L'hôtel du libre-échange II
de
Jean Sibil

Au centre une réception d'hôtel très "vieux-Paris", atmosphère "conservée-arrangée" pour guide touristique : chandeliers, bois sombre, bronzes trop brillants... A gauche, avant le bureau d'accueil, porte donnant sur une chambre dont on ne voit qu'une partie - tout le confort moderne : grande TV, frigo-bar, machine à expresso, etc... et au fond la salle de bains dont la porte n'est pas fermée -, puis pan coupé avec le bureau d'accueil et, derrière, la porte du local des réceptionnistes;  mur de la porte d'entrée vitrée parallèle à la rampe de la scène et à côté sur la droite l'escalier pour le premier étage. A droite ensuite, première porte avec l'inscription "Surveillance", puis la porte du "dortoir", vieillot d'apparence et moderne en équipement, on n'en voit qu'une partie : table, fauteuils, premier lit; au fond porte de la salle de bains ouverte.

I,1. (Monsieur Bastien - costume strict, noir, chemise blanche et cravate beige - est seul à la réception, perdu dans ses comptes sur son ordinateur. Violette sort du "dortoir".)
Violette (regardant son portable puis la pendule au-dessus de M. Bastien) : Dix-huit heures trente, pas d'erreur.
M. Bastien : "Exactitude. Rectitude. Plénitude", c'est la devise de la maison.
Violette (pensant à autre chose) : Oui... J'ai vu sur la publicité. Qu'est-ce que ça veut dire ?
M. Bastien (avec un demi-sourire) : Au choix du client. Nous sommes une maison honnête. L'essentiel, n'est-ce pas, consiste à satisfaire la clientèle.
Violette : Evidemment... Dès que mes soeurs arrivent, vous m'avertissez; vous n'oubliez pas. Je veux leur faire la surprise du "dortoir".
M. Bastien (avec un demi-sourire) : La première surprise.
Violette : La seconde ne fera pas faux-bond ?
M. Bastien : "Exacti..."
Violette : D'accord
M. Bastien (indiquant de la tête le portable) : Pourquoi ne leur téléphonez-vous pas ?
Violette : Non, non. J'aurais l'air de croire qu'elles ne veulent pas venir. On n'a pas été toutes les quatre ensemble depuis... des années. Je vais les voir, je fais les visites des anniversaires, des baptêmes...
M. Bastien (compréhensif professionnellement) : Des enterrements...
Violette : On n'en est pas encore là... Mais Pervenche et Pâquerette ne se sont pas rencontrées depuis... quatre ans, eh oui quatre ans.
M. Bastien (très professionnel, comme s'apitoyant) : Quatre ans...
Violette : En tant qu'aînée il fallait que je réagisse. Maintenant, si j'ai l'air inquiète, je gâche l'esprit de fête.
M. Bastien (avec un clin d'oeil) : Les surprises !
Violette (en confiance) : A l'idée qu'on ne s'aime plus, j'ai envie de pleurer.
M. Bastien (familier et ambigu) : Soyez tranquille, l'esprit du lieu est amour... Dès qu'elles arrivent je leur dis que leur soeur va venir et...
Violette : Dites "votre soeur Violette".
M. Bastien : La quatrième porte aussi un nom de fleur ?
Violette : Marguerite.
M. Bastien (comme pour lui-même, égrillard) : La plus simple à satisfaire.
Violette : Comment ?
M. Bastien : Votre père était botaniste ?
Violette : Non, avocat. Mais écolo. Surtout pour nous. Parce que lui il aimait les voitures rapides, les hors-bords, il fumait, il...
M. Bastien (professionnellement compatissant) : Il avait surtout les discours pour la protection de la nature...
Violette : Et nous comme paravent. (Elle fait mine de retourner dans le "dortoir" M. Bastien se remet à ses comptes.) Il nous avait amenées ici une fois quand nous étions adolescentes.
M. Bastien (surpris) : Ici ?
Violette : Dans ce "dortoir", comme vous l'appelez, précisément.
M. Bastien (à part) : Drôle d'éducation.
Violette : Nous en avons gardé toutes les quatre un très bon souvenir.
M. Bastien (épaté) : Ah, tiens.
Violette : C'était la première fois que nous sortions de pension pour un petit voyage.
M. Bastien : Le changement a dû vous... étonner.
Violette (gaiement) : On s'est même retrouvé au poste après une descente de police.
M. Bastien (précipitamment) : Il n'y en a plus. Il n'y en a plus.
Violette : Oh, bien sûr. On ne vit ça qu'une fois. (Moue dubitative de M. Bastien.) Quelle aventure ! En fait la seule aventure de nos vies. J'ai pensé que retrouver cette atmosphère, puisque c'était possible, ressouderait nos liens. (Air perplexe de M. Bastien.) Mais si vous soignez ce décor, c'est sans doute que vous avez d'autres cas comme nous.
M. Bastien (sincère pour une fois, malgré lui) : Ah non. Non.
Violette : Pas d'habitués ?
M. Bastien : Des habitués et des habituées, oui. La maison est discrète.
Violette : Tout est resté comme autrefois. En entrant j'ai eu l'impression de rentrer dans mon rêve.
M. Bastien (très professionnel) : Heureux d'habiter le rêve de Madame. Nous ferons tout pour qu'il soit... édénique.
Violette (riant et retournant dans le "dortoir") : J'y compte bien.
(Elle referme la porte, va s'asseoir sur un fauteuil, reprend une revue à côté de son sac.)
2. M. Bastien (ouvrant la porte du local des réceptionnistes) : Alors ! On s'remue, oui !
Voix de Boulotte : Oh, une minute, on peut boire un café, quand même. (Sortant la tasse à la main :) Et d'abord, je n'commence qu'à 19 heures.
M. Bastien :  Il faut que j'te mette au courant avant.
Boulotte : Les directives se donnent sur le temps de travail.
M. Bastien : Avant. Comment tu pourrais travailler si tu ne sais pas ce que tu dois faire. Tu t'appelle comment déjà ?
Boulotte : Angélique.
M. Bastien : Va pas. J't'appellerai Boulotte.
Boulotte : Boulotte ? Pourquoi, Boulotte ?
M. Bastien (la lutinant) : Parce que t'es boulotte, tiens.
Boulotte : Arrêtez ! Non mais.
M. Bastien (arrêtant, riant) : La mission est simple : tu obéis au client. Tu as vu où est le champagne, évidemment (Il désigne le local à côté.), au maximum tu cases les magnums. Si le client proteste en te voyant arriver, en début de nuit tu dis : "Ah, excusez-moi, je me suis trompée" et tu vas chercher une bouteille simple; après, dans la nuit, tu dis : "Y en a plus d'autre". Compris ?
Boulotte : C'est malhonnête.
M. Bastien : L'honnêteté ne vient pas coucher ici ou alors elle s'est trompée d'adresse. Philbert t'a un peu expliqué ?
Boulotte (qui ne veut pas avouer qu'elle s'est lancée à l'aventure sans poser de questions) : Votre esclave en fuite n'a pas été bavard.
M. Bastien : Ici vaut mieux pas... (Prenant du recul :) T'es pas si mal à bien t'regarder. (Boulotte n'a pas l'air d'apprécier le compliment.) Y a des amateurs de grosses parfois, faut de tout pour faire un monde.
Boulotte (indignée) : J'mange pas d'ce pain-là !
M. Bastien (riant) : Bêtasse, c'est pas pour le pain, plutôt pour le resto quatre étoiles.
Boulotte (qui ne comprend pas) : Ah ?
M. Bastien : Tiens, je vais boire un café aussi. Garde l'accueil. (Il prend la tasse vide de Boulotte.)
Boulotte (en rage) : Mais je travaille pas encore ! Il est pas 19 h !
M. Bastien : Tu ne travailles pas, tu t'entraînes. Pour pouvoir travailler tout à l'heure. (Il rentre dans le local. Réapparaissant :) Si des femmes demandent leur soeur Violette, tu appelles le 4. (Il referme la porte.)
Boulotte (seule, pour elle-même) : T'as d'la chance qu'après huit mois de chômage j'aie besoin de ce remplacement, toi... Non mais, quel type.
3. (Entre en coup de vent un homme d'une quarantaine d'années. Petit sac de voyage en bandoulière qu'il laisse tomber quand il arrive devant le bureau d'accueil. Il semble énervé, agité.)
Paillardin : Paillardin... Maxime... (Un temps. Boulotte le regarde et ne bouge pas. Elle ne sait vraiment pas ce qu'elle doit faire.) Eh bien alors ?
Boulotte : Oui ?
Paillardin : On s'bouge.
Boulotte : Oui. (Elle cherche sur le bureau s'il y a un livre quelconque, puis regarde l'ordinateur avec appréhension, sans savoir où toucher l'écran.)
Paillardin : Vous vous fichez de moi ?
Boulotte (pour gagner du temps) : Qu'est-ce que vous voulez ?
Paillardin (stupéfait) : Ce que je veux ?... Ecoute, la fille, je suis poli, je suis convenable, je ne t'agresse pas, alors tu ne m'agresses pas non plus !
Boulotte (qui se noie) : Je ne vous agresse pas, Monsieur, je vous  pose une question bien naturelle.
Paillardin (énervé) : Quelle gourde. Ce ne serait pas un hôtel ici ? Et que peut venir faire le monsieur dans l'hôtel ? (De plus en plus énervé :) Tu cherches à m'insulter ou t'es demeurée ? Si tu continues, gare. Femme ou pas, j'te fous une tarte, moi !
M. Bastien (sortant du local derrière) : Vaudrait mieux pas, (Montrant un endroit au plafond :) y a des caméras, tout est filmé.
Paillardin (calmé) : Ah, vous avez raison, le prix de la baffe en justice est prohibitif.
M. Bastien (pour arranger les choses) : Elle débute, vous êtes son premier client. (Air presque compréhensif de Paillardin. A Boulotte :) Tu touches l'écran là pour la réservation. Monsieur ?
Paillardin : Paillardin... Maxime. Pour deux nuits.
M. Bastien Vous demandez le premier étage ?
Paillardin : Oui, un souvenir. (En confidence :) Je suis déjà venu, il y a longtemps.
M. Bastien (s'y intéressant professionnellement) : Et vous en avez gardé un bon souvenir.
Paillardin : Ah oui, on a même fini au poste.
M. Bastien (fâché, à part) : Encore ! !... (Haut :) Mais ça n'arrive plus !
Paillardin : On n'est jeune qu'une fois.
(Pendant ce temps M. Bastien a montré à Boulotte comment procéder pour la clef électronique.)
M. Bastien : Comme c'est vrai.
(Boulotte tend la clef à Paillardin qui semble ne pas la remarquer.)
Paillardin (lancé dans les confidences, à M. Bastien) : Je cherchais un hôtel pour donner une leçon à ma femme. (Enervé :) Ça ne peut plus durer, vous comprenez, ses voyages d'affaires incessants et moi j'attends Madame à la maison. J'en ai assez. Assez !
Boulotte : La clef.
Paillardin (lancé, à M. Bastien, sans prendre garde à Boulotte) : J'ai l'air de quoi devant les collègues ? Je suis expert auprès des tribunaux en affaires financières, je suis un homme sérieux, on m'invite, je dois répondre : "Désolé ma femme est en voyage"; et je ne peux jamais rendre les invitations.
Boulotte (fort) : La clef !
Paillardin (sans lui prêter attention) : Alors j'ai eu l'idée. Je regarde sur notre ordinateur et Dieu sait pourquoi il m'offre illico pour les réservations cet hôtel. Comment ça s'explique, alors là... Il y a de ces hasards. (M. Bastien prend la clef des mains de Boulotte et la présente à Paillardin qui la prend.) Merci... (Pour montrer qu'il connaît vraiment la maison :) Par là.
M. Bastien : Sans ascenseur.
Paillardin (riant) : Ben oui, gardons la couleur locale. Ah, tout est comme dans mon souvenir. (Il se dirige vers l'escalier lentement.)
Boulotte (criant pour sa revanche) : Votre sac !
(Paillardin tout à son souvenir et sa contemplation semble ne pas entendre.)
M. Bastien Boulotte) : Eh bien, porte-le lui.
Boulotte : Moi ?
