LA GUERRE DES DODUS

 

 

ACTE I

 

Grand salon-salle à manger avec coin cuisine, cheminée à bon feu, confort de maniaque du confort. En plus, une glace en pied avec un lourd cadre doré, orné de rinceaux.

 

 

Dodu I, Charles (la quarantaine arrondie, la calvitie avancée, il se contemple avec satisfaction) : Cette glace sait merveilleusement me refléter... Elle me change en portrait talentueux... Ça valait vraiment le prix que je l'ai payée... Je dis cela parce qu'il y en a, celle de l'armoire de ma femme par exemple, eh bien, dedans, je suis quasiment laid... presque grotesque... Pour me voir nu en entier, je m'assure que Nathalie est endormie et je viens ici, je me déshabille devant ma glace, lentement... et  je reste épaté d'être ce que je suis... (Face au public :) On a beau dire à la télé, à la radio, dans les revues... avec leurs modèles aux mensurations antinaturelles... je suis beau.

Nathalie (sa femme, un peu plus jeune, fine, élégante; entrant par la porte  qui  donne  sur  l'extérieur  avec  un  sac et appelant ) : Charles !... Ah, encore devant ta glace.

Charles : Hélas ma chérie, que ne me trouvé-je aussi beau dans tes yeux que dans le sien...

Nathalie : Au lieu de délirer tu ne pourrais pas faire un peu de sport comme tout le monde.

Charles (finement) : Pour devenir comme tout le monde ?

Nathalie : Ne m'attaque pas, gros, t'as plus le souffle.

Charles (vexé) : Tu as le goût déformé, c'est tout. Tu ne comprends pas la beauté de l'évolution naturelle.

Nathalie : Tiens, je t'ai acheté des revues...

Charles : Des revues ?

Nathalie (cherchant dans son sac) : Ce n'est pas d'une gentille petite femme, ça ?

Charles (méfiant) : On va voir.

Nathalie (les lui mettant dans les mains) : Tiens, mon glos minet; éduque-toi.

Charles  : ... "Culturisme-hebdo"...

Nathalie : Y a plein de photos... superbes...

Charles  : ... "Santé pour tous"; numéro spécial : maigrir.

Nathalie (plongeant dans son sac) : Et j'ai acheté les produits ad hoc... regarde...

Charles : ... "Le sport chez vous"...

Nathalie : Et j'ai découpé dans "Elle et Lui" un article sur les méthodes nouvelles pour les cheveux.

Charles : Mais tu as acheté des revues pour toi, pas pour moi !... C'est toi qui aimes  les pectoraux sur-dimensionnés.. Pas moi.

Nathalie : Alors, flemmard, le gros, hein ?

Charles : Mais bien sûr. Mais parfaitement. Et tu ferais mieux de manger un peu plus. A ton âge, mince comme un fil, cela fait maladif.

Nathalie : Ah oui ? Eh bien la malade désormais envisage de coucher seule !

Charles : N'oublie pas que la maison est à moi. C'est toi qui passes la nuit sur le divan.

Nathalie : C'est bien ce qui m'a fait reculer jusqu'à aujourd'hui... Mais cette fois je suis décidée : ou tu fonds ou je déserte. (Elle va pour sortir.)

Charles (la voyant partir, criant) : Et on est priée de laisser le salon libre : je reçois mon club.

Nathalie (arrêtée net) : Les deux autres tarés vont venir chez moi !

Charles : Chez moi.

Nathalie : C'est encore chez nous, mon p'tit vieux; si tu les reçois, il y aura représailles.

Charles : Alors bataille, femelle, hein ? On voudrait s'emparer du pouvoir ! Mais tu as découvert ton jeu trop tôt, je suis au mieux de ma forme, et même en progrès.

Nathalie : Et dire que j'ai failli faire un enfant avec ce type !

Charles (avec aplomb) : C'est surtout moi qui l'aurais fait.

Nathalie (ahurie) : Quoi ?

Charles : J'estime que j'aurais été ses deux parents à 90 %.

Nathalie : Il délire, il délire. Tu n'en aurais pas accouché aussi ?

Charles (avec aplomb) : Si.

Nathalie (stupéfaite d'abord, hausse les épaules, puis) : ... Tiens, si je pouvais le faire enfermer ?

(Elle sort.)

Charles : Je lui ai rivé son clou... Dans l'égalité du couple le mâle doit avoir la prépondérance, sinon la vie n'est plus possible, la femelle s'excite et finit par le bouffer... Moi, je suis un homme à principes... (Il revient devant sa glace :) Et  franchement, que  penser d'une  femme qui  m'apprécie  moins  que ma glace ? (Sonnerie.) Ah ?... (Il va ouvrir.)

(Entrent Dodu II et Dodu III.)

Dodu II : Bonjour, héros fondateur.

Dodu III : Bonjour, jovial père des dodus.

Charles : Et des dégarnis.

(Ils le sont en effet, gras, porcelets même et caillouteux du haut.)

Dodu II : Heureusement, sinon on tournerait le dos à l'harmonie.

Dodu III : L'esthétique a ses lois... trop souvent ignorées.

Charles : Prenez place... Messieurs, notre association a pour but non seulement de nous réunir entre gens photogéniques mais surtout de former le goût populaire, notamment celui des femmes particulièrement perturbé par les déviances médiatiques. Au culte de la nature a succédé un abrutissant impératif de se conformer à des modèles filiformes pour les femmes, à des modèles à excroissances musculeuses pour les hommes. Certes ils ont pour eux la tradition de l'anormal : dents limées, crânes déformés des Mayas, femmes-girafes, femmes à plateaux, ici le crâne rasé passe pour beau, là les cheveux longs, ailleurs ces extrêmes sont condamnés etc etc... Nous avons fait le choix de la nature naturelle. Est beau ce qui est conforme au développement naturel sans intervention de l'homme...

Dodu II : Ne pourrait-on pas en accepter une légère ?

Dodu III : Mais alors très légère... sans régimes.

Charles : Soit, nous n'irons pas jusqu'à ruiner les fabricants de fard, de cosmétiques et de je ne sais quoi, car tout le monde ne peut accéder à l'élite du goût.

Dodu III : Hélas.

Dodu II : Ne visons pas trop haut.

Charles : Et employons des détours pour amener à la pensée juste, pour réformer les mentalités.

Dodu II : C'est ça; biaisons.

Dodu III : Sinon, quand j'expose la vérité directement, on se fout de moi.

Dodu II : Moi pareil.

Charles : Même ma femme reste esclave des anciennes valeurs.

Dodu III : Les femmes sont particulièrement dures à convaincre.

Dodu II : Alors ton plan, finalement, quel est-il ? Parce que moi je vois l'horizon noir.

Charles : D'abord j'ai informé, par des publicités discrètes dans des revues bien pensantes, de l'existence de notre club, en invitant nos frères inconnus à nous rejoindre.

Dodu II : Parfait.

Charles : Puis utiliser les médias pour insinuer que l'essentiel est d'être bien dans sa peau...

Dodu III : C'est un message qui passera bien.

Charles : ... pour arriver à l'idée que l'on doit être en accord avec l'évolution naturelle...

Dodu II : Et que les beautés différentes selon les âges...

Dodu III : ...doivent être non seulement acceptées mais appréciées par tous les âges.

Charles : Le processus est enclenché, le combat sera long.

Nathalie (faisant irruption) : Alors les gros pères on se prend toujours pour les Don Juan du XXIe siècle ?

Charles : Qu'est-ce que tu viens faire ici ?

Nathalie : J'espionne les secrets des dodus. Est-ce que tu leur as montré nos revues ? (Elle court les prendre et les ouvre brusquement devant les deux invités.)

Dodu II et Dodu III (la  main  devant  le visage, se détournant) : Horreur ! Mais qu'est-ce qui lui prend ?

Charles : Nathalie, tiens-toi tranquille. (Il l'attrape, la repousse.)

Nathalie : Laisse-moi, gros, que je leur montre la vérité !

Dodu II : Mais elle est hystérique !

Dodu III : Pauvre femme aveuglée par la propagande maigrichonne.

Nathalie (dans l'ouverture de la porte, criant) : Moi aussi je vais fonder un club ! de culturisme !

(Charles a réussi à la repousser. Il vient s'asseoir, épuisé.)

Charles : Ma vie est difficile... J'ai une femme passionnée du sexe... Du mien... Elle ne comprend pas mon aspiration à autre chose... à un stade supérieur de la nature-homme auquel je peux accéder maintenant.

Dodu III (poliment) : Mon pauvre ami.

Dodu II : Mais une épouse réfractaire ne risque-t-elle pas de nuire à l'image de notre club ?

Dodu III (content) : Moi, je suis célibataire.

Charles : Ah oui, il faudrait la convaincre... Comment faire ?

Dodu II : Moi, j'ai divorcé.

Dodu III : C'est une bonne solution. Je vote pour.

Charles : Mais non ! Pas du tout... J'ai mes habitudes avec cette femme-là, je n'éprouve aucun besoin d'en changer... Ce qu'il faut, c'est la convaincre, faire descendre sur elle la lumière.

Dodu II : Le combat est inutile... Une femme ne se raisonne pas.

Charles : Mes amis, il le faut !... Ne pas même être beau chez soi porterait un coup fatal à notre entreprise. Il faut trouver le sésame de l'esprit féminin.

Dodu III : Si l'on mangeait plutôt...

Dodu II : Je n'ai personnellement aucune idée sur la première question. D'accord pour la deuxième.

Charles : Soit. Je vous ai préparé un plateau réparateur... Les efforts intellectuels, ça creuse... (Il va le chercher.) Voilà.

(On admire.)

(Entre Jessica, jolie jeune femme amie de Nathalie, timidement, la tête d'abord.)

Jessica : Hello ?... J'ai sonné...

Charles : Oui oui... (Entre ses dents :) Menteuse... (Haut :) Nathalie est par là.

Jessica (s'avançant) : Vous mangez du bon, je vois. C'est appétissant.

Charles : Uniquement pour membres du club.

Jessica : Je ne demande qu'à en faire partie.

Dodu II (indigné) : Vous ne pouvez pas !

Jessica Dodu II) : Vous me faites penser à une belle daurade bien marinée, revenue à point, baignant dans une sauce blonde embaumant le jasmin et l'aïoli. (Elle avance sur Dodu II, fascinée, lequel s'est levé et recule.)

Dodu II (effrayé) : Charles !

Charles : Son mari la met au régime, c'est pour ça. Alors elle vient voir Nathalie et elle passe par la cuisine.

Jessica (avançant toujours sur Dodu II) : Mon mari est une brute, monsieur. Il m'affame.

Dodu III : Pauvre petite femme.

Jessica (se tournant  brusquement  et allant s'asseoir à côté de Dodu III qui occupait seul un divan) : Voue me paraissez humain, vous. Dites, vous trouvez normal d'être en régime permanent parce que Monsieur a besoin d'une maigre pour s'exciter ?

Dodu III : J'ai toujours été féministe. Ouvrez la bouche.

(Elle ouvre la bouche, il y enfourne un mini-sandwich.)

Jessica (extasiée) : Ah... Que c'est bon ! ... Encore, encore !

Dodu III (renouvelant sa bonne action) : Là, doucement...

(En effet elle avance de terribles mâchoires si brusquement qu'il craint pour ses doigts et les retire vite.)

Jessica (très panthère, dénouant sa longue chevelure brune et la secouant) : Enfin un homme qui comprend les femmes... Chéri, je ne te quitte plus... Le sado-maso, pour moi, c'est fini.

Dodu III (lui donnant un autre mini-sandwich) : Mange, pauvre persécutée.

Charles : On ne va plus arriver à s'en débarrasser maintenant, c'est gai.

Dodu II : Vous croyez que je peux retourner m'asseoir sans risque ?

(Il fait l'essai, craintivement. Mais Jessica est tout occupée à déguster.)

Dodu III : N'est-ce pas conforme à notre but : ramener à la raison les belles panthères égarées ?

Jessica : Oui, mon dodu. Je les aurai mes quatre-vingts kilos, je les aurai.

Dodu II : Il faut reconnaître qu'elle a de la bonne volonté.

Charles : Elle a aussi un mari malabar, brutal et rancunier.

Jessica : Mon dodu me défendra.

Dodu III (tranquille) : A trois on y arrivera bien.

Charles (sombre) : Et en plus de la supporter, il va falloir se faire casser la gueule, quelle bonne journée.

Dodu II : Je ne suis pas enthousiaste.

Dodu III (tranquille) : Le Dieu des dodus y pourvoira.

Charles (railleur) : Je n'ai pas noté son inscription au club.

Jessica (amoureuse et mangeant) : Enfin je 'et'ouve le bonheu'. (Les sons sont mangés avec le sandwich qu'elle finit, puis :) Boire !

Dodu III (la faisant boire) : Là, pas trop... Il faut te réhabituer... Le plaisir n'est pas compatible avec les excès.

(Entre Nathalie.)

Nathalie (entrant une  de ses revues  à la main) : J'ai télé... Jessica !

Jessica (prise en faute mais faisant mine de l'ignorer) : Tiens, Nathalie.

Charles (ironiquement) : Elle est venue te voir.

Jessica (la tête sur l'épaule de son dodu dont elle serre énergiquement le bras) : Ah oui...

Nathalie (sévèrement) : Qu'est-ce que tu fais là ! Avec eux !

