Rage de femmes

Un vaste espace vide sous un ciel rougeoyant; au centre, une ferme.

Un temps.

Une femme en pull rouge sort en claquant la porte.

Brigitte : Marre ! J'en ai marre de cette tune ! Il ne s'occupe même pas de nous ! Et qu'est-ce qu'on fait là ? (Elle regarde autour d'elle d'un air exaspéré et désespéré :) Y a rien à voir. Y a rien à faire.

(Une seconde femme en pull rouge, plus âgée, sort en laissant la porte ouverte.)

Cathy : Voyons, calme-toi. (Elle court vers Brigitte.) Qu'est-ce qui te prend ? (Elle essaie de la saisir mais l'autre se débat et s'écarte violemment.) Mais reste tranquille. Je ne te reconnais pas. Ma chérie, qu'est-ce qui ne va pas ?

Brigitte : Je ne veux plus que des femmes me touchent. Je veux un mec, un vrai, pas comme celui-là.

Cathy (essayant en vain de l'attraper) : Voyons, chérie, nous sommes toutes passées par là.

Gaspard (sortant unn livre à la main; physique ascétique; voix puissante mais rêveuse) : En quoi consiste donc le salut si l'individualité n'est qu'une illusion, la volonté un aveuglement, toute réalisation la manifestation d'une conscience suprapersonnelle ?

Brigitte (qui s'est laissé attraper en l'écoutant) : Mais qu'est-ce qu'il raconte ? Qui y comprend quelque chose ?

Cathy (la caressant) : Il a ses problèmes, c'est son affaire. Pour nous, ailleurs, ce serait sûrement bien pire. Il faut se serrer les coudes. Ne nous lâche pas, Brigitte.

(Des fenêtres s'ouvrent.

Trois autres femmes apparaissent.)

Les trois autres femmes (en choeur) : Ne nous lâche pas, Brigitte.

Brigitte (qui reprend de l'assurance et s'écarte brusquement de Cathy) : Je m'ennuie ! Je m'ennuie ! Ici j'ai toujours peur, peur de m'ennuyer. Je n'arrive pas à m'occuper, à à à ... 0 faire des trucs, des machins, ah je ne trouve même plus mes mots tellement j'en ai assez. Voilà ce que c'est de ne parler qu'à vous, toujours qu'à vous. Je veux vivre, moi !

Cathy (lui donnant une bonne claque) : Tiens. (Brigitte recule se touchant la joue.)

Roussette (à une fenêtre; railleuse) : Vas-y, calme-là.

Prune (à une autre fenêtre; avide) : Flanque-lui sa raclée.

Gaspard (étranger à ce qui se passe; voix puissante, rêveuse, lointaine) : Mort et transfiguration. Se provoquer de petites morts pour jouir de petites transfigurations. Voir son moi flotter devant soi, s'en soulager ainsi en se prouvant son existence.

Claudie (à une fenêtre; avec respect) : Il pense.

Prune (peu amène) : Encore.

Cathy (ferme) : Et alors ? Chacun s'occupe à sa manière. (Elle avance sur Brigitte qui recule.)

Roussette (railleuse, chantonnant comme d'autres chantonneraient "allez les bleus") : Vas-y, Cathy, vas-y, Cathy, vas-y...

Brigitte (hurlant) : Je m'en moque de ses pensées, je ne veux pas penser, moi, je veux vivre. Je veux qu'il y ait des voitures, je veux qu'il y ait des avions, qu'il y ait des autoroutes, qu'il y ait des aéroports, qu'il y ait des villes, qu'il y ait des bars et qu'il y ait des hommes partout, des hommes sans pensées, juste hommes, et pas plus, et pas moins... (Elle évite Cathy.)

Prune (intéressée) : Ce serait à voir.

Roussette : Et à essayer.

Brigitte (poursuivant) : Et qu'il y ait du bruit, beaucoup de bruit, ici on s'entend penser...

