrone déclara qu'il voulait jouer un téléfilm sur le drame universitaire. Il n'avait plus vraiment l'âge. On oublia ce détail. Et puis on ne savait pas ce qui s'était passé. On oublia aussi ce détail. Les scénaristes de gauche remédieraient aux insuffisances de la police.

Mais l'arbuste ne peut pas cacher longtemps la forêt. Les aveux inconsidérés sur leurs pratiques des survivants ne plaidaient pas en faveur des morts. On comprenait; que jeunesse passe etc...; mais penser que sa fille sert de pute après s'être laissé saouler... Seul le petit monde artistico-journalistico-politico n'y voyait rien à redire. Mais les moeurs de ces gens ne sont pas celles de tous. Pourat avait souvent en douce poussé vers la tolérance pour les drogues douces, Louzette aussi; mais les résistances étaient fortes et Chosset avait dû condamner le progrès. Pourtant les profits auraient été énormes.

La violence menaçait le sexe, la guerre ne se laissait plus affaiblir par l'amour. Une sévère remise en question aurait été nécessaire mais les champions du discours "remets-toi en question", gauchistes dont c'était le truc pour la drouète, jugeaient détenir la vérité et donc que le discours ne s'appliquait pas à eux. L'inconscience n'avait pas de limites. L'inconscience jouissait d'elle-même, narcissique et provocante sur les ondes, elle s'étalait en propos complaisants, le pourrissement de l'état ne lui paraissait même pas du domaine du possible; elle s'admirait; elle s'adulait.

La société entière était secouée comme par un tremblement de terre. Les chocs à répétition étaient si violents que la peur devait être cachée par chacun. On voulait rester dignes. En-dehors des moments de pillages, de vols, de viols, d'agressions, de meurtres où agresseurs et victimes peuvent déroger. Car la presse ne passe qu'après. Toute la côte était devenue la côte des lamentations. Dignes, naturellement. Avec des parents dignes de victimes dignes d'agresseurs dignes. La vérité était plutôt une haine grandissante contre les musulmans. On en voulait aux politiques et au Pape de laisser les gens sans défense pour se protéger eux-mêmes, le tout en se servant du baratin ressassé de la tolérance que tout un chacun jugeait désormais à son juste prix (en pétro-dollars).

 

 

 

Quand ça va mal, que les "jeunes" attaquent, le slogan de "paix" habituel est "faites du sport". Faut les occuper. Leur changer les idées, aux braves p'tits "jeunes". Brusquement, par ordre d'En-Haut, le sport fut partout; des matches capitaux étaient sur le point d'avoir lieu; des compétitions d'une telle importance que l'équilibre de l'univers en dépendait seraient disputées là, maintenant. On bourrait les crânes de sport. Les illuminés du sport montraient la voie, "suivez-nous vers la coupe", mais la coupe elle était pleine, elle débordait même, elle débordait de sport, d'un trop-plein de sport, elle inondait ses illuminés d'un liquide malodorant, jaunâtre, dans lequel les analyses trouvèrent des anabolisants, des stupéfiants, des tas de trucs savants du sport savant, mais par ordre d'En-Haut on tut les analyses.

Paul s'échappa de la colline vaguement inspirée et porta son inspiration en plein stade. Il voulait parler de la révolution prolétarienne à la foule car selon lui les conditions étaient enfin réunies. Son plan consistait à s'emparer du micro officiel et de rendre ainsi en quelque sorte officielle la déclaration de révolution. Les forces de la conservation par le sport s'opposeraient à la conversion de la masse. Ces gens de terrain se méfiaient de l'intellect; ils se méfiaient instinctivement des gens qui tenaient des discours qu'ils ne comprenaient pas; c'est dire qu'ils se méfiaient tout l'temps. A notre époque le sport-panacée rapportait gros, les investissements énormes engendraient des profits dignes des quarante voleurs. Les revues même non-spécialisées faisaient plusieurs fois l'an leurs couvertures avec des Ali-Baba émerveillés qui avaient trimé des années et qui n'en revenaient pas d'avoir enfin eu la chance sportive. On n'en était plus aux combats de boxe truqués à la quicaine. De mauvaises langues prétendaient que le ministre des sports chaque début de saison se réunissait avec les pontes de la presse et des organisations sportives pour décider des victoires, des Ali-Baba, des scandales, des évictions, des investissements, des gains... Donc Paul s'empara du micro officiel et se lança dans un discours auquel personne ne comprit rien. Le mécontentement fut grand que ce beau match de foot soit salopé dès son début par un intello et par la politique; ici on vient s'amuser, brailler, on est entre braves gens. Quand les forces de l'ordre eurent maîtrisé la politique, une fille nue traversa la pelouse en courant, pourquoi ? ça... Elle eut droit à quelques applaudissements, à quelques "hou hou" et à pas mal de photos car elle était bien bâtie, la pute, sûrement une pub érotique, on chercherait sur internet, voir le prix d'abord. Enfin on crut que... ah... un vrai match de "paix" dans le délire du monde. Seulement les je-ne-sais-qui habités par je-ne-sais-quoi, peut-être drogués aux amphèts, ou autres, ils ont bazardé l'idéal coubertinien capitalistinien. Quand les nègres firent leur entrée sur le stade, des cris racistes fusèrent; on leur expédia dessus des canettes que l'on avait pris soin préalablement de vider, ce qui prouve que l'on ne voulait pas vraiment faire mal. Les Noirs ne se laissèrent pas déstabiliser par les pauvres, eux étaient bien payés. Fallait-il tout arrêter ? On fit entendre la Marseillaise qui fut sifflée, abominablement sifflée, par les maghrébins, la moitié du public à peu près; ils n'aimaient ni la Marseillaise (comme leur copain Pourat) ni les Noirs. Le Noir est musul mais il n'a été qu'à demi musulmanisé car il est resté noir. Les Blancs eux n'ont rien réussi nulle part, alors ce sont eux qui sont envahis aujourd'hui, les colonisateurs officiels sont les grands vaincus de la colonisation. On joua. Il n'y avait pas que des Noirs sur la pelouse, faut pas exagérer, ils étaient quoi ? les deux tiers pas plus, les autres bruns et deux blancs, un dans chaque équipe, pour que les clubs ne soient pas accusés de racisme, on était en France quand même, merde. Donc ils jouèrent.

Paul avait été malmené, il n'était pas très solide, la police dut appeler un proche, en l'occurrence Sophie. Les femmes de Paul n'ont été que des intermittentes de ce spectacle politique permanent qu'il se donne à lui-même et qui ne passionne que lui. D'une certaine manière son art est dans son action politique plutôt que dans sa peinture. Un art qui ne laissera aucune trace, un art éphémère, une vie pensée et repensée, d'un incroyable sérieux frivole, d'une incroyable absurdité capitale, soi-même en oeuvre d'art périssable, soi-même pièce unique d'un monde qui n'a pu éclore. Sophie, ex-femme de Jean, était la seule à pouvoir comprendre Paul, leurs solitudes leur donnaient une fraternité. Il fallut discuter, il fallut convaincre; comme la police ne savait trop quoi faire de l'énergumène et qu'elle avait en ces temps troublés besoin de place dans ses geôles, elle se laissa convaincre avec plaisir de rendre la politique à la peinture. Paul fut rendu à ses pinceaux. Il ne remercia pas. Sophie le chapitra. Elle savait ses propos inutiles mais, puisqu'elle avait promis pour obtenir sa libération, en femme de devoir elle affrontait l'inefficacité, l'inutilité, l'absurdité de la parole. Consciemment. Mais sans faiblesse. Sans s'épargner une note de cette musique monotone. Paul ne l'arrêtait pas. Plein de sympathie il l'écoute assurer son devoir.

Pendant ces péripéties, le match, après une première mi-temps houleuse, en jouait une seconde calamiteuse. Des Noirs deux étaient tombés, mais trois maghrébins. Un bon coup de tête brune avait expédié un des nègres à l'hosto, son compère avait fait une main non vue par l'arbitre pour marquer un but et un direct en pleine tronche avait rendu la justice du sport. Le public hurlait mais de façon confuse, tout le monde ne voulait pas la même chose, et même il y avait des exigences contradictoires, inconciliables. On voulait du sang mais les victimes expiatoires variaient suivant les gradins; la police recevait des ordres pour empêcher le public d'envahir la pelouse afin de se battre. Ordres puérils. On aurait pu en finir rapidement avec les problèmes. Il faut savoir faire la part du feu; laisser exploser une bombe où se trouvent les artificiers évite d'avoir des bombes qui explosent un peu partout, de façon imprévisible, et qui tuent des gens, pas vraiment innocents certes, mais moins coupables qu'eux, vous en conviendrez; au besoin activer la bombe des artificiers là où ils se trouvent, relève du salut public. La bonne conscience des belles carrières politiques ne voulait pas quelques morts qui sauvent de nombreuses vies, elle voulait que l'on admire ses jolies mains blanches, enfin blanc cassé. Heureusement les gradins en folie avaient dépassé la politique. La police fut débordée; pour éviter des pertes humaines importantes dans ses rangs elle effectua un repli stratégique réussi. On se foutait sur la gueule dans tout le temple; sur la vaste pelouse les joueurs terrassés, traînés par les pieds, salement amochés, avaient renoncé à la fois au ballon et aux vestiaires. Ils voulaient abandonner ceux qui avaient pourtant payé. Quelle absence de sens marchand ! Quel manque d'honnêteté sportive ! Le capitaine doit couler avec le navire, la garde meurt et ne se rend pas. Le stade coulait. Sans grandeur, sans panache. Les drapeaux en berne disparaissaient dans la foule folle qui brisait leurs mâts, une Marseillaise hésitante se faisait entendre jouée par un unique musicien qui s'était vu héros en rappelant l'unité nationale, il fut submergé. Puis ce fut le sauve-qui-peut, l'écrasement des uns par les autres pour gagner les sorties, goulots d'étranglement qui virent périr étouffés les faibles. Le stade était ivre de sang sur la mer déchaînée. La haine y sanglotait, affolée de peur et de plaisir. Une énorme jouissance terrorisée. Un rut colossal enfin libéré des droits et des lois. La fille qui avait couru nue gisait dans un des vestiaires, violée de nombreuses fois; on avait jeté sur elle un nègre dont on avait coupé les couilles. Plus loin on trouva deux maghrébins empalés, au sens exact du terme, sans doute par représailles pour le noir; et encore vivants. Plus loin on avait déféqué sur la tête d'un autre, puis une adolescente au ventre ouvert dont les boyaux avaient été artistiquement disposés autour, et encore et encore, des filles inconscientes débraillées peinturlurées aux couleurs de leurs équipes, curieusement par deux, une de chaque, comme si chaque fois que l'on avait trouvé une des siennes violée et démolie on en avait traîné une des ennemis ici pour qu'elle subisse le même sort à côté de la première. La vie tuait la vie, la vie jouissait de la vie, la vie torturait en bourreau immonde ses adorateurs drogués. Personne ne distinguait plus de limites entres les souffrances et le plaisir, le bien des siens se nourrissait du mal de créatures détestées. La haine nourrie sur les corps des vaincus se changeait en spasmes de jouissance. Le stade possédé était devenu un gigantesque bordel meurtrier. Toute torture est supérieure à la caresse, tout tueur rit, la mort entre dans les corps comme un viol, toute mort est un viol, la domination s'abreuve de souffrance dans le déchirement des cris.

 

 

 

III

L'ambulance de Jean avait été arrêtée par les forces de l'ordre, réquisitionnée, obligée de laisser Jean sur un quai d'où on l'avait transporté jusqu'au navire hôpital envoyé ici en urgence, et elle fut expédiée en mission pour ramener des blessés, des malades. Afin de justifier la dépense exceptionnelle de l'affrètement et l'équipement de ce bateau il fallait le remplir. On avait vu grand. L'état s'était voulu prévoyant : il avait le moyen performant de lutter contre les épidémies, les pandémies, le long des côtes, les nôtres et celles des autres, on pouvait secourir - le temps d'arriver - les blessés de séismes, les blessés de guerres - à condition qu'il s'agisse de séismes et de guerres côtiers. Le personnel militaire qui travaillait humanitairement à bord était compétent et dévoué. La chair à chirurgie manquait. La chair malade manquait. Le dévouement ne faisait pas le plein. La presse risquait de devenir ironique. Alors on ratissait large.

Jean fut traîné devant des médecins inconnus; quand ils comprirent qu'ils avaient en leur pouvoir une célébrité leur vanité se félicita d'avoir fait de telles études, ils se sentaient récompensés de leur travail. Ils se trompaient, personne ne peut avoir de pouvoir sur Jean. Mais leur foi en la médecine, le noble art, en la chirurgie sauveuse, en la pharmacologie, en la multithérapie, s'enorgueillissait de satisfaction à la vue de l'illustre souffrant. Il ne pourrait pas s'évader. De l'eau tout autour. Il était entre leurs mains, il serait forcé d'y rester.

Jean écoutait leurs discours savants, la programmation d'examens savants contre sa mort annoncée, il entendait les puérilités cachées dans leurs têtes, il entendait ce qu'ils se cachaient à eux-mêmes sur eux-mêmes. La vérité de leur médecine était ce qu'ils étaient. Pour le malade la médecine est le médecin.

Puis il eut un moment de répit, on le lui laissa sans doute parce que l'hydre médicale digérait ce petit bonheur que le sort lui avait jeté dans les mâchoires. Il visita l'installation fonctionnelle. Les cabines étaient bien conçues, pratiques, le personnel infirmier pouvait exécuter ses tâches en un temps record, il était motivé par la fierté de se montrer performant, il était l'un des meilleurs du pays, le meilleur pensait-il. Ici on était sûr de ne pas échapper aux soins. Le pouvoir médical y était une dictature sans faiblesses. Aucune résistance n'était possible. La médecine n'est-elle pas par essence une veuve noire ? Elle soigne avec patience les tortures qui sans elles seraient terminées depuis longtemps, elle prolonge infiniment (pour eux) le supplice de ses mourants. La veuve est une hydre inassouvie qui trouve en ses pulsions inavouables le droit de continuer. Elle devient la loi. Elle est la force. La loi a le droit d'utiliser la force. Aider donne le droit de contraindre.

Les horaires étaient stricts, comme les prescriptions et leurs applications. L'armée médicale luttait avec le mal sans peur. Compétence, capacité, efficacité unies par la discipline la rendaient admirable et terrifiante. La souffrance isolée sur ce bateau, arrachée à la côte pour être isolée sur ce bateau, avec le but secret de l'éradiquer de la côte, de la maintenir à distance et de la réduire petit à petit, combat par combat, semblait la marque de condamnés que la société devait rejeter pour survivre et qu'elle livrait en fermant les yeux aux médecins endurcis qui, habitués au front, ne reculeraient devant rien pour l'emporter, assoiffés de domination, rejoignant la maladie dans la soumission totale du malade souffrant, sans échappatoire possible, soumis par les deux combattants, simultanément, simple terrain de lutte qui veut encore se croire une personne. L'hydre est plus forte qu'Ulysse, ses maux l'ont conduit jusqu'à elle, la lutte a été vaine. "Vous avez intérêt à vous soumettre", "Soyez le patient idéal, soyez un idéal en ces moments difficiles", "Subissez pour votre bien", "Subissez sans vous plaindre", "Votre soumission est la voie de la guérison" : ces slogans de l'entr'aide humaine étaient peints sur les côtés de la galerie centrale, hall immense autour duquel toute la vie médicale s'organisait; ils étaient sans ambiguïté sur la noblesse des intentions. La pleine confiance et la totale bonne volonté du patient étaient une demande si naturelle qu'elle se changeait en exigence bien compréhensible. En fait la volonté du malade doit être remise entre les mains de ses médecins. Elle ne peut que lui nuire en lui soufflant de mauvais conseils de résistance. Nous, nous avons les connaissances, les compétences, la formation adéquate, votre volonté ne les a pas; votre volonté ne sait pas ce qu'elle dit; il est donc préférable qu'elle ne dise rien. Le calmant remédie à la volonté.

De le proue à la poupe, les ponts sont purifiés, les cellules sont nettes, les blouses blanches. Il n'y a pas de fuite possible. Il n'y a pas de solution. Les forces de l'ordre médical ont des exigences, et encore des exigences; la rébellion ne peut pas être tolérée, la rébellion au combat est inacceptable. Les sept têtes sont inassouvies, elles exigent encore, elles dominent toujours plus ceux à qui elles ont enlevé la force de fuir. La médecine a été enfantée par la maladie, elle est à l'image de sa mère contre laquelle elle lutte, la mère et la fille se déchirent et s'aiment; elles sont semblables; les corps des hommes sont leurs orgies; elles se repaissent inlassablement; une ivresse sans frein. La révolte est punie. La révolte ne peut pas être tolérée. Il n'y a pas de fuite possible. Il n'y a pas de solution.

Mais une aide extérieure pourrait être supérieure si le mal et le bien sont sans prise sur elle. Sandra cherche le moyen de ramener Jean sur la côte. Sandra appartient à Jean, sans lui elle n'a pas d'existence, la peur en elle a été éradiquée il y a longtemps.

Les copulations de l'enfer et du paradis à coups de drogues engendrent de nouveaux mirages dans lesquels il faut vivre. Sandra est sexe, un infirmier n'a pas résisté et organise sa montée à bord. Le désir jouit des désirants. Sandra n'est pas vêtue de scrupules; autrefois danseuse nue elle a eu l'habitude d'effeuiller ses scrupules, de s'en dépouiller lentement pour plaire, depuis elle n'est vêtue que de tentations, de promesses. Elle n'a pas froid aux yeux, assurément. D'un côté la prostitution sacrée a toujours dégoûté ceux qu'elle fascinait, de l'autre l'illusion du sacré sauve ces prostituées du dégoût d'elles-mêmes; le corps a ses illusions que la raison ne connaît pas. Passons donc sur les formalités sexuelles de la belle. Ayant payé son dû elle mit dans les boissons du personnel une drogue qui enlève toute volonté et rendit zombies aides-soignantes, infirmiers, marins, médecins, chirurgiens. Le bateau entier dépendait de la femelle sans entrave, protégée par son illusion du sacré - port dans lequel entra le bateau. Les ordres furent de libérer le maximum de malades. Les médecins les conduisaient eux-mêmes jusqu'aux canots. La presse eut vent du débarquement de libérés et fit des photos sur les quais. Jean ne figure sur aucune d'elles; Sandra l'avait déjà emmené. L'ambulance était repartie vers sa mort. Une mort que ne voleraient pas les médecins. Les athées voleurs d'âmes dans leurs hôpitaux stérilisés où les morts doivent être standards, où la mort s'offre des corps sans résistance, drogués, soignés. L'horreur de la mort n'excuse rien, ni la pitié ni le manque de pitié, ni la sentimentalité ni l'indifférence, ni la bonté ni la cruauté; l'horreur de la mort condamne tout.

L'ambulance filait sans but. La mort n'est pas un but. Ni une promenade. Jean regardait par une vitre le bateau là-bas, cancrelat blanc sur la mer; le va-et-vient des canots avait cessé, les ordres avaient été exécutés. Le personnel, sans ordre désormais, attendait sans le savoir le retour de la volonté. Il en retrouverait les exigences impitoyables comme une délivrance. Il regarderait avec stupéfaction les fiches bien remplies des départs motivés de malades parfois sans espoirs de survie.

 

 

 

Je suis arrivé à l'appart de Karine, il était tard, elle était déjà partie. Il m'a fallu chercher où elle donnait un concert, le temps de trouver un taxi, le salopard a gonflé le prix, après ces gens s'étonnent qu'on ne les aime pas, triste coin à ruelles et poubelles pleines pour la camion du matin. Presque minuit. Entrer. On n'entre pas. Allons bon. Je n'ai pas parcouru tout ce chemin pour m'entendre dire ça. Il faut que j'aille à Karine. Que je la voie. Il faut qu'elle soit là. Privé, privé. Moi aussi je suis privé, d'elle en l'occurrence, bon sang les jeux de mots idiots me reviennent quand je me rapproche d'elle. Il doit y avoir une entrée des artistes, du moins une sortie secondaire, c'est légal, faut observer les lois, droite gauche derrière ?

Finalement j'ai trouvé une porte sans indication qui avait le mérite d'être sans garde, j'ai forcé l'entrée, j'étais dans une sorte de couloir dans lequel je n'ai pas osé allumer la lumière, j'ai buté sur des choses, puis je suis arrivé à une petite cour, sale, autant que je puisse en juger étant donné l'heure, j'ai retrouvé un couloir, j'étais dans les coulisses, j'entendis, j'entendais, oui - je me suis glissé dans la salle -, Karine commençait de chanter "Akhenaton" :

Bats, bois, bête, braise; bois, bête, bise, bats, braise; brise-moi ! brise-moi ! bois mort entre tes mains ! B A BA, BI A BI, brise-moi, brise-moi ! jette-moi dans le vent de tempête !

Dis-le moi ! Dis-le moi ! Que tu m'aimes !

Akhenaton je t'adore, Akhenaton je veux t'adorer, je veux brûler dans tes rayons,

rôtir

rôtie

La sotte au rot d'Akhenaton qui la brûle comme un filon d'or devenu liquide qui prendra

la forme

que tu veux

bats, bois, brise-moi ! brise-moi ! Les paroles de Karine sont généralement étranges, avec un choix délibéré du sexuel et du grotesque, la salle est pleine pour cette si belle femme chantant en Bacchante l'obscénité qui s'exhibe, un cri de désir inassouvissable, la belle est la chienne, elle hurle à Hécate, les ardents brûlent de ses rythmes obsédants à paroles.

Akhenaton, rêve de soleil, écartèle-nous de tes rayons, que mes bras, mes jambes deviennent tes rayons, donne-moi la forme que tu veux, que je sois selon ta volonté, désir, souffrance, obscénité,

laisse-moi, laisse-moi, abandonne-moi, dans le désert, or liquide dans le désert, au vent du désert

Karine en courte robe bleue et la tête comme une flamme dans des flashes d'éclairs incessants, dans la musique impitoyablement répétitive, obsédante en brisant une à une les barrières mentales, envahissant les cerveaux et les corps, Karine à la tête des zombies engendrés par ses fantasmes et ses rythmes

sotte au vent

folle au vent

sans billet de métro ni carte d'identité

sans billet ni étiquette

où est mon étiquette ? ah je vais demander au chauffeur, il me répond : demande à Akhenaton

bats, bas, haut, vent, bois, brise-moi ! brise-moi ! que je sois ta volonté !

sans toi je n'existe pas, envahis-moi, j'ai une vie, j'ai une volonté, j'ai Akhenaton

Tous ces gens à oreilles les secouent à la bonne cadence, allô, allô, y a-t-il  quelqu'un derrière les oneilles ? Où est-ce que je suis là ? Où est-ce que moi là je serais, éventuellement je veux dire, si mon moi là flotte quelque part là ou si mon là est encore moi

rôtie de toi baisée de nous

sotte de moi droguée de nous

étiquette-moi, illumine-moi, que ta volonté m'étiquette, me déchiquette,

brise-moi ! détruis-moi ! détruis-moi !

que je sois transportée par le vent aux quatre coins du désert

la musique a ralenti, s'est adoucie comme pour une pause avant la seconde partie Karine bouge à peine balançant métronomiquement la tête sa bouche ouverte sur ses dents de louve le faux vaut mieux que le vrai Karine est fausse un mensonge de la tête aux pieds on ne peut que désirer le mensonge quand on a entrevu le réel

moi, là, toi, haut, bas, bois, bois, bats,

brise-moi ! brise-moi ! sois mon enfer

dis-le moi ! dis-le moi ! que je suis à la bonne adresse devant cette porte sans numéro qui s'ouvre tout à coup sur des couloirs infinis; où es-tu, où est Akhenaton ?

saut à sotte, bègue de toi

saut dans l'infini, rayons de rire

je marche sur les rayons je tombe sur les rayons je me redresse je vais vers toi

le faux vaut mieux que le vrai si l'on admet l'existence du faux, on appelle peut-être ainsi à tort une partie de ce vrai que l'on connaît mal ou même que l'on ne connaît pas, ou même que l'on vit dans le faux dont on appelle une partie le vrai, à tort peut-être, allez savoir où on est, où est là, la raison discerne des degrés, un escalier du faux ou vrai, ou l'inverse, qui va de là - mais où est-ce - à la cave et au grenier, ce n'est pas mieux, ou s'imaginer au milieu appartient aux enfantillages, ailleurs aussi, il n'y a que des enfantillages, je n'est nulle part

souffle tes rayons sur moi, un à un ils me brûlent ils me marquent de ton nom ils me forcent à

l'adoration

ris de moi moque-toi de moi

ris de la sotte de toi

Akhenaton Akhenaton

bègue de toi sotte de toi poule rôtie au feu de toi

étiquette-moi pour que tes bagagistes ne me perdent pas ta proie ta brûlée ta folle sotte brûlée vive marquée hurlante rire de tes rayons larmes mes larmes adoration rire de tes rayons

comment avais-je pu échapper à ces salles, d'autres, enfiévrées, surexcitées; Karine s'amuse à dire qu'elle préside les cérémonies des suicides des moeurs. Mais ce que l'on appelle les moeurs n'est peut-être qu'une excroissance maladive du comportement libre donc sain - équivalence hasardeuse j'en suis conscient. Au moins avec Karine je cesse d'être quelqu'un, ce qui à mon sens représente un grand pas; je me fonds dans un ensemble comme si la liberté ne pouvait exister que par le consentement à sa propre disparition, comme si les barrières du soi devaient être abattues pour accéder à un stade supérieur. Renoncer à soi permet d'échapper à soi. On sait bien qu'on ne vaut pas la peine d'être vécu. On se vit quand même. On cherche l'issue; le suicide ne résoudrait rien, il faudrait sans doute recommencer; la mort ne résout rien, elle est imposée; mais la fusion des êtres permet de dépasser ce que l'on est, le corps permet de fuir le corps. Il faut l'utiliser comme clé pour fuir...