M. Bastien : Bien sûr, toi... (Elle ne veut pas.) Allez ! (Elle s'exécute, rejoint Paillardin avec le sac.)
Paillardin : Ah ? Merci, jeune fille... Finalement vous êtes bien brave. Excusez-moi si j'ai été un peu vif tout à l'heure.
(Il monte lentement l'escalier.
Boulotte étonnée le regarde monter puis revient vers M. Bastien .)
4. M. Bastien : Eh bien, tu vois, tout s'arrange avec un peu de doigté.
Boulotte (comme sous le choc) : ... C'est la première fois que quelqu'un s'excuse auprès de moi... D'habitude les types m'insultent parce que je suis un peu grosse... Les femmes aussi... On dirait qu'ils croient avoir le droit si on est... Personne ne s'excuse jamais.
M. Bastien (satisfait) : On a beau être un hôtel spécial, on y a des manières.
Boulotte : Spécial en quoi ?
M. Bastien (éludant) : Il y a un certain niveau de la maison auquel je tiens. (Changeant de ton :) Celui-là, passe, tous les autres tu les fais payer d'avance.
Boulotte (étonnée) : Ah ?
M. Bastien : Quand un couple n'arrive pas en même temps, chacun paie d'avance.
Boulotte : Ben, alors ils paient deux fois.
M. Bastien : T'occupe.
Boulotte : S'ils viennent protester ? Vous êtes sûrs qu'ils s'excuseront tous après ?
M. Bastien : Ils ne viendront pas. Ils s'arrangent entre eux... Sois aimable et dis comme eux; apporte-leur des magnums même s'ils n'en commandent pas; sois positive.
Boulotte (ironique) : Et "Exactitude. Rectitude. Plénitude". Remarquez, ça s'ra pas difficile, y a pas beaucoup d'clients.
M. Bastien : Patience. (Regardant l'heure :) 19 h. Ils vont arriver.
Boulotte : Ah bon. Vous êtes sûr ? (Regardant l'ordinateur :) Mais je n'vois plus de réservations...
M. Bastien : Pas besoin. Les habituées et les habitués je ne les inscris pas. La réservation est là. (Il touche sa tête.) Pas de trace écrite. Pas de paiement par carte. Tout en liquide. Compris ?
Boulotte (étonnée) : Oui.
5. (Entre une belle jeune femme - vêtements chic-mode -, l'air morose.)
M. Bastien : Ooh, quéqu'chose va pas !
Marcelle : On me fait chanter. Je suis victime d'un maître-chanteur.
M. Bastien (inquiet) : La maison courrait un risque ?
Marcelle : Non, c'est un ami de mon mari. Il m'a rencontrée dans la rue alors qu'il était en compagnie d'un de mes anciens clients.
M. Bastien : Aïe. Et le type a bavardé.
Marcelle : La discrétion des hommes... entre hommes... Il savait quéqu'chose pour se donner de l'importance...
(Elle sort des billets de son sac qu'elle donne à M. Bastien.)
Boulotte (mettant les pieds dans le plat) : Vous faites quoi comme métier ?
Marcelle (la toisant, sèchement) : ... Représentante ... pour coiffeurs... Des commentaires ?
M. Bastien (intervenant) : Non, bien sûr que non. Elle remplace Philbert au pied levé.
Marcelle : Et elle... ?
M. Bastien : Ça n'connaît rien de la vie.
(Il lui tend sa clef électronique.)
Marcelle : J'te promets un bon film. N'oublie pas de me donner ma copie, pour une fois elle va vraiment me servir. (Elle se dirige vers la porte de chambre à gauche, entre.)
Boulotte M. Bastien) : Quel film ?
M. Bastien : T'occupe. Garde l'accueil, j'ai du matériel à vérifier. (Il se dirige vers la porte avec l'inscription "Surveillance", entre.
Violette dans le "dortoir" somnole sur sa revue.
Marcelle a jeté son sac sur le lit et marche nerveusement.)
Boulotte : En voilà des mystères. (Seule, à elle-même :) Je vais investiguer. (Elle commence d'ouvrir les tiroirs des meubles de l'accueil.)
6. Marcelle (s'asseyant sur le lit) : Salaud de Pinglet ! Il prétend me donner la fessée pour me punir à la place de mon mari. Sale vicieux. La punition c'est lui, je la trouve exorbitante. Qui a mérité d'être le jouet d'un Pinglet ? Mais attends, mon bonhomme, si je suis punie, tu le seras aussi. Le maître-chanteur je l'ferai chanter, moi ! (Un temps.) Mon mari, je l'aime bien, je veux le garder; mais je m'ennuie avec lui. Je ne suis pas une grande sentimentale, il faut le reconnaître. (Un temps. Se levant :) Les hommes, toujours à bêler : "Ah, quelle est belle !" Bon, soit, chic, tant mieux; alors ils voulaient toucher. Le sexe ne m'a jamais beaucoup intéressée. Mais s'il rapporte, s'il rapporte gros... La vie est monotone avec argent minimum... Représentante de produits pour coiffeurs et un mari expert en finances mais pas en enrichissement personnel. Si honnête qu'il en est touchant. Il croit vraiment que mes vêtements Cardin sont des invendus d'usine. (Rêveuse :) Si je pouvais me retenir d'acheter, je ne serais pas contrainte de faire la pute. J'ai payé une aide psychologique quelques temps; pour continuer d'en bénéficier fallait payer, donc des clients. Dans ces conditions j'ai préféré profiter de mon problème psychologique plutôt que d'en faire profiter le psy. (Un temps.) Ah... Salaud de Pinglet ! Tout allait si bien. Je gérais mes problèmes, mon mari n'en avait aucun, nous étions si heureux. (Un temps.) Attends, toi, le paradis auquel tu rêves se refermera sur toi comme un cachot.
(Elle reprend son sac qu'elle va poser dans la partie invisible pour nous.)
7. (Paillardin redescend l'escalier, une télécommande à la main, énervé.)
Paillardin Boulotte) : La télécommande de la télévision ne fonctionne pas.
Boulotte : Ah. Sûrement les piles.
Paillardin : J'ai essayé de vous téléphoner mais le téléphone de la chambre ne téléphone pas.
Boulotte (prenant la télécommande, circonspecte) : Il y a peut-être des piles dans le téléphone ?
Paillardin (caustique) : Et l'eau chaude doit aussi fonctionner à piles ? Je vais dîner. Arrangez-moi ça. Que tout marche à mon retour.
Boulotte : O. K., Seigneur. J'me mets de suite sur la piste des piles.
Paillardin : Ah, parce que vous ne savez même pas...
Boulotte : Je débute, Seigneur. A l'instant.
Paillardin (comme à lui-même mais haut pour qu'elle l'entende) : Pourquoi est-ce que j'ai de nouveau envie de lui flanquer une baffe...
Boulotte (comme à elle-même mais haut pour qu'il l'entende) : Voyons, les dommages et intérêts peuvent monter à... 6000 euros, je crois. (Il sort. Elle ouvre des tiroirs :) Piles ? Piles ? Piles ?
M. Bastien (ressortant du local de surveillance, plusieurs télécommandes dans les mains) : Cherche pas. Tiens, tu lui donneras celle-là.
Boulotte : Et son téléphone ?
M. Bastien : Un homme moderne ne se déplace pas sans son portable. Qui peut très bien appeler la réception.
Boulotte : Et l'eau chaude ?
M. Bastien : Tu m'ennuies... Philbert s'est encore trompé de télécommandes à l'étage, il faut que j'aille les changer. (Il va vers l'escalier.)
Boulotte : Eh ben à quoi elle sert celle-là alors ? Elle a le numéro de la chambre.
M. Bastien (s'arrêtant) : Je la reprends en redescendant. Mets-la dans le tiroir à ta gauche. (Il repart.)
Boulotte (s'exécutant) : Oui, mais à quoi elle sert si elle ne fonctionne pas ?
M. Bastien : T'occupe.
Boulotte : Y a des télécommandes pour clients et des télécommandes pour la direction ?
M. Bastien (s'arrêtant) : Voilà.
Boulotte : ... Et que fait la direction avec ses télécommandes ?... (M. Bastien désigne du menton le local de surveillance.) Elle surveille ?... Dans les chambres !
M. Bastien : Si tu es encore virée de ton boulot, tes justifications ne te serviront pas à grand chose. Tu ne t'en tireras pas avec seulement huit mois de chômage. (Il finit de monter.)
(Tête de Boulotte sous le choc, furieuse et résignée.
Un temps.
Elle entre dans le local de réception.)
8. (Trois femmes entrent, avec valisettes à roulettes; trente à trente-cinq ans; ce sont les soeurs de Violette.)
Pâquerette (très nature, campagnarde, vêtue avec le souci d'être bien vêtue et on le sent) : Ah oui... Ça me revient !... Et papa, là. (Elle montre l'endroit.) Nous derrière. Moi, là. (Elle se met à "sa" place. Riant :) Violette veut nous faire remonter le temps.
Pervenche (tenue qui, sans être provocante, dégage assez la gorge et les jambes; mais coûteuse) : J'aime mieux pas.
Marguerite (tenue sobre mais gros bijoux - en toc) : Pourquoi ? Nous étions charmantes toutes les quatre. Tout le monde nous le disait.
Pervenche : Je préfère ma vie d'aujourd'hui.
Pâquerette (naïvement) : Voyons, Pervenche, elle n'existerait pas sans celle d'autrefois. Tu n'es pas contente de nous retrouver ?
Pervenche (l'embrassant) : Bien sûr que si.
Marguerite (criant sans façon) : Eoh ! Quelqu'un !
(Marcelle qui entend du bruit, entrouvre sa porte pour jeter un coup d'oeil.)
Marcelle (finissant de sortir) : Ah, des nouvelles.
Marguerite Marcelle) : La réception serait-elle tenue par des fantômes ?
Marcelle : Aussi discrète qu'eux, soyez tranquille.
Pâquerette : Peut-être, mais pas plus présente.
Pervenche : On va s'en passer. (Criant très fort :) Violette ! Violette !
Marguerite et Pâquerette  (riant, en écho) : Violette ! Violette !
(Violette se réveille à côté. Elle va se lever, réaliser, se diriger vers la porte.)
Pâquerette : Mais elle n'est peut-être pas arrivée ?
Pervenche : Elle ! Tu plaisantes. Elle est là à nous attendre depuis des heures, j'en suis sûre.
Marguerite : C'est son caractère, oui. Mais alors où est-elle ?
Pâquerette : Attends, la surprise ? Le "dortoir", il était où ? Là, non ?
Marguerite : Oui, il me semble.
Pervenche : On va voir. (Elle va vers la porte et l'ouvre brusquement, sans façon, au moment où Violette va l'ouvrir.) Ah ! La voilà !
(Les trois fondent sur Violette et l'embrassent.)
M. Bastien (descendant rapidement l'escalier, des télécommandes dans les mains) : Qu'est-ce que c'est que ce raffut !
Violette (l'apercevant, caustique) : Merci de m'avoir prévenue. Finalement c'est moi qui ai eu la surprise.
M. Bastien : Mais où est Boulotte ?
(Il regarde Marcelle qui hausse les épaules en signe d'ignorance. Il entre en coup de vent dans le local des réceptionnistes après avoir posé ses télécommandes sur le bureau.)
Voix de M. Bastien : Et alors ? Qu'est-ce que tu fais là ? Tu te crois rentière !
Voix de Boulotte : Je suis en grève.
Voix de M. Bastien : En grève ? Pas de grève à l'hôtel du libre-échange, ma petite. Allez, hop ! (On comprend qu'il la tire pour qu'elle se lève.)
Voix de Boulotte : Mais laissez-moi !
(Les autres écoutent.)
Pervenche Marcelle) : Ça chauffe chez les fantômes.
Marcelle (souriant) : Oui. (A part, regardant Pervenche :) J'ai déjà vu cette tête-là quelque part.
Boulotte (réapparaissant) : Je cède à la force mais j'dirai tout.
Violette (à ses soeurs) : Venez, entrez vous installer. Laissons-les à leur dispute. (Elle tire Pervenche.)
Pâquerette : Le "dortoir" ! Il a à peine changé.
Marguerite : Oh, quand même, il est devenu très moderne.
(Porte refermée elles passent dans la partie non visible.)