Claudie (ironique) : Pour toi ça doit être douloureux.

Cathy : Ce qu'elle aime, c'est crier.

Prune : C'est une hystérique... tout comme moi.

Brigitte : Je veux voir pousser des maisons ! je veux voir pousser des hommes !... Et je voudrais un chat.

(On voit sortir de terre une place dont Gaspard devient la sculpture centrale.

A gauche un café avec sa terrasse. Deux hommes y sont assis devant des bières sombres. Au fond gauche le syndicat d'initiative. Fond droit une église moderne. A droite de vieux immeubles ennuyeux.

On entend le bruit d'un train dont le passage fait vibrer la place. Les deux hommes soulèvent leurs verres en habitués jusqu'à ce que le danger soit passé.)

Brigitte (émerveillée) : Dieu que c'est beau !

Claudie (ébranlée mais haussant les épaules) : L'existence de Dieu prouvée par l'existence du train.

Cathy (effondrée) : Elle a réussi.

Roussette (enthousiaste) : Je descends !

Prune : Moi aussi !

Premier homme : Encore des emmerdeuses.

Deuxième homme : On n'est jamais tranquilles.

Brigitte (venant les voir de près) : Vous êtes de vrais hommes ?

Premier homme : Hein ?

Cathy (caustique) : Non, c'est Adam et Eve.

Deuxième homme : Ça recommence, on ne va pas pouvoir boire sa bière tranquille.

Roussette (arrivant, essoufflée) : I sont vrais ? Je peux toucher ? (Elle touche Premier homme.)

Premier homme : Hé !

Prune (arrivant, essoufflée) : moi aussi je veux toucher ! (Elle touche le même.)

Premier homme : Attention à la baffe !

Deuxième homme : Vous nous laissez, d'accord ?

Premier homme : Tous les jours des malades débarquent; faut retourner dans votre asile, mes petites.

Deuxième homme (narquois) : Ou alors vous vous installez dans un bordel; là vous attendez que votre centre d'intérêt se présente...

Brigitte : Moi je ne veux pas attendre.

Roussette : J'ai horreur d'attendre.

Prune : Pourquoi attendre puisque, dans la vraie vie, des hommes, il y en a plein les rues ?

Claudie (arrivant lentement) : Ils ont des droits.

Prune (légère) : Oui, ils nous ont.

Claudie : Non, des libertés de décision, de pensée...

Roussette : Ils pensent aussi, ces deux-là ?

Prune (fâchée) : C'est une maladie.

Brigitte : Je veux m'asseoir avec eux et je vais être très gentille; ils vont être contents. (Elle s'assied. Ils la regardent d'un air fâché.)

Cathy : Eh bien, moi, puisqu'on est libres, je vais découvrir la ville. (Elle va pour sortir par le fond gauche.)

Claudie : Je crois en effet qu'il faut en profiter pour s'instruire. Je suis curieuse de voir si la réalité correspond à mes lectures. (Elle prend la même direction que Cathy.)

Prune : Je vais aller vérifier avec toi... parce qu'avec ces deux-là on risque de ne pas vérifier grand chose ici. (Elle rattrape Claudie.)

Premier homme (entre ses dents) : Malade.

Deuxième homme : Faut pas rester non plus vous deux; quand nos femmes vont venir nous chercher, pas question qu'elles vous trouvent avec nous.

Roussette (dépitée) : Ils ont déjà des femmes.

Brigitte (légèrement) : On s'en fout.

Roussette (rieuse, s'asseyant aussi) : C'est vrai, on s'en fout.

Premier et deuxième hommes (inquiets) : Pas nous !

Premier homme (au bord des larmes) : La mienne elle est terrible; toujours des scènes, des crises de nerf; elle hurle, elle m'attaque au couteau...

Brigitte (l'enlaçant pour la réconforter) : Pauv'ti minet.

Deuxième homme : Et elles ont tout l'argent.

Premier homme (au bord des larmes) : Quand elle est jalouse, plus un rond pour moi.

