MARIE ET L'ANTOINETTE

La chambre de Marie-Antoinette à Versailles, tout simplement.

Pileface (en habit de gardien, seul, regardant le lit) : Elle n'est pas là... (Un temps; il arpente, s'arrête :) Sa montre ne marche plus, probablement, comme d'habitude... (Il se remet à arpenter.) Ah ! quand on aime une femme !... Dire que j'aurais pu passer une nuit tranquille à surveiller l'absence des morts... En tout cas, moi, ils ne m'ont jamais dérangé... (Il s'arrête.) Bon ! Alors ! elle arrive ? Ah ! (Il se remet à arpenter. Un silence.)

Marie (entrant par la droite, en costume de gardienne) : Ah ! Je m'étais perdue.

Pileface : Et le plan que je t'ai donné ? Tu l'as perdu aussi ?

Marie : Non, mais je ne l'ai pas regardé. Il enlevait du mystère.

Pileface (ironique) : Oh, s'il enlevait... je pouvais bien poireauter.

Marie (exaltée) : J'y suis !

Pileface (ironique) : Moi aussi.

Marie : Alors c'est là...

Pileface : Là quoi ?

Marie : C'est le lit dans lequel elle faisait l'amour.

Pileface (irrité) : Je ne sais pas, on n'a pas d'photo. (L'enlaçant :) Viens, allons-nous-en.

Marie : Mais non.

Pileface (cherchant à l'embrasser) : Mais tu as promis d'être à moi si je te laissais venir dans cette chambre à minuit.

Marie : Oui, mon Pilou... Ici.

Pileface (estomaqué) : ... Comment "ici" ?

Marie : Dans le beau lit.

Pileface (s'écartant) : Hein ? Mais tu es folle ?

Marie (l'enlaçant) : Et mon Pilou n'est pas fou de sa petite Marie ?

Pileface (reculant) : Fou mais pas encore bon à enfermer... même pour quelques mois.

Marie (le rattrapant, l'enlaçant, l'embrassant) : Mon petit corps dodu ne vaut pas le plus beau lit du monde, selon toi ?

Pileface (faiblissant) : Sûrement, si, en théorie.

Marie : Théorie j'm'en fous, chéri, fais-moi d'la pratique.

Pileface (se dégageant) : Une autre fois.

Marie : Mais non ! Tu sais quel jour nous sommes ?

Pileface : Qué ça fait ?

Marie : C'est son jour... (Air ahuri de Pileface.) Le jour où elle revient... une fois par an... L'anniversaire de sa dernière nuit à Versailles... La nuit où elle revient...

Pileface : Des bobards... Je suis là depuis des années, je ne l'ai jamais vue.

Marie : Tu imagines, elle arrive, à minuit, et elle nous trouve là, tous les deux, nus, dans son lit, à faire l'amour...

Pileface : ... (Ironique :) Ça va être délicat pour la révérence.

Marie (l'enlaçant) : On dit qu'elle aimait les beaux hommes... tu es beau, toi.

(L'horloge sur la cheminée se met à sonner minuit.

Les deux attendent.

Rien.)

Pileface : Des bobards, tu vois bien... (Se dégageant :) Je vais vérifier si tu as refermé derrière toi... parce que folle comme tu es... (Il sort.)

Marie : Pilou !... me laisse pas toute seule avec le lit !... Ah ! (Elle court après lui.)

(Scène vide quelques secondes.)

Marie-Antoinette (entrant par la porte secrète) : Ils n'oseront tout de même pas venir ici !... Ces horribles révolutionnaires...

Le comte de Fersen (entrant derrière elle) : Ils oseront, ils oseront...

Marie-Antoinette : Enfin le respect, sinon de la reine, de la femme...

Fersen : Madame, ils sont capables du pire. Je vous conjure...

(Rentrent Pileface et Marie qui le tire en peu en le tenant enlacé et en l'embrassant.)

Pileface : Juste un câlin alors, et sans froisser... (Voyant Marie-Antoinette et le comte :) Oh...

Marie (les voyant à son tour) : Ah !... (Toute à son idée :) Trop tard.

(Chaque groupe est d'un côté de la barrière du milieu de la chambre.)

Marie-Antoinette (murmurant) : Les voilà.

(Un silence.)

Fersen (d'une voix incertaine) : Ils ne sont pas comme d'habitude.

Marie-Antoinette (se passant la main sur les yeux et un peu comme si elle se réveillait) : Que voulez-vous dire ?

Fersen (comme s'efforçant de comprendre) : Ils ont des costumes bizarres... des coupes de cheveux bizarres...

Marie-Antoinette (examinant Pileface et Marie avec attention) : Des étrangers en visite peut-être ?... (Se décidant :) Approchez, mes amis... Vous vous êtes égarés dans Versailles. De quel pays venez-vous ?

Pileface (ahuri; petite courbette) : Je suis d'ici... Ma...jesté.

Marie-Antoinette : Vous ne semblez pourtant pas bien féroce.

Marie (s'avançant; petite révérence) : Nous sommes des Français du XXIe siècle, Majesté. Vous êtes chez vous parce que c'est votre château mais vous êtes chez nous parce que c'est notre époque.

(Un silence.)

Fersen : Des fous peut-être ?

Marie-Antoinette (secouant la tête et regardant autour d'elle comme si elle finissait de s'éveiller) : Est-ce qu'il y a beaucoup de révolutionnaires à votre époque ?

Pileface (respectueusement) : Oh non, Majesté, on est civilisé maintenant.

Marie : Il veut dire que, puisqu'il n'y a plus de roi, il n'y a plus de possibilité...

Marie-Antoinette (respirant un grand coup) : En somme une époque avec la tête sur les épaules... et qui l'y garde...

Pileface (flatteur) : Et qui adore la vôtre...

Fersen (presque menaçant) : Comment ça ?

Pileface (déconcerté) : Je veux dire que Sa Majesté a d'innombrables admirateurs passionnés.

Marie-Antoinette (intéressée) : Tiens donc...

Marie Marie-Antoinette) : Moi, c'est à votre époque que j'aurais voulu vivre...

Marie-Antoinette (avec un regard en dessous qui laisse deviner une idée naissante) : Ah oui ?

Marie : Les robes, les révérences, les carrosses...

Pileface : Majesté, excusez-la, faut qu'elle papote...

Fersen (hautain) : Bien, ne dérangez plus Sa...

Marie-Antoinette (dans la tête de laquelle l'idée se précise) : Alors si vous dites vrai, je suis un fantôme.

Fersen (comme amusé de l'idée) : Oh, Madame...

Marie : Vous apparaissez tous les ans, ici, à cette heure.

Marie-Antoinette : Et qu'est-ce que je fais ?

Marie : Rien. Vous parlez un peu, parfois à des gens vivants, on a plusieurs témoignages... (Marie-Antoinette semble faire un effort pour se souvenir, on dirait que parfois elle y parvient presque.) Vous regardez par la fenêtre. Et puis, au bout d'une vingtaine de minutes vous disparaissez.

Marie-Antoinette (inquiète) : Vingt minutes ? Et nous sommes là depuis combien de temps ?

Fersen (ironique) : Oh pas plus de cinq; pour ne rien faire Sa Majesté a tout le temps.

Marie-Antoinette (elle a un frisson) : Plus qu'un quart d'heure à vivre.

Pileface : Si Sa Majesté le permet, je tiens à lui dire que j'ai toujours été horrifié par sa triste fin.

Marie-Antoinette (égarée) :Est-ce que l'on m'a coupé la tête ?

Marie (gênée) : Ben oui... Mais on le regrette... Sa Majesté a l'air si bonne...

Marie-Antoinette (avec un regard en dessous ambigu qui indique une nouvelle idée naissante) : Bonne... ?

