FORCE RESTE A LA LOI

 

Une grande pièce de réception avec de nombreuses portes-fenêtres à rideaux rouges. Quelques fauteuils, chaises, tables et un bar, mais l'espace central est vide, peut-être utilisé  habituellement pour danser. Impression de luxe d'autrefois, façon XIXe. Entrée principale, double porte, vers la salle côté droit; autres portes au fond, à droite et à gauche.

 

La scène reste vide un court instant.

Entre Lisa (porte du fond à gauche), en somptueuse robe de soirée rouge, les mains, les avant-bras, rouges de sang. Elle paraît égarée.

Lisa : Encore un... J'ai pas de chance... Les hommes ne sont pas solides, Dieu n'a fait que des petites natures... J'avais pourtant mis la belle robe... hein ? elle est belle ?... Volée exprès pour la circonstance, chez Dior... Quand un type me plaît et qu'il m'invite, je ne lésine pas... je vole ce qu'il y a de mieux... Regardez la coupe, le long des hanches, de la cuisse, du mollet... Ah, c'est beau... Et le décolleté, vous aimez ?... Tout ça, pour rien.... Il est mort... (Un temps.) Il l'avait bien mérité... Aucun respect pour la belle robe... C'est à cause du couteau... du couteau avec lequel je l'ai tailladé... qu'il est mort... (Un temps.) Avant, il était vivant... (Un temps.) Après être mort... il était mort... A chaque fois je trouve cela bizarre... (Un temps.) En tout cas ce fut bien sa faute. J'étais pleine de bonne volonté... pour des expériences croustillantes. (Petit rire.) J'étais venue pour ça. (Petit rire.) Faire des trucs pas possibles et pas bien, comme dans les films dégueulasses... Mais j'aime pas qu'on me touche... Je ne supporte pas... C'est pour cela que je n'ai pas de pratique... Pour la théorie, bon, là je pourrais parler des heures, mais la pratique... Ils meurent avant... (Un temps.) Une robe de près de 200 000 francs !

Gros tas (en tenue de gendarme, entrant brusquement par la porte côté salle et la voyant, pas vraiment surpris) : Ah.

Flicaille (même tenue, entrant juste derrière lui) : Trop tard.

(Un temps.)

Lisa (qui ne semble pas étonnée de les voir) : Comment trouvez-vous la robe ? (Elle fait gaiement un petit tour sur elle-même pour la montrer.)

Gros tas : Elle est comme faite pour toi, Lisa. Le couturier avait dû te voir en rêve.

Flicaille : Y a pas deux flics pour porter la robe comme ça.

Gros tas : Oui. Tu es la libellule de la gendarmerie.

(Lisa est toute confuse sous les compliments.)

Flicaille : Libellule : ordre des ordonates. Appelée parfois agrion ou demoiselle. Larve aquatique de cinq centi...

Gros tas (au public) : C'est à cause des mots croisés... Au lieu de se contenter du nombre de lettres, pour s'instruire il s'est mis à lire les définitions...

Flicaille : Puis à les apprendre.

Gros tas : Il se fait mal.

Flicaille : Un jour je serai aussi instruit que le dictionnaire.

Lisa (l'embrassant sur le front) : Pauvre Flicaille, un jour il dirigera la Bibliothèque de France.

Flicaille (timide) : Attention, tu vas salir...

Lisa (brusquement, ton ferme) : Voici les faits. Un odieux individu aux yeux pervenche, tendres, câlins, un blondinet aux beaux pectoraux, un sinistre individu à la voix chaude (Elle se pâme.), caressante (Elle soupire à fendre l'âme.), une voix entre des lèvres pulpeuses, avides (Elle semble prête à défaillir.), avec une langue longue, effilée... des bras d'athlète, qui vous enlacent avec force, avec fougue (Elle mime la scène en parlant.), ah... et le reste... je l'ai déshabillé complètement après sa mort prématurée, comme tout de lui était bien fait... un beau gars du haut en bas... eh bien il est mort quand même...

