Pute en solde

de

Jean Sibil

Une salle de séjour pas trop standard. L'aisance, pas la richesse. Le goût de l'originalité achetée par manque de personnalité.

Prologue
(Guiscard et Pierrefond seuls en scène, tête basse, gênés. Tous deux ont la trentaine, comme André, Brigitte est plus jeune.
On entend une dispute.)
Voix de femme : Moi ! Moi ! Mais comment est-ce que tu peux m'accuser d'une chose pareille, espèce de salaud !
Voix d'homme : S'ils le disent c'est que c'est vrai ! Je les ai amenés exprès pour que tu ne puisses pas nier !
Voix de femme : Je ne me contenterai pas de nier, je vais vous faire le peau à tous les quatre ! (Brigitte entrant :) Ah, et il y en a déjà un de tes fameux témoins qui a filé !
André (entrant) : On se connaît depuis la maternelle, aucun ne me mentirait. Oui, je les crois eux, eux !
Brigitte, à Guiscard et Pierrefond : Allez-y, osez le répéter, je veux l'entendre encore une fois !
Guiscard (gêné) : ... On est désolé... Mais on ne pouvait vraiment pas se taire, pas avec André, tu comprends ?
Brigitte (suffoquée) : Et il me tutoie...
Pierrefond (gêné mais décidé) :  Quand l'équipe de foot fêtait une victoire et que tu y participais, on ne t'y forçait pas et tu étais bien payée. Il y a eu une fois où tu n'as pas eu ton argent ?
Brigitte (en rage et stupéfaite) : Mon argent !
André (les bras croisés, en juge, ironique) : Et Madame se plaignait pour les fins de mois.
Brigitte (attrapant ce qu'elle trouve et le lançant à la tête de Guiscard et de Pierrefond) : Salauds ! Menteurs !
Pierrefond (esquivant) : Au début on croyait que tu étais une supportrice particulièrement enthousiaste...
André : Mais qui faisait rétribuer son enthousiasme.
Guiscard (esquivant, méchamment) : On payait plus sans rechigner, pense donc, la femme d'un ami.
(Brigitte s'est arrêtée de leur lancer des objets à la figure.
Un court silence.)
Brigitte (comme à elle-même, à voix basse, stupéfaite) : Mais c'est qu'ils semblent y croire, ils croient à ce qu'ils disent.
Guiscard : Evidemment, puisque c'est vrai.
Pierrefond : Avant-hier tu es allée trop loin dans... ton défi de baiser avec tous les "membres" de l'équipe.
André (pâle de rage) : Donc vous.
Guiscard : Eh ! Elle est si belle... Mais après ça, on a voulu être sûrs que tu étais d'accord.
André (marchant sur lui qui recule) : D'accord, moi ! Pour que ma femme se prostitue !
Pierrefond : Ça nous paraissait bizarre aussi... Alors on a pris la décision de t'en parler.
André (s'effondrant dans un fauteuil) : Mon Dieu !
Pierrefond (à Brigitte) : On ne reproche rien à tes... prestations, c'est pas ça... mais un ami...
Guiscard : ... S'il ne veut plus, on te regrettera.
(Brigitte est assommée, elle regarde l'un, elle regarde l'autre.)
Dutertre (entrant en coup de vent) : Et elle est là-bas, elle y est !
Guiscard : Qui ?
Dutertre : Elle nous a dit avant-hier que dans la journée on la trouvait au bar Le Rond-Point, à deux pas de l'hôpital pour enfants, elle y est !... (Silence des autres; il sent le besoin de s'expliquer.) J'ai eu un doute tout à l'heure, surtout en l'entendant, je ne reconnaissais pas la voix, alors je me suis dit "ça ne coûte rien d'aller voir là-bas, c'est impossible bien sûr mais on ne sait jamais". Et elle y est.
(Un temps.)
Brigitte (retrouvant ses esprits, bondissant vers la porte) : Je vais savoir !
André (bondissant derrière elle) : Moi aussi !
Guiscard (les suivant) : Bon sang, et s'il disait vrai ?
Pierrefond (les suivant) : On n'a pas pu commettre une erreur pareille !
(Dutertre reste seul en scène.)
NOIR

I, 1. Même décor.
Seule en scène, Brigitte, semble-t-il, assise sur un fauteuil, les jambes allongées sur un pouf.
Tenue différente, élégante, de prêt-à-porter de luxe avec hauts talons; trop élégante pour rester chez soi.
André entre par le fond (porte d'une chambre), la regarde un moment sans rien dire.

André : Elle se calme. Elle va venir dans un instant.
Brigitte? : Qu'elle ne se presse pas, j'adore être tranquille. Du moment que je suis payée.
André : Elle a reçu un choc.
Brigitte? : Moi aussi.
(Un silence.)
Brigitte? (enlevant ses jambes du pouf) : Quand je l'ai vue tout d'un coup devant moi les yeux comme ça (Elle imite.), écarquillés... je crois que j'ai réagi comme ça (Même imitation.), les yeux devaient m'en sortir de la tête. (Petit rire.)
(Un silence.)
Brigitte? : Tout le monde se taisait, je l'entendais respirer. Derrière, vous étiez des statues de marbre. Et puis vous vous êtes déstatufiés. Le bruit est revenu. Tu lui as dit : "Viens, rentrons, j'ai compris, viens, pardonne-moi." Et elle a répondu dans un souffle : "Pas sans elle." Heureusement que j'ai eu la présence d'esprit d'indiquer mes tarifs à l'heure; j'aimerais voir enfin les billets.
André (s'appuyant contre un mur) : Oui, j'irai jusqu'à un distributeur dans un instant... J'ai besoin de savoir ce qu'elle va décider.
Brigitte? (se levant, blaguant à sa manière) : Une partouze tout de suite ou plus tard ?
André : Ce n'est pas son genre en général et vu les circonstances... vous ne pourriez pas être moins... professionnelle ?
Brigitte? (piteusement) : Je ne sais pas comment être... Ça me dépasse, chéri.
André : Pas "chéri"; pas à moi.
Brigitte? : Oui... Ma vie n'était pas facile, est-ce qu'elle va être pire qu'avant ?
André : Je ne sais pas.
Brigitte? (s'avançant vers lui) : Y aurait pas d'justice. J'ai rien fait d'mal.
André : Non. Bien sûr que non... Vous avez déjà pensé à exercer une autre... activité ?
Brigitte? : Evidemment. J'ai eu deux reconversions. Deux.
André : Et... quoi ?
Brigitte? : Et... pas facile de cesser d'être putaine. Tu ne trouves pas qu'on devrait dire "un putain, une putaine" ?
André (ironique) : Tu réformes le dictionnaire pendant tes loisirs ?
Brigitte? (se rasseyant, de nouveau à l'aise) : Pourquoi pas ? Mes clients m'ont toujours dit que j'avais un sacré vocabulaire. Et "un voyou, une voyoute" ?
André (ironique) : On ne t'a pas proposé...
Brigitte? : Non.
André : Deviens auteure.
Brigitte? : Avec tous ceux qui m'ont demandé de leur raconter des histoires cochonnes j'aurais pas d'difficulté. Enfin, dans un certain genre littéraire du moins.
André : Oh, le sexe fait vendre quel que soit le genre.
Brigitte? : Dès l'école j'avais ma version des "Trois petits cochons". Tu veux que je te la raconte ?
I, 2. (Brigitte entre. Elle est très pâle.
Brigitte? se lève. Elle sont face à face. - Pour obtenir une ressemblance suffisante il a évidemment fallu travailler sur le physique des deux actrices, pas d'une seule.)
Brigitte (à Brigitte?) : Comment t'appelles-tu ?
Brigitte? : Il y a longtemps que je l'ai oublié.
Brigitte : Comment est-ce qu'on t'appelle ?
Brigitte? : Depuis quelque temps on m'a affublée du nom de Bri.
Brigitte : Bri ?
Bri : Oui.
Brigitte : Comme le début de Brigitte, de mon prénom... ?
(Un silence.
On remarque peu à peu les différences : Bri est nettement plus âgée, elle a dépassé la quarantaine, Brigitte a moins de trente ans. Et la voix bien sûr est très différente.)
Brigitte : Qu'est-ce que tu préférerais... devenir ?
Bri : Qu'est-ce que tu veux au juste ?
Brigitte : Tu ne retourneras pas là-bas. Je ne te laisserai pas faire. Pas avec ma tête ! (Saisissant brusquement la tête de Bri entre ses deux mains.) Montre-moi ça de près !
André (essayant d'intervenir) : Voyons, Brigitte !
Brigitte : Salaud, va avec tes "amis". (Lâchant Bri.) Au fait où est-ce qu'ils sont passés les autres salauds ?
André (piteusement) : Ils sont partis, ils te présentent leurs excuses.
Bri : De bons clients à moi, ne sois pas trop dure avec eux, ils sont gentils.
(Brigitte la regarde avec stupéfaction.
Un silence.)
Brigitte (brutalement) : Ça date de quand ?... Je reconnais une refaite quand j'en vois une de près ! Ça date de quand ton opération ?
Bri (intimidée) : Il y a deux mois.
Brigitte : Deux mois... (Rêveuse et écoeurée.) Deux mois à traîner là-bas, de client en client, avec ma tête... à vendre mon image... c'est-à-dire pour tous, moi.
Bri (se défendant) : Je ne te connaissais même pas. Je vis comme je peux.
Brigitte : Tu ne peux pas continuer à prostituer mon image, elle n'est pas à toi !
Bri (dans un cri) : Je l'ai pourtant payée assez cher !
André (à Brigitte) : Sois raisonnable, qu'est-ce que tu crois obtenir d'elle ? Pas de folie, hein ?
Brigitte : Si on lui a mis ma tête sur les épaules, on doit savoir l'enlever et lui en mettre une autre. Celle d'avant pas exemple.
Bri : Elle était devenue invendable, chérie, c'est pour ça que...
Brigitte : Ou une autre. Inédite.
Bri (mécontente) : Femme du monstre de Frankenstein ?
Brigitte (rêveuse) : On fait pire aujourd'hui, tu en es la preuve... j'en parlerai à Martine, la femme de Pascagne.
Bri (suffoquée) : Ah non ! non ! Pas celui-là !
Brigitte (étonnée) : C'est un excellent chirurgien.
Bri : C'est lui qui... (Elle a un geste vers son visage.)
(Un silence.)
André : Lui ?
Brigitte (écoeurée) : ... Alors il n'y a pas eu de hasard...
André : Il n'avait pas été un peu amoureux de toi quand Martine te l'a présenté ?
Brigitte : ... J'ai même dû être assez sèche. Que sa femme soit dans la pièce à côté ne le gênait même pas.
Bri (entre ses dents) : Rien ne le gêne.
Brigitte : Ce qui veut dire... ?
Bri (entre ses dents) : J'avais pas assez d'argent. Tu ne sais pas ce qu'il a exigé pour compléter.
Brigitte : ... de toi... physiquement ?
Bri (la regardant en face, très près) : De nous. A l'évidence.
(Un silence.
Brigitte réfléchit. Brusquement elle va prendre un téléphone.)
Brigitte (au téléphone) : Allô, Martine ? Tu pourrais passer chez moi en urgence ? Oui, je ne vais pas très bien. Surtout je voudrais te montrer quelque chose... Trouve le temps. Il faut absolument que tu viennes... Maintenant... Bon, je t'attends. (Elle repose le téléphone.)
Bri (craintive) : Qu'est-ce que vous voulez ? Vous voulez que je sois charcutée ? Il va savoir que j'ai parlé, il se vengera. Je n'ai pas d'mac pour me protéger, moi, je n'ai personne.
Brigitte : Il y a bien quelqu'un qui a été bon pour toi ?... Enfin quelqu'un que tu connais assez bien pour qu'il t'aide ? ou du moins que tu ne te sentes pas complètement seule au milieu d'inconnus ?
Bri (avec un sourire ambigu) : Il y aurait.... mais quand il comprendra il refusera de venir.