Fersen : Evidemment.

Marie-Antoinette (brusquement, à Marie) : Vous aimeriez essayer la robe de la Reine ? Puisque je n'ai rien à faire, je serais curieuse de me voir vêtue en XXIe siècle... Venez donc par ici. (Elle prend Marie par la main et la tire doucement; celle-ci enjambe la balustrade; Marie-Antoinette l'entraîne vers la petite porte du fond.) Comte, changez aussi de costume avec Monsieur, ce sera plus amusant. (Les deux femmes sortent.)

Fersen (parlant à la porte) : Majesté, est-ce bien le moment de s'amuser, avec les révolutionnaires dans le palais ?

Pileface : Moi, je veux bien, pour me voir une fois en comte.

Fersen (le regardant) : Si au moins leurs costumes pouvaient nous faire passer inaperçus... (A Pileface :) Enfin, allons-y.

(Ils enlèvent et échangent rapidement. Pendant ce temps :)

Mais au fait, vous êtes qui, vous, ici ?

Pileface : Gardien.

Fersen (s'arrêtant net dans son déshabillage) : Gardien ? Je change d'habit avec un gardien !

Pileface (lui tendant son pantalon) : Oui. Vous ne le froissez pas, s'il vous plaît. La direction tient à ce qu'on soit impeccable.

Fersen : Elle a raison, je fais de même avec mon personnel.

Pileface : Vous êtes un hommes d'ordre, vous. (Familièrement :) Vous me plaisez. (Mettant la culotte du comte :) Je chercherai dans les livres d'histoire ce que l'on dit de vous.

Fersen (découvrant la fermeture-éclair de la braguette du pantalon de Pileface qu'il vient de mette; fièrement) : Que je suis d'une illustre famille, évidemment... Comment on fait avec ça ?

Pileface (venant lui fermer sa braguette) : Voilà.

Fersen : Drôle de truc.

Pileface : Tenez, la casquette. (Il la lui met tout en finissant de s'habiller, puis se regarde dans le miroir :) Je suis superbe !

Fersen (se regardant aussi, amer) : Pas moi. Enfin les désirs de la Reine...

(Marie-Antoinette et Marie rentrent. Elles ont échangé leurs costumes mais Marie-Antoinette a gardé sa perruque. Marie semble éblouie, Marie-Antoinette a la montre de Marie dans la main.)

Pileface (regardant Marie, admiratif) : Oh ! Mais c'est une transformation ! (Faisant une révérence à Marie :) Madame.

Marie : Toi aussi t'es superbe, Pileface. Viens m'embrasser.

(Pileface franchit la balustrade et va embrasser Marie.

Marie-Antoinette hésite imperceptiblement puis la franchit dans l'autre sens, rejoignant le comte.)

Fersen : Franchement, Majesté, on ne peut pas en dire autant de nous.

Marie-Antoinette (regardant la montre) : Dix-neuf... (Apparaît le futur Louis XVII à la petite porte du fond. Marie-Antoinette l'apercevant et lui tendant la main :) Venez vite, Louis.... vite, vite... (L'enfant se précipite, franchit la balustrade, attrape la main de sa mère qui de l'autre tire le comte étonné contre elle. Pileface et Marie fixent la scène sans comprendre; soudain ils sont comme attirés malgré eux vers le fond, vers la petite porte.)

Marie (criant, apeurée) : Ma-Majesté !

Pileface : Mais qu'est-ce qui se passe !

Marie : Résiste Pileface, tire-nous de là !

Pileface : Mais j'essaie, j'essaie.

(Ils perdent du terrain, ils continuent d'appeler, de crier, mais on ne les entend plus. Finalement ils sont avalés par la porte qui se referme toute seule derrière eux.)

Marie-Antoinette (visiblement très secouée mais décidée, lâchant Louis et le comte) : Voilà. Nous sommes libres.

Fersen (ahuri) : Mais qu'est-ce qui s'est passé ? C'est horrible.

Louis : Qui étaient ces gens, maman ?

Marie-Antoinette : C'était nous, mon chéri.

Louis : On n'est plus nous ?

Marie-Antoinette (se baissant pour l'embrasser) : On sauve ses enfants comme on peut.

Fersen (comprenant enfin) : Mais alors, on va rester au XXI e siècle ?... Mais qu'est-ce qu'on va y faire ?

Marie-Antoinette (se relevant) : En tout cas ce ne peut pas être pire que de se faire couper la tête.

 

  

  

DEUXIEME TABLEAU

 

 

Chez Marie-Antoinette; un appartement dont on voit le vaste salon qui semble un incroyable fouillis, servant à la fois de cuisine, de salle à manger et de salon, mais pas avec des zones, le tout mêlé; les merveilles du monde moderne; congélateur, réfrigérateur, lave-vaisselle, lave-linge, sèche-linge, four traditionnel, four micro-ondes... y occupent les places d'honneur parmi les fauteuils profond, les deux divans, les tables, les lampadaires...

Marie-Antoinette , le comte et Louis sont à côté du réfrigérateur, qui a droit à son lampadaire allumé.

Marie-Antoinette : Qu'il est beau.

Louis (pratique, ouvrant la porte) : Mais vide...

Fersen : J'ai appelé l'employé, il ne veut plus remplir.

Marie-Antoinette : Patience, j'attends un type que je n'ai jamais vu, pour un petit rôle au cinoche. Je l'ai invité à dîner.

Louis : Voyons maman, on n'a rien.

Marie-Antoinette : C'est pour cela, mon chéri, que je l'ai invité... Pour manger... il faudra qu'il fasse venir de quoi manger... pour tout le monde.

Louis (admiratif) : C'est génial, maman !

Fersen (effondré) : Majesté, Majesté... on dégringole.

Marie-Antoinette (fâchée) : Eh bien, et vous ? Vous avez enfin une idée ?

Fersen (effondré) : Non, non, j'avoue...

Marie-Antoinette (toujours fâchée) : C'est moi, moi, qui ramène le fric à la maison. C'est moi qui ai trouvé un boulot, dès le lendemain de notre arrivée... pour acheter tout ça. (Elle montre fièrement les objets.) Heureusement que je m'étais entraînée pendant des années à jouer dans mon petit théâtre de Trianon... Mais je dois dire, ce mardi-là, quand j'ai remplacé au pied levé pour jouer Rosine... tous ces sans-culotte dans la salle... Et puis j'ai gagné le réfrigérateur, la cuisinière etc...

Fersen : Mais presque tout est à crédit !

Marie-Antoinette : Cela prouve que l'on me fait à nouveau crédit. On retrouve les bonnes vieilles habitudes...

Louis (qui s'est sagement assis dans un large fauteuil) : Au magasin de jeux vidéo on ne veut plus m'en donner.

Marie-Antoinette : Tiens, c'est une idée, j'ai vu que l'on cherchait une actrice pour en tourner un. J'irai cet après-midi.

(Roqueville ouvrant la porte à gauche et passant la tête.)

Roqueville : Je crois que la sonnette ne marche pas et vous n'entendez pas quand on frappe. Je peux entrer ?

Marie-Antoinette : Entrez, l'homme.

Roqueville (entrant) : Roqueville. Vous m'avez invité...

Marie-Antoinette : Oui. (Lui tendant sa main à baiser :) Je suis heureuse de vous voir.

Roqueville (interloqué mais baisant la main quand même) : En tout cas vous avez le geste... et le ton... Pour le physique c'est moins frappant qu'on ne me l'avait dit.

Fersen (menaçant) : Vous critiquez le physique de Madame ?

Marie-Antoinette : Laissez, comte, monsieur a bien le droit.

