Honte à toi, Lola !

(Catherine III)

Une rue piétonne, toute en longueur, pavée, aux façades violemment colorées, vert, rouge, jaune. Bacs de fleurs rouges. Au premier plan : café "A la tienne" avec tables et chaises dehors à gauche; à droite la maison sans mur côté scène laisse voir le vestibule et la salle de séjour de Lola (la porte au fond est celle de la chambre, celle de droite, ouverte, celle de la cuisine). Au-delà magasins divers, rues transversales et au bout une rue perpendiculaire avec passage incessant de voitures.

Lola, chez elle, est en tailleur brun brillant, avec un foulard rouge autour du cou. Cheveux longs. C'est une brune plantureuse à la voix forte.

Elle est assise dans un fauteuil, les jambes sur un accoudoir, un journal entre les mains qu'elle parcourt en fronçant ses beaux sourcils. Marc est debout à quelques pas, très "cadre".

La pendule indique 8 heures (du matin).

Marc : Ecoute, sois compréhensive... Je suis obligé ! J'ai des engagements. Il faut que...

Lola (narquoise) : Ahah...

Marc : Oui, j'ai des devoirs, on me paie et moi en échange...

Lola : Tu fous l'camp... (En parlant elle se lève en jetant le journal sur le fauteuil et s'approche de lui rapidement.) C'est pourtant bien toi qui en as (Elle lui met carrément la main entre les jambes.) là, alors quoi, ceux qui t'emploient en ont de meilleures ? Tu m'tentes. (Elle met les mains sur les hanches, les jambes écartées.)

Marc (qui a réagi et s'est reculé) : Est-ce que tout pour toi se résume au sexe ? Est-ce que tu n'es qu'un animal ?

Lola : Ouais, moi je suis la vraie bête.

Marc : Eh bien tu m'excuseras, mais l'homme civilisé reviendra voir la bête seulement après son voyage d'affaires au Cameroun. (Il s'est approché pour l'embrasser mais devant le regard de Lola toujours dans la même position, il s'arrête :) Bon... A bientôt. (Il sort et partira par une rue qui coupe la rue piétonne.)

Lola (hurlant) : Ah ! Si j'étais un homme ! (Un temps. Allant se mettre devant la glace et ramenant d'une main ses cheveux derrière sa tête :) Je suis toi. Oh, mon chéri, comme je t'aime... T'es musclé, toi. Je tâte tes muscles. (De sa main libre, elle tâte le biceps du bras qui tient les cheveux.) T'as un ventre de bronze, toi, des abdominaux qui ne craignent pas les coups. Et je te cogne ! (Sa main libre se ferme en poing et elle se met à se frapper les abdominaux.) Tu ne sens même rien et je suis déjà essoufflée. (Un temps. Ironique :) Trop de pectoraux... Mais vindieu de vindieu quel beau gars !... (Laissant retomber ses cheveux et retournant vers le centre où elle prendra le journal :) Ah, quand il s'en va, heureusement que je suis là pour me tenir compagnie... Sans ça je m'ennuierais... Je vais lire mes résultats sportifs. (Elle s'assied :) En rugby je gagne contre les Néo-zélandais par 27 à 30, enfin avec l'aide de l'équipe; pour la plongée, en apnée je précise, 126 mètres : c'est bien mais je peux mieux faire; en boxe poids lourd, K O de l'ex-champion du monde au troisième round. (Elle jette le journal sur la petite table.) J'aime la boxe... quand ça saigne. (Elle se met à se gratter le milieu de la poitrine avec application, puis à faire des grimaces pour ressembler à diverses brutes. Brusquement elle se lève :) Je vais aller me coller des poils sur la poitrine, ça me distraira. (Elle sort par une porte du fond.)

(Rodolphe apparaît dans la rue piétonne. Cadre affairé avec journal économique à la main. Il a l'air à la fois incertain et pressé. Passant devant le café il hésite, puis s'assied. Il attend.)

Rodolphe : Eh bien alors... (Très fort :) J'attends... (Un temps. Hurlant :) Je suis assis à la terrasse du café. Je voudrais un café... (Un temps.) S'il vous plaît.