9. M. Bastien (réapparaissant, poussant Boulotte) : C'est ça. (A Marcelle :) Non mais, tu as déjà vu une bourrique pareille !
Marcelle : Elle ne me semble pas très professionnelle.
M. Bastien : C'est peu dire. Elle fout rien, elle fouine partout et elle proteste tout l'temps.
Boulotte : Y a des choses pas nettes, ici.
Marcelle (amusée) : Elle n'a pas dû comprendre le sens du nom de l'hôtel.
M. Bastien Boulotte) : Ma p'tite, mon père, Bastien, y était simple employé, j'en suis le propriétaire...
Boulotte (agacée, le coupant) : Et vous avez travaillé dur et vous avez été économe et vous avez été bon gestionnaire tcetra tcetra...
M. Bastien (tranquillement) : Avant tout un principe :
Boulotte (le coupant, tendant comiquement l'oreille et ouvrant grand les yeux) : J'écoute ô prof de réussite.
M. Bastien (tranquillement) : Le profit passe par la satisfaction des vices des autres.
(Marcelle se met à rire.)
Boulotte (ironique) : Vous avez fait à la fois l'ENA, HEC et Polytech, vous.
M. Bastien : J'ai pris le raccourci. (Montrant l'hôtel :) Et tu vois, je suis arrivé.
Boulotte : Où vous étiez parti.
M. Bastien : Avec villa sur la côte, ma chère.
(Nouveau rire de Marcelle.)
Boulotte : Et qu'est-ce que vous y fabriquez dans votre villa ?
M. Bastien (très naturellement) : Je m'y ennuie. Je me plais beaucoup plus dans mon hôtel.
Marcelle : Dis donc, elle n'a pas la carrure de Philbert; si on a un problème elle ne va pas nous défendre.
M. Bastien : T'occupe. Je veille cette nuit... (En confidence :) J'inaugure. L'hôtel du libre-échange en direct.
Marcelle (abasourdie) : En direct ?... Tu veux dire que l'on va me voir... au travail en direct ?
M. Bastien : Bsolument... Et après, le film 'turellement.
Marcelle : Et tu m'donnes combien en plus ?
M. Bastien : Selon l'audimat.
Boulotte (qui a peur de comprendre) : On parle de quoi au juste ?
Marcelle : Ah oui; ce qui explique les quatre nouvelles...
M. Bastien : Pas du tout, ce sont des clientes... Mais celle qui organise a voulu une surprise.
(Rire de Marcelle.
Victorine descend l'escalier, maussade.)
Victorine Marcelle) : Tiens, tu es là aussi, toi. (L'embrassant :) Comment va ? Mon client m'a fait faux bond. (A M. Bastien :) Si tu avais quelque chose pour moi... La fin de mois est difficile. Avec le prix de la chambre en plus...
Marcelle : Tes enfants vont bien ?
Victorine : Ils ont toujours quelque chose, ces gosses. Si j'venais pas ici j'deviendrais folle.
Boulotte (caustique) : J'aurais cru plutôt le contraire.
(Air étonné de Victorine la regardant.)
M. Bastien (haussant les épaules) : Fais pas attention. Boulotte s'entraîne pour devenir professeur des écoles. Ça connaît rien d'la vie et ça veut juger tout l'monde.
10. (Pinglet entrant vivement tout en jetant un coup d'oeil pour être sûr que personne à l'extérieur ne l'a espionné. Allant avec élan vers Marcelle.)
Pinglet : Ah, Laurence...
Marcelle (à voix basse, sèchement) : Marcelle.
Pinglet : Quoi ?
Marcelle (à voix basse) : Je vous ai dit ! Ici je suis Marcelle.
Pinglet : Ah oui. L'émotion. J'avais oublié.
Boulotte (d'une voix forte) : 130 euros ! On paie la chambre d'abord ! (Elle regarde M. Bastien d'un air triomphant.)
Pinglet : Ah ?... Mais... (Se tournant vers Marcelle :) Vous n'avez pas ... ?... (Devant l'air irrité de celle-ci :) Non... C'est que... je n'ai pas de liquide.
M. Bastien : On peut payer par carte.
Boulotte (femme intrépide) : Ou s'tirer vite fait !
Pinglet (s'exécutant de mauvaise grâce) : Ah, j'ai trouvé... un reste de liquide...
Boulotte (ironique, prenant les billets) : Vous avez de beaux restes.
Pinglet (riant) : Coquine... N'oublie pas ma monnaie. (Revenant à Marcelle :) Ah, Laurence !
Marcelle (furieuse) : Marcelle.
Pinglet : Oui, Marcelle. (A Boulotte :) Quelle chambre ?
Marcelle : Là.
Pinglet (essayant de l'embrasser) : Ça me fait tout drôle de vous appeler par votre prénom de vice. Surtout que c'était celui de la femme de l'oncle de votre mari, elle venait souvent voir papa.
Marcelle (qui ne se laisse pas embrasser) : Entrez donc au lieu de raconter vos souvenirs. (Elle le tire.)
Pinglet (entrant) : Oui. (Contemplant la chambre :) Alors voilà le lieu de vos travaux... Très joli... (Inspectant :) Bien tenu... Rien à redire...
(M. Bastien ramasse ses télécommandes et retourne dans le local de surveillance. Boulotte reste seule à la réception.)
Marcelle : On paie d'avance... Trois cents euros.
Pinglet (étranglé) : Trois cents euros !
Marcelle (prenant la pose et se désignant des deux mains) : Eh.
Pinglet : Oh pour être belle tu es belle... Mais moi je ne paie pas.
Marcelle (irritée) : Et pourquoi ?
Pinglet (s'avançant sur elle qui recule) : Premièrement parce que je t'aime, je te désire depuis des années, depuis que Paillardin t'a épousée...
Marcelle (reculant) : Pff...
Pinglet (l'enlaçant et la serrant contre lui de force) : Deuxièmement parce que je te fais chanter. Faudrait être con dans ce cas pour payer. Et troisièmement (Il essaie de l'embrasser.) pour une raison morale celle-là.
Marcelle (ironisant) : Oh, pas possible.
Pinglet (l'embrassant) : Il s'agit de punir ton immoralité, pas de satisfaire ta cupidité.
Marcelle (se laissant embrasser et tripoter, avec humeur) : Il s'agit surtout d'en profiter.
Pinglet (joyeusement) : Joindre justice et plaisir ce n'est pas si fréquent. Ah, ma Paillardine...
Marcelle (effarée, avec un coup d'oeil à l'écran de télé) : Chut !
Pinglet : Quoi ? Ah, Laurence, Laurence.
Marcelle : Chut ! (Coup d'oeil à l'écran de télévision.) Marcelle, Marcelle !
Pinglet : Puisqu'il n'y a personne. (Remarquant ses coups d'oeil à l'écran :) Vous voulez que je mette la télé ? Y a des films cochons, c'est ça ? (Revenant à elle :) Mais moi je n'ai pas besoin d'ça ma petite, jolie, adorable petite Marcelle. Tu vois, je suis gentil : je dis "Marcelle". Alors ru vas être gentille aussi, très gentille. (Commençant de déboutonner son chemisier :) Oh, tu es beaucoup plus belle que ma femme. Tu vaux le coup d'être un salaud. Je devrais me faire des tas de reproches, je n'y arrive pas. Tu es plus belle que toutes les morales, que tous les principes. Quelles formes tu as. Quelle allure. Tu devrais les faire payer plus. 400 euros, tiens. Oh, que je t'aime. Ton pauvre mari, comme j'aurai plaisir à le revoir pour me taire. Est-ce que les autres ont autant de plaisir à te déshabiller ?
Marcelle (froidement) : En général c'est plutôt moi qui déshabille les messieurs. Il est vrai que j'empoche 170 euros.
Pinglet (lui enlevant son chemisier) : Pas 300 ?
Marcelle : Moins la chambre. Aujourd'hui j'en suis de ma poche.
Pinglet (s'arrêtant net) : Mais alors ils nous ont fait payer la chambre deux fois ? Mais c'est dégueulasse ! Ils vont m'entende. Je vais leur dire leur fait, moi !
Marcelle (le retenant) : Stop, allons. Viens.
Pinglet : La malhonnêteté ça me met hors de moi.
Marcelle (très professionnelle) : Voyons, chéri, si on vient ici on doit bien se douter que la mentalité n'est pas celle des moines.
Pinglet (la contemplant) : Avec toi ce serait dommage. Quand je te regarde je perds tous mes repères. Comme a dit un sage : Le vice a des vertus que la vertu ignore.
Marcelle : Viens par là, viens vers la télé, chéri.
Pinglet : On va regarder la télé ?
Marcelle : Non, viens te faire un film. (Elle l'embrasse et l'attire vers la meilleure place selon elle; elle lui enlève sa veste.)
11. Violette (réapparaissant dans le "dortoir",  à ses soeurs que l'on entend bouger les valisettes, des objets...) : Dépêchez-vous, que l'on soit revenues à temps pour la surprise.
Les trois autres (accourant, joyeuses) : Ah, surprise !  surprise !
Pâquerette : Donne-moi un indice, Violi.
(Violette sort en riant.)
Pervenche : Un beau sermon peut-être, telle que je te connais ?
(Elles sortent aussi.)
Marguerite (fermant la porte) : Un film souvenir sur notre père, c'est ça ? Violi ? Je brûle au moins ?
Violette (toujours riant, à Boulotte) : Nous allons dîner. Vous avez un restaurant à nous conseiller dans le coin ?
Boulotte : Je suis nouvelle. Vous voulez que j'appelle M. Bastien ?
Violette : Non, ne le dérangez pas, nous trouverons.
Le choeur des soeurs, très faussement sérieux : Nous trouverons.
Pervenche (comme indignée tandis qu'elles sortent) : Comment, Violette ! tu n'as pas prévu le dîner ! Au risque de nous laisser affamées toute la nuit !
(Elles sortent de l'hôtel.)
II 12 Marcelle Pinglet) : Attends, mon joli. Pour que la fête soit complète, il faut boire un peu. Il faut du champagne !
Pinglet : Oh oui, du champagne !
Marcelle (allant à sa veste et fouillant dans la poche intérieure dont il avait sorti les billets) : J'espère que tu as prévu les extras.
Pinglet (inquiet pour ses fonds) : Qu'est-ce que vous faites ?
Marcelle (retirant des billets, avec satisfaction) : Ah.
Pinglet : Mais ne prenez pas tout... Une demi-bouteille, ce sera bien suffisant. Le champagne, moi, vous savez...
Marcelle (sortant - en soutien-gorge et jupe -, laissant la porte ouverte) : Tu m'puniras mieux en étant plus excité. Pense à ma fessée. (Pinglet rit en singeant la fessée. Marcelle à Boulotte en posant l'argent sur le bureau :) Champagne, Boulotte.
Boulotte (aigrement) : Tout de suite, Laurence.
Marcelle (furieuse) : Quoi ?
Boulotte (entrant dans le local des réceptionnistes) : Rien. (Ressortant avec un magnum :) Voilà, Mzelle Marcelle. Et bonne fessée. (Marcelle furieuse hausse les épaules et rentre dans sa chambre.)
Pinglet : Ah ! Où sont les verres ?
Marcelle : Pas besoin de verres. (Elle fait sauter le bouchon, boit un peu au goulot.) Allez, à toi. (Elle le fait boire longuement presque de force.)
Pinglet (étouffant, ne voulant pas se montrer faible) : Ah, c'est du bon.
Marcelle : N'est-ce pas ? (A part, regardant l'étiquette :) Ce serait nouveau. (Haut :) Alors comme ça tu m'aimes ?
Pinglet (l'enlaçant) : Oh oui.
Marcelle : Et tu veux me punir ?
Pinglet : Oh oui.
Marcelle : Tiens, bois encore un peu. (Elle le fait boire quasiment de force.) Il est bon, hein ?
Pinglet (étouffant) : Oh, il est... Mais toi, tu ne bois pas ?
Marcelle : Si, si. (Elle boit ou fait semblant. L'enlaçant :) Viens me punir, chéri, viens. (Elle l'entraîne vers le lit dans la partie invisible, fait pivoter la télé en passant à côté.)
Pinglet (pour être spirituel) : Action !