Le concert était fini, je m'en suis rendu compte tout à coup. J'avais oublié même où j'étais. Je me suis précipité vers la loge de Karine pour qu'elle ne parte pas sans moi.

Me voyant elle dit simplement : "Ah, mon poupée rentre à la maison." Ne pas chercher. Karine a son langage à elle. Il y a toujours une grosse blague derrière. Les mal-entendants ont intérêt à éviter la guérison. Elle sourit en se regardant dans le miroir. Mais c'est moi qu'elle regarde sans avoir l'air, je le sais bien. Elle m'examine. Je ne dis rien, ça ne sert à rien d'expliquer avec Karine, elle va trouver ses explications à elle, son monde ainsi restera le sien. Je n'y suis qu'invité. Invité privilégié. Elle se maquille ou comme si. Eric entre, souriant, pourquoi sourit-il toujours ? Il me dit bonjour sans paraître surpris de me soir. On dirait que je suis le seul surpris de me voir là. Comment est-ce que je peux me retrouver avec ces gens si différents de moi et que je ne comprends même pas ? Ils sont mon mystère. Ce que, en moi, je ne comprends pas. Ils existent pourtant. Ils sont vrais. Et même réels. Dans un cas pareil je remets à plus tard de réfléchir. Je peux très bien remettre éternellement à plus tard. C'est un bon truc. D'ailleurs quand on réfléchit on ne comprend pas forcément, alors on s'est donné un mal de tête pour rien; déjà qu'ça va pas fort...

Rentrés à l'appart, direct, Eric met ses affaires dans sa valise, toujours souriant - pourquoi ? et qu'est-ce qu'il faisait là ? et qui est-il pour Karine ? -, et part en emmenant le chien, un gros grand, blanc. Je n'aime pas les chiens; lui non plus n'a pas l'air de m'aimer, il ne m'accueille pas en frétillant et en aboyant joyeusement, peut-être parce qu'il est mis à la porte de chez lui à chaque fois que j'arrive.

Nous voilà seuls, je ne me sens pas gêné, jamais avec elle, on pourrait parfaitement rester sans rien dire mais j'ai besoin d'entendre encore sa voix.

Karine n'est pas une chanteuse kleenex, on ne peut pas la remplacer par une autre et avoir le même produit commercial. Sa voix assez basse, mezzo léger je dirais, avec des intonations rauques, a une chaleur communicative et affolante. Elle a raison d'écrire ses textes car ils ont les sons qu'il faut pour sa voix; quant à leur sens, qu'on n'aille pas les croire de moi, je n'ai rien à voir dans leur bizarrerie grotesque. J'ai déjà deux frères côté bizarre, j'ai laissé le bizarre à l'extérieur de moi. Il est dans Karine.

Je lui parle du train, elle me dit : "Par ta faute j'ai failli arriver en retard au concert. En fait je suis arrivée en retard, je t'ai attendu. Alessandra m'avait téléphoné." Ah. J'avais oublié. Alessandra et Karine se connaissent. Est-ce que, durant la période précédant le succès, Karine a travaillé pour Alessandra ? Typique de la question à éviter. Evidemment elle sait qu'avant de craquer et de revenir avec elle, ou bien pour ne pas craquer grâce à elle, grâce à mon retour, enfin bref, je tente ma chance d'échapper à tout ça en ayant recours aux filles d'Alessandra. Je n'ignore pas que le remède ne remédie pas, j'essaie quand même; le résultat des mêmes actes est chaque fois le même, l'échec d'échapper semble m'être nécessaire. Pour ce qui est de son retard au concert, ses fans auraient été sacrément surpris si elle avait commencé à l'heure, Karine tient à mettre en évidence son statut de vedette, elle se fait désirer (dans tous les sens du terme). Je le lui dis et elle s'en amuse : "Tu es mon motif préféré; je suis fautive de toi, mon amour." Elle rit.

Ce qui amuse Karine m'est profondément étranger. Je suis un homme sérieux. Professionnellement. Et sexuellement. J'ai des références (femmes). Elles me classent en tête parmi les mâles à cinq coups et même les mâles à six coups. Donc aucun complexe. Je ne suis pas fidèle; je suis prisonnier de Karine. Elle me laisse partir sans problème, elle sait que je serai obligé de revenir.

Chaque fois que je reviens je revis ma rencontre avec Karine. On m'avait traîné, je ne sais qui, à un concert, je me rasais, je pensais à autre chose, je dormais éveillé dans le boucan musical, et soudain j'ai entendu, j'ai regardé la scène : Karine chantait "Akhenaton". Sa chanson venait jusqu'à moi, un hallucinogène musical qui m'arrachait à la misère de ma vie, ces jours qui ressemblaient aux jours, sans autre espérance que leur éternelle répétition, pour ne pas tomber de ces jours de privilégié de l'argent, du sexe, de la position sociale. La répétition fut rompue. Karine avait trois chansons dans cette soirée, elle n'était pas encore la seconde partie à elle seule. Je me suis approché de la scène comme le poisson ferré est attiré vers la rive. J'étais juste devant elle. Karine a ri. Elle venait de finir la troisième chanson. Elle s'est assise sur la scène juste devant moi, elle a fait un signe, Eric souriait tout là-bas, et elle a repris "Akhenaton". Elle a eu un triomphe. Ensuite l'amie avec laquelle j'étais venu était mécontente, furieuse même, elle m'a laissé, elle est partie. Eric a été à côté de moi, il  m'avait  touché  le bras pour  attirer mon attention, il souriait, il m'a dit : "Viens, elle t'attend." Il m'a conduit jusqu'à sa loge, il nous a laissés. La voix de karine brisait la répétition. "Moi je te connais, m'a-t-elle dit, ta réputation court chez les femmes, c'est vrai que tu es un maquereau ?" Elle rit. Par la suite elle a toujours essayé de m'offrir des cadeaux. Elle aurait voulu que l'on me voie avec des objets de luxe, montre, téléphone, chaussures... que l'on saurait qu'elle avait achetés. Achetés pour moi. Je les ai obstinément refusés. Alors Eric les porte. "Tu vois, me dit-elle, lui ne fait pas le difficile, il les porte, il n'est pas capricieux comme toi." Qui est Eric ? je préfère ne pas y penser. Elle m'a emmenée ce soir-là, cette nuit-là en fait, dans son restaurant préféré, rendez-vous en vue après les spectacles, elle m'a affiché, officialisé en quelque sorte avant même que je sois son amant. Puis elle m'a emmené chez elle.

La répétition a fait place à une surface du monde craquelée dont les morceaux sur l'eau allaient à la dérive. Les jours nés des jours ignoraient leurs géniteurs, le moment présent ne se sentait pas sous le regard d'ancêtres, je voyais les gouffres, je voyais les abîmes, je ne pouvais rien. Il n'y a pas de solution.

Dès le lendemain notre "photo de couple" était dans des magazines, Karine me les a apportés au lit, m'a embrassé, lu les textes en riant et commenté gravement. C'est alors qu'elle m'a parlé d'Alessandra, elle me connaissait d'abord par elle; quelles avaient été leurs relations ? le plus souvent j'ai l'impression qu'elles ont vécu ensemble, d'autres fois que l'une a employé l'autre (Alessandra ? ou Karine lui a refilé un petit job qu'elle avait mis au point ? évitons de chercher), Karine fonctionne à voile et à vapeur, j'en suis presque sûr, du moins certains magazines le prétendent, en fait ils n'en savent rien, personne n'en sait rien.

Ma rencontre avec Karine a éveillé le somnambule. Etre éveillé ne sert à rien. Je voudrais me rendormir.

L'accompagner aux courses dès le lendemain fut une première expérience de la popularité, les regards sournois des clients et les sourires niais. L'attente à la caisse, la caissière, horripilantes. Karine adore cette gêne. Très à l'aise dans ce qu'elle faisait avant d'être connue et qu'elle s'obstine à faire - de temps en temps. Mais le pire est le jour du métro. La lubie semble lui venir subitement mais peut-être a-t-elle préparé son coup : aujourd'hui, expédition dans les souterrains du métro. D'après certains propos d'Eric, avec lui elle n'irait jamais. Mais moi, je dois subir ça. D'abord elle se prépare pour son anonymat. Dans des dédales étroits et populeux être reconnue cent pour cent présenterait un risque d'étouffement, de manque d'air, d'obstruction au libre passage des citoyens - dont beaucoup vont travailler - dur - loin de chez eux. Dans l'intérêt de tous elle se change en elle-même quasi invisible. Comme si une superbe fille pouvait passer inaperçue où que ce soit. Une fois atteint le point de métamorphose où Karine ne reconnaît plus Karine, elle passe à l'anonymat de ma personne. Bien sûr je vais porter des lunettes. Elle m'habille. Elle m'équipe à son idée, dépitée quand je refuse une bague (qu'elle a sûrement achetée exprès) ou... En général son idée est de me rendre voyant (mais transformé) pour éteindre en quelque sorte sa présence à mes côtés. L'expédition se fait quasiment sans parler. Elle savoure chaque regard interrogateur, chaque situation d'enfermement et d'ouverture, chaque risque d'être découverte. Une fois on l'a abordée, elle a répondu en ce qu'elle m'a affirmé être du norvégien - mais où l'aurait-elle appris ? Aller et retour, évidemment. Entre, elle a prévu un restaurant, un bar, parfois une exposition, un film, ou... un grand magasin. Elle ne me dit jamais avant ce qu'elle a prévu, elle prétend même qu'elle ne sait pas ce qu'on fera, vraiment pas. Mais elle sait très bien comment on y va. Elle a donc soigneusement repéré les changements et les arrêts. Ah, le grand magasin... On ne revient pas sans avoir acheté, vous pensez bien. Karine paie en liquide. Sinon on verrait son nom sur sa carte de crédit. Je ne découvre qu'au dernier moment qu'elle s'est trimbalée avec tout ce fric dans le métro ! Un jour dans un magasin, un petit, de luxe, la marchande ne voulait pas de tant de liquide, elle trouvait sans doute cette dame et le type voyant assez suspects. Pendant que Karine furieuse se heurtait à la caissière, j'ai dû parlementer en douce avec la marchande, lui montrer ma carte d'identité et payer avec ma carte de crédit; après quoi elle a dit à la caissière d'accepter l'argent de Karine, elle me l'a remis en douce et c'est moi qui ai dû affronter le métro avec une fortune dans les poches. Et en plus les paquets à porter. Karine ne peut porter qu'un petit sac, autrement ce serait incompatible avec sa dignité de femme. Et de vedette. Tout ça quand on est à Paris; dans notre région elle ne passerait inaperçue nulle part. Il faut voir son air triomphant quand elle a réussi une de ces expéditions. Jamais l'individu inconnu du moyen de locomotion popu n'a eu plus d'importance aux yeux de quelqu'un. Des années après elle se souvient de certains à cause de certaines situations qui... une fois, elle a prétendu en reconnaître un, on l'a même un peu suivi. "C'est notre vedette", me disait-elle en riant suspendue à mon cou.

 

 

 

IV

Devant la vague de violences, les partis politiques pris d'une crise de responsabilité décidèrent des réunions publiques. Ils prenaient leurs fameuses fumeuses responsabilités. Eh oui. Parfaitement. Autrement dit ils demandaient avec véhémence aux autres partis de faire leur mea culpa. Que les responsables s'avancent, la corde au cou ! Mais nul ne s'avançait. Dans les autres partis, ceux dans lesquels sont les coupables, les gens manquent de courage. C'en est affligeant. Les nantis de la pli'tic s'angoissaient de l'assèchement du pactole si la libre circulation de l'argent était arrêtée par des barricades contestatrices, voire révolutionnaires. Il fallait parler, dire des dires, discourir des discours, alerter des alertes. Le peuple doit comprendre le dramatique de la situation. Aux armes, citoyens ! Fric se taille, pétro-dollars se défilent, la bourse se casse sa gueule dorée. Patatras les finances, patatras les profits. Or depuis que la république s'identifiait au capitalisme elle s'identifiait au profit. L'assemblée nationale légiférait à l'ombre de la bourse.

Paul, de gauche, s'était toujours senti "la gauche". Il ne se considérait pas seulement comme représentant parfait de la gauche, il l'incarnait. Il était elle, lui. Quelques grands hommes au cours de l'histoire ont pu incarner l'état. L'Histoire s'inclinait devant eux. Respect, ô homme de la Providence. Mais les temps étaient ingrats. Le prédestiné restait au placard. Ouvrez ! Ouvrez ! Tu nous donnes combien pour qu'on te laisser rétablir la république ? Fric chasse France de chez elle. Il se veut seul maître. Pour lui il faut une immigration plus forte, pour braves chiens il a les médias et les niais, les associations; mais comment persuader la population quand elle est terrifiée par la continuelle agression maghrébine et nègre sur ses terres ? Beaucoup d'hommes et de femmes politiques sont avocats de profession; ils allaient plaider.

Oh les beaux discours que l'on a eus. Si on n'allait pas dans les salles on était bien obligé de les gober à la télé pas'qu'i avait rien d'autre; les salauds, ils avaient pris la place des programmes.

Mais Paul se rendit sur le terrain. Y avait la télé qui enregistrait. Il se coula du public au micro et comme un p'tit gros à binocles occupait avec insistance la tribune, voulait avec obstination que l'orateur ce soit lui, être le seul orateur, il le bouscula un peu beaucoup, bref il le cogna parce que dans les droits de l'homme il y a le droit d'expression et que le droit d'expression dépend du droit de parler dans le micro. Et devant la télé. Mais le type était connu, c'est-à-dire qu'il avait des relations, des types qui avaient intérêt à ce qu'il soit connu parce qu'il dirait ce qui les servait, on avait donc souvent mis sa bobine dans la télé, tandis que Paul ne l'était pas. Ainsi un 14 juillet un type connu préside un défilé de l'armée, à qui il a fait tuer un nombre certain d'individus, et un autre type pas connu sort un fusil pour le tuer lui seul, on arrête le type qui n'est jamais passé à la télé. Paul savait qu'il n'aurait pas la durée, mais il avait le direct, ce qui est appréciable, les services d'ordre ne vous cognent pas dessus tout de suite quand une caméra filme, ils tentent de trouver une autre solution; comme il n'y en a pas, on arrête le direct et ils vous cognent dessus.

Paul démonta en quelques phrases le capitalisme assassin des libertés et des patries. Le dollar livrait des pays libres aux musuls contre du pétrole. La solution consistait à rendre le pouvoir au peuple. Mais en fait comme les politiques ne rendraient pas le gâteau il fallait la révolution. Paul voulait mettre la tête du p'tit gros à binocles au bout d'une pique, il aimait les traditions de son pays. Une période de foutoir complet était nécessaire avant de passer  à la reconstruction fraternelle. Oh les beaux jours ! L'adorable perspective ! Une humanité dédollarisée avec chacun chez soi, les musuls chez les musuls, les anti-racistes chez les musuls, les médias chez les musuls, et nous enfin libres.

Paul agissait. Action ! Son film TV n'aurait aucun succès. Il s'y attendait. Il était sans illusion sur le degré d'abrutissement des masses laborieuses. Mais l'humanisme exige de se faire des films d'action.

Bien sûr l'Histoire a un sens. Et un sens obligatoire ! Mais le sens obligatoire est aussi un sens interdit. Un sale coup des religieux. Et des friqués qui se servent de la religion pour prêcher la soumission, mais derrière le masque divin serein, se tord de rire Fric qui fait la fête en se tapant des pucelles. Les médias achèvent le travail de lobotomisation. Ils réussissent à faire croire aux travailleurs d'un pays qu'une immigration forte de travailleurs étrangers que l'on pourra payer moins cher ne nuit pas à leur emploi. Les économistes bien payés viennent l'affirmer publiquement et alors il font des carrières universitaires. Paul en appelle au bon sens contre les discours savants qui peuvent se prétendre justes parce que personne ne les comprend. Le savant et le politique justifient la bombe atomique, la bombe économique de l'immigration, la bombe des moeurs pourries des médias, tous des avocats au service des affairistes.

Dans son court discours Paul réussit à introduire le présent d'autrefois. Avant l'immigration insensée de Chosset au service de l'étranger. Ce présent introduit dans le présent actuel était lui aussi une bombe, il le faisait exploser, des morceaux projetés ici et là apparaissaient dans leur vérité, la jolie enveloppe peaufinée par les avocats et leurs aides, les Pénélope de la déco, ne cachait plus, on voyait ce qu'il y avait en-dessous. Le traître Chosset, aux poches pleines, devait être puni; que l'on fonde son or et qu'on lui en emplisse la panse. Comme pour Paul il n'y a pas d'au-delà il faut punir avant la mort. Et frapper les esprits d'une terreur qui traversera les siècles.

TV coupée le héros fut malmené. Les sbires du fric de gauche n'étaient pas plus doux que les sbires du fric de droite, l'argent et la force n'ont pas d'opinions politiques et leur odeur commune, la sueur, il y a longtemps qu'ils l'annulent avec de l'anti-transpirant, ils ont donné les ordres aux savants pour leur inventer ce qu'il leur fallait. L'humanité progresse, elle fonce même, en plein sens interdit, c'est l'interdiction qui crée la joie du progrès, l'ivresse. Le honni tabassé ne jouit pas de son anti-popularité. Il avait trop mal de sa réussite personnelle. Il souffrait un peu partout de sa réussite. Brève, condamnée illico par le brave Pourat et la brave Louzette, mais nationalo-politico-télévico. Gloire à ceux qui ne vont pas droit, ces saouls de la pensée, au moins ils zigzaguent dans le sens interdit, ils ne foncent pas comme des aveugles en criant "ah c'est bon ! ah c'est bon ! c'est bon puisque c'est tout droit !" Bien poussés ils prennent le même chemin que les autres mais eux ne s'en glorifient pas et au lieu de se prétendre organisateurs ils se demandent comment on les pousse. Paul manu militari fut reconduit à la colline vaguement inspirée. Il ne s'en formalisa pas, il avait besoin de récupérer.

 

 

 

Moi je suis du côté de la gaîté; partisan je reste, des soirées alcoolisées, des belles filles putes, des drogues qui mènent ailleurs, du tabac qui tue, de la vitesse qui tue, de la fête qui tue mais rien à foutre, fais ton régime j'me charge du délicieux, cours, cours, vas-y, je reste au lit, dans ta course anti-bide, anti-déprime, anti-graisse, anti-tout, tu pourrais m'apporter mon p'tit déjeuner au lit ? en passant je veux dire, tu ne t'arrêtes même pas. L'humanité fait son jogging dans le sens interdit, sans moi. Merci bien. J'ai des tas d'choses à faire. En particulier rien, qui m'occupe énormément.

La kermesse hurle et je danse et je danse, il y a des manèges, avoir la tête en bas que c'est bon, heureux les temps où il suffisait de changer d'hémisphère, la terre est une tête et je suis un de ses neurones incontrôlables, que la terre ait mal de moi, on ne se venge jamais assez d'être là.

Devant Dieu et les hommes, je dis fièrement : Je suis le Déserteur ! celui qui a fui tous les pièges, celui qui fait la nique aux larbins, je sais ce qu'est la piège d'une responsabilité, le piège d'une famille, le piège d'un devoir, le piège d'un pays, le piège d'une ethnie, le piège de l'entraide, le piège des sentiments, le piège de la solitude, le piège de l'argent, le piège de la pauvreté... le neurone fou déserte de la terre, il vit la joie. Désertez ! Désertez !

 

 

 

"Ils ont tué des enfants", s'indigne le Pourat bonne place bien payée; "c'est ignoble". Des vieux s'étaient fait exploser en terre ennemie des cités de conquérants. Quand un vieillard était assassiné par eux, selon Pourat le fait était peut-être grave mais compréhensible car ils n'avaient pas de travail ici, chez eux non plus mais la question ne se posait plus puisqu'ils étaient ici; quand un agresseur était tué par un vieux agressé qui se défendait faute de pouvoir compter sur l'imprévisible police, Pourat et la justice encadrée par les médias lui réglaient son compte : on ne tue pas quelqu'un pour des biens matériels ! une vie vaut plus que des choses ! Bien sûr, qui dit le contraire ? Et en appliquant ce principe, excellent d'ailleurs, bientôt t'as plus rien. Or là... la tuerie en grand... l'horreur, sénile évidemment... Lindrone gueula en TV contre les vieux. On passait sous silence que les envahisseurs se cachaient systématiquement au milieu des enfants pariant sur la sensiblerie chrétienne, omniprésente même chez les athées, qui n'était pas la leur. Tout le discours Pourat Lindrone était archi-connu. On l'entendait avec les pubs sur les fast-food quicains, sur les cinés quicains, sur le coca quicain, sur... Truc connu et résultats vus quotidiennement. Beau discours, résultats de merde. Conclusion ?

Lindrone disait : "Puants, puants ces vieux, aaah je vomis, aaah, ils me donnent envie de vomir, je vomis sur ces vieux". Les pas collabos le puant Lindrone à l'odeur de vomi leur réglait médiatiquement leur compte sans problèmes avec la justice car il était riche et les autres étaient pauvres : lui il tournait ciné des conneries qui remplissent les poches. Le meurtre certes est globalement interdit, mais (car il y a un MAIS) on doit être compréhensif envers les envahisseurs qui nous tuent parce qu'ils sont pauvres, pour prendre notre place chez nous, et blâmer avec la dernière force les nantis des pays riches, non pas les riches des pays riches, les nantis dont il s'agit sont les pauvres des pays riches, lesquels comprennent mal qu'ils sont des nantis et doivent partager. Lindrone n'a pas à partager son palais au Miarôque, ni la pactole ciné françouè, ah françouè, je crache sur françouè, je crache sur cocorico, vivent les quicains ! vive la mort de cocorico, tous métis, vive le métissage bougnoulo-négro, à mort le cocorico, les médias sont là, ils se chargent de le tuer.

Chaque jour voyait la réapparition d'une horde, en tel endroit, en cet autre, une apparition-éclair, puis disparition, plus rien, introuvable. Selon la police. Selon la presse. Selon les politiques. Vous auriez demandé à n'importe qui dans la rue, il vous aurait indiqué : oui, par là. Mais le racisme seul, voyons, pouvait faire donner des informations pareilles en désignant du doigt les cités dont la gangrène d'ailleurs avait touché nombre d'autres lieux. Les kamikazes du quatrième âge n'étaient pas une solution, l'hypocrisie médiatique non plus, la lâcheté politique encore moins. On vivait dans une guerre de harcèlement, une guerre dont on taisait le nom, raciste qui le dit, la justice servait à faire taire, faire taire, faire taire, surtout qu'on ne dise pas, empêcher les gens de dire, empêcher les gens de parler, raciste qui dit, raciste qui parle, c'était la guérilla incessante, les attaques imprévisibles, des morts chaque jour couverts par les médias : Les Françouès ont cherché à se défendre ! Voilà le crime : se défendre. Raciste qui se défend. La guérilla partout. La guérilla quotidienne. L'ennemi sort de l'ombre. Il disparaît dans l'ombre. On se plaint ? Je porte plainte ! La police enquête, gravement. Vous savez, il n'y a pas qu'vous. Alors que s'est-il passé ? Je viens de vous le dire ! Eh bien recommencez. La guérilla. Sur qui portera l'attaque aujourd'hui ? Ce qu'il y a de certain c'est que la police ne sera pas là. Les hordes sont renseignées, probablement. Elles ont des complicités dans la police. La guérilla. A qui le tour pour être maltraité, volé, peut-être tué ?

Louzette finit par donner un chiffre du nombre d'assaillants : ils étaient neuf. Oui, neuf en tout ! Et on condamnait  toute  une  communauté  à cause de neuf individus que la police se montrait incapable d'arrêter ! Du coup la police devint curieuse et voulut savoir d'où Louzette tenait ce chiffre, d'où elle tenait ses informations, qui auraient, si on la croyait, permis d'arrêter les criminels. Elle se retrancha, évidemment, derrière la haute morale journalistique de protection de ses sources, le secret professionnel. Mais le chiffre était sûr certain. Neuf ! Aux mille bras, probablement.