Lola (réapparaissant et venant voir à la porte de dehors) : Ça alors ! Un client... Non mais, vous avez vu l'heure !

Rodolphe (qui s'attendait à la voir de l'autre côté) : ... Justement. C'est l'heure de mon café. J'ai besoin d'un café avant d'aller à mon rendez-vous.

Lola : Pouviez pas en boire un chez vous, avant de partir ?

Rodolphe : Dites donc, ça vous regarde ? Dépêchez !

Lola : Je n'ai pas vraiment le temps, je suis en train de me coller des poils sur la poitrine.

Rodolphe (dégustant l'information) : ... Ma femme, elle, passerait plutôt son temps à s'en enlever sur les jambes.

Lola (s'approchant et s'appuyant sur le dossier d'une chaise) : Moi aussi d'habitude. (Elle semble attendre d'autres confidences, qui ne viennent pas. Rodolphe attend aussi. Un temps.)

Rodolphe : Vous savez comment on fait un café ?

Lola (impassible) : Oui.

Rodolphe : Le savoir est une belle chose... surtout quand il est utilisé...

Lola (impassible) : ... C'est de l'ironie ? ... (Un temps.) Vous voulez voir mes poils ?

Rodolphe (d'abord ahuri) : ... Non.

Lola (déçue) : Ah.

Rodolphe : Si vous ne m'apportez pas mon café, je vais ailleurs.

Lola : Y en a pas d'autre. Enfin pas tout près.

Rodolphe : Vous avez vu tout de suite que je ne suis pas d'ici, vous, hein ? Sinon, il y a encore des autochtones qui s'arrêtent ?

Lola (s'installant sur la chaise en face de lui dans un grand élan de sympathie) : Vous au moins vous avez des rendez-vous en ville, pas au Cameroun. C'est peut-être un signe, vous ne croyez pas ?

Rodolphe (narquois) : Un signe de Dieu en personne ?

Lola (très sérieuse) : Enfin du Ciel, quoi.

Rodolphe : Si vous faisiez mon café, après on pourrait lire dans le marc...

Lola (fâchée) : Moi, le matin, je bois du thé. (Elle se lève.) Tant pis pour vous, vous n'êtes pas assez aimable.

Rodolphe (ulcéré) : Non mais dites donc, c'est vous la commerçante.

Lola (pensive) : Je vais me rajouter des poils. (Elle rentre dans la maison, puis dans sa chambre.)

Rodolphe (seul, regardant la rue) : En voilà un désert. Comme c'est accueillant. Ils pourraient mettre des piétons dans leurs rues piétonnes... Plus l'heure du rendez-vous approche et plus je me sens énervé. (Il regarde sa montre :) Au moins le café me ferait planer... (Un temps. Il se lève brusquement.) Je vais aller me le faire moi-même. (Il veut entrer dans le café, à gauche, mais la porte est fermée. Il hésite, puis entre à droite, chez Lola.) Hum !... (Devant la pièce vide, un peu fort, mais pas trop :) Je suis entré... Pas terrible chez vous... (A lui-même :) Bon, où est la cuisine ? (Il s'aventure jusqu'à la porte ouverte à droite.) Ah !

Lola (réapparaissant, elle tient d'une main le haut de son tailleur - déboutonné - fermé; au public) : Est-ce que c'était le facteur ?

Rodolphe (ressortant de la cuisine, fort, énervé) : Je ne trouve pas le café !

Lola (surprise mais tenant bien le haut du tailleur) : Eh !

Rodolphe (insistant) : Le café ou la vie ?

Lola : Moi je bois du thé.

Rodolphe : Ça m'est égal.

Lola : Tous des égoïstes.

Rodolphe (pour expliquer sa présence) : En face c'est fermé.

Lola (ouvrant brusquement le tailleur) : Regardez ça.

(Elle apparaît en soutien-gorge, du haut des seins jusqu'aux épaules couverte de poils noirs touffus.)

Rodolphe (estomaqué) : Mince, maman singe !

Lola (fièrement) : Hein, c'est réussi.