Gros tas (qui s'est assis pour écouter) : Moi, ça ne m'étonne pas.

Flicaille (s'asseyant) : Avec toi il n'en meurt jamais d'autres... Souviens-toi par exemple de celui de la rue Michelet...

Gros tas : Rien que des filles superbes à son enterrement. Pas un homme.

Lisa (qui s'est reprise) : Voici les faits... Deuxième essai... Le type dans une cadillac standard me suivit lors de mon footing matinal. Ça l'amusait. J'étais en civil, évidemment. Moi, demi-tour; je marche sur la voiture; je cogne à la vitre, il la baisse. Ah, mon Dieu qu'il était beau !

Flicaille : Oui, on sait déjà.

Lisa (en extase) : Des yeux pervenche sous le blond des cheveux d'ange...

Gros tas : Passons.

Flicaille : Qu'est-ce qu'il a fait le salaud ?

Lisa : Il a dit qu'il ne me suivait pas, mais que sa boîte de vitesse venait de casser...

Flicaille : Tu parles.

Lisa : Si. Quand je suis montée dans la voiture, j'ai bien constaté... au lieu d'aller chez lui, on est allé au garage...

Gros tas : Pour une jeune fille c'est vexant.

Lisa (au bord des larmes) : Je ne savais plus où me mettre... alors je me suis mise dans ses bras... pour qu'il me réconforte.

Flicaille : Et alors ?

Lisa (canaille) : Il faisait cela très bien.

Gros tas : Quelle ordure !

Flicaille : Il abusait de ta fragilité psychologique.

Lisa : Bof, abuser, pas moyen de le faire abuser. Il répétait : y a du monde, attention, y a du monde... Beau, mais timoré.

Flicaille : Alors ?

Lisa : Alors ? J'ai pris rendez-vous avec lui pour aujourd'hui.

Gros tas : Le salaud.

(Sort du mur de gauche vers le fond - en toile fendue ici - un jeune homme blond aux yeux pervenche.)

Le Mort : Soyez poli, dites donc.

Flicaille (fataliste et pas surpris) : Ah.

Gros tas (pas surpris non plus) : Allons bon.

Le Mort : Est-ce que je peux suivre l'enquête ?

Lisa (au public, le détaillant avec satisfaction) : Vous avez vu les biceps ? Montre tes biceps, mon p'tit mignon. Et les pectoraux ? Vous avez vu les pectoraux ? Soulève ta chemise pour qu'ils voient... ma gourmandise. Et ses fesses, vous avez vu...

Gros tas : Ça va, Lisa !... Il est mort...

Flicaille : "O marâtre nature, Puisqu'une telle fleur ne dure"...

Lisa (au bord des larmes) : Tout ça ne servira plus...

Le Mort Gros tas) : Je m'appelle Daniel Lipchine, vous pouvez dire Daniel.

Gros tas : La Police n'appelle pas les morts par leurs prénoms.

Lisa : Dany, mon chéri, tu ne seras pas seul, rassure-toi, je te présenterai à mes autres morts. Tu pourras résider chez moi tant que tu voudras.

Flicaille : Je vous préviens que ça devient peuplé chez elle.

Daniel : Je vais peut-être vous paraître mesquin, mais j'aimerais bien voir condamner mon assassin.

Gros tas (cynique) : Cas fréquent chez les assassinés.

Flicaille : Encore un crime de rôdeur, probablement.

Lisa (plantée devant Daniel, les yeux dans les yeux) : Je trouve ta demande incorrecte. Et la galanterie française ! Un homme qui a entraîné chez lui une jeune fille pour lui faire des choses... qu'il ne lui a même pas faites, c'est un salaud...

Gros tas (approuvant) : Ah, qu'est-ce que je disais...

Lisa : Au moins que son comportement post mortem rachète sa vie.

Flicaille (admiratif) : Ce qu'elle raisonne bien.