Jessica : Thalie... dispute pas... Je me suis trouvé un petit dodu... charmant... Et fin gourmet !

Nathalie (pincée) : Tu  te  vois  faire  l'amour  avec cette barrique, toi  une  des  plus  belles  femmes de la ville !

Jessica : Eh bien, et toi !

Nathalie : Mais forcée !

Charles : Oh, forcée... elle phantasme !

Nathalie : Gros lard.

Jessica : Le phantasme c'est le meilleur de l'amour. Pas vrai, mon dodu ?

Dodu III : Nourris-toi, ma Jessica.

Nathalie (les regarde et secouant la tête avec écoeurement) : Répugnant spectacle.

Dodu II (timidement) : Je ne trouve pas. Un couple d'amoureux, c'est toujours beau.

Charles : L'amoureuse finit toujours par ressembler à l'amoureux.

(Jessica grignote, extasiée.)

Nathalie (solennelle) : Jessica, ma chérie, je te sauverai. Moi vivante, ils ne t'engraisseront pas... Je serai le rempart, celle qui arrête le tentateur. Les maniaques de la bouffe je les passerai au sauna, je les ferai fondre au hammam, je les mettrai au pain sec et à l'eau... Moi, Nathalie, ô mes ancêtres de France, je stopperai l'ennemi de notre plastique. Nous resterons belles, comme vous, souples, gracieuses, la taille fine qu'un homme ne peut tenir entre ses mains sans pâlir de désir, sauvages et dociles, frêles et dures; nous resterons dignes de notre glorieux passé... (Aux dodus :) J'ai fondé mon club, moi aussi; j'ai passé quelques coups  de  téléphone et il  va  venir du monde... (Mystérieuse :) on va avoir du spectacle... (A Jessica :) Toi, je vais prévenir ton mari.

(Elle sort par où elle est entrée.)

Jessica (entre ses dents) : D'abord, autrefois on appréciait les grasses.

Dodu III : Mais on les apprécie toujours.

Charles : Toutefois l'embonpoint est surtout beau chez les hommes.

Dodu II : C'est vrai.

Dodu III : Je vous trouve très conservateurs sur le ventre. A mon avis il faut être plus ouvert à l'évolution esthétique de la femme.

Jessica (la bouche pleine) : E v'ai ! E l'égal'té 'oi !

Dodu III : Bien sûr. Les rondeurs sont agréables partout.

Charles (pas convaincu) : Mais pour être agréables chez la femme elles doivent être douces, collines pas montagnes.

Dodu II : Sinon, peu escaladeront.

Charles : Il faut trop d'énergie.

Jessica (la bouche pleine) : 'Eux adhé'er.

Charles : Adhérer ? C'est nettement prématuré.

Dodu II : Et puis il faut un vote de l'ensemble des membres du club.

Dodu III : Je vote pour.

Charles : Dans son état physique actuel sa demande ne me paraît pas recevable.

Dodu II : Et puis le club est le "Club des dodus et dégarnis", ne l'oublions pas. Or les femmes sont rarement chauves.

Dodu III : On peut accepter un membre sur un seul critère.

Charles : On ne peut pas.

Dodu III : Si.

Dodu II : Enfin on verra... Il faut réfléchir.

(La porte du dehors s'ouvre brusquement. Paraît Charles-Henri, grande taille, colosse dégarni avec un peu de ventre tout de même. Nettement plus âgé que Jessica.)

Charles-Henri (poli et calme) : Bonjour messieurs... (Triste :) Jessica... Tu sais que tu ne dois pas... Voyez-vous messieurs, elle a de grands problèmes de santé... Rien que son taux de cholestérol...

Jessica (finissant d'avaler un sandwich, protestant) : 'A 'ai ! (Pas vrai !)

Charles-Henri : Puis-je m'asseoir ? J'accepterai bien un de ces sandwiches... Ils sont appétissants, je comprends qu'elle en ait eu envie.

Nathalie (paraît dans l'entrebâillure de la porte intérieure) : Je veux voir ça.

Charles-Henri : Je me prive à la maison pour qu'elle ne soit jamais tentée. En général je suis affamé, alors en sortant j'avale n'importe quoi. D'où mon bide. Regardez ça. Lamentable.

Dodu III : Je ne trouve pas. Il est très modeste.

(Jessica s'est accrochée à son bras. On la sent butée.)

Charles-Henri (dégustant) : C'est de la mauvaise graisse née de la mauvaise nourriture.

Dodu II : Ah, si la nourriture était mauvaise... évidemment.

Charles-Henri (dégustant) : Pour ma Jessica je suis prêt à bien d'autres sacrifices... (Triste :) Chérie... je suis venu te chercher.

Jessica : Mon Dodu, sauve-moi !

Charles-Henri : Je te ferai vomir en arrivant... (Aux autres, souriant :) Le pire sera ainsi évité.

Jessica : Je ne veux pas, je n'veux pas, j'veux pââs !

Dodu III : Mais Madame, si vous êtes malade, n'est-ce pas la meilleure solution ?

Charles-Henri : Vous parlez en bon assuré social. Si elle doit aller à l'hôpital, elle coûtera gros à la collectivité.

Dodu II : Ah, si c'est une affaire de civisme... évidemment.

Nathalie (inquiète) : Qu'est-ce que c'est que cette histoire de maladie ? Jessica malade ?

Charles-Henri : Autres sandwiches, je vous prie.

(Dodu II fait le service.)

Dodu II : Tout le monde n'a pas la chance de pouvoir profiter des bonnes choses.

Charles-Henri (triste) : Pas elle, hélas.

Dodu III : Mais... c'est grave ?

Jessica (accrochée à lui) : Moi je n'y crois pas à ces maladies. C'est toujours lui qui parle aux médecins, à moi ils ne me disent jamais rien.

(Nathalie s'avance petit à petit.)

Charles-Henri (triste) : Ça vaut mieux... (Aux autres :) Ainsi son moral n'est pas trop affecté.

Jessica : Si, il est affecté. Parce que je ne comprends pas !

Charles-Henri (dégustant) : Je sais d'où vient sa crise de révolte... c'est parce que, avant-hier, je l'ai suspendue vingt minutes la tête en bas pour faire descendre le cholestérol... D'habitude je la flagelle seulement sur les endroits de concentration adipeuse, mais des médecins ont vu les traces et ils ont critiqué ma méthode... Nous avons choisi ensemble de meilleurs médecins... mais j'ai été affecté par les critiques... Autres sandwiches, vite. (Dodu II s'exécute.)... Dans l'espoir de trouver une solution aux maux de tant de nos concitoyens, je me suis lancé dans la recherche... j'ai acheté des livres et j'expérimente mes idées...

Dodu III : Sur elle ?

Charles-Henri (dégustant) : Elle est contente au fond d'être utile à la collectivité. Elle a d'ailleurs fait don de ses organes... pour après sa mort bien sûr... mais on a plus de mérite aux yeux de Dieu par les dons de son vivant si j'ose dire.

(Nathalie est maintenant tout près du groupe.)

Jessica (effondrée) : Je sais pas c'que j'ai. Je ne le crois pas. Il dit tout ça pour me terrifier.

Charles-Henri (dégustant) : Du reste elle a des compensations car, entre nous, la soigner comme ça m'excite à un point !... Et avec la nature sensuelle qu'elle a...

Charles (intervenant enfin; il se lève) : Charles-Henri, ça suffit... Jessica rentrera quand elle voudra, si elle veut... Toi tu t'en vas...

Charles-Henri (calme et menaçant) : Tu vas encore te faire casser la gueule, Charles.

Charles : Tu vas encore te faire mettre en prison, Charles-Henri. Et comme récidiviste, plus longtemps... Que fera Jessica pendant ce temps ? Tu pourrais bien ne plus la  retrouver à la sortie...

(Charles-Henri pèse visiblement le pour et le contre; finalement, il se dirige vers la sortie.)

Charles-Henri : Je t'attends à la maison, Jessica. Si tu tardes, je reviendrai.

(Jessica, butée, se serre plus contre Dodu III, les jambes repliées sur le divan, la tête sur son épaule, les yeux fixés sur son assiette. Charles-Henri sort.)

Charles (soulagé) : Pâris peut garder Hélène, mais la guerre est déclarée.

Dodu II (venant à lui) : Quelle admirable force de caractère, père des dodus.

Charles : Et des dégarnis.

Dodu II : Moi je n'aurais pas pu. Offrir sa gueule à casser, comme ça, pour une femme...

Dodu III : C'est beau... (A Jessica :) Dis merci à Charles.

Jessica : Merci... (Quémandant :) Sandwich...

(Nathalie semble indécise. Elle est sur le point de rebrousser chemin quand la sonnerie retentit et le Choeur des minces entre. Trois femmes très mannequins.)

Choeur des minces (voyant les dodus, pincées) : Brouououuh...

Nathalie : Ah mes chéries. Bienvenue au club "Minceur et beauté".

Choeur des minces (minaudant) : Aaaaah ... (Regardant les dodus :) Bouououh...

Nathalie : Oui, je sais, mais la moitié du salon est à moi. Transportons les sièges là. Venez, aidez-moi.

(Elles obéissent en affectant de ne pas voir les dodus. En particulier elles s'emparent du second divan.)

Dodu II (vexé) : Pimbêches.

Dodu III (amoureusement serré contre Jessica) : Et dire que tu as été comme ça.

Jessica : Mais mon dodu m'a sauvée.

Charles (amusé; à part) : Où a-t-elle trouvé ces fils de fer barbelés ?

Nathalie : Voilà. On s'installe... En attendant le spectacle, je vais vous faire un petit discours d'accueil.

Choeur des minces (très musical) : Aaaaah.

Charles (voix forte) : Pas trop fort à côté, s'il vous plaît ! Vous perturbez une réunion importante.

Nathalie (l'ignorant) : Adeptes de la cure et de la manucure, ensorcelantes, beautés quasi diaphanes, écoutez le discours fondateur.

(Le plateau de Charles est vide. Les dodus n'ont plus faim. Béats, presque somnolents, ils écoutent donc.

Le Choeur des minces n'a que des mouvements de tête tous d'un ensemble parfait.)

L'ennemi rond nous menace. Sournoisement il sape les réflexes ascétiques des sexes-symboles. La technique de l'insinuation pâtissière, la perfidie du grignotage inconscient, l'attirance irraisonnée pour la viande juteuse délicatement assaisonnée avec ses petits légumes fins mijotés à part et son arôme exquis... (Le Choeur des minces se met à saliver bruyamment.) enfin tous les moyens en-dessous de la ceinture sont utilisés pour nous faire chuter, pour nous faire descendre du raffinement et de l'élégance jusqu'à leur niveau porcin.

Choeur des minces : Bouououh.

Nathalie : Beaucoup d'entre nous, et des meilleures (Lourd regard à Jessica.) sont tombées. Une réaction s'imposait. Alors j'ai fondé ce club. (Applaudissements du Choeur des minces.) Notre but ? La beauté. La nôtre et la leur, aux mâles, qui doivent bosser leurs muscles pour le plaisir de nos lits. Méprisons les paresseux ! Flagellons les gros lards ! Honneur à la minceur méritante !

(Le Choeur des minces applaudit.)

Charles (voix forte) : Quand elles sont affamées, elles racontent n'importe quoi.

Nathalie (l'ignorant) : Les plus vertueux doivent être les récompenses les uns des autres. Ainsi va s'édifier le monde supérieur de la carrure intelligente et de la sophistication sportive. (Le Choeur des minces applaudit.) Pour notre première séance je vous ai préparé un petit spectacle, et étant donnée l'heure... (Sonnerie.) Ah ? Entrez !

(Entre une grosse dame, assez jeune.)

Ursula (regard inquiet) : C'est bien ici le club des dodus ?

(Surprise générale.)

Dodu III : Mais oui, Madame.

Dodu II (montrant Charles) : Voici le fondateur.

Nathalie (fâchée, au club des minces) : Constatez l'urgence et la nécessité de notre club.

Charles : Sans doute désirez-vous apporter votre soutien moral à notre noble cause ?

Ursula : J'veux adhérer, oui.

Charles : Mais les femmes...

Dodu III : Aussi.

Jessica : Oui.

Charles : Et nous sommes le club des dodus et des dégarnis !

Dodu III : Un critère suffit.

Jessica : Et même aucun.

Dodu II : Pouvons-nous convaincre les femmes que nous avons raison si nous passons pour un club misogyne ? ...

Charles (de mauvais gré) : ... Eh bien... puisque la majorité... Venez siéger, Dodue première.

(Applaudissements des trois autres. Elle s'installe à un bout du divan.)

Nathalie (amusée) : Voilà Vénus poids lourd; qui va encore oser nous regarder ?

Choeur des minces : Hiiiiii...

Charles (noble, les ignorant) : Nous avons malheureusement fini notre plateau...

Ursula : Ça fait rien. J'ai toujours avec moi ce qu'il faut. (Elle sort de son sac diverses choses emballées dont elle commence d'enlever les papiers.) ... Je me nomme Ursula. J'ai vu dans un hebdo qu'il y avait des hommes qui aiment les vraies femmes, alors je suis venue.

Charles : Mais ce n'était pas le sens de...

Ursula : Je sais lire entre les lignes. C'est un club de rencontres, quoi.

(Jessica, voyant les provisions, posées par Ursula sur des assiettes en carton sorties aussi de son sac, s'est mise à quatre pattes sur le divan et enjambant Dodu III qui la caresse d'une main distraite, progresse vers Ursula.)