Rodolphe : A la plage vous ferez sensation.

Lola (confidentiellement, s'approchant) : C'est parce que j'ai du vague à l'âme.

Rodolphe (reculant légèrement) : Moi ça va.

Lola (s'arrêtant, méditative) : C'est bizarre d'être dépendante d'un mâle comme ça.

Rodolphe : Ah oui !

Lola (sans l'entendre mais s'adressant bien à lui) : Ma mère, elle, ce n'était pas du tout son cas. Mon père était voyageur de commerce. Quand il partait elle disait : "Ah, on va enfin être un peu tranquilles."

(Un temps. Elle attend visiblement une remarque judicieuse de Rodolphe, laquelle ne vient pas.)

Lola : Qu'est-ce qu'il faisait votre père à vous ?

(Ahurissement de Rodolphe.)

Rodolphe : Je peux m'asseoir ? (Il s'assied sur le divan.)

Lola (qui suit tous ses gestes avec intérêt) : Vous ne voulez pas me le dire ?

Rodolphe (se décidant) : Il était dans la confection. Mais je l'ai à peine connu. Il est mort alors que j'étais au biberon.

Lola (venant vite s'asseoir près de lui) : Oh, pauvre bébé !

Rodolphe : Oui, oh, je ne comprenais pas encore tout à cet âge... Mais plus tard, bien sûr...

Lola : Vous voulez pleurer un peu sur mon épaule ?

Rodolphe : En trente-cinq ans j'ai eu le temps de me remettre.

Lola (déçue) : Oui... (Farceuse :) Mais pas lui.

Rodolphe (ahuri) : Hein ?

Lola : ... Je regardais vos fesses quand vous êtes venu vous asseoir, elles sont un peu larges mais pas mal du tout.

Rodolphe (estomaqué) : ... Ah ?

Lola (se rapprochant, confidentiellement) : Celles de Marc sont plus fines, plus racées...

Rodolphe (se levant brusquement) : Dites donc, la femme singe, faudrait voir à ne pas dépasser les bornes !

Lola (craignant de l'avoir vexé) : Oh mais vous n'avez pas à faire de complexe, non... Je suis contente des vôtres aussi.

(Un temps. Rodolphe ne sait ni quoi répondre ni quoi faire. Lentement Lola se met à se gratter les poils nouvellement collés dont quelques-uns se détachent.)

(Deux Anglaises entrent dans la rue - par une rue transversale proche du café.)

Rodolphe (enfin) : Je retourne chercher dans la cuisine. (Il hésite, puis sort à droite.)

(Les Anglaises s'installent aux tables extérieures du café. Deux âges : l'une a dans les quarante ans, l'autre la moitié. Tenues estivales assez élégantes.)

Lola : Comment est-ce que je vais supporter toute la journée ?

L'Anglaise la plus âgée (accent un peu plus marqué que celui de la jeune fille mais sans excès; parlant fort) : Homme ou femme de service, please !

L'Anglaise la plus jeune : On dit "serveuse".

L'Anglaise la plus âgée : Eh bien ? La serveuse fait le service ?

L'Anglaise la plus jeune (méditative) : Oui...

Lola (arrachée à ses rêveries, vient à sa porte extérieure) : Quelle journée !

L'Anglaise la plus âgée (voyant Lola du mauvais côté mais se décidant) : Deux cafés, la femme !

Lola (intéressée) : Vous êtes anglaise ?

L'Anglaise la plus âgée : Voui. Encore une question pertinente, la femme ?

Lola : J'ai déjà vu une Anglaise l'année dernière.

L'Anglaise la plus âgée (dégustant l'information) : ... Alors les dix millions d'autres Anglais qui débarquent en France chaque année, ils ne viennent pas chez vous ?

Lola : Ben non.

L'Anglaise la plus jeune : J'en parlerai à la Reine.

Lola : Vous avez un bon français.

L'Anglaise la plus âgée : Voui. Mais si les Français apprenaient un peu plus les langues étrangères, notamment la nôtre, on n'aurait pas besoin d'apprendre la leur.