Brigitte : Dis toujours.
Bri : Abricet, un directeur de la chaîne cryptée.
André : Abricet ? Oui, nous le connaissons à la banque, je suis chargé des finances de sa chaîne.
Brigitte (ambiguë) : Et puis c'est lui qui t'a présenté à la Grande loge maçonnique, il était l'un de tes... comment on dit ?
André (agacé) : Peu importe. Bref, je peux l'inviter à déjeuner. (A Bri :) Si tu dis vrai, eh bien, tu lui parleras...
Bri : ... Vous êtes des gens aux nombreuses relations... des gens importants, hein ?...
Brigitte : On a travaillé dur tous les deux pour en arriver là, qu'est-ce que tu crois ?
Bri (qui suit son idée) : Des gens connus... c'est pour ça que ta tête se vendait si bien.
Brigitte : Quoi ?
Bri : Le téléphone n'arrêtait pas de sonner. Ils voulaient tous se payer ta tête ! (Elle se met à rire.)
(Brigitte l'écoute rire, glacée.)
3. (Sonnerie à la porte.
Brigitte va vers la porte, revient vers Bri qu'elle retourne pour que la personne qui entrera ne la voie pas tout de suite. Puis elle se précipite pour ouvrir.
Martine (la trentaine, à la mode) entre en coup de vent.)
Martine : Mais tu es debout, tu ne vas pas si mal que ça. Un peu pâle, énervée. - Bonjour André. - Qu'est-ce que tu as ?
(Brigitte va précipitamment jusqu'à Bri et la retourne.)
Brigitte : Ça !
Martine (stupéfaite) : Oh.
(Un temps.)
Martine : Et... qui est-ce ?
Brigitte : Une pute.
Martine (ébahie) : Elle n'en a pas l'air.
Brigitte (ironique) : Elle a mon air.
Martine (perdue) : Oui... Ma pauvre Brigitte.
Bri (timidement mais aigrement) : Eh bien et moi ?
Martine : Une telle ressemblance... Le hasard produit de stupéfiants... problèmes.
Brigitte (la regardant dans les yeux) : Pas le hasard.
Martine (qui sent venir la tuile) : Non ?
Brigitte (se rapprochant encore, les yeux dans les yeux) : Ton mari !
Martine (d'une voix étranglée) : Oh...
(Un silence.
Martine cherche un fauteuil, elle va s'asseoir.)
André : ... Hum... Je passe dans mon bureau pour inviter Abricet.
(Il sort.
Un temps.)
Martine (péniblement, à Brigitte) : Alors, il a fini par t'avoir !
Brigitte (furieuse) : Quoi ?
Bri (rageuse) : Bien sûr qu'il l'a eue.
Brigitte : Quoi ?
Martine : Il n'admet pas qu'on lui résiste. Il estime en ce cas qu'il est en droit de se venger. Eh oui, il a tous les torts et il estime qu'il a le droit de se venger.
Brigitte : Tu es de quel côté ?
Martine : Je savais bien que j'étais aussi trompée qu'une femme peut l'être, j'avais honte devant les autres, mais je ne le croyais pas salaud à ce point-là... Je suis avec toi, Brigitte, (En larmes.) avec toi... Mais que faire, je ne sais pas.
Bri (intervenant, ironiquement) : Vous pourriez l'inviter à déjeuner ici, avec l'autre. (Elle rit.) Et moi.
Brigitte : C'est une idée... Oui.
Martine : Il ne va pas accourir comme ça parce que moi ou même toi, l'une de nous lui aura téléphoné.
Bri : Il connaît déjà du monde de la télévision ?
Brigitte : Oui ! Vaniteux comme il est ! Il a toujours eu envie d'entrer dans ce milieu ! (Elle va chercher le téléphone qu'elle apporte à Martine.) Tiens, téléphone-lui qu'il a une occasion unique de rencontrer à ce déjeuner Abricet, un directeur important de la chaîne cryptée. Allez, du courage !
Martine (téléphonant) : Oui, chéri, je te dérange, je sais, mais, écoute-moi une seconde ! Chez les Rochemathieu, au déjeuner, il y a Abricet, un directeur important de la chaîne cryptée, c'est une occasion unique de le rencontrer, de sympathiser et tu sympathiseras, je te connais, quand tu y as intérêt tu es tellement sympathique, il ne pourra plus se passer de toi... tu viens, oui ? Je le dis à...
Brigitte (dans un souffle) : André.
Martine : André. (Elle raccroche.) Voilà.
Bri (pour s'amuser) : Voilà pour les convives. Et qu'est-ce qu'on mange ?
Brigitte (lui saisissant la tête et presque méchamment) : C'est toi le menu, pauvre dinde !
André (rentrant) : C'est fait. J'ai multiplié les mensonges : problème inattendu dans leurs comptes, vedette invitée au déjeuner qui aimerait le rencontrer... Je n'ai pas voulu révéler le nom de la ... vedette.
Bri (lâchée par Brigitte) : Ce n'est pas si faux que vous croyez.
Brigitte (ironique) : Ah bon ? Avant d'avoir ma tête tu as eu mieux ?
Bri (avec un curieux petit rire) : Des films j'en ai tourné, ça oui. Et en vedette, tu parles !
4. Brigitte (s'avançant sur elle de manière inquiétante) : Y a quoi là, derrière ma tête de vingt-six ans ?
Bri (reculant) : Une vie de quarante-sept. Pas belle, ah non, pas du tout.
André (inquiet, posant la main sur un bras de Brigitte; bas) : Ce n'est pas sa faute.
Brigitte (dégageant violemment son bras mais s'arrêtant) : Et alors, qu'est-ce qu'il cache, mon visage ?
Bri (tombant assise sur le fauteuil qu'elle occupait au début) : Un de mes handicaps... est ma mémoire, mon excellente mémoire. J'aurais voulu qu'il me refasse aussi le dedans de la tête. Ou du moins qu'il la vide. On la presserait comme une orange, tu vois, et on serait délivrée.
Brigitte : Tu ne réponds pas à la question.
Martine : Laisse-la. Ça sert à quoi ?
André : Si elle te répond ce sera pire.
Bri : A l'école déjà, je ne comprenais pas tout mais je retenais tout. Aucune difficulté pour apprendre par coeur. Seulement pour le sens...
Brigitte : Qui es-tu Bri ? Dis-le moi.
Bri (comme perdue) : Je sais par coeur quarante-sept ans de vie et je n'y comprends rien. Pourtant je ne suis pas sotte. Enfin pas tellement. Si j'en juge par tous ceux que je vois à la télé, je suis dans la moyenne de sottise.
Brigitte (sèchement) : Et si tu en juges d'après tes clients ?
Bri (méchanceté pour méchanceté) : Tu veux dire "nos" clients . (Brigitte lève la main pour la gifler, André retient son bras et lui prend la main; ils vont rester ainsi un long moment main dans la main.) ... Un client qui rencontre une prostituée, c'est toujours, d'abord, un problème psychologique qui rencontre un problème psychologique. Et un problème est une stupidité qui se sait stupide.
Brigitte : Tu ne vas pas me la jouer à la pute-infirmière !
Bri : Non, non. Je vends ma vie directement plus que du travail. Même pas esclave pour avoir une justification... Ma vie je peux la réciter du début à maintenant, les détails y sont aussi importants que ton visage, pour la réciter il me faudrait quarante-sept ans : Je ne sais pas quoi enlever qui serait moins essentiel qu'autre chose. "Bri, comment es-tu devenue putaine ? - Je sais je ne sais pas. - Bri, pourquoi es-tu devenue une loque sociale dégoûtante ? - Je sais je ne sais pas. - Bri..." (Criant :) Laissez-moi ! Laissez-moi !
(Un temps.)
Mon père lançait quand j'avais des emmerdes : "Ça te fera les pieds !" Ah, je dois avoir les pieds les plus parfaits de la planète ! Ah, ah. (Petit rire sur deux "ah" seulement en se pliant en deux. Rire faux de son, juste d'aspect.) Mon troisième amant il voulait que je couche avec deux à la fois, j'étais idéaliste, je voulais pas; j'ai fini par accepter, baiser avec deux c'était moins dur que d'être violée par six. Il a été un homme qui a compté dans ma vie. Et qui savait compter, tu parles, ah ah. (Même rire en se pliant en deux.) Et un jour il m'a vendue à la chaîne proxénète. Le directeur m'a demandé de venir dans son bureau, il m'a dit : "Tu es libre", et il m'a donné les dates et lieux pour les tournages.
Martine : Vous deviez, tout de même, être contente, vous viviez mieux ?
Bri (étonnée) : Contente ?... Sans les détails nous ne pouvez pas vivre ma vie.. Vous ne verriez pas le visage de Brigitte sur ma tête si les détails y manquaient, la bouche par exemple. Regardez sa bouche et sa bouche qui est la mienne. Vous saisissez ? Si j'avais un résumé de son visage et  pas les détails nous ne la reconnaîtriez pas.
Brigitte : Mais le porno t'en es sortie ?
Bri : On m'en a sortie. Bien avant mes quarante-sept ans. Tu parles, on ne se vend pas comme à vingt-six. Je n'ai que de la vie à vendre, moi, et elle perd sans arrêt de sa valeur.
André (à Brigitte) : En tout cas elle n'est pas idiote. Elle sait ce qu'elle fait...
Bri (comme en confidence) : Eh bien, pas vraiment, j'ai toujours eu l'impression en baisant que quelqu'une d'autre baisait et que moi j'étais juste là, sans pouvoir échapper. Les cochonneries de bonne petite salope me sont complètement étrangères, franchement je n'ai aucun intérêt pour ça.
Brigitte (durement) : Tu ne vas pas nous raconter tes passes sous prétexte de te justifier, hein !
Bri : Tu veux savoir et tu ne veux pas le sordide. Moi je vends de ma vie pour qu'on la souille. Parce qu'il y a des gens à problèmes qui viennent à la souille comme les porcs et je suis la souille. Sans les détails tu ne te rends pas compte et toi les détails tu ne veux pas les entendre; d'ailleurs, à quoi bon ?
5. (On sonne.
Martine va voir par l'oeilleton.)
Martine (en souffle, revenant vers les autres) : Non, ce n'est pas mon mari. J'ai reconnu le type de la télé.
(Bri saute sur ses pieds, elle semble presque espiègle. Elle tourne Brigitte dos à la porte comme celle-ci l'avait forcée à se tenir précédemment.)
Bri (joyeuse) : A moi, cette fois.
(Elle va ouvrir.)
Oui. M. Abricet, je présume ? Mon mari vous attend. Moi aussi naturellement. Entrez donc.
Abricet (pas loin des soixante ans; costume "correct") : Merci. Charmante. Vous êtes charmante. Je vous avais déjà aperçue quelques fois de loin... (Voyant André :) Ah, cher ami, quelle épouse charmante vous avez. (Il lui serre la main.) Et habillée avec un goût exquis. Ma femme devrait la rencontrer pour prendre des leçons.
(Bri semble aux anges.)
André (jetant un coup d'oeil inquiet à Brigitte qui ne bouge pas mais a l'air sombre, les sourcils serrés) : J'espère que vous ne m'en voudrez pas de m'être permis...
Abricet (un peu inquiet) : Est-ce vraiment grave ?
André (embarrassé) : Ça dépend des points de vue.
Abricet (bas) : Et... la vedette ?
Bri (qui l'a suivi et se tient tout près de lui, joyeusement) : C'est moi, la vedette !
(Brigitte se retourne brusquement. Abricet reste stupéfait.
Bri s'assied sur un fauteuil pour jouir de sa stupéfaction.)
Abricet : Qu'est-ce que ça veut dire ?
Brigitte (sèchement) : Ça ne veut rien dire.
Bri : Tu ne me reconnais pas, Louis ? Ah ah. (Rire à deux notes et pliée en deux.)
Abricet (sueur froide) : Mon Dieu, ce rire, je connais ça.
