LE PAPILLON A TETE DE MORT

ou

Le paradoxe de la conscience

 

 

Un grand salon.

 

(Acte I, scène 1)

Jésus (entrant, très énervé - la quarantaine, costume décontracté) : Quoi, un pot-de -vin. Quoi, un pot-de-vin.

Raphaël (le suivant à la trace - la quarantaine, costume strict) : Parfaitement, un pot-de-vin. Mes renseignements sont sûrs. Tu es un ami mais je ne peux pas accepter ça.

Jésus : Un pot-de-vin... D'abord c'était un petit pot... et puis y avait presque pas de vin.

Raphaël : Un million.

Jésus : Oh ?

Raphaël : Ne fais pas l'innocent, perverti.

Jésus : Et... tu n'aurais pas un peu soif ?

Raphaël (indigné) : Hein !

Jésus : Rien.

Raphaël : Voyons. Jamais cette entreprise n'aurait obtenu le marché si l'adjudication avait été normale. C'est évident.

Jésus : A part toi qui s'en est aperçu ?

Raphaël : Ils ne connaissent pas assez bien l'affaire. Mais tout finit pas se savoir.

Jésus : Bof. On le prétend mais enfin on n'en sait rien, justement.

Raphaël : Jésus, je suis ta conscience, écoute-moi.

Jésus : La conscience c'est bon pour souffrir une fois qu'on est riche... Tu es une conscience prématurée.

Raphaël : Mais tenace. Tu vas rendre ?

Jésus : Rendre ? Mon tout petit pot ?

Raphaël (intransigeant) : Oui. Pour le marché, il est donné à cette entreprise, on ne peut pas le reprendre, mais...

Jésus : Alors mon petit pot tu me le reprends mais - disons le mot - la malhonnêteté, elle, reste.

Raphaël : Hélas oui.

Jésus : Dans ces conditions, si on ne peut pas l'effacer, autant en profiter.

Raphaël : Il faut rendre !

Jésus : Ah ! J'ai besoin de cet argent.

Raphaël : Non. Ou je t'en prêterai.

Jésus (faisant la grimace) : Là il faudra rendre... Inquisiteur et usurier.

Raphaël : Mais sans intérêts, bien sûr. J'ai 100 000 euros à te prêter, si tu veux, tout de suite.

Jésus : 100 000 euros pour un million...

Raphaël : Enfin décide-toi. Rendre ou la prison !

(Il sort.)

(I, 2) Josiane (femme de Jésus, la quarantaine, semi-élégante - entrant) : Qu'est-ce qu'il a Raphaël ?

Jésus : Un idéaliste. Il manque d'esprit pratique. C'est un inadapté sur la planète, aujourd'hui.

Josiane : Je ne l'ai jamais vu si énervé, il m'a à peine saluée. Il n'a pas de gros ennuis, au moins ?

Jésus : Mais non, sois tranquille, pour ces types-là tout est médiocre, sans envergure, même leurs ennuis sont petits. (Il se verse un verre d'alcool d'une carafe sur la table basse.)

Josiane : Ah ? En tout cas, mon chéri, évite de prendre la voiture ou tu en auras un gros, les freins ont brusquement cessé de répondre.

Jésus : Qu'est-ce que tu racontes ? Qu'est-ce que tu as encore fait ?

Josiane : Mais rien. Déjà beau que je m'en sois aperçue avant de sortir de la cour. Je me suis arrêtée grâce au gros pot-de-fleurs...

Jésus : Pas celui que j'ai rapporté d'Ibiza ?

Josiane : J'ai juste le temps d'aller faire mon cours en vélo.

Jésus : Pas celui que...

(I, 3) Jésus : Celui que. (Un temps.) Voilà ce que c'est que de se marier. Elles cassent vos pots-de-fleurs. (Un temps.) Et d'avoir des amis qui ne comprennent pas la vie. (Un temps.) Ah, je suis bien malheureux... Bien à plaindre... Un tout petit million. Joli. Tout blanchi... Ce cadeau, immérité certes, réparait les injustices commises envers mes mérites. On ne m'a jamais payé à ma juste valeur. Après tout le travail que j'ai accompli...

(I, 4) Raphaël (rentrant énervé) : Ma voiture ne repart pas. Est-ce que je peux t'emprunter la tienne ? Il faut absolument que je sois à l'aéroport dans trente minutes.

Jésus (distrait) : Bien sûr. Josiane laisse toujours les clefs dessus.

Raphaël : A tout à l'heure. Et sois tranquille, je ferai attention à ne pas descendre trop vite les collines. (Il sort.)

(I, 5) Jésus (se rendant compte brusquement) : Oh !... (Il va vers la porte, hésite, revenant :) Eh ben... Quelle affaire... Quel drame... (Un temps.) Je devrais le rappeler... C'est trop tard... Il est parti... Il est parti si vite... Je n'ai pas eu le temps... (Il se verse un nouveau verre. Boit.) Les plus à plaindre sont toujours ceux qui restent... Les morts au moins ne souffrent plus... Avec la conscience qu'il avait, il méritait bien le bonheur éternel... (Il boit.) Quel brave homme. Il voulait même me prêter 100 000 euros. (Effondré :) Que je m'en veux de ne pas avoir eu le réflexe de le prévenir ! Aussi, c'est la faute de Josiane, laisser les clefs sur une voiture après avoir bousillé les freins !... (Buvant :) Et un pot-de-fleurs... Il faudrait, je le dis sans misogynie, inscrire les femmes dans les catastrophes naturelles... Et donner un petit dédommagement aux maris... Un million par exemple... J'en ai justement un... pour me consoler un peu de la perte d'un ami... (Finissant son verre :) D'un grand ami. Fidèle. (En larmes :) Oh, que je m'en veux !

(I, 6) Raphaël (rentrant) : Dis donc...

Jésus (stupéfait) : Ah !

Raphaël : ... ta femme...

Raphaël II (entrant - le jumeau de Raphaël) : Mais présente-

Jésus (qui croit voir double) : Ah !

Raphaël : ... n'avait pas laissé les clefs.