L'Anglaise la plus jeune : J'avais d'abord essayé d'étudier le chinois; finalement j'espère que les Chinois apprendront le français.

L'Anglaise la plus âgée : Au moins que nos études nous soient utiles.

Lola (tombant dans le panneau) : A quoi ?

L'Anglaise la plus âgée : Pour avoir un café par exemple.

Lola (fâchée) : Les Anglais boivent du thé, moi aussi j'ai fait des études... (Confidentiellement :) J'ai eu un ami qui représentait une de vos marques de thé, il m'a lâchée mais j'en bois toujours.

L'Anglaise la plus jeune : Les femmes anglaises sont libérées maintenant, elles boivent du café si elles veulent.

L'Anglaise la plus âgée : Bien fort. Avec beaucoup de caféine.

Rodolphe (passant la tête par la porte de la cuisine, criant, triomphant) : J'ai trouvé le café !

Les Anglaises (comme s'il s'était adressé à elles) : Deux !

Lola : J'ai pas l'moral. (S'asseyant :) Dites les Anglaises, comment est-ce que vous faites quand vos mâles partent au Cameroun ?

L'Anglaise la plus âgée : Le mien, il ne veut jamais y aller.

L'Anglaise la plus jeune : On se demande bien pourquoi, d'ailleurs.

L'Anglaise la plus âgée : Mais je me venge, je viens en France.

Lola : Je me sens déprimée quand il ne me saute pas dessus... Alors je me suis collé des poils... Vous voulez voir mes poils ?

(Incertitude des Anglaises, pas sûres d'avoir compris.)

Rodolphe (réapparaissant avec soucoupe, tasse fumante et petite cuillère) : Et voilà ! Le mauvais sort conjuré. (Il sort pour retourner à sa table.)

L'Anglaise la plus jeune : On avait dit "deux" le garçon !

Rodolphe : Hein !... (Comprenant :) Le café on le fait soi-même dans la cuisine. Tout est sorti, il n'y a plus qu'à opérer. (Il s'installe.)

L'Anglaise la plus âgée (se décidant, se levant) : Ces Français s'américanisent de plus en plus.

L'Anglaise la plus jeune (ronchonnant mais suivant) : Où est la France d'antan où on était servi par du personnel stylé. La république c'est la mort de la civilisation.

(Elles entrent, hésitent, puis se dirigent vers le fond droit et entrent dans la cuisine.)

Lola Rodolphe) : J'ai pas l'moral.

Rodolphe (buvant son café) : Moi ça va mieux.

Lola : ... C'est comment ton p'tit nom ?

Rodolphe (méfiant) : Rodolphe, pourquoi ?

Lola : On m'a baptisée Lola. C'est mon papa qui a trouvé mon prénom.

Rodolphe (qui s'en fout) : Ah oui ?

Lola : Ma maman préférait Elisabeth.

Rodolphe (qui a fini don café, satisfait) : C'est bien aussi.

Lola : Pas du tout. Non mais, vous imaginez, que je m'appelle Elisabeth ! Je ne serais plus moi... Ce serait horrible.

Rodolphe (enclin à être conciliant) : N'exagérons pas. Regrettable tout au plus.

Lola (se levant pour aller à sa table où elle s'installera en face de lui) : Maman torturait papa, c'était une mauvaise femme; toujours des disputes, toujours des cris; elle essayait de le frapper. Alors, forcément, cela m'a provoqué des problèmes psychologiques... (Elle attend une réaction de Rodolphe, laquelle ne vient pas : béat, renversé dans son fauteuil, il regarde au loin.) Mais j'ai été courageuse dans des conditions difficiles et j'ai pris un petit ami pour renverser la malédiction... (Elle attend à nouveau une réaction qui ne vient toujours pas.) Puis j'en ai pris un deuxième. Marc était mon troisième.

Rodolphe : Il faut que j'aille à mon rendez-vous. (Il ne bouge pas.)

Lola : Le Cameroun me l'a pris.

Rodolphe : Vilain Cameroun.

Lola : Et tu es venu.

Rodolphe (inquiet) : Oh je passe, c'est tout.