Le Haut Conseil Musul publia un communiqué. Kamikazes quand on est vieux est plus facile que quand on est jeune, on n'a rien à perdre; c'est dégueulasse que des vieux tuent des jeunes. Et raciste. Les musuls, eux, sont taulairants. Mais pauvres. Il faut partager avec les musuls. Donne, donne. Comme ça tu s'ras pas tué. Et v'là. Tout simple. Suffisant d'être taulairant. Et pas raciste.

La volonté partout, la bonne, la mauvaise, la volonté d'agir, d'aller de l'avant, où ? ça... se gonflait pour devenir aussi grosse que le boeuf, que l'éléphant. Déjà tout allait de travers, mais quand la volonté s'y met, forcément c'est pire. La pression monte. Les bouchons vont sauter. La situation cessera d'être pourrie pour devenir une catastrophe. Noble progression. Chacun s'interrogeait en conscience : Que faire ? que faire ? Il répondait : Il faut la volonté de s'en sortir. Je veux je peux. Qui voulait quoi ? La volonté est soeur du rêve. Le seul rêve qui hantait les médias et par conséquent tout le monde était de se remplir les poches, fric.

Innocents ! Innocents ! Innommables innombrables innocents ! Des innocents tabassaient des innocents. Des innocents volaient des innocents. Des innocents tuaient des innocents. Tant que les gens sont bons, c'est moins grave. Le plus innocent selon les médias et même son successeur était Chosset qui avait de force mené son pays au désastre. Toujours très souriant devant les caméras. Il n'y a pas d'innocent. Mais pour les anges, eh, pas difficile, ils ont le couvert et le logis et... Selon Pourat les vieux qui se faisaient exploser n'étaient pas innocents parce qu'ils étaient vieux, les jeunes qui les attaquaient quotidiennement étaient innocents parce qu'ils étaient jeunes. Pourat qui, en son djournal, donnait souvent des conseils au pape (marier les prêtres, demander pardon, d'venir musul), était le sage, le divin devin, le médiatologue-politologue-savantologue, le chantre djournalistic du progrès, progressons mes frère, ne résistez pas au progrès envoyé de Dieu, laissez-vous piller et tuer, le progrès est le remplacement de vous chez vous par d'autres venus de musulie, mourez heureux dans le fabuleux progrès. Il en oubliait son pluriethnisme multiculturalisme pour vous balancer à la guillotine ou à la poubelle grâce aux foules en bateaux qui débarquaient sans cesse venue des pays musuls de la misère. Pourquoi toa pas comprendr' qu'cé progrès que des gens qui ne parlent même pas ta langue et ne se soucient pas de l'apprendre, d'une autre culture, d'une autre civilisation en fait, qui font disparaître la tienne, qui à la place de ta civilisation ont papiers, j'veux papiers j'ai papiers j'suis chez moé, prennent ta place. T'as peur de quoi ? Faut pas avoir peur. Bons p'tits musuls, Pourat l'a dit, qui a reçu cadeaux, et Chosset et ses copains milliardaires, s'ils sont contents, alors tous contents; ou t'es raciste, bien sûr, c'est ça.

 

 

 

L'ambulance de Jean tâchait d'éviter la police employée aux razzias pour remplir le bateau de la médecine. Il risquait de ne pas être rentable, il fallait ren-ta-bi-li-ser. Néanmoins à un carrefour tenu par cinq képis et trois blouses blanches - ils s'étaient si bien planqués qu'on avait cru le passage libre -, elle se retrouva comme dans une nasse. Ni avancer ni reculer, les rusés avaient jeté des plots sur la voie dès qu'elle s'était engagée, devant d'abord, derrière ensuite. Un cri fusa : "C'est lui ! C'est son ambulance !" La médecine allait pouvoir le médeciner; de force pour son bien, car elle a le savoir et vous, vous ne l'avez pas. Quand on sait, on a le droit pour soi; celui qui fait le bien est bon, celui qui est bon doit être aidé par la force publique, celui qui est aidé par la force publique qui représente le droit a le droit, celui qui a le droit vous charcute s'il le juge bon.

Le chauffeur ne s'affola pas. Il n'était ni bon ni médecin, il était au service de Jean. Pour lui la parole de Jean était supérieure à tous les savoirs. Les savoirs sont les marches d'un interminable escalier dont on ne verra jamais le bout, la parole de Jean vous introduit dans le monde d'en-haut directement, bien mieux qu'un ascenseur, avec lui on est reçu, on est admis. Troquer de l'éternité contre des savoirs serait un marché de dupe, convenez-en.

Ecraser quelques officiels est plus grave qu'écraser des non-officiels quoique ce soit pareil. Sans vouloir faire des comptes macabres, un policier égal un médecin et demi ou trois infirmiers, à peu près; mais s'il s'agit d'infirmières, ce n'est plus exact car médiatiquement l'infirmière écrasée produit plus d'effets secondaires que l'infirmier; ou alors, pour retrouver les proportions il faut mettre à la base une policière au lieu d'un policier. Ceci sans vouloir énoncer de choquants calculs. Bien sûr un policier = à peine un bras ou une jambe de journaliste. Pas pour vraiment évaluer, je signale, v'là tout, histoire de donner une idée juste aux pas clairs du ciboulot. Aux perdus de la table de divisions. Le politique, lui, tout dépend de son grade; de rien à moyen. Pas plus. Parce qu'il y a trop de gens prêts à le remplacer. La demande est supérieure à l'offre. On n'a pas le temps d'enterrer que la place en vue est prise. Et quel que soit le danger. Les médias doivent couvrir l'actualité, l'actualité est le changement, elle s'arrête à l'entrée du cimetière, "laissons reposer les morts" et on s'tire vite, rapido presto.

Fonce mon gars. Par les côtés. Ce ne fut pas un ordre de Jean - Jean ne donne jamais d'ordre à personne -, ni un conseil de Jean - il ne conseillerait pas à une mouche de liquider un puceron -, simplement l'instinct de conservation de l'ambulance, si l'on peut supposer une communauté de refus d'obtempérer de ses occupants, l'emporta sur l'instinct de conservation des assaillants. Qui se trouvaient avoir le pouvoir légal. Bilan ? L'infraction au juste comportement routier, aggravée par le refus d'obtempérer, s'alourdit de deux morts sur le coup qui se relevèrent presque tout de suite, pas morts dans la durée mais la tentative réussie de fuite n'en devenait pas mois tentative d'homicides. Les morts indignés étaient un policier et un médecin ou infirmier, on ne sait pas trop, ce qui complique l'estimation du forfait. Non qu'il s'agisse de compter, pas du tout, mais administrativement on a besoin d'être clair sur ce que l'on reproche à des gens.

Liberté ! Liberté chérie ! L'ambulance fonce joyeuse, sans aucun but, pour rien, sans projets. Libre de désirs et de devoirs, pleine d'entrain sur la route pleine d'embûches. O joie de la balade quand il ne pleut pas, que l'on a à manger et à boire ! Que le monde est beau, vu de loin, d'en haut, à condition de ne participer à rien !

Le bateau médical fonctionnait à nouveau au minimum vital pour lui; il risquait de perdre les crédits; il risquait la casse. Heureusement pour le salut de la chirurgie, de la médecine et de la psycho les hordes devenaient de plus en plus violentes et en passant derrière elles les ramasseurs de la santé avaient de quoi vivre. On en n'était pas au taux de remplissage qui justifierait une annonce officielle mais on progressait doucement, les chiffres étaient bons, meilleurs que les médecins affirmaient déjà de mauvaises langues, d'ailleurs si les médecins sont trop performants ils risquent de décourager la maladie, ce qui relève d'une attitude non-productive - nous plaisantons, ces braves bravaient le mal, ils faisaient honneur à leur serment fondamental sur des tas d'choses; du moment qu'on ne proteste pas, qu'on ne résiste pas, qu'on ne pose pas trop de questions, qu'on ne se prend pas pour une personne, qu'on n'est pas énervé, qu'on ne décourage pas les autres...

L'ambulance sauvée d'un côté fut agressée par Scylla. Une horde revenait d'une expédition les bras chargés de biens et elle souhaitait un moyen de les transporter moins fatigant et plus pratique. Un malade prend la place d'au moins six téléviseurs, deux réfrigérateurs, quatre ordinateurs, cinq enregistreurs médias, deux climatiseurs, plus des bricoles. La santé occupe un espace, un moyen de transport nécessaire à la libre circulation des produits; elle est d'une utilité indiscutable mais peut s'avérer un réel handicap pour une société moderne à cause de son coût exorbitant qui finit par pénaliser l'économie. La horde n'était pas sentimentale. Son projet consistait à sortir Jean et les autres et, en conservant le matériel médical qui peut servir un jour, qui sait, à remplir l'espace libéré par des objets correspondant aux besoins de la vie moderne. Un des siens, qui n'avait plus le permis à cause de son goût pour les courses de vitesse sur parking, conduirait la camionnette de déménagement, elle-même entièrement récupérable. Les intentions de ces jeunes étaient bonnes, mais seulement en ce qui les concernait.

Jean et Sandra avaient déjà été descendus. La belle fille suscitait des convoitises. Certains la trouvaient supérieure aux téléviseurs. Il y eut débat. Le chauffeur n'avait pas renversé un policier et un médecin (ou infirmier) pour être trop regardant sur quelques "jeunes" qu'on n'aurait même pas su comptabiliser; quelle erreur de logique de ne pas avoir d'abord obligé à descendre le chauffeur ! Comme on était pressé de repartir avec son véhicule on avait négligé de lui ordonner de couper le moteur ! Il fonça brusquement sur les imprudents devant, il recula en biais vers la gauche particulièrement peuplée, repartit vers l'avant, recula en biais vers la droite particulièrement peuplée, repartit vers l'avant, recula vers Jean et Sandra qui remontèrent, recula porte arrière fermée sur des "jeunes" qui eux avançaient, repartit vers l'avant et disparut. Nous avons affaire là à un cas majeur de cynisme sans scrupule. Car, nous avons oublié de la préciser, chaque manoeuvre renversait quelques individus, les plus faibles probablement, ceux dont les réflexes étaient les plus lents, et ceux qui s'étaient imprudemment placés devant le véhicule pour le contraindre à s'arrêter ne se relevèrent pas après son départ parce qu'il leur avait roulé dessus. N'exagérons rien, ils auraient pu être sauvés; mais il aurait fallu une ambulance.

On ne peut prétendre que la parole de Jean valait plus qu'une vie humaine, ou deux, ou trois... La vie humaine n'a pas de prix déterminé, la parole de Jean non plus. Toute comparaison serait vaine. Du moins dans l'absolu car si l'on prend le point de vue du chauffeur il a raison et si l'on prend le point de vue de la horde l'un des siens valait plus que les vies de Jean, Sandra, le chauffeur et l'aide-soignante réunies. Mais moins qu'un téléviseur grand-écran. Le calcul est impossible. La culpabilité dépend seulement du point de vue adopté. Et comme on n'est pas obligé de juger, on peut s'en passer.

 

 

 

Troisième partie

 

 

I

Barthélemy et Laurent allaient au lycée assez souvent. Mais ces jeunes avaient leurs problèmes eux aussi. Les réveils ne sonnent pas à l'heure, les bus ne passent pas à l'heure, les encombrements dépriment, les cantines flanquent des gastros, la pluie mouille les écoliers... Le jeune entre dans la catastrophe planétaire avant de savoir penser; ensuite il découvre que savoir penser ne sert à rien. Le réveil se fout de la pensée.

A la tête du noble établissement des dures études était Brouboule. Il ne cachait pas sa fierté de se retrouver là; c'était vraiment inattendu; lui n'avait jamais compris les trucs durs d'un tas de matières, il lisait uniquement les textes administratifs nécessaires, et encore pas tous, pour le reste... la culture françouèse lui paraissait un casse-tête alors il plaidait pour le multiculturalisme qui permettait de ne pas la connaître. Comment avait-il atterri là ? Et pourquoi pas ? Pourquoi les bons postes bonnes planques i s'raient pas pour tou li mond' ? Quel rappaport entre le fait de comprendre Mondiaire, Cornouille, Radine et l'aptitude à diriger ? Je dirige ! Je conduis ! Son enthousiasme de gauche, son engagement sans faille lui avaient donné les relations, les copains qui créent les carrières. Fugitif Conseiller général, plusieurs fois Adjoint au maire d'une petite commune, syndicaliste fanatique (avant de devenir dirigeant), enseignant épisodique d'une matière technique qui ne doit pas être dévalorisée en ne permettant pas les belles promotions, il avait obtenu des siens par la cooptation vaguement déguisée en concours la réussite de la nomination au poste de proviseur de lycée technique. L'ambition vient en mangeant. Quand on en eut assez de lui où il était, et cela ne tarda pas, il demanda une nouvelle promotion ou bien il ne partait pas. Les copains d'gauche, souverains quoique le pouvoir politique soit de droite - et même d'autant plus - ne nommèrent à la tête d'un lycée d'enseignement général. Il fut aux anges ! Le voilà devant, lui l'élève nul paraît-il, devant ceux qui enseignaient les matières auxquelles il n'avait jamais rien compris ! Notamment le françouè, contre celle-là il avait une rancune particulière parce que l'on avait voulu le forcer à lire des livres épouvantablement gros. Non mais. La cjultur ça sè à 'ien, main'nant y a l'progrès, y a le multiculturalisme. Encadré par les soldats de la gauche il occupait ses fonctions en livrant à son échelle une guerre farouche à la France. Il tenait des discours dans lesquels il expliquait vouloir sauver les jeunes du conservatisme, pour les ouvrir au monde nouveau, tous métis et surtout pas de culture françouèse. Les coups bas contre ceux qui l'enseignaient en la connaissant lui semblaient permis; les autres étaient des pédagogues; les gauchistes nommés inspecteurs, la Bigearde, Liaunyaise, ex-institutrice, l'aidaient de leur mieux. L'ignorance culturelle était la voie du progrès.

Barthélemy et Laurent avaient eu affaire plusieurs fois à Proviçat. Ils le jugeaient demeuré. Lui s'étonnait que des p'tits jeunes, car ce sont des jeunes eux aussi, ne semblent pas spontanément de gauche ainsi qu'il l'avait flairé lors de leurs vagues entretiens. Les récalcitrants au progrès, aux nobles idéaux socialos il en tenait la liste, on n'est jamais trop prudent; à défaut de la capacité intello, il possédait le nez, le flair des fins limiers, il aurait pu être un espion de Staline, mort hélas hélas, Marx ait son âme, un délateur de l'inquisition, un... enfin ces gens-là sont de toutes les époques mais c'est la première fois dans l'Histoire qu'on osait les mettre à la tête des établissements scolaires (quoique certains des religieux aient eu une réputation sulfureuse, il faut le reconnaître, mais l'école laïque en plus avait bénéficié du progrès). Donc un fossé s'était creusé entre l'administration scolaire et des jeunes même pas défavorisés. La raison, selon Proviçat, se trouvait dans ce regrettable accident social : n'étant pas défavorisés ils comprenaient moins bien, forcément. La vérité leur était masquée par les avantages sociaux dont ils bénéficiaient. Certes ils étaient excellents en maths et mauvais en françouè, mais ce bon point pour eux n'était qu'apparent; ils n'avaient pas la foi; le prof de philo les avait à plusieurs reprises dénoncé à Proviçat : aucun d'eux ne connaît les manifestes révolutionnaires, lors des grèves ils ne viennent pas crier les slogans, dans l'atelier de création de tracts, atelier utile pour savoir lutter contre l'oppression de la drouète, ils restaient les bras ballants ou ils faisaient de la provoc. Oui, Monsieur, de la provoc ! Ces deux-là étaient des révisionnistes. Des cromagnons. Leur prof de SVT toujours excitée avait compris des trop mignons, elle n'était pas une intellectuelle elle non plus, elle s'entendait bien avec Proviçat mais elle préférait les jeunes. La diversité ethnique de l'école, destinée au progrès du métissage, ajoutée à la mixité sociale ne pouvait qu'aboutir à des lendemains qui chantent. En effet tout était bon dans la théorie. Mais la violence, les clans, les agressions se développaient. Il y avait des ratés dans le système. La raison très profonde, selon Proviçat, approuvé par Nique-ta-mère rectum de cette académie, aveuglait : des trucs de drouète, comme le niveau scolaire, altéraient la limpidité moderne. On avait alors créé une nouvelle manière d'évaluer l'école et de considérer la valeur de la formation des élèves. Il suffisait d'y penser : si les résultats ne sont pas bons (selon les organismes internationaux notamment), il suffit pour y remédier de modifier... la façon d'évaluer, les critères d'évaluation. Quoi dit quoi fait. Mais pour les ratés ils continuaient.

 

 

 

Ils s'en vont en guerre, Barthélemy et Laurent. A défaut de gloire le combat les attend. Ils ne sont que deux contre des hordes et contre une décadence des leurs telle qu'elle rend impossible leur réveil. La fleur au fusil, le sourire aux lèvres, ils vont. Ils n'attendent ni médailles - ceux qui les donnent sont corrompus - ni remerciements de la patrie; même s'ils meurent au champ d'honneur; les collabos iront cracher sur leurs tombes. Ils affrontent le Goliath des médias, un monstre de propagande déguisé en journalisme et en arts des images et du son. Ils sont seuls. Ils ont en eux la noblesse de leurs ancêtres qui ont combattu pour cette terre qui est la leur. Ils ont en eux la force du droit contre les lois, la force de la tradition contre la trahison, la force du sacré contre la bassesse, l'argent, la religion d'importation. Ils n'ont rien. Ils ont le devoir.

Ceux qui n'ont pas les historiens pour eux ne seront pas les héros. Ceux qui ont combattu n'auront pas les honneurs de papier après avoir été volés de leur pays. Le merlet d'une cité voisine vient de faire déplacer un monument aux morts de la guerre de 14-18; il a expliqué que celui-ci gênait un projet d'agrandissement de la gare ou de la route, il ne savait trop, qu'il gênait, quoi; ce rappel des morts pour la France le gênait lui qui importait du musul en se faisant glorifier par les médias pour sa générosité, pour sa fraternité, son accueil de l'étranger (à condition qu'il soit musul), sa haine de la colonisation (pas celle de son pays par les musuls), son emploi des fonds publics au service du multiculturel musul et du pluriethnique musul. Et pas dire musul ou t'es raciste. Sale raciste. Xénophobe, ouais, racistes xénophobes tous ceux qui s'opposent à l'invasion arabo-noire musul. Lui, Merlet, dans le sens du progrès ! Et les poches pleines.

Dans l'éduc aussi on faisait carrière sur ces nobles critères. Proviçat et Bigearde et Liaunyaise et Nique-ta-mère pouvaient en témoigner. Ils ne le feraient pas, évidemment. Mais en temps de respect de la France aucun d'eux n'aurait jamais pu atteindre le moindre poste de responsabilité. Il avait fallu les prendre à ceux qui auraient dû les avoir. Il avait fallu gangrener le pays, le pourrir par les médias, les chanteurs drogués, les acteurs putes, les journalistes vedettes, pour que les derniers soient les premiers et donnent des ordres aux autres. Ils avaient tué l'école de France, ils avaient les poches pleines et le pouvoir, ils se fichaient bien des résistances qu'ils appelaient forces réactionnaires, vocabulaire habile destiné à tromper les naïfs, les citoyens peu habitués à la manipulation mentale des spécialistes des médias.

La défrancisation par l'appât de Fric et sous le fouet de Générosité étendait ses tentacules sur le pays drogué. Drogué de force par Pourat et Louzette et Lindrone et leurs acolytes, notamment au moyen de la plus insidieuse des drogues : la répétition; elle a le pouvoir de rendre indubitable la plus stupide des affirmations, inébranlable la plus vacillante des convictions, certaine la plus douteuse des idées. Dans la lointaine contrée où les ânes vivent libres, leur assemblée se réunit. Le pré choisi était d'un vert merveilleux, l'herbe y était d'un goût délicieux. L'ordre du jour était d'importance : il s'agissait, ni plus ni moins, de savoir si la peste était un âne et de ce fait devait être accueillie parmi eux. Le problème était si complexe, si compliqué qu'une foule d'experts était nécessaire pour le résoudre. Un âne expert en charité déclara que les ânes du pays de l'herbe verte vivaient trop heureux, on ne pouvait l'accepter plus longtemps; ne se sentaient-ils pas coupables ? Ils l'étaient pourtant. D'autres  meurent  de faim et font plus d'enfants que vous ! Un objecteur en conscience fit remarquer que ces affamés étaient donc des irresponsables et qu'ils ne mourraient pas de faim s'ils limitaient d'abord les naissances, mais l'expert indigné, d'ailleurs partisan de la limitation des naissances dans ce pays-même, hurla que l'on devait accueillir ces pauvres petits enfants et leurs parents, tous ces pauvres petits enfants et tous leurs parents affamés. Il y eut un peu de brouhaha. Mais on comptait sur l'expert suivant. Il s'agissait d'un âne reconnu, un grand expert en économie. Il fit d'abord remarquer que le  précédent  s'était écarté du sujet. Lequel était la peste. On n'avait plus de maître, pourquoi avait-on toujours des oeillères ? N'était-on pas capable de regarder la peste en face et de profil ? Non, elle n'était pas un âne. Elle était le progrès. Oui, ô mes compatriotes, elle sera l'ouverture au monde ! Au lieu de rester refermés sur vous-mêmes, ouvrez-vous au monde ! Changez de bonheur, votre économie grâce à cette mondialisation produira plus de richesses, la peste est un bien, elle vous conduira à un développement économico-politico-spirituèlo admirable, formidable, sensas ! Et ambitieux d'applaudir. On suspendit la séance pour brouter. Quand on sonna la reprise beaucoup rêvaient d'une petite sieste. Une douce torpeur les gagnait. Il fallait pourtant faire effort d'attention. Ils essayaient. Le bal des experts recommença. On avait eu recours sans hésiter même à des étrangers. Le renard expliqua qu'un renard est une sorte d'âne de petite taille, il ne faut pas rejeter les êtres de petite taille, ils ont plus de mal que les autres alors que ce n'est pas leur faute ! L'éléphant expliqua qu'un éléphant est un âne de grande taille et que leur herbe lui plaisait beaucoup... On n'avançait pas. On finissait toutefois par comprendre d'expert en expert que tout le monde était pareil et que tout le monde devait vivre ensemble. On n'avait pas vraiment parlé de la peste, mais puisqu'elle était différente, c'est qu'elle était pareille. La rejeter aurait été un acte barbare, disons le mot : dégueulasse; un refus des différences, voilà. Les ânes étaient nobles, généreux, tolérants. La peste fut légalement acceptée parmi eux.

 

 

Barthélemy connaissait un bon coin où on attrape aisément des arabes. Il s'agissait d'obtenir des informations. Que ce soit dans le civil ou dans le militaire, le problème est semblable, le plus fort est celui qui sait. Un p'tit chef, dans quelque domaine que ce soit, a du pouvoir parce qu'il peut savoir certaines choses que les désormais inférieurs ne peuvent pas savoir. Son pouvoir réside dans l'ignorance plus grande des autres. Il tient donc à la barrière, il la garde avec soin et la fait garder; que personne ne la passe et ait accès à l'égalité. Laurent inventa une sorte de filet, comme dans les histoires de sauvages en pleine jungle, et ils capturèrent deux femelles et deux mâles qu'ils chargèrent dans la camionnette empruntée au papa de Barthélemy. On alla dans les collines, plus précisément une ancienne grange ou hangar isolé afin de converser avec les prévenus. L'aide éventuelle de la coercition n'était pas dédaignée. Toutes les bonnes volontés sont méritantes. Les suspects n'étaient pas bavards. Il leur fallut dans la longue tradition une aide au bavardage. Toute domination est un viol. La lutte pour se sauver de l'invasion rampante n'était pas compatible avec les lois d'exception de Chosset mais pas davantage avec les autres. Pour vaincre il faut tuer - illégal -, torturer - illégal -, manipuler l'opinion - général mais illégal -, prendre l'argent de la guerre où on le trouve - récupération illégale -, l'utiliser sans appels d'offre - illégal - ... bref sauver son pays était un acte illégal. Ce dont Barthélemy et Laurent se fichaient désormais totalement. Les criminels capturés étaient de fortes têtes. Ils essayaient de profiter de l'inexpérience de leurs bourreaux. Ils se voyaient déjà de retour parmi les leurs en héros vainqueurs des dragons. La guerre sainte aurait conquis le reste des territoires en un clin d'oeil. Jouir d'une fille sans limite était une expérience entièrement nouvelle pour les artisans de la liberté, ils en oubliaient les aveux. Enfin la lucidité leur revint et ils écoutèrent un peu. Des traitements adaptés à chaque prisonnier donnèrent quantité d'informations inutiles. Inutiles d'un certain point de vue, celui de la localisation des hommes et des armes, car ils étaient répandus partout. Mais utiles quand même parce que fut prouvé - et enregistré - un projet encore vague d'islamisation de la région par la multiplication de l'immigration et l'importation de pondeuses qui tripleraient la civilisation de remplacement en quelques années. Ou quadrupleraient... Elles feraient autant de gosses qu'on le leur dirait, qu'il le faudrait. Les journalistes, politiques se baseraient sur les économistes pour parler sans rire de la forte natalité de la France. Les criminels avaient avoué et demandé pardon, ils furent enterrés très honnêtement.

