Nimbus fera mieux la prochaine fois

(Un vaste atelier comprenant un fauteuil de relaxation, une cuisinette, une planche à repasser avec son fer, un téléviseur, deux chaises, un lit de camp plié, quelques toiles commencées, une sculpture commencée - femme à un sein -, d’innombrables outils de tout genre et, couvrant les trois quarts du fond, une immense machine complexe pour le moment au repos.)

Nimbus (criant) : Jamais !

Hélène : Papa ! Ouvre ! Tu auras à manger.

Nimbus : Je me passe très bien de manger.

Charleston : Voyons beau-père, vous allez vous rendre malade, ouvrez.

Hélène : Papa ! Maman pleure !

Nimbus : Encore... Voilà quarante ans qu’elle a ce truc pour me faire céder... Eh bien cette fois ça ne prend pas.

Hélène : Elle pleure plus fort maintenant, tu peux être content de toi.

Nimbus : Tant qu’elle utilise son truc, c’est qu’elle m’aime... Elle pleure, donc tout va bien.

Charleston : Beau-père, je vais appeler les pompiers et on va enfoncer la porte...

Nimbus : Non. Je n’y crois pas.

Hélène : On finira par le faire.

Nimbus : Tu me trahirais à ce point-là ?

Hélène (touchée; voix douce) : Papa... (Un temps.) On n’avertira personne... Je te laisse les provisions devant la porte... Prends-les, je t’en prie.

(On entend un bruit de discussion, puis de pas qui s’éloignent.)

Nimbus : Avec eux, même le génie devrait être à table à heure fixe.

Voix masculine (venant du fond) : Qu’est-ce que tu dis ? Parle plus fort.

Nimbus : C’était une remarque personnelle sur les obligations familiales.

Voix masculine (après un temps) : Il ne peut pas y avoir de remarques personnelles. C’est un non-sens.

Nimbus : Allons bon. Et pourquoi ?

La voix masculine : Tout ce que nous croyons personnel est reproduit en millions d’exemplaires sur notre planète.

Nimbus : Et alors ? C’est du personnel partagé.

La voix masculine (après un temps) : Encore un non-sens... Nimbus, tu m’attristes.

Nimbus : Ce sentiment ne t’est pas personnel. J’attriste toute ma famille, tous mes amis, et de vagues connaissances sont pleines de compassion pour ce pauvre type sûrement parano qui s’enferme dans son atelier avec des machines qui ne fonctionnent pas.

La voix masculine : Heureusement pour toi qu’ils croient qu’elles ne fonctionnent pas.

Nimbus : Pour le moment c’est préférable en effet.

La voix masculine : Je serai vengé un jour.

Nimbus : Vengé de quoi ? Je ne t’ai fait aucun mal. J’avais ton consentement. Signé. Je l’ai toujours, là. (Il désigne un tiroir.)

La voix masculine (geignarde) : J’ai été naïf... Pris au piège.

Nimbus : N’invente pas... Voyons ce qu’ils m’ont laissé. (Il regarde par un espion.)... Je vais chercher tout ça.

(Pendant qu’il ouvre la porte, disparaît, revient les bras chargés de sacs et paquets, referme la porte, on frappe sur un côté, puis une porte invisible s’ouvre et entre une belle femme assez jeune à la mise mi-pauvre mi-coquette.)

Constance Nimbus) : Bonjour... Vous n’aviez pas indiqué d’heure...

Nimbus : J’espère que vous avez fait provision de sujets.

Constance : N’ayez crainte. Je connais mon travail.

La voix masculine (geignarde) : Même pas un mot de sympathie... (Méchamment) Je m’en vengerai tout à l’heure.

Constance : De toute manière vous en profiterez pour me dire des atrocités.

La voix masculine : J’ai toujours aimé dire des atrocités aux femmes, des grossièretés, et leur faire dire des choses vulgaires de leurs belles lèvres peintes.

Constance : Il faut reconnaître qu’avec vous j’apprends beaucoup.