Roqueville (un peu inquiet de l'air du comte) : Ce n'est pas cela. Non, mais au cinéma, même et surtout pour les petits rôles il est préférable de trouver des acteurs qui ont le physique de l'emploi. (Se reculant pour regarder Marie-Antoinette en clignant des yeux :) Et pour jouer Marie-Antoinette ...

Marie-Antoinette, Fersen, Louis : Hein ?

Roqueville : On ne vous avait pas dit ? (La fixant bien :) Oh, il y a quelque chose quand même... Philippe avait raison.

Marie-Antoinette (amusée) : Oui, une voyante m'a prédit que ce serait le rôle de ma vie.

Roqueville (sortant des photos de la poche intérieure de sa veste) : Permettez que je compare avec des photos de tableaux...

Marie-Antoinette (amusée, posant comme sur le tableau de Mme Vigée-Lebrun) : Faites, faites.

Roqueville (après un temps) : C'est ça et ce n'est pas ça, je me demande d'où vient la différence...

(Le comte et Louis s'approchent pour regarder aussi.)

Fersen : Il n'y a pas de différence.

Louis : C'est bien maman, il n'y a pas d'erreur.

Roqueville : Et pourtant...

Marie-Antoinette (s'impatientant, elle vient prendre les photos des mains de Roqueville, y jette un coup d'oeil) : La différence ?... Mais c'est la perruque, voyons; je vais la mettre.

(Elle sort par le fond. Louis va s'asseoir sur un fauteuil où il avait laissé un livre.)

Roqueville (pour meubler) : Est-ce que vous êtes un vrai comte ?

Fersen (fièrement) : 'bsolument.

Roqueville : Et qu'est-ce que vous faites dans la vie ?

Fersen (interloqué) : Rien, rien.

Roqueville (riant) : Vous entretenez la dame ?

Fersen (scandalisé) : Entretenir la Reine ?... Vous perdez la tête !

Roqueville : Ah, d'accord. (A part :) C'est la maquereau.

(Marie-Antoinette rentre avec la perruque.)

Marie-Antoinette : Et comme ça, vous voyez encore une différence ?

Roqueville (regardant les photos tandis qu'elle pose) : Epatant ! Oui, c'est elle ! Vous êtes elle ! Idéal !

Fersen : Dites donc vous n'auriez pas aussi un rôle pour moi ? Fersen par exemple ?

Roqueville : Le rôle principal pour un amateur ? Vous ne manquez pas d'air. Madame, elle, a fait ses preuves au théâtre. (Marie-Antoinette lui fait ironiquement la révérence.) (A Marie-Antoinette :) Vous êtes engagée !

Marie-Antoinette (pratique) : Où est-ce qu'on signe ?

Roqueville (estomaqué, puis riant, sortant le contrat de la poche intérieure de sa veste) : Vous alors... Tenez, là.

Fersen (regardant par-dessus son épaule Marie-Antoinette en train de signer, vivement) : Ne signez pas "Marie-Antoinette " !

Roqueville (riant) : Ah non, ça, c'est le rôle.

Marie-Antoinette (dont le bras s'est arrêté net) : C'est Marie comment, déjà ?

Louis (de son fauteuil) : Marie Dorsaule.

Marie-Antoinette (reniflant avec mépris) : Ah oui.

(Sortant du mur du fond - fait de bandes de tissu qui s'écartent - paraît la princesse de Lamballe, l'air défait, apeuré.)

La princesse de Lamballe : Ah, Majesté ! je n'en peux plus. (Elle se laisse tomber aux pieds de la reine, pâmée.)

Fersen (mécontent de la voir) : Traverser deux siècles pour dire ça, était-ce bien la peine ?

Marie-Antoinette (après un temps de surprise, froidement) : Tiens, Lamballe...

Roqueville : Ah, bravo, elle est magnifique... Vous avez réussi votre coup, je vous engage aussi... Pour jouer la Lamballe.

Louis : Quand est-ce qu'on mange ? Quand est-ce qu'on mange ?

Roqueville : C'est vrai, j'avoue que...

Marie-Antoinette (comme mécaniquement) : Tu sais bien, mon pauvre petit, que Frigo est devenu vide. (A Roqueville :) Excusez-nous, mais nous n'avons plus de quoi le remplir.

Roqueville (gêné) : Mais... si vous le permettez... je fais un saut jusqu'au magasin que j'ai vu au rez-de-chaussée...

Louis (venant jusqu'à lui et le prenant par la main) : Je vais avec vous... pour vous dire ce qu'il faut...

Marie-Antoinette : C'est cela, mon chéri, va avec le monsieur.

Roqueville (surpris) : Ah, bon...

Louis (le tirant) : Allez, venez...

Roqueville (suivant et sortant) : Oui, oui...

Lamballe (revenant à elle) : Je précède le roi.

Marie-Antoinette (agacée) : Aïe.

Fersen : Ah.

(Comme Mme de Lamballe cherche à se relever, il l'aide.)

Mme de Lamballe (regardant autour d'elle) : Drôle d'endroit.

Marie-Antoinette : On a tout. (Allant d'un objet à l'autre :) Un jap, j'ai ! De l'italien ! De l'amerloque ! De l'allemand... solide. Etc... Et même du français. J'ai tout.

Le comte : Non, du rouge, du communiste, vous n'en avez pas.

Marie-Antoinette (mécontente) : J'en aurai... J'en trouverai aux puces.

Mme de Lamballe : Tout cela vaut sans doute une fortune ?

Marie-Antoinette (fièrement) : C'est moi qui ai tout payé... à crédit.

Mme de Lamballe : Les fournisseurs ne pouvaient qu'être honorés de servir une reine de France.

Marie-Antoinette (sceptique) : Oh, ça...

Fersen : Sa Majesté n'a pas jugé opportun de les en informer.

(Louis XVI sort brusquement du fond comme la princesse de Lamballe précédemment.)

Louis XVI (immobile, promenant lentement son regard sur tout pendant que les autres font des révérences ou s'inclinent) : ... C'est mieux que le Temple, évidemment... (Un temps.) Mais ce n'est pas une excuse...

Marie-Antoinette (fièrement) : On n'a pas besoin d'excuse pour vivre heureux au lieu d'être malheureux.

Louis XVI (au comte et à Mme de Lamballe) : J'ai à parler avec la reine. (Ils saluent et sortent - par une porte à droite.) ... Madame, votre remplaçante a essayé de prendre la tête des sans-culotte ! Elle appelle Robespierre son copain et elle organise de grandes fêtes populaires où elle chante sur scène ! Il faut entendre quoi !... Madame, je n'ai rien dit au début, j'ai toujours voulu vous laisser la plus libre possible, mais là ce n'est plus admissible. La dignité royale est bafouée. Notre famille est ridiculisée. Toute l'Europe nous blâme. Les lettres des autres rois me font honte. Tenez, en voici une d'Autriche. (Il la lui donne; Marie-Antoinette y jette un coup d'oeil et fait une grimace.) ... Ah, on aura bonne mine dans les livres d'histoire... (Air de Marie-Antoinette , genre : oh, c'que j'm'en fous) (Louis XVI d'un peu loin d'une voix douce :) Marie, reviens à la maison...

Marie-Antoinette (à moitié pour elle-même, bougonne) : Je me demande bien comment vous avez pu venir par exemple.

Louis XVI (expliquant naïvement) : Lamballe et moi venons faire un petit tour tous les ans pour le salon du bricolage.

Marie-Antoinette : ... Ne me dites pas que vous y êtes allé avant de venir ici !

Louis XVI (gêné) : Oh je mets un costume très neutre, je passe inaperçu, soyez tranquille.

(Rentrent tenant des sachets remplis Louis XVII et Roqueville.)