On ne peut pas tout expliquer, paraît-il, quoique les religions expliquent tout. Le fait que Dieu soit incompréhensible explique tout. Louzette avait un idéal athée d'unification des hommes par la disparition des religions, mais comme elle ne pouvait oeuvrer partout elle ne luttait que contre la chrétienne, celle des "cités" n'était pas de son ressort, sa disparition n'était d'ailleurs du ressort de personne. Sauf de Barth et Laurent qui, très logiquement, avaient ajouté à sa disparition celle de Louzette. Celles de Pourat et Lindrone aussi. Entre autres. Vous ne pouvez supprimer un agent infectieux du corps social en laissant des possibilités de récidive. Tout ou rien. Les demi-mesures tuent le malade au lieu du mal.

Une fois informés de l'étendue de la cancérisation ils repartirent décidés à amputer. Il ne faut pas faiblir. Le mal compte sur la faiblesse du médecin, du chirurgien. Les politiques au pouvoir grâce au pouvoir des médias étaient trop occupés à peaufiner leurs carrières et à engranger les profits ainsi durement acquis pour lutter efficacement. De temps en temps ils avaient des velléités. Ils agissaient. Avec modération pour ne blesser personne, au sens figuré du terme bien sûr. La situation posait des problèmes mais où n'y en a-t-il pas ? Les problèmes ont un début, une adolescence, une jeunesse, une maturité, une vieillesse, et par conséquent une fin. Le grand politique est le politique patient. Il aide par ses discours les citoyens à attendre. A attendre que le problème meure de sa belle mort. La société après n'est pas comme la société avant parce qu'elle évolue. En effet il y a le progrès. Créé par la mort de problèmes qui ont eu le temps, ô oui le temps, d'en engendrer beaucoup d'autres. Quand une société a longtemps évolué de la sorte grâce à ses politiques, économistes et journalistes, elle crève de son évolution. Le désaccord avec Barthélemy et Laurent résidait dans l'issue fatale qu'ils prétendaient donc empêcher en amputant le mal et ses métastases. Là où les autres voulaient juste changer les idées de la société malade, lui faire croire que sa maladie était bonne, ils voulaient soigner et guérir.

L'ambition de l'idéal, effarante mais si compréhensible, imposait des mesures, des procédés, qui allient la précision du scalpel à l'efficacité de la bombe. "Une bombe chirurgicale" pour reprendre les propos des pince-sans-rire des médias lors des raids d'avions dans des guerres récentes. Il s'agit là plutôt d'une vision lointaine, très journalistique, de l'effet produit en bas, là où la frappe est "chirurgicale", mais l'effort a besoin de se soutenir le moral en occultant les conséquences. Pleurnicher sur son sort ne sert à rien; pleurnicher sur celui des autres quand on en est coupable, encore moins; mais ne pas agir et attendre c'est mourir.

Les bien-pensants sont souvent des lâches-pensants. On ne défend pas les siens parce qu'il faudrait être coupable. On préfère accuser les temps, le progrès, l'évolution inéluctable. On a une haute idée de soi, le navire coule, il aurait pu continuer de naviguer, il aurait fallu à temps jeter les insurgés à la mer; on a été bon, on a eu pitié; ils ont pillé, violé, démoli le bateau; le bateau coule, le capitaine salue les couleurs en train de couler.

 

 

 

Les hordes s'étaient multipliées, organisées. Elles existaient depuis des années mais à l'état embryonnaire, leur développement était spectaculaire. Les critères de chacune étaient précis, on n'entrait pas dans l'une ou l'autre sur faciès, il fallait prouver son origine ethnique ou pour d'autres son fanatisme musul. Au début des noirs étaient admis parmi les arabes mais une évolution rapide qui laissait penser à ceux-ci n'avoir plus besoin des médias et de la taulairance, avait abouti à une ségrégation quasi totale. Les noirs en avaient assez de ne jamais pouvoir diriger dans les hordes arabes et celles-ci les tenaient pour des inférieurs. Alors il y avait des hordes séparées mais dans la région on trouvait un noir pour sept arabes. Les affrontements n'en étaient pas moins inévitables, imprévisibles. Tour à coup on apprenait qu'une bagarre violente entre cent ou deux cents "jeunes" avait eu lieu. Soit préméditation de l'une d'elles, qui avait tendu une embuscade - pour des représailles en général - soit hasard. La police et la gendarmerie arrivaient trop tard. En infériorité numérique. Pour avoir une force suffisante il leur fallait le temps de faire venir des renforts. Le temps de comprendre la gravité d'un problème, d'avertir les autres unités, le temps qu'elles viennent... En admettant qu'elles ne soient pas déjà déployées sur leur secteur, ce qui était de plus en plus rare. De toute façon on arrivait sur place trop tard, la bataille était finie. On préférait arriver trop tard. De plus en plus. Des blessés et des morts policiers et gendarmes la liste commençait d'être longue. Les défections des musuls étaient désormais fréquentes, ils se sentaient plus proches de ceux qu'ils auraient dû combattre et après avoir joué le double jeu, mis dans la nécessité de choisir entre la république et les leurs, entre la taulairance et les leurs, ils choisissaient les leurs. Pourquoâ le pays pas d'v'nir musul ? Cé râciste d'pas d'v'nir musul. Eux t'lérants, oui, mais musuls donner les ordres, les aut' d'voir s'intégrer au nouvel ordre national, l'ordre musul. Les 'ichesses elles doivent êt' à ceux d'Alla pas'que. Pas b'soin d'aut' réson. Planète musul. Et supprimer le françouè. Chié d'apprendre françouè. Maomais pas l'connaît'. Merde aux écol's où on veut vous fo'cer à app'end' françouè. Parler arabe et anglais. Mort à la France. Quoi ? Papiers, j'ai papiers, j'souis françouè autant qu'vous, cé pas connaît' françouè ou trucs de friance qui fait le françouè, cé la mosquais, quand tu vas bien mosquais avê papiers tou es françouè. Et v'là.

La logique du nombre, de l'agressivité, de l'agression, de l'impunité engendre pour les médias des profits parce que chacun achète éventuellement des journaux etc. pour y trouver sa logique et qu'il faut beaucoup d'acheteurs pour beaucoup de profits. En fait les hordes n'achetaient que les journaux sportifs et le local mais les mjusics rap chié friance, oui, et aller ciné avec héros arab' ou noir amé'icain qui tue des blancs, ça bon. Surtout, ce qu'ils cherchaient, leur obsession, c'était de baiser des blanches, blondes de préférence. Les voir à poil au ciné, ces chiennes, ça donnait des idées. Et les pubs. T'as vu les pubs ? Y a des chiennes tout pa'tout. Le grand truc de base quand elles t'évitent, dire qu'elles sont racistes; à cause des bons Pourat, Louzette, Lindrone et de leurs acolytes, elles ont très peur; elles n'osent plus t'éviter; alors t'i vas du leitmotiv; toi pov' p'tit arab' ou nègr' mais les musuls sont bons, pas avoi' peu' musul, pourquoâ el' avoi' peu' ? Elle dit qu'elle n'a pas peur, non. Alô, on boâ un pô ensembl' ? Elle n'ose pas refuser. La harceler. Présenter les copains (hilares derrière son dos). L'isoler des siens - très important. Toute résistance est du racisme, la propagande TV, radio, film, mjusic, bons p'tits musuls, musuls taulairants, essaie l'musul la pute. Tondre les filles collabos des boches à la fin de la Seconde Guerre Mondiale fut une horreur, une atrocité; les millions de morts en camps de concentration étaient peu de chose en comparaison. O horreur. O horreur. T'i voa, t'i risqu' pas d'êt' tondue. Pourquoa ti vê pâ coucher avec moâ ? Pasque ya souis arab' ? (ou noar ?) T'es raciste, ouais, t'es racist'. La naïveté des filles prises au piège d'un baratin élémentaire serait sidérante si elle n'était due aux médias collabos. Mais les parents eux-mêmes à cause des politiques comme le traître Chosset étaient déboussolés, incapables de défendre les leurs, même leurs propres filles. Ils se croyaient nobles et généreux de laisser les musuls en faire des putes dans leurs caves. Quand une "affaire" arrivait à être connue, Pourat, qui n'osait pas la cacher, la noyait dans une série de propos et de reportages "bons p'tits musuls taulairants et tout ça". Et le drame national s'était amplifié, amplifié. Les collabos tenaient le haut du pavé, fiérots, dédaigneux, insultant dès qu'ils ouvraient la bouche les vrais Français, mais ils n'étaient  que des marionnettes tenues par les pétro-dollars et leurs maîtres déjà riaient d'eux avec mépris avant de les liquider et de s'installer. Penser, des gens qui ont livré leur pays, qui aimerait les garder chez lui ? Ils dégoûtent, ces gens-là. Et leur baratin sur la générosité, la tolérance, le pluriethnisme, le multiculturalisme etc, ils avaient tort d'oublier qu'on le leur a payé. La propagande s'achète avec ceux pour la dire. Quand ils ont reçu l'argent, qu'ils ne s'attendent pas à autre chose que le mépris.

 

 

 

II

La force et l'ordre n'étaient plus main dans la main. La force attaque l'ordre. L'entente cordiale a volé en éclats. Que vaut l'ordre face à la force ? Il n'est qu'une machine à rendre propre, pour que tout soit propre. Les citoyens le prenaient pour une protection; et lui, qui le protégeait ?

Le pouvoir central avait appelé l'armée. Les vaillants soldats, tenus hors du corps social par la discipline, assureraient la pérennité d'un système social attaqué qui maintenait en même temps des discours officiels qui le sapaient dans ses fondations mêmes. De la sorte l'ordre était un but vide. Un but sans but. L'idéologie des hordes avait l'efficacité de la bêtise : prendre, croître, dominer. L'ordre ne peut ni tuer l'un de ses ennemis ni laisser tuer l'un des siens, le scandale créé par toute mort rejaillit sur lui et l'affaiblit un peu plus; en face on exploite les morts, on exploite la mort, on l'utilise pour complexer par les médias, pour faire chanter l'ordre par les médias, mais on ne se soucie pas des morts, parmi les siens - ils deviennent des héros, immédiatement oubliés d'ailleurs mais Alla s'en occupe - ou parmi les autres - un de moins et on a été les plus forts.

L'armée, depuis que Chosset avait supprimé le service militaire, avait recruté beaucoup de maghrébins qui ne savaient pas comment gagner de l'argent faute de métier dans un pays qui perdait des emplois au lieu d'en créer alors qu'il avait une immigration constante stupéfiante. De ce fait ils étaient majoritaires dans certaines unités. Comme, pour lutter contre les discriminations, on avait eu soin de nommer certains d'entre eux aux grades de pouvoir, parfois injustement au détriment de plus méritants mais vrais Français, il n'y eut pas de manque à la discipline quand elles changèrent de camp.

On pourrait penser que le force cherchait simplement un nouvel ordre. L'ancien n'était plus bon. Le fameux progrès selon les collabos. Les vrais coupables des morts étaient ceux qui résistaient au nouvel ordre. Celui des envahisseurs. Pourat en son djournal national ne cessait de le répéter : si on accueillait mieux ces étrangers, ils ne deviendraient pas agressifs. Tu donnes ton portefeuille au voleur comme ça il ne te vole pas; et ne t'agresse pas. L'écoeurant discours médiatique de la collaboration, impuni dans son acharnement contre ceux qui défendaient leur pays, plaçait ensuite ses profits chez l'oncle Picsou ou oncle Sam, le grand argentier de la planète, là où Pourat, Louzette, Lindrone et les autres se réfugieraient peut-être si ça tournait mal pour eux. Mais le risque leur semblait minime. Chosset pouvait même chaque année aller parader à la Grande Foire Agricole et être applaudi par ceux qu'il avait ruinés, ridiculisés, dépossédés au profit d'un prétendu mondialisme dont les vaste poches n'étaient pas mondiales.

La première volte-face d'une unité militaire eut lieu lors d'une intervention en zone commerciale de banlieue. Deux bandes s'étaient affrontées, une de noirs une d'arabes; le conflit avait éclaté dans l'allée à petits magasins d'un hypermarché, réduit alors à une dizaine d'individus en tout; bataille à poings - mais ceux qui perdaient avaient sorti les couteaux; bataille à couteaux - plusieurs saignaient, de chaque côté; certains avaient alors sorti... leurs téléphones portables : ils appelaient le reste de la bande à l'aide; les plus près de la bagarre arrivèrent de suite et l'alimentèrent de leurs forces; désormais toute l'allée commerciale vidée des clients réfugiés dans les magasins dont les vendeurs essayaient de baisser les rideaux de fer était possédée de rage, une furie entêtée de ne pas perdre le combat pour la domination de la zone poussa à prouver sa force. Il fallut faire venir des armes à feu. Qui a peur de mourir ? Les lâches ont peur de mourir. La dissuasion ne fonctionne pas. Il fallut donc se servir des armes de dissuasion. Quelques-uns tombèrent. On tirait dans l'allée, dans le parking en se cachant derrière les voitures où s'étaient réfugiés des clients affolés qui dans leur fuite s'étaient bloqués les uns les autres, ne pouvant plus avancer ni reculer, dont les enfants hurlaient de peur - certains pris de panique en se voyant coincés ainsi avaient abandonné parfois leurs voitures, étaient partis en courant, les laissant au milieu des passages -, dans l'hypermarché où des gondoles renversées servaient de protection à un groupe de femmes et d'enfants blancs que deux hommes sans armes s'efforçaient de sauver tandis que des combattants chargés d'occuper le terrain tentaient de débusquer leurs ennemis, animés des mêmes intentions, obéissant aux mêmes ordres, en tirant au petit bonheur puisque personne ne voyait personne. Le combat ne pouvait être gagné dans un tel rapport des forces. Il fallut faire venir des armes plus performantes avec les derniers des bandes, ceux qui ce jour-là étaient chez eux ou près de chez eux; ils apportèrent les kalachnikovs, les bazookas, les grenades et quelques autres armes plus rares, sur lesquelles on comptait donc pour l'effet de surprise. Il y eut sans doute des tués à ce moment. On se retrancha dans des secteurs que l'on tenait désormais et on tentait des sorties, des attaques, pour déloger l'ennemi. On n'y arrivait pas. Alors on eut recours aux portables. Chaque horde entretient des alliances plus ou moins vagues, plus ou moins fortes avec d'autres bandes; des liens existent, des intérêts communs existent. Les alliés arrivèrent en masse de chaque côté; la bataille eut la dimension de la zone commerciale et même au-delà. Certains avaient des gilets pare-balles, certains avaient des boucliers, certains des casques, on avait fait sortir des réserves des plaques de blindage, le tout volé aux gendarmes et aux policiers. Il y avait au moins quinze cents combattants dans chaque armée. Les arabes avaient trouvé des renforts arabes; les noirs avaient dû ratisser large, la horde asiatique, deux hordes blanches, deux métisses non musuls, mais ils faiblissaient, les ressources humaines des autres, même en métis l'emportaient en nombre.

Pendant ce temps la légalité ne restait pas les bras croisés attendant qu'ils se liquident entre eux pour ramasser les survivants. La méthode avait déjà été essayée et il y avait trop de survivants. En plus la presse s'en prenait à la police. Non, on évaluait. Les policiers du secteur  avaient immédiatement évalué qu'ils étaient dépassés et, conformément aux ordres, ne devaient pas intervenir mais prévenir; les renforts arrivés rapidement avaient, tout aussi rapidement, évalué que la dégradation de la situation avait été telle avant leur arrivée rapide qu'ils ne pouvaient intervenir sans des renforts. Ceux-ci de toute la région se mirent en route sans tarder mais il fallut pendant leur progression les prévenir que les armes désormais utilisées sur le terrain dépassaient leurs compétences et prévenir l'armée. Celle-ci fit ce qu'elle devait. Le général choisit pour combattre le feu par le feu une unité vaillante composée de soixante-dix pour cent de musuls, de quelques noirs, musuls ou pas, et pour le reste de blancs athées. Ils accédèrent à la zone d'intervention en moins de vingt minutes car leur camp n'était pas éloigné. A ce moment il y avait dans les deux cents deux cent cinquante morts déjà. Le but : séparer les combattants grâce aux engins blindés, plusieurs avec canons. Le colonel chargea sans distinction d'ethnies, de cultures, de religions, deux groupes de réduire la résistance à l'armée, l'un des arabes l'autre des noirs et "tutti quanti" (dit-il). Il semble que des noirs soldats les premiers aient refusé de tirer sur leurs frères, en tous cas les non-musuls d'entre eux furent tués par des arabes du même groupe. Et on a l'image filmée du premier canon qui, tourné vers les insurgés arabes se tourne lentement vers les véhicules occupés par les blancs, les autres noirs et les arabes loyalistes. Il tira. Puis d'autres se tournèrent et les hordes maghrébines derrière eux avancèrent. En face on fut si surpris que la déroute fut complète. Le colonel avant d'être tué eut juste le temps d'expliquer la situation au général en hurlant dans son téléphone. Les hordes qui avaient triomphé finissaient de piller les magasins et d'emporter leur butin quand arrivèrent les hélicoptères, les forces de police et de gendarmerie qui n'avaient pas arrêté leur progression malgré l'intervention militaire, estimant que l'on aurait peut-être néanmoins besoin d'elles, et bientôt les chars. Les hordes prirent la fuite en laissant le reste du butin sur place. Les soldats rebelles avaient abandonné leurs véhicules et étaient cachés dans les cités, nouveaux héros. On ne prit pas grand monde. Des seconds couteaux maladroits dont on fit des exemples, que la presse photographia et filma longuement. Ils devinrent aussi des héros jusqu'aux plus éloignés des pays musuls. Ils représentaient les forces d'Alla combattant les alliés du satan quicain qui a plein de belles choses à prendre.

Le soir en son djournal le national Pourat fut terrible pour les forces de l'ordre. Elles étaient impuissantes ! Où va-t-on ! Hein où l'va l'bateau ? Rien ne va. Et pourquoi ? A cause de l'incurie des chefs de l'armée, de la police et de la gendarmerie, bien sûr. Mais surtout... surtout ! pasqu'on n'a pas assez bien accueilli musuls en édifiant mina'ets tout pa'tout, alo' musuls contents, et si donner biaucou biaucou alo' pas tirer. V'là. C'est simple, non ? Bons p'tits musuls, taulairants et tout ça. Mais on ne leur donne pas assez. V'là.

Trois cent soixante-sept morts. Apparemment peu de blessés parce que les hordes n'avaient laissés sur le terrain que les plus touchés, ceux qui auraient besoin absolument des hôpitaux des blancs. Le pouvoir au plus haut niveau : ministres, puis premier ministre, puis président, annonça que la situation était grave et qu'il allait... y réfléchir. Après il prendrait des mesures. Réfléchir demande du temps. On ne fait rien de bon dans la précipitation. Ceux qui avaient averti que ces événements auraient lieu un jour étaient en prison ou avaient dû s'exiler ou avaient été amochés par les taulairants ou même liquidés, ils ne risquaient donc pas de rappeler que le temps on l'avait eu et que presse, politiques, associations, artistes portaient la responsabilité de l'inaction. Lindrone acculé par des téléspectateurs dans une émission de radio, finit par leur répondre : "Ça vous f''ra pt'êtr' mieux accueillir les étrangers." Ouais, les associations répercutèrent : ce qui venait de se produire était une bonne leçon pour ceux qui n'étaient pas tolérants comme elles, voilà à quoi on arrivait, la mixité totale aurait évidemment évité ce drame, mais les blancs avaient pour certains refusé le métissage alors les maghrébins avaient dû prendre, on les comprend; si tou li mond' i d'vient musul, âlo plou di problèm', car musul taulairant; or y a des qui ont peu' musuls; toâ pâ avoi' peu'; ti conve'ti musul, et v'là.

On les voyait, fiérots des assassinats perpétrés, avec leurs crânes rasés, leurs casquettes à l'envers, leur français esquinté, aux aguets perpétuellement, toujours prêts à bousculer un blanc, à se plaindre habilement, à tenter de profiter de toute situation. Leur audace s'amplifiait de jour en jour. On en voyait des groupes partout aux quatre coins des villes, se téléphonant les uns les autres sans arrêt pour se communiquer des renseignements, et tout à coup ils se réunissaient, ils attaquaient un magasin ou des gens isolés ou un groupe ennemi. La guérilla s'était instaurée. Le gouvernement réfléchissait à des mesures d'urgence. Il ne voulait vexer personne. Surtout pas les pays musulmans qui ont du pétrole et dans lesquels se trouvent des résidents français qui seraient tués immédiatement au nom de la taulairance musul s'il décidait de punir ou de chasser les criminels. Les chasser ! Les associations montèrent au créneau et passèrent en boucle à la TV, à la radio, monopolisèrent les unes de la presse écrite pourtant alimentée en fric public pour dénoncer par avance toute velléité gouvernementale d'arrêter le pluriethnisme musul, le multiculturalisme musul. L'invasion continuait.

La France humiliée, la France assassinée pendant que le gouvernement réfléchissait pour ne rien faire. Même Pétain et Laval étaient des héros de la résistance comparés à l'ignoble Chosset et à ses sbires qui avaient vendu leur pays. Les V 2 n'avaient pas le force du pétrole, ils n'emplissaient pas les poches, sinon la city aurait prêché la taulairance aux V 2.

On eut l'idée - on : quelqu'un dans un ministère et la lumière monta pour illuminer le président actuel, successeur du sinistre Chosset, l'actuel plein de bonne volonté en discours - d'une renaissance patriotique par la célébration des grandes heures nationales. D'abord, dans les écoles au lieu de faire de la haute pédagogie en cours d'histoire on exigerait que les élèves la connaissent, ils devraient apprendre par coeur; ensuite on chanterait la Marseillaise dès la maternelle et ainsi quand ils seront grands les jeunes ne la siffleront plus dans les stades, ils chanteront joyeusement; enfin la TV publique allait consacrer des émissions, des téléfilms aux Grands du pays, aux Illustres. Donc on ressortit des archives et les enseignants se mirent en grève. Il y avait une intolérable agression contre la liberté d'enseignement. A la TV on rediffusa un Napoléon, un Henri IV et un documentaire sur Versailles. On avait pensé à tourner un téléfilm sur Robespierre mais l'Elysée tiquait. Pourtant les modèles de conquérants n'étaient peut-être pas à glorifier dans la situation actuelle. On aurait peut-être mieux fait de remettre en question les grands modèles, le sanguinaire Napoléon et l'opportuniste Henri. Toujours est-il qu'après un coup d'épée dans l'eau, le pouvoir estima avoir du temps pour réfléchir davantage. Et puis après des épreuves pareilles on avait besoin d'évasion. De vacances. Loin. Bien loin d'ici. Au soleil. A l'étranger.

Sur notre coupable zone le calme ne revenait pas malgré les discours officiels, les visites officielles des ministres et l'omniprésence des forces de l'ordre. On était contrôlé partout. A quoi cela servait-il ? Assaillants, assaillis les papiers étaient les mêmes. C'était censé rassurer les citoyens que ça embêtait. Personne n'était rassuré. Au contraire. On comprenait que faute de solution l'ordre roulait les mécaniques; il n'aurait pas eu besoin de s'exhiber, de prouver qu'il pouvait enquiquiner tous les innocents s'il avait été capable de maîtriser et d'arrêter les coupables. Dans un pays moribond le pouvoir magicien dresse des illusions pour décourager les envahisseurs. Et il se croit fort. Le pouvoir fait son cinéma. Salut l'artiste. Mais on ne sauve pas un pays avec de l'illusion.

En même temps les discours habituels continuaient. D'abord tous ceux qui disent arabes sont racistes, tous ceux qui disent musuls sont racistes, tous ceux qui disent rentrez chez vous sont racistes, tous ceux qui disent Français d'abord racistes, tous ceux qui disent "noirs sont noirs" racistes, tous ceux qui disent pas donner racistes, tous ceux qui disent pays chrétien racistes, tous ceux qui disent "pas livrer nos filles" racistes, tous ceux qui disent " pas de discrimination positive" racistes, tous ceux qui disent "on ne veut pas de ces étrangers" racistes, tous ceux qui disent "ils nous prennent notre boulot" racistes, tous ceux qui disent... Mais on a la liberté d'expression ! On est dans un pays libre ! Libre, Chosset en ricane encore. Libre, mais pas pour tout le monde, libre pour ceux qui viennent d'ailleurs, les associations et ceux qui se remplissent les poches (hommes d'affaires, politiques, artistes, journalistes...) Les autres on a les lois d'exception pour les mettre au pas.