13. (Entre dans le hall un homme très solide, physiquement fort, vêtu en gris, sans signe distinctif comme s'il avait veillé à ne pas en avoir. Il se plante devant le bureau et attend.)
Boulotte : Oui ?
L'homme : Normalement c'était pour hier.
Boulotte : Je ne vais pas vous demander ce que vous voulez, j'ai déjà failli recevoir une baffe... Votre nom ?
L'homme : Sans nom.
Boulotte : Bien, original, si vous permettez. Très peu porté.
M. Bastien (sortant du local de surveillance) : Durand. Inutile de l'écrire.
Durand : Ah, Monsieur Bastien. Où est Philbert ?
M. Bastien : En congé sans préavis.
Durand : Vous l'avez mis à la porte ?
M. Bastien : Non. Il a pris un congé, sans préavis.
Durand : Ah, j'aime mieux ça.
M. Bastien : Nous connaissons trop ses relations "en face" pour nous priver de ses services. A sa place il nous a envoyé Boulotte. (Il la désigne de la tête.) Nous ne comptions plus sur votre visite.
Durand : Des empêchements de dernière minute.
M. Bastien (sortant des billets de son tiroir-coffre et les comptant) : 2200 euros. Il a fallu payer la fille d'hier.
Durand : Oui. Vous n'en auriez pas une autre aujourd'hui ?
M. Bastien : J'ai justement Victorine de passage. (A Boulotte :) Va la chercher.
Boulotte : Et le téléphone ?
M. Bastien : Il ne fonctionne pas, tu sais bien.
Boulotte (grognonne, se dirigeant vers l'escalier) : Ouais, je sais, je sais. (A mi-voix :) Mais je n'comprends pas ce que je sais.
M. BastienBoulotte qui disparaît) : Pas besoin de comprendre ! (Il sort un téléphone portable d'un tiroir et le donne à Durand :) Tenez... Et votre clef : chambre 17... Je vous laisse, j'ai affaire. (Il retourne dans le local de surveillance.)
14. Voix de Pinglet, à gauche : Oh oïe oïe, je me sens tout brouillé.
Voix de Marcelle : Voyons, chéri ! Biquet ! Viens. (Ironique :) Je suis à peine punie.
Pinglet (apparaissant, toujours habillé mais chemise ouverte) : C'est ce champagne. J'me sens nauséeux. Je crois que je vais vomir.
Marcelle (le suivant, sans jupe - en slip, soutien-gorge) : Allons bon. Manquait plus qu'ça.
Pinglet : Je supporte parfaitement le champagne... mais je n'en bois jamais... Oh oïe oïe, c'que j'me sens bizarre.
Marcelle : C'est ça, grand punisseur, va vomir. (Il s'enferme dans la salle de bains.) Oh, j'en ai marre. (Sortant sans façon dans le hall, voyant l'homme :) Tiens. (Il semble ébloui. Amusée :) Vous êtes un client d'en face, hein ? J'ai deviné ? J'en ai déjà eu quéquezuns.
Durand : Vous n'êtes pas Victorine ? Quel dommage.
Marcelle : Pourquoi dommage ? C'est seulement plus cher. 400 euros.
Durand (ébloui) : Vous les valez bien.
Marcelle (faussement modeste, prenant la pose) : Eh.
Boulotte (redescendant) : Elle vous fait dire qu'elle est au 13.
Durand Marcelle, lui montrant sa clef) : Moi, au 17. Tu viens ?
Marcelle (riant, à Boulotte) : Champagne ! Au 17.
Boulotte (les regardant monter l'escalier) : Bien, Mzelle Marcelle. (A elle-même :) Son maître-fesseur va finir par avoir mal à la main. (Elle entre dans le local des réceptionnistes pour la bouteille de champagne.)
Paillardin (rentrant) : Oh, ma tête. (Arrivé devant le bureau :) Holà ! Quelqu'un !
(La tête de Boulotte apparaît dans l'entrebâillement de la porte du local des réceptionnistes.)
Boulotte : Oui ?
Paillardin : Vous avez de l'aspirine ? J'ai oublié d'en apporter.
Boulotte (sortant du local) : De l'aspirine ? (Ouvrant des tiroirs :) Voyons, voyons.
Paillardin (agacé) : C'est comme pour les piles ?
Boulotte : Voici toujours votre télécommande. (Avec un clin d'oeil :) La bonne télécommande.
Paillardin (qui ne comprend pas, comme pour lui-même mais haut afin qu'elle entende) : Quelle idiote ! (Fort :) Alors, elle est finie la chasse au trésor ?
Boulotte (comme à elle-même mais haut afin qu'il l'entende) : Ton trésor si tu m'embêtes tu t'en passeras. (Fort :) Je sais que j'ai vu un tiroir avec plein de produits genre médicaments. Ah, j'y suis. (Jouant l'admiration :) Que de jolies petites boîtes !
Paillardin (énervé) : Alors ? Y a d'l'aspirine ou un truc du genre ?
Boulotte (sortant des boîtes et examinant gravement les étiquettes) : Une seconde, Seigneur, la larbine étudie les soutiens de la santé.
Paillardin (se passant les mains sur le front) : Quelle soirée. Un dîner épouvantable, face à une prison. Je ne me souvenais pas du tout d'une prison vers cet hôtel. Et maintenant ce mal de tête.
(Boulotte continue de lire les étiquettes.
Victorine descend l'escalier.)
Victorine (voyant Paillardin) : Ah. Je suis le 13.
Paillardin (qui s'en fout) : Oui ?
Boulotte Victorine) : Le Monsieur veut de l'aspirine mais je n'en trouve pas.
Victorine Paillardin) : J'en ai, moi. Venez donc.
Paillardin : Ah, vous me sauverez la vie. Ça cogne là-dedans. (Il se passe nerveusement la main sur le front.) C'est d'avoir dîné face à une prison, avec ces cris des détenus sans arrêt. (Ils vont vers l'escalier.) Mais elle est récente ? car je ne m'en souviens pas...
Victorine : Une quinzaine d'années, je crois.
Paillardin : L'hôtel a dû sérieusement en pâtir.
Victorine : Pensez-vous. Une prison, comme environnement, c'est moins prestigieux que le Louvre mais ça remplit un hôtel tout aussi bien.
(Ils disparaissent par l'escalier.)
Boulotte (jetant les boîtes dans le tiroir) : Ouf; en ce cas, on verra une prochaine fois.
16. Pinglet (ressortant de la salle de bains) : Ça va un peu mieux. Sans plus. (Etonné de ne pas voir Marcelle :) Tiens, où est-elle ? ... Marcelle ? (Plus fort :) Marcelle ? (Ouvrant la porte :) Paillardine ? (Encore plus fort :) Laurence !
Boulotte (qui regarde sa tête apparaissant dans l'entrebâillement de la porte) : Aucune Laurence ici, ô fesseur distrait. Je crois qu'elle est allée chercher son bonheur ailleurs.
Pinglet : Elle ne perd rien pour attendre; si elle ne rapplique pas je dis tout à son mari. Fais-lui la commission.
Boulotte : Compte sur moi.
Pinglet (rentrant sa tête et fermant sa porte) : Ah, je m'sens toujours bizarre.... Il faut marcher. (Il marche de long en large.)
(Boulotte entre dans le local des réceptionnistes.)
Pinglet : Oooh, je vais vomir, c'est sûr... (Il rentre dans la salle de bains, ferme la porte.)
Boulotte (ressortant, avec un magnum) : Et allez, au 17 ! Avec commission du fesseur en plus. (Le téléphone sonne, elle s'arrête, décroche.) Vous m'aviez dit qu'il ne fonctionne pas dans l'hôtel... Ah bon ?... D'accord, d'accord, je n'oublie pas d'exiger le paiement immédiat... je ne redescends pas sans les billets ou la bouteille, oui. (Elle repose le téléphone, jette un regard vers le local de surveillance.) Bououh. On est plus surveillé que dans la prison d'en face, ma parole. (Elle reprend la bouteille, va vers l'escalier et monte au premier.)
17. (Entre un jeune homme, assez beau, sportif mais en costume-luxe; gros sac en bandoulière.
Il attend paisiblement.)
M. Bastien (sort du local de surveillance en finissant de manger un sandwich) : Ça va, Albert ? En forme ?
Albert : Non, fatigué en ce moment. J'ai même hésité à venir.
M. Bastien (catastrophé) : Ah ça tombe mal. J'me lance dans le direct sur l'internet aujourd'hui.
Albert (épaté) : Avec vue sur toutes les chambres ?
M. Bastien : Que veux-tu, il faut s'adapter. Il y a une telle concurrence.
Albert (admiratif) : Vous êtes un homme de progrès, M. Bastien.
M. Bastien (modeste) : On essaie, on essaie. (Changeant de ton :) Ce soir, tu comprends, j'ai vraiment besoin de toi. Tu es ma vedette, faut qu'tu assures. En plus, l'altiste nous fait faux bond. Tu vas être la seule surprise qu'offre dans le "dortoir" une dame à ses trois soeurs.
Albert (pas en forme) : Ouïe ouïe ouïe.
M. Bastien : Tu prends dans le tiroir les remontants qu'tu veux. Gratis. Ceux que tu veux, comme tu veux.
Albert (touché) : Ah, le geste est beau.
M. Bastien : Et je téléphone aux remplaçants potentiels pour Henri; mais ce ne sera pas facile.
Albert : Je sais. Enfin vous faites ce que vous pouvez, au moins; tout le monde n'en ferait pas autant.
M. Bastien (modeste) : On est dans le même bateau, je veille à ce que la croisière s'amuse le mieux possible.
Albert (désignant du menton le "dortoir") : Elles sont déjà là ?
M. Bastien : Elles sont ressorties pour dîner.
Albert : Bon. Donnez-moi quelques gélules de H.D., en ce cas; elles font remonter lentement, je préfère. Ou plutôt non, pas le genre gélules, les comprimés qui ressemblent à des bonbons, je les mettrai dans ma boîte à bijoux comme je l'appelle et en séance ni vu ni connu.
M. Bastien (ouvre le tiroir, prend des boîtes, regarde dedans) : Tiens, prends cette boîte, il n'en reste que cinq; et celle-ci... Du RCA aussi , on ne sait jamais. Si ça ne suffit pas, tu n'appelles pas, tu viens te servir.
Albert (prenant les boîtes et se dirigeant vers le "dortoir") : Bien, bien. Merci. Je vais m'installer. Vous les prévenez quand elles arrivent que je suis là ? vous y pensez ? (Il entre, pose son sac sur la petite table, en sort une sorte de bonbonnière dans laquelle il transfère le contenu des boîtes qu'il jette à la poubelle.) Là, ces deux-là, ça va suffire pour commencer. (Respirant à fond, expirant lentement.) Enfin j'espère.
(M. Bastien est allé chercher d'autres boîtes dans le local des réceptionnistes et les place dans le tiroir avec les autres.
Un temps.)
Albert : Bon, je vais changer de tenue.
(Albert prend son sac et va dans la salle de bains, laissant sa veste sur un fauteuil.)
18. (M. Bastien est en train de retourner vers le local de surveillance quand les quatre soeurs rentrent.)
Marguerite et Pervenche : La surprise ! La surprise !
(Toutes quatre semblent plus que joyeuses, sans être éméchées pourtant.)
M. Bastien (aimablement) : Le dîner a été bon ?
Pâquerette (joyeusement) : Atroce.
Violette : Tu exagères.
Marguerite (joyeusement) : Et le décor ! Quelle belle prison vous avez dans l'coin.
Violette : Un p'tit peu bruyante à l'heure du dîner.
Pervenche (joyeusement) : Alors il a fallu bien arroser pour que tout devienne beau. Heureusement qu'on trouve de bons petits vins partout.
Marguerite : Vous en avez ?
M. Bastien : Seulement du champagne.
Pâquerette : Oh oui, du champagne !
Violette : Soit. J'offre le champagne !
Les trois autres : Ouais !
Violette M. Bastien) : Une bouteille pour le 4, s'il vous plaît.
M. Bastien : Y a plus que des magnums.
Violette : Soit, allons-y pour le magnum.
Pervenche : Bisou à Violette pour le magnum.
(Les trois embrassent Violette.)