La voix masculine (triomphante) : Tu vois, Nimbus, elle reconnaît mes mérites !... Même en n’étant plus qu’une voix j’arrive encore à me faire détester.

Nimbus (qui déballait et rangeait ses provisions) : Etant donné le prix qu’elle me coûte, moi aussi je vais finir par te détester.

La voix masculine (plaintive) : Pingre.

Nimbus : Tu me coûtes plus cher qu’une maîtresse.

La voix masculine : Couche avec, je t’y autorise.

Constance : Eh là !

La voix masculine : De la morale, ma belle ?

Constance : Non, une revendication salariale.

Nimbus : Ça suffit, vous deux. Parlez ensemble et laissez-moi. Il faut que je travaille.

Constance : Vous croyez que vous réussirez à faire marche arrière ?

Nimbus : L’ennui avec les réussites scientifiques c’est qu’elles s’installent, elles prennent un caractère définitif. La machine n’a plus de courant, plus rien, elle ne fonctionne plus et pourtant elle marche.

Constance : Cassez-la.

Nimbus : Elle est cassée. Mais il est toujours là.

La voix masculine (geignarde) : Je ne sais pas comment on fait pour s’en aller.

Nimbus : Je finirai bien par trouver. (Il se met à l’étude d’un plan complexe en plusieurs planches. Constance va s’asseoir vers la machine.)

La voix masculine : Approche, ma petite chérie, approche.

Constance : Par quoi voulez-vous commencer ?

La voix masculine : Eh, Nimbus !... Elle me demande par quoi je veux commencer !

Nimbus : Laisse-moi travailler.

La voix masculine : Un strip !

Constance (qui a sorti de son sac divers journaux et revues) : Je vais vous parler des mésaventures conjugales du chat de la princesse Anselme.

La voix masculine : Allons bon.

Constance : Vous vous souvenez de son mariage avec l’angora bleu de Prusse de la reine d’Angleterre ?

La voix masculine : Pas du tout.

Constance : Il a pourtant fait la une de tous les journaux... anglais. Je suis sûre de vous en avoir parlé.

La voix masculine : Je ne fais pas de politique.

Constance : Figurez-vous que cette chatte bien sous tous rapports était enceinte d’avant son mariage.

La voix masculine : Le cou-pa-ble ! Le cou-pa-ble !

Constance : Constatant que les petits tenaient du siamois, la reine d’Angleterre a fait son enquête. Le siamois du comte de York et celui du comte de Lancastre sont aux arrêts. On espère des aveux.

La voix masculine (innocemment) : Les petits se portent bien ?

Constance (contrariée) : Je ne sais pas. Je suppose.

La voix masculine (satisfaite) : Voilà bien ces journalistes, toujours des bribes d’information. Un survol. Incapables de traiter à fond un dossier.

Constance : J’essaierai de me renseigner.

La voix masculine : (Ironique :) J’espère bien... (Plein d’entrain :) Il n’y aurait pas une guerre plutôt ? J’aime les guerres.

Constance : Moi non.

La voix masculine : On te paie pour tout raconter, ma chérie... Dis les horreurs de ta jolie bouche, que tes lèvres si douces forment les mots les plus atroces, les plus crus... Nimbus !

Nimbus : Racontez-lui. Qu’on soit en paix au moins ici.

Constance : Bon, comme vous voulez... Alors (elle cherche un journal)... Une guerre tribale en Afrique, ça vous va ?

La voix masculine : Elle fera l’affaire. Allez-y.

Constance (lisant) : «Les Gorubas ont fait une avancée fulgurante mardi dans la soirée. Massacrant avec délectation, ils ont, selon leur chef Madhi Souélé, vécu la plus belle journée de leurs existences. Cela pourrait d’ailleurs bien être la dernière car les Masabis ont reçu des lance-roquettes de France, il ne leur manque plus que les munitions.»

La voix masculine : Et les viols ? On ne parle pas des viols.

Constance : Mais si bien sûr. Seulement le journaliste ne peut pas être derrière chaque violeur.

