VIRGINIE EN SON CASTEL

 

(La mer bat la falaise. Un castel est mal placé en haut. Les couleurs sont celles de l’orage. Sur la plage déserte, un homme seul fait les cent pas.)

 

Laurent VIII : Quel coin !...  Je  m’ennuie ici. Mon Dieu que je m’ennuie... Il va pleuvoir,  hein ?... Pas de chance... La pluie  tombe  partout   mais   c’est  moi qu’elle vise... Des milliards de bombes de pluie  qui me menacent... (Il s’arrête et réfléchit.) Pourtant  j’aimais  beaucoup  la  pluie... (Un temps.) C’est vrai, j’aime beaucoup la pluie... (Il se remet à marcher. Un temps.) Il faut que je me venge. Tous ! De tous !... La vengeance est un droit. Et un  devoir... Si seulement j’avais l’occasion... Mais je n’ai pas de  chance...  (Il s’arrête.) Surtout, je ne sais plus pourquoi; ça m’échappe complètement; c’est bizarre. (Il se remet à marcher.) Qu’est-ce que je peux bien faire ici ?... Je ne suis visiblement pas venu à  la  bonne  saison...  Enfin, il va pleuvoir, c’est toujours ça... Je marche, je suis au grand air, le paysage est grandiose, donc... je  suis heureux. (Il a l’air satisfait de sa conclusion.)

Voix venant d’entre les  rochers  :  Mais  qu’est-ce que vous faites là ? La marée va monter.

Laurent VIII (mécontent) : Allons bon, la mer va monter.

(Apparaît une jeune femme; on devine alors un escalier.)

La jeune femme : Je vous  vois marcher depuis une heure, j’ai fini par m’inquiéter.

Laurent VIII : Mon étoile  veille : tout s’arrange. Vous êtes mise sur mon chemin, vous allez vous occuper de moi.

La jeune femme : Moi-même je cherche quelqu’un pour s’occuper de moi... C’est dire que je  n’ai  pas beaucoup de temps pour vous.

Laurent VIII : Si tout le monde est égoïste, mon malheur sera éternel... Ah, que la vie  est  pénible... Comment vous appelez-vous ?

La jeune femme : Virginie.

Laurent VIII : Laurent VIII.

La jeune femme : Moi je n’ai pas de numéro.

Laurent VIII : Savez-vous ce que je fais ici ?

Virginie : Vous ne le savez pas, vous ?

Laurent VIII  :  J’ai  des  intuitions  naturellement, mais j’aurais aimé qu’on me les confirme; oh, je sais, cela possède un côté étroit, mesquin...  Je suis très amoureux de vous, n’est-ce pas ?

Virginie : ... Je ne sais pas. Ça m’étonnerait.

Laurent VIII : Ça vous gêne de l’avouer ?

Virginie : Je ne suis pas  si timide. Je n’ai jamais hésité à supposer un homme amoureux de  moi...  Ce sont les hommes qui ont été timides.

Laurent VIII : Donc vous m’attendiez... C’est parfait.

Virginie : Peut-être bien... L’escalier est là...

Laurent VIII : Je vous suis.

(Le plateau tourne et on  les  retrouve entrant dans une pièce du castel. Décor austère. Les meubles sont de bois sombre. A côté de cette  pièce, le hall d’entrée du castel.)

Virginie : Dépêchez-vous, le froid entre.

Laurent VIII : Je ne  me  dépêche  jamais. Rien ne mérite que l’on se dépêche.

Virginie : Si, être au chaud.

Laurent VIII : Les sensations ne m’intéressent pas.

Virginie (se réchauffant  les  mains  contre  le radiateur) : Qu’est-ce qui vous intéresse ?

Laurent VIII : Ah, une question difficile. (Il va vers la cheminée sans feu et s’y «réchauffe») Je sais surtout ce qui ne m’intéresse pas.

Virginie : Vous avez  bien  quarante  ans, vous devriez quand même avoir des réponses à ce genre de question.

Laurent VIII : Je n’ai pas mon âge.