Raphaël II : ...moi donc, vous ne pouvez pas être devenus en mauvais termes à ce point.

Jésus (réagissant au retour sans assimiler la vision du double) : Elle n'avait pas laissé les clefs ? Oh que je suis content !

Raphaël : Ah ?... Enfin j'ai appelé un taxi pour ramener mon jumeau à l'aéroport..

Raphaël II : Présente-moi. Déjà que j'ai dû poireauter dans ta voiture..

Raphaël : Mon jumeau, Hadrien. Jésus, mon meilleur ami; encore, j'espère.

Jésus : Bien sûr. Oui, je me souviens qu'il m'a parlé de vous, pas souvent. Mais vous voir là, tout d'un coup... le choc ! (Il rit.)

Raphaël-Hadrien : Oui, il me ressemble beaucoup et il me présente rarement.

Raphaël : Il habite un petit château à six kilomètres du premier village et à 562 d'ici !

Jésus : Et vous vivez de la propriété ? Vous êtes fermier, quoi ?

Raphaël-Hadrien : Châtelain, hôtelier, organisateur de séminaires, guide touristique...

Raphaël (fièrement) : Le frérot, il sait tout faire... Mais le taxi va arriver. (A son frère :) Viens.

Raphaël-Hadrien : Au revoir.

Jésus : Au revoir. Il faudra que nous allions à votre hôtel, j'en parlerai à Josiane.

Raphaël-Hadrien : Alors, à bientôt peut-être.

Raphaël (sortant avec son frère) : Et pense à notre affaire ! (Ils sortent.)

(I, 7) Jésus : Je suis déjà moins content... Ça m'a fait plaisir de le revoir en vie... Mais quoi, le plus gros était passé... le problème était réglé... définitivement... Tandis que maintenant... il faut rendre... ou recommencer. (Un temps. Il se verse un nouveau verre.) Pour me consoler je pourrai toujours aller voir son jumeau... C'est vrai, la disparition de quelqu'un qui existe en double exemplaire est moins grave que celle d'un être unique. (Il boit.) En justice on encourt seulement une demi-peine... je crois... en tout cas on devrait... Ou aucune puisque, en somme, il est toujours là. (Un temps.) Oh, les femmes ! Partir en emportant ses clefs de voiture... Alors que le garagiste pourrait arriver et il en aurait besoin...

(I, 8) (Entre Brigitte, bien en chair, vive, la quarantaine, tenue de bon goût mais courte.)

Brigitte : Seul, chéri ?

Jésus : Aïe.

Brigitte : Tu es heureux de me revoir ?

Jésus : Tu ne devrais pas être là, on a rompu !

Brigitte : Tu as rompu. Pas moi. J'ai mes habitudes sexuelles avec toi. Avec un autre je ne pourrais pas.

Jésus : Eh bien fais un effort.

Brigitte : Ce n'est pas comme si j'avais un mari pour te casser la gueule; tu m'as prise en même temps que Josiane, nous sommes ta femme, tu ne peux pas la garder sans moi.

Jésus : Je peux très bien.

Brigitte : Je lui expliquerai que tu as eu besoin d'un corps à côté de sa belle âme et que tu n'en veux plus. Tu vas perdre son argent.

Jésus (à part, faisant la grimace) : Encore ! Ce sont donc tous des vampires du portefeuille !

Brigitte : Elle m'aime Josiane, nous sommes toujours ensemble.

Jésus : Je lui ai dit que c'était une mauvaise habitude.

Brigitte : On se prendra un autre mari. On en cherchera un tout comme toi, mon chéri, pareil.

Jésus : Pourquoi pareil ?

Brigitte : Tu m'as dressée à tes plaisirs, maintenant j'ai besoin de mon maître.

Jésus (à part) : Cinglée.

(I, 9) Raphaël (rentrant) : Finalement il n'a pas voulu que je l'accompagne à l'aéroport. Il a dit : puisque tu as une affaire importante avec Jésus, reste là et attends le garagiste.

Brigitte : Il est plein de bon sens, ton jumeau.

Jésus : Ah, tu l'as... rencontré.

Brigitte : Je l'ai pris pour Raphaël. C'était hier, au marché. On a parlé sexe.

Jésus (railleur, finissant son verre) : Courant au marché.

Raphaël : Il a beaucoup appris.

Brigitte : Je lui ai donné des conseils. Parce qu'il a des problèmes avec sa femme.

Jésus (estomaqué) : Tu es devenue conseillère matrimoniale ?

Brigitte (insensible à l'ironie) : Elle devient acariâtre alors qu'elle est encore belle. J'ai préconisé à Hadrien l'organisation de séminaires échangistes.

Raphaël : Entre autres.

Brigitte Jésus) : Enfin passons, je t'expliquerai tout ça dans un moment... plus excitant. (Rire de Raphaël.) Dis donc, tu n'aurais pas quelque chose à boire... en attendant Josiane.

Raphaël : Encore une bonne idée... en attendant de savoir si... tu sais ?

Jésus (le regard mauvais) : Ah, vous avez soif ?

Brigitte : Curaçao.

Raphaël : Vodka.

Jésus (sortant) : Parfaitement. Je vais vous les chercher à la cuisine.

(I, 10) BrigitteRaphaël) : Comment un homme comme toi peut-il être ami d'un homme comme lui ?

Raphaël : Je suis sa conscience. Alors je lui suis attaché, forcément.

Voix de Jésus : Je vous sers dans le jardin !

Raphaël : Allons-y.

Brigitte (criant) : Et tu as réfléchi ?

(Scène vide. Un temps très court.

Rentre Jésus.)