La voix masculine : Il n’y a qu’un journaliste ?

Constance : Je ne sais pas.

La voix masculine : Lis ce qu’ils écrivent.

Constance : «On signale que les pillages et les viols d’adolescentes sont systématiques.»

La voix masculine (extasiée) : Systématique ?

Constance : Oui.

La voix masculine : Des détails !

Constance : Il n’y a rien d’autre.

La voix masculine : Alors invente !

Constance : Pas aujourd’hui, je suis fatiguée.

La voix masculine : Nimbus !

Nimbus : Laisse-la tranquille et laisse-moi travailler.

La voix masculine (geignarde) : Personne ne sait combien je souffre, personne ne s’en soucie... Même en payant.

Constance (réconfortante) : Il y aura peut-être des photos un de ces jours...

La voix masculine (appâtée) : Et des reportages télé ?

Constance : Qui vous permettront de remarquer une nouvelle fois que les journalistes gardent les meilleurs plans pour eux.

Voix féminine : Oïe. J’ai un mal de tête !

Constance : Comment ?

La voix masculine : Qu’est-ce que vous avez ?

Constance : Pas moi, mais...

La voix féminine : En voilà un coin !

Constance : Vous avez deux voix maintenant ?

Nimbus : Qu’est-ce que tu fabriques ?

La voix masculine : Nimbus, j’ai peur !

La voix féminine : Merci, il n’y a pas de quoi... Qu’est-ce que je fais là, au juste.

La voix masculine : Oui, qu’est-ce qu’elle fait là, Nimbus, dans Ma machine ?

Nimbus : Je n’en sais rien.

Constance : Je crois que je vais m’en aller...

La voix féminine : Je me suis sentie captée et tout d’un coup, plus moyen de bouger.

La voix masculine (intéressée) : Vous bougiez avant ?

La voix féminine (furieuse) : Quelle est l’andouille qui joue à capter les esprits ?

Nimbus (piteusement) : Je ne joue pas... Je ne l’ai pas fait exprès.

La voix masculine : Il ne fait jamais exprès et il attire tout le temps des ennuis aux autres.

La voix féminine : Je vois... un capteur d’esprits... Tu les fais travailler pour toi... Sadique... Mais je me suis déjà échappée une fois.

Nimbus : Dites-nous comment.

La voix masculine : Oui, comment ?

La voix féminine : Pas si bête... Qui est le médium ?

La voix masculine : Vous êtes dedans...

La voix féminine : Un médium mécanique ?... (Déprimée) Alors là, je ne sais pas... (Furieuse) Je vais tout casser.

La voix masculine : Oh oui. Comment fait-on ?

Nimbus : Laissez-moi plutôt travailler, que je trouve comment défaire ce que j’ai fait. (Il se remet à ses calculs et à son bricolage savant.)

La voix féminine : On ne peut jamais reculer en sciences même occultes, vous devriez le savoir. Essayez au contraire d’aller plus loin.

Constance : C’est comme ça qu’on arrange un premier désastre par un second.

La voix féminine (ton intime) : Bonjour, Constance.

Constance : Vous me connaissez ?

La voix féminine : Tu es toujours aussi mignonne.

La voix masculine : Un autre ton avec mon employée, je vous prie.

La voix féminine : Elle et moi nous avons baisé avec les mêmes, ça crée des liens, ça rapproche.

La voix masculine : Evidemment, mais...

Constance : Oh, mon Dieu ! Gabrielle !... Quelle surprise !...Comment vas-tu ?

La voix féminine : Elle est toujours aussi idiote.

La voix masculine : Elle refuse de me lire les viols, les massacres, tout ce qui est intéressant.

La voix féminine : Ça ne m’étonne pas d’elle. Déjà à l’école elle était niaise.

La voix masculine : Et elle le restera.

Constance : Oh là !

La voix féminine : Quand je la regarde faire l’amour, sa passivité me déprime. Mardi soir, nous lui avons donné 3 sur 20.

Constance : Nous ? Qui «nous» ?