J'ai voulu apporter une p'tite gâterie pour ma réception. Mais je ne savais pas combien vous seriez.

( Le Choeur des minces se met à saliver bruyamment.)

Rien n'unit comme de grignoter ensemble du succulent.

(Jessica, toute proche, se met à pousser de petits gémissements.)

Nathalie (sévèrement au Choeur des minces) : C'est fini, oui ! Silence !

(Elles s'arrêtent de saliver.)

(Sonnerie à laquelle personne ne prête attention.)

Ursula (au sujet de Jessica) : Qui est cette personne encore si loin de la pleine forme ?

Dodu III : Je vous présente Jessica, une pauvre affamée que nous nourrissons.

Dodu II : Elle a beaucoup de bonne volonté.

Ursula (mettant quelques petits fours dans la bouche de Jessica dont elle caresse les cheveux de l'autre main) : Déguste et que le mauvais cholestérol te fuie... (Aux autres, présentant les assiettes remplies :) Prenez, prenez.

(Le Choeur des minces se remet à saliver bruyamment.

Nouvelle sonnerie à laquelle personne ne prête attention.

Au lieu de donner une assiette à Jessica, Ursula préfère la nourrir elle-même.)

Charles : Ne gavez pas Jessica; elle n'a pas l'habitude, vous allez la rendre malade.

Ursula (logique) : Si on ne la gave pas, elle n'engraissera pas.

(Entrent sans être remarqués Hercule, Maciste et Tarzan, superbes spécialistes de la musculation. Pantalons et maillots moulants.)

Nathalie : Elle sera prête pour Noël.

Choeur des minces (riant) : Hiiiiii... (Puis elles se remettent à saliver et maintenant à déglutir.)

Ursula Charles) : J'ai cru comprendre que l'on ne faisait rien pour les autres ? (Elle désigne du menton le Choeur des minces.)

Charles : Elles sont encore réfractaires aux valeurs de l'évolution naturelle.

(Nathalie hausse les épaules.

Le Choeur des minces hausse les épaules, continuant de saliver et de déglutir.)

Nathalie (agacée au Choeur des minces) : Et puis cessez donc de saliver, vous ! Non, mais ... Elles sont horripilantes. (Détournant la tête par agacement elle découvre les trois culturistes. Eblouie :) Ah...

Choeur des minces (découvrant à sa suite) : Aaaaah...

(Puis elles se mettent à faire le bruit de petits baisers rapides.)

Ursula : Tiens, Jessica, déguste-moi ce sablé au saumon, délicieux, tu vas voir.

(Le Choeur des minces tourne la tête d'un seul bloc et se remet à saliver et à déglutir bruyamment.)

Nathalie (allant au-devant des hommes) : Vous êtes les artistes de Culturisme-culture, bien sûr. Soyez les bienvenus... Vous voulez une sorte de loge sans doute ?

(En l'entendant les dodus tournent la tête et découvrent les nouveaux arrivants. Ursula en reste le petit four en l'air.)

Hercule : Pas la peine. (Il enlève pantalon et maillot. Les deux autres l'imitent.)

Choeur des minces (qui a tourné la tête d'un bloc) : Aaaaah...

(Elles se mettent à imiter les petits baisers rapides.)

Nathalie (excitée mais voulant ne pas le paraître) : Eh bien... dès que vous êtes prêts... Je vais m'asseoir... (Au Choeur des minces :) La paix, vous !

(Le Choeur des minces s'arrête.

Un court silence.

Jessica, à qui Ursula n'a pas donné de nouveau petit four se remet à pousser de petits gémissements.)

Charles (irrité contre Nathalie, haut) : Il est bien difficile de développer un dialogue et une réflexion approfondis avec un spectacle en fond de salle !

(Hercule croit à une demande de s'approcher et il vient entre les deux groupes.

Ursula enfourne dans la bouche de Jessica qui se tait, mâche et tourne la tête pour savoir ce que voient les autres.)

Jessica (découvrant Hercule, admirative) : Oooooh...

(Hercule commence par quelques mouvements simples du torse et des biceps.

Le Choeur des minces se met à pousser des soupirs languissants et torturés.)

Ursula : Décidément j'ai bien fait de venir.

Nathalie : Quelles cuisses !

(Hercule prend la position du discobole.

Choeur des minces : bruit de petits baisers rapides.)

Charles : C'est totalement inesthétique.

Nathalie (ironique) : Viens faire les mouvements à côté; on comparera.

(Charles ne répond pas, vexé.

Maciste et Tarzan viennent prendre place à côté d'Hercule pour des mouvements en harmonie.

Choeur des minces : soupirs languissants et de plus en plus torturés.

Le spectacle se déroule.

Jessica se joint au Choeur des minces.

Puis Ursula.

Nathalie commence, mais se mord la main pour s'arrêter.

Effets de plus en plus réussis des trois hommes : pour cela modifier l'éclairage, tamisé, avec zones plus éclairées que d'autres...

Alternance pour le choeur selon les mouvements de petits baisers rapides et de soupirs torturés (mais toujours toutes bien ensemble).

Finalement Nathalie ne se contrôle plus et se mêle au choeur.

Quand leur spectacle est terminé, les trois hommes saluent.

Applaudissements de tous, sauf Charles, avec bruit de petits baisers.)

Dodu III : Evidemment ce physique n'est pas mal non plus... Il permet des exercices qui ne sont pas sans beauté.

Nathalie (ironique) : N'est-ce pas ?

Dodu II : Moi je reste ouvert aux différences. J'accepte ceux qui m'acceptent.

Ursula (aux trois hommes) : Vous grignoterez bien quelque chose avec nous ?... Après tout ce travail vous devez en avoir besoin...

Hercule : Merci, Madame, mais la ligne, vous comprenez ?

Ursula : Ah oui, vous devez vous sacrifier pour le plaisir des autres.

Tarzan (fasciné) : Ça a l'air bon.

(Maciste s'approche, long soupir extasié devant les gâteaux.)

Ursula (tendant la main vers Hercule) : On peut toucher ?

Hercule (reculant) : Non, vous allez abîmer.

Choeur  des  minces,  Jessica,  Ursula,  Nathalie : Si ! oh si ! Si !...

(Elles tentent de se lever mais trop affaiblies par leur trouble elles tombent à genoux et se mettent à avancer vers les trois hommes qui reculent devant Jessica et Ursula sans s'apercevoir d'abord qu'ils sont cernés.

Toutes ensemble : alternance de soupirs, bruits de petits baisers, de "si ! oh si !" suppliants.)

Hercule (dont Ursula vient de saisir la cuisse) : Pas les ongles, attention, pas les ongles.

Ursula : Mais non, chéri, mais non.

Jessica (qui s'empare de la même cuisse) : Pas si tu es sage.

(Les bruits de petits baisers et les soupirs continuent.)

Tarzan (les cuisses également pelotées par Nathalie et une partie du Choeur des minces) : Aïe ! C'est un muscle douloureux, n'appuyez pas !

Nathalie (embrassant le muscle) : Oh si, je vais appuyer, je veux que tu aies mal.

Maciste (victime du reste du Choeur des minces, apeuré) : Pas le slip ! Pas le slip ! (Il se défend.)

(Elles grimpent après eux. Ils se débattent mais sont comme Laocoon étreint par les serpents.

Toutes : bruits de petits baisers, soupirs, "si ! oh si !", puis se remettent à saliver  en enlaçant et embrassant les unes les cuisses, les autres les torses, certaines la tête.)

Dodu III : C'est un spectacle intéressant.

Dodu II : Première fois que je vois une chose pareille.

Charles : Ils sont punis pour ne pas avoir suivi la loi naturelle.

Dodu II : Je trouve leur punition plutôt agréable.

Dodu III : Ils ne semblent pourtant guère apprécier.

Charles : Ce qui m'embête, c'est de voir où se promènent les mains de ma femme.

Hercule : Au secours !

Maciste : Pas le slip !

Tarzan : On ne mord pas !...

Dodu III : Est-ce qu'on ne devrait pas faire quelque chose ?

Charles : Qu'ils se débrouillent.

Dodu II : Non-assistance à personne en danger...

Dodu III : Allons, messieurs, solidarité masculine, sauvons-les.

(Il se lève.)

Dodu II (se levant aussi) : Oui, en avant !

Charles : Pas moi. (Il se croise les bras.)

(Les deux dodus attaquent pour libérer Hercule, mais ils se font griffer.)

Dodu III : Aïe ! Jessica !

Dodu II : Ouïe ! Ursula ! Vous !

Ursula : Je l'veux, je l'veux, je l'veux ! Et d'ailleurs j'suis v'nue pour ça !

(Ils essayent alors de délivrer l'un Tarzan, l'autre Maciste. Sans succès.)

Charles (philosophant gravement) : Oh triste condition humaine, quel désolant spectacle. Voilà à quel degré d'hystérie conduit le refus de l'évolution naturelle. Et je contemple de la rive, en sage, les turpitudes de mon épouse... Tout de même, ça me contrarie de la voir se conduire de la sorte... ça m'embête même carrément...

(Entre brutalement Charles-Henri. Il reste stupéfait. Puis apercevant Jessica :)

Charles-Henri : Jessica !

(Il se précipite, l'arrache à Hercule.

Elle continue de lui donner les petits baisers qu'elle donnait à Hercule en poussant des soupirs.)

Charles-Henri : J'ai réfléchi, ma chérie. Tu auras droit à un gâteau par semaine, mais reviens à la maison.

Jessica (essayant de lui enlever sa chemise) : Deux gâteaux.

Charles-Henri : Soit. Deux gâteaux. Et je ne te suspendrai plus par les pieds.

Jessica : Oh si. Mais juste un peu.

Charles-Henri : Viens mon amour... Il y a du gâteau chez nous.

(Elle se laisse entraîner.)

Charles (se levant) : Nathalie ! Tu n'as pas honte !

Nathalie (enlaçant Tarzan, l'embrassant) : Pas du tout.

Charles (l'attrapant par les cheveux et la tirant à lui) : Alors, femelle, on débloque complètement ?

Nathalie (se raccrochant à Tarzan qui hurle) : Laisse-moi, gros, je vais l'avoir celui-là, je vais l'avoir !

Charles (lui tirant les cheveux d'une main, s'emparant de ses poignets de l'autre) : Viens, ma belle chatte, viens, je vais te calmer.

Nathalie : Non... (Faiblissant :) Et tu feras un régime ?

Charles : Non.

(Il l'entraîne.)

Nathalie : Un peu de sport au moins !

Charles : Non. Pas de concession.

Nathalie (vaincue, se pelotant brusquement contre lui) : Salaud.

Charles (goguenard) : Eh oui. Mais c'est pour ça que tu restes avec moi, mon amour.

(Pendant ce temps, Dodu III et Dodu II ont réussi chacun à s'emparer d'une fille du Choeur des minces. Ne pouvant se libérer elles se mettent à les couvrir de baisers et à les déshabiller. Ils se laissent faire avec intérêt et satisfaction.)

Hercule, Tarzan, Maciste (voyant Charles partir) : Et nous, alors !

Maciste : Elles m'ont tout éraflé.

Tarzan : Moi, je renonce à lutter.

Hercule Ursula) : Mais tu pèses combien, toi ?

(Charles les a écoutés. Brusquement il laisse tomber Nathalie, se précipite vers deux épées qui décoraient un mur :)

Charles : Dehors, dehors, tous !

(Il les pique. Les autres hurlent et fuient. Course. Enfin tous sont sortis, alors il jette ses épées par terre :)

Finalement, je sais encore faire la loi chez moi !... (Puis au public, un doigt sur les lèvres, tout doucement en veillant à ce que Nathalie n'entende pas :) Mais tout compte fait, je crois que je vais faire un peu de musculation. (Il se met à rire et remonte jusqu'à  Nathalie. Il  la  saisit  par  les  cheveux  et  l'attire contre lui :) Viens, ma belle; quoi ! on résiste ? Tu aimes résister, hein ?... Tu es la plus belle, tu es la proie du vainqueur; logique. (Il l'embrasse, elle se serre de toutes ses forces contre lui.)

 

 

ACTE II

 

 

Le même salon mais avec quantité d'objets et engins voués au culturisme. Charles fait du vélo encouragé par Hercule. Maciste et Tarzan regardent, haltères en main qu'ils soulèvent nonchalamment.

 

Hercule (presque chanté, sur deux tons, "va" pour le ton du haut): Vas-y, Charlie, vas-y Charlot, vas-y.

Charles : Oh, je n'en peux plus, mes jambes sont en coton, mes bras je ne les sens plus, et pourtant je pédale, je pédale !

Hercule : Tu peux, tu peux, tu peux !

Maciste et Tarzan (reprenant mécaniquement et en choeur) : Tu peux, tu peux, tu peux !

Charles : Mes forces m'abandonnent ! Ma tête se vide...

Hercule, Maciste, Tarzan (en choeur) : C'est bon, c'est bon, c'est bon !

Charles : C'est vrai, c'est vrai, c'est vrai !

Hercule : Te relâche pas, Charlie, te relâche pas, Charlot.

Charles : J'y arriverai, j'y arriverai...

Nathalie (entrant) : Où ça Charlot ?

Charles : Ah te voilà, femelle, je te croyais de retour chez tes parents; alors ils n'ont pas eu la force de te garder ?