(I, 11) Jésus (à la cantonade) : Mais oui, mais oui... (Ton de la confidence :) Je les ai installés au jardin, ce sera plus pratique pour les enterrer... Pas besoin de traîner les corps... (Il se vers un nouveau verre de sa carafe et l'avale d'un coup.) Oh que je m'en veux !... C'est à cause de la petite chose ajoutée dans les boissons... Rapide et qui, elle, ne pardonne pas... Je me sens horriblement coupable... Mais, bon, ce n'est pas Hiroshima... Ils ne sont que deux... Et puis à quoi servaient-ils en ce monde ? A qui ?... Pas à moi, en tout cas... Ils seraient morts un jour de toute façon... Et peut-être des suites d'une longue maladie avec des souffrances atroces... Grâce à moi, ils sont sauvés de ces horreurs... Je les ai aimés; mais quoi, je ne les aimais plus. C'est la vie. C'est comme ça. On n'y peut rien... Je dirai qu'ils se sont suicidés par désespoir dans mon jardin ! Cela m'évitera d'avoir à les enterrer. (Un temps.) Pour moi c'est dur, mais il le fallait.

(I, 12) Raphaël (rentrant, un verre à la main) : Dis donc, j'en ai pris un autre.

Jésus (stupéfait, machinalement) : Fais comme chez...

Le Double de Raphaël (entrant) : ...toi, je sais; et c'est bien mon intention.

Jésus : Hadrien ?

Raphaël : Il est bien parti, je te l'ai déjà dit.

Le Double de Raphaël : Oui, il faut l'écouter quand il te parle.

Jésus (complètement perdu) : Quelle est cette blague ?

Brigitte (entrant, une bouteille et un verre à la main) : Je me sens une grande soif, je crois que je vais la vider.

Jésus : Brigitte ?

Brigitte : Ah ! Il m'a reconnue !

Le Double de Brigitte (entrant) : Elle va encore se bourrer la gueule à cause de toi.

Jésus (stupéfait) : ... Et Brigitte... (Réagissant :) Elle avait déjà été arrêtée pour état d'ivresse avant que nous soyons ensemble; faut pas tout me mettre sur le dos !

Raphaël Brigitte) : C'est vrai ?

Brigitte : Mais depuis j'allais mieux.

Le Double de Raphaël : La rechute...

Le Double de Brigitte : La plongée.

Jésus : Au fait, c'est toi qui as l'habitude de voir double... Tu as une jumelle toi aussi ? Qu'est-ce que c'est que cette blague ?

Raphaël : De quoi parles-tu ?

Brigitte : Oui, de quoi ?

Jésus : Et d'abord, pourquoi n'êtes-vous pas morts ?

Raphaël : Hein ?

Brigitte : Qu'est-ce que tu dis ?

Jésus (battant en retraite) : Enfin, non.

Le Double de Brigitte : On va t'expliquer.

Le Double de Raphaël : Mais non, laisse-le ruminer, c'est plus drôle.

Brigitte (montrant la bouteille) : T'en veux une goutte ? Après ça ira mieux.

Raphaël : Mais non, il a une décision importante à prendre.

Brigitte (avec un regard noir) : Deux décisions alors.

Raphaël : Laissons-le réfléchir, il en a visiblement besoin. (Sortant :) Je vais guetter le garagiste.

Brigitte : Oh oui, allons guetter. Il sera peut-être pareil à mon chéri. Josiane et moi on n'aura plus qu'à l'installer et à chasser l'autre. (Elle sort.)

(I, 13) Jésus : Elle est folle. (Réalisant la présence des deux autres :) Ça alors ! Ils sont sortis... et ils sont toujours là !

Brigitte II : Oui, mon chéri.

Raphaël II : Oui, son chéri.

Jésus : Qui êtes-vous ?

Raphaël II : Tes morts.

Jésus : J'ai des morts ? Des morts à moi ?

Brigitte II : Tu te souviens tout de même que tu as tué Brigitte et Raphaël ?

Jésus : Mais ils viennent de sortir.

Brigitte II : Oui, mais tu les as bien assassinés ?

Jésus : Si j'en juge par le résultat, ce n'est pas évident.

Raphaël II : Le résultat ne dépendait pas de toi; ton acte, lui, en dépendait, tu l'as décidé.

Brigitte II : Voilà ce qui s'est passé. On s'est assis....

Raphaël II : ... à la petite table à trois pieds et bancale du jardin...

Brigitte II : ... où tu avais posé le plateau.

Raphaël II : Nous devisions.

Brigitte II : Sur toi.

Raphaël II : Brigitte a tendu la main vers son verre...

Brigitte II : Raphaël a tendu la sienne...

Raphaël II : On allait saisir les verres..

Brigitte II : Et le chat a sauté sur la table pour dire bonjour à Raphaël; la petite table a été déstabilisée; les verres sont tombés !

Raphaël II : Mais j'ai rattrapé le chat !

Jésus (stupéfait, réfléchissant) : ... Ah, la sale bête ! Ah, tu vas voir ça, toi ! Les représailles !

Raphaël II : Ce n'est pas parce qu'il nous a sauvés que tu ne nous as pas tués.

Brigitte II : Tu as deux morts sur la conscience.

Jésus : Moi ?... Rien du tout. Je me sens très bien, merci.

Raphaël II : Mais on est là.

Jésus : Ben, faut rentrer chez vous, faut pas vous installer chez les gens comme ça, allez, allez, au revoir.

Brigitte II : Chez nous, c'est toi.

Raphaël II : On est tes morts à toi.

Brigitte II et Raphaël II en choeur : On t'aime.

Brigitte II : On ne te quittera plus.

Jésus : Et mon million ? Je garde mon million ?

Raphaël II : Il n'a rien compris.

(I, 14) Josiane (entrant) : Pas de cours aujourd'hui. Heureusement j'ai rencontré Pascal au retour. Il nous a remontées la bicyclette et moi..

Jésus (grincheux) : Et pourquoi pas de cours ?

Josiane : Les élèves sont en grève.

Jésus (très juge) : Oui ? Pourquoi ?

Josiane (étonnée) : Mais je ne sais pas moi, quelle drôle de question. C'est leur grève annuelle. Y a pas de mal à ça.

Jésus Raphaël II) : Tu vois comme certaine à la vie facile pendant qu'à moi on me la complique. (A Josiane éberluée mais encore sans réaction :) Et ton frère n'a pas daigné descende du carrosse pour venir me dire bonjour ?

Josiane : Il va venir. Il discute avec le garagiste.