Bri : Tu parles, et le reste donc, moins la figure.
Abricet (ahuri) : Olympe !
André : Oh. Pas Olympe de...
Abricet (ahuri) : Taverny. Mais ce ne peut pas être elle !
Bri : Eh si, ça peut.
Martine (qui s'est rapprochée) : J'ai un mari d'une habileté assez prodigieuse.
André (qui l'avait oubliée, la présentant) : Madame Pascagne.
Abricet : La femme du chirurgien ?
Brigitte (qui n'a cessé de fixer André) : Alors tu la connais ?
Abricet (à Martine) : Mon épouse a été enchantée de...
Bri (le coupant) : Moi ça se discute.
Brigitte (à André, presque crié) : Alors tu la connais !
(Un silence.)
André (gêné) : J'ai vu quelques-uns de ses films, comme tout le monde... Avant de t'épouser.
Bri (moqueuse) : Cent trente-six films au compteur. Dont cent dix-sept en vedette.
Brigitte : Et quelle tête elle avait ? Elle était belle ?
Bri (triste) : Ma figure, je l'ai vue se dissoudre, elle me ressemblait de moins en moins. A la fin nous n'avions plus aucun point commun l'une avec l'autre. Je me suis perdue de vue. Ah ah. (Rire à deux notes, pliée en deux.)
(Un temps.)
Abricet (gêné, à Bri) : Et à part ça, ça va ?
(Un temps. L'énormité de la question banale les frappe tous.)
Bri (sarcastique) : Je suis putaine maintenant. Enfin avant aussi. Mais bas de gamme. J'avais fouillé mes tiroirs pour me payer une nouvelle tête qui me donne quelques années de survie avant de sombrer complètement. Seulement je ne suis pas chanceuse. Toute ma vie j'ai chuté de salaud en salaud, et à chaque fois, on m'a traitée un peu plus de salope. Et qu'est-ce que j'y peux ?... (Doucement :) La vérité, Louis, c'est que cette fois je ne sais absolument plus quoi faire.
(Un silence.)
Abricet : Je suis tombé dans un piège... Tu cherches à m'apitoyer ?
Bri : Avec toi ce ne serait vraiment pas la peine.
Abricet : J'ai fait pour toi tout ce que je pouvais.
Bri : Oui, tu m'as jetée à la rue.
Abricet : Arrête le mélo, tout le monde passe par les rues.
Bri : Et je suis à tout le monde... Enfin ceux qui ne me trouvent pas scandaleusement trop chère. Ah ah. ( Rire et gestuelle habituels.)
Abricet : Chacun sa vie. Personne n'est comptable de personne. Les affaires sont les affaires. La chaîne ne pouvait plus t'employer, tu n'attirais plus d'abonnés. C'est la loi du marché.
Bri (s'est levée et rapprochée de lui) : Du marché des vies. Les vies à la souille quand elles sont filmées rapportent gros, pas vrai ? Les gens ils voulaient me voir, voir dans le lit, hors du lit, ah la salope ! T'as vu le truc qu'elle fait ? (Furieuse.) Sans nous ta chaîne cryptée elle ne se serait jamais lancée, elle aurait coulé, coulé !
Abricet : Peut-être ! Mais aujourd'hui elle est un modèle international ! Et en quinze ans on a investi dix milliards dans le cinéma, le vrai !
Bri (stupéfaite) : Dix milliards !... (Amère et ironique :) Eh bien, ça en fait des pipes !
Abricet : ... Dans toute guerre y compris économique il y a des sacrifiés.
Bri : On peut être tranquille pour toi, ce ne sera jamais toi.
Abricet : J'ai mieux aimé te virer qu'être viré. Et alors ? Qui peut me le reprocher ?
Bri (doucement) : Moi.
(Un silence.)
Brigitte : Donc, tu t'appelles Olympe ?
Bri (amère) : Te fatigue pas, c'était mon troisième nom et j'en suis à mon septième.
6. (Sonnerie.
Martine se précipite vers l'oeilleton.)
Martine : Ah, cette fois... (A Brigitte et Bri :) Tournez-vous toutes les deux. Toutes les deux. Allez !
(Elle ouvre
Entre Pascagne, la cinquantaine, bronzé, sportif, costume bleu pâle à la fois élégant et décontracté.)
Pascagne (bas à Martine) : J'espère que tu ne m'as pas joué un de tes tours, toi... (A André.) Salut, ça va ? Et Monsieur ? Il me semble vous avoir déjà vu.
André : Abricet, un directeur important de la chaîne cryptée.
Pascagne : Ah, j'ai souvent apprécié vos programmes.
Martine (ironiquement) : De nuit.
Pascagne : Hein ?
Martine : Tu avais raison, je t'ai joué un de mes tours. (Allant rapidement vers Brigitte et Bri et les retournant.) Laquelle tu préfères ?
Pascagne (sidéré) : Oh.
(Un silence.)
Brigitte (lentement) : Alors, comme ça, tu t'étais fabriqué ton exemplaire de Brigitte ?
Pascagne (pétrifié) : Oh, personnel... non.
Bri (narquoise) : Là, non. Pas personnel. (Insinuante.) Sauf au début.
Pascagne (bredouillant) : Il n'y avait pas d'autre possibilité... pour la rajeunir, je veux dire... Le bistouris... enfin, au mieux...
Bri : Je t'entends encore me dire : "Tu t'appelleras Bri,  et maintenant, à quatre pattes." Vous voulez que je vous raconte la suite ? Ah non, c'est vrai, vous n'aimez pas les détails... Il m'a donné le fouet.
Pascagne : Elle divague. C'est une pute, vous savez ?
André (marchant sur lui) : Comment as-tu pu ? Nous connaissant !
(Il le saisit par les bords de sa veste.)
Pascagne (naïvement) : Ben oui, sans ça... (Voulant plaisanter :) Pour une fois on ne prétendra pas que je ne pense qu'au fric... (André, devant tant d'inconscience, le lâche et reste face à lui sans rien dire.)
Martine (tristement) : Je ne pensais pas qu'un jour tu descendrais jusque là.
Bri : Bien plus bas que moi.
Pascagne (qui commence de se ressaisir) : Oh, quelle affaire pour une femme à deux têtes !... Ou plutôt, deux femmes à une tête, mais double.
André (marchant de nouveau sur lui, furieux : Quoi ! (Abricet l'arrête.)
Pascagne (reculant) : Et tu as la bonne. Il y avait Jean qui rit et Jean qui pleure, Marie et Marie-Madeleine, il y a Brigitte qui rit et Brigitte-Madeleine. (A Abricet :) Pas vrai ?
Abricet (circonspect) : Ben...
Pascagne : Faut pas vous en faire, ces réparations-jeunesse ça ne tient pas longtemps longtemps. Un an ou deux et avec la vie qu'elle mène elle sera une loque.
Bri : Qu'est-ce que t'en sais de la vie que j'mène ?
Pascagne : Oh, je passe régulièrement en voiture vers le café du Rond-Point; parfois avec ses clients elle ne va plus loin que la ruelle derrière, elle ne vous l'a pas raconté, ça ?
Martine (suffoquée) : Alors tu t'es arrêté ?
Pascagne : Enfin... pour... une ancienne cliente...
(Un silence.)
Martine : ... Et j'étais ta femme !
Pascagne (rageur) : Toi, tu me paieras tout ça !
Martine : Je ne rentrerai pas.
Pascagne : Ce ne sera que partie remise !
Martine : Je ne reviendrai jamais. Heureusement que j'ai mon travail et que je ne dépens pas de toi pour vivre.
Pascagne (furieux) : Tu ne m'échapperas pas comme ça...
Martine : Tu pourras sans doute avoir la même que moi, te créer un double, tu sais comment t'y prendre. Mais pas moi... (Elle sort à grands pas en s'efforçant de rester digne.)
7. Pascagne : Mais oui, mais oui, file. Je prendrai une vraie femme à ta place, ça m'évitera de multiplier les maîtresses... Ça m'coûtera moins cher. (Aux autres :) Alors on a monté ce beau coup  contre moi, hein ! Attendez que vous ou l'un de vos proches se retrouve à l'hôpital... On ne se permet pas ce genre de chose avec moi. Même pas un chef d'état ! Un glissement de bistouris ou une maladie nosocomiale, y a pas d'responsable. J'ai la confiance de toute la profession, moi ! Alors les merdes comme vous, j'm'en fous. (Partant :) Vous verrez qui aura le dernier mot ! (Il sort.)
(Un silence.)
André : Je n'en reviens pas... Je le croyais un homme bien. Je suis stupéfait.
Bri : Mes seins, ce n'est pas lui. J'étais allée à Paris, j'avais encore les moyens.
Brigitte (fatiguée) : Tais-toi...
Bri (une idée lui passe par la tête et gaiement à Abricet) : Dis donc, toi qui prétendais que je ne changerais jamais ! (Elle a un geste de la main autour de son visage.) Ah ah. (Rire de deux notes, elle se plie en deux.)
Abricet (froidement) : Ce Pascagne n'a pas complètement tort, vous nous piégez. Après tout ce ne sont pas nos affaires !
Bri : Si. Ah si !
Abricet : Toi peut-être? Mais eux ? (A André et Brigitte :) Et qu'est-ce que vous voulez ? Que je change le passé ? Que je change le marché du sexe ? Que je... Faites de la politique et réformez le monde si vous pouvez mais ne vous en prenez pas à moi !
Bri (sournoisement) : T'es une victime, chéri.
Abricet : Parfaitement. T'as toujours été une... je ne vais pas te qualifier, on m'accuserait encore de méchanceté, de vulgarité, de cynisme et... je ne suis quoi. J'suis pas plus méchant que toi, pas plus cynique que toi et pas plus vulgaire en tout cas...
Bri (froidement) : J'ai été dix ans ta pute préférée, celle que tu offrais aux industriels afin d'obtenir les contrats de publicité,  assez longtemps pour savoir qu'on est pareils. Hein, Louis ? Pareils. Et tu sais ce qui me rend triste aujourd'hui ? C'est de savoir que si j'avais été un homme j'aurais été toi. C'est con de se prostituer quand on peut prostituer les autres, et sans craindre les lois. Ta chaîne proxénète elle a été mon vampire, mais sa mâchoire c'était toi.
Abricet (haussant les épaules) : Des mots ! Des mots ! (A André et Brigitte :) Parce qu'en plus elle lit ! Quant à ce qu'elle y comprend... Bon, eh bien je vous laisse jouer les bons samaritains avec elle parce que moi j'en ai assez, j'ai du travail, (A André :) et puis je n'y suis pour rien si ta femme a maintenant la tête d'une pute !
Bri : Ah ah. (Rire qui la plie en deux.)
André (stupéfait) : Quoi !
(Brigitte reste suffoquée.)
Abricet : Et pour ce qui est de ta banque, on pourrait bien en trouver une autre !
(Il sort avant qu'André ait réussi à réagir.
Un silence.)
André (sortant de sa stupéfaction) : Voilà un abominable homme.
Brigitte (lui prenant doucement le bras) : Tu risques des ennuis à la banque ?
(Bri se rassied.)
André : La banque ? Oh non. On essaie au contraire de se débarrasser de sa chaîne depuis qu'elle est soupçonnée de blanchiment d'argent pour la mafia... en échange de son installation en Italie.
Brigitte : Mais... c'est sérieux ?
André : Une banque ne renonce pas à de bonnes affaires pour des rumeurs.
Bri : Dites donc, le déjeuner sans déjeuner m'a laissé une petite faim
Brigitte (avec un geste) : La cuisine est par là.
Bri (sautant sur ses pieds, joyeusement) : Merci.
(Elle entre dans la cuisine.
8. André se laisse tomber dans un fauteuil.
Brigitte fait quelques pas dans un sens, s'arrête, revient lentement, marche un peu, revient.)
André (fatigué) : Dix ans. Entre eux il y avait tout de même un lien.
Brigitte : On peut se retrouver côte à côte pendant des années, parfois même en couple, sans qu'il y ait de véritable lien.