Brigitte (lui donnant de petits baisers avides) : C'est une sale femme; moi je suis une gentille.

Roussette (qui essaie de faire pareil mais est repoussée) : Mais moi aussi je suis une gentille, pourquoi tu veux pas ?

(Surgissent brusquement de la rue la plus proche deux phantasmes de blonde aux formes abondantes et à l'air impérial.)

Blonde 1 : Ah, le salaud ! encore une garce à le baisotter.

Blonde 2 : Et toi, c'est pas la peine de t'écarter, j'ai vu ton jeu !

Deuxième homme : Mais non, mais je n'ai rien fait; dites-lui vous !

Roussette (de mauvaise foi pour les brouiller) : Ah ! J'aime autant vous dire qu'il ne se défend pas mollement longtemps.

Blonde 1 Brigitte) : Tu arrêtes, toi, tu arrêtes.

Brigitte (pelotant l'homme avec délice) : Pas question.

Premier homme (timidement) : Pourtant je le lui ai dit, moi aussi.

Blonde 1 (suffoquée, à Brigitte) : Mais ça ne vous dérange pas de lui faire ça devant moi ?

Brigitte (embrassant avidement l'homme) : Pas du tout. Au contraire... (Comme pour s'expliquer :) J'ai l'habitude des femmes.

Blonde 2 (qui a attrapé le sien et l'a écarté de Roussette) : Plus un sou pendant un mois.

Blonde 1 (tirant Brigitte en arrière mais en vain) : Comment est-ce que je la décroche, celle-là ? (A Blonde 2 :) Viens m'aider, voyons.

Blonde 2 : Impossible. Je surveille le mien.

Blonde 1 Brigitte) : Lâche-le toi, lâche-le !

Brigitte (enlacée à l'homme) : Cours toujours.

Blonde 1 (qui n'a pas réussi à décrocher Brigitte, découragée, les bras ballants) : Mais qu'est-ce que je vais faire ?

(Brigitte en profite pour ouvrir la chemise de l'homme, lui caresser et embrasser les pectoraux.)

Premier homme : Moi je ne sais pas.

Blonde 2 : Moi non plus.

Blonde 1 (tombant assise) : Je n'y crois pas.

Deuxième homme : Moi j'ai été sage et pourtant on me prive d'argent.

Roussette (salivant au spectacle) : Bien fait.

(Pendant ce temps Brigitte s'active.)

Premier homme (voix lointaine et rêveuse) : Comment penser humain ? Comment échapper aux intuitions directes des réalités non humaines dont nous sommes le phantasme ?

(Brigitte s'est arrêtée net, une impression d'horreur sur le visage.)

Blonde 1 : Tiens, ça le reprend.

Roussette (fâchée) : Alors y a pas moyen de s'amuser un peu.

Brigitte (secouant violemment Premier homme) : Mais arrête, moulin à paroles, arrête !

Blonde 1 : Pour une fois, j'apprécie.

Brigitte (énervée, à Blonde 1) : Tu comprends ce qu'il dit ?

Blonde 1 : Va-t'en. Tu lui fais du mal; il se met à penser et à la maison c'est moi qui vais devoir le soigner.

(D'une cage d'escalier à droite sort la tenancière de la Garderie de maris, accorte personne à la tenue voyante.)

La tenancière (découvrant le spectacle) : Ah.

Blonde 2 (apercevant la tenancière) : Qu'est-ce qu'ils font dehors !

La tenancière (embarrassée) : Ils ont voulu aller boire un bock; juste à côté. Vous savez bien que je n'ai pas le droit de servir d'alcool. Ils avaient été si gentils...

Blonde 1 (pas contente) : Ça veut dire quoi, ça, "si gentils" ?

Brigitte : Oui, parce qu'avec moi, il ne l'est pas du tout.

Blonde 2 : Je ne vous paie pas pour qu'il soit gentil avec vous.