Virginie : Tiens, moi non  plus... Vous n’allez pas vous lancer sur le thème : toujours jeune ?

Laurent VIII : Non. Bien  sûr  que non... Simplement... Je ne me connais pas bien.

Virginie (railleuse) : J’espère que vous n’allez pas me faire une crise d’adolescence... Vous voulez  du  thé pour vous réchauffer avant de partir ?

Laurent VIII (déconcerté) : Partir ?... Mais pour aller où ?

Virginie : En voilà  une  question.  C’est  à  moi de vous la poser.

Laurent VIII (s’énervant) :  Pas  du  tout, pas du tout. Vous êtes venue me chercher,  vous  devez  vous occuper de moi. Ou alors pourquoi êtes-vous venue  ?...  Si  ce n’était pas vous qui deviez venir, il ne fallait pas venir.

Virginie : Avec une logique pareille il vaudrait mieux ne jamais rendre service à personne.

Laurent VIII : Naturellement.

Virginie : Vous êtes sérieux ?

Laurent VIII : On peut ne pas l’être ?

(Un temps. Virginie réfléchit.)

Virginie : Je vais préparer le thé.

Laurent VIII : En tout cas je ne bougerai pas d’ici.

Virginie : J’avais compris. (Elle sort.)

Laurent VIII : Récapitulons :  j’aime la pluie, je ne connais pas la mer, je ne  connais  pas  cette jeune femme aux propos légèrement désagréables... et je sens  que je ne dois pas aimer le thé... (Content.) Ces renseignements sont d’un extrême intérêt... Tiens, je  sais  ce  qui  m’intéresse... Quel rôle cette femme joue-t-elle dans  mon  histoire ?... Faut-il coucher avec ?... Je vais le lui demander.

Virginie (poussant une table chargée) : Voilà le thé.

Laurent VIII : Ça m’est égal, je ne l’aime pas.

Virginie (interloquée) : Ah.

Laurent VIII : Devrai-je coucher avec vous cette nuit ?

Virginie (d’abord surprise) : ...  Je  ne vous y contraindrai pas.

Laurent VIII (soulagé) : Ah tant mieux.

Virginie : Maintenant, si ça ne vous fait rien... moi, j’aime le thé... et les toasts. (Elle se met à table seule.)

Laurent VIII : Et après ?

Virginie : Après ? Rien.

Laurent VIII (mécontent) : Alors je vais encore m’ennuyer ?

Virginie : Moi je m’ennuie rarement.

Laurent VIII : Vous êtes un drôle d’envoyé de Dieu.

Virginie : Il a dû prendre celle qu’il avait sous la main.

Laurent VIII :  Je  ne  suis  pas  content, mais vraiment pas content.

Virginie (buvant son thé) : Allons tant mieux.

Laurent VIII (indigné) : Tant mieux ?

Virginie : Vous décamperez plus vite.

Laurent VIII : Pas question de bouger d’ici, je vous l’ai déjà dit... Coucher avec vous à la rigueur... si je ne peux pas faire autrement sans vous froisser... car vous êtes froissée, je le sens.

Virginie : J’ai appelé la  police.  (Elle parle en grignotant un toast.)

Laurent VIII (intéressé) : A  la  bonne heure. Il va sûrement se passer quelque chose. Ce sera instructif.

Virginie : J’aime que dans la vie il ne se passe rien, moi.

Laurent VIII : Vous êtes une envoyée spéciale.

(Brusquement la porte du castel  s’ouvre dans le vent et une femme entre.)

Virginie (qui a entendu le bruit,  se  lève) : Ah, la police. (Elle va pour l’accueillir.)

(La femme a enlevé  son  manteau  et entre dans le salon tandis que Virginie reste  surprise. Cette femme est une brune à la chevelure longue,  habillée de rouge en cavalier; on lui donne à peine plus de vingt ans.)

La jeune femme Laurent VIII) : Bonjour tonton.

Laurent VIII : Bonjour,  Frédégonde. (Il l’embrasse. A Virginie :) Ma nièce.