Bri (paraissant à la porte de la cuisine, mangeant et de la nourriture à la main) : La vie je ne connaissais pas le mode d'emploi, le sexe par contre j'avais pas quatorze ans que l'on m'avait enseigné tout ce que l'on peut savoir; avec Louis comme avec les autres j'ai utilisé mes connaissances.
Brigitte (froidement) : Tu écoutes aux portes ?
Bri (interloquée) : Elle était ouverte... Et puis tout le monde écoute aux portes... pas sans arrêt... mais si on ne veut pas être pigeonnée...
Brigitte : Tu rentres dans la cuisine et tu fermes la porte. Nous voulons être seuls un moment.
Bri : De l'intimité au salon ? Ah ah. (Petit rire moqueur.) On varie les plaisirs, hein ? (Fermant la porte.) Enfin si vous avez besoin de conseils ?
(Elle ferme la porte.
Et quelques instants plus tard l'entrebâillera en douceur.)
Brigitte : Je ne la laisserai pas en faire à sa tête.
André : Elle "est" comme ça.
Brigitte : Il va falloir être patients, elle aura besoin de temps pour devenir... insérée.
André : Tu ne comptes pas la garder ici ? Tu n'es pas...
Brigitte (violemment) : Je ne laisserai pas ma tête se balader dans des bordels ! Elle est à moi ! Elle reste là.
André (se levant) : ... Je comprends... Mais dans le mode d'emploi de la vie que j'ai appris, la pute à domicile n'est pas prévue.
Brigitte : Elle apprendra un métier.
André : Elle finira par amener des "clients" à la maison. Je ne veux pas d'ça.
Brigitte : Mais moi non plus !
(Un temps.)
André : Vous autres, les femmes, vous êtes à la fois plus facilement scandalisées et plus vite attirées par le gouffre de la prostitution. Vous...
Brigitte (estomaquée) : Quoi !
André : Vous êtes plus vulnérables.
Brigitte : Mais pas du tout. Plus exploitées et dupées, oui.
André : Si nous étions réduits à la misère noire, tu ne te dévouerais pas en...
Brigitte : En... ?
André : En... comme Bri quoi !
Brigitte (suffoquée) : Non !
André : Tu dis ça parce qu'on n'en est pas là. Mais imagine que... tiens, tout simplement, je risque de me retrouver sans possibilité de travail et tu peux me sauver parce que tu plais à mon patron, tu ne... ?
Brigitte (un ton au-dessus) : Non !
André : Ou alors... un accident brise ma vie, je suis sur un lit sans bouger, sans parler, une opération est possible, à l'étranger, elle coûte une fortune, tu ne te prostituerais pas pour avoir l'argent ?
Brigitte (rageusement) : Non ! (Un temps.) Ce serait plus pénible pour toi de voir ta femme devenir une pute que de mourir, j'en suis sûre. La dignité d'abord, tu ne crois pas ?
André : Et si tu avais deux enfants mourant de faim, et puis tiens, en plus, de froid, et en plus ayant mal aux dents, et...
Brigitte (doucement) : Non... Je les tuerais plutôt.
(La porte de la cuisine se referme se claquant. André et Brigitte tournent la tête dans sa direction.)
Brigitte (reprenant) : Et toi aussi. Ton romantisme à dévouement féminin il était grand et généreux au XIXème siècle, aujourd'hui il est la bêtise. Moi j'ai le romantisme égalitaire. Tu te prostituerais pour moi ou nos gosses ?
André (souriant et imitant son ton) : Non !
(Brigitte (souriant) : Tu vois bien.
(Ils se donnent un petit baiser.)
André : Pour Bri fais comme tu veux, je te soutiendrai... Je vais dans mon bureau, il faut tout de même que je m'occupe de mes dossiers.
(Il sort.)
II, 9. Bri : On peut entrer ? La cuisine est petite, je ne m'y sens pas à l'aise.
Brigitte : Oui... Tu sais cuisiner ?
Bri (qui semble cherche quelque chose) : Cuisiner, ça m'ennuie.
Brigitte : Si tu apprenais, tu adorerais j'en suis sûre.
Bri (se baissant pour mieux chercher) : Où est-ce que tu prends une certitude pareille ?
Brigitte : Qu'est-ce que tu fais à quatre pattes ?
Bri : Rien. (Plaisamment :) L'habitude. Ah ah. (Rire mais elle s'arrête devant l'impassibilité de Brigitte.) Oh, mais rien ne t'amuse, toi ! Une de mes meilleurs blagues ! Toutes mes copines, et mes clients encore plus, la trouvent impayable !... T'es pas une marrante.
Brigitte : Je travaille dans l'immobilier. Je suis syndic.
Bri : Alors, tu es riche ? Tu peux te payer Bri à domicile ? Quelle tenue dois-je porter, maîtresse ?
Brigitte : Arrête de faire le pitre.
Bri : J'ai longtemps joué les ingénues en socquettes blanches et avec des couettes. (Elle pince ses cheveux et les relève en deux couettes, prend des airs grotesquement ingénus.) Des ingénues initiées de toutes les façons, tu vois ? Ah non, c'est vrai... Ingénue tu l'es restée, quoique mariée. Ah ah. (Elle rit, pliée en deux. Brigitte a l'air excédée.) Et puis les abonnés de la chaîne cryptée n'ont plus voulu payer pour ça, ils m'avaient assez initiée "à leur goût", il a fallu trouver plus fort. Avec plusieurs types à la fois. Le public des dégoûtants, ça se ménage, sinon t'as pas son fric.
Brigitte (excédée) : Tu me fatigues. Est-ce que l'on pourrait parler sérieusement une minute ?
Bri (stupéfaite) : Eh bien, qu'est-ce qu'on faisait ? (Furieuse.) Pas sérieux, un sujet qui a permis un investissement de dix milliards dans le cinéma, le vrai ?
Brigitte : Je veux parler de ton avenir !
Bri (fermée) : Pas d'autre opération. J'y suis totalement opposée... J'ai eu mal... Ah, et mon angoisse quand il a enlevé les pansements !... Oh, j'ai eu peur, peur. (Elle secoue la tête de droite à gauche avec force.) Et puis ton visage m'est apparu; il m'a plus tout de suite... Tiens, si c'était toi plutôt qui étais charcutée pour changer de figure, hein ?
Brigitte (agacée) : Elle est à moi, cette figure.
Bri (sur la défensive) : A moi aussi, je l'ai payée... Payée !... Cher ! Tu veux les détails avec Pascagne ?... Disons que nous avons une figure en copropriété.
Brigitte (fâchée) : Quoi !
Bri (complaisante) : En tant que syndic, c'est toi qui la gères... On ne va pas aller devant les tribunaux ?
Brigitte (étonnée) : Devant les tribunaux ?
Bri : Dame, si tu veux me voler la tête que j'ai payée...
Brigitte : Les procès coûtent cher, tu n'as pas d'argent.
Bri : Non, mais j'ai ta tête, particulièrement rentable. Surtout maintenant que je sais pourquoi.
Brigitte (suffoquée) : Tu oserais ?
Bri (se regardant dans un miroir) : Ma bouche est vraiment réussie, Pascagne s'est surpassé. (Ambiguë.) Que veux-tu, il adore ta bouche... Tu veux qu'on la détruise ? Qu'on se défigure ensemble ? Quand j'étais toute jeunette j'étais maso, je me coupais avec du verre, ça me reprend des fois. Hein, Brigitte, tu veux qu'on se coupe la bouche ? Toutes les deux ? Y a des tordus qui paieront plus cher pour nous avoir... Quoi que j'invente, à ce que j'ai remarqué, il y a toujours des tordus pour en avoir envie.
Bri (stupéfaite) : Tu es détraquée... A force de... tu es devenue...
Bri (brusquement abattue après sa phase d'exaltation) : Si j'étais un homme j'aurais besoin d'une fille comme moi... Dans ma tête c'est bizarre quand même... ça l'est devenu ou ça l'a toujours été.
Brigitte : On ne naît pas pute, je pense !
Bri : ... En tout cas... Tu vois, Brigitte... si ma fille avait vécu je crois qu'elle n'aurait eu aucune chance d'y échapper.
Brigitte : Tu as eu une fille ?
Bri (de plus en plus fatiguée) : Née dans le piège. Pas d'issue avec une mère comme moi. Et même avec une autre, dis ?... Je ne sais pas... Elle était une fille perdue par droit de mère.... Je suis capable de tout, j'aurais fini par la vendre.
(Un silence.)
Brigitte (allant vers la cuisine) : Reprends-toi... Il faut que je mange quelque chose moi aussi.
Bri (déjà requinquée, joyeusement) : Et ferme la porte !
(Brigitte fait claquer la porte.
André sort de son bureau.
10. André : Que se passe-t-il ? J'ai entendu une porte claquer. Vous vous êtes disputées ?
Bri : Pas du tout. On s'entend très très bien. Des jumelles, c'est normal. Ah ah. (Petit rire.)
André (inquiet, hésitant entre rentrer dans son bureau et se diriger vers la chambre ou le bureau de Brigitte ou la cuisine; fort) : Brigitte, ça va ?
Voix de Brigitte : Oui. Oui. Tu veux manger quelque chose ?
André (fort) : Il faut que je finisse mon rapport avant. D'ici quelques minutes !
Bri (qui s'est déchaussée et regarde un de ses pieds, à André) : J'ai un ongle cassé.
André (indifférent) : Ah. Coupe-le.
Bri : Il va falloir couper les autres. S'ils n'ont pas tous la même longueur, c'est pas beau. Et refaire le vernis. Tu crois que Brigitte a du rouge comme celui-là ? Du "Rouge magnolia intense" ?
André : Je ne sais pas. Je ne crois pas.
Bri : Peut-être qu'elle ne passe même pas de vernis à ses ongles de pied ?
André (qui esquisse le mouvement pour retourner dans son bureau) : Non.
Bri (mettant son autre pied nu à côté du premier) : Pourtant les pieds sont plus jolis avec les ongles vernis en rouge, tu ne trouves pas, chéri ?
André : Tu ne m'appelles pas "chéri". Compris ?
Bri : Compris, maître. Je serai obéissante.
André : Pas maître non plus.
Bri : Vous êtes des clients difficiles. Je ne sais pas comment vous satisfaire, rien ne vous plaît.
André : On ne te demande rien.
Bri : J'aurai mon argent ? (Contemplant ses pieds, en confidence :) Je les aime beaucoup. Ils ne sont pas refaits du tout. Quand tu verras ceux de Brigitte à côté, je suis sûre que tu préféreras les miens.
André (ironiquement) : Ce n'est pas à l'ordre du jour.
Bri (sournoise, railleuse) : Si je reste, je serai à tes ordres un jour... Un jour où Brigitte sera de sortie. Je commencerai par résister : Oh, maître, maître, non ! Puis je céderai à ta force : Oh, chéri, chéri ! Oui !
André (mécontent) : Tu es... obsédée décidément.
Bri (railleuse) : Oui, chéri maître, obsédée des obsédés. (Insinuante :) Tu ne me feras pas croire qu'en m'amenant ici, l'idée de mon corps à comparer avec celui de Brigitte ne t'a pas frappé comme un éclair. Tu m'as vue nue à côté d'elle... (Doucement :) Tu peux me demander tout ce que tu ne pourrais pas lui demander, n'oserais pas lui demander. Tu peux exiger de moi tout ce que tu ne peux pas même lui suggérer. Je suis une femme trop libre qui te supplie, chéri, de la soumettre en esclave. Ton esclave. Au visage de ta femme.
André (surpris et fâché) : Mais tu délires, ma parole !
Bri (le ton monte petit à petit) : Oh, quoi. Je sais que tu as vu des films d'Olympe. Lequel tu préférais ? Tu te l'es passé souvent ? Eh bien maintenant Olympe au visage de ta femme est prête à être à toi comme dans ses films, comme dans tes fantasmes. Même le plus fou si tu me paies un peu plus. Je n'exige pas le préservatif, moi, tu sais. Je serai comme tu voudras. (Très près de lui, dans un souffle.) Je suis ce que tu veux. Comme tu me veux.