Louis XVII (apercevant son père et courant à lui) : Papa, papa, que je suis heureux de vous voir.

Louis XVI (le prenant sur ses genoux, l'embrassant) : Et moi donc, Louis. Vous avez envie de rentrer avec moi ?

Louis XVII : Ça non, pas du tout... On est bien mieux ici quand maman a du fric et que Frigo est plein.

Louis XVI : Frigo ?

Louis XVII (montrant Frigo de la main) : C'est lui. Il est froid dedans.

Roqueville (jusque là dépassé par les événements et qui s'est approché) : Je vous engage !... pour jouer Louis XVI.

Louis XVI : Qui est-ce ?

Louis XVII : C'est le monsieur qui remplit Frigo.

Louis XVI : Le grand majordome, en somme ? Et qu'est-ce qu'il y a dans ces sacs ? (Il en prend un des mains de Roqueville et le pose sur les genoux de Louis XVII.) Voyons...

Louis XVII (sortant une tablette de chocolat et la montrant à son père) : Chocolat à croquer... excellent.

Louis XVI (s'en cassant un morceau et se le fourrant dans la bouche) : ... C'est meilleur à croquer qu'à boire... Plus sucré.

Louis XVII (faisant pareil) : A boire, le matin, c'est bon aussi.

Marie-Antoinette (approuvant) : Oui.

Roqueville : C'est bien la première fois que j'achète du chocolat pour dîner.

Marie-Antoinette (gentiment railleuse) : J'espère que vous viendrez nous voir souvent.

(Lamballe ouvre la porte à droite pour regarder.)

Voix étouffée de Fersen : Qu'est-ce qu'ils font ?

Lamballe : Ils mangent.

Voix de Fersen (plus forte; à la fois étonnée et furieuse) : Ils mangent ! (La tête de Fersen apparaît à son tour.) Et qu'est-ce qu'ils mangent ?

Louis XVI (qui l'a entendu, d'une voix forte, railleuse) : Chocolat. Venez donc Fersen, il y en aura bien un peu pour vous. (En même temps il sort un brugnon, reste un instant à la contempler, puis y enfonce les dents.)

Louis XVII : Frigo aime tout : chocolat, brugnons, veau farci... tout.

(Fersen et Lamballe s'étant approchés, le roi casse des morceaux de chocolat et les leur donne. Roqueville contemple la scène avec un mélange de curiosité et de vague inquiétude. La Reine est allée jusqu'à une bibliothèque et en revient avec un livre.)

Marie-Antoinette : Est-ce que Votre Majesté a déjà regardé le destin de Louis XVII ?

Louis XVI (la bouche pleine) : Vous savez bien que je suis opposé à tout ce qui est divination, magie...

Marie-Antoinette : Je voulais dire en visitant le salon du bricolage.

Lamballe (la bouche pleine) : Y a pas ça, je l'aurais vu.

Louis XVI (la bouche pleine, mâchant) : Nous sommes tous dans la main de Dieu; il faut s'en remettre à Lui.

Lamballe (la bouche pleine, mâchant) : 'bsolument.

Fersen (la bouche pleine, mâchant) : Voire.

Marie-Antoinette (s'énervant) : Monsieur Roqueville, voulez-vous raconter la fin de votre film à Monsieur ?

Roqueville : Ah, vous croyez que je vais le décider ?

Marie-Antoinette (railleuse) : On ne sait jamais. Allez-y.

(Elle s'assied royalement pour écouter la diseur d'histoires.)

Louis XVI (la bouche pleine) : Oui, allez-y, Monsieur de Roqueville, je vous écoute.

Roqueville (ironique) : Bien bon. (Se lançant :) En fait dans la fin vous n' êtes plus là, naturellement.

Louis XVI : Ah ?

Roqueville : Nous suivons rigoureusement la vérité historique. Mais on vous voit...

Marie-Antoinette (royale) : La fin !

Roqueville (intimidé) : Oui. Après vos exécutions à tous les deux...

Louis XVI (sombre) : Ah.

Roqueville : Eh ben oui, quoi. Forcément.

Marie-Antoinette : Forcément.

Roqueville : ... Il y a le martyre de Louis XVII au Temple, la maladie, l'abaissement par les rustres, la souffrance, l'avilissement et la mort...

Louis XVI (qui s'est dressé brusquement portant Louis XVII) : Comment ?

Marie-Antoinette (se levant et lui montrant le livre ouvert) : C'est écrit, là.

(Il regarde. Un temps. Il réfléchit.

Roqueville, perdu, se demande vraiment ce qui se passe.)

Louis XVI (très pâle, posant Louis XVII à terre) : J'ai toujours pensé, Madame, que vous étiez une bonne mère... Venez, madame de Lamballe. (Il se dirige vers le fond, elle le suit. Il se retourne, puis disparaît dans le mur, avant elle.)

 

   

TROISIEME TABLEAU

 

 

Même pièce mais avec des éléments différents, visiblement plus riches, plus chers, plus beaux.

Marie-Antoinette (énervée, à Fersen les mains derrière le dos, grave) : Quoi ! Quoi ! La dignité royale !... La dignité royale d'une actrice qui joue les seconds rôles ! Tu me fais rire, Mickey.

Fersen (éberlué) : Hein ?

Marie-Antoinette (lancée) : Je ne vais pas m'emmerder avec des préjugés à la con quand je peux toucher le jackpot.

Fersen (scandalisé) : Mais... comment tu causes, Majesté.

Marie-Antoinette (se reprenant) : Ah... C'est depuis que j'ai remplacé pour le rôle de Madame Sans-gêne... elle déteint.

Fersen : Oh, mais quand même... La dignité !...

Marie-Antoinette (menaçante) : Tu recommences pas, hein !... J'en ai assez d'être critiquée tout le temps.

Fersen (s'approchant, dans un souffle, regardant avec inquiétude autour de lui comme si le roi allait surgir) : Antoinette... Antoinette... arrête... Où allons-nous comme ça ?

Marie-Antoinette (l'embrassant) : A la mairie, mon chéri, je te l'ai déjà dit.

Fersen (désolé) : ... Mais vous ne serez jamais élue, vous rêvez. Refuser des rôles pour cette illusion politique... on manque d'argent à nouveau...

Marie-Antoinette (tendrement) : S'occuper des pauvres a toujours été le meilleur moyen de se remplir les poches... des pauvres et des malades et des retraités...

Fersen (protestant faiblement et revenant à ce qui devait être le début de leur discussion) : De là à déambuler dans les rues en distribuant des photos de vous et en demandant de voter pour vous...

Marie-Antoinette : Je ne peux pas le leur ordonner, en démocratie ça ne se fait pas... (Un temps.) Il faut être plus malin...

Fersen : Il y a des gens qui passent sans vous répondre, à vous !

Marie-Antoinette : C'est le siècle, on n'y peut rien !... Une fois que je serai maire, s'ils me tombent sous la main... ils vont me payer ça.

Fersen : Et puis, quoi, vos adversaires ont raison, vous n'avez pas de programme.

Marie-Antoinette (à la je m'en fiche) : Eux non plus... Et moi, j'ai l'allure de l'emploi... C'est ça qui compte... Les gens savent que de toute façon ils seront roulés dans la farine, alors ils veulent au moins être représentés par quelqu'un qui présente bien.

Fersen : Dans leurs meetings vos adversaires font venir des ministres !

Marie-Antoinette (montant le ton) : Je fais un tabac dans les hôpitaux et les maisons de retraite; ma mère m'a élevée pour que je sois parfaite et réconfortante avec les déshérités, c'est partie intégrante de la fonction royale.

Fersen : Certains multiplient les sous-entendus parce que vous avez été actrice...