Lola : Il y là sûrement un signe.

Rodolphe (se levant) : Allez, j'ai bien regardé mon plan, rue à droite au-dessus du café, puis à gauche, j'y suis.

Lola : Courage.

Rodolphe : Je boirais bien un second café.

Lola : Vous aimez ce que vous faites ?

Rodolphe : Pas du tout.

Lola : Et qu'est-ce que vous faites ?

Rodolphe (qui tient sa sacoche, prêt à partir) : Je suis cadre dans les tuyaux, les poutrelles, tout ce qui est en zinc, en plomb...

Lola (admirative) : Eh bien, ce que vous devez vous ennuyer !

Rodolphe (comme recevant un coup, se rasseyant) : Ça oui. Chaque journée vue du matin me paraît un Everest, vue du soir un Sahara.

Lola : C'est terrible... Vous tombez beaucoup de femmes ?

Rodolphe : Non.

Lola : Pourquoi ?

Rodolphe : Probable qu'elles n'aiment pas les poutrelles.

(Les Anglaises ressortent de la cuisine, cafés à la main et retournent à leur table.)

L'Anglaise la plus âgée : Encore une victoire anglaise !

L'Anglaise la plus jeune : On leur parle de la tasse cassée ?

Lola (levant un sourcil) : On m'a cassé mes tasses ?

L'Anglaise la plus jeune : Elle était anglophobe.

L'Anglaise la plus âgée : On ne vous comptera pas le service.

L'Anglaise la plus jeune : Qu'est-ce qu'il a le garçon ? Il paraît pas tonique.

(Elles s'installent et commencent de boire leur café.)

Lola : Il ne veut pas aller travailler.

L'Anglaise la plus âgée : Il faut le forcer. Avec mon mari c'est la même chose. Les hommes sont toujours à se plaindre.

Rodolphe (amer) : Et qu'est-ce que vous faites, vous ?

L'Anglaise la plus âgée : J'aime mon mari.

L'Anglaise la plus jeune : Moi j'étudie le marketing. Je fais des stages. C'est très très embêtant. Et en plus il faut avoir l'air enthousiaste.

Rodolphe : Voilà sept ans que je m'efforce d'arborer l'air enthousiaste tous les matins. Résultat : les unes me trouvent l'air con, les autres l'air hypocrite... Alors elles me laissent tout seul... avec ma femme. (Un temps.) En fait je suis les deux.

L'Anglaise la plus âgée : Eh oui.

Lola : Mais non ! Je trouve Rodolphe très gentil.

(Brusquement les cinq femmes à tête de chouettes apparaissent, aux portes et aux fenêtres de la rue piétonne. Toutes regardent fixement vers le café.)

L'Anglaise la plus âgée : Ça n'empêche pas.

L'Anglaise la plus jeune : Moi aussi je te trouve très gentil, Rôdôlphe, mais j'ai déjà un type dans mon lit in England.

Lola (se levant pour aller s'asseoir juste à côté de Rodolphe) : Allons courage ! Regardez-moi : un amant au Cameroun, un café à tenir à longueur de journée et qui ne rapporte rien...

L'Anglaise la plus âgée et l'Anglaise la plus jeune (faussement étonnées) : Oh ?

Lola : ... Sans un homme pour m'aider un peu je perdrais mon patrimoine en même temps que le moral. Mais je fais face. Je suis une jeune femme moderne et courageuse. En plus j'aimerais bien avoir un enfant dans l'année.

L'Anglaise la plus âgée (qui a fini son café) : Avis aux amateurs.

(Les femmes-chouettes bougent la tête - différemment les unes des autres - comme si elles voyaient quelque chose de captivant.)

Rodolphe (au bord des larmes) : J'ai une épouse mais c'est la seule femme qui ne me tente pas, je ne la supporte plus, elle est une torture pour moi, toujours le mot traître, toujours le sous-entendu méchant, toujours à vous tendre des pièges...

Lola (réconfortante à sa manière) : Elle vous trompe sûrement.