Jésus : Mais toi, ta propre voiture... la discussion ne t'intéresse pas...

Josiane : Il fallait que je te dise un mot sur Brigitte...

Brigitte II : Ah, on s'occupe de nous...

Josiane : Je l'ai trouvée effondrée. Et à moitié saoule.

Raphaël II : Alors elle n'avait pas encore fini la bouteille.

Jésus : Oui, car si elle l'avait finie...

Josiane : Quoi ?

Jésus : Je parlais à Raphaël.

Josiane : Mais il n'est pas là...

Jésus (le montrant) : Là.

Josiane (qui ne voit rien) : Mais non.

Raphaël II : Raconte-lui mon meurtre.

Brigitte II : Nos meurtres.

Jésus : Et Brigitte est là. (Il la montre.)

Josiane : Mais non.

Jésus : Tu ne les vois pas ?

Josiane : Mon mari ne se contente plus de torturer mon amie, il perd la tête.

Jésus : Je n'ai torturé personne.

Brigitte II : Non, il est plus expéditif.

Jésus (répétant machinalement) : Je suis plus expéditif.

Josiane (ahurie) : Tu fais quoi ?

Jésus : Rien. (Regardant Brigitte II :) C'est elle qui me perturbe.

Josiane : Elle aussi elle m'a eu l'air perturbée. Je ne sais pas ce qui se passe. Enfin est-ce que tu ne pourrais pas être plus gentil avec elle, plus affectueux ?

Jésus  (franc) : Avec elle je peux de moins en moins. J'aimerais mieux être affectueux avec une autre.

Brigitte II : Oh, il est cynique, l'assassin !

Raphaël II : C'est horrible d'être le mort de quelqu'un comme ça.

Jésus (du tac au tac) : Trouvez-vous un assassin chez les anges.

Josiane : Quoi ?

Jésus : J'ai une femme sourde.

Josiane : Oh, mais tu deviens impossible ! Enfin tâche de réconforter Brigitte. Et Raphaël au fait ? Qu'est-ce qu'il y a aussi avec Raphaël ?

Jésus : Il m'a volé un million.

Josiane (revenant sur ses pas) : Un million ! Raphaël ?

Jésus (avec aplomb) : Parfaitement.

Josiane : Tu avais un million, toi ?

Jésus : Ne fais plus de rêves éveillée, ma pauvre. Job est redevenu Job.

Josiane : Jésus, tu me caches des choses ! Il faut que j'aille voir le garagiste mais je reviens et tu me donneras des explications !

(Elle sort.)

(I, 15) Jésus : Voilà l'aide d'une femme... Comme on se sent seul avec elles... La condition masculine est dure, dure... (Soupirant :) J'essaye de l'expliquer au bureau à une jeune collègue, jolie... mais avec un million j'aurais eu plus de chances...

(Acte II, scène 16) Pascal (entrant; à la cantonade) : Mais bien sûr que je vais saluer mon beauf.

Jésus : Ah, te voilà; quand même.

Pascal : Pour une fois que tu souhaites me voir, j'accours.

Jésus : Oui... C'est au psychiatre que tu es que je m'adresse.

Pascal (étonné) : Ah ? Tu connais quelqu'un qui a des problèmes ?

Jésus : J'ai besoin d'un médicament contre les hallucinations.

Pascal : Pour qui ?

Jésus : Pour moi ! Bon sang, j'ai assez de problèmes moi-même pour ne pas aller me mêler de ceux des autres.

Pascal : Tu devrais peut-être...

Jésus : Je ne suis pas psychiatre, moi, je ne vais pas t'ôter le pain de la bouche. Occupe-toi de moi ou lieu de dire des bêtises.

Pascal : Ecoute, passe à mon cabinet, disons... vendredi.

Jésus : Tu veux mon poing sur la figure ? Je n'ai pas épousé une femme dont le frère est psychiatre pour aller à son cabinet et payer ses consultations !

Pascal (résigné) : Bon. Quelles hallucinations ?

Jésus : Non mais, ça te regarde ?

Pascal : Oui, quand même, je ne distribue pas les médicaments comme ça, au petit bonheur.

Brigitte II : Il a raison. Présente-nous.

Raphaël II : Il a l'air d'un brave type mais j'ai un peu peur des psychiatres.

Jésus Raphaël II) : Et tu as raison. Avec lui vous n'allez pas rester ici longtemps.

Pascal : Tu parles à qui ?

Jésus : A eux... Aux fantômes... Là.

Pascal (qui ne voit évidemment rien) : Et pourquoi sont-ils venus là ?

Jésus : Parce que je les ai tués.

Pascal (surpris) : Tu as tué quelqu'un ? Toi ?

Jésus (fièrement) : Oui, moi. Ça t'épate, hein ? On me prend juste pour une grande gueule, pas capable du passage à l'acte, pas à prendre au sérieux. Eh bien, j'ai deux morts à moi.

Pascal : Tu as deux morts sur la conscience ?

Jésus : Sur la ... ? Non, plutôt à côté... En fait, là. (Il les montre.)

Brigitte II : Bonjour.

Raphaël II : Ne nous faites pas de mal. Vivons en harmonie, Monsieur.

Pascal (pensif) : Ils se sont installés chez toi...

Jésus : Oui, des sans-gêne, des impolis. Ils dérangent.

Pascal (s'asseyant) : Raconte-moi leurs morts.

Jésus : Ah... Il faut...

Pascal : Oui.

Jésus (s'asseyant) : Voilà... Tout a commencé par un choc psychologique majeur pour moi : on m'a volé un million.

Pascal : ...

Jésus : Ça t'épate mais tu fais semblant de rien. Oui, un-mi-lli-on. D'euros. J'avais ça. En réalité, je l'ai encore mais plus pour longtemps. Bref, c'était de la légitime défense. Tu tues ton voleur,  ma foi... il n'avait qu'à se tenir tranquille; s'il n'avait pas eu quelque chose à se reprocher on ne l'aurait pas tué.

Pascal : ... Et l'autre ?

Jésus : L'autre ?

Brigitte II : Moi.