Marie-Antoinette : Ils parlent de moi, ils font penser à moi, et moi je ne parle jamais d'eux. Je gagnerai.

Fersen : Oh ! Et vous croyez que c'est malin de répéter que vous ne promettez rien parce que les autres promettent n'importe quoi ?

Marie-Antoinette (se marrant) : Il y en a qui déduisent que je ferai vraiment quelque chose.

Fersen (riant) : Les fous.

Marie-Antoinette : Je gagnerai.

(Entre Louis XVII par la gauche.)

Louis XVII : Maman, il y a des journalistes en bas. Ils ont dit que tu étais en bonne position...

Marie-Antoinette Fersen, triomphante) : Et on commence seulement le dépouillement.

Fersen (ironique) : Vous avez le temps de chuter...

Marie-Antoinette (rageant) : Huuu...

Louis XVII (gravement) : J'ai faim.

Fersen : Quand on est dans un parti, même si on perd, il offre les petits fours.

Louis XVII : C'est rudement bien les partis.

Marie-Antoinette : J'entrerai dans un parti quand je serai élue.

Louis XVII : Ils auront peut-être déjà tout mangé.

Marie-Antoinette (exaspérée) : ... Mais qu'il est con !

Louis XVII (ahuri) : Oh.

Fersen (scandalisé) : Majesté !

Louis XVII (au bord des larmes) : Maman.

Marie-Antoinette (un peu gênée; prenant le ton affectueux) : Petit con. (En accentuant "petit".) (Elle lui tapote la tête, puis se penche et l'embrasse rapidement sur les cheveux.) ... Je gagnerai !

(Du mur du fond sort Marie en grande tenue royale.)

Marie-Antoinette (faisant la grimace) : Allons bon, encore de la visite.

Marie : Ouf. Enfin chez soi.

Marie-Antoinette : Hein ?

Fersen (à part) : Ça va mal se passer.

Louis XVII : La dame, elle ressemble à maman.

(Marie-Antoinette sort d'une poche une barre chocolatée dans son emballage et la lui donne, il part joyeux en courant.)

Marie : Eh bien, plus pour longtemps, je viens rendre mon tablier... si j'ose dire.

Marie-Antoinette (fâchée) : Mais qu'est-ce qu'elle fait là !

Marie Marie-Antoinette) : Ma Majesté vient dire à Votre Majesté : ras-le-bol du XVIIIe siècle.

Marie-Antoinette (conciliante) : Là, d'accord.

Marie (ton scandalisé) : Ils veulent me couper la tête !

Marie-Antoinette (jetant un coup d'oeil du côté de ses livres) : Ça ne m'étonne pas.

Marie : Même le roi a voté contre moi.

Marie-Antoinette et Fersen : Hein ?

Marie : Il a prétendu que dans une république tous les citoyens sont égaux et que, partant, même les rois ont le droit de vote... Il siège à côté de Robespierre.

Marie-Antoinette (se marrant, à part) : Il m'épate, Louis.

Marie : Alors moi, là, non.

(Entre Pileface par le fond.)

Pileface (furieux) : Allons bon, me revoilà ici. Mais qu'est-ce qui se passe !

Fersen Marie-Antoinette) : Ça fait juste un an qu'ils étaient... partis...

Marie-Antoinette (comprenant) : Ah.

Fersen : Votre apparition annuelle en somme.

Pileface (saluant Marie) : Majesté !

Marie Pileface) : Faux-cul.

Marie-Antoinette Fersen) : Il suffit donc de patienter, combien déjà ? Vingt minutes ?

Pileface Marie) : Je sauverai Votre Majesté.

Marie Pileface) : Et ta Lamballe, tu ne l'as pas amenée ? (Criant, à tout le monde :) Il me trompe avec la Lamballe. (Chantant :) Ah ça ira ça ira, A la lanterne...

Pileface (lui coupant la parole fermement et dignement) : Madame de Lamballe et moi allons nous marier.

Marie (s'esclaffant faussement) : Tu lui as dit que tu étais gardien de château ?

Pileface (noblement) : L'ancienneté de ma famille ne fait aucun doute.

Fersen : Absolument.

Marie-Antoinette (à part) : Brave Lamballe.

Marie Marie-Antoinette) : Majesté, tu vois ça ? Rends-moi ma place.

Marie-Antoinette (fâchée) : Hé là !

Marie : J'ai assez fait pour toi. J'ai tout tenté pour que tu échappes à la guillotine, rien n'y a fait, tu étais insauvable.

Fersen : On n'a jamais assez fait pour la Reine.

Pileface : Absolument.

Marie-Antoinette (contente) : Trois voix contre une, j'ai gagné... J'ai la chance dans cette démocratie.

Marie : Que n'ai-je pas essayé pour remonter la pente ! Banquets populaires, soirées italiennes, soirées tahitiennes, défilés de mode, gay pride, jeux de cirque avec de vrais lions, spectacles de gladiateurs, fête de la musique... Je suis allée jusqu'à rencontrer à la Sorbonne les grands penseurs du moment... Voltaire et Rousseau ne sont pas venus...

Fersen : Ils sont morts.

Marie : Ah, ils avaient une excuse valable... J'ai tâché de donner de nous une image d'intellectuelle.

Pileface (à part) : Marie en intellectuelle, faut voir ça...

Marie : Mais la pente était trop dure à remonter...

Marie-Antoinette (vexée) : J'ai rencontré moi aussi dans ma campagne électorale pour la mairie de Paris les grands intellectuels de ce temps et je n'ai eu que de bons articles dans les journaux ! Il est vrai que c'est plus facile quand on a en face de soi Sellers et Minc que devant Voltaire et Rousseau; au XVIIIe je passais pour une gourde, au XXIe je suis une lumière.

Marie : Moi, quand j'ai parlé de libération de la femme et de liberté sexuelle, les intellos m'ont prise pour une folle... Vraiment ils m'ont fâchée.

Marie-Antoinette (curieuse) : Et alors qu'est-ce que vous avez fait ?

Marie (embarrassée) : Je les ai envoyés réfléchir à la Bastille.

Marie-Antoinette : Mais... la Bastille...

Fersen : ... elle est détruite !

Pileface : Elle ne l'est plus.

Marie (embarrassée) : Dans le cadre de mon plan de sauvetage des grands monuments historiques, je l'ai fait reconstruire. (Fièrement :) A l'identique.

Pileface (ironique) : Personne n'a apprécié.

Marie : Il faut conserver les grands témoignages du passé. C'est comme la ligne Maginot...

(Silence.)

Marie-Antoinette Fersen) : Je ne veux pas y retourner !

Fersen : Je crois en effet que ce serait déraisonnable.

Marie-Antoinette Marie) : Et Louis ?

Marie (embarrassée) : Je l'ai déposé.

Marie-Antoinette et Fersen : Déposé !

Marie (embarrassée) : Il n'était pas à la hauteur, tous les historiens l'ont dit.

Marie-Antoinette : Pauvre Louis.

Pileface : Il ne se plaint pas, au contraire. Personne ne parle plus de lui couper la tête, à lui.

Roqueville (entrant par la porte de gauche) : Toujours votre problème de sonn... (Découvrant Marie et Pileface :) Ah !... (A Marie-Antoinette :) Même le film fini, vous continuez de recevoir vos sujets en costume; décidément ç'aura été le rôle de votre vie...

Marie (agitée) : Mais non, Marie-Antoinette, c'est moi.

Roqueville (narquois) : Eh bien je ne vous aurais pas engagée. (Regardant Pileface.) Lui, en Fersen, par contre, bien.

Pileface (rayonnant) : Ah.

Fersen (à part) : Au moins l'honneur de la famille est sauf.

Marie-Antoinette Roqueville) : Mais vous n'êtes sûrement pas venu admirer mes antiquités, mon cher Albert ?