Gros tas : Moi elle m'a convaincu.

Daniel : ... Eh bien, je persiste. J'exige que justice soit faite. Un mort a des droits et je vous le ferai savoir. Non mais... Une enquête doit être diligentée dans les règles, les indices sont assez nombreux pour identifier la coupable, elle sera arrêtée, jugée, emprisonnée... Et elle aura des regrets !

Lisa : Oh ! hé ! Faut  pas exagérer. De beaux types, y en a d'autres !

Gros tas : Les morts potentiels sont nombreux.

Flicaille (diplomate) : Des regrets elle en a déjà eu. Il y aurait redondance.

Daniel (se fâchant tout rouge) : Vous ne vous en tirerez pas comme ça ! J'ai des relations ! Deux ex-femmes ! Trois enfants adultes qui connaissent le droit !

Lisa : Je vais aller mettre mon uniforme, ça fera plus sérieux pour enquêter. Je l'avais apporté pour le cas où...

(Elle a attrapé un sac de dame grande taille bien plein qui se trouvait vers l'entrée et sort par le fond à gauche.)

Gros tas (attendri) : Comme elle est prévoyante.

Flicaille (admiratif) : C'est un cerveau. Elle finira à l'Académie française.

Daniel (découragé, va s'asseoir au bar) : Au lever tout allait bien, j'étais même de bonne humeur. Cette journée me donnait pleine satisfaction. Pas un problème. Pas une ombre... Et puis je suis mort...

Flicaille : Il était peu de chose quand même.

Daniel : Il faisait beau.

Gros tas : Mais il fait toujours beau...

Daniel : J'avais la tête farcie de projets.

Flicaille : Repos.

Gros tas (venant vers Daniel, familièrement) : Ecoute, tué récent... ne fais pas un drame de ta mort... Tu n'es pas le premier à mourir; des assassinats il y en a tous les jours... Et tu crois que les revenants s'installent dans les commissariats jusqu'à ce que justice soit faite ? On ne saurait plus où mettre les vivants... Pour que tu comprennes mieux, je vais te raconter Lisa... (Un temps. Recueillement.) Je la vois encore quand elle entre pour la première fois chez nous entre les voleurs, les criminels, les putains, les dingues, dans le vacarme, les cris des uns pour protester, les cris des autres pour crier, et les cris des gendarmes pour les faire taire, elle était une fée qui vient rendre au réel l'aspect qu'il devrait avoir. Elle est venue à moi comme vers un élu et m'a dit : "Je suis mutée ici, ça boume mon gros ?"... Sa voix était musique, son sourire avec la fossette au coin des lèvres était douceur... J'ai fait vider mon bureau et je l'y ai installée quoiqu'elle soit en bas de l'échelle, pour lui éviter la promiscuité avec les êtres ordinaires et encore en-dessous, et je lui ai donné Flicaille comme aide de camp.

Flicaille (fièrement) : Poste d'honneur qui m'élève à mes propres yeux.

Gros tas : Les Anges descendent parmi nous, malheur à ceux qui ne les reconnaissent pas !

Daniel (qui s'est rapproché) : Et quand elle a commencé de tuer, cela ne vous a pas étonné de la part d'un ange ?

Gros tas : A vrai dire, un peu, si... Mais j'ai vite compris que l'état de notre monde était responsable, qu'il lui faisait perdre son équilibre mental... que tout cela correspondait à un but caché et que moi j'étais chargé de veiller sur l'Ange...

Lisa (rentrant, en habit de gendarme, sac d'une main, robe de l'autre) : Ah, zut, salaud de mort. Regardez ! Il a taché la belle robe... comment est-ce que je vais faire pour l'échanger...

Flicaille (interloqué) : Pour l'échanger ?

Lisa (canaille) : J'en voudrais une avec un plus grand décolleté... jusque là. (Petit rire excité.)

Flicaille (épaté) : Elle n'est pas croyable. Elle en a à peine tué un qu'elle pense déjà au suivant.