On attrapa, par hasard semble-t-il, officiellement grâce à des informateurs - et ce n'est pas impossible car peu après on découvrit plusieurs cadavres affreusement mutilés -, deux soldats qui avaient trahi, tiré sur l'armée et déserté. Le pouvoir était très embarrassé par ces captures. Etre sévère risquait d'enflammer les banlieues, les fameuses "cités" où la police depuis de lustres entrait si rarement et uniquement en masse pour opérations "coup-de-poing". Or comment ne pas être sévère . Le pouvoir se résigna à réfléchir. Et selon la vieille habitude, pour l'aider, puisqu'il ne voyait pas de solution, pour gagner du temps, pour que d'autres événements graves aient le temps de se produire et qu'ainsi ces prisonniers perdent de l'importance, voire soient oubliés, il créa une commission.

La télé oeuvrait dur pour les musuls en dépit des précautions, car la liberté de la presse et des animateurs et des aqueteurs et des chianteurs a le droit, oui madame, oui monsieur, grâce à la répétition médiatique, de limiter  la  liberté  des  autres citoyens. Par exemple l'émission quotidienne de l'hilare Mironini : "oh il a dit ça", "oh, si, si, il l'a dit, il l'a dit", il a dit quoi ? qui "il" ? Le Miro donc faisait une chasse féroce, le brave homme, hi hi drôle c'est drôle, aux abominables propos... racistes. Qu'est-ce qui est raciste ? Eh ben... "il" a dit, qui ? un journaliste, eh oui, que les arabes étaient peut-être devenus trop nombreux à certains endroits. Oh ! Mironini yeux ronds main sur la bouche. Oh ! Ses chroniqueurs révulsés sur leurs tabourets. Oh ! Comment ce journaliste pouvait-il encore s'exprimer sur les ondes ? Pourtant le ménage avait été bien fait. Horreur. "Qu'en pensez-vous, spectateur ? Exprimez-vous. Dites-le-nous sur le Mironini point fr. Les meilleurs courriels seront lus ici-même." Parfois il lisait l'un des autres pour montrer jusqu'où l'indignité pouvait aller, des gens racistes, ah oui, tous ceux qui ne sont pas d'accord avec cette immigration c'est bien simple ils sont racistes, xénophobes racistes, on devrait les chasser du pays ou les tuer, d'ailleurs les arabes justement s'en occupent. L'autre cas que les journalistes tous journaux et chaînes confondus appelaient gravement "le cas Longueret" ou "l'affaire Longueret" était celui d'un sénateur qui avait timidement mais imprudemment ô combien, émis la suggestion, filmée hélas, que l'on ne confie pas une commission déterminante sur l'immigration... à un immigré, comme on prétendait que le voulait le président, mais plutôt à un "Français de souche"; ces paroles furent dénoncées par le parti socialiste car le supposé futur nommé était un socialiste; le numéro deux du parti socialiste, qui était lui-même un immigré récent, s'insurgea et parla d'insulte envers les immigrés, de trahison de la longue tradition française d'accueil des étrangers, d'obscurantisme dans la patrie des droits de l'homme. Il fit monter au créneau son successeur à la tête d'une association contre le racisme qui vint s'indigner à la télé dans son costard de luxe des propos racistes du sénateur qu'il allait poursuivre devant les tribunaux. Il n'acceptait pas, non il n'acceptait pas, qu'un immigré soit écarté des décisions sur l'immigration musul, lui-même était musul et alors ? C'est normal être musul, ici comme partout, ou il y a discrimination, il tolérait bien les chrétiens, lui ! Et pourtant beaucoup de musuls commençaient de trouver qu'il gênaient. Mais il n'y avait pas de tueries comme au Soudan, en Iran, en Irak, en Indonésie... car ici les musuls sont taulairants. Pour le moment. Mais faudrait pas pousser le bouchon trop loin et empêcher la multiplication des mosquais et des mnina'ets comme en Suisse (tous les chroniqueurs de Mironini yeux ronds et main sur la bouche d'horreur quand les Suisses avaient osé décider de rester Suisses au lieu de s'intégrer aux arab' musuls). Et fallait punir le sale sénateur raciste.

Quatre vieux cacochymes se rendirent dans des cités et se firent sauter tuant des "jeunes". Parmi lesquels on s'aperçut qu'il y avait beaucoup de soldats déserteurs. Apparemment ils avaient trouvé là où la police ne trouvait rien; et de leurs maisons de retraite encore ! Mais le pouvoir avait déjà deux déserteurs rattrapés, il n'en voulait pas plus, ceux qui avaient réussi la capture n'avaient pas eu d'avancement et n'étaient pas prêts d'en avoir. Cette fois il suffisait de honnir ces vieux, le problème n'en était pas un. Au contraire - mais à ne pas dire, chut !

L'horreur quotidienne n'empêchait pas de bien vivre la décadence dans les derniers jours d'une civilisation qui sans Chosset, ses milliardaires et leurs adversaires devenus leurs solides alliés : les idéologues gauchistes, aurait pu vivre encore des millénaires. On crevait dans un déluge de bons sentiments médiatiques. Jamais le fric n'avait autant coulé à flots. Ceux des misérables "cités" avec leur économie parallèle vivaient mieux que les plus aisés de leurs pays d'origine devenus leurs pays de vacances. Ils y allaient régulièrement étaler leurs profits et subir l'endoctrinement nécessaire, ils revenaient considérant qu'ils n'étaient plus tout à fait de là-bas et qu'ils devaient faire venir ceux de là-bas ici. Rien de paradoxal selon eux dans ce système de pensée. En bref ils voulaient prendre, prendre, puisqu'il n'avaient rien su faire, et qu'importe le reste.

 

 

 

III

Du haut des remparts de son village vaguement inspiré par le copiage avec variantes infinies, Paul, regardant le moutonnement verdoyant jusqu'à la mer, méditait amèrement. Ainsi la guerre une nouvelle fois remplaçait la révolution. Les vieux schémas triomphaient. L'invasion avait pris l'aspect mendiant avant de se révéler soldat. Le vieux truc du cheval de Troie ou de la cinquième colonne l'emportait sur la noblesse de la pensée. Pourtant il avait expliqué et encore expliqué  comment on sortait d'une situation intenable, il avait indiqué la porte de sortie, il l'avait ouverte, maintenue ouverte... Personne n'était sorti. Le monde se répétait. Vieux disque raillé rayé. L'espoir en l'homme n'est qu'une vaste blague. Brailler, jouir, se plaindre, se battre et crever, voilà ce qu'il est capable de réaliser. O temps fabuleux ! Le roman de la vie est pitoyable. Chacun copie sur un père, un voisin, une vedette, une mère, une héroïne de cinéma copiée sur... Il faudrait faire la chasse aux originaux de cette planète, s'il y en a encore, être une sorte de collectionneur, réunir ces êtres rares à part et, soldant tout compte, supprimer les autres, la catastrophe des autres. A quoi servent-ils ? L'humanité sert-elle ? Alors c'est pire. Elle sert et ne le sait pas. Elle a une raison d'exister qu'elle ne connaît pas. Il n'y a pas de solution. La sottise est trop générale pour que les populations agissent, dans un sens ou dans un autre, sans être manipulées. D'elles-mêmes elles resteraient immobiles, mourraient sur place sans agir pour reculer la mort. La manipulation mentale est  une nécessité historique. S'adresser à l'intelligence est inopérant. L'intelligence est individuelle, l'histoire ne l'est pas. Un criquet seul est raisonnable, attiré dans un nuage de criquets il n'est plus qu'un élément d'une force dévastatrice. Il faut détruire ce nuage. Ce n'est pas un raisonnement qui l'arrêtera. Il va dévaster les moissons. Ceux qui réfléchissent au lieu d'agir sont ses alliés à bonne conscience. Mais il n'est pas question de criquets, il est question d'hommes. Faut-il savoir tuer des hommes ? Il faut savoir tuer des hommes. Sinon on sacrifie les siens avec bonne conscience. La lâcheté et la trahison avec bonne conscience. La révolution n'aura pas lieu. Tuer ou être tué il n'y a eu d'autre choix qu'en illusion. Les vieux schémas reviennent à leur tour, il doit y avoir un ordre répétitif en cercle des vieux schémas comme la terre tourne. Paul veut cesser d'être un marginal puisqu'il est inutile. Pourquoi ne rentrerait-il pas dans le nuage ? Pourquoi ne renoncerait-il pas à la raison qui l'isole et le ridiculise ? Lui aussi peut servir la mort. Son dieu était la vie humaine, mais la lucidité ne sert à rien, elle l'a empêché de bien vivre. Le bonheur consiste à débouler la pente, à jouir du vertige au lieu d'y résister, à s'écraser en bas s'il existe. Il a eu tort de vouloir. Vouloir stopper une chute générale. Comme si c'était possible. Ce n'était pas possible. Il aurait donné sa vie pour sauver les autres, il avait perdu sa vie.

Il part. Il est descendu des remparts, il s'évade. L'homme est dans le mal comme le poisson est dans l'eau. Paul veut vivre. Il se rend par bus dans la presqu'île. Là, lentement, en touriste pour ainsi dire, il se promène sur la corne haute de trace de drame en trace de drame, d'incendie en incendie, de détresse en détresse. D'autres suivent le circuit et ils ne sont pas les premiers; quand on a des loisirs on s'ennuie si on ne les occupe pas; on vient s'instruire sur l'actualité, on voit par soi-même au lieu de voir par l'oeil des médias, l'impression est différente, on n'est plus séparé du drame par des discours; on le ressent si on a de l'imagination. Le tourisme du malheur n'est pas plus malsain que le journalisme du malheur et il n'est pas blasé. La routine du malheur s'inscrit dans les vieux schémas, elle fait trois petits tours et s'en va. Paul remarqua que pour ses compagnons de visite la contemplation ne conduisait pas à la méditation. Voir suffisait. IL n'y a sans doute aucune leçon à tirer de quoi que ce soit parce que toutes les leçons possibles on les connaît déjà; ces visites confirment ce que l'on sait, elles n'enseignent pas. Car quel homme a besoin d'apprendre ce que sont les hommes ? Il a tous leurs actes en lui, dès son premier jour; il n'a rien à apprendre, il ne s'avoue pas savoir tout de suite, il recule l'échéance, il va faire l'étonné sur les champs d'horreur quand il s'ennuie, il va s'y voir sans être surpris, il ne découvre que ce qu'il sait.

Ensuite Paul gagne la corne basse. Après avoir "visité" la maison de Jean, il a en effet eu l'idée de vivre sa journée dans la diversité. Or en bas, au bord de la rue qui dessert les propriétés des criques, sur le côté externe de l'unique tournant, il connaît de réputation la dernière maison mitoyenne d'un bloc d'une cinquantaine de mètres, la seule à posséder une entrée de côté donnant sur une cour, pavée en rose, où l'on s'arrête et d'où l'on repart sans être remarqué.

Le facteur est en train de sonner à la porte. Une femme d'aspect revêche, mince, au ton cassant, robe grise, échange quelques mots avec lui, prend un paquet, signe; elle apostrophe Paul, lui demande ce qu'il fait là, lui dit de s'en aller. Apparemment on ne "visite" pas sans rendez-vous. Paul recule, attend sans en avoir l'air. La femme ferme la porte. Le facteur, passant à côté de Paul, lui demande ironiquement s'il peut lui rendre service. Paul dit qu'il cherche à louer ou à acheter, il a vu un panneau derrière cette propriété, il le montre, il croyait que la cour était le passage; le facteur explique gravement qu'il faut faire le tour du pâté de maisons à gauche. Il doit savoir quelles sont les occupations de la femme qui vient de refermer la porte, à quoi sert cet endroit de crapules. Le facteur s'en va en même temps que Paul.

Paul revient. Il sonne. Il sonne. La porte s'ouvre. La femme a un sourire ironique et dit il ne sait quoi. Il ne l'entend pas. Il jette un coup d'oeil alentour pour vérifier que personne ne le voit. Il bouscule la femme, il entre de force, elle veut crier, il la frappe, il ferme la porte, elle essaie de se redresser, d'appeler, il la frappe contre les marches de l'escalier, elle ne bouge plus, elle se tait.

Il s'arrête, il goûte le silence, la paix avant que l'action ne le reprenne. Il la sent monter en lui.

Il monte l'escalier. Un couloir. Il ouvre  brutalement les portes. Personne. Personne. Personne. Dans une chambre, oui, sur le lit, il y a une fille. Il s'approche. Son coeur frappe, cogne. Elle est comme dans les contes. La beauté a été volée par le bordel. La femme des rêves se vend. Paul la reconnaît. Il l'a vue sur des magazines. C'est un mannequin connu mais moins engagé depuis quelque temps. Elle n'a pas peur, elle attendait un client, elle ne connaissait pas ce client, elle le prend pour le client. A l'évidence ici on ne paie pas en liquide et d'avance, elle ne lui demande que ce qu'il veut, elle lui fait des propositions. Paul dit, elle obéit. La beauté vile se salit d'humiliations baptisées commerciales. Paul jouit d'une fille à 100 000 balles. La pute d'or se comporte à l'image de toute la presqu'île; elle en est pour Paul la personnification; la presqu'île est un domaine, une propriété, son corps qu'elle offre au plus offrant et l'argent du riche gagné par l'oppression, le vol et la corruption, retombe sur elle; les lieux ont les nymphes qu'ils méritent; la beauté se loue, elle s'abîme de location en location, comme une voiture de luxe dont on ne remplacerait pas les pièces défaillantes; la fille et le client appartiennent au luxe, la fille a un prix et le client a un prix, le luxe n'a pas de prix. L'humiliation commerciale de la beauté est changée en fierté quand le prix est élevé. C'est d'ailleurs une règle générale non seulement du commerce mais du monde du travail. La beauté pute croit avoir le droit de penser comme les autres. Un journaliste TV avait dit un jour à la fille qui, de la mode avait glissé au charme : "Vous pensez à ce que des hommes doivent faire en regardant vos photos ?" Elle le leur faisait directement. Pour les photos elle n'y avait pas pensé avant que le journaliste ne l'y insinue dans sa pensée; pour ce qui est d'aller plus loin ce sont les propositions hors antenne du journaliste (refusées) qui le lui avaient insinué dans sa pensée; ces idées implantées dans sa tête s'y étaient développées, le besoin d'argent pour rester dans le luxe cachait le sordide, par une amie elle avait rencontré Alessandra qui l'avait prise à l'essai, qui lui avait donné sa chance, qui lui avait fait confiance. Alessandra avait des adresses. La fille venait ici de temps en temps quand elle était demandée pour des sommes qui la rendaient impatiente du client. Elle continuait de se montrer à des réceptions, à passer quelques photos dans des magazines à la limite de la mode et de l'érotisme. Paul jouissant du capitalisme ne renonça pas à ses idées révolutionnaires. Il étrangla la pute. Ce qui moralement est discutable. En redescendant l'escalier il acheva la gardienne de ces lieux qui serait remplacée sans difficulté, elle avait été belle, elle s'était louée, elle avait cessé d'être belle, elle avait loué les autres. Elle ne voyait pas de différence entre son agence et une agence immobilière, comme quoi les raisonnements sont souvent de précieuses oeillères.

Tant de traces attirent la police. Sur le point de quitter les lieux Paul s'arrêta. Il réfléchissait. Dans la mesure où son esprit confus le lui permettait. Il rentra dans la maison. Le feu. Le feu est nécessaire. Le feu le purifiera de cette maison. Il cherche, il faut... pour allumer... pour... Il trouve une petite cuisine. Voilà. De l'alcool. Des allumettes. Et le gaz. Les incendiaires vont encore frapper. Il rit en allumant les incendies à l'étage. Une dernière fois il regarde la fille morte, longuement, comme s'il l'avait connue depuis toujours, comme s'il avait eu avec elle une histoire d'amour, elle est l'histoire d'amour de la vie de Paul, elle ne le quittera plus, il va encore la tuer par le feu, il la tuera éternellement. Il redescend, ouvre le gaz, passe près de la gardienne, sort. Il est déjà loin quand la maison explose, tuant les habitants de la maison mitoyenne et des passants. "Bon, se dit-il en riant, un peu plus de morts un peu moins de malheur sur cette terre." Peut-être que l'un des passants était le client attendu par la fille. On ne le saura jamais.

Paul n'était pas devenu cynique, il avait simplement renoncé à attendre la révolution. On ne peut pas vivre dans un monde sans espoir. Les gens ne doivent pas vivre sans espoir, comme des bêtes qui vivent parce qu'elles vivent, sans but. Le but justifie d'accepter la vie. Il n'y a plus qu'à détruire la vie car elle n'a plus de but. Le plaisir est un système de destruction. Mais de destruction lente. Qui permet le renouvellement des bêtes à plaisir. Paul opta pour l'orgie. Brutale, sans lendemain. Droguer ce monde jusqu'à l'overdose. Il s'est habitué à la drogue, ce monde, il ne peut plus s'en passer; pour en finir avec lui, pour qu'il finisse, il faut et il suffit de lui procurer ce qu'il désire. Le capitalisme triomphant meurt de jouissance. Et c'est le révolutionnaire qui lui apporte sa drogue.

 

 

 

Karine me fait la tête. Et pourquoi ? Je ne suis pas un type bien. Ce crime m'est habituel. Je ne vais pas pleurer sur le sort de ceux qui m'ont rencontré. Eric était dans le salon avec elle il y a un instant. Elle a dû l'appeler. Quand il est parti il m'a jeté un regard froid, son sourire pour une fois avait disparu. J'étais dans la cuisine, je l'ai vu passer, il n'est pas venu me saluer. Elle est peut-être malade ? J'ai horreur des malades. La maladie m'attriste et me dégoûte. Et je vis dans un monde malade. Cette région est malade, ce pays est malade, le monde est malade, la planète entière. La vie est une maladie de la planète. Je ne suis pas médecin. Il paraît qu'il y a un navire hôpital, qu'on y emmène Karine. Vraiment je ne me sentais pas content. L'histoire, le problème, sûrement c'est parce que j'ai déchiré la chanson. Karine venait d'écrire la chanson. Elle l'a essayée sur moi. Comme d'habitude. J'ai hurlé. J'ai déchiré ce texte. D'où, probablement l'appel à Eric. Qu'est-ce que j'y peux. Ce texte était abominable. Il hurlait dans mon corps. Je ne supportais pas, je n'acceptais pas; la musique insinuait ces mots dans ma tête, les mots étaient faux, je le lui ai crié mais elle a continué. La chanson elle la voulait sur scène dès ce soir. Ce texte détruisait Karine, il n'était pas compatible avec Karine, il appartenait aux autres, à cet ignoble monde des autres dans lequel il faut vivre, elle était comme passée à l'ennemi, elle pactisait.

Karine apparaît dans l'ouverture de la porte, je fais semblant de ne pas l'avoir aperçue, je ne lève pas la tête, elle s'appuie contre le chambranle. On ne se parle pas. Si Karine est ordinaire, alors je suis mort. Alors tout s'effondre en poussière. Je regarde Karine. Elle me dit : "Tu avais raison. Eric est d'accord avec toi." Les larmes malgré moi pleurent sur mon visage. Le désespoir a été si grand qu'il jaillit en larmes. Karine vient s'asseoir sur mes genoux; elle me console; elle me jure qu'elle ne le fera plus, qu'elle regrette, elle me demande pardon.

La crise est passée. La banalité a dû fuir. L'idée que Karine sur mes genoux pourrait être un poids d'ordinaire me révulse encore. Elle me caresse tout doucement, me rassure; à l'oreille elle me chante "Akhenaton". Je redeviens moi-même à sa voix. Je me retrouve, ami qui m'avait quitté, par la voix de ma maîtresse. Et puis de son corsage elle sort un nouveau texte. Elle me le chante tout doucement à l'oreille. La mélodie est la même qu'hier - mais elle a son vrai texte. Le texte est Karine et il me chante dans la tête son bonheur de revivre ensemble. Comment ai-je pu ne plus t'aimer. Mes sourcils se froncent quand je pense à moi. Mais je n'ai plus besoin de penser à moi, Karine a retrouvé la magie de chanter.

Bric et broc, salade salace, nuit de nuisette au séminaire, ô lalâa, pourquoi tu me plantes lâa, qu'est-ce que j'ai fait, qu'est-ce que je ne t'ai pas fait, pôvr', pôvr', pôvr', la scandaleuse. Chic et choc, malade de baise, pâle de toi pâle sans toi, où m'abandonnes-tu ? quelle est cette serre ? ô lalâa, où suis-je sans toi, qu'est-ce que j'fais lâa, sans tes meurtres sans tes coups sans que tu me démembres. A ce moment la guerre qui paralysait le pays était moins et plus là; si loin de cette guerre par Karine j'étais plus près de mon pays que jamais par Karine; comment dire, comment expliquer qu'elle me permette à la fois la présence et l'éloignement, dans l'ordre inverse plutôt, il faut que je m'éloigne des banalités de l'actualité pour me sentir présent au monde, pour communiquer avec lui, sans rire je dirais mystiquement ou quéqu'chose dans l'genre. O lalâa, pourquoi y a-t-il de moi des choses que tu n'veux pâas; nique et moque, sac et mode, pends-moi, pends-moi, ne me laisse pas dans cette serre, casse cette serre, pends-moi, pends-moi, ô lalâa. Toutes mes rencontres forcées avec des gens qui ont été mis, pions placés, sur mon territoire au même moment, se concentrent en une rencontre de l'inconnu, du mystère de ma présence, de la mienne, mystère qui est la vérité, qui me devient en quelque sorte palpable, je le suis pour moi, la vérité du monde réside dans le mystère de ma présence, le monde est ma présence au monde, en cet instant elle est totale, l'insondable est évidence, l'absurde est rationnel, l'âme est mon corps. O lalâa, chic et moque, brique et choc, brique et brique encore, dis-moi, dis-moi, que tu m'édifies, brique à brique par toi, brique à brique en toi, reconstruis-moi, reconstruis-moi, reconstruis-moi... Les arbres de Provence sifflaient dans le mistral chargé d'eau rougeâtre, il n'y aurait pas de tempête, juste l'insupportable. L'histoire battait son plein, elle accumulait, mémère, ses gaffes historiques. Les commerciaux pugnaces vendaient l'histoire, la Provence, les arbres, le vent et même la pluie. Il n'y a plus de reines. Il n'y a plus de tenues de soirée. La serre éclate, la scène éclate, reconstruis-moi, brique à brique, brique à brique, tue-moi, mens-moi, mens, mens, mens, reconstruis-moi, la serre éclate et tu n'es pas lâa. Chic et choc, mimi et parlotte, les fleurs se flétrissent dans l'air sans ciel, les fleurs se flétrissent dans l'air véritable, je m'effrite en poussière, je m'effrite en poussière, reconstruis-moi, brique à brique en toi, reconstruis-moi, que je te sois toi, que je te sois prisonnière, prends-moi, prends-moi, pends-moi, pends-moi, que je m'effrite de toi, reconstruis-moi. O lalâa.

Puis le chorégraphe est passé pour des mises au point sur une partie du spectacle de ce soir qui sera utilisée dans le clip vidéo du nouvel album. Je regarde Karine "parfaire". Elle a une pièce pour son entraînement quotidien. J'y risque rarement le pied. Mais aujourd'hui on veut absolument mon avis et après notre crise je ne suis pas en position de refuser. Je trouve tout "parfait". Karine est contente de moi, alors elle est contente d'elle. Elle veut que je vienne au spectacle ce soir, il est important pour elle à cause du clip. Je ne suis pas en position de dire non. Quelle journée. Parfois, voyez-vous, dans un couple, il faut savoir se sacrifier, multiplier les concessions et puis Eric sera présent pour s'occuper de tout. Karine a fini de s'entraîner, elle vient m'embrasser. Devant son chorégraphe, elle affiche sa reconquête, elle se montre propriétaire. Il sourit, un peu à la manière d'Eric. Mais quand Karine est avec moi le sourire d'Eric gagne tous les visages, ce sourire étrange, ambigu, mi-complice mi-vice. Sans importance le sourire du monde. Karine veut m'afficher ce soir. Je suis à l'affiche de Karine. J'ai envie de rentrer brusquement chez moi. Je suis derrière les barreaux de ses chansons. Elle veut me laver les cheveux, me peigner, elle veut me manucurer, me parfumer mais de son parfum, m'habiller des vêtements qu'elle a achetés pour moi en mon absence - "c'est que je pensais tellement à toi, tous les jours, tout l'temps" -, m'habiller de ces vêtements qui sont à elle - "à toi, je t'aime, pour toi, je t'aime" -, elle me met les chaussures qu'elle a achetées "pour aller avec les vêtements" - je ne veux pas, elle est suppliante à mes genoux, je cède -, un bracelet en or voyant, je ne veux pas, elle embrasse ma main - "chéri, pour toi, juste ce soir, laisse-moi te le passer, juste un soir" -, une montre, j'ai déjà une montre, oui mais celle-là va avec le bracelet (c'est tout dire !), je ne veux pas, elle me caresse - "tu es mon prince, juste un soir, chéri, un soir" -, elle me supplie, m'embrasse la main, le poignet, je la laisse faire... Voilà je suis à l'heure de Karine. Je suis prêt pour son spectacle. Pas elle. Mais elle a le temps parce qu'elle n'a pas l'intention de le commencer à l'heure. Moi, monstre de foire à exhiber, pas pire depuis l'homme-éléphant, une maladie nouvelle, l'homme-Karine. Mon Dieu, ce qu'il ne faut pas faire quand on aime plus ou moins. Enfin. Jamais je ne l'ai vue si joyeuse, si contente, si pleine d'entrain. Pour elle ce doit être une soirée exceptionnelle, une de celles qui comptent dans une vie, que l'on attend depuis des années, et quand elle arrive on sait que l'on vit les plus beaux moments de sa vie. Cette soirée, si j'étais honnête avec Karine je devrais la lui gâcher.