Nathalie Hercule) : Eh bien, mon mignon, on fait un bisou à la femme du maso ?

Hercule : Nan. J'suis fidèle à Charles, moi.

Maciste : Moi, je veux bien.

Hercule : Hein ?

Maciste (interloqué) : Ah bon.

Tarzan (soulevant de gros poids) : Excusez-nous, femelle, le travail...

Nathalie (fâchée) : Femelle ! Non mais ! Ils ne vont pas parler comme le gros en plus !

Hercule : Si vous permettez, gros, en moins. (Il rit. Maciste et Tarzan aussi.)

Charles : Sept kilos en moins !

Nathalie : Il m'en reste combien ? Quatre-vingt-cinq ? Ouf, je n'ai pas tout perdu. J'ai encore quatre-vingt-cinq kilos de mari.

Tarzan : Et c'était la pesée d'hier !

Nathalie (ironiquement suppliante) : Oh, je pourrais assister à la pesée d'aujourd'hui ?

Hercule : Allez, assez de vélo; à la bice. (Il entraîne Charles vers une machine pour développer les biceps.)

Tarzan (confidentiellement à Nathalie) : C'est un terme entre nous, ce n'est pas le vrai nom.

Nathalie (bien fort) : C'que vous êtes beau, vous !

Tarzan (sans fatuité) : N'est-ce pas; mais quel travail !

Maciste (hypocritement) : Le mari, il sera bientôt comme ça.

Tarzan : N'exagérons pas. Mais il peut devenir pas mal. Il a de l'avenir.

Nathalie (pas contente) : C'est moi, son avenir.

Tarzan : Vous voulez que je vous entraîne ?

Nathalie (estomaquée) : Quoi ?

Maciste : Vous ne serez bientôt plus à la hauteur; vous risquez de ne plus lui plaire quand il sera devenu beau.

Nathalie (furieuse) : Pas assez bien pour mon mari !

Tarzan : Maciste n'a pas tort. Vous n'êtes pas mal, bien sûr; mais...

Maciste : La jambe est mollasse.

Tarzan : Le bras maigrichon.

Maciste : Le ventre se développe.

Tarzan : Pour les seins c'est plutôt l'affaire du chirurgien.

Maciste : La fesse est triste.

Tarzan : Les petites rides c'est aussi l'affaire du chirurgien.

Maciste : Les épaules dénudées, on dirait l'os de poulet quand on a mangé la chair.

Tarzan (pensif) : Y a du boulot.

Maciste (pensif) : Tu crois qu'on y arrivera ?

Nathalie (réagissant enfin; furieuse) : Oh ! Oh !! Oh !!! On laisse la femelle tranquille, hein ! les statues vivantes ! J'suis une vraie femme, moi ! J'ai pas besoin d'vous pour pour...

Hercule (presque chanté, sur deux tons, "va" pour le ton du haut) : Vas-y, Charlie, vas-y Charlot, vas-y.

Maciste et Tarzan (toujours pensifs en regardant Nathalie mais reprenant mécaniquement) : Vas-y, Charlie, vas-y Charlot, vas-y.

Nathalie : Ah ! il est beau i ê bô iêbô le Charlot !

Charles (noblement) : Tu te gausses mais tu te goures. (S'arrêtant d'oeuvrer.) J'annonce les temps nouveaux. Ô femmes p'tites mignonnes gélatineuses, ô hommes ronfleurs, bâfreurs, buveurs, fumeurs, tous, écoutez l'idéal sauveur. Autrefois, c'est vrai, je prêchai  la division; je cherchais la troisième voie, celle du bonheur sans effort, du bonheur immédiat, du bonheur de la larve. J'avais tort. (Applaudissements des statues vivantes.) Du moins en partie, car la larve est en nous, elle fait partie de nous, elle a ses droits, l'ignorer est une erreur. A l'extrême je méprisais les teneurs de la beauté par la souffrance, la recherche de l'harmonie du corps, les moines de la sculpture corporelle. J'avais tort. (Applaudissements frénétiques des statues.) En grande partie. Car l'aspiration à une apparence qui satisfait son regard et celui des autres est noble et commune; l'ignorer est une erreur. Ceux qui me déplaisaient le plus, ce sont les riens, ni carpe ni lapin, ceux qui se laissent ballotter par la vie, sans choix, de temps en temps larve - en vacances -, de temps en temps maniaques du sport - après une émission télé sur ses bienfaits ou dans l'espoir de se retrouver une compagnie...  

Nathalie (méfiante et fâchée) : C'est moi que tu vises là ?

Charles : ... J'avais raison. (Applaudissements des statues.) J'avais raison certes. Mais aussi j'avais tort. Car l'incertitude est le lot de la vie. Je devais l'intégrer et trouver la quatrième voie, fusion des trois autres. Je travaille sur moi pour être le grand modèle, celui qui conduira les foules sur le chemin sans cailloux de l'existence équilibrée et sereine. Je rassemblerai les troupes de mes erreurs passées et je formerai l'armée de la renaissance humaine.

Nathalie (ironique) : Superbe. Et ta femelle, elle fait quoi là-dedans ?

Charles : Elle siège à ma droite, évidemment, après s'être amendée.

Nathalie : Cours toujours. Ah iêbô iêbô iêbô le Charlot.

Hercule, Maciste, Tarzan (répétant de confiance) : Iêbô iêbô iêbô le Charlot.

Charles (fâché) : Ça va vous ! Elle a toujours été un cas difficile. Ses parents déjà me le disaient quand je l'ai épousée.

Hercule : Le célibat est préférable pour l'homme qui veut accomplir de grandes choses.

Maciste : Oui.

Tarzan : Moi, je suis marié, mais d'accord aussi.

Nathalie : Eh bien moi je suis mariée, je suis mariée avec un cas très difficile, et j'sais plus quoi faire avec le Charlie Charlot.

Hercule, Maciste, Tarzan (automatiquement) : Iêbô iêbô iêbô.

Charles : Ouais ouais. Alors, sur quelle machine je vais maintenant ?

Hercule : Sur Titine , là.

Charles : Bon, allons suer là. (Il s'installe sous l'oeil ironique et fâché de Nathalie...)

Hercule, Maciste, Tarzan (chantonnant) : Vas-y, Charlie, vas-y Charlot, vas-y.

Dodu III (passant la tête par l'entrebâillement de la porte du fond) : On peut... ? Oui.

(Il entre, suivi de Dodu II, d'Ursula et de Charles-Henri.)

Les quatre en choeur : Salut, père des dodus !

Charles : Non, mes enfants, non. Je vous ai déjà expliqué que je ne peux plus être simplement votre père à vous. Je dois penser à tous le hommes. Je dois travailler à la quatrième voie.

Nathalie : Charles-Henri ! Qu'est-ce que tu fais là ? Avec eux !

Ursula : Il a découvert le sens de la vie. Hein mon Riri ?

Charles-Henri (semi-hébété; sandwich en main et en bouche, visiblement gavé) : Veux plus aller en prison. Fini.

Nathalie : Mais quoi ! Il te suffit d'être raisonnable avec Jessica, c'est tout ce qu'on te demande.

Charles-Henri (semi-hébété) : Veux plus aller en prison. Fini.

Nathalie (découragée) : Ils l'ont drogué à la nourriture.

Charles : Bienvenue, Charles-Henri, modèle de l'évolution; tu dépasses enfin le niveau de la brute grâce à la nourriture.

Charles-Henri : Veux plus aller en prison. Fini.

Dodu III, Dodu II, Ursula : Reviens-nous, père des dodus, vois le bien que tu peux faire en cette brebis ramenée dans le berceau humain !

Charles : Il n'est pas encore tout à fait humain mais la quatrième voie finira le travail que la troisième, grâce à vous, a si bien commencé.

Nathalie (qui a pris son téléphone) : Allô, le club des minces ? Eh bien, on ne vous voit plus !... Comment moi ! Je passe mon temps à espérer votre visite... Absolument... Oh, je ne vous en veux pas, non, je ne suis pas comme ça... Voilà, venez tout de suite, je vous attends. (Elle raccroche, satisfaiste.)

Charles : Elle est menteuse ! Mais menteuse !

Le choeur des dodus (indigné) : Oh.

Nathalie : Iêbô iêbô iêbô.

Hercule, Maciste et Tarzan (complètement automatiquement pour la belle euphonie) : Charlie Charlot.

Charles (furieux) : Ah ! (Un "ah" rugi.) A vos haltères, vous !

Nathalie (hypocritement et tapotant les pectoraux de Tarzan) : C'est urgent, ça devient déjà mou ici.

Tarzan (inquiet) : Vous trouvez ?

(Machinalement les dodus vérifient sur eux-mêmes. Ursula à proximité de Maciste tente une vérification interrompue par un regard courroucé.)

Nathalie (pince-sans-rire) : J'en ai même peur pour vous.

Tarzan (brave des braves) : N'aie plus peur... Je vais remédier. (Il se met au boulot.)

(Entre Jessica en tenue de cycliste.)

Jessica : Hello, je peux... ? Je cherche Charles-Henri, personne n'a vu mon mari ? (Charles-Henri s'est caché derrière Ursula.)

Charles (toujours oeuvrant sur sa machine) : Ah, Jessica, ma chérie, où en es-tu de ton évolution ? Viens me raconter.

Nathalie : Jessica est mon amie à moi, c'est à moi qu'elle doit raconter !

Jessica : C'est que je ne l'ai pas revu depuis sa dernière sortie de prison, il y a trois jours. On m'a dit qu'on l'avait vu venir par ici. Je me demande s'il m'en veut.

Dodu III : C'est probable.

Charles : Dame, quatre séjours en tôle en deux mois. Et qu'est-ce qu'il avait fait la dernière fois ?

Nathalie : Tu n'aurais pas appelé la police un peu tôt ?

Jessica : C'était à titre préventif. J'avais lu dans ses yeux que ça allait mal tourner.

Ursula : Vous êtes une mauvaise.

Dodu III : Et on ne te voit plus aux réunions.

Jessica (tendrement) : Oh mon dodu, c'est parce que je pédale! Je dois aider Charles à trouver la quatrième voie. Et puis, le vélo ça me botte; je ne sais pas pourquoi.

Charles (ému) : Brave mignonne.

Nathalie (bougonnant) : Allumée.

Jessica : En plus, ça m'excite, ça m'excite ! (Très naturellement :) C'est pour ça que je cherche mon mari.

Ursula : Et son âme ? Vous avez pensé à son âme ?

Hercule : On ne pense jamais à nos âmes.

Jessica (apercevant Charles-Henri parce que Ursula a bougé) : Mais il est là ! Charles-Henri, rentre à la maison.

Charles-Henri : Jamais !

Jessica (s'avançant vers lui) :  Charles-Henri rentre à la maison.

Dodu II (s'interposant dans un noble acte de courage) : Stop !

Ursula (prenant position à ses côtés) : Il s'est assez sacrifié pour vous !

Charles-Henri : Plus prison. Fini.

Jessica : Ecartez-vous les édredons. (Elle essaie de forcer le passage.)

(Hercule, Maciste et Tarzan venant se mettre derrière Dodu II et Ursula :)

Hercule : Nous protégerons aussi la liberté humaine.

Maciste : Nous protégeons le droit.

Tarzan : La mienne non plus de femme elle n'est pas facile; enfin, vous connaissez.

Hercule et Maciste (levant les yeux au ciel) : Oïe oïe oïe !

Jessica : Bon sang, soyez un peu compréhensifs ! J'ai une compèt dans six jours; faut que j'sois en forme.

Charles-Henri : Plus prison. Fini.

Jessica : Et pendant qu'il est en tôle je suis tranquille; je sais qu'il ne fait pas de bêtises.

Dodu III : Elle n'a pas tort.

Nathalie : Jessica, à fréquenter mon mari, tu deviens aussi folle que lui.

Charles : Quel couple nous aurions fait tous les deux; toi, une vraie femme moderne et moi le guide. Le premier couple des temps nouveaux !

Jessica : Ma foi, puisque Charles-Henri, lui, ne veut pas...

Nathalie : Hein ?

Dodu II : Elle n'a pas beaucoup de morale.

Charles-Henri : Elle n'en a pas du tout, oui.

Nathalie : Non mais !

Jessica (sentant que cette solution n'est pas la bonne) : Ecoute mon minet, je te propose une solution : mon Dodu viendra avec nous. Comme ça tu seras tranquille, tu sais comme il est raisonnable.

Dodu III : Moi, je veux bien.

Charles-Henri : Plus prison. Fini.

Dodu III : Soyez assuré, Monsieur, que je veillerai à ce qu'elle évite les excès téléphoniques.

Nathalie (hypocritement) : Eh bien voilà ! C'est une très bonne solution !

Hercule : Ce n'est pas moral.

Maciste et Tarzan : Non.

Nathalie (furieuse) : Oh, vous ! les statues ! (Entre le club des minces.) Si vous continuez, je vous livre à elles !

Hercule, Maciste, Tarzan (méprisants) : Pffff.

(Entre le club des minces, mais elles ne sont plus aussi minces ! C'est surtout visible pour une d'entre elles.)

Première mince : Enfin nous nous retrouvons ! (Elle saute au cou de Nathalie.)

Nathalie (hypocritement) : Ouais, quel bonheur.

(Jessica recule, le sourcil froncé, vers Charles-Henri à qui elle prend la main.)