La tenancière (embarrassée) : Enfin... vous savez comme ils sont câlins quand ils veulent quelque chose.

Blonde 1 (furieuse) : Vous êtes tenancière d'une garderie de maris, vous avez des responsabilités !

Blonde 2 : Je vais couler ta réputation, moi ! salope.

La tenancière (qui se rebiffe) : Dites donc, j'y peux rien si ce sont de vraies petites putes, vous n'aviez qu'à mieux vous marier.

Blonde 2 : Hein ! On va te faire fermer boutique !

Blonde 1 : Fini, notre clientèle ! et celle de nos amies !

La tenancière (s'avançant) : Pffft. Celles qui ont réussi en affaires et se payent de beaux gars ne manquent pas, je ne suis pas en peine.

Deuxième homme : Elle nous a même forcés à tourner des films pas convenables.

La tenancière (hypocrite) : Ben quoi, faut bien que je les occupe toute la journée. I z'en ont vite marre de jouer aux cartes sans argent. I préfèrent la poupée.

Blonde 1 (effondrée) : J'ai livré mon mimile à une proxénète.

Brigitte (à la tenancière) : Je peux venir vous aider ?

Blonde 2 Deuxième homme) : Mon pauv'chien, comme tu as dû souffrir.

Roussette (à la tenancière) : J'veux entrer aussi, j'veux aider à les garder.

Blonde 1 Premier homme) : Viens, rentrons à la maison. Je vais te donner du fortifiant. (Elle entraîne Premier homme vers la rue par laquelle elle est arrivée en lui chuchotant à l'oreille.)

Blonde 2Deuxième homme) : On rentre, allez, tu vas être très gentil, hein ? Je te rends ta pension mensuelle. Viens. (Elle l'entraîne dans la même direction que Blonde 1.) Et même, si tu es avec moi aussi gentil que dans tes films pornos, t'auras une prime.

Deuxième homme : De combien ?

La tenancière (qui n'a cessé de les regarder) : Quelle pitié. Les bonnes femmes n'ont aucune morale. (Criant :) Divorcez au moins ! Ayez le courage d'être seules si vous n'êtes pas capables de vous faire aimer ! (Marmottant, méprisante :) Ça ne sait qu'acheter. Leur physique refait au bistouris ne créera pas l'amour. (Brusquement à Roussette :) Oui, toi, tu peux entrer; une rousse, ça les excite, et j'en ai pas.

Brigitte (furieuse) : Eh bien, et moi ?

La tenancière (la toisant) : Non, trop fadasse, j'ai déjà le modèle.

(Elle rentre, suivie de Roussette.)

Roussette Brigitte) : Désolée pour toi, chérie. Tout le monde ne gagne pas dans la vie. (Elle entre dans la garderie.)

(Les deux Blondes et leurs hommes sont sortis.

Brigitte reste seule sur la place.

On voit la statue de Gaspard bouger.)

Brigitte (effondrée) : Moi aussi, je paierais bien. Mais je n'ai pas d'argent. Les hommes sont décevants. Il n'y a plus de vrais hommes. (Lyrique :) Où es-tu, ô toi, le grand buveur, le grand fumeur, le grand amateur de rixes, avec ton nez cassé, tes tatouages bêtes, tes pectoraux d'acier, tes cuisses comme des tours, tes bras comme des trompes d'éléphant ?... (Un temps. Elle réfléchit :) Ce qu'il me faut, c'est un con... Un vrai con...

(Gaspard bouge. Mais elle ne le voit pas, elle lui tourne le dos.)

Gaspard : J'ai reparcouru tous les grands guides touristiques... de Marx, Engels, Spinoza, Khatchatourian, Spinelli, Vadim... aucune trace de cette petite place... Le philosophe ne doit pas hésiter à descendre dans la rue pour appréhender les manifestations poubellières de l'évolution humaine. (Apercevant Brigitte qui pleure :) Tiens, une autochtone. (S'approchant :) Bonjour.