Violette (se dégageant en riant, prenant M. Bastien à part) : J'ai reçu votre SMS, ainsi il n'y aura pas l'altiste ?
Pâquerette (rieuse) : Qu'est-ce qu'elle lui dit ?
Violette : On n'écoute pas , les filles.
Marguerite : Aah, c'est pour la surprise !
Pervenche (rieuse) : Je viens d'être sifflée et, hum, invitée à des ébats par une centaine de prisonniers derrière les barreaux de leurs fenêtres, je suis parée pour les surprises de Violette !
M. Bastien Pervenche) : C'est beaucoup plus calme en hiver. Quand il fait un peu chaud toutes les fenêtres sont ouvertes, ils étouffent là-dedans.
Violette (à mi-voix à M. Bastien) : Mais le clarinettiste va venir ?
M. Bastien : Il est là. Il vous attend.
Violette (satisfaite) : Ah. Un peu de musique nous fera du bien.
M. Bastien (poli) : Oui, sans doute.
Violette : Y aura-t-il du Bach ?
M. Bastien (étonné) : Du... ?
Violette : Une transcription ?
M. Bastien (cherchant à comprendre) : Eh bien, qui sait ?
Violette : Du Lully ? Du Mendelssohn ?
M. Bastien : Ah ben... (A part :) Je me demande si elle a compris l'annonce.
Violette : De toute façon j'aime toutes les musiques. L'important c'est que le musicien soit là.
M. Bastien : Oui, pour les détails, vous verrez avec lui.
Violette : Vous comprenez, l'originalité du concept m'a plu... Le concert à l'hôtel. La musique de chambre en chambre.
Pervenche (lassée d'attendre la fin de leur aparté, à M. Bastien) : J'aimerais fumer une cigarette sans retourner dans la rue, où est-ce que je peux ?
M. Bastien : Ici, pourquoi pas ?
Pervenche : Mais (Montrant une inscription :) hôtel non-fumeur.
M. Bastien : Oh, ça. Il faut bien tout interdire partout. C'est la loi. Ne vous en faites pas. N'en tenez aucun compte.
Pervenche : Ah bon ?
M. Bastien : Fumez si vous voulez, où vous voulez.
Pervenche : Ah, bon, puisque j'ai votre autorisation.
M. Bastien : Pas besoin. Et puis à quoi servirait l'autorisation de qui ne peut pas en donner ? Mais à l'hôtel du libre-échange tout est permis.
Pervenche : Parfait. (Elle sort ses cigarettes.)
Pâquerette : Tu vas nous enfumer, Pervenche !
Pervenche : Avec délectation.
Marguerite : En ce cas, donne-m'en une, sale vicieuse.
(Elles allument des cigarettes.)
Violette M. Bastien, à part) : Il n'est pas trop vieux au moins ? Un vieux monsieur ne cadrerait pas vraiment avec l'esprit de fête.
M. Bastien : Non, oh non. Soyez tranquille... sur ce point.
Violette (satisfaite) : Bien ! (Aux autres :) Allez, les filles, au "dortoir" !
Les trois autres : Ah !
Violette (comme si elles étaient des petites) : Dites bonsoir à M. Bastien.
Les trois (jouant le jeu) : Bonsoir, Monsieur Bastien.
M. Bastien (très professionnel) : Bonsoir, Mesdames... Et... bonne nuit.
(Elles entrent dans le "dortoir".
M. Bastien va vers le local de surveillance.
Boulotte redescend l'escalier des billets à la main, l'air pas contente.)
M. Bastien Boulotte) : Ah ! Du champagne pour le 4.
Boulotte : Oui oui. Dites donc, au 17, ils...
M. Bastien (sèchement) : Pas de discours. (A part :) Et pour les images, je m'en occupe. (Il entre dans le local de surveillance.)
19. Boulotte (rageusement) : Quel type !... Quel endroit ! (Elle va dans le local des réceptionnistes.)
(Dans le "dortoir" les soeurs découvrent la veste d'Albert.)
Pervenche : Ooh. Un hômme, ici. (Faisant les gros yeux à Violette :) Vi-o-lette !
Pâquerette et Marguerite (l'imitant, jouant les féroces) : Vi-o-lette !
Violette (riant) : Ah, on est intriguées, là, hein ?
Pâquerette (découvrant la bonbonnière) : Et des bonbons !
Marguerite (ouvrant la boîte) : Oh qu'ils sont jolis. De toutes les couleurs.
Pervenche (regardant) : Tu exagères, il n'y a que trois couleurs. Et on est quatre.
Pâquerette : Moi j'en prends un rouge.
Pervenche : Moi un bleu.
Marguerite : Et moi un blanc. Quant à Violette...
Marguerite, Pâquerette, Pervenche ensemble : Les trois couleurs !
Violette (s'enfuyant en riant tandis qu'elles la poursuivent avec les "bonbons") : Non merci, pas maintenant !
Pinglet (ressortant de sa salle de bains en peignoir) : Ah, je me sens mieux.
Violette : Non, non. Tout à l'heure peut-être.
Pâquerette (que le jeu n'amuse plus) : Bon.
Pervenche : Ce n'est qu'un cessez-le-feu.
Marguerite : A propos de feu, moi j'ai vraiment chaud tout à coup.
Pinglet (après un coup d'oeil dans la chambre) : Et maintenant retrouvons notre évadée. (Il sort dans le hall.)
(Albert sort de la salle de bains en tenue pratique pour un strip-tease. Plus beau que précédemment.)
Les quatre (surprises, épatées) : Oh.
Albert : Bonsoir, mesdames. Je suis Albert.
Toutes les quatre : Bonsoir, Albert.
Violette (à ses soeurs) : C'est très décontracté, pas le genre de concert snob, on se donne les prénoms. (A Albert :) Moi, je suis Violette, et voici Pâquerette, Margot et Pervenche.
Albert (galant) : Quel plaisir d'être l'homme des champs.
Violette (pour faire l'importante) : Vous êtes de l'orchestre de l'opéra de Paris, je crois ?
Albert (ahuri) : Hein !... Oui... si vous l'dites... J'ai pensé commencer par un strip-tease.
Pervenche (étonnée mais pas contre) : Ça se fait très peu dans la fosse de l'opéra de Paris.
Violette (déconcertée mais qui ne veut pas le montrer) : Les musiciens évoluent avec le temps.
(Boulotte ressort du local des réceptionnistes avec le magnum.)
Pinglet Boulotte) : Vous n'avez pas vu Marcelle ?
Boulotte (avec un regard noir) : Si. Oh si. Je l'ai bien vue.
(Elle passe, frappe au 4, entre, laissant la porte entrouverte.)
Pinglet : Où ? Mais où ?
Marguerite : Ah ! le champagne ! Il tombe bien, j'ai besoin de me rafraîchir.
Pâquerette : Moi aussi. Je me sens excitée !
Boulotte (maussade) : On paie d'abord. En liquide.
Violette : En liquide ? Mais je...
Albert Boulotte) : Pas elles. On a confiance.
Violette (touchée) : Ah merci.
Boulotte Albert) : Bon, vous vous débrouillerez avec M. Bastien.
Pâquerette : Et les verres ?
Marguerite : Je n'en ai pas vu dans le "dortoir".
Albert : Pas de verres à l'hôtel du libre-échange. Les clients les cassaient, M. Bastien n'a pas renouvelé le stock.
Boulotte (ironique) : A quoi bon des verres puisqu'ils seront cassés.
Albert (débouchant la bouteille et montrant l'exemple) : Ici on boit au goulot.
Violette (à qui il la passe.) : Avec un magnum comme c'est pratique. (Elle boit un peu et passe la bouteille à Pervenche qui prend une bonne lampée.
Boulotte ressort, laissant encore la porte entrouverte, va vers le bureau, décroche le téléphone.)
Pâquerette : Hé ! à moi un peu.
Violette : Et ensuite, le concert !
(Pinglet s'est approché de la porte.)
Marguerite : Allez, c'est assez, à moi.
Boulotte (au téléphone) : Elles disent qu'elles n'ont pas de liquide... Ah ?... Pour elles, ça va ?.. Bon. (Elle raccroche. Regarde Pinglet, hésite, rentre dans son local.
Pinglet regarde sans vergogne par l'entrebâillement de la porte. Albert pour lui est de dos.)
Violette Albert) : Vous avez apporté votre instrument ? (Elle va fermer la porte.)
Albert (étonné, ironique) : Je ne sors jamais sans.
Pâquerette (le dévorant des yeux, franchement allumée) : Très consciencieux à l'opéra de Paris.
Marguerite : Vous jouez de quoi ?
Violette : C'est un clarinettiste.
Pervenche (qui se doute, rieuse) : Notre Violette reste aussi ingénue. Je crois qu'il est grand temps qu'elle prenne une leçon de musique.
Violette (qui ne se laisse pas démonter) : Et il y aura peut-être aussi un altiste.
(Rire de Pervenche.)
Albert : Où est passée ma bonbonnière ? Avant de commencer je prendrais bien...
Pâquerette : Là. Bleu ? blanc ? rouge ? (Elle ouvrant la boîte.)
Albert : Rouge.
Pâquerette : Ah, plus; je les ai finis.
Albert (estomaqué) : Finis ? Oh. Et vous vous sentez bien ?
Pâquerette : Excitée. Mais excitée !
Albert : ... Alors je vais chercher d'autres explosifs. (A part, allant vers la porte qu'il ouvre :) Parce que moi... bouououh.
(Pinglet resté près de la porte apparaît.
Albert va rapidement au bureau sans le regarder et Pinglet n'a pas le temps de  le dévisager; il remplit sa bonbonnière à sa façon.
Pâquerette voit Pinglet.)
Pâquerette (joyeuse) : L'alto ! Voilà l'alto !
Les trois autres (joyeuses) : Ah !
Pâquerette (se lève et vient prendre par la main Pinglet qu'elle tire dans le "dortoir") : Venez, grand artiste.
Violette : On ne vous espérait plus.
Marguerite : Il est déjà en tenue décontractée.
Violette : Mais où est votre instrument ?
Pervenche (qui a plus ou moins compris, goguenarde) : Il a apporté l'archet, c'est toi l'instrument.
Pâquerette (scandalisée) : Oh. (Puis elle part d'un éclat de rire strident.)
Violette Pinglet) : Ecoutez-les, ces folles !
Pinglet (ahuri) : J'passais juste devant la porte, je ne regardais pas.
Marguerite (malicieuse) : Et qu'est-ce que vous espériez voir ?
Pervenche (après avoir bu au magnum) : Vous voulez un peu de champagne ?
Pinglet : Non, oh non, ça me rend malade.
Pâquerette : Mais si, un peu de champagne.
Marguerite : Vous n'en jouerez que mieux.
(Elle le saisissent. Pervenche le fait boire de force.)
Violette (scandalisée) : Voyons. Oh. Qu'est-ce qui vous prend ? Laissez-le !
(Pervenche cesse de faire boire Pinglet, Marguerite le lâche.)
Pinglet : Ah. Ah. J'étouffe.
Violette : Excusez-les, elles sont devenues folles, pas de doute.
(Albert revient en avalant une pilule. Il rentre, ferme la porte en la claquant. Pinglet se retourne... ébahissement des deux.)
Pinglet : Albert ! Albert Paillardin !... Son neveu.
Albert : Monsieur Pinglet !
Pinglet (ahuri) : Qu'est-ce que tu fais là ?
Albert : Eh ben, dites donc, qu'est-ce que je découvre ? En tenue légère avec quatre jolies filles.
Pinglet : Non, non, je t'assure, je passais. (Reprenant ses esprits :) Mais c'est toi, au contraire, qui étais là avec elles !
Violette : Vous n'avez pas répété ensemble, je sais bien. (A Albert :) Monsieur remplace l'altiste initialement prévu qui n'a pas pu venir.
Albert : Ah ? (A Pinglet :) Je ne savais pas que toi aussi... que tu étais un collègue.
Pervenche (malicieuse, prenant la bonbonnière des mains d'Albert, à Pinglet) : Vous prendrez bien un bonbon ?
Pinglet : Ma foi, si ça peut chasser le goût du champagne...
Pâquerette : Un rouge. Pour Pâquerette.
Marguerite : Si tu préfères Marguerite, prends un blanc.
Pervenche : Pour Pervenche, tu prends un bleu.