Les autres minces et ex-minces : Bisou à moi aussi. - Et à moi. Moi, moi, Thalie. - Oh c'est bon de se bisouter avec toi. - Encore ensemble comme au bon vieux temps.

Maciste : Elles sont débiles.

Tarzan : Et moi on ne me bisoute pas ?

Le club des minces Tarzan qui en rit) : Bou-ouou-ouou.

Nathalie : Mes mignonnes, mes prodiges, mes minces... (Elle reste bouche bée se rendant compte de prises de poids.) Mais, mais... Vous avez grossi ! (Furieuse :) Vous avez mangé !

Première mince : Pas moi.

Deuxième mince : Un tit peu, Thalie. Juste pour voir.

Dodu III : Elles étaient humaines finalement.

Dodu II : Elles progressent vers le bonheur.

Nathalie (furieuse) : A la pesée ! Tout de suite ! (Avisant la balance dont se sert Charles chaque jour.) Ah, ici. Allez, toi !

(Jessica s'est assise pour profiter du spectacle; elle a pris Charles-Henri sur un genou et Dodu III sur l'autre. Elle donne de petits baisers à Charles-Henri, lorsque les yeux de celui-ci s'allument et qu'il saisit les cheveux de Jessica à pleine main pour les tordre et les tirer, Dodu III fait "non non" avec le doigt; et tout rentre dans l'ordre... Et tout recommence.)

(La Première mince s'y risque, elle a très peur.)

Nathalie : Vinvt-huit kilos. (Un peu étonnée :) Ah, c'est bien, trop bien.

(Applaudissements des autres minces.)

Nathalie : Suivante.

(La Deuxième mince s'y risque, visiblement elle ne se fait pas d'illusion sur le résultat.)

Nathalie : Quarante-cinq. Tiens, j'aurais cru plus... Bon, ça va.

(Applaudissements des minces. La Deuxième mince est à l'évidence étonnée et soulagée.)

Charles (toujours actif sur sa machine, au public, à part) : J'ai un peu arrangé la balance pour progresser plus vite. Comptez quinze de plus.

Nathalie : Suivante.

(La troisième est poussée par les autres.)

Nathalie : Soixante ! Ah, pour le coup, je t'y prends, toi. Tu as mangé !

Les autres minces : Bou-ouou-ouou.

La mince de soixante : Un coup de folie. Je ne sais pas ce qui m'a prise. Je m'excuse.

Les autres minces : Bou-ouou-ouou.

La mince de soixante (au bord des larmes) : Pardonnez-moi, je ne le ferai plus.

Nathalie : Régime !... (A la Première :) Reviens ici, toi !

(La Première mince s'avance, apeurée.)

Nathalie (stupéfaite) : Vingt-huit ! Et tu tiens debout  !

Première mince (s'excusant) : Oh, à peine, tu sais.

Dodu II : Je vous conseille, Mademoiselle, de manger un peu.

Ursula : Prenez exemple sur moi.

Nathalie : Oui. Non. Enfin, comme dit le gros. (A la Deuxième :) Et toi, ici, reviens !

(La Deuxième s'installe sur la balance; )

Nathalie : Oui, quarante-cinq.

(Les autres minces applaudissent.)

Deuxième mince (à part, étonnée) : C'est curieux, j'ai maigri de quinze kilos depuis ce matin...

Nathalie (à la Troisième) : Tu as honte, n'est-ce pas ?

Troisième mince : Oui, Thalie.

Nathalie : Tu mérites des coups de badine sur tes grosses fesses !

Troisième mince : Oh non, Thalie, je t'en prie, pas encore cette fois.

Jessica : J'peux les recevoir à sa place ?

Nathalie (magnanime) : Mais je veux croire que tu vas t'amender. Va et maigris.

Ursula : Et vous, mère des minces, ne vous pèserez-vous pas ?

Nathalie (qui n'y avait pas pensé) : Mais oui. Mais bien sûr. J'allais le faire. (Elle n'est visiblement pas tranquille. Elle monte sur la balance.)

Ursula (qui s'est précipitée pour lire, dépitée) : Quarante-cinq.

(Le club des minces applaudit.)

Charles (à part) : C'est là que je regrette d'avoir truqué la balance.

Hercule (à  Maciste et Tarzan) : Si on se pesait tout de suite, devant les dodus, pour leur faire honte !

Dodu III : Mais  honte de rien du tout, Monsieur. Et on se pèsera aussi !

Hercule (sur la balance) : Soixante-dix ? Oïe.

Les dodus (méprisants) : Pfff.

Les minces : Hou !

Tarzan : Tu as un problème de sous-poids. Attention, danger.

Maciste : Ouais, tu vas finir en danseuse.

Dodu II : A moi. Cent-deux. Ça va.

Les statues et les minces : Baaah !

(Maciste va pour monter sur la balance.)

Charles : Stop ! Tout le monde ne va pas passer sur Ma balance ! Ça suffit. Moi, je vais me peser. (Il va sur la balance.)

Hercule (lisant) : Quatre-vingt-quatre.

Charles (furieux) : Quatre-vingt-quatre ! Un kilo de moins, c'est tout ! Oh, mais j'en ai assez ! Je suis en nage, je suis crevé, et tout ça, pour... La balance s'est trompée !

Tous : Oh, enfin.

Charles (à part) : Même truquée, elle me nargue celle-là.

Troisième mince Hercule) : Tous les deux on se rapproche déjà en poids; vous ne trouvez pas que c'est un signe du destin ?

Hercule (de mauvaise humeur) : Vous fatiguez pas, j'préfère la femme de Charles.

Charles : Ce n'est pas à l'homme d'être performant, c'est au sport de l'être...

Maciste (à une mince plus très mince) : Touchez pas, Madame, s'il vous plaît.

Charles : Je n'ai pas toute la vie  pour arriver à un résultat, moi; je ne suis pas comme eux; et je n'ai pas que ça à faire.

Tarzan (à la plus mince) : Stop !

(Les minces ne pensent qu'à toucher : des maniaques.)

Charles-Henri (à qui Jessica parlait à l'oreille) : Non, j'te dis, non.

Jessica : Mais puisque mon dodu vient aussi.

Dodu III : Où ça ?

Charles (ironiquement) : Oui, où veux-tu emmener notre dodu ?

Jessica : A la compèt. J'ai besoin de suiveurs.

Dodu III : Quelle bonne idée. J'adore voir faire du vélo.

Charles-Henri : Moi, je n'aime le vélo que quand elle est le vélo.

Jessica (admirative) : Quel salaud !

Nathalie : Ah, personne ne te le disputera.

Jessica Charles) : En somme tu avais raison. Charles-Henri, mon dodu et moi, nous allons former le premier tricouple moderne. Une nouvelle période s'ouvre pour nous et pour l'histoire de l'humanité. A nous trois nous formons un ensemble parfait ! Mon avenir est dans le vélo, je le sens. J'ai l'étoffe d'une championne.

Ursula : Il faut fêter ça; allons chercher les provisions !

Dodu II : Oui, on vous invite tous !

(Ursula et Dodu II vont dans l'entrée où ils ont laissé des sacs. Dodu III va les aider et en apporte aussi.

Les minces croisent les bras et prennent un air indigné.)

Hercule : Ça tombe bien; faut que j'mange. (A part :) Soixante-dix !

Nathalie (perfide) : Et mon Charles à moi, qu'est-ce qu'il va faire ?

Charles : Pour du vélo, j'en ai assez fait comme ça.

(Les dodus déballent. Merveilles des merveilles...)

Ursula : Pour le foie gras ce n'est pas du en boîte, vous pouvez y aller.

Dodu II (énumérant en rangeant sur tables et certains sièges) : Saumon sauvage fumé, cailles tiède aux raisins, ortolans des landes préparés par moi selon une recette unique...

(Les minces se mettent à saliver et à déglutir.)

Ursula (les voyant) : Oui, oui, je me dépêche. Voilà la boisson. Meursault 91.

Dodu III (sortant des bouteilles et les montrant) : Pommard 92.

Dodu II (même jeu) : Et il y a aussi des Bordeaux !

Charles (à part) : La troisième voie me tente plus que la quatrième.

Jessica (fascinée, laissant Charles-Henri) : J'ai besoin de forces pour  la compèt.

Hercule : Moi, il faut que je mange, c'est urgent.

Maciste : Oui, il est prioritaire.

Tarzan : Tiens, commence par un foie gras.

Tarzan et Maciste (pour encourager Hercule) : Vas-y Hercule, vas-y Hercule, vas-y.

Les dodus (reprenant en choeur tout en se servant) : Vas-y Hercule, vas-y Hercule, vas-y.

(Les minces salivent et déglutissent de plus en plus frénétiquement.)

Dodu II : Le club des minces nous fera-t-il l'honneur de déroger ?

Première mince : Si Thalie le permet.

Nathalie (dans l'expectative) : Eh bien...

Les autres minces (se précipitant sur les bonnes choses) : Merci Thalie.

Première mince (les suivant) : Merci Thalie.

Charles (ironique) : Et voilà. Ma femme pousse ses troupes à la dépravation !

Nathalie (rancunière) : Mais il faut que j'aille aider notre pauvre Hercule, en sous-poids !

Hercule : Oh oui, aidez-moi, je n'en puis plus, je n'ai pas l'habitude, venez, venez, cher ange, venez aider un supermâle dans la détresse, monte à mon niveau, ô déesse, puisque je descends vers le tien.

Maciste : Venez, vous commettrez une bonne action, Madame.

Tarzan : Oui, sauvez-le !

Charles (à part) : Oh, mais ils m'énervent !

Nathalie (se lovant contre Hercule, lui donnant la becquée) : Tiens, mon Hercule, gloire de l'humanité, doucement, là, c'est bien. Un petit coup de Pommard maintenant pour faire passer. C'est bon ?

Hercule : Oh, quand c'est toi qui me nourrit, c'est le nectar et l'ambroisie, je suis déjà médaille d'or des Olympiens.

Nathalie (lui caressant les pectoraux d'une main tandis qu'elle le gave de l'autre) : Dire que j'ai pu hésiter une seconde entre toi et mon mollasson de mari.

Hercule (la bouche pleine) : Je n'ai vraiment pas compris comment c'était possible.

Nathalie : J'étais folle. (L'embrassant :) Mais avec toi je deviens la raison.

Hercule : J'ai encore soif.

Maciste (agacé) : Le tripotez pas trop, il n'a pas besoin de massage, il est djà en sous-poids.

Jessica : Moi, j'en veux bien un; Charles-Henri, où es-tu passé ? (Elle l'aperçoit et va pour l'attraper.)

Hercule Nathalie qui continue son manège) : Que dirais-tu, chérie, si toi, Charlie et moi nous formions le second tricouple moderne ?

Nathalie (hypocritement, baisant les pectoraux d'Hercule) : Quelle idée géniale mon Hercule. Tu n'es pas seulement beau, tu es Einstein dans un corps de dieu !

Hercule (modestement et bâfrant) : Oh, pas tout le temps, mais je dois reconnaître...

Charles (à part) : Et je ne peux même pas le tabasser !

Nathalie (telle une chatte) : Oui, mon seigneur.

Maciste (agacé) : Les mains moins baladeuses, Madame, je vous prie. N'abusez pas de l'ébriété de notre ami.

Tarzan (qui, comme Maciste, se contente de grignoter) : Oui. Restez convenable.

Ursula (qui a servi ici et là, s'est bien servie aussi, et qui  semble franchement allumée, à Maciste) : Moi, j'abuserais bien avec toi, mon mignon.

Maciste (esquivant) : Merci, mais ce n'est pas réciproque. (Elle essaie de le toucher néanmoins; il recule.)

Jessica (se jetant à genoux devant Charles-Henri) : Ah ! je n'en peux plus, frappe-moi, frappe-moi, j'en ai envie ! envie !

Charles-Henri (apeuré, mangeant) : Plus prison, fini.

Jessica (hurlant) : Lavette ! Pédé ! Nullard !

Dodu III (se précipitant) : Jessica ! Voyons ! Respectez en lui le père de nos futurs enfants !

Jessica (hurlant) : Des gosses ? Tu peux toujours courir ! J'ai horreur des gosses ! (S'agrippant à Charles-Henri tandis que Dodu III essaie de la faire lâcher :) Je veux que tu me pendes par les pieds comme l'autre jour, que tu me flagelles devant tout le monde; humilie-moi, domine-moi ! Lavette ! Lavette !

Ursula (accourant) : Tiens, essaie le Meursault. (Elle la fait boire au goulot.)

Jessica (gardant la bouteille) : Bon.

Charles-Henri : Plus prison, fini.

Jessica (mauvaise) : Oui, on sait, arrête ton refrain. Lavette... (Buvant :) Même pas capable d'aller en prison pour sa femme.

Nathalie : Les maris ne sont plus bons à rien.

Hercule : Le tricouple est l'avenir de l'humanité.

Ursula (coursant Maciste) : Vivent les temps nouveaux !

Charles (regardant tout cela, affolé) : (A part :) Bon sang, mais qu'est-ce que j'ai fait ! (Hurlant :) Arrêtez ! Arrêtez ! (Personne ne prête attention à lui.) Mais est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous faites ! Mais vous êtes fous !

Ursula : Quoi, une petite fête.

Jessica  (éméchée) : Moi je me soûle la gueule s'il me tape pas. Point final. (Pour Charles-Henri :) Lavette.

Nathalie (pelotant Hercule, à Charles) : Ce que tu peux être vieux jeu.