Frédégonde : C’est l’envoyée ?

Laurent VIII : Elle a  l’air  pire  que  celui de la dernière fois.

Frédégonde : Mais il y a plus de place chez elle.

Laurent VIII (content) : Elle a averti la police.

Frédégonde : Enfin... elle est peut-être moins gourde qu’elle ne paraît... Ils ont des fichiers à la police... Ah, tonton ! Nous allons savoir qui nous sommes !

Laurent VIII : Ne t’emballe  pas, Frédégonde. Tu sais combien il y a eu de désillusions.

Virginie (éclatant) : Je  vais  vous  mettre  à  la  porte  tous  les deux !

Frédégonde  (regardant   la  table)  :  Qu’est-ce que  c’est  que ça ?

Laurent VIII : Du thé.

Frédégonde : Boh.. Je me soûlerais bien.

Laurent VIII : Moi aussi... Mais c’est trop tôt.

Virginie : Il n’y a pas d’alcool ici... Allez-vous-en !

Frédégonde : Quelle  drôle  de  manière de recevoir... Est-ce que tu vas devoir coucher avec, tonton ?

Laurent VIII : Je ne crois  pas.  Et franchement ça ne me dit rien.

Frédégonde : A moi non plus.

Virginie (essayant de la pousser, de les bousculer) : Dehors! Dehors !

Frédégonde : Sans attendre la police ? Jamais de la vie.

Laurent VIII : Calmez-vous,  Virginie.  Nous devons, à l’évidence, passer un  certain  temps  ensemble, et j’aimerais autant, pour vous, que ça se passe bien.

Virginie : Dès  que  Martial  arrivera,  il  vous  réduira en bouillie.

Frédégonde : Martial... Buchonr ?

Virginie (inquiète) : Oui.

Frédégonde : Très intéressant.

Laurent VIII : Tu le connais ?

Frédégonde : Non... Mais j’ai su tout d’un coup son nom et la manière dont il embrasse... dont il m’embrassera.

Virginie : Holà les timbrés, pas d’érotomanie.

Laurent VIII : Virginie, je sens qu’il vaut mieux que je vous explique le peu que je sais.

Frédégonde : Elle ne comprendra rien, elle est trop ordinaire.

Virginie : Mais dites donc !

Laurent VIII : Nous sommes une petite équipe, une cinquantaine mais tous  ne  viendront  peut-être  pas,  à répondre à un destin gênant qui nous balade  d’endroit  en endroit avec des intervalles de temps  parfois  considérables pendant lesquels nous ne savons pas si  nous  vivons.  Je la dirige à cause de mon nom qui semble évident aux  autres et à moi-même comme un titre. Mais étant donné  que  les  apparitions des uns et des autres  ne  dépendent  pas  de  moi,  il  s’agit  d’une sorte d’illusion qui seule nous appartient.

Virginie : Bref, vous êtes des fous ou des fantômes.

Frédégonde : Elle n’a rien compris.

Laurent VIII : Je dirais plutôt que nous sommes des intermittents... Nous vivons mais pas en continu comme vous... Et ceci doit avoir un but.

Virginie : Pourquoi ?

Laurent VIII : Pourquoi  ?...  Mais  si  nous subissions cela pour rien, ce serait abominable.

Virginie : La vie normale  n’est  pas  plus douce et elle n’a pas de but, on vit, c’est tout; pourquoi seriez-vous privilégié ?

Laurent VIII : Laissez les anormaux avoir la perception juste de la condition de  l’homme,  ils  sont marqués par le destin pour cela.

Frédégonde : D’ailleurs si  nous  débarquons chez vous, c’est bien que vous êtes prévue pour servir à quelque chose.

Laurent VIII : Vous croyez  avoir  vécu, avoir fait votre vie alors que vous étiez en sommeil préparée pour ce jour.

(Entre un petit groupe,  quatre jeunes adultes dont deux femmes.)

Virginie (se dirige vers  l’entrée  en  les entendant; et les voyant au lieu de Martial) : Encore !