L'Anglaise la plus âgée (logique) : Si elle avait trouvé ailleurs elle ne se comporterait pas comme ça avec lui.

Lola : Moi je suis très gentille au contraire.

L'Anglaise la plus jeune (regardant Lola ironiquement) : Pauvre Rôdôlphe.

Première femme-chouette (la plus proche) : Elle recommence, la sale garce, elle recommence.

Rodolphe (brusquement, se levant) : Je vais à mon rendez-vous.

Lola (froidement) : C'est quinze francs.

Rodolphe (surpris) : Hein ?

Lola : Le café. Ici c'est un café. On paie.

Rodolphe : Mais je l'ai fait moi-même !

Lola : Avec violation de domicile.

L'Anglaise la plus âgée : S'il a violé, il doit payer, c'est normal.

(Rodolphe sort son portefeuille.)

L'Anglaise la plus jeune : Et il nous a poussées à en faire autant.

L'Anglaise la plus âgée : Il pourrait payer les trois.

Seconde femme-chouette : Elle veut le coincer par l'argent.

Rodolphe : Tenez, voilà un billet de cent francs, je n'ai pas de monnaie.

Lola (décidément fâchée, sans prendre le billet) : Moi non plus.

Seconde femme-chouette : Menteuse !

Première femme-chouette : Sale garce !

Rodolphe (qui fouille dans ses poches) : Ah, voilà dix francs... C'est tout... (Aux Anglaises :) Dites, les Anglaises, vous n'auriez pas la monnaie de cent francs ?

L'Anglaise la plus jeune (innocemment) : En quelle monnaie ?

Lola : Si vous ne payez pas, je vais devoir prévenir la police, je sais où est votre rendez-vous, elle vous cueillera devant vos hommes d'affaires, ils se plaindront à vos employeurs, vous allez perdre votre place.

Les cinq femmes-chouettes : Hou ! (Elles ne huent pas, elles hululent, enfin elles chuintent.)

Seconde femme-chouette : Faites attention; elle ne recule devant rien.

Première femme-chouette : Sale garce !

L'Anglaise la plus âgée (admirative) : La femme française est très combative.

L'Anglaise la plus jeune (sceptique) : Attendons pour juger de l'efficacité.

Rodolphe (qui a tourné la tête vers les unes et les autres pour les écouter et a découvert les femmes-chouettes) : Pour cinq francs... La femme-singe est vraiment dégueulasse.

Lola : Je suis bonne au lit, ça rachète tout.

L'Anglaise la plus jeune (intéressée) : Tiens, je savais pas.

Rodolphe : Eh bien je vous laisse les cent francs, avec quatre-vingt-cinq francs de pourboire. (Il le pose sur la table en tapant.)

Cinquième femme-chouette : Il s'échappe.

Les cinq femmes-chouettes : Hou.

Lola : Le billet est faux.

L'Anglaise la plus âgée (qui est de son côté) : Ça se voit tout de suite.

Rodolphe (interloqué) : A quoi ?

L'Anglaise la plus jeune : On ne jette pas cent francs comme ça.

L'Anglaise la plus âgée : In England on respecte l'argent, même le français.

L'Anglaise la plus jeune : Si vous ne respectez pas ces cent francs-là, c'est qu'ils n'étaient pas respectables.

Rodolphe (qui veut partir) : Je n'ai pas l'temps, je n'ai pas l'temps.

Les femmes-chouettes : Il faut partir !

Lola : Dès que je t'ai vu j'ai su que l'on coucherait ensemble. Tu verras comme je suis docile au lit.

Rodolphe (qui s'est arrêté net) : Bon sang, quelle femme !

L'Anglaise la plus jeune (faussement sérieuse) : Je demande à voir.

Rodolphe : Dommage, mais j'ai pas l'temps.

Lola : Va retrouver ta femme acariâtre, elle ne te fera jamais de gosses ou alors elle les amènera à te détester.

L'Anglaise la plus âgée (faussement sérieuse) : Une femme douce et gentille, vous n'aurez pas deux fois une chance pareille.

Les femmes-chouettes : Il faut partir !