André (suffoqué) : Jamais de la vie.
Bri (la tête sur son épaule, doucement) : Cogne-moi si tu ne me veux pas. (Criant en se reculant, le bras comme pour se protéger, et de plus en plus fort.) Cogne. Cogne ! Cogne !!
11. Brigitte (ouvrant la porte de la cuisine): Qu'est-ce qui se passe ?
Bri (au bord des larmes) : Il m'a fait des propositions... pas convenables.
Brigitte (stupéfaite, regardant André ) : Quoi ?
André (fermement, la regardant dans les yeux) : Non.
Brigitte (convaincue, revenant à Bri) : Pas d'histoire. Inutile avec nous. Je sais quand il dit vrai.
Bri (renonçant de suite) : Ah bon. Vous n'êtes pas des clients faciles. Pourtant j'ai repris ma grande scène de "Folle d'eux tous". (Très naturellement, à André :) Tu sais ? celle juste avant la partouze.
Brigitte (regardant André) : Tu sais ?
André (évasif) : Hum... (Il prend l'air faussement innocent tel que Brigitte sache bien qu'il est faussement innocent.)
Brigitte : Ouais. Enfin c'était avant... moi.
Bri : Oh sois tranquille, avec Olympe il ne risquait pas de s'ennuyer ni au lit ni hors lit. (Fièrement :) A cette époque quand un riche industriel voulait coucher avec la vedette du porno, je prenais jusqu'à dix mille euros !
André (ironique) : Quelle gloire !
Bri : Ben quoi. J'ai été la pute la plus chère de France. Et peut-être du monde.
André : Une médaille d'or chez nous !
Brigitte (agacée, à Bri) : Cesse de le provoquer.
Bri (soumise) : Oui. Je regrette... Tu me rappelles une de mes éducatrices du Centre des mineurs délinquants après m'avoir encore une fois rattrapée : (Jouant et criant.) "Sale putaine ! Mauvaise fille ! Tu n'es pas bien du tout ! Vilaine ! Vilaine !"
Brigitte (compatissante) : Elle t'a vraiment traumatisée. Tu t'en souviens encore avec horreur.
Bri : Non. On a fait la paix.
Brigitte : Comment ?
Bri : Je suis allée dans son lit...
(Un temps.)
André : Elle n'a sûrement pas crié "putaine".
Bri : Non, j'ai "dépoussiéré" la scène comme on dit au théâtre.
André : Tu me confortes dans mon idée d'abolitionnisme pour la prostitution.
Bri : Abolitionnisme. C'est une blague ?
Brigitte : Pas du tout, le Ministre de l'Intérieur y est favorable.
Bri : ... Un client mécontent, probablement. Il y en a dans tous les commerces... Mais souvent ils mentent pour essayer de récupérer de l'argent. (A Brigitte, pour qu'elle comprenne bien :) Parce que surtout il faut se faire payer avant... Et justement, en ce qui concerne l'argent, je suis là depuis pas mal de temps et j'attends toujours.
André : J'y vais. Je vais au distributeur automatique du coin. (Il va prendre ses papiers et cartes de crédit dans son bureau en coup de vent.) Je reviens. (Il sort.)
Bri (mélancoliquement) : Voilà exactement l'homme qu'il m'aurait fallu.
Brigitte (agacée) : N'y pense même pas.
Bri : Non. Dis donc, ton Ministre de l'Intérieur, il n'aurait pas des problèmes de budget ? Parce que quand on nous menace, en général, c'est pour nous escroquer de l'argent.
12. (Sonnerie.
Brigitte va voir et ouvre.)
Abricet (entrant) : J'ai croisé André dans le couloir. Je me suis excusé pour tout à l'heure. J'ai un peu pété les plombs. Je n'étais plus moi-même.
Bri (joyeusement) : Eh bien on est deux.
Abricet (à Brigitte) : Je voudrais, si je peux, l'aider.
Bri (méfiante) : Et qu'est-ce qu'il faudra que je fasse pour ça ?
Abricet : Mais rien. Rien.
Bri (épatée) : Tu as raison, tu n'es plus toi-même.
Brigitte (refermant la porte) : Plus on est de fous, plus on rit.
Abricet : Avec elle le rire tourne vite au noir. Méfiez-vous. Elle a un côté sympathique mais ce n'est qu'un côté.
Bri (joyeuse) : Pas refait. D'origine.
Abricet : J'ai été pratiquement collé avec elle dix ans, je sais de quoi je parle.
Bri (comme émue) : Nos plus belles années, hein, Louis ?
Abricet : Ah ? Dix années de querelles, de partouzes, de drogue, de fric jeté par les fenêtres, de violences...
Bri (amusée) : Dix années dégueu mais nos plus belles années quand même.
Brigitte (qui se veut railleuse) : Que sont donc les autres !
Bri (regard noir) : Ah çà...
Abricet : Pour moi la vie est devenue vivable quand elle est partie.
Bri (doucement) : Quand tu m'as foutue dehors.
Abricet : ... Oui.
Bri (doucement) : Salaud.
Abricet : ... D'accord. Mais je n'en pouvais plus. Tu as brisé mon premier couple, puis brisé le second.
Bri (aigrement) : Tu étais avec moi, tu n'avais rien à faire avec ces femmes-là.
Abricet : Mais si, une vie. Toi tu n'es pas une vie, tu es un cauchemar. Tu es le diable.
Bri (riant) : Brigitte, tu as introduit Bri du diable en ta demeure, on joue quelle scène cette nuit ? Tu as pensé à inviter tous les sataniques de la région ? Les sadiques, les masos; les chanteurs, les exhibitionnistes, les...
Abricet : Ça commence.
Brigitte : Quoi ?
Bri (riant) : Le bal. Tiens, invite même ton abolitionniste. On va s'occuper de sa liberté de pensée. Hein, Brigitte ? A nous deux....
Brigitte (révoltée) : Non mais, dis donc...
Bri : Ben oui, puisque j'ai ta figure, on ne peut pas baiser avec moi sans baiser avec toi. Tu ne trouves pas qu'elle a une jolie bouche, Louis ? Regarde sur elle. Et puis sur moi.
Brigitte (outrée) : Mais tu te rends compte de ce que tu dis ?
Bri (lui faisant face) : Evidemment. Puisque j'ai ton apparence, il faut bien que je vive avec et la seule chose que j'aie apprise et dont je sois capable c'est de rentabiliser un physique si avantageux.
Brigitte (levant la main comme pour la gifler) : Tu arrêtes !
Bri (se protégeant du bras, criant, et singeant son éducatrice) : "Sale putaine ! Tu n'es pas bien du tout ! Mauvaise fille ! Vilaine ! Vilaine !" (Humblement, à Brigitte :) Bri du diable te demande pardon. Fais-moi demander pardon. (Tombant à genoux et hurlant :) Pardon ! Pardon ! Brigitte, frappe-moi, je le mérite, je ne suis pas bien du tout, frappe la salope, une bonne leçon à la salope, vas-y, vas-y !
Brigitte (suffoquée) : Mais qu'est-ce qui te prend ?
Abricet (qui a fermé les yeux, entre ses dents) : Ça commence.
Brigitte : Quoi ?
Abricet : Le bal, vous allez voir ce que c'est.
Bri (qui pendant ce temps s'est relevée, hargneuse) : Pire que Louis, il cognait comme une lavette. Hein, Louis la lavette ? Collé avec Bri du diable. (Elle rit mais le rire agressif n'a aucun rapport avec celui qu'on lui connaît.) Et André je vais en avoir du mal pour en faire un homme. Tu l'as pourri avec des idées à la con sur les femelles. Où y a la came ? Y en a pas, hein ? Bons nuls de merde. (Elle rit, comme précédemment.) Tu sais pas pour Louis ? Toutes faisaient semblant d'avoir envie de coucher avec lui, et si on est bonne on gagne de se vendre au ciné porno encore quelques fois, il peut avoir la bonté d'intervenir en ta faveur. Et avec les investisseurs dans la chaîne, le service d'après-vente quoi, ou avant, enfin on s'en fout, le boulot est le même. Dans boulot, il y a "boue". (Elle rit comme précédemment. Soudain, sur un ton désespéré :) Flora ! Flora ! Pourquoi est-ce que tu m'as abandonnée ? Je sais même plus où je suis ! Qui sont ces gens ? Flora ! Parle-moi. On ne se quittera jamais, dis ? Oh, je ne veux pas retourner là-bas, je ne veux pas y retourner. (Au bord des larmes :) Pourquoi est-ce que je subis tout ça ? Je n'en peux plus, moi. Ils vont encore me forcer à y aller. Qu'est-ce que je peux ? Qu'est-ce que j'y peux ? (Hurlant, en larmes.) Flora ! Flora ! Reviens, je t'en prie. On va s'évader. On se sauvera ! Ils ne nous rattraperont pas. On y arrivera. Reviens ! Reviens ! (Elle s'écroule sur un fauteuil, elle pleure.)
(Un temps.)
Brigitte (suffoquée) : Mais qu'est-ce qu'elle a ?
Abricet : La crise est finie.
Bri (se redressant comme une femme saoule) : J'ai pas de mouchoir.
(Abricet sort d'une de ses poches un paquet de mouchoirs en papier et le lui donne.)
Brigitte (à Bri en regardant Abricet de biais) : Mais enfin qu'est-ce qu'il te faisait donc ?
Bri (reprenant ses esprits) : Ce qu'il faisait ? (Railleuse :) Oh, tu sais, il est directeur, il fait plutôt faire aux autres.
13. André (ouvrant brusquement la porte) : Qui est Flora ? On entendait jusqu'au bout du couloir.
Brigitte : Au fait, oui, qui est Flora ?
Abricet : Flora était sa fille.
André (refermant la porte) : Et le père ?
Abricet : Çà...
Brigitte : Ce n'est pas vous ?
Abricet : Je ne crois pas... sûrement pas.
André : Et elle est partie ?
Abricet : ... En principe, elle est... tombée par la fenêtre... à cinq ans et demi... On n'était plus ensemble Olympe et moi. Elle ne travaillait plus pour nous.
Bri (qui se remet lentement) : J'avais commencé de dégringoler, façon omnibus, Flora a pris l'express.
Brigitte (compatissante) : Je suis désolée pour ta fille et pour toi.
Bri (se remettant péniblement debout) : T'es bonne, ma conne.
Brigitte (stupéfaite) : Quoi ?
Bri (railleuse) : Désolée, je causais à ma tête.
André (à mi-voix, à Abricet) : Et comment est-ce arrivé ?
Bri (railleuse) : J'entends, chéri.
André : Ne m'appelle pas "chéri".
Bri : Alors ne parle pas comme si j'étais pas là quand je suis là !
Abricet : La police a longtemps pensé qu'elle l'a jetée par la fenêtre. Elle l'a maintenue au maximum en garde-à-vue. Puis il a fallu la relâcher.
(Un silence.)
Bri : Y avait personne pour nous aider. Personne du passé ne me répondait plus. J'avais essayé d'être bien. Pour elle. Une reconversion, tu vois ? Et de tous les côtés ce que j'essayais de construire pour elle se fissurait. Ça s'effondrait ! Personne ne me répondait !
Abricet : Tu ne m'as pas téléphoné, j'en suis sûr.
Bri : Non, pas à toi. Surtout pas à toi.
Abricet : Je vous aurais aidées. Je l'avais vue bébé !
Bri (riant amèrement) : Nous aider ? Toi ! Lui ! Ah. Pour pouvoir afficher un jour comme pub pour ta chaîne : Ce soir, à minuit, Flora, fille de la célèbre pute Olympe de Taverny, sera votre esclave à  jouir comme sa pute de mère !
Abricet : Jamais ! Jamais ! Tu pourrais me citer une chose dégueulasse que j'aie faite ? Une ?