Mais je ne suis pas honnête. Je la laisserai vivre avec ce mensonge.

Je me demande si nous sommes réels. Je me mets devant une glace, assurément je ne m'y vois pas. Karine est fière comme une Nobel, jamais je ne l'ai vue aussi docile. Est-ce qu'en ce moment nous sommes encore indépendants l'un de l'autre ?

Quand je suis avec elle Karine a une vie des plus ordinaires. Très sédentaire. Je dirais bourgeoise si le mots n'avait pas trop de connotations qui lui sont étrangères, mais d'apparence oui. Elle n'est pas accroc à la drogue, elle me dit "Ma drogue, c'est toi", je ne sais pas si c'est vraiment gentil, ambigu en tout cas. Pour moi elle n'a été droguée qu'une fois - il n'y a pas de drogue à la maison, du jour où nous avons choisi cet appart ensemble parce que, avait-elle remarqué, le sien était petit pour une vie de couple même sporadique, et puis elle n'y avait pas d'espace pour danser. On s'étaient disputés. La faute à qui ? A aucun. Aux deux. Karine me met toujours dans des positions fausses; je m'explique : notre relation pour moi devait être basée sur la liberté, nous étions d'accord, nous avions discuté, d'ailleurs les aventures de Karine... passons; mais les principes pour elle ne sont que des principes, c'est-à-dire qu'ils appartiennent à la décoration, comme les fleurs ou les tableaux dans une maison, avoir des principes est donc selon elle important, sinon de quoi  aurait-on  l'air  quand on discute avec des gens, quand on a des invités à la maison ? Dans ses chansons Karine n'a pas de principes mais elle joue avec, en chatte savante. Enfin cette fois-là, et en public, elle multipliait les signes de soumission, elle se livrait à des ordres que je ne voulais pas donner, elle en demandait par défi; je ne suis pas un mac; notre "couple" était le scandale de la soirée, d'un comique dérisoire et de mauvais goût; je ne suis pas contre le mauvais goût, il lave de l'autre, mais s'il doit conduire à la vie bourgeoise en prenant des chemins de traverse... Mon principe en somme était de ne pas avoir de principes; pas de chaînes; pas d'entraves; pas de devoirs. Karine la scandaleuse d'accord avec tout. Ce qui pour elle voulait dire (je m'en suis rendu compte trop tard) avec tous donc aucun, autant celui-là que les autres, pas plus pas moins : un principe est joli, elle l'adopte mais ne le suit pas, parce qu'elle ne peut pas suivre un principe quel qu'il soit. Elle avait adopté le mien avec enthousiasme, l'avait chanté, et puis elle en aurait voulu un autre pour une autre chanson. On ne peut prétendre, ce serait absurde, qu'elle n'avait rien compris. Karine comprend, à la façon de Karine. Et en ce sens, elle est logique. Donc en pleine soirée le ton est monté parce que "je ne voulais pas"; il n'y a qu'une lavette pour ne pas avoir de volonté... Vous devinez la tournure de la dispute ? Un homme se montre homme. Il honore la femme en était homme à la face du monde. "Je ne voulais pas" alors elle me méprisait, je la dégoûtais, je l'humiliais en public par mon comportement. Elle a vidé quelques verres, y compris de personnalités, discrètes, gênées, fascinées. Je l'ai ignorée. Elle a disparu. Longtemps. Je ne savais où. Puis il y a eu des cris. Une dame m'a touché le bras et m'a dit : "Votre femme a eu un malaise dans les toilettes." Je me suis précipité. Karine était par terre, heureusement qu'elle n'avait pas fermé la porte, elle était inconsciente, de la drogue encore à côté d'elle. Je l'ai prise dans mes bras, je l'ai emportée. A l'hôpital, à son réveil, elle m'a dit : "Maintenant je sais la dose qu'il faudra si un jour je suis sûre que tu ne reviendras pas." J'ai horreur des chantages, je le lui ai dit, elle a souri : "Pardon, mon chéri, je ne le ferai plus." Elle a tenu parole car jamais je n'ai retrouvé de drogue dans ses affaires (j'ai vérifié, évidemment). Eric était accouru. A la sortie de l'hôpital, je parlais de la peur que j'avais eue, il m'écoutait avec attention, me regardait fixement sans sourire, je lui ai demandé alors s'il m'en voulait, s'il voulait que je m'en aille, il a fini par me répondre à peu près ceci : "Jusqu'à ton arrivée je me croyais comme Karine, un excentrique paumé anti-tout et jouisseur; mais non; je copiais ses comportements; je ne peux pas les partager avec elle, je ne peux que les lui emprunter. Je suis malheureusement "normal"", je croyais que ce mot n'avait pas de sens et c'est moi qui lui en donne un... N'oublie pas de revenir." Je ne suis sûr que des derniers mots, mais pour le reste je ne suis pas loin; enfin, vous voyez le genre, la petite leçon au type qui n'a pas été bien. J'ai échappé à la police je me demande comment. Et pourquoi. Eric a dû arranger ça. Je n'aime ni les chantages ni les leçons. Je vis avec comme bien d'autres. Tout cela est loin, du reste. Autant en emporte le vent. Il ne s'agissait que des erreurs d'un soir. Les horreurs d'un soir. Il est presque oublié. Mais la nuit a été terrible, j'étouffais, j'ai cru me jeter par la fenêtre. Je devais hurler, des voisins sont venus. Ils cognaient à la porte. On ne meurt pas si facilement. Hélas. Au matin la porte s'est ouverte, Karine était dans l'entrée, livide mai_

 

 

 

Quatrième partie

 

 

I

Les hommes ont travaillé pour les hommes, leurs efforts empuantissent la terre. La bulle des bonnes actions, des bonnes intentions éclate enfin, en meurtres, en tortures, en guerre.

Chaque jour la presse s'ingénie à dire sans dire, elle avoue du bout des lèvres les derniers pillages, les derniers morts. Les journalistes consacrent régulièrement une partie de leur journal à expliquer qu'il ne faut pas s'en prendre aux journalistes; plus ils ont servi la propagande d'invasion musul plus ils affirment de façon répétée l'irresponsabilité des journalistes; le journaliste a tous les droits. Pourat a convoqué le ministre de la culture pour le rappeler aux masses avec fermeté; on n'est jamais trop prudent.

L'armée a été déployée sur toute la région, elle couvre le territoire de ses grandes ailes. Mais l'armée est malade. Ses effectifs musuls sont retournés à Alla avec le matériel de mort qu'ils ont pu prendre. Chaque jour cette partie de l'armée, appelée "dissidente" par les djournaux quicains - la Quicanie pense toujours  à  l'après et  aux  profits  de  reconstruction, à  tout  hasard  elle place des pions dans chaque camp -, attaque l'autre qui est désormais uniquement composée de blancs; mais des blancs athées sont passés aux musuls, ils veulent montrer leur grandeur d'esprit, leur noblesse d'âme, leur générosité, et ceux qui ne trahissent pas comme eux sont des racistes, de sales racistes... racistes... racistes... racistes...

Les gens qui ne sont pas d'origine arabe ont peur quoique Pourat quotidiennement déclare les musuls taulairants, "pas avoi' peu'", ils veulent juste la place. Les économistes invités expliquent que leur implantation massive est bonne pour la France car leur taux de natalité est excellent; ensuite ils se tirent vite fait et vont habiter en Quicanie; un océan ne leur semble pas de trop entre eux et la taulairance. Les politiques expliquent à qui veut les entendre (mais il n'y a pas grand monde) qu'ils ne sont pas coupables et pas même responsables car rien de ce qui arrive n'était prévisible. Certes gouverner c'est prévoir, mais on dit ça comme ça, gouverner c'est surtout plaire aux médias sinon vous n'êtes pas élu et pas réélu. Essayez de gagner une élection en ayant contre vous toute la presse libre habilement entretenue en cadeaux, en pétro-dollars, en avancement pour les plus taulairants, comme une pute de luxe. La pute, elle te baise ou tu la baises mais de toute façon c'est toi qui paies.

La catastrophe était la faute des racistes. Racistes... racistes... racistes... S'ils avaient tout donné quand on le leur demandait gentiment, s'ils donnaient tout, eh bien voilà... tout serait réglé. On se complique la vie pour des riens. On n'est pas assez généreux et le résultat n'est pas joli joli. Racistes... racistes... sales racistes...

Contre ceux qui au lieu de livrer leur pays voulaient chasser les musuls de chez eux, la leader - elle était une habituée des séjours en Quicanie - du socialo-parti, Aurdy, monta à la tribune des putés avant d'éclater idem devant la presse : "Ils sont ignobles, ignobles ! La France est terre d'accueil ! Elle doit se livrer à l'ennemi !" L'ignoble Aurdy avait bonne conscience et bon portefeuille. Dans les résistants on trouvait surtout des pauvres. Fille à papa d'un éminent socialo elle avait fait carrière grâce aux amis en ne connaissant les difficultés des masses laborieuses que par ouï-dire. Mais pour une réélection elle avait dansé avec un pauvre dans un bal populaire. Les demandes venant d'en bas d'une répression forte et rapide quel que soit le nombre de morts chez les envahisseurs lui firent pousser des cris stridents. "Ils sont puants, les qui d'mandent ça ! Puants !" clamait la puante Aurdy. Et l'inénarrable Lindrone accourut apporter son soutien (il avait un film à promouvoir et arriva aussi vite que possible du Mâôc) : "Aaah, puants, je vomis, ils me donnent envie de vomir, aaah, je vomis sur eux. " Aurdy remarqua avec satisfaction que le débat politique qui était tombé très bas ces derniers temps à cause des réacs qui voulaient chasser les bons p'tits musuls avait enfin repris de la hauteur. On redevenait fier d'être Français.

Ceux qui voulaient défendre leur pays étaient racistes... racistes... racistes. Les prétendues associations de droits de l'homme, les prétendues associations anti-racistes envoyaient chaque jour des charrettes entières d'individus à condamner aux dociles tribunaux. Et s'appuyant sur les lois limitant la liberté d'expression de Chosset, les lois d'autoprotection de Chosset votées grâce aux socialistes, ils condamnaient, condamnaient, condamnaient. Racistes... racistes... racistes... tous ceux qui défendent leur pays et l'avenir de leurs enfants sont racistes. En leurs djournaux Pourat et Louzette chaque jour exigeaient plus de têtes, encore plus de têtes; ils épluchaient avec leurs fines équipes les moindres propos tenus, parus, ils trouvaient; leur peur d'être punis pour trahison était telle qu'ils voyaient des crimes contre eux partout, dans les moindres propos. Tout et tous leur étaient suspects. Ils exigeaient des condamnations exemplaires. La justice, selon eux, était molle dans leur lutte contre le racisme. Racistes... racistes... racistes. Le Président se livrait à de lénifiantes envolées patriotiques et pensait à ses proches vacances en Quicanie, il y serait bien resté mais les prix sont si élevés là-bas; il ne faisait rien. Agir risquait de déplaire aux pays à pétrole. De déplaire aux Quicains. Les Quicains ont entre autres spécialités de poursuivre devant le Tribjunal inte'natiônal comme criminel tout dirigeant qui résiste à leur politique, laquelle consiste à obtenir du pétrole à bon marché en livrant aux musuls des territoires européens. Si vous faites le guerre comme les Serbes pour cesser l'invasion, les Quicains viennent vous tuer et eux ne passent jamais devant le Tribjunal inte'natiônal - en réalité un tribunal quicain, des basses oeuvres quicaines.

Un djournaliste non-orthodoxe avait déclaré que dans les affaires de drogue, dans les affaires de vol, d'agression, la majorité des poursuivis et condamnés étaient arabes ou noirs. Pourat, Louzette, Lindrone, Aurdy, les associations crièrent, pleurèrent, braillèrent : raciste ! raciste ! raciste ! Il objecta qu'il suffisait d'aller voir, la vérification était facile. Vérifier ! Vérifier des propos racistes ! Aah, elle était bonne celle-là. Il n'y avait rien à vérifier. Il devait être chassé du journalisme. De fait son journal, quoique de droite, le convoqua illico en vue d'une procédure de licenciement. L'affaire avorta néanmoins, de nombreux lecteurs de ce journal signifiant qu'ils ne l'achèteraient plus si cette procédure n'était pas stoppée. Elle le fut. Les soi-disant anti-racistes en crevaient de haine : voilà la drouète, la sale drouète, ils veulent chasser les bons p'tits musuls; quelle horreur ces gens de drouète ! Aurdy en versa publiquement quelques larmes médiatiques.

Qui n'a assisté à une séance interne de ces associations anti-racistes nourries, gavées avec des fonds socialistes venant de mutuelles d'étudiants ou de syndicats amis, mais aussi des pétro-dollars qui n'ont coûté aucun effort à ceux qui les leur donnent, ne connaissent pas le degré de haine de ces gens-là pour les vrais Français qu'ils voulaient purement et simplement éliminer afin d'échapper au châtiment des traîtres, et dont ils n'hésitaient même pas à nier l'existence puisque homo sapiens n'était pas né là : aucune ânerie n'arrêtait la haine de ces gens. Une affaire célèbre de l'époque illustre parfaitement la face sordide de ces associations, si différentes de celle médiatique. L'un des fondateurs de l'une d'elles se servait dans ses fonds régulièrement pour s'offrir des montres de luxe. Avéré. Mais il ne fut pas condamné. Parce que si on commençait par en condamner un... La justice avait été sage.

 

 

 

On ne meurt pas comme on veut. On ne choisit pas sa mort. Les chirurgiens et les médecins choisissent votre mort. Ils vous prolongent comme ils veulent, eux ont une volonté qu'ils appellent éthique médicale, ils brisent votre volonté au nom de leur éthique; ils ont le médicament, ils ont le pouvoir, ils ont la force.

Ils étaient fous de rage que Jean ne soit plus leur prisonnier. Ces étranges prisons que l'on nomme hôpitaux, où les plus durs châtiments sont infligés et où les récalcitrants ont double peine sans jugement, ne peuvent tolérer que le subissant se croie libre. L'humiliation quotidienne est un raffinement que la maladie ne peut imposer que grâce à la médecine. L'horreur médicale est la collabo humaniste de l'horreur de la maladie. Le subissant est le sali, l'humilié, l'avili. Tu n'es plus un homme, tu es un malade. Les employés de la maladie assouvissent sur toi leur soif de pouvoir. Ils se vengent d'être ce qu'ils sont sur le subissant. Et tu devras les remercier. L'humilié remercie. Merci Madame la Chirurgienne, Monsieur le Chirurgien de m'avoir amputé, merci Madame, Monsieur le Médecin de m'avoir déstabilisé et drogué, merci Madame l'Infirmière, Monsieur l'Infirmier de m'avoir rendu piquouse-dépendant. Je tiens à remercier ici tout le monde médical. En échange j'espère qu'ils m'autoriseront à crever sinon tranquille du moins dans des délais pas trop prolongés. Je n'ai rien fait de mal, ou pas plus que les autres en général, je sais que ce n'est pas une excuse, personne n'a d'excuse. Mais laissez-moi m'en aller.

Un commando de médecins, chirurgiens, infirmiers de première classe sortit du bateau médical à la nuit tombée pour traquer Jean. On avait des informations précises sur le fuyard. Elles avaient été aimablement communiquées par son frère Paul qui se rongeait les sangs de le savoir perdu pour la science. Paul s'amusait. Il lâchait une meute de la mort sur le saint prêcheur. La politique hait l'âme. Le repenti de la politique court le crime comme la pute les grands magasins. Avoir console, calme un instant la souffrance de se voir ou simplement de s'être aperçu. Quand on est content de soi on est simplet ou fou. Paul s'était cru médecin du monde en prônant les médicaments politiques qui allaient le soigner, déçu de lui-même il déléguait à des collègues.

Jean ne se méfie jamais des hommes. Il n'est pas naïf. Il sait non seulement ce qu'ils sont mais qui ils sont. Les êtres de cette terre ont une existence réelle. Ils se plaignent d'eux-mêmes et ils brisent tous les miroirs. Jean est un miroir. L'homme qui ne torture pas, qui ne blesse pas, qui ne tue pas, est un monstre parmi les hommes. Jean passe par cette terre comme le missionnaire en terre païenne. Les hommes vivent tous en terre sainte, ils se voilent la face, ils détruisent les images pour ne pas se regarder, ils choisissent de ne pas vouloir, ils n'ont pas honte d'eux-mêmes.

L'ambulance était garée dans le parking d'un hypermarché aux portes de la ville coincé entre une autoroute, un fleuve nain, une station d'épuration et la mer, presque vide à cette heure. Mais par un des ces hasards dont l'histoire des crimes manqués est pleine Jean était parti se promener, seul en dépit des objurgations de Sandra. D'habitude elle est vigilante. Elle aurait senti venir l'attaque. Mais elle attendait. Elle avait consenti à rester, elle n'avait plus de raison de veiller, elle attendait. Le commando piqua l'infirmière et l'aide-soignante pour qu'elles dorment longtemps et emporta le chauffeur qu'il prit pour Jean.

Ce chauffeur bénéficia des traitements les plus avancés. Comme Jean avait subi les prises de sang, dépistages multiples, radio, scanner, lors de sa précédente visite médicale on ne jugea pas indispensable de les refaire et au lieu de perdre du temps on commença sans retard le traitement. Il était lourd parce que la maladie était grave et par-dessus le marché dans sa phase finale : c'était donc la dernière occasion de le soigner, il ne fallait pas la laisser passer. Le malade était bien traité. Mais comme il s'était évadé une fois il était nécessaire de prendre des précautions afin qu'il ne risque pas d'interrompre son traitement. Il était sanglé sur son lit. Comme on se sent heureux d'aider les autres, de leur être utile, de les sauver dans la faible mesure du possible. Bien sûr cet homme va mourir mais accrochez-vous, nous sommes avec vous, nous allons lutter ensemble, nous allons nous battre. Jusqu'à la fin. La sienne.

Jean revenu à l'ambulance de son pas lent de malade et rêveur, fut médusé. Il n'avait pas été absent plus de... il regarda sa montre : trente-cinq minutes. Il essaya de réveiller Sandra. En vain. L'aide-soignante non plus ne pouvait pas se réveiller. Il s'assit, s'efforça de deviner. Peu de gens disposent de produits à injecter - il voyait la trace de la piqûre -, ont une seringue, et sont décidés à enlever... mais pas le chauffeur bien sûr. Dès son réveil Sandra se mettrait en rapport avec la police et le délivrerait. En attendant comme il ne saurait être question d'échange, il se mit au volant et l'ambulance se dirigea vers les collines.

La mort le gagnait lentement, il la sentait maintenant dans chacun de ses actes. Vu par les autres ils étaient ordinaires. Vu par les autres, il était chauffeur d'ambulance. Et dans celle-ci le corps médical, en fait deux, et charmants, dormait à poings fermés, inoffensif. Jean n'était pas un bon chauffeur, d'habitude il ne conduisait jamais; cette nouveauté hardie dans ses dernières heures l'amusa. Pour un moribond quelle aventure ! Sa première expédition automobile. Il allait prudemment, la circulation était fluide mais on le klaxonnait souvent, il s'appliquait. La mort s'applique à ne pas provoquer d'accident sur la route folle. Elle se grise de sa correction raffinée face aux injures de la bonne santé : "Connard, va donc apprendre à conduire !", "Eh le demeuré, ton ambulance, pour toi, elle va devenir corbillard !" Le peuple joyeux rit de la mort qui passe.

L'ambulance erra à travers les pins des collines, enfin stoppa. Le bruit des hommes s'était tu. Jean sortit lentement encore amusé de son exploit, il vint regarder Sandra, la secoua vainement, l'aide-soignante dormirait encore longtemps aussi. Il n'aurait pas voulu être mort avant le réveil de Sandra, il aurait voulu ne pas être mort avant mais il fallait peut-être se résigner à cela aussi.

Les collines chantaient. Un hymne à la vie qui se reproduit, un hymne à la vie éternelle. Il était venu ici écouter le chant de la vie.

Il referma la porte arrière de l'ambulance, prit un chemin comme au hasard. Pourtant il aurait dû s'arrêter, s'asseoir; il avait présumé de ses forces, il était au bord de l'évanouissement. Il ne pouvait pas s'arrêter. Il marchait en mourant.

Les traces des hommes sont partout dans ces chemins de forêt. Les traces du passé sont les marques de toute la terre. Elles sont l'imperfection des hommes, le mal des hommes. Le saint prêcheur sait le mal des hommes, il continue sans regarder les marques, il n'a pas de but, il n'y a pas besoin de but, la mort n'est pas un but, la vie n'a pas de but.

Les heures étiraient leurs ombres sur les étendues brunes d'aiguilles de pin tombées. Jean suit le chemin, de partout les pensées des hommes volent à lui. Sa solitude est peuplée des espérances et des désespoirs des hommes. Et le prêcheur se souvient. Les âmes en peine impuissantes à se transformer venant demander qu'on les délivre de ce qu'elles sont. Les âmes prises au piège du monde dans les cris et les pleurs supplient sans croire vraiment. La prosternation devant les signes est rancoeur de ne pas avoir la puissance. Chacun voulait que son désir soit le droit; la volonté est puérile; la volonté de la sottise parée des attiffements religieux donne le plus gros comique. L'égoïsme pense en robe d'altruisme; il se remplit les poches en donnant ce qu'il n'a pas, ce qui n'est pas à lui; son altruisme s'achète cher, on ne lui aura évidemment aucune reconnaissance de l'avoir vendu.

 

 

 

Barthélemy et Laurent ont exécuté un raid punitif sur une cité pourtant bien gardée. Les musuls se relaient par équipes pour assurer la sécurité de leur zone. Mais la nuit deux hommes font ce qu'une division de l'armée ne réussirait pas, ils passent la ceinture de barricades, accomplissent leur "mission", qualifiée de "forfait" par les autres, repartent sans tracas. Les cités ont des chiens, ils sont plus à éviter que les hommes, ils vous harcèleront sans répit s'ils vous dépistent, sans peurs, sans calculs, sans réflexions. Barthélemy et Laurent se sont mis aux explosifs. Le fusil, la kalachnikov créent peu de dégâts. Or si l'on ne tue pas assez d'ennemis la guerre a l'éternité pour elle. Il faut tuer beaucoup afin de l'emporter ou ce n'est pas la peine de lutter, on a perdu. Les plus nombreux, à terme, sont toujours les vainqueurs. La volonté pense avoir le droit de choisir le côté des morts. Quand les musuls le peuvent, même en sacrifiant des leurs - leur dieu s'en chargera -, ils "nettoient" les blancs chrétiens auxquels ils souriaient la veille pour avoir des papiers. Leur méthode s'inspire de celle des noirs d'Afrique du sud, beaux discours copiés sur ceux de la taulairance, prendre, tuer; les naïfs y paient en premier les prétendus crimes de leurs ancêtres. Tout se justifie, ce n'est qu'une affaire d'avocat plus ou moins bon, plus ou mains cher. Donc est mathématiquement préférable ce qui moralement est le plus condamnable. Faire sauter un immeuble plein vaut mieux que gagner une petite bataille, la nombre de morts est plus grand. Et que l'on ne nous serve pas qu'il s'agit d'innocents. Les femmes enfantent des guerriers et d'autres pondeuses, les enfants attendent de pouvoir prendre la relève de ceux qui tombent. Ils sont une bombe humaine envoyée par la musulmanie et on ne peut pas désamorcer, il faut la faire sauter elle-même. Seule sa mort peut vous sauver d'elle.