Pinglet (perdu, riant) : Comment choisir entre de si jolies fleurs.
Les trois ensemble (lui lançant les pilules dans la bouche) : Ne choisis pas !
Pinglet (qui a avalé malgré lui) : Oh.
Violette : Mais elles sont... cinglées ! Tenez, buvez. (Elle le fait boire au magnum.)
Pinglet (écoeuré) : Oh, ce champagne...
Violette (à ses soeurs) : Voyons, mes chéries, un peu de tenue !
Pâquerette : Des fourmis me courent à toute vitesse sur tout le corps !
Marguerite : Des mini-bombes m'explosent partout dans les veines !
Pervenche : Des hordes de rats me dévorent de l'intérieur !
Violette : Oh, mon Dieu !
(Pinglet semble assommé.)
Et ce monsieur, qu'est-ce qu'il a ?
Albert (respirant à fond) : Ah, je commence à me sentir mieux.
Marguerite (lui arrachant sa chemise sous laquelle il est torse nu, admirant) : il est superbe, le clarinettiste.
Pinglet (hébété mais remontant) : Ah bon, tu joues de la clarinette, toi ? Je ne savais pas.
Albert (ironique) : Je donne plutôt des cours de rattrapage.
Pervenche (éclatant de rire) : Violette nous a offert des cours de rattrapage !
Pâquerette (enlevant le peignoir de Pinglet qui apparaît en slip) : Ouais ! (Dépitée :) Oh.
(Le contraste entre Albert et Pinglet est flagrant. Ils se regardent tous les deux. Albert se met à rire.)
Albert Pinglet) : Les fins de carrière sont dures.
Pinglet (remontant, mais ahuri) : Quelle carrière ? C'est curieux, je me sens de mieux en mieux mais bizarre.
Albert : Moi je ne me sens vraiment bien que quand je ne me sens plus moi.
Pâquerette Violette) : Tiens, je te laisse l'altiste.
Violette (sèchement, ingénument, à Pâquerette, de Pinglet) : Tu choques monsieur. Un peu de morale.
Albert (qui a enlacé Pervenche et Marguerite) : La morale ne résiste pas à une pilule. (Il embrasse Marguerite.), encore moins à deux (Il embrasse Pervenche.) et encore moins à trois. (Il embrasse Pâquerette qui les a rejoints.)
Pinglet : Oh, je me sens en pleine forme ! Un Etna ! Un Vésuve ! Où est Marcelle ? (Comprenant brusquement le problème, regardant Albert :) Aïe.
Albert : Qui ça ?
Violette : Il y a aussi une musicienne ?
Albert : C'est ta femme ?
Pinglet : Hein ? Ma femme ici ? Non mais, ça va pas !
Albert : Mais elle sait ce que tu fais ... en extra ?
Pinglet (se noyant) : A propos de musique, si on en mettait pour l'ambiance ?
Violette : C'est pas vous qui jouez ?
Pervenche : Ils joueront mieux avec accompagnement d'orchestre, chérie.
Pâquerette : Et nous aussi.
Marguerite : Il y a une stéréo au fond. (Elle va dans la partie du "dortoir" que l'on ne voit pas.)
21. Marcelle (apparaissant dans l'escalier, à quelqu'un invisible) : Oui, je reviens. (A part :) Il faut quand même que je m'occupe de Pinglet, sinon Dieu sait ce qu'il peut faire. (Côté "dortoir" on entend une musique-danse-mode. Marcelle a des billets à la main. Arrivée devant le bureau d'accueil, constatant qu'il n'y a personne, elle les lève en l'air et les secoue.
Dans le "dortoir" Pervenche et Pâquerette se mettent à danser avec Albert autour de Violette et de Pinglet.
M. Bastien sort en trombe du local de surveillance.)
M. Bastien Marcelle) : Voilà, voilà ! Ah, la soirée part du tonnerre, tu as été épatante.
Marcelle (contente) : Merci.
M. Bastien (tandis qu'elle lui donne les billets) : L'audimat monte, monte. (Changeant de ton :) Je prends le prix de la chambre. Et le reste, dans le tiroir-coffre, dans ton enveloppe. (Il le fait en parlant.) Si tu as besoin d'un produit (Il désigne le fameux tiroir.), tu te sers. Gratuit, aujourd'hui. (Il retourne vers le local de surveillance toujours précipitamment.) Allez, à tout à l'heure.
(Marguerite en riant est venue se joindre à la danse.
Pinglet veut en profiter pour s'échapper. Il ouvre la porte, voit Marcelle.)
Albert (s'approchant de lui) : Hé, tu veux t'en aller ?
Pinglet (refermant la porte pour qu'il ne voie pas Marcelle) : Non. Non.
(Marcelle ouvre la porte de sa chambre et y cherche Pinglet. Elle va regarder dans la salle de bains.)
Pervenche : Il faut que l'altiste fasse jouer Violette.
Violette (perdue) : Mais qu'est-ce que vous racontez. Je n'ai besoin de personne. Je peux jouer toute seule. (Eclat de rire strident de Pâquerette.)
Marcelle : Personne. Est-ce qu'il serait parti ? Oh mon Dieu, ce salaud va tout dire à mon mari. Seigneur, je vous en prie, protégez-nous !
Albert (avec un cri sauvage) : Le clarinettiste va d'abord s'occuper de la financeuse. Musique pour la Violette. (Il fonce sur elle tout d'un coup, elle s'enfuit en criant dans la partie invisible du "dortoir". Rires de ses soeurs.
Marcelle revient dans le hall.)
Marcelle (effondrée) : Qu'est-ce que nous allons devenir ?
Durand (apparaissant dans l'escalier en peignoir) : Eh bien, mignonne, on t'attend le magnum et moi.
Marcelle (effondrée) : Oui, oui, je viens.
Pinglet (tentant à nouveau de s'échapper, ouvre la porte, voit Marcelle, veut refermer la porte) : Oh, encore là.
Pâquerette (arrivant derrière lui pour le retenir voit Durand) : Ouah, la bête. (Sans façon :) Tu veux venir t'amuser, la bête ?
(Durand regarde Marcelle.)
Marcelle : Mais oui, allez-y, vas-y. Je vous rejoins.
Durand : Bon, mais tu viens vite ?
(Pâquerette l'entraîne; Pinglet, indécis, referme la porte.
On entend le rire de Violette.
Marcelle retourne dans la chambre.)
Marguerite (regardant vers le fond du "dortoir") : Eh bien on commence de profiter de la surprise on dirait. (Elle va y rejoindre Violette et Albert.)
Pinglet : Là, je ne sais plus. Qu'est-ce que je...
Pervenche (lui soufflant dans le cou) : Dis donc, Etna, tu es le seul volcan de libre pour le moment. Tue les rats qui me dévorent, chéri, tue-les.
Pinglet (corps à corps, dansant mais très mal avec elle) : Je me sens hors de moi. Un super-moi !
Pervenche : Tu ne dois vraiment pas être grand chose alors d'habitude.
Marcelle (dans sa chambre) : Pourtant ses affaires sont là, il n'a pas pu aller loin. (Reprenant espoir :) Il doit me chercher.
Pâquerette Durand) : Tu es aussi musicien, hein ?
Durand (modeste) : En amateur. Je dirige l'orchestre, à la prison.
Pâquerette (estomaquée) : De la pri... ?
Pervenche (éclatant de rire) : Ah, la baguette. (Laissant Pinglet et se pendant au cou de Durand.) Viens me diriger, chéri. (Elle l'entraîne dans la partie invisible. Pinglet et Pâquerette les suivent du regard.)
Marcelle (rouvrant la porte) : Il faut que je demande à M. Bastien. Oh ! (Elle voit son mari, Paillardin, descendre l'escalier. Elle referme la porte, affolée.)
22. Paillardin : Oh, ma tête, ma tête. L'aspirine elle fait boum. Elle fait boum; boum. Y a plus que le sexe qui va. Mais lui, il n'arrête pas. Boum. Boum. Première fois que l'aspirine me fait cet effet-là.
Victorine (en tenue plus que légère, rieuse, apparaît dans l'escalier) : Chéri, reviens, je te donnerai une autre aspirine, calmante.
Paillardin (devant le bureau d'accueil) : Ah non, plus d'aspirine, ça fait trop mal à la tête. Ce qu'il me faut... (Il cherche. Tout à coup il a une inspiration :) c'est un évêque.
Victorine (étonnée) : Un évêque ? Pour quoi faire ?
Paillardin : ... Pour me confesser. (Il réfléchit.:) Toi, t'es pas évêque !
Victorine (riant) : Et pourtant, étant donné tout c'que tu m'as raconté, il me manque plus qu'le costume.
Paillardin : Oooh. Blasphamé... blasmépha... trice. J'en veux un vrai.
(Marcelle entrouvre sa porte pour regarder, oppressée.)
Victorine : Un vrai quoi ?
Paillardin : Evêque.
Pinglet (dans le "dortoir") : Moi aussi je connais la musique, je suis maître-chanteur. Mais j'ai perdu la chanteuse.
Pâquerette (l'enlaçant) : Voyons si tu sais au moins siffler, affreux merle. Tiens, bois encore un peu ! (Elle a saisi le magnum sur la table et le force à boire.) Tu siffleras mieux.
Paillardin (criant) : Holà ! Holà ! Quéqu'un !
Boulotte (sortant du local des réceptionnistes, mal réveillée) : Quel boucan. Oh, ma tête !
Pinglet : Oh, j'étouffe !
Paillardin Boulotte) : Est-ce que vous êtes évêque ?
Boulotte : Je me suis endormie, désolée. J'aurais besoin d'une aspirine.
Paillardin (désignant Victorine) : La Victoire elle en a plein. Mais après ça fait boum boum. Y a plus qu'le sexe qui fonctionne. Ça va, le sexe, vous ?
Boulotte (ahurie) : Hein ? Non mais, ça vous r'garde !
Victorine (hilare) : Chéri, on ne parle pas ainsi à une évêque.
Paillardin (confus) : C'est vrai. (A Boulotte :) Excusez-moi.
Pinglet : Oh, les nausées reviennent. (Il veut sortir malgré Pâquerette, ouvre la porte, voit Paillardin... Il veut refermer mais Pâquerette a vu Paillardin.)
Pâquerette : Hé, il est bien mieux que toi. (Sortant malgré Pinglet, à Paillardin :) Vous aimez la musique ?
Paillardin : Est-ce que vous êtes évêque ?
Pâquerette (avec aplomb) : Bien sûr, ça n'se voit pas ?
Paillardin : Je voudrais m'confesser.
Pâquerette : Bien sûr, c'est par là, au fond. (Elle vient à lui et fait tomber son peignoir; le trouvant à son goût :) Ah oui, il faut que tu te confesses.
(Pinglet se tourne face contre le mur tandis qu'entre Paillardin  qui suit docilement, mécaniquement Pâquerette. La porte reste ouverte.)
Victorine (fâchée) : Héô !
Boulotte : Oh, ma tête.
Victorine (criant) : Il est à moi !
M. Bastien (ouvrant la porte du local de surveillance, à Victorine) : Laisse !
Victorine : Mais ...
M. Bastien (autoritaire) : Tu laisses... ( A Boulotte :) Et toi, tu leur portes un magnum. Allez, vite ! Secoue-toi ! (Il referme.)
(Boulotte s'exécute en maugréant.
Marcelle sort de sa chambre.)
Victorine Marcelle) : Quelle soirée !
Marcelle (inquiète, s'approchant pour jeter un oeil dans le "dortoir") : Ah ça, j'ai pas connu pire.
Pâquerette (buvant eu goulot le magnum) : Fini. (A Paillardin :) Pauvre chéri. Appelle pour en demander un autre. (Comme il ne bouge pas :) Attends, je vais le faire.
III 23. (Elle retourne en arrière. Paillardin pivote  sur lui-même mécaniquement pour la suivre des yeux. Pinglet qui se dirigeait vers la porte derrière leur dos croyant le danger écarté, se retrouve face à face avec Paillardin qui a aussi Marcelle dans son champ de vision.)
Pâquerette (criant) : Boulotte ! Magnum !
Pinglet Paillardin) : C'est pas moi !... Tu es victime d'une illusion d'optique.
Paillardin (abruti) : Boum boum. (Il rit.)