Bri (sombre) : Eh bien, tu m'as faite, moi... Que serais-je sans toi, chéri ? et ta chaîne cryptée ?
André : Je crois que vous avez des problèmes à ... régler. Voulez-vous qu'on vous laisse ?
Bri : Nan.
Abricet : C'est inutile. Le fossé est trop grand.
Brigitte (à Bri) : Tu ne l'as pas... ? n'est-ce pas ?
Bri (doucement) : Elle avait mon visage comme tu as mon visage. Tu pourrais être elle. Est-ce mon passé que tu veux pour avenir, Brigitte ? Tu es celle que j'aurais voulu qu'elle soit. Et j'ai compris que dès l'école, la petite école, grands comme petits, tous s'y opposaient, ils l'insultaient. Le monde s'est resserré sur nous comme une gueule avec des dents de fer, elle pleurait, pleurait. Je lui avais promis ta vie, Brigitte, tu comprends ? Et j'ai vu avec horreur ce qu'elle allait devenir.
Brigitte : Quoi donc ?
Bri (très sombre) : Moi.
(Un silence.)
Abricet : J'étais revenu te dire qu'il y a un poste libre pour la présentation des films X. Si tu veux, il est à toi... Appelle au bureau et dis à William que tu acceptes. Tu n'auras même pas besoin de me rencontrer... Au revoir.
(Il sort. André l'accompagne jusqu'à la porte qu'il referme.)
14. Bri (chantonnant entre ses dents) : "A-dieu, adieu, et tous mes voeux, poum poum, adieu, adieu, que l'enfer te brûle dans ses feux, poum poum."
Brigitte : Mais tu n'essaies pas de le rattraper ? De faire la paix ?
Bri : Calme-toi, Flora, maman t'a débarrassée du vilain papa.
Brigitte (suffoquée) : Comment ?
André (sèchement, à Bri) : Tu évites ça.
Bri, Oui, chéri.
André : Pas "chéri". Tiens, voilà ton argent.
(Il lui met les billets dans la main.)
Bri (comptant) : Le compte y est. (Ambiguë :) Voilà, je suis entièrement à votre service.
André (sèchement) : Ne recommence pas.
Brigitte : Dix ans avec lui. Tu l'as aimé ?
Bri : Qu'ça veut dire ? Tu parles à la championne mondiale de la pipe, je suis dans le livre des records.
André : Elle ment.
Bri (heureuse qu'il tombe dans le panneau) : T'as cherché ?
Brigitte (s'effondrant dans un fauteuil, la tête entre les mains) : Oh mon Dieu, tout cela me dégoûte !
Bri (froidement) : Normal, c'est dégoûtant. (Ironique :) Tout l'intérêt pour eux est là d'ailleurs.
Brigitte (la regardant avec stupéfaction) : Mais qu'est-ce que c'est que cette fille ? Tu es... un monstre !
Bri : Oh ! Les grands mots ! Ma vie quotidienne n'est pas comme la tienne, c'est sûr, mais, tu sais, c'est tout de même une vie quotidienne.
André (agacé pour Brigitte) : Allons bon.
Brigitte (réagissant avec retard) : Mais c'est pire !
Bri : Flora, ma chérie, ne juge pas ta maman.
André (à Bri, sèchement) : Arrête ça !
Brigitte (à André) : Je ne sais plus quoi faire avec elle. Je me sens perdue.
Bri (toujours prête pour un bon mot) : Mais non, c'est moi la fille perdue, ah ah. (Rire du début, sur deux notes et elle se plie en deux.) (Sérieuse :) Tant que je suis perdue, ça va encore, mais quand j'me r'trouvre, alors là je déprime.
André : Oui, on comprend ça. (Air mécontent de Bri. A Brigitte :) Viens te reposer dans la chambre, on fera le point, on discutera.
Brigitte (se laissant emmener) : Et toi, tu n'as même pas déjeuné.
André : Je vais manger quelque chose. (Ils sont sur le seuil de la chambre, il se sépare d'elle pour se rendre dans la cuisine.) Tu ne veux rien ?
Brigitte (entrant dans la chambre) : Une tasse de thé, si tu as le temps. (Elle entre.)
André : Bien sûr. (Il entre dans la cuisine.)
Bri (seule) : Se reposer dans la chambre. Avec moi à côté ! Du jamais vu... Qu'est-ce que je vais faire, moi ? Je commence déjà de m'ennuyer. (Un temps.) Enfin, Flora va bien, c'est l'essentiel. Je suis contente pour elle.
(Un temps.
Sonnerie.
15. Bri lève la tête et ne bouge pas.
André passe de la cuisine dans la chambre, avec quelque chose sur une assiette; on l'entend dire en entrant : "Le thé sera bientôt prêt."
Sonnerie.
Brusquement Bri saute sur ses pieds et  toute joyeuse va regarder par l'oeilleton.
Un temps.
Sonnerie.
Elle ouvre.)
Duchamp (sur le seuil) : Madame Rochemathieu, je pense ?
Bri : Brigitte Rochemathieu, oui. A qui... ?
Duchamp : Duchamp. Charles Duchamp. Je suis l'entraîneur de l'équipe de football. Excusez-moi, j'ai eu vent d'une gaffe que mes joueurs auraient commise, je ne sais pas laquelle, ils n'ont rien voulu me dire, mais surveillé par la presse comme on est aujourd'hui, on ne peut pas se permettre... Bref je suis venu vous voir... pour arranger le problème s'il y a lieu...
Bri : Entrez donc !
Duchamp : Vous comprenez, ce sont de grands enfants.
Bri : Oh, enfants...
Duchamp : Voyez-vous, madame Rochemathieu...
Bri : Appelez-moi Brigitte.
Duchamp : Oui.
Bri : Ne soyons pas trop solennels.
Duchamp : Non. Je n'ai pas trop l'habitude du solennel. Au stade...
Bri : Ce n'est pas le genre. (Très grande dame :) Asseyez-vous Charles.
Duchamp (s'asseyant dans un fauteuil - Bri s'installe dans le fauteuil en face) : Merci. On est en plein championnat, en les voyant arriver tout à l'heure, catastrophés, je me suis dit : "Oh, merde, quelle tuile va encore me tomber sur la cafetière !"
Bri (grande dame compréhensive) : J'aime votre parler franc et pittoresque. Tout va s'arranger. Détendez-vous. Je vous sens tendu... si vous permettez l'expression.
Duchamp : Oh, en ce moment, je joue ma carrière, si l'équipe n'est pas dans les trois premières du championnat, viré... eh oui.
Bri (compatissante) : Mon pauvre ami.
Duchamp : Et le chômage on ne sait pas quand on en sort.
Bri : Si on en sort.
Duchamp : Ma vie est liée au foot, quoi faire d'autre ?
Bri : A part le trottoir... (Air "pas sûr d'avoir bien entendu" de Duchamp.) Mais je manque à tous mes devoirs. Voulez-vous du thé ?
Duchamp (perplexe) : Ben...
Bri (joyeuse, bondissant sur ses pieds et se dirigeant vers la cuisine) : Je crois que j'en ai du tout prêt.
(Elle jette un coup d'oeil vers la porte de la chambre, tend l'oreille, entre dans la cuisine dont elle ressort très vite un plateau entre les mains, avec théière, sucre, deux tasses...)
Le domestique y a pensé avant de partir. J'ai toujours besoin d'avoir une tasse de thé prête.
(Elle verse le thé.)
Pour le sucre je vous laisse vous servir.
Duchamp : Pas de sucre... Si vous permettez, votre petite robe est ravissante.
Bri (se rasseyant où elle était précédemment) : André aime beaucoup que je la mette... et que je l'enlève.
Duchamp (galant) : On ne peut qu'avoir envie d'être à sa place.
Bri (très grande dame) : Oh, voyons... (Duchamp semble confus.) Enfin, comme me disait ma mère, Olympe de Taverny, les hommes ne sont guère que des bites sur pattes. (Air stupéfait de Duchamp.) Mais vous ne buvez pas. A la bonne vôtre. (Elle boit en le fixant. Il boit.)
Duchamp (après une légère grimace due au thé) : Olympe de Taverny ? Ce nom me dit vaguement quelque chose.
Bri : Il dit vaguement quelque chose à tout le monde. Vieille noblesse française. (Le petit doigt de la main de Duchamp tenant sa tasse se lève et se détache en arc de cercle.) Et vous, des ancêtres dignes d'être cités ?
Duchamp : Vieille famille de vignerons. Dans le Beaujolais. La propriété a un château. En ruine malheureusement.
Bri : Oui, mais dans le Beaujolais. (Très grande dame :) J'en ai lampé assez pour apprécier votre valeur.
Duchamp (modeste) : Oh, j'ai hérité, c'est tout. (Retombée du petit doigt.) Et vous, vous avez un château ?
Bri (avec son ton ordinaire) : En tout cas j'y ai beaucoup tourné. (Reprenant le ton grande dame :) Et j'y suis souvent retournée. ((Remontée du petit doigt de Duchamp.) Il est devenu un hôtel. Je n'y vais plus. Il y a trop de passages... Un vrai hôtel de passe; ah ah. (Rire sur deux notes, elle se plie en deux.)
Duchamp (ahuri) : ... La clientèle n'est pas triée sur le volet, évidemment. (Retombée du petit doigt.)
Bri (ton de Bri) : Du moment qu'elle paie.... (Ton de grande dame :) Mâles et femelles c'est la même engeance. Enfin ne médisons pas. Gode save les gouines. Et les putes ont eu cette année une hausse des tarifs inférieure à la hausse générale des prix.
Duchamp (ahuri) : Ah bon ? (Buvant pour cacher son étonnement, d'où grimace :) L'économie et moi...
Bri : Ne trouvez-vous pas, Charles, cher ami, que l'on devrait dire "un putain, une putaine" ? Et "un voyou, une voyoute" ?
Duchamp : Voyez-vous...
Bri : On se tutoie, allez.
Duchamp : Oui... Vois-tu, je n'ai jamais été très fort en orthographe, grammaire, ces trucs-là.
Bri : Moi, au contraire, à l'école j'étais accro à la belle langue, tu vois, chéri ?
Duchamp (stupéfait) : Hein ? (Se rattrapant :) Pas bien.
Bri (riant) : Mais même lorsqu'on n'a pas été vilaine on mérite la fessée, ehoh, Charles ? T'aimes la donner ou la recevoir ?
(Duchamp est ahuri.
La porte de la chambre s'ouvre, André va vers la cuisine mais aperçoit Duchamp. Grimace de Bri genre "ah, les ennuis vont commencer".)
André : Duchamp ? Qu'est-ce que tu fais là ?
Duchamp (se levant) ; Brigitte ne m'avait pas dit que tu étais dans l'appartement.
André : Brigitte ? (Bri cherche à disparaître.)
Duchamp : Ta femme a été très convenable, elle m'a assuré qu'il n'y avait rien de grave avec mes footballeurs.
(Brigitte paraît derrière André.)
Brigitte : Qu'est-ce qu'il y a ?
Duchamp (la voyant) : Oh. (A Bri :) Ta fille, peut-être ?
André et Brigitte : Quoi ?
Duchamp (perdu) : Enfin, s'il n'y a pas eu de problème, je crois que... je vais me retirer.
Bri (qui ne peut résister à l'envie d'une blague) : C'est le meilleur moyen de sortir. Coïtus interrumpus. Ah ah. (Son rire "normal".)
André (marchant sur Duchamp et lui montrant Brigitte) : Ma femme, c'est elle. Et elle (Il lui montre Bri.) c'est le problème de chirurgie esthétique. Compris ?
Duchamp (ahuri) : Oui. (André l'a pris par le bras et le reconduit fermement.) Au revoir... Mesdames. (Bri lui fait un petit signe de la main en jetant un regard inquiet à André et à Brigitte.)
(Duchamp sort, André claque la porte.)
Bri : Ooh, va y avoir de l'orage.