La gloire nimbera les vainqueurs. Les avocats de l'Histoire rendent beaux les crimes de la gloire. Les vainqueurs seront les héros - leurs descendants tiendront le système universitaire de l'Histoire. Barthélemy et Laurent sont devenus la guerre. Ils ont pour eux le droit, le droit de la terre, mais il n'y a pas de droit qui ne soit basé sur la force; ils savent qu'ils auront le droit de la terre s'ils tuent assez d'envahisseurs pour que ceux-ci n'aient pas le droit de la terre. Les morts ne sont pas des ombres qui se réuniront pour vous cacher le soleil. Le soleil brille pour les forts. Les autres ont des femmes qui pleurent. Ils ont des enfants qui demandent le soleil. Le reproche des enfants envers les pères qui ont livré leur pays ou été faibles quand on envahissait leur pays, est, au-dessus de la honte, la torture sans fin. Tous ceux qui ne naîtront pas à cause de la générosité, de la tolérance des pères, parce que l'on ne voudra pas qu'ils naissent dans un pays aux mains des ennemis, parce qu'ils ne voudront pas naître dans leur pays occupé, joignant leurs cris dans le ciel aux sacrifiés de la terre.

Barth et Laurent ont de loin regardé sauter l'immeuble, ils ont suivi l'affolement, l'arrivée des secours car les musuls tiennent maintenant plusieurs hôpitaux et des casernes de pompiers, ils contraignent ceux qui ne sont pas des leurs à les sauver, la menace porte toujours sur les familles, les filles surtout sont leurs otages, ils n'ont pas de morale, ils sont  un  dieu  à  la  morale limitée à leur intérêt. Combien de morts là-bas ? La seule source de renseignements serait la radio sur laquelle ils ont mis la main, mais ils y ont imposé la langue arabe alors on ne comprend rien. Pour eux la nouvelle langue de la France est l'arabe. Quoi ! ils ont papiers, ils sont aussi françouès que toi ! et leur langue, c'est l'arabe. Trois cents, quatre cents tués ? Là-bas ils hurlent pour des représailles comme si le crime originel n'était pas leur présence sur cette terre. Qu'ils aient commencé, oui les premiers, à tuer, ne gêne pas les Quicains qui contre du pétrole pas cher, affirment que les immigrés ont bien le droit; bientôt ils proposeront leurs marines pour assassiner les Français, ils ont agi selon leur intérêt direct sur toute la planète, leur hégémonie aura été le crime planétaire organisé. Là-bas, au loin, que de morts, mais pas pour rien. Il n'y a pas de mort pour rien. Les civilisations sont comme l'eau et l'huile, elles ne peuvent pas se mêler, ce ne sont pas de simples cultures. Il n'y a pas de la place pour tout le monde au même endroit. On sauve son pays et ses enfants, nés, à naître, ou on les perd.

Il est indispensable de ne pas laisser de traces. La marque là-bas, la blessure sur la cité, doit être la seule trace. Les deux guerriers se méfient des chiens; ils disposent quelques pièges, ils laissent derrière eux quelques pièges à chiens, mais aussi ils placent quelques mines, dans des endroits où seuls leurs poursuivants passeraient, peut-être aussi un sanglier; ils laissent derrière eux des lieux de mort. Leur pas devient plus rapide; ils traversent des routes, ils remontent des rues; ils gagnent les collines.

Les parents les croient en excursion. Les lycées sont un système de surveillance auquel ils savent échapper. Les voilà libres de la mort et de la vie jusqu'au soir. Ils savent où aller, ils ont leur sanctuaire. Un endroit où personne ne vient, où personne ne peut les attendre.

Jean les attend. Ils sait sans avoir eu besoin de hasard ou de révélation. Il n'a pas su tout de suite pourquoi, après être logiquement venu se réfugier dans ces collines, il prenait ce chemin à peine tracé qui disparaissait brusquement. Il a su en voyant que le sol avait été foulé. En haut il a fait le tour de la cabane, il est entré dans la cabane. Il s'est ensuite assis au pied d'un pin élancé, au tronc large comme deux Jean, qui est plus haut que la forêt, et depuis il attend.

Barthélemy et Laurent passent près de l'ambulance. Curieux ils découvrent les dormeuses. Leur présence est énigmatique. Ils ne croient pas qu'elles soient seules. Ils ressortent les armes, dissimulées pendant la dernière partie de leur parcours. Leur chemin a été piétiné. Quelqu'un est passé là, c'est sûr. Mais pourquoi ? Comment aurait-il pu les trouver... les connaître déjà... ils sont fondus dans la guerre... la guerre n'a pas livré leurs noms...

Jean ne fait pas la morale, il ne fait pas de morale. Barthélemy et Laurent écoutent Jean leur parler de la terre. De cette terre sur la terre. Lui seul peut dépasser leurs actes pour leur parler. Jean prêche pour la dernière fois. Il n'a pas de message. Ses prêches ne sont pas des listes d'ordres plus ou moins justifiés. Il lutte contre les oeillères, il ne cherche pas à remplacer des oeillères par des oeillères. Les contraintes de la raison ne sont pas préférables aux autres, uns prison n'est pas préférable à une autre. Barth et Laurent se créent des prisons à l'infini, ils s'évadent de l'une dans une autre et un temps se croient libres; ils fuient de prison en prison; leurs barreaux sont des morts. On reste prisonnier de ceux que l'on tue. Jean leur montre le temps. Il les mène au-delà des barrières. On comprend quand on dépasse sa raison. Le domaine de la raison est infime. La connaissance du fini, limite de la connaissance de la raison, sera parfaite un jour, cette perfection finie n'ouvrira aucune porte. Le fini n'a pas de balcon sur l'infini. Au-delà de la connaissance, commence la vérité. Certes nous en faisons partie, d'une certaine façon, oui, mais nous vivons dans la raison, c'est-à-dire dans le refus, dans les prisons volontaires, la volonté s'unit à la raison pour le crime qu'est cette humanité. Nous ne nous voyons pas. Nous ne nous imaginons même pas. Les hommes enfantent l'illusion de l'Histoire pour justifier leurs boulets, ils enfantent les espérances, monstres fabuleux qui se dressent entre eux et le vrai. Le temps est la révolte de Satan, le crime de Caïn, le fard d'Eve. L'Histoire en putréfaction n'a pas de charognards et l'humanité n'a pas de prédateur à espérer. Elle marche en un cercle qui n'est que du temps. Il faut rejeter de ses épaules le vieil homme, renoncer à l'homme.

 

 

 

II

La planète des clowns se prend très au sérieux. On doit suivre toutes ses péripéties sur les autres planètes, des écrans géants doivent 24 h sur 24 permettre de suivre en direct les bons moments et il n'y a quasiment que de bons moments. Des moments drôles. Des moments où l'on tue, dans la bonne conscience car le droit se livre généreusement à l'un et l'autre parti, un troisième éventuellement, un quatrième... Sa générosité est sans fin. Le droit tolère tout, chacun a bien le droit, le droit n'a pas de morale. La morale est la bégueule du droit. Ils se fréquentent mais d'assez loin, quand un intérêt possesseur de la force les y oblige, qu'ils doivent servir un maître. Mais pour l'heure, tout va bien. Le droit est à l'aise et se répartit équitablement, il aide toutes et tous à avoir raison et la raison nourrit les volontés d'arguments absolument indiscutables; la morale s'est démultipliée, il y a foultitude de morales, elle a pris des vacances, elle met des masques, elle fait la folle, elle joue de grandes scènes.

Aujourd'hui un enfant est mort. Des "jeunes" sont  venus et  l'ont  frappé. Ils  avaient  une bonne raison : il était blanc. Ils ont tué le gamin de cinq ans parce qu'il voulait les empêcher de violer sa grande soeur. Ils étaient venus violer et tuer parce qu'ils n'aimaient pas les parents de ces deux-là. Leurs parents s'opposaient à ce qu'ils deviennent de plus en plus nombreux dans le pays et exigeaient qu'ils repartent chez eux. Mais là-bas c'est la misère. Ici il y a à prendre. Et puis ils sont nés ici, de parents qui ont exigé papiers, ils sont françouès, ils veulent des mosquais, chaque jour dans le pays on brûle ou on détruit une église. Si quelqu'un proteste contre l'islamisation, le droit se charge de lui, on le tue. Le pays chrétien est souillé, sali. Les collabos athées crachent sur le Christ unis aux hordes. Ils livrent leur pays en se félicitant de la laïcité. Leurs femmes prennent volontiers le voile pour prouver leur tolérance; ils s'assimilent bien, les athées, on les dresse vite à être musuls car du moment qu'ils peuvent cracher sur les chrétiens pour eux tout est bon..

Là-haut sur la colline, Barthélemy, Laurent, l'aide-soignante aident Sandra à enterrer Jean. Puis elle reste seule. L'aide-soignante va délivrer le chauffeur des griffes et de la gueule médicales. Barthélemy et Laurent sont sortis du droit et du jeu ambigu des morales. Ils servent les leurs pour imposer une nouvelle loi. Ils ont l'arme forgée par Jean. L'épée flamboie dans le soleil, elle est parfaite, elle ne se brisera pas.

Sandra ne repartira pas. Elle l'a suivi à sa dernière étape. Mais elle n'était pas là quand il est mort. Ce ne fut pas sa faute. Elle ne s'en consolera pas.

L'avenir redescend les collines. Barthélemy et Laurent y sont montés terroristes, ils en redescendent chefs. Ils savent que les foules suivent ceux qui clament les opinions qu'elles ont alors que sans eux elles laissent faire, elles condamnent mais elles laissent faire. Ils ont été sacrés sur la colline.

Une vérité défend les siens. Le mensonge qui a le masque de la vérité dit et répète la taulairance. La tolérance des faibles n'est qu'un mensonge pour masquer leur déroute. Les lâches sous le masque de la tolérance sont les héros du mondialisme, du pluriethnisme, du multiculturalisme. Leurs enfants esclaves crieront de haine en dressant leurs poings contre les fantômes de leurs parents.

La vérité des siens crée le droit. On a le droit de ne pas habiter la maison des courants d'air. Il ne faut pas seulement qu'une porte soit ouverte ou fermée, il faut pourvoir l'ouvrir quand on veut, la fermer quand on veut. L'auberge espagnole est à mettre dans les contes et légendes.

Le droit des siens crée la morale. Et il y en a assez d'une car elle est la vérité. La vérité n'est pas donnée, il faut la créer, la penser, elle ne devient pas raison du jour au lendemain, il y faut des efforts, il faut tout un travail. Ou on est maître chez soi ou on n'est rien. Si tu laisses enlever ta porte ou casser ta porte, si n'importe qui s'installe sur ton canapé et regarde ta télé quand il veut, parce que la sienne ne fonctionne pas, ou même sans raison, alors ils seront bientôt nombreux à s'installer chez toi puisque c'est sans risque, alors tu n'es plus chez toi. Alors ils y seront bientôt chez eux. Ils n'ont pas de scrupules. Si tu as la tolérance face à l'absence de scrupules quand ils ont décidé que chez toi ce serait un fief du musulland, tu as tué tes propres enfants. Chosset est l'assassin de son pays, ses poches sont pleines ainsi que celles de ses amis. Mais la reconquête vient d'avoir des chefs investis par celui à qui ils ont reconnu le droit de les investir. L'autorité n'a pas besoin d'autre fondement.

Les temps nouveaux, en quoi sont-ils nouveaux ? Les déserteurs de la patrie ont déclaré qu'ils seraient nouveaux en ce que la patrie serait livrée à une autre civilisation. Les déserteurs de la patrie pensent qu'ils ne seront pas fusillés. Barthélemy et Laurent créeront les temps nouveaux. Les temps nouveaux seront le temps retrouvé. On a le droit d'être soi.

 

 

 

En fuite sous  les étoiles, Paul ricane tout seul. Il n'est pas recherché. Il fait comme s'il était recherché. Paul le recherche, il le fuit.

Un jour il s'est perdu, la politique a chaviré dans la tempête, il s'est accroché à tout ce qui surnageait, ce qui flottait. Puis il a lâché prise. Il dérive seul dans l'océan, il rit de ne pas être mort alors qu'il est mort.

Il erre dans des rues vides. Et soudain il distingue, vers le fond du décor, tout là-bas, une agitation. Une horde pille un grand magasin. A terre gisent les corps des vigiles et de leurs chiens. Une dizaine de vigiles. Les deux tiers sont des noirs. La horde a deux camions, l'un vient juste de revenir après un premier voyage, l'autre est presque plein. Paul s'approche sans bruit. La horde est blanche.

La confiance en l'armée, en la police, la gendarmerie s'est effondrée définitivement quand les appels désespérés pendant des attaques ont reçu des réponses destinées à justifier une attente impossible. Quand les renforts arrivent systématiquement trop tard on s'arme et on se défend. D'abord les institutions s'en sont prises à ces gens qui adoptaient le parti de l'auto-défense, donc du chaos. Les médias sont intervenus pour condamner. Pourat, Louzette, Lindrone, les associations, qui justifiaient si bien, tout en prétendant ne pas justifier, les agressions des pauv' p'tits musuls à qui on ne donnait pas assez, ne badinaient plus avec la loi quand il s'agissait de blancs. Ceux-là étaient des monstres, ils se défendaient. L'argument du chaos que l'on créerait alors que l'on vivait en plein chaos était faible, comique même. Les hordes blanches s'étaient organisées; des policiers et des gendarmes les avaient rejointes; elles se servaient partout comme les autres parce qu'elles devaient lutter à armes égales avec les autres, avoir le ravitaillement nécessaire pour soutenir des sièges comme les autres, avoir le matériel de luxe qu'elles n'avaient pu que voir dans les magasins comme les autres. Leur argument de justice était lumineux : tout ce qui se trouvait dans cette région avait été réalisé par leur travail et celui de leurs aînés, tout l'argent qui permettait d'acheter ce qui se trouvait sur cette terre-ci était le vol du capital sur le travail. Ce qui est ici est à nous, nous ne faisons que prendre ce qui nous appartient. Les riches n'ont été que les profiteurs d'un système qui, pour être plus riches, a abouti à ce qu'ils vendent notre pays, derrière notre dos, sans nous le dire; leur presse libre mentait et mentait encore pour qu'ils puissent mieux se remplir les poches sans être punis. Ils ont tout vendu, même notre terre. Grâce aux politiques roublards, aux chanteurs en english drogués, aux acqueteurs viande à vendre, aux djournalistes à qui on a laissé faire carrière parce qu'on était sûr qu'ils se livreraient à la propagande musul éhontée en souillant les ondes et la presse écrite, les écrivains pacotilles d'éditions, les publicitaires et leurs troupeaux de putes... Marat revenu voulait leur sang pour le retour de la justice.

Paul hésitait. Il avait envie d'aller proposer son aide, très envie. Mais ces citoyens n'avaient pas besoin de son aide. Ils risquaient de le prendre pour quelqu'un qui veut sa part, un individu intéressé. Qui ne l'est pas ? Paul ne l'est pas. Il est asocial dans le chaos.

L'envie d'aider les pillards le taraude. Toute sa vie il a voulu aider. Pour cela il a travaillé dur afin d'édifier un nouvel ordre économique, un nouvel ordre politique, un nouvel ordre moral. Il a écrit des traités. Des traités pour une société plus juste, pour une société plus fraternelle, pour une société plus libre. Ce militant de l'avenir âge d'or avait bâti de sa tête un palais pour l'humanité. Avec lui elle aurait été bien logée. Mais le fleuve des temps avait débordé; partout des inondations catastrophiques. Chacun était occupé à sauver les siens. Le palais de Paul était noyé. Sous les eaux. Il serait la nouvelle Atlantide.

De sa cachette il vit le second camion partir, le premier recevoir un nouveau chargement, puis tous disparurent. Alors il alla jusqu'au magasin, il y entra. Pas trop de casse par terre. Des rayons presque tous vides; les déménageurs avaient exécuté leur travail avec sérieux, diligence, efficacité. Du bon boulot, les gars. Il s'empara d'une petite chose, une babiole, un baladeur numérique oublié, pour participer symboliquement à l'action. Il jeta un coup d'oeil sur les morts, s'arrêta. Il n'avait pas de prières pour eux car il ne croyait à rien; ils étaient devant lui et il n'arrivait pas à penser à eux. Pour lui seule la vie était compréhensible. La horde avait forcément raison contre les morts puisqu'elle était vivante. Le fait de tuer est condamnable à l'instant où le meurtre est commis; après, la condamnation n'a plus de sens, il faut être du côté de la vie.

Marchant dans les rues il réfléchissait. Il aurait voulu entrer dans un groupe, participer à la lutte finale. Toute sa vie il avait été solidaire, il avait pensé aux autres, pensé pour les autres, maintenant que sa pensée était inutile, qu'il était avéré que son passé ne servait à rien, il souhaiterait être un humble maillon de la guerre. Mais qui veut de lui ? Un homme sans maître est un marteau fou et Paul ne peut servir. Ni loup ni chien il n'est pas assez bête pour être accepté par une collectivité. Les individus sont perdus. Ils doivent se cacher en adoptant la comportement, l'apparence des meutes pour ne pas être supprimés. Un ensemble n'est fort que par la discipline comme toute armée, la discipline n'est forte que s'il est homogène. Les fauteurs de faiblesse doivent être effacés. Il faut savoir tuer chez soi avant de pouvoir tuer chez les autres.

Les hordes blanches ne l'attiraient ni plus ni moins que les colorées. Mais il n'avait évidemment aucune chance de présenter les caractéristiques ethniques pour être admis ailleurs; quant à la religion, il n'arriverait jamais à singer les naïvetés "je te prie alors tu donnes, au moins dans l'autre monde, hein ? d'accord ?" Paul avait cru en l'homme. Il s'était déçu lui-même. Il avait été aussi naïf que les croyants en ceci en cela.

Il n'avait aucune raison de voler, aucune raison de tuer; dans une guerre il n'avait rien à faire. Un chômeur de l'horreur. L'unique possibilité est d'attendre que ça passe. Mettre en somme la guerre au niveau du mal de dents.

Son désoeuvrement il l'attribuait à son intelligence. Elle l'avait aveuglé et le résultat : il était seul. Pas seul contre tous. Autrefois il était seul avec tous sur sa colline d'art, maintenant il était à côté.

La pensée de la pute-mannequin lui traversa l'esprit. Non pour un remords. Au contraire. Comme une tentation. Le désir lui revenait pour la morte, peut-être parce qu'il l'avait forcée à considérer sa présence, elle avait été avec lui de force. Elle existait encore dans son souvenir, uniquement; elle dépendait de lui; elle lui appartenait. Seule en lui elle appelait des compagnes, il fallait que le maître lui offre des compagnes. La morte en lui serait apaisée par d'autres mortes.

Les hordes d'arabes et nègres faisaient la chasse aux femmes blanches que l'on ne pouvait plus laisser sortir sans une escorte solide; surtout elles s'efforçaient de capturer les vierges et alors c'étaient des viols en groupe, répétés, ils les réduisaient en esclavage dans les caves qui leur servaient de cellules. La femme est la maillon faible d'une troupe; perdre des femmes c'est perdre à la fois une motivation de lutte et une possibilité de reproduction; elle est aussi aisément gagnée par celui qui lui paraît le plus fort, attirée par la bête mâle en dépit de sa raison; il faut la garder contre elle-même pour éviter toute trahison. Les blancs n'étaient pas attirés par les femmes des autres, sauf exception; ils violaient peu par conséquent; ils en étaient réduits à les tuer tout de suite quand ils en avaient l'occasion. Mais naturellement ces atrocités ne servent à rien si on ne tue pas les enfants. Si vous laissez la relève grandir et si les autres réussissent à produire plus d'enfants, vous êtes perdus. Une guerre se fait d'abord contre les enfants ou elle est perdue. L'horreur la plus grande est victorieuse de l'horreur moins grande; la victoire due à la grandeur d'âme c'est du Corneille.

Avant les "événements" on était tenu de se poser deux questions : "Que vais-je faire ?" et "Qu'est-ce que je ne dois pas faire ?" La vie s'était simplifiée, la deuxième n'avait plus besoin d'être posée. Souvent la première non plus. Vous êtes comme ceci donc vous vous joignez à ceux-ci ou vous serez vite mort. Mais Paul est à côté de la guerre. Nul n'a de raison de le tuer mais nul ne le sait. Il est une victime facile. Prudente aussi. Lui qui ne tient pas à la vie est pourtant aux aguets; au moindre danger il se cache : ne plus avoir de raisons de vivre ne donne pas l'envie du martyre. Il n'a pas de raisons de souffrir et de mourir. Paul est comme les fantômes, entre l'existence et la non-existence. Son seul lien avec les autres réside dans l'état de subissant. De subissant réfractaire.

Une autre horde. Elle opère sur une maison à la façon d'un commando. Tout se passe très vite. Des coups de feu. Les arabes ressortent avec des sacs poubelles pleins et deux filles aux mains attachées qu'ils prennent plaisir à tirer par les cheveux pour les obliger à avancer. Paul a pitié d'elles, si jeunes; il sait ce qu'elles vont subir, elles s'en doutent à peine, elles croient probablement que quelque chose arrivera qui les sauvera ou qu'elles pourront émouvoir leurs violeurs. Il n'a pas la possibilité d'intervenir. Etre témoin ne sert à rien. Qui se souciera d'elles après la guerre ?

La meute partie il entre dans la maison. Trois adultes à terre, morts. Des marques de torture. Brusquement il se trouve face à face avec une fille, jeune. Elle hurle de peur. D'abord effrayé lui aussi il essaie ensuite de l'attraper. Elle fuit en criant. Des mots sans suite. Il la saisit, elle se défend mais mal, il la frappe, elle se tait, elle le regarde, les yeux  pleins  de  larmes sous des mèches de cheveux acajou... Paul a une idée : "Où y  a-t-il  un appareil  photo ?" Elle  ne  répond pas, elle  ne comprend pas, il la secoue violemment : "Où ?" Elle regarde dans une direction, peut-être veut-elle montrer l'endroit faute de pouvoir parler. Il va fouiller. Brusquement elle se relève et essaie de s'échapper, il est obligé de la rattraper, de la frapper, de la punir sévèrement pour avoir désobéi. Elle ne bouge plus, elle respire fort. Il examine le lieu. Sans doute s'est-elle réfugiée dans sa propre chambre, on trouve encore une poupée... des produits de maquillage... photo de groupe de chanteurs à la mode... Comment a-t-elle pu échapper à la meute ? On ne voit pas comment elle aurait pu avoir une cachette secrète dans ce type de maison... Et un appareil photo numérique !

Paul photographie d'abord la fille telle qu'elle est. Gros plan du visage, très gros plan sur les larmes... voilà... maintenant la meute l'oblige à prendre diverses postures... à se déshabiller... elle subit des sévices et ils sont photographiés. La fille est dominée complètement. Elle ne pleure plus. Elle subit, elle obéit. Sans doute espère-t-elle échapper ainsi à la mort. Mais la meute est impitoyable. Elle l'avait appelée pour se débarrasser de sa famille à la suite d'une dispute, d'une vexation, elle s'était vengée; elle avait été laissée pour donner de fausses indications, la meute saurait comment la récupérer plus tard. Mais la meute par Paul était revenue. La fille devait être totalement punie. Elle meurt comme la pute-mannequin, elle la rejoint.

Cette fois, pas de feu. Paul connaît un bureau d'un syndicat avec tout ce qu'il lui faut. S'y introduire n'est pas si difficile. Il est trois heures du matin. Il travaille. Sort les photos sur l'imprimante après avoir fait son choix et avoir apporté des retouches pour plus de vérité. Il est artiste, il sait manipuler tous les bons logiciels et il croit d'ailleurs se souvenir qu'on lui avait demandé conseil à lui justement pour avoir l'avis d'un expert et ne pas commettre de regrettable erreur. En tout cas ce logiciel est cette imprimante ont permis un bon boulot. Paul ajoute le texte provocateur de la meute, en mauvais français, avec des caractères arabisants. Met les groupes de copies dans de grandes enveloppes... une adresse pour un journal lointain... peu de chances d'arriver... et les autres à déposer par lui dans les boîtes aux lettres des correspondants régionaux des journaux parisiens, de la télé, du journal local, des radios. En route. On reproche ces temps-ci aux facteurs de rester chez eux mais le facteur Paul va passer.

Le lendemain, la presse, rien. Le surlendemain, le journal local. Le jour après, partout.

Une grève sauvage des photographes de métier qui voulaient une prime de risque fut la cause de la gloire posthume pour cette fille, les sévices et la mort n'auraient sinon pas suffi à cause du risque de la mise en cause directe d'une horde identifiable. On craignait moins les représailles que l'accusation de racisme. Toutes les précautions ne pouvaient garantir de mises en examen injustifiées, d'agressions inquisitoriales en tribunal de "justice", et de vols et violences légales par sa gestapo d'un nouveau genre. Mais le besoin d'images était crucial. La logique commerciale l'avait emporté.