Vénéziano (accent italien évidemment) : C’est bien ici ?

Virginie : Vous pouvez donc vous tromper de porte, les ectoplasmes ?

Laurent VIII : Non, mais c’est toujours si surprenant.

Mamelle : La bâtisse est-elle solide ?

Frédégonde : Ne lui fais pas  peur. Elle est déjà assez pénible.

Carré d'as : Combien sommes-nous ?

Patty : J’espère qu’il y a beaucoup de mâles.

Frédégonde : On en attend un du monde ordinaire, que je devine préparé pour nous.

Patty : Tant mieux, je suis en manque.

(Vénéziano et Mamelle  seuls  avaient  des manteaux. Ils les ont pendus.)

Carré d’as (entré le premier  dans  le salon) : Qu’est-ce que c’est ? Du thé ? Où est le brandy ?

Vénéziano : Dans la  deuxième  cave,  petite  porte à côté du charbon.

Carré d’as : Compris. (Il ouvre  d’un  geste sûr une porte du salon et sort.)

Virginie : Mais...

Laurent VIII : Finissez donc votre thé, chère hôtesse.

Frédégonde : Oui,  il  n’y  a  rien  de  mieux  à  faire pour l’instant.

(Les ectoplasmes se réunissent autour de Virginie assise et, en silence d’abord, la regardent boire et manger.)

Mamelle : Elle bouffe bien, elle y met du coeur, j’aime ça.

Patty : Tais-toi, Mamelle, tu vas la déranger.

Vénéziano : C’est toujours agréable de les déranger.

Mamelle : Oui, mais pas dès le début.

Laurent VIII : Elle a une manière de baver adorable.

Frédégonde : Si elle atteint  un  tel résultat avec du simple thé, qu’est-ce que ce sera avec l’alcool.

Laurent VIII : Elle n’en boit pas.

Vénéziano : Elle en boira...

Patty : Comme la petite Yolande, il y a trois fois de cela.

Mamelle : Elle est à nous,  elle nous a été donnée, il faudra bien qu’elle se soumette.

Virginie (calmement) : Du balai, les ectoplasmes... J’ai compris que vous n’existez pas vraiment.

Laurent VIII : Alors là, vous vous trompez complètement.

Frédégonde : Tu veux toucher ?

Virginie : Je vous nie. Je  nie  votre existence même si vous existez. (Elle continue de boire son thé.)

Vénéziano : Moi ça ne me gêne pas. J’aime les rebelles.

Mamelle : Je n’aime pas ses manières à celle-là.

Patty : C’est une compliquée,  elle  va nous créer des difficultés, et peut-être des ennuis.

Laurent VIII : Quels ennuis ? Nous pouvons avoir des ennuis ?

Patty : Je ne sais pas, le mot est venu comme ça.

Frédégonde : C’est sûrement bon, les ennuis.

Mamelle : Les normaux ont des tas de privilèges.

Vénéziano : Je partagerai les siens, de force s’il le faut.

Frédégonde : De force, de préférence.

Patty : Je la sens très réceptive au fond.

Laurent VIII : Voyons,  on  ne  sait même pas encore pourquoi nous sommes ici.

(Rentre Carré d’as, les bras  chargés et le regard allumé.)

Carré d’as : La sainte  Nitouche  a des réserves du tonnerre, regardez.

Virginie : Ces bouteilles  étaient  à  l’oncle  qui m’a légué cette maison.

Laurent VIII : Tout est toujours bien organisé.

Vénéziano : Tout est prévu.

Carré d’as : Tout est pour le  mieux, à quoi bon se poser des questions ?

Laurent VIII : Il est trop tôt pour boire.

Carré d’as : On peut au moins sortir les verres.

Vénéziano : Et ouvrir les bouteilles.

Patty : Ça sera ça de fait.

Mamelle Virginie) : Où est le matériel, ma beauté ? (Pas de réponse.  Virginie  boit  une  nouvelle tasse de thé.) Tu réponds ou je te flanque une baffe.

Laurent VIII : Eh là,  doucement.  Qu’on la laisse tranquille pour le moment.