Pinglet (effrayé, à part) : Boum boum ? Il veut me tirer dessus ? (Haut :) Reste calme. (Montrant Marcelle qui est restée figée sur place :) On va t'expliquer.
Paillardin (abruti) : Boum, boum ! (Il rit stupidement.)
Pâquerette : Où elle est, la feignasse ?
Pinglet Paillardin) : Les apparences sont souvent trompeuses.
(Albert, en slip, passe en courant et va vers le tiroir aux bonbons du bureau.)
Albert : Ah, laissez-moi passer, il faut que j'en r'prenne. Elles ont tout bouffé.
(Les trois soeurs qui étaient au fond, très débraillées, et Durand en petite tenue, très tatoué, le suivent joyeusement.)
Les trois soeurs : Bonbons ! Bonbons !
Paillardin : Boum ! Boum !
Albert (revenant) : Voilà les bonbons. (Il se trouve nez à nez avec Paillardin) : Oh.
Paillardin : Evitez l'aspirine, ça donne mal à la tête. (Il rit.) Le sexe, ça va.
Albert (timidement) : Mon oncle ? Mais qu'est-ce que vous faites ici ? (Découvrant Marcelle :) Avec ma tante ? (Il rit.) On se déprave en couple ? (Voyant Victorine :) avec Victorine en troisième ?
Paillardin : Victorine, elle a plein d'aspirine. Je préfère l'évêque.
Albert (dépassé) : L'évêque ?
Pâquerette : Oui, je suis évêque, et alors ? Tout le monde a droit à sa part de rêve.
Violette : Quelle belle promotion, ma chérie. Que je suis contente pour toi. (Elle l'embrasse.)
Marguerite Pâquerette) : Non mais, tu as vu notre Violi avec Bébert ? Et elle, elle n'a rien pris... si ?
Pervenche (en sage) : Nous ne sommes pas toutes égales devant l'orgasme.
Paillardin (abruti) : Boum boum !
Pâquerette : Viens. (Elle entraîne Paillardin  vers le fond du "dortoir".)
Durand (qui est allé vers Marcelle) : Tu vas venir avec nous.
Marcelle (égarée) : C'est mon mari.
Paillardin Pâquerette) : Je veux me confesser.
Pinglet : Eh bien je crois que l'on n'a plus besoin de moi, je vais vous laisser. Amusez-vous bien. (Il va pour sortir du "dortoir".)
Victorine : Y a d'la place aussi pour moi ? Si je peux être utile.
Albert (rattrapant Pinglet d'une main) : Pas question...
Marguerite Victorine et Albert) : On a en tout cas besoin de l'altiste.
ViolettePinglet) : C'est vrai; t'es moins beau mais tu joues peut-être très bien.
Pervenche (qui regardait Marcelle) : Ça y est ! Je sais où je t'ai déjà vue, toi ! (L'enlaçant :) Mon second mari m'avait payé une "expérience" comme il disait.
Violette (enlaçant Pinglet) : Je t'ai payé, tu m'appartiens.
Marcelle Pervenche qu'elle avait reconnue, triste) : Mon mari à moi fait semblant de ne pas me reconnaître.
Pervenche : Le mien me battait pour me rendre docile.
Marcelle : J'aimerais mieux qu'il me batte.
Victorine (à la cantonade) : Si je peux être utile...
24. Boulotte (ressortant de son local) : Voilà le magnum. On paie d'avance.
Durand (joyeusement) : Je me demande où je mettrais l'argent. Sers-toi dans ma veste à l'étage.
Boulotte : Bon. (Elle lui donne le magnum et monte l'escalier.)
(Il débouche le magnum et veut faire boire Marcelle.)
Marcelle (triste et agacée) : Non.
(Il veut faire boire Victorine.)
Victorine : Mais non, moi je pousse à consommer, je ne consomme pas.
Pinglet (voulant fermer la porte après l'entrée de Durand peut-être par un reste d'humanité pour Marcelle) : Un peu d'intimité.
Albert (qui a pris le magnum au passage et fait boire Violette, rit) : Ça sert à quoi de fermer la porte ? On a vite besoin de la rouvrir. A l'hôtel du libre-échange toutes les portes finissent pas rester ouvertes.
Marguerite (riant) : Soif, Bébert. (Elle prend la bouteille.)
(Durand enlace Violette qui se laisse entraîner vers le fond.)
Pinglet (de nouveau seul, aux femmes restées dans le hall) : Alors, on entre ?
Marcelle (rageuse) : Laisse-moi tranquille, salaud. Tu ne peux plus me faire chanter, mon mari sait tout.
Pinglet : Oui... mais pas tes voisins.
Marcelle : Et pas ta femme.
Pinglet : Je lui dirai que je suis venu ici pour enquêter sur nos "amis". Elle vous a justement toujours trouvés un peu  étranges. (A Victorine :) Allez, viens, toi.
Victorine : On paie d'avance.
Pinglet (ironique) : Je croyais que tu étais prête à rendre service ? Tu es libre ou pas ?
Victorine : Libre, comme un taxi, donc avec un compteur.
Pinglet (méprisant) : Tu dois avoir des voisins, toi aussi.
Victorine (froidement) : Le mépris de la pute, mon p'tit vieux, ça se paie; (Menaçante :) Et ça peut aussi "coûter cher".
Marcelle (triste, effondrée, perdue) : Le mépris est un viol qui ne s'arrête pas.
Pinglet (ironique) : Qu'est-ce que vous êtes venues chercher d'autre ici ? Il n'y a rien d'autre à y trouver.
Albert (qui s'est arrêté de "jouer" avec Violette et écoutait) : Notre ami Pinglet, ma parole, est un vrai pervers. Puisque tu n'es pas des nôtres, comment as-tu pu te passer de nous jusqu'à aujourd'hui ?
Pinglet : Ah ah ! J'ai fessé la belle Laurence Paillardin. Moi ! Et pour rien !
Marcelle : Salaud.
Pinglet : Un salaud à salopes, c'est un être moral.
Violette (contre Albert, à Albert) : Si tu es l'enfer, chéri, je veux me livrer à toi pour l'éternité.
Pervenche (sortant de son long silence, lentement) : Moi, mon mari parti, les "expériences" dont il m'a forcée à bénéficier me sont restées dans la tête. Il m'a enfermé entre elles, je ne peux plus m'en échapper.
(Boulotte redescend l'escalier avec des billets.
Paillardin revient du fond, pensif.)
Paillardin : Boum boum. Oh dans la tête, quéquçafé, quéquçafé. Plus d'asp'rine, ça non.
Pâquerette (apparaissant à son tour, rieuse) : Je te protégerai de l'aspirine, reviens.
Paillardin (en confidence, à Albert) : L'évêque, il est bizarre.
Marcelle Paillardin) : Viens, on va rentrer à la maison.
Paillardin (la regarde, surpris) : Je suis à la maison.
Pinglet (riant) : Mais oui, puisqu'elle est chez elle en réalité ici, tu y es chez toi.
Marcelle (venant chercher Paillardin, sèchement à Pinglet) : Laissez-moi passer.
Pinglet (rigolard) : Tu vas faire quoi, la Paillardine ? Devenir la noble chevalière qui tire son mari de la prison sexe and drogue ?
Marcelle : Laissez-moi passer !
Pinglet : Mais tu n'as pas de laissez-passer. Il faudrait que tu te montres gentille pour ça, comme tout à l'heure.
Pâquerette Pervenche) : Qu'est-ce qu'elle veut ?
Pervenche : C'est son mari.
Pâquerette : Et alors ? (Elle rit.)
Paillardin (découvre Boulotte qui est au bureau, il tombe en extase) : Oh.
Marcelle (poussant violemment Pinglet) : Qu'est-ce qu'il a ? Qu'est-ce que tu as ?
Paillardin (avançant vers le bureau comme hypnotisé) : Quelle beauté.
Boulotte (le voyant avancer vers elle mécaniquement, inquiète) : Circulez, y a rien à voir.
Paillardin : Merveille des merveilles, rosée du matin printanier, aube d'une journée enchantée...
Marcelle (terrifiée) : Oh, mon Dieu !
Pâquerette : Je crois que sa période évêque est terminée.
Paillardin (s'avançant sur Boulotte) : Reine des papillons, des libellules et des abeilles, nymphe de nos prairies ensoleillées...
Victorine (l'arrêtant au passage) : Moi, c'est Victorine, tu te rappelles ?
Paillardin (la regardant) : Bien sûr, on est venus ensemble.
Victorine : Non, ça c'était avec ma mère, il y a plus de vingt ans. On s'en est rendu compte là-haut, tu te souviens ?
Paillardin : Ah oui, tu crois que vingt années se sont écoulées. (Il rit.)
Victorine : Y a rien de drôle. Après tout, sans sa rencontre avec toi et sa mise à la porte ma mère ne serait pas devenue une pute et, par conséquent, je ne le serais pas non plus.
Paillardin (l'embrassant gentiment sur la joue) : Je regrette, chérie. (Regardant Boulotte :) Mais je viens de rencontrer l'amour.
Boulotte (suffoquée, toujours au bureau) :  Quoi ?
Marcelle (terrifiée) : Mais qu'est-ce qu'il a !
Pâquerette Albert) : Il n'existerait pas un truc pour le ramener à son état normal ? (Moue dubitative d'Albert.)
Pinglet (ignoble comme d'habitude) : Etant donné ce qu'il découvrira, il vaudrait mieux que cet état-là devienne son état normal. (Marcelle, presque à côté de lui, brusquement lui donne une gifle violente.) Oh. Vous me la paierez tous les deux.
Paillardin (comme parlant à Boulotte qui, à son bureau, ne sait comment réagir) : Enfin on se rencontre. Tu m'attendais, n'est-ce pas ? (Boulotte fait non de la tête.) On attend toujours l'amour. Toutes les femmes et tous les hommes de la terre attendent l'amour.
Pervenche (à côté de laquelle il passe, lui posant la main sur le bras) : Laisse-la.
Paillardin (doucement, à Pervenche) : Arrête-moi.
Pervenche (bas; livide) : Je ne peux pas.
Paillardin (doucement) : Quel dommage pour nous tous.
Pervenche (bas; livide) : J'ai été dressée à regarder. Et à subir.
Pinglet (fort, pour plaisanter) : Faudrait moins regarder la télévision !
Paillardin (arrivant près du bureau qu'il contourne par la droite - Boulotte commence de reculer vers le local des réceptionnistes) : On est fait pour s'aimer.
(Brusquement Boulotte court dans son local et essaie de fermer la porte mais Paillardin se précipite, il est plus fort qu'elle, il réussit à entrer dans le local. La porte reste entrouverte.)
Marcelle (hurlant) : Arrête ! Pas elle ! (Elle veut se précipiter mais Pinglet la ceinture et la retient de force.) Détruis-moi, moi ! Moi ! Moi ! Viens. Détruis-moi ! Laisse-la !
(On entend des cris de Boulotte, un bruit de lutte. Pervenche qui n'a cessé d'avancer lentement vers la porte, livide, regarde par l'entrebâillement.)
Voix de Boulotte : Laissez-moi. Je vous en prie. Lais-
(Un silence.
Pervenche se met à rire, douloureusement.)
Marcelle (terrifiée) : Mon Dieu !
(Un silence.
Pinglet relâche Marcelle qui ne bouge plus.)
Pinglet : Belle transformation réussie de ton pari, la Paillardine. Y en a qui ont le vin triste, la drogue triste, l'excitant triste; lui il est devenu pire que moi. Le donneur de leçons ! Une satanée revanche !
Marcelle (désespérée, entre ses dents) : Salaud.
Pinglet : Tu l'as déjà dit. Et puis je suis habitué, je m'en fous.
(Victorine se met à rire, doucement.)
Marcelle (toujours les yeux rivés sur la porte, désespérée) : Qu'est-ce qui se passe ?
Durand (réapparaissant avec Marguerite qu'il enlace) : Vous êtes bien silencieux par ici.
Marguerite : On ne s'amuse plus ?
Pinglet : Moi si.
Marcelle (désespérée) : On ne s'est jamais amusé.
Albert (lentement) : Je ne savais pas ce que vous faisiez, ma tante, mais vous me fasciniez, je vous espionnais tout le temps. C'est ce qui m'a conduit ici, à être "initié" par Victorine et "aidé" par M. Bastien.