Lola (comme un discours au pied d'une tombe) : Il consacra sa vie aux tuyaux en zinc, en plomb, vécut très malheureux mais gagna bien sa vie. Il ingurgita des tonnes de café au point de mourir noyé... de l'intérieur. Rodolphe nous a quittés mais il vivait si peu qu'il ne s'est aperçu de rien.

Rodolphe (reposant sa mallette sur la table, énervé) : Mais quoi ! C'est comme ça pour tout le monde ! C'est inévitable ! Vous connaissez un truc pour y échapper, vous ?

L'Anglaise la plus âgée : Avoir un mari en Angleterre.

L'Anglaise la plus jeune : Oui, elle s'est bien débrouillée.

Les femmes-chouettes (intéressées) : Hou.

Lola (ouvrant le haut de son tailleur) : Regarde mes poils, je les ai collés pour m'amuser et maintenant je les sens qui poussent et qui se multiplient.

Rodolphe (énervé mais intéressé par la vue) : C'est pas grave, c'est juste paranormal.

Lola : Je voudrais que ta main me les arrache et que ça me fasse mal à chaque fois.

Les femmes-chouettes : Il faut partir !

Lola (qui est la seule à les ignorer totalement. Elle se lève et commence de s'approcher de Rodolphe) : Je suis sûre que tu as envie de faire souffrir une femme, lentement, longtemps, après tout ce qu'elle t'ont fait, tout ce qu'elles ne t'ont pas fait... Viens, venge-toi.

Rodolphe (respirant fort et expirant bruyamment) : Hou !

L'Anglaise la plus jeune : Moi je tirerais bien sur les poils aussi.

L'Anglaise la plus âgée : A mon avis c'est une Française d'origine italienne.

(Lola se rapproche de Rodolphe.)

Rodolphe (sans bouger) : J'ai pas l'temps, j'ai pas l'temps !

Les femmes-chouettes : Dépêche-toi ! Pars !

Lola (tout contre lui) : Réalise tes fantasmes sur moi.

Rodolphe : Je n'ai jamais été fort en fantasmes, moi, ma femme me l'a reproché souvent.

Lola (se serrant contre lui) : Moi j'en ai pour deux.

L'Anglaise la plus âgée (ironique) : Au moins.

Les femmes-chouettes : Hou !

L'Anglaise la plus jeune (se passant la main sur le front) : La France est un pays chaud.

Lola : Avec tes types là-bas, tu penserais à moi. Tu ne peux plus ne pas penser à moi, à mon corps, à ce que tu vas me faire...

Première femme-chouette : Sale garce !

Deuxième femme-chouette : Putain !

Lola : ... Fais-le. Ose. Je veux bien. Je t'obéirai.

Cinquième femme-chouette : Elle recommence !

Quatrième femme-chouette : Honte à toi, Lola !

Troisième femme-chouette : Nymphomane !

Lola : Je ne peux pas vivre sans toi, sans un homme, un vrai, tu es un maître, tu es mon maître, prends-moi.

Cinquième femme-chouette : Elle leur sert ce discours-là à tous, ne la crois pas !

Quatrième femme-chouette : Si tu restes, ce sera bien différent.

Troisième femme-chouette : D'abord elle promet, ensuite elle exige.

Première femme-chouette : Sale garce !

Deuxième femme-chouette : Putain !

Rodolphe (perdu, énervé, excité) : Je ne sais plus, je ne sais pas.

Lola (frottant sa tête contre lui) : J'ai besoin d'un mâle, tu es un mâle, je te veux toi, je me fous de leur avis, ne les écoute pas, tu crois que tu auras deux fois à ta disposition totale une femme comme moi ?

Première femme-chouette (ironique) : Çà, tu n'en trouveras pas une autre pareille, sois tranquille !

Rodolphe (perdu, caressant les cheveux de Lola) : Moi pourvu que je n'aie plus à m'occuper de toutes ces poutrelles, ce zinc, ce plomb...

Lola (très gentille) : Je te le promets, tu serviras au café.

Seconde femme-chouette (ironique) : Quelle promotion !