16. André (venant vers la petite table où est la théière) : Le thé d'abord. Y en a plus, naturellement. (A Brigitte :) Je vais en refaire. (A Bri :) Et après on va avoir une petite explication tous les deux.
(Bri se fait toute petite dans son fauteuil. André va dans la cuisine avec le plateau.)
Brigitte (à Bri, d'un ton détaché) : Tu t'es bien amusée ?
Bri (petite voix timide) : On commençait tout juste.
Brigitte : Oh. Désolée de t'avoir dérangée.
Bri (reprenant "du poil de la bête") : T'es pas trop fâchée, dis ?
Brigitte : Je ne sais pas sur quel pied danser avec toi. (Bri assise esquisse avec les pieds un pas de danse qui n'arrache pas un sourire à Brigitte.) Je n'arrive pas à te cerner.
Bri : Moi non plus. A force de vivre au bordel c'est un vrai bordel dans ma tête. Ou bien ça a été l'inverse. Je sais pas. Quand j'arrive à y réfléchir je n'en reviens pas d'être comme ça. Je me dis que je suis quelqu'une d'autre en réalité... Je me sens bien avec toi, je me sens en sécurité.
Brigitte : Tiens donc.
Bri ( se levant) : Tu m'as plu tout de suite. Je suis totalement à l'aise avec ta tête. En somme je suis amoureuse de toi.
Brigitte (ironique) : Voyez-vous ça.
Bri : J'ai envie de m'embrasser tant je me plais. (Se touchant le visage.) Quel joli ovale de visage. Un front si pur. Nos oreilles, ma chérie, sont d'une délicatesse transparente, à peine roses, diaphanes. (Sa main passe de son visage à celui de Brigitte.) Notre nez est un prodige de finesse, un ornement aux proportions admirables. Nos joues semblent de porcelaine, irréelles. Notre menton tient dans la main comme un jouet. Et nos lèvres, ma chérie, sont si pulpeuse et si douces qu'elles appellent le baiser. (Elle tente d'embrasser Brigitte sur les lèvres.)
Brigitte (reculant brusquement) : Assez !... Tu es incorrigible, décidément.
Bri (dépitée) : Raté... Ce sera pour la prochaine fois.
Brigitte : Non. Tu as réfléchi à un vrai métier ? convenable ?
Bri : Syndic comme toi... (Regardant autour d'elle.) Ça gagne bien et avec la loi de son côté. (Petit rire.)
Brigitte (excédée) : Ah. (Une idée lui vient à l'esprit.) Si tu avais de l'argent, une petite fortune à toi, qu'est-ce que tu en ferais ?
Bri (sans hésiter) : Je la ferais fructifier.
Brigitte : Oui. Et comment ?
Bri (sans hésiter) : Je monterais une petite écurie de putains et de putaines et j'empocherais soixante pour cent des bénéfices.
(Un temps.
Brigitte va dans la cuisine sans un mot.)
17. Bri (seule, joyeuse) : Je lui ai rivé son clou. (Elle s'assied, se tortille sur son siège; tout d'un coup elle bondit sur ses pieds, selon son habitude et va prendre son téléphone portable dans ce qui est à l'évidence son sac, sur une tablette près de la porte. Téléphone dernier cri.) Sandra ?... Non, je n'ai pas d'ennuis. Au contraire. Ça va très bien... Je suis chez ma fille, chez Flora !... Mais non elle n'est pas morte, tout ça c'était des menteries de journalistes, ils ne t'aident jamais ceux-là tout en jouant oh à l'amitié, oh à la compassion, quelles ordures, pires que nous... Je suis contente : chez elle c'est très joli, elle a beaucoup de goût. Elle est syndic, elle a des responsabilités... Oui, d'ordinaire, je ne les aime pas non plus. M'ont-ils assez volée, ces salauds-là. Enfin ce n'est pas pareil, c'est elle qui vole les autres... Je vais peut-être rester avec elle, quelque temps du moins. Ne t'inquiète pas si tu ne me vois pas au Rond-Point ces jours-ci.
(André sort de la cuisine.)
Allez, salut. (Elle raccroche et ira remettre le téléphone dans son sac.)
18. André : A nous deux.
Bri (d'une toute petite voix) : Oui.
André : Tu as encore été vilaine avec Brigitte.
Bri (humblement) : Je demande pardon. (Perfidement :) Comme tu veux.
André (comprenant qu'il est tombé dans le piège, agacé) : Oh... Arrête.
Bri : Tu aimes Brigitte, elle te plaît ?
André : Evidemment.
Bri : Alors je te plais aussi. N'est-ce pas ? Puisqu'on est pareilles. Si par malheur tu la perdais, avec moi tu aurais une Brigitte de remplacement. Ou quand elle part en voyage. Ou toi...
André : Arrête de délirer.
Bri (têtue) : Ce serait super, une petite vie à trois. Elle s'occupe des "rapports normaux", entre guillemets, avec toi; et avec toi aussi, moi des autres.
André : Des autres ?
Bri : Côté sexe, tu t'ennuies avec elle, elle est très belle, nous sommes ta très belle, nous sommes les deux visages de ta servante. Tu es notre petit roi. Quel visage veux-tu pour te servir, ce soir, maître ? La syndic ou la putaine ?
André : Ma parole, tu crois que le sexe mène le monde ! Que par le sexe on peut conduire n'importe qui où on veut ?
Bri : S'il n'était pas si difficile de se déplacer en même temps que... sûrement. Simple problème technique de motricité., ah ah. (Rire à deux notes. Pliée en deux.)
André : Tu n'es pas croyable !
Bri : Brigitte, elle, je lui plais, je le sais. Elle a toujours été amoureuse d'elle-même, on s'en rend compte tout de suite quand on connaît les filles. Bien plus que de toi... Un jour, tu rentres à la maison... Imagine bien la scène : tu rentres, chantonnant : "Adieu, adieu, et tous mes voeux..."; tu cries : "Chérie, je suis rentré"; pas de réponse; tu vas à la cuisine, pas là; tu vas voir dans son bureau, pas là; tu ouvres la porte de la chambre : (Ton insinuant.) nous sommes enlacées sur ton lit, nous nous embrassons, nous nous caressons; qu'est-ce que tu fais, chéri ? Tu viens avec nous ?
André : Aïe aïe aïe.
Bri : Ou tu filmes, si tu préfères. Ou les deux. Tu imagines ce que les types seraient prêts à payer : "La vraie baise avec la fausse ! Un spectacle unique !"
André (comme à lui-même) : On ne réussira pas avec elle... Pas possible.
(Sur ces derniers mots il s'est dirigé vers la cuisine. Il y entre et referme la porte.)
Bri (dépitée) : Je fais pourtant des propositions constructives ! Je fais de mon mieux, tout l'temps, et voilà ce que je récolte... C'est vraiment injuste. (Elle s'assied.)
III. 19. (Soudain, elle bondit sur ses pieds, selon son habitude, et court jusqu'à la télévision qu'elle met en marche.)
Bri : La Vidéo à la demande. Attends... Là, section porno... 'Olympe au manoir" ! J'étais sûre qu'on en trouvait encore. Deux euros, ça va pas les ruiner.
(Elle monte le son au maximum. Musique : un galop de Strauss. Bruit de porte qui s'ouvre. Arrêt de la musique.
Voix d'Olympe : Excusez-moi, j'ai été envoyée par l'Agence de placement.
Voix d'homme : Oui... Vous êtes très jolie. (Un temps assez long.) Entrez.
Voix d'Olympe : Merci.
Reprise de la musique-galop.
André et Brigitte sortent de la cuisine.)
André : Qu'est-ce que c'est que ça !
Bri (fièrement) : "Olympe au manoir" ! Plus d'un million d'entrées en salle. Cette année-là seulement cinq films du cinéma "pour tous" ont eu plus de spectateurs !
(Arrêt de la musique.
Voix de l'homme : Venez au centre du hall que je vous regarde en pleine lumière.
Voix d'Olympe : Vous me gênez...
Reprise du Galop.
Bri s'esclaffe.
André essaie de s'emparer de la télécommande, Bri lui échappe et met le film en arrêt sur image.)
Bri : Et en vidéo, premier pour les ventes, toutes catégories confondues. Et les autres succès de l'époque, les "normaux", les "familiaux", vous pouvez toujours les chercher sur une plate-forme d'achat, bernique. (Fièrement :) Vous voyez, j'ai été une vraie vedette, une vraie !
André : Une vedette de trottoir avant de l'être de dépotoir !
Bri : Mais vedette quand même ! quand même !
Brigitte (regardant l'image fixe d'Olympe) : Tu étais vraiment très belle.
Bri (fièrement) : N'est-ce pas ? .. On a réalisé le doublage en studio, le film n'a pas du n'importe quoi comme son. Je me double moi-même. Mais pour le comte, ce pauvre Frederico n'était vraiment pas à la hauteur. (Petit rire.) Tu as reconnu la voix ?
Brigitte (hésitante) : On aurait dit...
Bri (fièrement) : Parfaitement. Tu peux vérifier au générique final. Tu vois, la super-vedette du cinéma pour tous actuelle, elle a commencé avec moi, pour le son seulement d'accord, mais il ne crachait pas sur les sous que ça lui rapportait, même si aujourd'hui pour cette période il a un trou de mémoire.
André (avec un essai raté pour s'emparer de la télécommande) : Tu n'as pas aussi des souvenirs de coucherie avec lui.
Bri (riant) : Il n'avait pas le sou, je te dis.
André : Mais il a essayé, non ?
Bri : Bien sûr. (En défi à André.) Faut être pédé pour pas essayer avec moi. Remarque, j'ai rien contre les pédés. Si tu regardes mon film "Olympe et les pédés" tu en auras la confirmation. (Petit rire.)
Brigitte (stupéfaite) : Tu es incroyable... je ne te comprends pas.
Bri (appuyant sur la télécommande) : Regarde la suite, tu comprendras mieux.
(Reprise du Galop; Bri danse sur sa musique tandis qu'André essaie de l'attraper. Brigitte reste à regarder l'écran.
La musique s'arrête.
Voix du comte : Très belle... Je vais avoir plaisir à t'éduquer.)
Bri (éclatant de rire) : Aah, y a combien de filles sur la planète aujourd'hui qui rêvent qu'il les éduque ? Aah.
(Voix d'Olympe : Je vous obéirai en tout, je vous le promets.
Reprise du Galop.
Bri danse en riant et en échappant à André. Brigitte regarde l'écran.
Sonnerie à coups répétés, violente.
André profite de la surprise de Bri pour lui arracher la télécommande et arrêter le film.
Bri (à Brigitte) : Enfin, t'as 48 heures pour le regarder. Et t'éduquer. Ah ah. (Rire à deux notes. Pliée en deux.)
(Sonneries répétées.
20. André  va à la porte et ouvre.)
Pascagne (entrant, très énervé) : Ah, quand même... Bon, alors, puisque ma femme m'y force, je m'excuse, voilà... C'était une connerie, soit, je vais pas risquer de perdre ma clinique pour ça, merde ! Aussi quelle idée d'accueillir Olympe sous son toit, il faut ne pas comprendre de quoi elle est capable ! Bref, voilà ce que je propose : je refais l'opération gratos. D'accord ? Gratos ! Pour rien !
Brigitte (à Bri qui a son air buté) : Qu'est-ce que tu en penses ?
Bri (éclatant) : Jamais ! Jamais ! C'est un fou !
André : Allons, sois un peu raisonnable.
Bri : Tu veux que je raconte à Brigitte avec les détails ce qu'il nous a forcées à faire, le salaud ? "Et maintenant, à quat'pattes !" Et au fouet ! Mais tu veux peut-être que je recommence de le payer, là, devant vous. (Elle se jette à quatre pattes.) Viens, Brigitte, viens, on va le payer toutes les deux. Viens, c'est ce que veut ton mari !
André (la tirant pour la forcer à se relever) : Arrête ça ! Arrête ça !
Bri (résistant) : Pour se venger, il se servira de son bistouris comme de sa queue, je serai défigurée à jamais.