La voix féminine : Quelques-uns de nos amis d’autrefois qui étaient venus me rendre une visite de courtoisie : Abel, Jean-Jacques, Adeline, Charlotte...

Constance (à part) : Je ne vais même plus oser me déshabiller.

La voix féminine : Si, jusque là c’est bien.

La voix masculine (appâtée) : On peut voir ?

Constance : J’ai honte à l’idée...

La voix féminine : Tu peux. Si belle et si maladroite. Tu nous as vraiment fait passer une mauvaise soirée... Jean-Jacques nous a raconté ses nuits avec toi, je comprends pourquoi il avait besoin de moi en plus... Abel nous a...

Constance : Abel, jamais !

La voix féminine : A dix-sept ans, dans le pigeonnier.

Constance : Ah, mais non... Ah, si...

La voix féminine : On a bien ri.

Constance (haussant les épaules) : C’est malin.

La voix masculine (appâtée) : Qu’est-ce qu’il y avait de drôle ?

Constance : Ça ne vous regarde pas.

La voix féminine (à la voix masculine) : Qu’est-ce que vous me raconterez si je vous raconte ?

Constance : Il n’en est pas question !

La voix masculine (cherchant) : Voyons... La première communion de Nimbus ?... L’hilarante nomenclature de ses inventions...

La voix féminine (nette) : Je m’intéresse au sexe et aux meurtres, c’est tout.

Constance : Toujours aussi limitée. La mort ne t’a pas fait de profit.

La voix féminine : Mon Dieu qu’elle est bête.

Constance : Alors va-t’en, pourquoi me surveilles-tu ? pourquoi t’accroches-tu à moi !

La voix féminine (soudain geignarde) : Ma chérie, ma chérie, ne me fais pas souffrir, ne sois pas cruelle.

Constance (folle de rage) : Va-t’en ! Va-t’en !

La voix masculine (logique) : Elle ne peut pas. Moi non plus, malheureusement.

La voix féminine (rassérénée) : C’est vrai, ce n’est pas ma faute, je ne peux pas.

Constance : Nimbus !... Nimbus, je m’offre à toi en échange mais fais-la taire. Expédie cette maquerelle en enfer, oui, maquerelle (La voix féminine proteste faiblement.); je me souviens maintenant : presque tous mes amants, c’est elle qui me les a présentés, personne n’a créé le hasard aussi habilement qu’elle, je suppose qu’ils venaient tout lui raconter...

La voix féminine : Hélas non, j’en étais réduite à imaginer. La mort est nettement plus satisfaisante de ce point de vue, si j’ose dire... Le noir pour nous n’existe pas...

Constance (inquiète) : Ah bon ?

La voix féminine (insinuante et jouisseuse) : Eh non.

La voix masculine (appâtée) : Qu’est-ce qui s’est passé dans le noir mardi soir ?

Constance : Nimbus !... Tu ne pouvais pas la rater, cette invention-là !

Nimbus : Mais elle est ratée ! Je croyais que ça se remarquait... Mais je vais trouver et envoyer ces âmes au fin fond de l’univers !

Les voix, ensemble et geignardes : Non, Nimbus, ne fais pas ça. Gentil Nimbus, aie pitié de nous.

La voix masculine : Libère-nous seulement, que je puisse enfin voguer au gré de ma fantaisie.

La voix féminine : Et je te dirai comment mettre Constance dans ton lit quand tu veux, comme tu la veux. Parce que tu la veux, n’est-ce pas ?

Nimbus : Assez ! Silence, les âmes !

Constance : Oui, la paix !

Nimbus : Dire qu’on nous avait promis leur sommeil éternel... Et Nimbus est venu ! Il est descendu au royaume des morts et les a ramenés sur la terre... Je n’ai qu’une excuse : je ne croyais plus depuis longtemps pouvoir réussir quelque chose. On vieillit et on reste naïf, on ne sait pas que la réussite vous menace, qu’elle vous guette à chaque coin d’équation. Comme j’étais heureux quand j’étais stérile... (La tête dans les mains :) Je n’en dors plus, l’âme d’Albert s’en charge... Tout est irréversible, chaque invention est un pas vers un gouffre, le progrès est une erreur. C’est quand j’ai trouvé que je me suis trompé.