Marcelle Victorine) : Toi ?
Victorine : Faut bien vivre.
Pinglet (fier de sa plaisanterie) : Et vivre bien. Pas vrai ? (Il rit.)
(Paillardin ressort, la main sur la nuque de Boulotte, ahurie, les vêtements en désordre, des marques de brutalité, sans que l'on puisse savoir s'il s'agit de coups, sur le visage, les bras, les jambes.)
Marguerite (stupéfaite, dans un souffle) : Oh.
Marcelle (désespérée) : Oh, Maxime.
Paillardin : Boulotte, mon amour, et moi, maintenant on est ensemble. Hein, Boulotte ? (Boulotte, terrifiée, ne répond pas. Plus fort, la secouant, l'étranglant à moitié :) Dis : On est ensemble.
Boulotte (ahurie, terrifiée, étouffant) : ... On est ensemble.
Paillardin : On ne se quittera plus.
Marcelle : Viens, Maxime, rentrons à la maison.
Paillardin (avec un petit sourire) : Ça existe, la marche arrière ?
M. Bastien (sortant brusquement du local de surveillance, avec enthousiasme) : 352 672 spectateurs en direct ! Quel succès ! A dix euros la demi-heure, déjà une fortune. Mais le rythme baisse là. Allez, bonbons RC5 pour tout le monde ! Gratos ! (Il sort une boîte de sa poche.)
Marcelle : Non !
M. Bastien : Et d'abord toi.
Marcelle : Non.
M. Bastien (cyniquement, lentement) : Après avoir amené ton mari ici et l'avoir laissé faire, tu n'es plus vraiment en mesure de dire non à quoi que ce soit.
Marcelle : Je n'y suis pour rien. Je suis ce que je suis, c'est tout.
M. Bastien: Un virus ne veut pas de mal non plus, il est innocent en un sens, ça ne l'empêche pas d'être mortel. Responsable et coupable. Avale.
(Il pousse le "bonbon" dans la bouche de Marcelle, elle l'avale.
Lentement M. Bastien distribue, il commence par Pervenche qui s'est rapprochée et qui s'exécute sans un mot.
Puis Albert.
Puis Violette, qui prend le "bonbon".)
Albert Violette) : Pourquoi ? Toi, tu peux encore partir si tu veux.
Violette Albert, se serrant contre lui) : C'est toi ma volonté désormais. (Elle avale le "bonbon".) Je ferai ce que tu voudras.
Pâquerette (prenant le "bonbon" et riant) : Eh bien elle a vite évolué, notre Violi. Bébert s'y entend.
(Marguerite hésite mais Durand la force à avaler, sans ménagement. Puis il fait de même.)
M. Bastien Pinglet) : Allez, à la santé de Madame Pinglet. Femme énigmatique pour rester avec un homme comme toi.
Pinglet (le "bonbon" dans la main) : Oh, nous nous disputons tout le temps.
M. Bastien (railleur) : Tiens donc.
Pinglet : Nous avons un petit problème de couple.
Marcelle (méprisante) : Et quel est ce problème... biquet ? (Elle appuie sur ce dernier mot avec mépris.)
Pinglet : Selon ma femme, c'est moi. (Il avale le "bonbon". Rire douloureux de Marcelle.)
(Victorine avale le "bonbon" sans discuter.)
M. Bastien Paillardin et Boulotte) : Et nos deux nouvelles vedettes. J'ai de grandes espérances cinématographiques pour vous. Allez, prenez de la joie et du ressort.
Paillardin Boulotte) : Tu te rends compte, chérie, nous ferons partie des couples célèbres, comme Roméo et Giuletta, Castor et Polluxine, Mode et Branlette. (Il rit. Avale le sien. Elle refuse, ferme la bouche, il la lui ouvre et la fait avaler de force.)
M. Bastien : Parfait. Je savais bien que si Philbert me l'envoyait il devait avoir une idée derrière la tête. Il s'y connaît. Si je deviens ministre aux affaires sexuelles, ministre d'état, je le prends comme chef de cabinet. Oh, mais il faut changer de musique. (Il entre dans le "dortoir" et se dirige vers le fond.)
27. Paillardin (lâchant Boulotte et le suivant jusqu'à l'entrée du "dortoir") : Que je me sens bien tout à coup !
Marguerite : Enfin... j'ai l'impression que mes yeux se dessillent... que je comprends tout...
Violette : Je me vois de l'extérieur. Et la Violette que je vois est si heureuse !
Pâquerette : On a retrouvé le paradis, il suffisait de retrouver notre jeunesse.
Pervenche (sombre) : Je connais ce paradis-là, il est de carton-pâte. Quand le décor commence d'être crevé par les becs des oiseaux, c'est terrible.
(La musique change et devient violente, agressive - genre hard rock.)
Victorine : Je suis contente de ne pas être tombée au niveau du bordel; ici, on a la classe.
Durand : Je ne serais pas venu passer ma perm dans un simple bordel. J'aime mieux claquer tout le fric que j'ai et me créer de merveilleux souvenirs.
Victorine : Tu es soldat ?
Durand : Non, en prison en face; j'ai une autorisation de sortie pour bonne conduite.
Voix de M. Bastien : Allez, au "dortoir" tout la monde ! (Tous sauf Boulotte et Marcelle commencent le mouvement vers le "dortoir".) Les amateurs paient pour vous voir heureux ! (A Paillardin qui est entré le premier :) Eh bien, et ta Dulcinée ?
(Paillardin se retourne. Soudain Boulotte se précipite vers la porte de la rue, elle sort.
Paillardin la poursuivant hésite, puis sort.)
Marcelle : Maxime ! Non ! (Elle le suit dehors.)
Victorine Marcelle) : Dans cette tenue ? Tu es folle ? (Elle essaie de la rattraper, s'arrête sur le seuil en regardant à l'extérieur.)
Albert Victorine) : Attends, je la rattrape ! (Il sort et finalement elle le suit.)
Durand : Je veux voir ça ! Moi, après tout, je ne risque rien.
Les quatre soeurs : Oh ! Et nous ? Et moi ?
Violette (sortant) : Bébert, attends-moi !
Marguerite (sortant) : Dudu !
Pervenche : Enfin du nouveau sur cette planète. (Elle sort.)
Pâquerette : Et moi ? Ne me laissez pas ! Je viens ! (Elle sort.)
M. Bastien (apparaissant dans le "dortoir") :  Où sont passés ces fous ? Ils sont sortis ? Non mais ! Si quelqu'un les voit ! (Il court à son téléphone en disant :) Ils veulent salir la réputation de l'hôtel, ma parole.! (Il décroche le téléphone.) Allô, la police ? Ah, commissaire, M. Bastien à l'appareil. J'ai des fous, ce soir. Ils sont sortis faire la fête dans la rue ! ... Ah, je n'ai rien pu faire. Tout seul, Philbert pas là, pensez... D'accord, merci. (Il raccroche. Bougonnant :) Juste au moment où j'ai distribué les remontants pour l'audimat.. (Il entre dans le local des réceptionnistes. Un temps. Il ressort avec un magnum, le débouche, sort une boîte de son tiroir spécial médecine, y trouve une poudre qu'il verse dans le magnum, le rebouche avec un bouchon métallique multi-bouteilles.) Voilà, ils vont pouvoir assumer leurs rôles de vedettes.
(Un temps.)
28. (Dehors on entend :)
Une voix : Allez, on rentre.
Seconde voix : Vous pouvez remercier le capitaine. Si on vous avait emmenés au poste vous n'y coupiez pas d'une forte amende et de quelques mois de prison.
(M. Bastien s'est précipité vers la porte et regarde dehors.)
M. Bastien (comme heureux) : Ah les voilà ! Les enfants prodigues sont de retour !
Première voix de policier : On vous les ramène, vos fêtards !
Deuxième voix de policier : Ça n'a pas été si facile. Certains ne voulaient pas. Sans l'aide du taulard on n'y serait pas arrivé.
Première voix de policier : Il nous a bien aidés, la commission des libertés en tiendra compte.
M. Bastien (faisant passer les "fêtards" devant lui) : Merci, messieurs les policiers. Merci. Quand les gens font la fête, ils deviennent inconscients, ils n'ont plus le sens du devoir, du respect du droit des autres. Allez, allez, garnements, à la maison !
(Tous passent devant lui : Paillardin fièrement, la main sur le cou de Boulotte qui semble épouvantée; Marcelle tête basse; Victorine rigolarde; Albert soulagé, souriant; Durand satisfait; les quatre soeurs "aux anges"; Pinglet craintif.)
Violette : Cette fois on n'a pas eu droit au poste, comme il y a vingt ans.
Pâquerette (fièrement) : Mais j'ai subi une brutalité policière.
Marguerite (jouant l'effrayée) : Je sens encore l'horrible pression des menottes sur mes poignets. (A Pervenche :) Pas toi ?
Pervenche (ambiguë) : Oh moi, j'ai l'habitude.
Marguerite : J'ai été bien contente quand le capitaine a dit de me les enlever.
Durand Marguerite, à l'oreille mais fort) : Je brûle de te les remettre, mignonne. (Il l'enlace.)
(Pervenche rit.)
M. Bastien : Tout le monde est là... Oui. A la bonne heure.
Pinglet : On a eu chaud. J'ai bien cru que l'on s'rait dans les journaux.
Durand : Lavette.
Victorine : Et alors ? Moi j'aime bien les lavettes, j'en vis.
M. Bastien (très paternel) : Allez, allez, il est l'heure de retourner au "dortoir" ! Et surtout que l'on ne s'y endorme pas. (Il a pris le magnum préparé à sa façon sur le bureau d'accueil et se tient à la porte du "dortoir". Il fera boire chacun à son entrée comme s'il s'agissait d'un rite.)
Durand (enlaçant Marcelle alors qu'il tient déjà Marguerite enlacée) : Belles, belles...
Marcelle : Laisse-moi.
(Paillardin semble hébété, il tient fermement Boulotte qui essaie à nouveau d'échapper mais sa main l'étrangle et elle n'y parvient pas.)
Il faut que je veille sur lui.
Durand (méprisant) : Une femme comme toi avec ça !
Marcelle : Et alors ? Si j'ai trouvé en lui l'homme qu'il me fallait, c'est bien que je suis la femme qu'il lui faut. S'il se perd, je me perdrai avec lui; s'il y a la mort au bout, elle sera pour nous deux.
M. Bastien : Entrez, entrez, mesdames, messieurs, héroïnes et héros de l'audimat, la gloire vous attend !
(Il tire Paillardin qui tient Boulotte à l'intérieur, les fait boire tous les deux, les pousse; Paillardin continue d'avancer vers le fond, traînant boulotte à demi-étranglée.
Marcelle le suit, volontairement, et boit puisqu'il le faut.)
M. Bastien Marcelle) : Pour le moment, ton mari et Boulotte ce n'est qu'un film sur le net; si elle s'échappe le film deviendra la réalité. Tu m'as compris ?
(Durand entraîne Marguerite et Pâquerette. Ils boivent.)
Durand : Santé. Et... la fête aux dames. (Il les embrasse l'une après l'autre.
Albert se présente à son tour avec Violette accrochée à lui.)
Albert M. Bastien) : C'est elle qui veut.
M. Bastien : Je vois. Tu es toujours aussi talentueux.
(Albert et Violette boivent et passent.
Tous vont vers le fond du "dortoir".
Victorine entraîne Pinglet.)
Pinglet : Je voudrais m'en aller.
Victorine : Puisqu'on ne peut pas... Je vais bien m'occuper de toi, chéri, et c'est l'audimat qui paie.
Pinglet : Bon, puisque ça ne coûte rien... Sinon ma femme risque de s'en apercevoir...
(Ils boivent et passent.
Reste Pervenche.)
M. Bastien : Allez, toi, viens.
Pervenche : Il n'y a plus personne pour moi.
M. Bastien : Il y a moi. Je vais m'occuper de toi personnellement.
(Pervenche, sans bouger encore du milieu du hall, renverse la tête en arrière  et tend les bras, serrés, vers l'avant, comme pour qu'on lui passe les menottes; elle se met à rire doucement, douloureusement.)

RIDEAU