Jésus : Ah. C'était en plus. Tant que j'y étais... Autant régler tous les problèmes d'un  coup.

Raphaël II (humoriste) : D'un sale coup.

Pascal : Et qu'est-ce que tu en as fait de ces morts ? Tu les as brûlés ? enterrés ?

Jésus : Non, non... Ils sont avec le garagiste.

Pascal : ... ?

Jésus (piteux) : Je les ai assassinés mais ils ne sont même pas morts... Ce n'est pas ma faute. J'ai fait ce que j'ai pu. Tout bien, comme dans les téléfilms. (Vindicatif :) Mais eux n'ont pas un chat soudoyé par la ligue anti-alcoolique ! Sale bête. Il a fait chuter les verres avec le petit produit... à effet rapide... C'est le chat de Josiane, il ne m'a jamais aimé.

Pascal (riant) : Mais alors tes morts... ce sont Raphaël  et Brigitte ? Ah oui, ils vont très bien. (De nouveau très psy :) Le cas ne me paraît pas si grave. Tu as des remords...

Jésus : Aucun.

Brigitte II : Tu devrais.

Pascal : Tu devrais.

Raphaël II : Il faut payer la note à sa conscience.

Pascal : Il faut payer la note à sa conscience.

Jésus (exaspéré) : Cesse de répéter tout ce qu'ils disent !

Pascal (étonné) : Ah, ils ont dit...

Jésus : Oui.

Pascal (réfléchissant) : ... Si tu avais des remords, les morts rentreraient en toi, tu ne les verrais plus.

Jésus : Tout ce que je veux, c'est une drogue quelconque qui m'enlève l'hallucination.

Pascal : ... Tu veux retuer tes morts ?

Jésus : Les faire disparaître, c'est tout.

Pascal (réfléchissant) : ... Si tu les retues, tu risques d'en voir de troisièmes exemplaires.

Jésus : Un troisième !

Pascal : Ton acte ne peut pas ne pas avoir existé, un autre acte ne le gommera pas, il s'y ajoutera. Ce qui a été fait est définitif.

Jésus : Mais puisque rien n'est arrivé ! Ils sont vivants, là dehors, avec le garagiste !

Pascal : Oui, mais c'est le chat. Toi tu as commis un crime. Tu les as bien tués, même s'ils ne sont pas morts.

(II, 17) Raphaël (entrant) : Ouf. La discussion avec ce garagiste m'a échauffé. Je ne dérange pas ?

Jésus : Si !

Pascal : Non. On avait fini. (Il se lève.)

Jésus : Mais pas du tout !

Raphaël : Le garagiste a embarqué ma voiture. Et il va revenir chercher celle de Josiane. Selon lui rien ne peut se réparer sur place. C'est un filou !

Josiane (entrant) : Possible mais c'est le seul dans le coin, je ne peux pas me permettre de me brouiller avec lui. (A Jésus :) Il a demandé si tu étais là, j'ai dû répondre que non. Tu aurais pu venir le saluer.

Jésus (noblement) : Je ne salue pas les filous.

Raphaël II : Pour un assassin tu es bien pointilleux.

Raphaël : Il faut dire que c'est un filou au petit pied. Il y a une distance entre les seigneurs et les besogneux.

Jésus : ...

Josiane : Brigitte est fin saoule, heureusement qu'elle habite à côté, je vais la raccompagner chez elle. (Regardant Jésus :) Mais j'aurais besoin d'un bras solide pour la tenir.

Jésus : ...

Pascal : Je viens.

Brigitte II : Faites bien attention à elle.

Raphaël : Je tiendrai compagnie à Jésus.

Jésus (entre ses dents) : La compagnie j'en ai déjà trop. (Haut :) Mais non, va donc avec eux.

Pascal (rigolard à Raphaël) : Vous êtes avec lui même lorsque vous n'êtes pas là.

Raphaël (ému) : Vraiment ? On est amis depuis l'enfance, vous savez... Mais il faut que je lui parle.

Josiane (se souvenant) : Moi aussi... au retour.

Jésus (fâché, à part) : Quel tas de bavards.

(Josiane et Pascal sont sortis.)

(II, 18) Raphaël (encore ému) : C'est vrai que nous sommes des inséparables.

Jésus (agacé) : Mais il ne faut pas croire tout ce qu'il raconte ! C'est un psychiatre... et même pas fichu de donner les bonnes pilules.

Raphaël : Il se trompe dans ses ordonnances ?

Jésus : Il n'en fait pas; comme ça il est tranquille.

Raphaël : La conscience professionnelle dans le monde actuel fout le camp.

Raphaël II : Il n'y a pas qu'elle.

Raphaël : Et le million alors, tu le rends ?

Jésus (énervé) : Oui, oui, je vais le rendre. Laisse-moi le temps. Que je m'habitue à cette perte... irrémédiable... Ah, tous les projets que nous avions ensemble ! Que nous aurions pu être heureux ! J'avais au coeur une petite stagiaire, des cuisses magnifiques, pour le reste je ne saurai jamais, elle vient de Russie, je lui aurais fait découvrir la France par ses palais, ses palaces, ses fêtes, ses soirées... Nous aurions été les princes de la nuit...

Raphaël : Tu crois qu'elle viendra au parloir de la prison ? Je dirai que c'est ta femme pour que tu aies droit à ses visites conjugales.

Jésus : Je vais rendre !... Mais j'ai besoin d'une préparation psychologique... Et également, pour supporter au sujet de... Brigitte...

Raphaël : Après, quand tu la lâcheras, je la consolerai... comme d'habitude...

Jésus : Quelle habitude ?

Raphaël : Quoi ?... Il faut bien que quelqu'un répare les dégâts que tu provoques.

Jésus : Quels dégâts ? Et en quel honneur te mêles-tu aussi de ma vie sexuelle ?

Raphaël : J'ai toujours aimé tes maîtresses. Ce sont les seules femmes qui m'attirent d'ailleurs. Les autres ne me disent rien.

Jésus : Tu as couché avec mes maîtresses ?