Roqueville : Non, ma chère Antoinette, je suis venu vous avertir que vous êtes en passe d'être élue.

Marie-Antoinette (joyeuse) : Elue !

Fersen : On aura tout vu.

Pileface : Permettez-moi, Madame, d'être le premier à vous féliciter.

Marie : Ça alors ! Et moi ? Qu'est-ce que je deviens ?

Marie-Antoinette (froidement) : Toi, tu te tires au XVIIIe, vite fait.

Marie (indignée) : Pourquoi est-ce que je repartirais ! C'est mon siècle, c'est mon appart. Et là-bas on m'a même pris mon mec. (Regardant Fersen.) Je veux bien garder l'autre.

Marie-Antoinette (fièrement) : L'Histoire m'appelle. La France m'appelle. Je ne vais pas filer me faire couper la tête alors qu'ici on a besoin de moi.

Roqueville (à part) : Mais qu'est-ce qu'elles racontent ?

Marie : J'ai rien fait; j'veux pas mourir, j'veux pas y retourner !

Pileface Marie) : Je vous sauverai, Majesté.

Marie : Le mariage à trois ce n'est pas mon affaire.

Fersen (regardant Roqueville d'un sale oeil) : A moi non plus.

Marie-Antoinette Roqueville) : Dites donc, mon cher Albert, on va avoir du monde, malheureusement Frigo est vide. Vous ne pourriez pas...

Roqueville (comprenant) : ... aller jusqu'au magasin en bas de l'immeuble. Mais bien sûr.

Marie-Antoinette : Je vous revaudrai ça dès que je serai installée à l'hôtel de ville.

Roqueville (à part) : J'y compte bien.

Louis XVII (réapparaissant et qui a dû écouter) : Je peux venir ?

Marie (l'apercevant et se précipitant sur lui) : Ah ! Un otage ! Il faudra bien qu'elle s'exécute... si j'ose dire. (Il lui échappe de peu, elle court pour le rattraper, Fersen lui coupe la route, Marie-Antoinette s'interpose.)

Marie-Antoinette : Madame, c'est indigne même d'une remplaçante de seconde zone.

Marie (furieuse) : Seconde zone, seconde zone ! Quand on remplace une majesté tocarde, même une géniale ne peut pas sauver l'état.

Marie-Antoinette (furieuse) : Oh, mais elle commence à me les casser ! Retourne à tes soirées tahitiennes avec Robespierre !

Roqueville Louis XVII) : Viens mon petit, allons nous occuper de Frigo.

Marie (en même temps, à Marie-Antoinette) : I veut plus.

Louis XVII Roqueville en sortant) : Ma console de jeux aussi, elle a faim.

Marie-Antoinette (rassurée par le départ de l'enfant, changeant de ton, à Marie) : Allons bon, comment ça se fait ?

Marie (en larmes) : C'est un coup de l'Etre suprême qui lui a dicté Son Livre, avec des tas de préceptes.

Fersen (à part, se moquant) : Encore le coup du Livre.

Pileface (à part, se dirigeant vers le mur du fond) : On doit approcher du moment...

Marie-Antoinette (qui le voit faire au contraire de Marie qui lui tourne le dos, d'un ton faussement apitoyé) : Et l'Etre suprême n'aime pas les colliers de fleurs...

Marie (en larmes) : Il dit que l'hiver c'est trop cher quand les pauvres meurent de faim.

Marie-Antoinette : Ils n'ont qu'à manger des fleurs... après les cérémonies.

Marie (rassérénée) : C'est vrai, ça.

Fersen (approuvant gravement) : Eh oui.

(Pileface tête le mur d'une main, jette un coup d'oeil vers Marie et brusquement traverse.

Marie-Antoinette s'écarte aussitôt de Marie qui tourne la tête vers le mur en comprenant trop tard tandis qu'elle est aspirée malgré elle.)

Marie (hurlant, à Pileface qu'on ne voit plus) : Traître, traître ! (A Marie-Antoinette :) C'est injuste, je ne suis pas toi !

(Elle disparaît.)

Marie-Antoinette (pâle) : C'est injuste, mais l'autre histoire était injuste aussi... J'ai appris au moins une chose en deux siècles : l'essentiel c'est de ne pas subir.

Fersen : Elle me fait de la peine.

Marie-Antoinette (le regardant en coin, méchamment) : Tu peux la rejoindre si tu veux.

Fersen (familièrement) : T'es bête.

Marie-Antoinette : Hein ?

Fersen : Oh pardon... T'es bête, Majesté. (Il l'embrasse sur les lèvres.)

Marie-Antoinette (se dégageant) : Ouais.

Roqueville (rentrant avec des sachets de plastique pleins de gâteaux et de bouteilles, suivi de Louis XVII aussi chargé) : Antoinette ! Ça y est, vous êtes élue ! Vos colistiers arrivent et les journalistes me suivent !

Marie-Antoinette (triomphante) : Ah ! Je savais que j'étais faite pour ce siècle ! Paris, je te retrouve ! (Changeant de ton :) Il a bonne mine, Robespierre.

Roqueville : Qui ?

Fersen : Franchement je n'aurais pas cru.

Marie-Antoinette (l'embrassant sur les lèvres) : Tu vois que tu as tort de ne pas avoir assez confiance en moi.

Louis XVII (qui a gravement posé ses sachets et a ouvert un paquet de gâteaux, la bouche pleine) : Alors on aura des gâteaux tous les jours désormais ?

Marie-Antoinette Louis XVII, affectueusement) : Bien sûr. Et Frigo va déborder.

Roqueville : La mairie de Paris, mais c'est merveilleux, c'est la cinquième place en importance dans l'état.

Fersen : Va y avoir du travail.

Roqueville : C'est la voie royale.

Fersen : Va falloir apprendre à gérer une ville, maintenant.

Marie-Antoinette : Maintenant... Maintenant, j'ai d'autres échéances électorales en vue... Maintenant... à l'Elysée !

 

                                                QUATRIEME TABLEAU

 

 

Le grand salon d'apparat de l'Elysée.

P'tit Valy : Allez Pompi, allez Mité, faut frotter, faut qu'ça brille; la nouvelle locataire va arriver. Vous devez lui livrer un Elysée impec. Une femme, en plus, vous pensez si elle a l'oeil. Là, là, Pompi ! c'est pas net, là ! Mité, astique j'te dis, frotte, de l'huile de coude, tu te crois encore président ma parole, plus fort... plus vite... allez, allez !

Marie-Antoinette (entrant, suivie de Fersen) : C'est cossu ici, c'est beau. (A Fersen :) T'es sûr que je ne peux pas plutôt m'établir à Trianon ?

Fersen : Y aurait des critiques.

Marie-Antoinette : Oui, je vais attendre un peu.

P'tit Valy : Bonjours, Madame Antoinette la présidente. Je suis P'tit Valy, celui qui dans la maison dit aux autres de faire.

Marie-Antoinette (tombant dans le panneau) : De faire quoi ?

P'tit Valy : Tout ce que vous voulez. Dans notre démocratie vous êtes la reine. Je peux baiser la menotte ?

Marie-Antoinette (interloquée mais lui donnant sa main à baiser) : Et ceux-là qui sont-ils ? (Elle regarde Pompi et Mité.)

P'tit Valy : D'anciens présidents... qui doivent travailler ici pour rembourser l'argent gaspillé... sont pas près de partir... en somme ils font partie des meubles.

Marie-Antoinette : Alors on ne peut pas les renvoyer ?

P'tit Valy : Maintenant non. Quand ils étaient présidents on aurait pu.

Fersen : Est-ce qu'ils savent vraiment faire quelque chose au moins ?