Hercule : Tu n'es pas sport, Charlot.

Dodu III : Le bonheur de tous passe par-dessus l'égoïsme de quelques-uns.

Deuxième mince : Il faut vivre avec son temps !

Dodu II : Il faut bien manger pour vivre heureux.

Première mince Tarzan) : Moi ça me gêne pas que vous soyez marié. La bouffe, ça me donne des idées.

Tarzan : Vous n'êtes pas mal, mais vous n'êtes pas une adepte de la forme.

Première mince (qui se rapproche dangereusement) : De la forme, pourquoi pas; et j'suis prête à bien plus.

Dodu II (chantant, refrain connu) : Dans la vie faut pas s'en faire, Moi je n'm'en fais pas, Toutes les p'tites misères, Moi je me les cale dans l'estomac.

(Tous reprennent en coeur et mangeant, buvant, caresssant. Des minces vont s'essayer à soulever des poids; Dodu II accourt pour essayer aussi.)

Charles : Ils sont fous. Ou ivres. Ou ivres parce qu'ils sont fous. Ou l'inverse. Je ne sais plus. Mais ça ne peut pas continuer !

(Il entre dans sa chambre à droite, et en ressort presque aussitôt avec une valise et le sac à main de Nathalie.)

Nathalie (l'apercevant, inquiète) : Qu'est-ce que tu fais ? Où est-ce que tu vas ?

Charles : Où est-ce que nous allons ? Nous ! Tu ne crois pas que je vais te laisser à ces... ces... dépravations ! ("Oh !" indigné des autres.) Puisque j'ai retrouvé la ligne, ou presque, j'avais déjà pensé à quelques vacances... aux Seychelles. Tu vois, j'avais même pris les billets.

Nathalie (méfiante, se détachant d'Hercule) : Et alors ? Pourquoi est-ce que je te suivrais ?

Hercule (éméché) : Oui, on ne voit pas pourquoi.

Charles : D'abord, tu es ma femme, tu dois me suivre.

Nathalie (ironiquement) : Pfff.

Charles : Oui, je sais; je disais ça... enfin. (S'approchant :) Et puis, ce n'est pas dans ce cirque que nous allons avoir notre enfant.

Nathalie : Notre enfant ? Je croyais qu'il n'y avait que moi qui en voulais un.

Charles : Eh bien, tu vois, maintenant, nous sommes deux.

Nathalie : ... C'est bien sûr ?

Charles : Il faut se dépêcher avant que je ne sois tout à fait vieux.

Nathalie : Ça oui, je ne demande qu'à me dépêcher depuis longtemps.

Charles : Alors, c'est le moment.

Nathalie : Alors, faut pas manquer ça.

Hercule : Je n'ai rien contre les enfants.

Jessica (d'une voix pâteuse) : Moi, j'en veux pas.

Nathalie : Et c'est aux Seychelles qu'il ne faut pas manquer ça ?

Charles : Oui, je veux qu'il soit  conçu au paradis. Il connaîtra de lui-même, sans effort, comme prédestiné, la  cinquième voie, celle  du soleil et de la mer, de l'harmonie totale ! (Il l'entraîne brusquement :) Allez, viens ! (Sortant avec elle :) Je préférerais des jumeaux.

(Un temps.)

Dodu II : Mais qu'est-ce qu'on va faire sans le Père des dodus ?

Première mince : Que va devenir le club des minces sans la meilleure d'entre elles !

Maciste : Il m'a pas payé !

(Un temps.)

Hercule : Je n'ai rien contre les enfants... contre les Seychelles non plus.

Charles-Henri : Ils n'ont peut-être pas de prison au paradis ?

Jessica (carrément avinée) : Les Seychelles c'est bon pour l'entraînement au vélo. Veux y aller.

Dodu III : Je viens aussi, naturellement.

Hercule : Je dois aller veiller sur Nathalie. Il y a peut-être des monstres marins là-bas. (A Maciste et Tarzan :) Le sens du devoir, vous comprenez...

Maciste : Bien sûr, je t'accompagne, pour être payé.

Tarzan : Je préfère lâcher ma femme. Je viens.

Ursula : Pour la cuisine on aura besoin de moi.

(Un temps. Puis :)

Tous ensemble : Allons-y ! Aux Seychelles ! Ne les laissons pas sans nous.

(Ils se dirigent en masse vers la sortie.)

Ursula (prise d'angoisse) : Et les provisions ? Il est possible qu'ils n'aient rien de bon, là-bas ?

Dodu II : Emportons la civilisation.

(Ils refluent ensemble; remplissent les sacs et leurs poches.)

Jessica : Me charge du Meursault.

Charles-Henri : Moi du caviar !

Jessica : Lavette.

Dodu III : Allons évangiliser les terres nouvelles où nous a précédé le père des dodus...

Première mince : ... et la mère des minces...

Hercule : ... et où va naître l'enfant des temps nouveaux !

(Ils se précipitent tous vers la sortie en criant : "Aux Seychelles".)

 

 

 

 

ACTE III

 

La scène est vide quand le rideau s’ouvre sur la même pièce de l’appartement de Charles.

 

Entre Hercule avec des bagages.

 

Hercule : Ah ! Enfin chez soi ! (Il laisse tomber les bagages, tout simplement.) Tiens, c’est plus petit que je croyais... Il faudra peut-être casser quelques murs...

Entre Nathalie un bébé dans les bras.

Nathalie (aigrement) : Tu aurais pu nous attendre, (Avec intention et en appuyant bien :) chéri.

Hercule : Excuse-moi, ma poupée, mais j’étais si impatient de revoir chez nous... (Pour montrer qu’il a compris l’intention mais gauchement :) le lieu de notre première rencontre, le lieu de naissance de notre amour... Dis donc, je croyais la pièce plus grande.

Nathalie : C’est un salon, éventuellement une salle à manger, pas un stade.

Hercule : Oui... On cassera les murs, ça agrandira.

Nathalie (pas contente et catégorique) :  Non. Tu ne casseras rien chez moi !

Hercule (en fin diplomate) : Tu es ma reine. (Il l’embrasse. Embrassant l’enfant :) Et lui, mon petit roi. (Nathalie sourit. Hercule à part en allant ramasser une valise, non pour ranger mais pour qu’elle ne soit plus sur le passage :) Je casserai un jour où elle sera sortie.

Nathalie : Dis donc, si tu rangeais...

Hercule (sans façon, qui s’installait tranquillement dans un fauteuil) : Eh bien, et toi ?

Nathalie (ulcérée) : Moi, je m’occupe du bébé !

Hercule : Ah mais je veux bien m’occ...

Nathalie : Et je te loge, mon amour.

Hercule (à part) : C’est pas une facile. (Haut :) Si tu préfères que je range, c’est comme tu veux. (Il se lève.)

Nathalie : La valise noire dans la chambre jaune, la rouge dans la chambre bleue, et les affaires de bébé dans la verte; hein, mon mignon, on sera bien dans la verte ?

Hercule : Non, franchement...

Nathalie (agacée) : Mais c’est pas à toi que je cause.

Hercule : Oui, oh j’ai compris; mais on ne met pas un bébé dans une chambre verte.

Nathalie : Et pourquoi ?

Hercule : Ça le déprime... Et moi aussi...

Nathalie : Toi ? Mais puisque c’est pas toi qui y couches...

Hercule : Oui, mais pour former ses prédispositions il faut que je m’entraîne à côté, qu’il me voie faire...

Nathalie (ironique) : «Former ses prédispositions»...

Hercule : Je veux que notre enfant soit beau, comme son père.

Nathalie : T’es pas son père.

Hercule : Raison de plus, avoir un exemple à admirer sous les yeux est capital pour l’identification du petit à un modèle masculin. Il faut commencer très tôt à sculpter son corps si l’on veut en faire une véritable oeuvre d’art.

Nathalie : J’ai ramené une oeuvre d’art à la maison ?

Hercule (très naturellement, sans fatuité) : Eh oui.

Nathalie : Et à cause de ça, mon fils n’aura pas droit à une chambre verte ?

Hercule : Tous les pédiatres préconisent plutôt l’orange. Enfin je repeindrai; t’en fais pas, ma chérie. (Elle se laisse embrasser, sans plus.) Au fait, la chambre bleue, c’est pour qui ?

Nathalie : Oh je ne voudrais pas me priver dans mon lit d’un authentique Michel-Ange au tempérament de Picasso, non. La chambre bleue, c’est celle des invités.

Hercule (qui allait prendre enfin les valises) : Quels invités ?

Nathalie (surprise) : Eh ben, je sais pas, moi. Des invités éventuels.

Hercule : Eventuels ?... Je n’invite jamais personne. Tu invites qui ?

Nathalie : Mais... Enfin... Tu as de ces questions... On ne peut pas savoir.

Hercule : Parce qu’en cassant les cloisons, on agrandit.

Nathalie : Et alors ?

Hercule : C’est plus grand.

Nathalie : Forcément.

Hercule : Alors c’est mieux pour l’exercice... pour l’entraînement...

Nathalie (furieuse) : On casse rien chez moi !

Hercule (retournant aux valises) : Oui, oui.

(Tarzan et Maciste apparaissent dans l’entrée, l’air inquiet.)

Tarzan (timidement) : On peut entrer ?

Nathalie (aigrement) : Plus de place pour les oeuvres d’art, mon lit est complet.

Hercule : Vous venez m’aider à défaire les valises ?

Tarzan (timidement) : C’est surtout qu’on sait pas où aller.

Maciste : Non, on sait plus.

Tarzan : J’peux pas retourner chez ma femme... depuis le temps qu’elle est sans nouvelle... c’est délicat.

Maciste : Moi, une fois dans mon studio, j’ai fait les cent pas... enfin les cinq... je savais pas quoi faire... alors je suis venu ici. En arrivant j’ai retrouvé Tarzan.

Hercule : ... Eh bien... on a la chambre bleue... (Un peu inquiet :) Hein, chérie ?

Nathalie (qui n’ose pas dire non) : Ils partent quand ?

Hercule : Oh c’est transitoire. Mais vous savez c’est petit, surtout pour deux.

Tarzan : Tout est petit, ici.

Maciste : Mais on peut casser...

Nathalie (énervée) : Oh...

Maciste : ...tandis que dans mon studio...

Hercule : Allez, zou, rendez-vous utile; la valise noire dans la chambre jaune, la valise rouge dans la chambre bleue.

(Tandis qu’ils prennent les valises :)

Tarzan : Merci, Madame, on ne savait vraiment pas où dormir.

Maciste : Oui, merci Madame. (A Tarzan :) Tu vois, elle n’est pas aussi harpie que le disait Charles.

Tarzan : Non, il ne savait pas la prendre.

Hercule (naturellement, comme si elle n’était pas là) : Ce n’est tout de même pas une facile, ça non. Elle a son caractère.

Tarzan : Mais toutes, faut savoir y faire, c’est tout.

Maciste : Charles, c’était un mou, et pourtant il se débrouillait.

Nathalie (intervenant, furieuse) : Silence, les statues ! Et au boulot !

Hercule lève les yeux au ciel, les deux autres secouent la tête avec une pitié solidaire en prenant les valises.

Nathalie (au bébé, pendant qu’ils sortent) : Ils sont un peu pénibles, mais maman va les décourager, ils fileront vite fait, et le trésor il sera tranquille avec maman et son gorille. (A part :) Au moins il intimide tout le monde, personne ne nous embête. (Au bébé :) Du temps de papa il y en avait parfois qui ne se gênaient pas, alors il fallait avoir recours à la police. Maintenant mon mignon on est trois terreurs. (A part :) Parce que je dis à l’autre ce qu’il faut faire, sinon... mon gorille est une sous-espèce du mouton... (Rêveuse :) La vie était quand même plus drôle avec Charles. Toujours une idée... saugrenue. Toujours de l’imprévu; impossible de savoir le matin ce qui lui passerait par la tête le soir. (Au bébé :) Avec papa, aucune stabilité pour l’éducation de bébé. Papa ne faisait plus l’affaire. Alors maman, pour bébé, elle s’est mise avec un gorille-mouton. (A part :) Et elle s’emmerde.

(Brusquement entrent Ursula et Jessica avec leurs bagages.)

Ursula : Ah, enfin à la maison; j’en peux plus. (Elle se laisse tomber sur le canapé.)

Jessica : Repose-toi, Bichette, je m’occupe de tout. (A Nathalie :) Ben dis donc, toi, en voilà des façons de filer comme ça à l’aéroport.

Nathalie (aigrement) : Qu’est-ce que vous venez faire là ?

Ursula : Habiter, évidemment, où veux-tu qu’on aille ?

Nathalie : Chez vous par exemple ?

Jessica : Maintenant qu’on est ensemble, seules toutes les deux, ça ferait jaser.

Ursula : Oui, ici avec Charles les voisins sont habitués à tout.

Nathalie (pas contente, à Jessica) : Enfin, toi, toi ! avec cette...

Ursula : Ben quoi ?

Jessica : Qu’est-ce que tu veux, Charles-Henri ne voulait plus et je n’ai trouvé personne d’autre... On prend c’qu’on trouve.

Ursula : Oui, même son dodu a eu peur à cause de ces idées bizarres qu’elle a tout le temps... surtout le soir. Moi j’aime bien. J’suis même pas encore allée une fois en prison.

Nathalie : Telle que je la connais, ça ne saurait tarder.