Pascagne : Tu ne serais jamais qu'une raclure qui aura enfin l'air d'une raclure.
André (à Pascagne, tenant Bri) : Ah non, hein ! Tu dépasses les bornes.
Brigitte : Il les a dépassées depuis longtemps.
Bri (hurlant, à Pascagne) : La raclure c'est toi !
Pascagne (levant un bras menaçant) : Si ma femme me fait perdre ma clinique à cause de vous...
André (lâchant Bri) : Va-t'en.
Brigitte : Mets-le dehors.
Pascagne (reculant) : Allons, on peut encore s'arranger. On est du même monde. Vous n'allez pas dégringoler dans le sien.
André (le poussant) : Va-t'en !
Pascagne (sortant; pour se venger) : Il est vrai que pour Brigitte c'est déjà à moitié fait !
(André referme la porte en la claquant.)
21. Brigitte : Quoi ?... Quelle ordure !
Bri (pleurant) : Il m'a obligée à des trucs... abominables. J'ai honte. Et il m'a fait mal, mal ! Il m'a torturée.
André : J'avais entendu des rumeurs l'accusant d'être un pervers, je ne voulais pas y croire.
Bri (pleurant) : Qu'est-ce que je vais devenir... qu'est-ce que je vais devenir ?
Brigitte : On ne te laissera pas tomber.
André : On va trouver une solution.
Bri (se séchant les yeux avec une main) : A sa clinique, j'y étais allée pour être rajeunie afin de pouvoir survivre, tu comprends, il me fallait retrouver un air jeune. Mais il m'a enlevé mon visage et il a mis le tien à la place. Je ne me ressemble même plus. Je ne suis plus qu'une copie.
André : Allons, un peu de courage !
Bri (scandalisée, puis furieuse) : Du courage !... Du courage ! J'en ai eu plus et à répétition que tu ne peux même le concevoir. Tu as idée du courage qu'il m'a fallu pour me solder ? Plus un sou ! Plus rien ! J'avais besoin d'sous ! Pour manger. Alors j'ai baissé les prix. Ça les faisait rire. Ils voulaient que je baisse encore les prix. J'avais besoin de sous ! Besoin ! Et j'ai baissé les prix. Et encore. Et encore ! En solde, la pute ! D'abord les clients se sont pressés, il y en aurait eu presque assez pour que le prix remonte ! Et puis tout de suite ils se sont lassés. Pute en solde ! Pute en solde ! En solde Jeanne-Nadège-Olympe-Maryline-Candice-Suzanne-Bri ! Mais les clients, y en avait presque plus. Alors j'ai réuni l'argent que je venais de gagner avec tant de peine pour me payer un rajeunissement du visage... Quand je me suis réveillée on m'a dit : "Tout s'est bien passé"; quand on a enlevé les bandages et que j'ai vu un nouveau visage à la place du mien, j'ai cru que je n'étais pas réveillée. J'ai réussi à accepter que ce soit le mien. Et quand tu t'es dressée devant moi dans le bar j'ai compris que je n'étais toujours pas réveillée. Je suis dans un cauchemar. Je ne sais pas, Brigitte, si c'est le tien ou si c'est le mien. Mais ce que je subis après tant d'épreuves, c'est atroce. (Son exaltation est retombée.) Du courage ? Je n'ai de leçon à recevoir de personne sur cette planète pour le courage.
Brigitte (émue) : Je comprends. (Mouvement de Bri.) Autant que je peux comprendre.
Bri : ... J'ai peur de retourner à la rue.
André : Si tu y mets du tien, tu n'y retourneras pas.
Bri : Y a des sadiques. Le mois dernier sur la plage à deux pas du café, une fille a eu la gorge tranchée. Comme ça. (Geste.) ... A chaque fois que j'y vais, j'ai peur de la lame.
Brigitte : N'y va pas.
(Regard noir de Bri à Brigitte.)
Bri : T'as quelque chose à boire ?
Brigitte : Tu sais où est la cuisine. Fais comme chez toi.
(Bri va dans la cuisine.
Un temps.)
22. André (à Brigitte) : Tu as une idée ?
Brigitte : Une idée ?
André : Tu dis vouloir l'aider. Mais comment ?
Brigitte : Je ne sais pas.
André : Deux reconversions ont échoué. Qu'est-ce que tu proposes pour la troisième ?
Brigitte : Mais... je lui ai demandé ce qu'elle voulait faire.
André : Et elle t'a répondu qu'elle n'en sait rien, qu'elle n'en a jamais rien su... Et toi non plus, tu n'en sais rien. Et moi non plus.
Brigitte (violemment) : Je ne peux pas accepter qu'elle retourne là-bas... j'aurais l'impression qu'elle me traîne là-bas. Attachée à Bri du diable, tu comprends, malgré moi; impossible d'échapper à ce qu'elle me forcerait à faire. Je ne veux pas !
André : Oui. Moi non plus. (Un temps.) On a raison, Brigitte, mais on arrive trop tard dans sa vie... Un train fonce sur une voie, il y une erreur d'aiguillage, le train fonce sur une voie avec un précipice au bout; au cinéma on arrête le train et on n'y pense plus, dans la vie il faut agir pour que l'erreur d'aiguillage ne soit plus possible. Ce train-là est perdu. (Il l'enlace.)
Brigitte : Elle n'est pas perdue. Je serais perdue avec elle, elle me porte sur elle, je ne peux pas me détacher d'elle. André, André ! Elle va me traîner derrière son bar à putes, dans la ruelle, entre les poubelles, accompagnée de ses ignobles clients...
André : Ce ne sera pas toi !
23. Bri (apparaissant dans l'ouverture de la porte de la cuisine, un verre à la main) : Si, ce sera elle... Si vous me lâchez, je la traînerai partout, partout. Et ce sera elle, elle !
Brigitte (à André) : Tu vois ?
Bri : On est dans le même cauchemar maintenant, Brigitte. Si je n'en sors pas, tu n'en sors pas... Je n'ai rien contre toi, au contraire, tu es meilleure que la plupart, mais je n'en peux plus, tu es ma dernière chance... Tu es peut-être la seule chance que j'aie jamais eue.
André : Tu dramatises, là !
Bri : J'ai dépassé les limites de la dramatisation entre les poubelles de la ruelle.
Brigitte : Tu n'as donc aucune dignité ? (Elle sort des bras d'André.)
Bri (s'avançant) : ... Aah. (Petit rire.) Cent trente-six films pornos se sont chargés de ma dignité, c'est-à-dire tous ceux qui les ont regardés, dont André. Si j'avais déjà eu ta figure, tu crois qu'il n'aurait pas regardé pour ménager ta dignité ? La dignité d'Olympe de Taverny... je la jouais au début des films, j'aimais bien jouer ce passage de "vrai cinéma", et pour moi, tu as raison, il s'agissait sans doute possible d'un authentique travail d'actrice. (Elle pose son verre.)
Brigitte : D'abord est-ce que tu veux véritablement qu'on t'aide ? Voilà ce dont j'ai besoin d'être sûre. Es-tu prête à faire ce qu'il faut ?
Bri (face à face) : André avait raison, je suis un train fou sur une voie avec un précipice au bout, personne ne le conduit. Et j'ai peur... Et  corriger le système d'aiguillage, pour moi c'est trop tard... Je ne sais absolument pas comment l'arrêter, alors il faut que toi tu saches. J'ai ta tête maintenant. Il faut que ta tête trouve la solution... Pour nous deux.
Brigitte (riant jaune) : Ah çà, mais tu me fais du chantage, tu me jettes carrément un ultimatum à la ... figure.
Bri : A notre figure.
André (se rapprochant de Bri) : Tu exagères, on ne te doit rien, sauf l'argent que je t'ai déjà donné.
(Bri court à son sac, sort l'argent et le jette par terre.
24. Puis elle en sort son téléphone.)
Bri (à Brigitte) : J'avais désactivé mon téléphone. Je le réactive. Ecoute, Brigitte.
(Un court instant puis le téléphone se met à sonner. Arrêt de la sonnerie avant la mise en marche de la messagerie.
Nouvelle sonnerie.
Nouvelle sonnerie.)
Bri : C'est toi qu'ils veulent.
(Nouvelle sonnerie.)
Bri : Le téléphone ne sonnait plus avant mon opération. Ils savent qui tu es. Même s'ils sont assez renseignés pour savoir qu'on est deux, c'est toi qu'ils traîneront dans la ruelle.
(Nouvelle sonnerie.)
Toi ! Toi !
(Nouvelle sonnerie. Les sonneries semblent venir de partout, elles se multiplient.)
Et tu veux entendre les types ? Tu veux entendre ceux qui vont t'acheter ?
(Tandis que les sonneries se multiplient de tous les côtés, elle appuie sur une touche et on entend une voix d'homme ! "Allô, Bri ? Bri c'est le diminutif de Brigitte ? J'aimerais avoir un rendez-vous avec toi."
Ces phrases se mettent à se multiplier comme les sonneries.
Brigitte a l'air à la fois pétrifiée et horrifiée.
André regarde Brigitte, inquiet et désemparé.)
Brigitte (brusquement) : Arrête ça ! Arrête ça !
(Elle tente de saisir le téléphone tandis que Bri recule et que sonneries et voix de l'homme continuent de se multiplier.)
Bri : Ça ne s'arrêtera que si tu l'arrêtes aussi pour moi. Pense aussi à moi, Brigitte.
Brigitte (de plus en plus furieuse) : Arrête-le ! Arrête-le ! Arrête-le !
Bri : Arrête-le pour nous deux, Brigitte, ou  il ne s'arrêtera pas.
(Les sonneries et la vois d'homme continuent.)
Et tiens, j'y ajoute le film.
(Elle s'est emparée de la télécommande et remet le film au début. On entend le Galop puis on entendra le dialogue déjà entendu du film.)
Olympe est parmi nous ! Hein, Brigitte, tu ne la veux pas à la maison ?
Brigitte (furieuse, essayant d'attraper le téléphone de Bri) : Jamais ! Jamais !
Bri : Alors tue-la ! Tue-la pour nous deux !
(Sonneries. Voix d'homme multipliée. Film d'Olympe.)
Bri (dansant le Galop) : Tue--moi, Brigitte, tue-moi !
(Soudain, renonçant à attraper le téléphone, Brigitte attrape Bri qui ne s'y attendait pas, et comme elles sont près de la porte d'entrée, réussit, grâce à la surprise, à la jeter dehors et à refermer la porte. La télécommande et le téléphone de Bri sont tombés par terre, les sonneries cessent, plus de voix d'homme.
André arrête le film en appuyant sur le bouton du côté de l'écran.
Silence. On entend juste la respiration de Brigitte.)
Brigitte : Je suis folle. De quoi suis-je allée me mêler alors que je ne faisais pas partie des damnées.
(Soudain des coups retentissent contre la porte.)
Bri (hurlant) : Brigitte ! Brigitte ! Ne m'abandonne pas. (Un temps. Voix au bord des larmes :) Ce n'est pas ma faute. Je n'ai pas commis de crime. Tu es ma dernière chance, Brigitte... Je t'en prie... Je t'en prie...
(De nouveau des coups violents contre la porte. Hurlant :)
Ouvre-moi ! Ouvre-moi ! Ouvre-moi ! Brigitte ! Brigitte !
(Un silence.)
André (désemparé, à Brigitte) : Pense au cauchemar que ce doit être pour elle.
Brigitte (pétrifiée, glacée, résolue) : Mais c'est la fin du cauchemar pour moi.
Bri (petite voix en larmes) : Flora ! Flora ! Je t'en prie. Ne me laisse pas. Flora !
(Un temps.
Soudain des coups extrêmement violents ébranlent la porte.)
Bri (hurlant de façon désespérée) : Ouvre-moi ! Ouvre-moi ! Ouvre-moi ! Ouvre-moi !
(Brigitte met ses mains sur ses oreilles et ferme les yeux.)
Rideau.