Pompi (s'approchant) : Je peux baiser la menotte ?

Marie-Antoinette (donnant sa main à baiser) : Vous me semblez bien âgé, mon brave, pour exécuter ces tâches domestiques.

Pompi : L'âge ce n'est rien... mais pensez que j'ai été roi de France de 1969 à 1973...

Marie-Antoinette : Oh, c'est dur...

Pompi : Surtout que ma famille, d'un côté, a eu une ascendance noble...

Mité (intervenant) : Moi aussi, j'ai eu de la noblesse quelque part dans mon ascendance. Je peux baiser la menotte ?

Marie-Antoinette (lui donnant se main à baiser) : Vous fûtes roi à quelle époque ?

Mité : Quatorze ans j'ai tenu, quatorze ! 80-94. Ah je l'ai eue, la belle vie; tout le monde à plat ventre, les belles filles à gogo, les soirées les plus chics de la planète... Ah, Madame Antoinette la présidente, évite de gaspiller, regarde où nous sommes tombés.

Fersen : Oui, quelle leçon. C'est épouvantable.

Pompi (vexé) : Qui c'est, celui-là ?

Marie-Antoinette (très naturellement) : C'est mon consort.

Mité (pour vexer) : Une potiche, quoi. Moi je refuse qu'il me donne des ordres.

Pompi : Moi aussi.

P'tit Valy (élevant la voix) : Vous ferez ce que l'on vous dira ! Allez, au travail, allez. Astiquez ! Ferme ! (A Marie-Antoinette :) Des nobles, quelle blague... Moi par contre je suis d'une ancienne famille; un de mes ancêtres fut proche de Louis XV.

Fersen (intéressé) : Vraiment ?

Mité (qui retourne travailler) : Il est comme nous ici !

Pompi (se remettant au travail) : Un ancien roi déchu !

Marie-Antoinette (regardant P'tit Valy) : Ah bon ?

P'tit Valy (fâché) : Mais moi j'commande à tous les autres dans le palais. Frottez ! Allez, allez, on astique. (Les autres s'exécutent en maugréant. A Marie-Antoinette :) J'ai juste réalisé quelques gaffes financières... des grosses.

Marie-Antoinette : Et qu'est-ce que vous faisiez avant d'être président ?

P'tit Valy : J'étais expert en économie...

Fersen (bas, à Marie-Antoinette) : Je voudrais rentrer dans notre petit F3.

Marie-Antoinette (bas, à Fersen) : Ta gueule, trouillard.

P'tit Valy : Si jamais, un jour, vous avez besoin de conseils...

Fersen : Enfin, on ne guillotine plus...

P'tit Valy : J'adore donner des conseils.

Marie-Antoinette : Bien, bien. Retirez-vous.

P'tit Valy (vexé) : Ah bon ? (Partant :) Elle m'a l'air de sortir de sa campagne, la mémé. Aucune éducation.

Marie-Antoinette : Et emmenez vos hommes de ménage.

Mité (vexé) : Homme de ménage ! On dit "Monsieur le président", le titre reste.

Pompi (fatigué) : On ne frottera plus, c'est toujours ça.

(Ils sortent.)

Marie-Antoinette Fersen) : Oh mon minet, prends-moi sur tes genoux, embrasse-moi.

Fersen (qu'elle pousse vers un divan) : Si on se faisait montrer la chambre plutôt ?

Marie-Antoinette (s'installant sur ses genoux; très naturellement) : Non, j'attends du monde.

Fersen (ironique) : Oh alors... on pourrait s'allonger carrément sur le divan...

Marie-Antoinette (l'embrassant) : T'es bête, minet.

Fersen : Et qui attends-tu ?

Marie-Antoinette : Des journalistes.

(Roqueville et Louis XVII entrent.)

Roqueville : Vous auriez pu prévenir à l'entrée que vous avez un imprésario et un enfant. On ne voulait pas nous laisser passer.

Louis XVII (courant à sa mère) : C'est super ici, maman. T'as bien fait de redevenir reine.

Marie-Antoinette : On dit présidente, mon chéri.

Louis XVII : C'est bien mieux qu'au Temple sur les images. (Il est dans les bras de sa mère.)

Marie-Antoinette (l'embrassant) : Depuis que j'ai pris les choses en main, on a fait du chemin.

Louis XVII : Ça oui.

Roqueville : Franchement vous m'épatez.

Fersen : Antoinette sait causer aux sans-culotte.

Roqueville : Quand vous avez promis de la brioche à tout le monde...

Fersen Marie-Antoinette) : Cette manie.

Roqueville : ... ça m'a rappelé une phrase que vous disiez au cinéma...

Marie-Antoinette Fersen) : J'avais deux siècles d'avance, voilà tout.

Roqueville : C'était risqué mais c'était fort.

Marie-Antoinette : En début du XXIe siècle je n'allais pas promettre du pain, je n'aurais pas eu une voix.

Louis XVII : Moi j'aime la brioche et j'aime maman.

Marie-Antoinette : Dans l'autre ordre, j'espère. (Air dubitatif de Louis.)

Roqueville (s'asseyant) : Ici, au moins, je n'aurai plus besoin d'aller faire les courses.

P'tit Valy (rentrant) : Madame Antoinette la présidente, les anciens présidents refusent de laisser entrer les journalistes sous le prétexte qu'ils ont les pieds sales. Pompi dit qu'il n'a pas nettoyé pour qu'on salisse et Mité refuse de frotter s'ils crottent la moquette.

Marie-Antoinette : Ils n'iraient pas jusqu'à se mettre en grève tout de même ?

P'tit Valy (hésitant) : Quand on connaît leur passé on sait qu'ils sont capables de tout.

Marie-Antoinette (se levant) : Bon sang, une grève à L'Elysée le jour de mon arrivée, ça la foutrait mal.

Fersen : Retournons dans notre F3...

Marie-Antoinette : Ta gueule, chéri...

Louis XVII : Oui, ta gueule, le consort. C'est maman qui décide.

Marie-Antoinette (en rage) : Ils me paieront ça les ganaches.

Roqueville (bien assis) : Il suffit de trouver une réponse appropriée à la situation.

Marie-Antoinette (lui jetant un regard noir, d'un air menaçant) : Rocky, tu sais que tu as de la veine d'être riche...

Roqueville (d'une petite voix) : Oui, je sais.

Marie-Antoinette (éclatant) : Et merde, merde ! Foutue démocratie. A quoi ça sert de redevenir reine si on peut m'emmerder comme ça !... (Se ressaisissant :) Non. Soyons diplomate... (Respirant fort :) Ah... Oui, c'est ça... On va aller faire des photos sur le perron comme pour la présentation du gouvernement... et je répondrai aux questions en même temps... Allez, venez tous, allez, allez;

(Tous sortent avec elle, sauf P'tit Valy qui la salue au passage hypocritement et servilement.

Mité et Pompi qui écoutaient à une autre porte rentrant.)

Pompi : Bravo Mité, on l'a bien embêtée.

Mité : "Homme de ménage", non mais.

P'tit Valy : Elle ne m'a même pas demandé un conseil, la mémé.

Tous les trois (chantant ensemble) : Ah ça ira, ça ira, la présidente à la lanterne, ah ça ira, ça ira, l'Antoinette elle ne nous aura pas. You !

(Brusquement du mur du fond sort le président De Gaulle.)

De Gaulle (entrant; solennel, écartant les bras) : Me revoilà !

Pompi : Allons bon.

Mité : Manquait plus qu'lui.

P'tit Valy : Tonton, c'est mon tonton.

De Gaulle (s'avançant) : France, je reviens pour te sauver.

Mité : C'est pas la peine, je m'en occupais justement.