Jessica : Dame, j’ai mon entraînement, et en période de compèt je ne me maîtrise plus. J’ai besoin d’une aide psychologique.

Nathalie : Ah, pendue par les pieds, tu appelles ça de...

Jessica : Oh ne commence pas de pinailler sur le vocabulaire. Alors où est-ce qu’on s’met ?

Hercule (entrant, qui a entendu) : Y a plus de place. Faut pas rester là.

Jessica : De quoi tu t’mêles, toi ?

Ursula : Oui, le consort, on ne lui demande pas son avis.

Nathalie : J’ai encore le droit de recevoir des amies !

Hercule : Mais oui, poupée. Ç’est pas ça. Mais où veux-tu qu’on les mette ? Il y a déjà Tarzan et Maciste dans la chambre bleue...

Ursula : Oh, on s’arrangera un coin ici, dans le salon, pour la nuit.

Jessica : Oui, ce n’est pas une affaire.

Hercule : Bon, bon. Je vais voir si les hommes ne pourraient pas leur laisser la chambre bleue. (Il sort.)

Nathalie (sarcastique) : Eh bien, voilà qui est réglé; si tout le monde est content... (A part :) Ils vont se bouffer le nez; les uns me débarrasseront des autres.

 

(Entrent brusquement et joyeusement les deux dodus et Charles-Henri. )

Dodu III (apercevant Jessica) : Ah, tu es là, dame de nos rêves et championne du vélo.

Charles-Henri : Il croyait ne plus jamais te revoir, je ne savais plus comment le réconforter.

Dodu II (montrant ses achats) : Aussi nous sommes-nous arrêtés pour acheter le nécessaire.

Jessica : Moi je suis au régime, et Charles-Henri devrait l’être aussi.

Dodu III : Ce n’est pas bon pour ta beauté.

Charles-Henri : C’est une maniaque, elle a que des trucs dingues dans la tête, je te l’ai dit cent fois.

Dodu III : Que veux-tu, je suis un dodu romantique; j’ai besoin de croire que sous cet aspect si gracieux se trouve une âme délicate.

Ursula : Ma Jessica est une sportive, elle n’a pas de loisirs pour le romantisme.

Dodu II (montrant ses achats) : Je traite aussi le romantisme.

Jessica Ursula) : Enfin, vois ce qui serait bon pour moi dans leurs achats, Bichette. Le foie gras gonfle les performances, c’est avéré.

Nathalie (criant) : Hé ! Vous êtes chez moi ! (Court silence :) Qu’est-ce que vous comptez faire ?

Dodu III (très porte-parole) : Oh soyez tranquille, Nathalie, on va s’arranger, on va se trouver un coin.

Charles-Henri : Mais oui, on ne te dérangera pas.

Dodu II : Et... bon... je crois que c’est le moment... elles n’ont pas osé entrer... vous étiez tellement fâchée contre elles la dernière fois... elles attendent à la porte. Entrez, Mesdames, venez vous réconcilier.

(Entre le club des minces plus minces, l’air piteux; deux sont visiblement enceintes.)

Le choeur des minces : Pardon, Thalie. On s’en veut de t’avoir déçue, mais on n’était que de faibles femmes : on a mangé.

Dodu II et Dodu III : Oui, pardonnez-leur; elles ont tout simplement trouvé le chemin de la vérité.

Charles-Henri : Pardonne-leur, elles t’aiment tellement.

Jessica : Pardonne, elles n’avaient pas le sport pour lutter.

Ursula : Ben oui, pardonne quoi.

Nathalie (gênée) : Elles sont assez grandes, hein ? Elles font ce qu’elles veulent... Oui, bon, je pardonne, là.

Cris de joie des minces qui se précipitent pour embrasser Nathalie; les autres applaudissent.

Première mince (enceinte) : Ah, on sera bien ici.

Deuxième mince : Faudra arranger un peu naturellement.

Troisième mince (enceinte) : Et puis il y aura une bonne atmosphère pour les bébés.

Nathalie (stupéfaite) : Mais vous ne comptez pas loger là ?

Deuxième mince : Où veux-tu qu’on aille ?

Première mince : On n’a personne d’autre que toi.

Troisième mince : Tu es notre famille maintenant.

Dodu III : On ne sait plus vivre les uns sans les autres.

Petit à petit tous s’approchent pour former un arc de cercle face à Nathalie assise le bébé sur les genoux.

Dodu II : Vous ne pouvez mettre tant de gens à la rue !

Ursula : Faut être solidaire, quoi.

Jessica : Tu ne vas pas te conduire en sale égoïste ?

Charles-Henri : Pour une fois Jessica a raison, faut s’aider les uns les autres.

Un silence.

Entre Hercule avec Tarzan et Maciste.

Hercule : Ça va, ils cèdent la chambre bleue à Jessica et Ursula, ils se feront un coin ici pour la nuit... Qu’est-ce qui se passe ?

Jessica (d’une voix blanche) : Elle ne veut pas de nous.

Silence.

Tarzan : C’est pas possible.

Troisième mince : Elle veut nous flanquer à la rue avec les bébés.

Maciste : Charles n’aurait jamais laissé faire ça...

Silence.

Nathalie (qui n’en peut plus) : Ça va, restez si vous voulez.

Cris de joie; tout le monde se précipite pour embrasser Nathalie et le bébé.

Dodu II : Et champagne pour fêter notre réunion !

Dodu III : Foie gras.

Ils déballent et font le service.

Ursula : Caviar seulement pour Jessica.

Jessica : Oh, Bichette, un peu de foie gras quand même; c’est bon pour la compèt.

Ursula : Non, j’ai dit non ! (Elle lui fourre un canapé-caviar dans la bouche.)

Charles-Henri : Allez, les statues,  faut participer.

Tarzan : Moi, juste quelques petits-fours, je suis si sensible aux calories.

Maciste : Moi, j’essaierai le foie gras, c’est bon pour les muscles. (Galamment, désignant les ex-minces :) Mais après les dames.

Deuxième mince : Merci, Maciste, vous êtes un homme délicat, vous, un homme comme en rêvent toutes les femmes. (Elle accepte un canapé.)

Première mince : Tarzan, mon chéri, passe-moi donc un des petits-fours.

Bref instant de suspens des gestes pendant que Tarzan s’exécute un peu gêné que tout le monde apprenne ainsi cette intimité; puis tous continuent de déguster.

Troisième mince (aigrement) : Et moi alors ? J’suis pas tombée enceinte toute seule !

Dodu II (empressé) : Mon Dieu, comment peut-on négliger une aussi gentille dame; tenez, cette tartelette.

Charles-Henri (empressé) : Faut nourrir cet enfant, bon sang. Prends ce canapé, c’est énergétique.

Maciste (empressé) : Et puis un peu de champagne, là. (Il la fait boire.)

Pendant tout ce temps Hercule est resté debout à côté de Nathalie, toujours son bébé dans les bras, contemplant la scène avec attendrissement tandis qu’elle a plutôt l’air revêche.

Nathalie (mettant délibérément les pieds dans le plat) : Alors quoi, qui est le père ?

Léger suspens des gestes, puis continuation du festin; tout le monde fait semblant de ne pas avoir entendu.

Hercule (tout à coup très amoureux) : Ma pauvre poulette, je te néglige, j’oublie d’aller de chercher des bonnes choses.

Nathalie (têtue) : Mais lequel est le... (Il l’embrasse brusquement sur la bouche; en même temps il tend une main vers Tarzan qui y place une tartelette; à la fin du baiser il la fourre tout entière dans la bouche de Nathalie qui s’étouffe en grommelant on ne sait quoi.)

Hercule (très détaché) : Je prendrais bien un peu de caviar aussi. (Il va se servir.)

Tout ce qui suit est dit la bouche pleine, sauf par Nathalie.

Troisième mince : Au fait, est-ce qu’il n’y a pas une chambre verte ?

Première mince : C’est vrai, pour des femmes enceintes ce serait mieux.

Nathalie : La chambre verte, c’est pour bébé !

Deuxième mince : On ne voit pas ce qu’un bébé pourrait bien faire d’une chambre entière.

Hercule : Il serait bien mieux dans notre chambre avec nous, poulette.

Ursula : Surtout qu’une chambre verte... pour un bébé....

Hercule : Oui, ça me déprime.

Jessica : En tout cas, moi, quand j’étais bébé, je n’aurais pas aimé.

Dodu III : Moi non plus.

Tarzan : Ici c’est petit, alors il faut que tout le monde y mette du sien.

Maciste : C’est vrai, Madame, Tarzan a raison, y a que comme ça qu’on y arrivera.

Dodu II : L’idéal ce serait une vaste pièce, un vrai lieu de vie pour tous.

Charles-Henri : Oui... (Regardant les murs :) Faudrait casser.

Nathalie (se dressant, furieuse) : On ne cassera rien chez moi !

Hercule : Mais non, poulette, bien sûr. (Il la prend dans ses bras pour la cajoler et la calmer tout en mangeant.)

Dodu III (pour arranger les choses) : Le mieux c’est d’aller voir tout de suite pour juger de la place réelle.

Dodu II : C’est ça; ainsi on  prendra les décisions qui conviennent.

Hercule : Mais vous avez raison.

Troisième mince : Allons-y maintenant.

Première mince : Surtout que je commence d’être fatiguée.

Charles-Henri (à Nathalie) : Est-ce qu’au moins on peut déplacer les meubles ?

Hercule (inquiet) : Eh bien...

Tarzan : Mais bien sûr, c’est rien, ça, hein ?

Maciste : Avance, toi.

Deuxième mince : S’il faut trouver des lits d’appoint avant la nuit, il vaudrait mieux se dépêcher.

Jessica : On peut quand même se mettre deux par lit.

Ursula : Oui, et deux lits par chambre.

Ils sortent tous, sauf Nathalie, mangeant toujours; certains font demi-tour pour reprendre un canapé ou emporter une bouteille.

Nathalie (seule et stupéfaite, au bébé) : Ah çà ! Mais ils prennent de force la place de bébé !...  (A part :) Hercule, c’est un Charles avec les muscles en plus et les idées en moins... (Au bébé :) Viens, mon bébé, on va surveiller tout ça ou même toi tu vas en retrouver dans ton berceau.

(Elle sort.

Un court instant.

Entre Charles, l’air préoccupé, il marche de long en large, d’abord sans dire un mot.)

Charles : ... Ah... On ne peut pas dire, non, que je sois très heureux à l’heure actuelle... Mes recherches au service de l’humanité, je les paie, et plutôt cher... La troisième voie n’était pas la bonne; la quatrième non plus, la cinquième non plus. Remarquez, j’ai obtenu des résultats... pour les autres. Mieux ça va pour eux, moins ça va pour moi... L’égoïsme est peut-être laid, mais on peut toujours s’en débarbouiller en donnant aux organisations humanitaires; l’égoïsme, finalement, ce n’est pas très cher... et on garde sa femme au lieu que ce soit un autre qui en profite. Hein ? Quand même... Franchement, je me suis senti un peu perdu, toutes ces grandes idées qui me traversaient la tête, ce besoin de ne pas être replié dans mon coin... jusqu’au jour où la mort vient vous en tirer par les pieds... il fallait que je partage... Mais j’ai oublié de bien me servir le premier; ils ont mangé tout le gâteau... Les profiteurs de la générosité n’ont pas les scrupules des généreux. J’en retire personnellement qu’il faut être généreux avec modération... Et puis j’ai maigri; faut-il parler d’un bon côté des soucis ?... Ceux-là aussi ils engraissent de vos dépouilles... A défaut de remettre le compteur à zéro pour repartir, je vais essayer de le remettre aussi près que possible du zéro...

(Entre Nathalie, toujours son bébé dans les bras.)

Nathalie (criant) : ...et que l’on ne touche à rien dans ma chambre ! (Apercevant Charles :) Ah.

Charles (s’asseyant) : Bonjour, ma femme.

Nathalie : Qu’est-ce que tu fais là ?

Charles : Tu vois, je viens m’asseoir dans un de mes bons fauteuils achetés avec mon argent.

Nathalie : Mais faut pas rester là. Il pourrait venir quelqu’un !

Charles : Tu n’as pas vu mes pantoufles ?

Nathalie : Tu n’as jamais eu de pantoufles, tu n’as jamais voulu de pantoufles ! Tu n’as jamais pu faire comme tout le monde.

Charles : Eh bien j’avais tort; et tout le monde avait raison; il faudra que j’y pense : acheter des pantoufles.

Nathalie : ... Va-t’en... C’est trop tard, on ne veut pas de toi ici.

Charles (très calme) : Et mon journal... Où est mon journal ?

Nathalie : Il ne fallait pas nous laisser, l’enfant et moi, maintenant il est trop tard.

Charles : Vous laisser ? Tiens, j’aurais plutôt cru que c’était toi qui... as changé de mâle. Enfin peu importe... Mon journal et mes pantoufles.

Nathalie : Et le bébé, il ne t’a même pas intéressé, tu ne viens même pas le voir.

Un temps.

Charles : Au fait, il est de qui ?

Nathalie (révoltée) : Mais, de toi, bien sûr, de toi ! Et puis qu’est-ce que ça change ? Il est là, c’est tout ce qui compte.

Charles (grave, réfléchissant) : Si, ça change.

Hercule entre pour des négociations avec Nathalie.

Hercule : Les autres m’envoient pour... (Apercevant Charles :) Ah.