Constance : Eh bien moi, je file. Après tout, je n’ai pas de raison de supporter ça, moi; je fais partie des milliards d’humains incapables même de la plus minime invention. Les âmes me laisseront tranquille car elles comprendront que je suis innocente.

La voix féminine : Renverse-la brutalement sur le tapis, Nimbus. Dans ces cas-là elle se laisse toujours faire.

La voix masculine : Oh oui, fais ça, Nimbus.

Constance : Payez-moi, que je m’en aille.

Nimbus : Vous payer ? Et me retrouver tout seul avec ces deux-là ! J’aime mieux vous renverser sur le tapis. (Il s’avance.)

Les âmes : Ouais, vas-y ! A l’assaut !

Constance (reculant) : Plaisantez pas, grand-papa.

Nimbus : Je ne le suis pas tout à fait encore.

Constance : Ne nous donnons pas en spectacle.

Nimbus : Alors restez.

Constance : Un petit moment.

Nimbus : Le temps qu’il faudra. (Constance, vaincue, se rassied.) J’aime la société.

Les voix : Nous aussi.

Nimbus : Silence, les âmes !

La voix masculine : Je voudrais juste pouvoir voguer dans les airs selon ma fantaisie.

La voix féminine : Et moi, baiser. Je voudrais baiser ! Invente-moi un moyen, Nimbus.

Nimbus : Pourquoi n’ai-je que des âmes d’obsédés ? Hein ! C’est une bonne question, non ?

La voix féminine : Je ne vois pas en quoi.

La voix masculine : Non, je ne vois pas.

Constance : Tout le monde est obsédé, je vous parle en connaissance de cause.

Nimbus : Pas moi... Est-ce que je n’aurais pas d’âme ? Est-ce que je serais la dernière vie, épurée, d’une âme de sage ?... (Réfléchissant) J’ai simplement provoqué une réincarnation si j’ose dire, dans une machine; si cela avait été dans des humains, personne ne s’étonnerait que les âmes parlent. On voit cela à longueur de journée.

Constance : Travaillez donc.

La voix masculine : Oui, travaille.

La voix féminine : C’est ennuyeux de travailler.

La voix masculine : Pas pour lui.

Constance : Allez, je passe à un nouveau sujet. (Elle reprend ses journaux.)

La voix masculine : Qu’est-ce que c’est ?

Constance : Les résultats du championnat de football.

La voix féminine : Passés le vestiaire, le football est sans intérêt.

La voix masculine : Oh ! Quand même ! Le foot !

(Pendant ces répliques, la porte donnant sur l’appartement s’est ouverte et apparaissent Hélène et Charleston.) Hélène (découvrant Constance) : Une femme ! Il est avec une femme... et chez lui !

Nimbus : Hélène !

Charleston (admiratif, détaillant Constance) : Çà alors !

Hélène : Papa ! Jamais je n’aurais...

Nimbus : Tu avais promis que tu n’entrerais pas !

Hélène : J’avais seulement promis de ne pas prévenir les pompiers.

Charleston : Moi je me retire, faut savoir vivre.

Hélène : Toi, tu restes là. Pense que c’est mon héritage qu’il dilapide avec cette créature.

Charleston (intéressé par Constance) : Elle vous prend combien ?

Nimbus (faussement naïf) : Vous voulez participer aux frais ?

Charleston (sérieux) : Hélène n’est jamais d’accord pour que je m’amuse.

Hélène (furieuse) : Vous êtes deux porcs ! des porcs !

Charleston : Ne t’excite pas, je ne me sens pas en forme aujourd’hui... ne compte pas dessus. Je n’ai pas la santé de grand-papa.

Nimbus : Que les choses soient claires. Constance est une employée, c’est tout.