Pompi : Oui, Mité s'en charge. Vous pouvez vous en retourner.

P'tit Valy : Tonton, l'Antoinette tu n'en feras qu'une bouchée.

De Gaulle (regardant les lieux) : Content de rentrer chez moi.

P'tit Valy : Ton chez toi, une femme l'occupe.

De Gaulle (en amateur et conquérant) : Elle est comment ?

Mité : Sans éducation.

Pompi : Les halles au pouvoir.

P'tit Valy : Elle jure comme on faisait des promesses, elle n'a aucun sens de la dignité de la fonction; à côté Nixon aurait paru bien élevé.

De Gaulle : Comme je l'ai écrit : veni, vidi, vici. Votre Antoinette je vais lui parler, la convaincre... et elle me rendra ma place.

Mité (sceptique) : C'est une mauvaise...

De Gaulle : Toutes les femmes ont été impressionnées en ma présence. En plus l'uniforme...

Pompi : A un général...

Mité (insidieusement) : ... un vrai...

Pompi : ... qui s'écriait : Respectez au moins mon uniforme ! Elle a répondu : ...

Mité : ... Voyez plutôt ma couturière. (Il se marre.)

P'tit Valy (qui est allé regarder par une fenêtre) : Et il faut la voir avec les journalistes. Elle a toute la presse pour elle.

De Gaulle (toujours suffisant) : De quel côté est cette Antoinette ? De gauche ou de droite ?

Mité (ricanant) : Elle est comme nous tous, elle varie suivant les interlocuteurs et les circonstances.

Pompi : Elle peut dire n'importe quoi.

P'tit Valy (qui a des regrets) : Mais avec elle ça marche.

De Gaulle : Une vraie pro, quoi.

Mité (ricanant) : Y a des chances qu'elle finisse comme nous.

De Gaulle (hautain) : Comment "comme nous" ! Comme vous ! Moi je suis l'envoyé, je reviens pour le pays, pour la France !

Mité (ricanant) : On va voir ça.

De Gaulle : Je restaurerai la grandeur de la nation, la puissance de sa langue, l'universalité de sa culture.

Mité (ricanant) : Les G.I., l'amerloque-bizness et les hamburgers n'ont qu'à bien se tenir.

(Marie-Antoinette paraît à une porte de gauche. Elle a l'air furieuse.)

Marie-Antoinette : A nous, les nains, on va régler les comptes.

Pompi (bravement) : Nous demandons une augmentation.

Mité : Nous exigeons !

Marie-Antoinette (furieuse) : Ah oui ! Tonnerre de dieu de petits cons. Je vais vous flanquer la rouste de votre vie, moi. (Elle arrache une embrasse de rideau et se met à les frapper et à les poursuivre.)

P'tit Valy : Pas moi, Madame Antoinette la présidente, je n'ai pas comploté, je n'ai rien fait.

(Elle les force à sortir tous les trois, puis jette l'embrasse.)

Marie-Antoinette : Racaille !

De Gaulle (admiratif) : Quelle autorité !

Marie-Antoinette : Vous êtes qui, vous ?

De Gaulle : Général De Gaulle.

Marie-Antoinette : Mon aide de camp ?

De Gaulle : Hein ? Comment ? Je suis dans tous les livres d'histoire, Madame.

Marie-Antoinette : Et moi j'en sors. D'ailleurs je n'ai guère le temps de lire.

De Gaulle : J'ai sauvé la France.

Marie-Antoinette (ironique) : Merci pour moi. Sa présidente vous en remercie. Maintenant tire-toi. Ah, que j'ai chaud. (Elle s'effondre dans un fauteuil.)

Roqueville (apparaissant à la porte) : Dites, j'ai donné l'ordre de servir un goûter au petit dans la salle à manger; et à nous tous en même temps. Vous venez ? (Apercevant le général :) Oh ! (A Marie-Antoinette :) Toujours votre goût de l'Histoire. (Examinant en professionnel :) Aussi vrai que vous en Marie-Antoinette. (Repartant :) Bon, on ne vous attend pas.

De Gaulle (de plus en plus déconcerté) : Il ne m'a même pas salué... même pas dit toute son admiration...

Marie-Antoinette (narquoise) : Vous apprendrez vite qu'ici, pour un personnage historique, l'urgence c'est de ne pas le rester.

De Gaulle : Mais enfin j'ai été renvoyé sur cette terre, en ce siècle, parce que la France a besoin de moi !... Voyons, qu'est-ce que vous allez faire pour le franc ?

Marie-Antoinette (narquoise) : Y a plus.

De Gaulle : Ah ?... Pour l'indépendance nationale ?

Marie-Antoinette (narquoise) : Y a plus.

De Gaulle (interloqué) : Pour une armée puissante basée sur la conscription comme preuve d'adhésion nationale ?

Marie-Antoinette (narquoise) : Y a plus et y a plus.

De Gaulle (perdu) : Alors quoi ?... Vous allez bien avoir des lois à faire voter ?

Marie-Antoinette (se levant) : A Strasbourg.

De Gaulle : Vous allez bien avoir des règles et des règlements à décider ?

Marie-Antoinette : A Bruxelles.

De Gaulle : Mais qu'est-ce qu'il reste, bon sang !

Marie-Antoinette (campée bien en face de lui) : Marie-Antoinette la présidente.

(Un temps.)

De Gaulle (s'asseyant, effondré) : Alors je suis mort ?...

Marie-Antoinette : Faites comme moi. Adaptez-vous.

De Gaulle : M'adapter ?

Marie-Antoinette : C'est le mot de ce siècle. S'a-dap-ter.

De Gaulle : Je ne me vois pas garagiste.

Marie-Antoinette : Tenez, je peux à la rigueur vous proposer la place du premier ministre, il m'en faut forcément un et tout le monde se demande où je vais bien pouvoir le dénicher.

De Gaulle (un peu rasséréné) : Je vous sauverais en quelque sorte ?

Marie-Antoinette (agacée) : Ne rêvez pas. Je finirais bien par en dégoter un. (Engageante :) Mais vous faites mon affaire. Je vous présenterai comme un descendant de l'illustre général, ce qui expliquera la ressemblance et me conciliera des nostalgiques de la grandeur passée. Hein ? Qu'est-ce que t'en dis ?

De Gaulle : J'aimerais mieux redevenir président.

Marie-Antoinette (agacée) : C'est pris.

De Gaulle : A défaut, j'accepte... Pour le bien général.

Marie-Antoinette (contente) : Parfait. Et n'oubliez pas que j'ai promis de la brioche à tout le monde.

Louis XVII (rentrant, un gâteau à la main) : Maman, maman, ici Frigo est toujours plein.

Roqueville (qui le suit) : Je vous le ramène pour lui éviter une indigestion.

Fersen (qui suit, un gâteau à la main) : La place de présidente a du bon.

Louis XVII : Ouais. Dis, maman ? Est-ce que j'hériterai de la présidence quand je serai grand ?

Marie-Antoinette : Bien sûr, mon chéri. Nous sommes dans une démocratie civilisée. Les citoyens ont toujours besoin de gens comme nous.

Roqueville : Ils ont besoin de se sentir aimés.

Fersen Marie-Antoinette) : Tout de même Antoinette, des fastes de Versailles aux bals populaires pour ramasser des voix...

Marie-Antoinette (railleuse) : Mais quasi du Temple à l'Elysée... (Gentille, câline :) Chéri connard, va.

Fersen : Mais tu causes même comme eux, maintenant !

Marie-Antoinette (tendant la tête pour lui grignoter un morceau de son gâteau dans sa main) : C'est possible, mon amour, mais cette fois, au moins, j'ai sauvé ma tête. (Elle l'embrasse sur les lèvres.)

 

 

                                                                      FIN