Raphaël : Elles m'ont appris à être exactement comme toi. Sandra disait que je suis toi... en moins beau mais en plus gentil... C'est à cause de ces deux défauts qu'elles finissent par me quitter.

Jésus : Et heureusement, entre temps, j'en ai eu une autre, si je comprends bien ?

Raphaël : Sans toi je n'aurais même pas de vie sexuelle. Dis, c'est vrai que c'est fini avec Brigitte ?

Jésus : Ah, Brigitte aussi.

Raphaël : Brigitte surtout.

Brigitte II : Eh bien, elle en court des risques ma petite Brigitte.

Raphaël II : Saoularde comme elle est, elle ne verra pas la différence.

Raphaël : Depuis le temps que j'attends mon tour. Alors ? C'est fini entre vous ? Elle est à moi ?

Jésus : Mais tu es complètement immoral !

Raphaël II (joyeusement) : Ça oui !

Raphaël (mécontent) : Pas du tout; j'aime consoler; je remonte le moral.

Brigitte II : Qu'est-ce qu'il va faire à ma Brigitte ?

Raphaël II Brigitte II) : Tu sais que tu me bottes, toi ?

Brigitte II : Hein ?

Jésus : Je croyais que tu étais un homme rangé, sage, coincé quoi. Un homme qui ne plaît pas aux femmes, donc qui a renoncé aux femmes.

Raphaël : Sauf aux tiennes.

Raphaël II (tentant d'enlacer Brigitte II) : Tu vas être gentille, aussi gentille que Brigitte.

Brigitte II (se débattant) : Hé, je ne suis pas encore larguée !

Raphaël : Si tu savais comme j'ai envie d'être toi avec Brigitte.

Jésus : Mon ami d'enfance est un malade !

Raphaël (ironique) : Qui d'autre qu'un malade pourrait rester ami avec toi depuis l'enfance ?..

Raphaël II : Ça au moins, c'est logique. (Essayant brusquement de renverser Brigitte II) : Viens, ma poule, on fait un peu d'exercice !

Brigitte II : Jésus, au secours !

Jésus (se fâchant contre eux) : On se tient tranquilles, les doubles !

Raphaël : Quoi ?

Jésus (en colère) : Ce n'est pas un bordel, ici !

 

Brigitte II (échappant à Raphaël II) : C'est lui. Un vrai brutal. (Riant  tandis que Raphaël II la course :) Mais il ne s'est pas encore envoyé la petite Brigitte.

Raphaël II (lui courant après) : Ça ne saurait tarder.

Raphaël Jésus) : Bien sûr... Bon... Calme-toi.

Jésus (toujours en colère) : Ma vie est un drame. Mais ce qui me gêne, c'est que tout d'un coup je m'en aperçois.

Raphaël : Je suis sûr que tu te débrouilleras avec la petite stagiaire, tu as toujours su te passer d'un million.

Jésus : Mais j'étais plus jeune.

Brigitte II (attaquée par Raphaël II) : Ah ! Vilain Raphaël !

Raphaël II (l'enlaçant) : Tu vas être me victime. Tu aimes ce jeu-là, je le sais. (Long baiser.)

Raphaël : Je sais que Brigitte est délicieuse dans le jeu de la victime.

Jésus : Tais-toi !

Raphaël : Mais je n'en peux plus d'attendre. C'est mon tour. C'est à moi de jouer !

Jésus : Tu pourrais même me tuer, pour prendre complètement ma place ?

Raphaël (cynique) : Ça ne me donnerait ni ton physique, ni ta muflerie, ta goujaterie, ton inventivité de femme en femme, ta brutalité... enfin tout ce qu'elles aiment. Sans toi ma vie serait morne. J'aime quand tu aimes. Je change quand tu changes. J'hérite de tes inventions. J'ai toutes tes perversités. J'ai tous tes vices. Avec elles je cesse d'être le type quelconque qui n'intéresse personne, je suis toi. Totalement. Ah, Jésus, quelle belle vie tu m'as donnée !

Brigitte II : Ah, Jésus, qu'il embrasse bien.

Raphaël II (la pelotant) : Et j'ai d'autres talents.

Brigitte II : Empruntés.

Raphaël II : Bouououh qu'est-ce que ça fait ?

Jésus : La paix, les doubles ! Toi ici et toi là ! (Il leur indique des coins de la pièce où ils vont penauds.)

Raphaël : Quoi ?

Jésus : Je suis encore le maître, chez moi !

Raphaël  : Sûrement. Tu me donnes Brigitte ?

Jésus Raphaël) : Et toi aussi tu te tiens tranquille ! Tu redeviens le Raphaël que j'ai toujours connu !

Raphaël II (bougon) : Empêcheur de jouir.

Raphaël : Enfin, tu vas réfléchir.

Brigitte II : Dis donc Raphaël , ce que c'était excitant ! (Les Doubles rient.)

Jésus : Je vais te rendre un million; pour le moment cela me paraît déjà énorme !

Raphaël II : Nous, on ne veut pas attendre !

Brigitte II : Non, la vie est trop courte. Et puis on peut disparaître du jour au lendemain si tu as des remords.

Jésus : Vous disparaîtriez ?

Raphaël : Quoi ?

Jésus : Au fait, si tu t'intéresses tant à Brigitte, pourquoi est-ce que tu ne l'as pas raccompagnée ? C'était pourtant l'occasion de faire le gentil.

Raphaël : Mais si je reste seul avec elle, alors qu'elle est fin  saoule, la tentation... tu comprends... et cela risque de nuire à nos relations futures.

Jésus (indigné) : Oh le salaud. Dehors. Va attendre mon million... par là... sous l'orme.

Raphaël : Bon, je te laisse. Je repartirai avec Pascal, alors... tu penses à... ? (Il sort.)

(II, 19) Jésus : Le chantage d'un violeur virtuel, voilà où vous conduit d'avoir voulu rétablir seul la morale salariale. Tout ce travail de toute une vie pour trois sous, et quand l'âge vient, ne même pas pouvoir se payer une stagiaire jeune et jolie. J'ai honte pour le créateur de ce monde.

(Profitant de ce qu'il ne les surveille plus, les doubles se rapprochent lentement.)