Lisa (très "vierge") : Pourquoi "tuer" ? Toutes les jeunes filles rêvent du prince charmant. (Elle commence de ranger la robe dans le sac.)

Gros tas (approuvant) : Ah... Tu le trouveras un jour, Lisa, tu le mérites, tu l'as assez cherché.

Lisa : Est-ce que le mort a avoué ?

Daniel (ahuri) : Hein ?

Gros tas : Pas encore. Je commençais juste de lui expliquer.

Flicaille : Il n'a pas l'air conscient de ses responsabilités.

Lisa (toisant Daniel) : Mon pauvre julot, quand on veut se taper des pucelles, on essaie de se montrer à la hauteur, on assume les conséquences, et voilà.

Daniel (ahuri) : Et voilà quoi ?

Flicaille : On essaie de vous faire comprendre où est votre devoir.

Daniel (ahuri) : Mon devoir ?

Gros tas : Une lettre du mort, écrite avec son sang, expliquant qu'il a été grièvement blessé par un rôdeur... et qu'il en profite pour s'achever... bref un suicide... à 20-30 %... ça ferait bien.

Flicaille (approuvant) : Oui... Et ce serait d'un gentilhomme.

(Daniel éberlué se tait. Bref silence.)

Lisa (énervée) : Mais il s'en fout ! Regardez-le ! C'est un sale égoïste. Aïe aïe aïe, sur qui je suis tombée !

Flicaille : Tu les choisis beaux, mais sans élégance morale.

Gros tas Daniel) : Un bon mouvement... Pensez à l'avenir de votre assassin.

Daniel (furieux) : C'est au mien que je pense !

Lisa (farceuse) : Y en a plus...

Flicaille (farceur) : Si, sur ta lettre d'adieu, tu pouvais me léguer ta belle voiture...

Gros tas Lisa et Flicaille) : Alors !  Je  l'écris  sa  lettre, ou pas ?

Daniel : Et la justice ! Et la morale ! Et le droit !

(Bref silence.)

Lisa (en larmes) : Il a raison, je suis horrible. Je suis une coupable, une vilaine fille...

Flicaille (tout triste) : Te laisse pas complexer, Lisa.

Gros tas (venant lui donner les bonnes tapes dans le dos) : C'est jamais qu'un sale mort de plus... Toi, tu es un ange; tout s'expliquera un jour... pourquoi tu as fait ce que tu as fait, pourquoi tu as bien fait de mal faire... Reste rationnelle. Ne te laisse pas perturber par un contestataire post mortem.

Lisa (un peu rassérénée) : Vous croyez que je suis toujours du bon côté ?

(A ce moment, un des placards s'ouvre (mur gauche). En sort Seins de Noël : une poitrine magnifique, ronde (boules de Noël), nue, avec de jolies guirlandes - la poitrine fait disparaître les épaules et descend jusqu'aux genoux de l'actrice, la largeur est en proportion, de ce fait la tête qui dépasse et les jambes paraissent minuscules.)

Seins de Noël : Il a tâté, il a joui, il nous a enfermés, c'est un danger public. Nous portons plainte pour détention. Sommes-nous à Noël ? Pouvez-vous nous donner la date ?

(Un autre placard s'ouvre, plus haut dans le mur en face. En sort Seins de Pâques : une poitrine magnifique en forme de cloches, avec jolis rubans; même système et même taille que pour la précédente.)

Seins de Pâques : Il a tâté, il a joui, il nous a enfermés, sale pervers. Il faut le mettre dans un placard. Sans lumière. Sommes-nous à Pâques ? Sommes-nous bien d'actualité ?

Seins de Noël (s'approchant de Seins de Pâques, hargneuse) : O toi, la bien gonflée, comment oses-tu te montrer à cette époque de l'année ? (Elle lui donne un brusque coup de téton qui fait reculer l'autre.) Rentre. Repars. Va-t'en.