Mamelle : Bon, bon. Pour le moment.

Vénéziano : Allons plutôt dans la salle à manger.

Carré d’as : On va s’installer.

Patty : Vive la fête.

(Les quatre vont pour  sortir  quand  la porte de dehors s’ouvre. Deux gendarmes  entrent  et viennent rapidement dans le salon. Virginie  va  se  jeter  dans les bras du plus grand.)

Martial : Je croyais qu’ils n’étaient que deux.

Virginie : Ils se multiplient,  ils  menacent de venir à cinquante.

Laurent VIII : Ce n’est pas une menace, mais une possibilité que je ne peux pas écarter.

Martial : Vous allez tous vider les lieux.

L’adjoint : Oui, ouste.

Laurent VIII : Moi je veux  bien,  mais  à  mon avis ça ne se produira pas.

Martial : Tout le monde dehors.

L’adjoint : Ou je vous arrête.

Frédégonde : Riche idée.

Tous : Oh oui, arrêtez-nous.

L’adjoint : Encore un mot et j’appelle le car.

Laurent VIII : Je dois  dire  que  cette expérience ne me déplairait pas.

Mamelle : Un commissariat entier à nous pour la nuit.

Vénéziano : Ou plusieurs jours et nuits.

Patty : La dernière fois j’avais vu un film à la télé où l’on expliquait que tous les gens  intéressants sont dans les prisons.

Carré d’as : J’emporte les bouteilles ?

Laurent VIII : Allons-y. Où est le car ?

Martial : Nous n’en sommes pas là. Dans la mesure où Virginie a invité le premier...

Tous : Ouh !

Martial : Mais...

Frédégonde : Vous devez consulter  vos  fichiers pour voir si nous sommes recherchés.

Laurent VIII : Absolument. Sinon, n’importe qui peut s’introduire chez des gens et leur saloper la vie.

Mamelle : Je veux une fois au moins avoir vu un commissariat.

Martial : A l’heure actuelle, il n’y a pas...

Carré d’as : J’ai volé des bouteilles, regardez.

Vénéziano : Je l’ai aidé.

Patty : Et moi j’ai des  vues sexuelles et sadiques sur votre amie.

Tous : Moi aussi !

Martial : Tiens, c’est comme moi... Ma pauvre Virginie, tu as beau n’être plus toute jeune, tu excites de plus en plus.

Laurent VIII (à part) : En fait, moi...

FrédégondeMartial) : Sauvez-la,  ensuite vous et moi nous nous amuserons ensemble.

Virginie (hurlant) :  Ah  !...  ((Récitant,  se  forçant à se concentrer :) L’azur pullule d’oiseaux hurleurs,/ Ils crient la joie des mages  sans  foi,/  Leurs ailes se referment sans peur / Sur de froides  immortelles proies... Qu’est-ce que je sais d’autre ? Qu’est-ce que je  sais d’autre ?... Ma tête se vide...

Mamelle : C’est bon signe.

Martial : Ah ?

Frédégonde : C’est comme  ça  que  vous défendez les citoyens dans la gendarmerie ?

Virginie : Martial... Aide-moi... Je deviens folle.

Martial : Tu l’as toujours été  un peu... Ce n’est pas grave, ma chérie... un peu plus un peu moins...

Patty : Il est abominable.

Frédégonde : J’aime ça, moi. Venez avec moi, allons jouir.

Martial : Je voudrais  bien,  mais  elle  va encore faire des histoires... surtout si ça se passe chez elle.

Frédégonde : Alors dans le car ?

Martial : C’est une idée...  Dans  ce  coin  perdu il sert si peu.

Virginie (gémissant) : Martial...

Martial : Cesse de geindre  !  Pour  une  fois qu’il se passe quelque chose !

Virginie (pleurant) : Moi, j’aime qu’il ne se passe rien, jamais rien, c’est ça la vraie vie.

Les autres : Pas du tout.//Sa tête doit être vide depuis longtemps.//Mignonne mais  rasoir.//Quelle  drôle d’idée.//Peut-être bien.//Mais non.