Je me sentais plein de vie, de projets, d'espoir; j'avais patiemment créé les conditions de mon nouveau départ dans la vie. A l'âge où les autres se résignent, j'allais de l'avant, frémissant d'énergie, le coeur impeccable métronome de l'aventure, tel un cheval fou, les naseaux au vent, dans une course avec l'avenir, et j'allais la gagner ! Je le sentais !

(Les doubles s'embrassent.)

La réalité allait devenir la soeur du rêve, il y avait juste besoin de deux petits assassinats pour y parvenir, des êtres sans intérêt pour personne; tout le monde doit pouvoir faire le ménage, sinon on est encombré, on est étouffé; il faut se débarrasser de l'encombrant, il faut faire de la place...

(Entre un homme en complet gris, l'air maussade. Les doubles jouent silencieusement, ils se courent après.)

Je me sens déprimé. Qu'est-ce que je vais faire maintenant ?... La maison s'effondre par pans entiers autour de moi. Au-delà le monde s'effondre. Je reste au milieu des décombres. Que je ne déblaierai jamais.

(Apercevant le nouvel arrivant :)

Tiens... Mais c'est Môssieur le chef ! (Ironique :) Alors ça va les vacances ?

Monsieur le chef : Vous m'avez fait mettre en retraite anticipée avec vos allégations mensongères. Je demande réparation.

Jésus (hilare) : Un beau coup sans bavures. Tout le monde s'y est mis. (Changeant de ton :) Maintenant que j'ai la place, ils essaient contre moi, les salauds.

Monsieur le chef : Vous avez ruiné ma réputation, démoli ma...

Jésus : Oui, mais ça, c'est la vie. Pas la mort. Va-t'en. Je ne te dois rien.

Raphaël II : C'est vrai, il vient nous gêner chez nous.

Brigitte II (canaille, pinçant Raphaël) : Respectez notre intimité, Môssieur.

Monsieur le chef : Je ne partirai pas ! Je suis dans mon droit !

(Entrent un garçon et une fille.)

Le garçon : Nous aussi.

La fille : Oui, nous aussi.

Jésus (étonné) : Qui c'est, ces deux-là ?

Raphaël II (perplexe) : Tu as tué aussi des gosses ?

Brigitte II : Quelle horreur !

Monsieur le chef : Rien ne peut m'étonner de sa part.

Jésus : Mais non ! Mais qu'est-ce que vous racontez ! Je ne les connais même pas.

Raphaël II (très inquisiteur, au garçon et à la fille) : Qui êtes-vous ?

Brigitte II : Qu'est-ce qu'il vous a fait ?

La fille : Nous sommes ses deux derniers enfants.

Brigitte II : Il a tué ses deux derniers enfants ?

Le garçon (en larmes) : Il n'a pas voulu de nous.

Raphaël II : Comment ça ?

Monsieur le chef : Rien ne peut m'étonner du monstre.

La fille : Maman, elle, voulait bien.

Le garçon : On avait fini par la convaincre.

La fille : C'était un mauvais père, il n'a pas voulu de nous.

Brigitte II : Alors il vous a tués.

Raphaël II : Il vous a étouffés sous un oreiller, c'est ça ?

Monsieur le chef : Il vous a fait éclater la tête contre un mur. Je vois très bien la scène.

Brigitte II : Et ta mère ne l'a pas dénoncé à la police !

Raphaël II : Elle a eu tort.

Monsieur le chef : C'est sa complice. Une famille de monstres qui m'a piqué ma place.

Jésus : Mais vous délirez ! Je ne les connais même pas ces gosses-là.

Le garçon (plein de rancune ,marchant sur lui, accusateur) : Tu as fait ce qu'il fallait.

La fille (marchant sur Jésus) : Mauvais père !

Monsieur le chef (marchant sur Jésus) : Monstre. Voleur de place !

Raphaël II (accompagnant le mouvement) : m'assassiner moi, passe encore, puisque je ne suis pas mort, mais des gosses !

Brigitte II (au bord des larmes, hystérique, marchant sur Jésus, essayant de prendre des objets - qu'elle ne peut saisir - pour les lui envoyer à la figure) : Ordure ! Ordure !

Jésus : C'est pas vrai ! J'ai rien fait !

La fille (essayant de le frapper) : Mauvais père !

Le garçon (essayant de le frapper - ils ne peuvent évidemment pas mais Jésus essaie de parer les coups) : Toutes nos espérances brisées, tous nos projets.

La fille (essayant de le frapper) : Je n'ai même jamais eu de poupée.

Brigitte II (essayant de le frapper) : Mauvais père ! Ordure !

Raphaël II (essayant de le frapper) : Je voudrais te battre. Que tu sois puni pour ce que tu as commis.

Monsieur le chef (essayant de le frapper) : Je voudrais vous écraser la tête !

Jésus (esquivant) : (Aux enfants :) Je ne vous connais pas. (Aux autres : ) Je ne les connais pas !

Le garçon (essayant de le frapper) : Tu as fait ce qu'il fallait pour ça.

La fille (essayant de le frapper) : On n'est même pas nés !

(Tous les autres sauf elle et son frère s'arrêtent net; Jésus cesse d'esquiver; alors ils s'arrêtent aussi.)

Brigitte II (toute palpitante) : Pas nés ?

Le garçon : Il n'a pas voulu.

La fille : Maman a eu beau lui tendre des pièges, il ne l'a pas fécondée.

Raphaël II : Mais ce n'est pas du tout pareil !

Brigitte II : Ça change tout.

Monsieur le chef (qui n'est peut-être pas de mauvaise foi) : Je ne vois pas la différence.

Jésus : Des enfants, j'en ai déjà deux, c'était amplement suffisant. Etant donné mes capacités paternelles j'estime avoir produit le maximum.

(Josiane entre à cet instant, elle le considère avec surprise; il ne la voit pas.)

Le garçon (têtu) : J'avais le droit de vivre.

Jésus : Il faut exister d'abord, on a des droits ensuite.

La fille : On avait des projets.

Jésus : Lesquels ?