Des textes émouvants accompagnèrent les preuves. Pourat en son djournal, les lèvres pincées, dit : "La France entière est horrifiée, la France a peur." En fait lui commençait d'avoir peur. Il sentait une réaction grandir. Il avait dû suivre le mouvement pour cette fille, il ne contrôlait plus la situation, il fallait jouer serré, mais combien de temps échapperait-il au châtiment ? Il maudissait cette morte qui réveillait le pays. Très vite les résistances à l'invasion musul, traitées de sales racistes xénophobes et tout hier, cessèrent d'être dénoncées à tort et à travers. La chute du taux de délation est une catastrophe pour une inquisition. On n'avait plus le pays pour soi. Les chrétiens décidèrent des processions, ils y montraient le visage de la fille martyre à côté de la Vierge Marie - pourtant elle n'avait eu aucune croyance, aucune foi. La police, sommée d'enquêter vite fait bien fait, non seulement identifia la maison familiale de la petite mais retrouva ses soeurs, lesquelles ne savaient pas qu'elle les avait livrées, les retrouva après avoir identifié la meute grâce à une empreinte malheureuse-heureuse, les retrouva un peu tard pour elles, dans une cave, avec d'autres qui bénéficièrent aussi de la brusque activité de la police généreuse car après tout elle ne les recherchait pas, elle n'avait pas d'ordres à leur sujet, elle aurait pu les laisser. La morte sauva toutes ces vivantes. Chacune des sauvées était prête à la déclarer sainte. En tout cas d'une certaine façon elle avait bien été martyre et, d'une certaine façon, elle servait bien la cause de Dieu. Pourat et Louzette appelèrent Lindrone. Mais de son palais au Maôc il répondit que le temps était trop beau pour qu'il puisse venir. Les associations furent mises à contribution pour prêcher leur anti-racisme si particulier qu'il justifiait l'invasion de leur pays. Malheureusement beaucoup de dirigeants étaient très occupés. Certains, prévoyants, à préparer leurs bagages. Donc les djournalistes sommèrent des ministres de venir à leur antenne allumer des contre-feux. Les ministres étaient en dérangement. Il fallut faire face sans invités. Le prêchi-prêcha apparaît nettement quand on ne peut le cacher sous l'information par invitations de "spécialistes". Ce jour fatal déboucha nombre d'oreilles. Les abrutis de télé se demandèrent tout à coup s'ils n'étaient pas des abrutis de la télé; ils commençaient de penser, action terrible. O la touchante scène quand les deux filles sauvées vinrent déposer une gerbe de fleurs devant leur maison, de grandes photos de leur soeur et de leurs parents étaient sur les murs de la rue. Quelle atmosphère de compassion, de fraternité, d'amour. La meute hurlait dans sa prison, elle proférait des horreurs sur la morte, cherchant toujours à salir ses victimes; on avait su la calmer, la faire taire; la mortalité en prison avait connu une hausse brutale. On avait l'habitude des délateurs de tous côtés; si on commence d'écouter ces gens-là... l'engrenage est terrible, tout y passe, la main, le bras et le reste. Il ne faut jamais tenir compte de la délation car elle se nourrit d'elle-même, ce crapaud devient vite colosse; on retrouvait ce vieux principe, une renaissance était donc possible.

 

 

 

III

La foi n'est que le reflet de la foi sur la planète des clowns. L'humain fier de sa pseudo-pensée se croit auguste et il est l'Auguste. On avait édifié de merveilleux systèmes qui prouvaient que la faiblesse est la force, que celui qui laisse l'étranger s'emparer de son pays est le grand gagnant, que le brave gars doit tendre la main aux affamés... qui la dévorent. Le soleil brille pour tout le monde; il cuit les uns, il laisse geler les autres... sois accueillant toi qui es en zone tempérée... mais ils prennent la place. Cette générosité que l'on avait prônée et imposée n'était pas la bonne. La générosité à sens unique n'est jamais la bonne. Elle n'engendre pas la reconnaissance mais donne l'ouverture aux prédateurs. On s'était trop crus augustes. L'auto-admiration avait bien fait rire les aidés, les sauvés, les libérés de la misère. Car la misère est l'esclavagiste. On allait briser ses fers ! Non pas dans les pays qu'elle dominait mais en important ses esclaves chez nous. Où ils ne seraient pas esclaves, assurément. Où ils seraient libres de garder leur façon de penser. Celle que leur maître leur avait enseignée. Leur modèle social. Avec eux à la place de la misère.

Les musuls sur leur zone conquise nettoyèrent deux maisons de retraite. Depuis que des vieux se changeaient en bombes, ils avaient raisonné et le résultat de leur concoctation fut l'élimination du danger potentiel. La mesure extrême se justifiait par des raisons de sécurité. D'ailleurs eux-mêmes avaient des vieux qui les gênaient chez eux et l'élimination des uns donna la place aux autres. Dans le fond on serait passé la veille du remplacement puis le lendemain, seules la couleur de peau et la religion, la civilisation, avaient changé. Vu d'un peu loin on aurait pu croire que la situation était la même. En tout cas elle était sous contrôle.

Des fosses communes étaient creusées ici et là. Souvent il n'y avait pas de méchants calculs à la base de l'opération, non, mais une soudaine inspiration. Qui aboutissait au nettoyage de blancs dans les zones arabes et noires. Du coup des blancs firent pareil mais la presse dénonça leur racisme, eux étaient racistes, pour les autres la presse et les politiques comprenaient : ils avaient été humiliés autrefois, enfin pas eux mais leurs ancêtres un peu lointains déjà, par la colonisation, ils retrouvaient donc leur fierté en liquidant les blancs et en exigeant que ceux-ci demandent pardon, ce que les très niais, les très stupides et les lâches faisaient, après quoi ils étaient liquidés, on prenait ce qu'ils avaient et on violait leurs filles. Mais la presse était très compréhensive. Sous la pression des associations et des pétro-dollars la presse produit un jus amer pour le lecteur qui croit encore à son objectivité, qui croit que sa liberté et ses innombrables droits dont le citoyen ordinaire ne bénéficie pas, lui ont servi à autre chose qu'à se remplir les poches. Beau métier, beaux profits.

Barthélemy et Laurent commençaient de rencontrer les chefs des meutes blanches. Désormais ils avaient la parole. Ils leur expliquaient qu'il fallait créer un réseau, ils ne cherchaient pas à unifier mais à créer des liens entre semblables pour que les semblables en cas de danger puissent faire appel aux semblables. On les trouvait un peu jeunes. Certains petits chefs les écoutaient dédaigneusement. On n'écoute pas dédaigneusement la parole de Jean. Ils en sont les dépositaires. Ils ont la mission de sauver les leurs. Les petits chefs récalcitrants par égoïsme au bien commun durent être éliminés rapidement; leurs propres bandes en comprenaient la nécessité, seule une poignée de fidèles et profiteurs s'entêtaient à hurler contre les organisateurs des temps nouveaux comme s'ils étaient des meurtriers. Ceux qui n'étaient pas capables de comprendre mais ne nuisaient pas furent laissés en liberté, parfois chassés de leur groupe ils demandaient vite la tête baissée à y rentrer, à ne pas être laissés seuls, à la merci des ennemis; ceux qui ne cessaient pas leurs propos de révolte contre la création de nouveaux liens sociaux à vaste échelle et s'entêtaient dans l'anarchisme étaient mis en prison, il le fallait bien; ceux qui, fous de haine contre un nouveau pouvoir auquel ils ne participaient pas, trahissaient, pactisaient pour leur intérêt avec les hordes musuls, ceux-là étaient tués. A vrai dire les dénonciations étaient nombreuses et les structures de justice si faibles que les vérifications étaient rares, et quand elles avaient lieu, très lentes; un sanglant problème de croissance. Barthélemy et Laurent, eux, n'avaient pas d'ambitions personnelles, ils étaient les outils dont se servait la parole, les chefs désignés qui n'avaient (donc) rien à demander. Ils avaient d'ailleurs la chance qui accompagne les Grands : les bombes destinées à les tuer tuèrent des assistants, des gardes, des badauds... les tireurs isolés manquèrent leur cible et on ne les rata pas... les kamikazes ne furent pas accueillis dans un autre monde pour cause d'échec lamentable. Rien de plus bizarre que la chance qui crée les héros et les grands chefs. Donc une unité réapparaissait, émergeait du chaos. Quand Pourat et Louzette, bons djournalistes, le découvrirent, ils devinrent fous de peur; ils jouèrent le tout pour le tout, ils firent tourner des "sujets" très orientés - regardez ceux-là, extrême-drouète, pas taulairants, puants, aaah  puants, je me pince le nez ! - en caméra cachée, et triomphalement présentèrent en leurs djournaux payés par les impôts des vrais Français (les autres n'en payaient pas) les preuves, oui mesdames messieurs, les preuves indiscutables des progrès nauséabonds de la peste brune qui s'oppose à l'intégration des bons p'tits musuls en masse alors que tant ne demandent encore qu'à venir chez nous. Les "accablants témoignages" arrangés, montés de façon très professionnelle par les spécialistes du journalisme de propagande qui se déclare objectif mais dont plus personne n'est dupe, engendrèrent de graves atteintes à la liberté de la presse dont tous les justes pensèrent qu'elles avaient exagérément tardé. Pourat et Louzette devant l'hostilité grandissante à leur vérité prirent des vacances au Maôc où Louzette bien maquée depuis longtemps prit le voile. Pourat secrètement dev'nu musul depuis une décennie prit quatre femmes très jeunes, que dans son pays d'origine on aurait qualifiées de mineures et il était bien toléré là-bas car il avait beaucoup d'argent.

Dans les "associations" on se répandait en propos haineux contre les refondateurs. Ils promettaient le martyr à Barthélemy et Laurent les braves gens des "associations" qui constataient à la chute de leurs finances que la générosité cessait d'être rentable. Les bénévoles, nombreux indiscutablement, habilement exploités par les autres, les beaux causeurs de gauche, ultra-gauche ou mini-gauche, se mirent à réfléchir lorsqu'ils furent moins surveillés par leurs gourous. Avant, le matraquage idéologique quotidien, selon les plus purs procédés staliniens créaient les oeillères qui selon les hilarants anti-racistes (sauf en ce qui concerne les Français) permettaient de mieux voir. Bref il y eut du remue-ménage. Surtout que les musuls n'ayant plus besoin de bénévoles, qui ne voulaient pas tirer à la kalachnikov ou n'en étaient pas capables, des bouches inutiles quoi, avaient certes de la reconnaissance mais pas longtemps. Ils s'énervaient vite de devoir quelque chose, en fait tout, et estimaient ne devoir qu'à Alla qui se sert des cons pour islamiser le monde chrétien. Cette opinion ne fut pas partagée par tous les bénévoles, quelques-uns - pas assez anti-racistes - furent même choqués. Les vapeurs de l'idéologie de la taulairance à l'invasion, à cause de la diminution du matraquage de la propagande déguisée médiatique, commençaient de s'évaporer. On était un peu partout en phase de dégrisement. Les yeux se dessillaient. On constatait avec stupéfaction l'état du pays. On constatait avec stupéfaction ce que l'on avait fait. Ce n'était pas possible... et pourtant... A quel point on avait été abusés... Où on en était arrivés...

 

 

 

Paul regardait les combats, atterré. Il comprenait. Comprendre ne sert à rien. On n'arrête pas un combat en criant : "Je vous ai compris !" Donnons-nous la main, frères. Et la menotte dans la menotte dansons la gigue. Ah ouiche. L'apocalypse se nourrit des hommes à son heure et les plaintes et les pleurs ne l'empêchent pas de digérer. O temps ! O moeurs ! Le progrès aurait été admirable si dans sa grosse tête il ne manquait pas une case; ou bien il y a un enfer dans sa bibliothèque et de temps en temps il y prend un livre et il s'oublie dans sa lecture pendant que les hommes meurent. On peut difficilement espérer un retour à l'âge de la sagaie, qui du reste n'était pas merveilleux non plus; mais on n'était pas raciste et on était proche de la nature, parfaitement, c'était le bon temps : pas aux yeux de Paul, il résumait ainsi ce qu'il entendait par-ci par-là.

Il écrivit à Sophie. Il lui annonçait sa mort.

La terre et la mer sont en feu. Des incendies sont allumés en nombre de plus en plus grand chaque jour. Au début les pompiers luttaient, luttaient. On a tué des pompiers. Ils ont moins lutté, on les comprend, ils avaient peur qu'on les tue; et puis leurs groupes d'intervention étaient réduits, donc moins efficaces. Désormais les gens se débrouillaient. On éteignait ou pas. En général on détruisait plutôt autour, on faisait la part du feu. Paul n'en allumait plus. A quoi bon ou mal ? Bon an mal an un certain pourcentage de personnes grillaient de toute façon. Inutile de s'en occuper soi-même. Inutile du reste de s'occuper de quoi que ce soit.

Le temps des voleurs, des violeurs et des assassins est revenu. Lors de la paix une partie d'entre eux étaient en prison - impossible d'avoir une idée des proportions : grande ? petite ? - mais grâce aux "événements" ils étaient sortis et avaient découvert leur paradis sur terre. La Bible disait juste. Du coup parfois ils se mettaient à croire en Dieu. Se joignaient à leurs oeuvres beaucoup d'occasionnels. L'appât du plaisir défendu. Défendu avant. Maintenant tout était permis, tous les plaisirs. Il faut reconnaître que les femmes globalement payaient la note, subissant plus d'atrocités malgré une bonne volonté d'autodéfense. Mais chaque homme entendait dire par les connaisseurs que celui qui n'a pas violé une fois ne connaît pas le plaisir. La curiosité, toujours scientifique, venait chevaucher le désir pour assouvir le besoin de reconnaissance par les autres. N'exagérons pas, les violeurs ne constituaient pas 100 % des hommes; le taux  ne saurait être défini, il devait y avoir des hommes contents de leurs femmes et on racontait aussi qu'existait une horde d'amazones, des tueuses admirées même, reconnues par les autres hordes.

Paul avait voulu s'enquérir du sort d'Alessandra, il l'avait en effet supposée en phase avec les "événements" et se demandait si elle n'était pas une égérie des temps nouveaux. Il n'en fut rien. Alessandra finit dans des rapports non tarifés; triste fin pour une pute.

"Me suis-je trompé ?" écrivait-il à Sophie, "je l'ai cru, je ne le crois plus. J'avais proposé le seul plan qui aurait pu empêcher ce désastre. Un moment j'ai été fou, je ne comprenais plus rien, j'ai voulu ajouter de la destruction à la destruction, du feu au feu. Mon délire est retombé. Je vois à nouveau. Les hommes n'ont pas voulu briser l'anneau du recommencement, ils ont refusé quand je l'ai proposé, ils ont laissé passer la possibilité, mais elle reviendra, briser l'anneau est possible, le recommencement n'est pas éternel. L'homme a dans sa tête ce qui le rend esclave mais aussi la capacité dé détruire dans sa tête ce qui le rend esclave. Le moment historique ne m'a pas été favorable. Pour moi il est trop tard. Mais l'anneau prévoit la reconstruction, et dans les temps nouveaux, d'autres moi se lèveront et cette fois ils seront entendus."

Il voyait, en lucide voyant, pour l'avenir, le noble avenir évidemment, une société plus juste (ce qui ne serait pas très difficile).

Le plaisir faisait rage sur la planète des clowns. L'amateurisme y égalait en horreur les spécialistes. Paul, revenu de tout ce qui rend les sens heureux, donc l'esprit apaisé, était retourné à l'idéal. Il n'était pas le seul dans ce genre de parcours. Les églises qui n'avaient pas brûlé, étaient de nouveau remplies de fidèles. On ne saurait dire s'il s'agissait surtout de repentis des plaisirs ou de récalcitrants à prendre du bon temps sans payer; la proportion de femmes ne dépassait guère la moitié, soit qu'il y ait moins de repenties - mais on avait eu les preuves que les "coupables" femmes sont les égales des "coupables" hommes -, soit que l'on en ait tué davantage. Les statistiques manquent cruellement, si j'ose dire.

Le malheur pétait de santé, on se saoulait la gueule, on prenait le volant, on conduisait à pleine vitesse dans les rues, on ne savait pas à qui appartenait la caisse, pas à soi en tout cas, et ta propriété c'est le vol. Les filles sont pimbêches avant de prendre des excitants, après ça va. Il n'y a plus de feux rouges nulle part, on n'en allume que des jaune-orange, ils sont plus jolis et ne gênent que ceux qui sont dedans.

Paul redevenu lui-même n'était mieux ainsi qu'à ses propres yeux. Fou en période de paix, après une brève période de normalité, il était fou de période de guerre. Une horde l'avait arrêté, interrogé. Heureusement pour lui - ou malheureusement car il aurait pu finir en martyr de Marx - il s'agissait d'une horde blanche; un renouveau d'organisation imposait la remontée des informations jusqu'aux têtes en cas d'arrestation d'un blanc. Barthélemy et Laurent savaient que Paul était le frère de Jean. Ils ne l'estimaient pas, mais il était le frère. Intouchable donc. Il fut relâché. Il ne fut pas admis à les rencontrer.

Paul errait de nouveau dans une ville agonisante. Il ne participait à rien. Il n'était ni victime ni assassin. Il n'était rien. Il marchait en vain. Au bout de quelques heures ou de quelques jours il en eut assez. Il écrivit la lettre à Sophie, la mit dans une boîte aux lettres éventrée - il n'y avait plus de distribution de courrier - et accomplit son ultime projet.

Il entra dans une belle maison, qu'il supposa vide, s'aspergea d'essence et y mit le feu. Ce ne fut qu'un incendie de plus.

 

 

 

"Orange... Orfraie... Parloir... Orange Orfraie Parloir. La Nuit flambe, la Nuit flambe, j'erre en vain ! Or... Or... Or... L'or à mon cou, que tu m'as donné; la chaîne est d'or, que tu m'as donnée..."

C'est comme dans sa chanson mais c'est moi qui la cherche. J'ai voulu retourner chez moi, au moins pour voir si ma maison était encore debout, je n'osais espérer y retrouver mes meubles. J'avais raison de ne pas espérer. Les murs sont encore debout et il reste une partie du toit. Je suis revenu vers Karine, toute cette partie de la ville est dévastée. On s'est battu ici, avec une violence inouïe, du matériel militaire lourd. Des immeubles à demi effondrés, des routes éclatées, des cadavres, des blessés qui ont hurlé sans doute des heures... il n'y avait plus personne pour venir les sauver.

On s'attendait à ce que la guerre arrive ici un jour ou l'autre. Mais elle semblait si lointaine. On savait et on ne savait pas. Non que l'on n'ait pas voulu savoir. On savait. Et en même temps on n'arrivait pas à savoir. Comme pour la mort : on sait et on ne sait pas. On n'espérait pas spécialement que la guerre fasse le tour du quartier au lieu d'y entrer, toutefois il n'était pas impossible qu'il ne se passe rien. Maintenant on sait que c'était impossible, avant on n'arrivait pas à le savoir.

Je ferme les yeux, Karine est là, elle chante "Akhenaton". J'avais toujours cru pouvoir rien qu'en fermant les yeux savoir où est Karine. Je n'en sais rien. Elle chante en moi, elle ne me répond plus. Karine!... Karine ! Cette nuit est d'un silence stupéfiant. La vie s'est retirée de la ville. Notre immeuble a été à peine touché, la porte de l'appartement n'a pas été défoncée. Si elle est sortie elle a pu être tuée n'importe où, blessée peut-être et agonisante, pire : enlevée.

Le téléphone ne sert à rien, personne ne répond. Même pas la police ou le SAMU. Je suis la dernière vie dans la ville, je cherche Karine. Eric a dû venir la chercher, peut-être est-il venu dès mon départ; je vais chez lui mais personne, ils sont ensemble forcément, morts ou vivants. La guerre ne serait pas arrivée si j'avais été là, je suis incompatible avec la guerre.

Je m'assieds sur un fatras de parpaings, je ferme les yeux, Karine chante. Je suis avec elle. J'oublie ce malheur autour dont je ne fais pas partie; je me sens à nouveau heureux.

Un craquement m'oblige à ouvrir les yeux. Non loin de moi le haut d'un immeuble s'effondre. Je vois le haut des murs chuter, chuter dans le silence, puis l'explosion en débris sur le sol. Je me mets debout. Il faut chercher. Mais où chercher ? Je marche au hasard et je me mets à appeler, à crier son nom sur les ruines. La guerre est sortie des journaux où elle se tapissait, elle en a jailli dès que je suis parti; peut-on être la cause d'un désastre sans y avoir même participé ? Bien sûr que non; et pourtant je suis persuadé que sans mon départ rien, ici, ne serait arrivé. Je suis incompatible avec la guerre, elle ne peut pas s'approcher de moi.

Le bon réflexe serait de m'armer, de trouver des armes lourdes et d'aller tuer pour délivrer Karine. En admettant qu'elle soit prisonnière. Que je sache où. Et que je sache tirer.

J'appelle. J'appelle. Je n'espère pas de réponse du hasard. Je sais que Karine n'est pas là. J'en suis sûr. Certain. J'appelle. J'appelle. Karine ! Karine !

Finalement je reviens à l'appartement. Peut-être est-elle rentrée. Je sais qu'elle n'est pas rentrée. Je n'ai aucun doute. Je l'appelle en entrant. Je vérifie dans toutes les pièces.

Je m'assieds devant son piano. Je ferme les yeux. Karine se met à chanter. Elle chante et chante.

Ce serait horrible que Karine soit un disque.

Je ne sais rien faire.

Je pense à Jean. A Paul. Ils n'ont pas de conseils. "Pour un homme comme toi", disait Jean en souriant, "même Dieu n'a pas de conseil." Paul disait en souriant : "Ne me lis pas, ce n'est pas chantant."

Est-il possible qu'elle m'ait laissé seul ?

Le silence est terrible pour l'homme qui ne peut pas mourir.

Les ruines que je regarde de la fenêtre sont sans âme. Sans âmes.

Il n'y avait donc pas de vie ici.

Il n'y avait donc pas d'amour, de disputes, d'enfants ici.

Il n'y avait donc pas de travail, de peine pour améliorer l'existence ici.

Le quotidien répétitif n'était pas la vie, la guerre n'a rien eu à prendre.

J'ouvre la fenêtre et je hurle. Je hurle Karine à la guerre. Le silence a absorbé le cri. J'ai attendu un peu. Je n'espérais rien. Devant la fenêtre ouverte j'ai essayé de chanter. J'ai essayé de chanter "Akhenaton".

La mort n'a pas d'existence, on ne peut pas la regarder, ni en face ni autrement.

La mort est une impossibilité que l'on connaît.

Je ferme les yeux. Karine ne chante plus.

La nuit est terrible pour celui qui ne croit pas à la mort.

L'éponge du silence a absorbé ma tentative de chanson. Seule Karine est plus forte. Le silence vide ma tête lentement de moi. Je me sens devenir mon corps. Un automate comique qui à la fin du spectacle baisse la tête et pleure.

Il n'y a pas de pleurs en moi, il y a encore un cri.

Il me vient quand même une idée, chercher des stations de radio lointaines avec mon téléphone, y consulter des sites internet d'information... mais les relais sont détruits, la batterie sera bientôt vide naturellement... Tout à coup je remarque le téléphone portable satellite de Karine, il est là...

... On a évacué des blessés vers un hôpital à une cinquantaine de kilomètres d'ici... On ne parle nulle part d'une vedette...

J'utilise encore le portable de Karine pour téléphoner à cet hôpital dont j'ai enfin trouvé le numéro. Pas de réponse. Pas de réponse.

En tout cas elle n'a pas été enlevée, les rares témoignages sont clairs, pas de razzia, une bataille qui s'est abattue là. Une sorte de hasard. Comme une tornade. Elle aurait pu frapper à côté, plus loin, ailleurs...

Karine ne chante plus. Elle est mourante. Elle mourra tant que je ne serai pas à côté d'elle.

Je téléphone encore. Encore.

Une voix. L'affluence est trop grande, on ne peut vous dire. On évacue des blessés plus loin.

Il faut que j'y aille.

Je redescends, je reprends le scooter de Karine avec lequel j'étais allé jusque chez moi. Après un trajet pareil, l'essence...

Et alors je me souviens que la moto d'Eric n'était pas à sa place tout à l'heure. Il était donc parti puisqu'il n'y a pas eu de razzia. S'il est parti, il a emmené Karine.

Je vais aller jusqu'à cet hôpital, je vais y aller d'une manière ou d'une autre. Quand le scooter s'arrêtera j'irai à pied, je continuerai à pied, je ne m'arrêterai pas, j'irai jusque là-bas, je trouverai, je trouverai.

Mon scooter s'est arrêté à la limite de la mort de la ville, je l'ai laissé et je me suis mis à marcher.

La nuit va durer encore des heures.

J'essaie de courir. C'est absurde, je ne suis pas marathonien. Ma poitrine n'en peut plus, mon coeur cogne; je cesse de croire que je vais courir quarante kilomètres, en fait je n'y croyais pas.

Je vais marcher.

Marcher.

Karine !...

Karine !

 

 

FIN