Brigitte (d'un ton rogue) : Bonjour. Est-ce que votre femme va débarquer ?

Gaspard : Nous sommes dans un port ?

Brigitte (ahurie) : ... Quéçafait ?

Gaspard : Comment ?

(Un temps.)

Gaspard (repartant bravement à l'attaque) : Je suis un grand voyageur; vous pourriez me décrire comment on vit ici ?

Brigitte (séchant ses larmes) : Ça baise dans tous les coins et rien pour moi.

Gaspard : Ah ?

Brigitte (noblement) : C'est mon but dans l'existence, ce n'est pas mon destin.

Gaspard (qui s'en fout) : Ben oui, qu'est-ce que vous voulez, vous êtes peut-être moins belle que d'autres...

Brigitte (fâchée) : Hein !... Je ne suis pas rousse, c'est tout.

Gaspard (qui s'y perd) : Non...

(Un temps.)

Gaspard (reprenant héroïquement) : Il y a sûrement des monuments ?... Il y a des monuments partout...

Brigitte (qui suit sa propre idée) : Oui, un palais des sports... c'est pas bête, ça...

Gaspard : Je pensais plutôt à des palais anciens, des châteaux... vous voyez ?... (Elle reste de marbre.) Des églises peut-être ? Une cathédrale ?

Brigitte (pince-sans-rire) : Vous voulez m'emmener dans une église, vous avez la bague ?

Gaspard (déconcerté) : ... Pour visiter...

Brigitte (éclatant) : Mais qu'est-ce que c'est que ce dingue qui vient parler de monuments à une fille comme moi ! Tu me casses les pieds, ramolli. Moi, je ne cherche pas un monument, je cherche un homme !

Gaspard : Ah. Comme Diogène. (Air inquiet de Brigitte.) ... Mais pas dans le même but, j'imagine.

Brigitte : ... (Agressive :) Les filles comme moi elles vont à l'église trois fois dans leur vie : une pour leur baptême, une pour leur mariage, une pour leur enterrement. Et c'est tout.

Gaspard : ... Pas pour leurs enfants, leurs amies ?

Brigitte (sèchement) : Je ne suis pas maternelle et je n'ai pas d'amies, enfin pas qui soient susceptibles de se marier.

Gaspard : Bien. Excusez-moi. Je crois qu'il vaut mieux que nous allions chacun notre chemin...

(Il s'écarte. Brigitte semble réfléchir.)

Gaspard (à part) : Les femelles autochtones sont très bizarres. Je vous demande à quoi ressemblent les mâles.

Brigitte (à part) : Je veux vire ! Je veux vivre !

(Rentrent Claudie et Prune.)

Claudie (de mauvaise humeur, voyant Brigitte) : Ah, quelle ville ! Y a rien à voir. Tout se ressemble, ils ont construit sur leur passé. Je cherche où nous sommes et c'est partout.

Prune (de mauvaise humeur aussi) : Et y a que des femmes, ou presque. Si tu aperçois un mec, t'as une femme qui le surveille.

Claudie : J'ai tenté de discuter scientifiquement avec quelques habitants, une dame au milieu de fleurs...

Prune (railleuse) : Une fleuriste.

Claudie : ... un homme qui semblait tondre du gazon mais qui en fait méditait... sur le gazon...

Prune (imitant) : Ça pousse, ça pousse... et ça repousse... Si on pouvait résoudre ça...

Claudie : ... et un archiviste.

Brigitte : Ah ! Un archiviste...

Prune : Il collectait les ordures ménagères et les mettait dans une sorte de benne-camion.

Claudie : Oui, pour étudier sa société par ses déchets.

Gaspard (qui s'est approché) : Comme c'est intéressant.

Claudie (flattée) : Il a promis de me communiquer ses travaux.

Prune : Aucune ne le surveillait mais moi il ne me plaisait pas du tout.

Gaspard Claudie) : Croyez-vous que ces citadins nous laisseraient faire des fouilles pour trouver les vestiges des époques révolues ?