Seins de Pâques : Doucement, les globes. (Elle reçoit un autre coup qui la fait reculer.) Ah, tu veux jouer à ce petit jeu ! Eh bien, tiens ! (Elle attaque brusquement, donne un coup de seins qui fait reculer l'autre de plusieurs mètres.) Force reste au bon droit. Et vive la liberté !

(Les deux se mettent en marche, puis à trotter afin de se heurter au centre de la scène. Elles sont telles des Sumos. Choc violent mais forces égales. Après le recul forcé, elles se jettent l'une contre l'autre et essaient de faire tomber l'adversaire.)

Daniel (cynique) : Vous voyez, j'avais bien fait de les enfermer.

Seins de Noël (en rage) : Siliconée !

Seins de Pâques (en rage) : Pis de vache !

(Elles luttent.)

Gros tas (en expert) : Moi je les trouve bien.

Flicaille (comme dans un rêve) : Eh oui, il y en a aussi des comme ça.

Daniel (aux deux femmes-poitrines, ton autoritaire) : Retournez donc dans vos placards !

(Elles s'arrêtent net. Tendent un doigt accusateur vers lui.)

Seins de Noël, Seins de Pâques (ensemble) : Il a regardé, il a tâté, il a joué, il a joui. Et il nous a enfermées dans un placard ! C'est un monstre !

Seins de Noël : Il nous ressortait tous les ans pour les fêtes.

Seins de Pâques : Il n'avait aucun scrupule de religion.

Seins de Noël : Et il invitait même du monde pour nous voir.

Seins de Pâques : Pour nous tâter.

(Elles avancent sur Daniel.)

Seins de Noël : Il nous baisotait.

Seins de Pâques : Il nous mordillait .

Seins de Noël : Il nous mordait.

Seins de Pâques : Il nous donnait des coups de langue.

Seins de Noël, Seins de Pâques (bien ensemble, presque contre Daniel, se tournant vers Gros tas) : Est-ce que la police va enfin agir ?

(Court silence.)

Lisa (indignée) : A moi il n'a rien fait de tout ça !

Flicaille (comme dans un rêve) : Et dire qu'il y en a aussi des comme ça.

Gros tas (réagissant) : Soyez tranquille les seins, l'homme est mort.

Seins de Noël et Seins de Pâques (un temps, puis effondrées) : Mais qu'est-ce que l'on va faire maintenant ?

Gros tas : Ainsi le motif de son assassinat est clair, il retenait prisonnières de jeunes innocentes...

Seins de Noël (toujours effondrée) : Vous n'en connaîtriez pas un autre, pareil ?

Seins de Pâques (toujours effondrée) : Bien monstrueux, voyeur, lubrique...

(Daniel a l'air amusé, il va s'asseoir confortablement dans un fauteuil pour regarder la suite.)

Gros tas : Lisa, recueille les dépositions des victimes.

(Lisa s'avance, l'oeil noir, le sourcil froncé, très fonctionnaire en service.)

Flicaille Seins de Noël et Seins de Pâques) : Chez moi, il y a de la place...

Seins de Pâques (réveillée, indignée) : Tais-toi, maigrichon.

Seins de Noël (réveillée, indignée) : T'es laid.

Seins de Pâques : Tu ne fais pas le poids.

Seins de Noël : Tu claquerais avant une semaine.

Seins de Pâques et Seins de Noël (ensemble, méprisantes) : T'es pas à la hauteur !

Lisa (hurlant) : Silence ! Respectez la gendarmerie ! Vous avez mal parlé à Flicaille. Procès-verbal.

Flicaille (au bord des larmes) : Elles m'ont sapé le moral.

Gros tas (consolant) : Voyons, Flicaille, elles ne sont pas de notre monde.

Lisa Seins de Noël) : Nom, prénom.

Seins de Noël : Le droit, Ninine, le gauche, Vilaine.

Lisa : Ce n'est pas un nom...