Nathalie : Il ne veut pas s’en aller.

Hercule : Faut pas rester là... Y a pas assez de place...

Charles (ironiquement) : Je me ferai tout petit; j’ai maigri... d’au moins quinze kilos.

Hercule (imperméable à l’ironie) : Faut pas s’imposer chez les gens comme ça... c’est mal.

Nathalie : C’est exactement ce que j’essayais de lui expliquer.

Hercule (regardant Charles s’étirer dans son fauteuil, embarrassé) : Il n’a pas l’air de comprendre...

(Entrent tous les autres; ils ont vaguement compris qu’il se passait quelque chose et ils viennent voir.)

Tous (découvrant Charles) : Oh.

Hercule : Il ne veut pas s’en aller.

Dodu II : Ce n’est pas raisonnable, cher ami.

Tous les autres : Non.

Nathalie : Il veut me prendre mon bébé !

Tous (sauf Hercule qui sait bien que ce n’est pas vrai) : Oh !

(Ils se sont tous approchés et forment maintenant un arc de cercle devant Charles comme précédemment devant Nathalie.)

Charles : Mes pantoufles et mon journal...

Dodu III : Cher Charles, je crois me faire porteur de l’avis général en vous faisant part de notre gêne en vous voyant là.

Jessica : C’est vrai quoi, tire-toi.

Tarzan : Oui, tirez-vous.

Ursula : Le bébé, il est à Nathalie.

Troisième mince : Il veut peut-être prendre les nôtres aussi !

Première mince : Il nous ferait accoucher dans la rue.

Deuxième mince : Maciste, sors-le si Hercule n’est pas capable de prendre ses responsabilités.

Charles-Henri (gêné) : Tout de même, c’est grâce à lui qu’on est ensemble.

Nathalie (amère) : A cause de lui.

Maciste (à la deuxième mince) : Moi, je ne pourrais pas.

Tarzan : Moi non plus.

Hercule (gêné) : C’est le mari de ma femme, quand même; ça compte.

Nathalie : Alors, qu’est-ce qu’on va faire ?

Jessica : Avec lui ce sera la catastrophe, il va encore avoir de nouvelles idées.

Maciste : Moi, j’aime bien ses idées.

Charles-Henri : Moi aussi.

Jessica (méprisante) : Toi, redeviens un homme avant de parler.

Ursula : Jessica, ne sois pas si dure.

Jessica : Il n’a qu’à me le faire payer, le froussard.

Dodu III : Calmons le débat, s’il vous plaît. Alors, quelle décision prenons-nous ?

Silence.

Nathalie : Hercule, c’est toi le maître de maison, c’est à toi de décider.

Hercule : A moi ?

Tous (soulagés, approuvant) : Oui, évidemment.

Hercule (à Nathalie) : Ce ne serait pas plutôt à toi ? Après tout, tu es sa femme.

Tous : C’est vrai.

Dodu III : C’est logique. Décidez, Madame, le conseil vous suivra.

Silence.

Entre l’huissier.

L’huissier : C’est bien ici le ... (Tous se retournent; apercevant Charles :) Ah, je ne vous voyais pas.

Nathalie (méfiante) : Qu’est-ce que c’est que ça ?

Charles (ironique) : «Ça», c’est mon idée, à moi.

Nathalie (méfiante) : Quelle ?

L’huissier : Je commence le constat tout de suite ?

Charles : Bien sûr.

Hercule : Hep, stop, qu’est-ce que vous voulez, au juste ?

L’huissier : Oui, vous êtes qui, vous ?

Hercule : Le compagnon de la dame, là.

L’huissier (notant) : Oui; et qu’est-ce que vous faites ici ?

Hercule : Eh bien, on vit ensemble, je viens de vous le dire.

L’huissier (notant) : Sous le toit conjugal.

Hercule (noblement) : Qui est devenu le nôtre.

L’huissier (notant) : Oui. Et les autres ?

Hercule : Ce sont des amis; ils vivent avec nous.

L’huissier (notant) : Ici ?

Hercule (agacé) : Bien sûr ici.

L’huissier (notant) : Pour un quatre pièces il y a nettement surpopulation.

Hercule (menaçant) : Ça vous regarde ?

L’huissier (pas impressionné) : Ça le regarde; vous êtes chez lui.

Nathalie : Et chez moi, que je sache !

Charles : La communauté réduite aux acquêts, ma chérie... Oui, c’est notre régime de mariage...

Et comme les acquêts sont quasiment nuls... Tout est à moi...

L’huissier : Voilà, le constat est établi. (A Charles :) Vous voulez toujours qu’ils évacuent les lieux, j’imagine ?

Charles : Bien sûr.

L’huissier (à tous) : Faudra-t-il que je fasse appel à la police pour évacuer les lieux ?

Charles-Henri : Pas police, pas prison; je m’en vais.

Jessica (le poursuivant) : Reviens, lâcheur !

Ursula (la poursuivant) : Jessica !

Silence.

Dodu III : Eh bien, je crois qu’il est préférable d’évacuer les lieux.

Dodu II : Oui; on ne peut rien faire d’autre.

Hercule (qui n’en revient pas) : Même moi ?

Tarzan : Ben oui, forcément.

Maciste : Surtout toi.

Les trois minces (en direction de Charles) : Bououou !

Tous sauf Nathalie se dirigent lentement vers la sortie.

Hercule (à Nathalie) : Tu viens ?

Nathalie (tenant ferme son bébé) : Pas question. Moi, je suis chez moi. On verra bien s’il osera mettre à la porte son fils et sa mère !

L’huissier (regardant Charles) : Tout est-il en ordre ? Je peux m’en aller ? (Nouveau signe d’acquiescement de Charles.)

(Tous sortent, l’huissier en dernier, sauf Charles et Nathalie.

Silence.)

Charles : Tout est en ordre... jusqu’au divorce.

Nathalie : Tu veux divorcer ! Ça alors ! Quand tout est de ta faute ! (Au bébé :) Papa divorce ! Il chasse maman parce qu’il a fait n’importe quoi.

Charles : N’importe quoi, n’importe quoi, c’est vite dit; j’ai essayé de rendre heureux autour de moi des gens dont je savais qu’ils ne l’étaient pas. (Il s’est levé, très énervé.) J’ai tenté d’être utile.

Nathalie (aigrement) : On commence par être utile à sa femme ! Et moi, heureuse, je ne l’étais plus.

Silence.

Charles : C’était bien avec Hercule ? Il t’a rendu le bonheur ? Pourquoi ne l’as-tu pas suivi ? Est-ce que tu préférerais l’argent au bonheur ?

Nathalie (penaude) : Ce qu’il pouvait s’endormir vite. Avant, je ne dis pas, il y avait un bon moment à passer... Mais le problème, avec lui, c’est la journée. Je n’avais jamais remarqué à quel point elles peuvent être longues... Je ne me suis jamais ennuyée avec toi.

Charles : Sauf peut-être juste avant de dormir?

Nathalie : Mais non, voyons... Hercule, il a les muscles en plus et les idées en moins. Il n’est pas stupide, il est pire, il enchaîne les banalités comme  des perles; et en plus il porte ses petits jugements supérieurs sur ceux qui le dépassent. Quand la médiocrité profère ses nobles critiques sur l’intelligence, c’est à sortir le fusil.

Charles (ironique) : Je reconnais bien là ta nature tolérante et délicate.

Nathalie : Et puis quoi, même si c’était parfois le cas, je préfère m’ennuyer cinq minutes au lit que m’emmerder toute la journée.

Charles (ironique) : Les femmes ont une nature tendre et terre-à-terre...

Nathalie (s’énervant) : Ben quoi, qu’est-ce que tu veux ? Une déclaration d’amour ? Avec les fleurs et la musique ? Eh bien, je t’aime, là; pour les fleurs, j’ai pas, on verra plus tard.

Silence.

Charles : C’est d’un romantisme...

Nathalie : Tu n’en trouveras pas une autre pour supporter un homme à idées comme toi... Et moi non plus je n’en trouverai pas un autre, je me suis trop habituée à tes extravagances... Quand tu n’es pas là, elles me manquent et je pense à toi.

Charles (à l’enfant dans son berceau) : C’est le moment de pleurer, toi, pour la scène attendrissante. (Pleurs aussitôt de l’enfant.) Au moins il comprend aussi vite que son père.

Nathalie (l’enlaçant d’un bras tandis qu’elle tient le bébé de l’autre, lequel cesse opportunément de pleurer; tendrement) : Tu me pardonnes ?

Charles (têtu) :  N’exagérons pas. Il faudra que tu fasses en sorte que je ne m’ennuie pas au lit bien des nuits pour que je te pardonne.

Nathalie (indignée) : Tu t’ennuyais au lit avec moi, toi !

Charles : Parfois, il faut bien l’avouer, je simule.  Enfin, on verra ce que l’autre t’a appris.

Nathalie (riant) : Salaud.

(Ils tombent dans les bras l’un de l’autre.)

Dodu II (sa tête apparaît dans l’entrée) : Ça va ? C’est arrangé ? On peut rentrer ?

(Tous rentrent, sauf Hercule.)

Charles-Henri : C’était beau, ces retrouvailles.

Jessica : Oui, prends-en d’la graine.

Dodu II : An nom de tous, je vous souhaite de nombreuses années de bonheur.

(Tous applaudissent.)

Dodu III : Et ce petit, vous allez lui donner un nom, maintenant ?

Charles (étonné) : Il n’a pas de nom ?

Nathalie : Je ne voulais pas le baptiser sans toi.

Charles (touché) : Eh bien on pourrait l’appeler...

Nathalie (l’embrassant sur la bouche) : Je t’ai attendu pour l’appeler Jacques, mon chéri.

Charles (estomaqué) : Ah bon.

Nathalie (au bébé) : Voilà, papa a trouvé un joli prénom au bébé. (Elle embrasse le bébé.)

(Tous applaudissent.)

Troisième mince : Bon, il faudrait maintenant penser aux nôtres, qu’ils naissent dans de bonnes conditions.

Première mince : Oui, la solidarité entre mères doit jouer, Nathalie, tu ne peux pas nous mettre à la rue.

Maciste : Voyez-vous, Charles, avant votre arrivée, Nathalie avait pris des engagements.

Tous approuvent : Oui, oui. - Absolument. - Parfaitement. - C’est vrai...

Nathalie : Oui ? Eh bien tant pis. C’est changé.

Tous : C’est trop fort. - Ce n’est pas possible ! - Je ne veux pas aller à la rue. - Moi, je reste ! - Je ne partirai pas.

Dodu III : Charles ? J’en appelle solennellement au père des dodus !

Deuxième mince : Et des minces ! Même plus minces !

Tarzan : Et des sportifs !

Charles (hésitant et ironique) : ... Si c’est un engagement de ma femme... évidemment...

(Tous, prenant cela pour un acquiescement, crient de joie.)

Troisième mince : Moi, je vais m’installer pour la nuit.

Première mince : Dans la chambre verte.

(Tous sont déjà en mouvement vers les chambres.)

Nathalie : Le cauchemar recommence !

(Hercule montre sa tête dans l’entrée.)

Hercule : Et moi alors ?

(Tous s’arrêtent.)

Hercule : Je peux venir ?

(Il apparaît en entier.)

Hercule : Qu’est-ce que je ferais tout seul ? Je ne sais plus vivre tout seul.

Dodu III : On ne peut tout de même pas l’abandonner.

Deuxième mince (qui doit avoir des projets sur lui) : Ce serait cruel.

Ursula : Inhumain.

Jessica : N’exagérons rien, bichette; avec moi, il n’a jamais voulu.

Charles-Henri : Pas fou, le gars.

Tarzan (implorant) : Charles !

Maciste (implorant) : Charles !

Nathalie (mais sur un autre ton, celui de la rage rentrée) : Charles !

Charles (amusé) : Tu n’aurais pas dû tant promettre. Le mari, aux yeux de la loi, doit payer les dettes de sa femme...

Nathalie (désignant Hercule) : Mais pas lui, tout de même !

Hercule : Pourquoi pas moi ? Elle n’a pas toujours dit ça !

Charles : Dis donc, c’est toi qui lui as fait son bonheur à celui-là. Un peu trop même. Après tout, peut-on être heureux en étant égoïste ? Nous ne sommes pas faits pour la solitude, et puisque le sort, le hasard, la providence ou je ne sais quoi nous a confié ceux-là, que le père des dodus, des maigres et des sportifs assume sa charge dans le monde.

Nathalie (furieuse) : Oh !

Charles (sortant des clefs de sa poche) : Ici, c’est trop petit, mais j’ai acheté l’appartement à côté. (Il lance les clefs que Tarzan attrape.)

Tarzan : On sera quand même séparés.

Dodu II : Oui, à côté, c’est loin.

Hercule : Ce sera pas aussi bien qu’ici.

Charles : Mais là... on pourra casser !

(Cris de joie de tous. Ils se précipitent et sortent pour aller sans l’autre appartement.

Silence.)

Charles (pensivement) : L’argent est quand même bien utile au bonheur. En tout cas il arrange les gaffes.

Nathalie (admirative) : T’es un malin, toi.

Charles (l’enlaçant et caressant le bébé) : Me revoilà avec femme, enfant et (Mouvement de tête vers la sortie.) amis. J’ai... racheté tout ce qu’il faut pour être heureux. Ai-je bien fait ? Ça... (Au public :) A vous de juger...

 

 

 

 

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