Hélène : Qu’est-ce qu’elle fait ?

Nimbus (naïvement) : Elle lit les journaux.

Charleston : Et comme d’habitude tu t’endors dessus ?

La voix féminine : C’est vrai. C’est un porc... somnolent.

(Charleston et Hélène regardent Constance, croyant qu’elle a parlé. Constance ne sait pas comment réagir.) La voix masculine (basse) : Tais-toi. Il ne veut pas que ses enfants sachent.

La voix féminine : Comment s’appelle ce beau garçon ?... Vous savez, avec Constance, vous pouvez y aller. Elle n’est pas brillante, mais dès que vous la renversez elle cède.

La voix masculine : C’est une qualité.

Charleston (sans réfléchir) : Hélène, elle, serait plutôt du genre furie.

La voix féminine : A la bonne heure, il y a du spectacle au moins.

La voix masculine : J’irai vous voir dès que je serai sorti d’ici.

La voix féminine : J’irai aussi.

Hélène : Mais qu’est-ce que c’est ? Qui parle ? (A Nimbus :) Qu’est-ce que tu as fait ?

Nimbus : Je cherchais comme tant d’autres un moyen d’entrer en contact avec l’au-delà. (Piteux :) J’ai trouvé.

Charleston : Et alors ? C’est passionnant. Où est le mal ?

Les âmes : On est coincées !

Constance (comme s’excusant) : Je suis chargée de les occuper, c’est tout.

La voix masculine (sarcastique) : Parce qu’il n’a pas voulu payer plus.

La voix féminine : Remarquez, Constance dans l’amour, je l’ai encore vue mardi, c’est désolant. Vous voulez que je vous raconte ? Nous étions un petit groupe d’ex-amants...

Constance : Assez ! Ça n’intéresse personne !

La voix féminine (choquée) : Je ne vois pas comment cela pourrait n’intéresser personne.

La voix masculine : Moi non plus.

Charleston (galant) : Moi non plus.

Nimbus (à part) : Qu’est-ce qu’il s’est donc passé mardi soir ?

Hélène : Mais elles sont lubriques, tes âmes !

Nimbus : Complètement.

Charleston : Tu vois, Hélène, toujours à te complexer. Mais tu n’es pas la seule à être...

Hélène (gênée et rageuse) : Tais-toi.

Charleston : Les âmes ont de l’expérience, elles peuvent sûrement donner d’excellents conseils.

Nimbus : Non.

Les âmes : Rien de ce qui fait jouir ne nous est étranger.

La voix masculine : Je suis comme un cul-de-jatte, je sens à longueur de journée mon membre manquant.

La voix féminine (gaillarde) : Quel salopard, hein, Hélène ?

Hélène (petit rire) : Oui. De son vivant, il a dû avoir de ces aventures !

Nimbus : C’est Albert.

Hélène : Le vieil Albert ?

La voix masculine : Ah, ma poulette, si tu m’avais connu vingt ans plus tôt !

Hélène (canaille) : Oh, Albert... Racontez-moi ça.

Nimbus : Allons bon.

La voix féminine : Vous voyez, elle, elle aime les bonnes histoires. A la bonne heure.

Charleston Constance) : Alors comme ça, vous, vous êtes passive en amour ?

Constance (gênée) : Mais...

La voix masculine : Tu as bien failli être ma fille...

Nimbus et Hélène : Oh !

Charleston Constance, à mi-voix) : Et vous me prendriez combien ?

Constance (avec un demi-sourire) : Mais je ne fais pas payer, voyons... en général.

Deuxième voix masculine : Aïe ! Qu’est-ce qui m’arrive ? Mais... je ne peux plus bouger !... Au secours !

Tous : Allons bon !

La voix féminine : Qui êtes-vous ?

Deuxième voix masculine : Qui parle ?

Première voix masculine : Moi, c’est Albert.

Deuxième voix masculine (découvrant Hélène) : Hélène... ma chérie !

Tous : Hein ?

Hélène : Oïe oïe oïe !

 

 

FIN.