Martial : Ce n’est pas un crime de s’amuser.

Laurent VIII : Ça dépend.

Vénéziano : Avec nous, ça tourne souvent mal.

Mamelle : Toujours mal.

Laurent VIII : Et pourquoi  ?  Je  n’ai  jamais que de bonnes intentions.

Carré d’as : On ne comprend pas. Peut-être qu’on boit trop ?

Patty : Ce n’est pas un crime de boire.

Frédégonde : Trop de sexe, alors ?

Martial : Le sexe c’est la santé.

Laurent VIII : J’aimerais  comprendre pourquoi nous sommes si bizarres.

L’adjoint : Je ne  suis  que  l’adjoint, mais je souhaiterais caser mon opinion... Un peu de silence, je vous prie, pour la maréchaussée... J’ai cinq  enfants,  tous  de  la même femme, précisons-le, et faits avec  délectation; mon existence a été remplie de biberons et  de  couches,  Dieu  merci j’avais mon travail dans la journée; âgé aujourd’hui de trente-sept ans à peine, je jette un regard satisfait sur un passé de devoir et suis à même  de  noyer  de  conseils  n’importe quel égaré de l’univers...

Laurent VIII (sincère) : Il est passionnant.

Tous (sauf Martial, agacé, et Virginie, perdue) : Oui.

L’adjoint : Or beaucoup de nos filles et de nos gars sont célibataires parce  qu’ils  ne  s’entendent  pas.  Et vous êtes pleins de santé détournée  en  abus...  A  quoi servez-vous ? Vous débarquez ici, or rien  n’existe sans raison; et de raison sur la terre, il n’y  en a qu’une : la reproduction. Vous nous avez été envoyés pour  repeupler;  en sommes, vous êtes des auxiliaires de la maréchaussée.

Mamelle (sincère) : Eh oui.

Vénéziano (sincère) : C’est lumineux.

Tous (intéressés) : En tout cas ce serait un changement.

Laurent VIII (pensif) :  Je  me  demande  ce que donnerait le moutard d’un normal et d’un intermittent.

L’adjoint : Un bon citoyen... distrait.

Martial : Moi j’oublie toujours d’aller voter.

L’adjoint : Moi aussi.

Patty : Moi j’aimerais voter parce que je n’ai pas le droit.

Laurent VIII : Est-ce que je pourrai me présenter ?

L’adjoint : Bien sûr, il suffit  de se baptiser «membre de la classe politique».

Martial : Si c'est vous le nom à numéro vous n’aurez pas de peine.

Frédégonde : Tonton, mon  Martial  et  moi nous voterons pour toi. (Elle se niche dans les bras de Martial.)

Martial : Parfaitement.

Laurent VIII : Ma  foi,  je  veux  bien essayer ce programme, mais vous savez que  nous  pouvons être retirés d’ici à tout moment.

L’adjoint :  Ce  ne  sera  plus  le  cas  cette  fois, faites confiance à la maréchaussée.

Virginie : Et moi !... (A Martial gêné :) Et moi ?

Laurent VIII : Je crois que nous étions destinés...

Virginie : Vous n’aimez pas le thé.

Laurent VIII : Pour être élu, je vais m’y mettre.

Virginie : Je ne vous plaisais pas.

Laurent VIII : Maintenant je  vous  trouve une tête, si j’ose dire, de fauteuil de député,  de portefeuille de ministre. Je vous baiserai volontiers.

Virginie (pleurant presque)  :  Je  ne  concevais pas l’amour comme ça.

Tous : Mon Dieu, qu’elle est embêtante !

L’adjoint : Ne vous en  faites pas, Virginie, vous serez heureuse, je le sais. Faites confiance à la maréchaussée.

Tous (en choeur) : Faites confiance à la maréchaussée !

Frédégonde Martial) : Allons jouir.

Laurent VIII : Oui, il est grand temps de s’amuser à vivre.

(Les bouchons des bouteilles sautent.)

 

                  

 

 

FIN.