L'Anglaise la plus jeune : Je vous promets ma clientèle à chacun de mes passages en France.

L'Anglaise la plus âgée (ironique) : Leur avenir est assuré.

Lola (amoureusement) : Dès que tu m'as vue j'ai su que tu me voulais.

Rodolphe (perdu) : Bon sang, quelles formes tu as ! (Ses mains suivent les courbes de Lola.) Mais un café, ma chérie, pour qu'il soit rentable, il faut l'ouvrir/

Lola (lumineuse) : Tu l'ouvriras.

Troisième femme-chouette : Elle ne veut personne ici !

Quatrième femme-chouette : Elle ne te laissera rien faire !

Cinquième femme-chouette : Il faut partir !

Seconde femme-chouette : Elle a fait le coup à d'autres !

Première femme-chouette : C'est une garce, je te dis. Sale garce !

Lola (féline) : Prends mes seins dans tes mains, je sais que tu en as envie.

Les femmes-chouettes : Hou !

Lola : Ça m'est égal qu'elles regardent. Je voudrais que tout le monde regarde. Que tout le monde voie que je me livre à toi.

Rodolphe (égaré) : T'arracher ces foutus poils un à un et te mordre.

Lola : Je veux bien.

Rodolphe (fou) : Te mettre nue ici, en pleine rue, devant elles, pour te soumettre à mes caprices.

Lola : Je veux bien.

Deuxième femme-chouette : Putain !

L'Anglaise la plus âgée : Les voyages en France sont toujours pleins de surprises.

L'Anglaise la plus jeune (avalant sa salive) : Elle est sérieuse là ?

Première femme-chouette : Garce ! Sale garce !

Lola : Qu'elles m'insultent, c'est pour toi.

Rodolphe : Je dis tout ça, mais je ne sais pas pourquoi, je ne voudrais pas te faire le moindre mal.

Les femmes-chouettes (riant) : Benêt !

Rodolphe (jetant un coup d'oeil du côté des femmes-chouettes) : Je ne veux même plus te toucher devant ces monstres !

Les femmes-chouettes : Hou !

Lola (tendrement et commençant de l'entraîner) : Viens dans ma chambre.

Quatrième femme-chouette : L'heure de ton rendez-vous est passée.

Troisième femme-chouette : S'il était important, tu as déjà perdu ton emploi.

Rodolphe (égaré) : C'est vrai, qu'est-ce que je vais devenir ?

Lola : Viens.

(Il hésite.)

L'Anglaise la plus jeune : Vas-y, benêt. Une Lola dans une vie c'est mieux que roi d'Angleterre.

L'Anglaise la plus âgée : On dit "qu'un roi d'Angleterre".

Rodolphe (respirant fort) : Ah oui, un peu de grammaire.

Lola (le pressant) : Dis "au lit, Loli" et emporte-moi. (Elle le couvre de petits baisers.)

Les femmes-chouettes : Hou !

Rodolphe (homme fort) : Ouais, je suis un homme de décision... (Changement de ton :) Je ne sais plus où j'en suis...

Lola (l'entraînant, l'embrassant à petits coups et lui faisant franchir l'entrée de sa maison) : Ici tu vas être tranquille avec moi, viens, mon chéri, viens.

Troisième femme-chouette : Tranquille avec Lola ? Pas souvent.

Lola : Laisse toutes les portes ouvertes, qu'elles m'entendent crier.

Deuxième femme-chouette : Putain !

Rodolphe (fou) : Oui, Lola, oui, que je t'embrasse, soyons ensemble, collons-nous ensemble, que j'aie vécu une Lola une fois, et puis tant pis, tant pis. (Il l'embrasse follement tandis qu'elle l'entraîne vers la chambre.)

L'Anglaise la plus jeune : Moi j'en voudrais un tout pareil.

L'Anglaise la plus âgée : Commence par avoir un mari en England.

Les femmes-chouettes : Hou !

Lola (elle est avec Rodolphe dans l'entrée de sa chambre) : Je suis à toi. Tu ne me quitteras plus.

(Elle l'embrasse à pleine bouche.)

 

                                                                     FIN.