Seins de Noël : On n'en a jamais eu d'autre.

Seins de Pâques : Et moi, le droit Sirène et le gauche Gustave.

Lisa (un temps, puis froidement, écrivant) : Aline Gilaine et Justine Sébrane... Il vous séquestrait et vous maltraitait n'est-ce pas ?

Seins de Noël : Rien qu'une fois par an le salaud.

Flicaille (intervenant malgré lui) : C'est scandaleux, monstrueux.

Seins de Noël et Seins de Pâques (bien ensemble) : Te mêle pas d'ça, la larve.

Gros tas Flicaille) : Laisse progresser l'enquête, elles ne sont pas assez bien pour toi.

Flicaille : Oh si.

Lisa (écrivant) : Il nous frappait avec des lanières de cuir, il nous déchirait de caresses avec un foulard de soie...

Seins de Pâques : Oui, c'est vrai. Et à Pâques seulement.

Lisa (écrivant) : Malgré nos cris et nos supplications; il continuait, il continuait...

Seins de Noël : Ou pire, il s'arrêtait... pour nous faire pleurer de rage.

Lisa (écrivant) : Il pratiquait également la torture mentale.

Seins de Pâques : C'était bon aussi.

Lisa (écrivant) : Quand la beauté des victimes déclinait...

Seins de Pâques et Seins de Noël (indignées) : Hein !

Seins de Pâques : Non mais, t'as la vue basse.

Seins de Noël : Montre les tiens que l'on compare !

Lisa (continuant) : ... il les renvoyait sans pitié.

Seins de Pâques (fièrement, se contemplant) : Y a pas de risque qu'ils tombent.

Lisa (continuant) : Mais avant il les menaçait des pires horreurs si elles le dénonçaient.

Seins de Noël (fièrement, se contemplant) : Je me suis toujours fait envie.

Lisa (sans écrire, à Gros tas) : Une de ses victimes, dans un moment de folie, a irrégulièrement rendu justice; elle l'a tué à coups de couteau, puis a pris la fuite.

Gros tas : Pas bon ça, on va nous ordonner de la rechercher.

Flicaille : A mon avis, la meurtrière est une des deux. Je lui arracherai bien ses aveux.

Seins de Noël (narquoise) : Vantard.

Gros tas : Ecris plutôt cette version, Lisa.

Seins de Pâques : Oui, c'est mieux, on passera à la télé.

Seins de Noël : Moi je veux pas suivre le p'tit, le gros je veux bien.

(Lisa écrit, puis se met à corriger. Pour cela elle s'assied, sort un minuscule dictionnaire d'une de ses poches, cherche des mots; on la voit remuer les lèvres, épeler, parfois être surprise, parfois être satisfaite - elle avait juste -, et suivant les cas, rayer, modifier ou pas.)

Gros tas : Silence, les seins ! ... Si vous êtes gentils vous échapperez à l'erreur judiciaire, sinon... la castagne.

Flicaille : Vous ne ferez plus les fiers longtemps.

Gros tas : Vous allez vous liquéfier.

Flicaille : Faire des plis.

Gros tas : Plonger jusqu'aux doigts de pied.

Flicaille : Vous buriner.

(Les Seins, affolés, se serrent les uns contre les autres.)

Lisa (de sa place, corrigeant) : Mais elles seront de bonnes filles...

Flicaille : Elles avoueront d'abord devant Flicaille.

(Les Seins font oui de la tête.)

Gros tas : Puis elles reviendront sur leurs aveux devant moi.

Lisa (finissant sa correction) : Enfin, je vous libérerai de mes mains mes mignonnes.

Daniel (que tous avaient oublié, de son fauteuil, sarcastique) : Et justice sera faite.

(Un temps.)

Lisa (qui a fini de corriger, se levant, sarcastique) : Eh, le mort, justice est déjà faite... (Criant :) Force reste à la loi !

Gros tas (à part, radieux) : Quel ange !

 

 

Fin.