Claudie : J'aimerais participer à cette action d'utilité publique. Il faut absolument que nous mettions cette opération sur pied !

Prune : On est passées à côté de la préfecture, par là. (Geste vague.)

Gaspard Claudie) : Irons-nous ensemble ?

Claudie (lui prenant le bras) : Mais... je vous tiens.

(Ils sortent en riant.)

Brigitte : Y en a qui savent se caser.

Prune : Et mine de rien.

(Premier homme réapparaît.)

Premier homme : Non ! Je ne suis pas un objet sexuel. Je pense, moi. J'ai des aspirations. Et des expirations. La vis, voyez-vous, m'interpelle... Oui... Pour certains elle est finie avant qu'ils ne se soient demandé pourquoi elle a commencé; mais moi je me le suis demandé !... Ah !...

Brigitte (émue) : Le revoilà.

Prune (détaillant) : Il est rudement bien.

Brigitte (émue) : Mon premier amour.

Premier homme (voyant Brigitte) : Tiens, la cinglée.

Prune (aimablement) : Et maintenant il y en a une autre.

Premier homme : Mon truc à moi, voyez-vous, c'est plutôt l'interrogation ontologique.

Brigitte (déprimée) : Je suis prête à tout, même à ça.

Premier homme (séduit par une idée) : Fonder un cénacle... Avoir mon propre groupe de réflexion... Distiller à des disciples attentives le fruit de mes années de méditation...

Prune (inquiète) : Hein ?

Brigitte (la faisant taire; hypocritement) : Oh oui, ça serait bien.

Premier homme (s'enthousiasmant) : Je pourrai enfin parler, librement; et en plus, on m'écoutera. On applaudira tout ce que je dirai ou on sera exclu du cénacle.

Brigitte : Oh non, pas ça.

Premier homme : Un gourou doit être dur avec ses adeptes, elles doivent le respecter, être soumises...

Prune : Quand est-ce qu'on commence ?

Premier homme : J'accorderai mes faveurs uniquement à celles qui auront bien médité sur l'incroyable tournique des mondes...

Brigitte : J'étais justement en train d'y penser.

Prune : Moi j'ai médité hier, ça compte ?

Premier homme : Car j'ai eu une révélation; Dieu ne m'a pas parlé, à vrai dire; mais c'est tout comme; car je l'ai entendu.

Prune (naïvement) : Et c'était bien ? (Brigitte lui met la main sur la bouche pour la faire taire.)

Premier homme : Je dois répandre ses vérités dont je suis dépositaire. Mais où trouver l'arche d'où jaillira la lumière pour le monde ?

Brigitte : Par là. (Elle le prend vivement par la main et l'entraîne vers la ferme dont l'image apparaît sur la place, suivie de Prune qui essaie de saisir l'autre main.)

Premier homme (hésitant) : Croyez-vous que ceci soit à la hauteur pour devenir Le Temple ?

Prune : Bien sûr, c'est douillet.

Brigitte (le tirant) : C'est à la fois spirituel et cosmique. J'y crois, j'y crois.

Prune (le poussant) : J'y crois aussi.

(Les maisons de la place commencent de disparaître.)

Blonde 1 (apparaissant au fond; elle courait, elle s'arrête, essoufflée) : Minet ! Minet !

Brigitte (entraînant Premier homme - lequel regarde en arrière vers Blonde 1 - dans la ferme) : Entre, mais entre !

Prune : Vite. Tu vas pouvoir nous faire rayonner, là.

Premier homme (entrant) : Y aura-t-il assez de place pour tous les disciples ?

(Les maisons de la place finissent de disparaître.)

Blonde 1 (arrivant vers la ferme dont la porte claque devant elle) : Minet ! Minet !

(Le désert. Le ciel redevient rouge.

Blonde 1 attend.

La porte s'ouvre. Elle entre.)

 

                                                                      FIN