Le garçon : Prendre ta place... Te succéder, quoi.

La fille : Oui, mais dès ma majorité.

Le garçon : Attendre trop n'est pas bénéfique. On s'aigrit...

Jésus (furieux) : Dehors ! Vous n'existez pas. Dehors ! (Il les chasse à grands gestes en marchant sur eux.)

Raphaël II : Il a raison, ce n'est pas un cas comme le nôtre.

(Le garçon et le fille reculent.)

Brigitte II : Nous ne pouvons pas admettre ceux qui n'ont pas existé parmi nous.

Jésus : C'est évident ! Allez, dehors !

(Le garçon et la fille sortent.)

Jésus (voyant Môssieur le chef) : Et vous aussi ! Dehors !

Monsieur le chef (essayant de résister) : Non, moi, je suis un cas tout à fait différent.

Jésus (le chassant avec de grands gestes) : Je ne vous ai que fait virer, c'est ordinaire. C'est la vie. Dehors !

Brigitte II : Comment est-ce qu'il l'avait eue, la place, lui ?

Raphaël II : Oui, il n'est pas des nôtres.

(Môssieur le chef est obligé de sortir.)

Jésus : Ouf ! Plus que deux.

Raphaël II : Mais nous, tu nous as bien assassinés.

Brigitte II : Même si on voulait s'en aller, on ne pourrait pas.

Jésus : Je finirai bien par me débarrasser de vous aussi.

(II, 20) Josiane (brusquement) : Tu parles tout seul, maintenant ?

Jésus (la découvrant) : Ah !... Tu m'as fait peur.

Josiane : Tu te disais un petit monologue en m'attendant ?

Jésus : Je t'attendais ?

Josiane : Tu te souviens que je t'ai dit qu'il fallait que nous parlions ?

Jésus : Non.

Josiane : C'est au sujet de Brigitte et du million que Raphaël t'aurait volé.

Jésus : Du million ?

Josiane (agacée) : Ne joue pas à l'ahuri ! J'ai déjà passé une journée assez pénible !

Jésus : Ah bon ! Et moi alors !

Josiane (comme sans l'entendre) : La voiture qui ne fonctionne pas, le garagiste qui me vole, Brigitte saoule à raccompagner... cinquante mètres, pas d'autres maisons, normalement personne; eh bien là, à deux pas de notre portail, il y avait un car de militaires... prêts en cas de débordement pour la grève des gosses... Ah, la scène ! Malmenée par toi Brigitte a réquisitionné l'aide de l'armée française ! Pascal avait beau la tirer et moi dire : "Elle ne va pas bien. Elle ne va pas bien.", elle résistait et elle leur expliquait : tu l'as virée, comme un vulgaire chef de service, tu ne la baises plus, mais elle est fidèle, elle a des habitudes, elle en veut un tout pareil... Et de détailler les habitudes...

Jésus : Aïe.

Josiane : Comme preuve elle leur a dit : Vous pouvez être sûrs que c'est vrai, voilà sa femme, vous n'avez qu'à lui demander !...

Jésus : Ma pauvre chérie... Tu ne l'as pas crue au moins ?

Josiane : Hein ! Tu me prends pour une idiote ! Depuis notre mariage que ça dure, j'ai eu seize ans pour connaître les détails !

Jésus (à part) : Re-aïe.

Josiane : Enfin, là n'est pas le problème...

Jésus : Ah ?

Josiane : Quand Brigitte et moi nous t'avons choisi et épousé, nous avions nos accords.

Jésus (sur un autre ton, mi-stupéfait mi-scandalisé) : Ah ?

Josiane : Enfin de ton côté tu devais savoir à qui tu avais affaire...

Jésus (déboussolé) : Non.

Josiane : Elle avait aussi besoin d'un homme et moi je voulais des enfants.

Jésus : Ah !

Josiane : Tu as le hoquet ?

Jésus : Je savais pas du tout !

Josiane : Mais tout le monde savait !

Jésus : Ah ?... J'étais le seul à ne pas savoir par-dessus le marché ?

Josiane : ... Mon pauvre chéri, si c'est vrai, comme ce doit être dur pour toi de découvrir tout cela d'un seul coup aujourd'hui ?

Jésus (pris de hoquet) : Ah... ah... ah...

Josiane (maternelle) : Ça va passer... (Réaliste :) Si tu cesses de foutre par terre toute notre petite vie si tranquille.

Jésus : Ah... ah... ah...

Josiane : Brigitte et moi sommes un vieux couple, qui pour son équilibre a besoin de toi.

Jésus : Ah... ah... ah...

Josiane : Nous t'aimons.

Jésus : Ah... ah...

Josiane : Je t'aime, mon chéri.

Jésus : Ah...

Josiane : A ma façon. Brigitte pour le sexe et moi pour la famille, tu as tout. Ne démolis pas une si belle union.

Jésus : Ah...

Josiane : A nous trois, avec nos deux enfants, nous formons une famille parfaite.

Jésus : Ah... ah... ah...

Josiane : Bon, on t'a passé quelques maîtresses... D'ailleurs souvent c'étaient d'abord les miennes...

Jésus (ahuri) : Ah... ah... ah...

Josiane : Vraiment tu ne savais pas ?

Jésus : Ah ! Non ! Ah !

Josiane (pensive) : Et nous qui te croyions si malin. Quelle désillusion pour moi.

Jésus : Ah... ah... ah...

Josiane : Hilares les soldats ! Tes habitudes sexuelles ! Et moi : "Non, elle est malade, elle est malade." Heureusement que Pascal a eu l'idée de dire qu'il était son psychiatre;

Jésus (qui a toujours le hoquet) : Ah... ah...

Josiane : Enfin, voilà le marché. Pascal m'a dit que tu avais des vues sur une stagiaire...

Jésus (stupéfait) : Ah.... Il a... ah... Oh !... Ah...

Josiane : Sans succès, tu vieillis. Et puis je t'ai souvent refilé mes maîtresses...

Jésus : Ah... ah...

Josiane : Alors tu reprends Brigitte et ... pour la stagiaire... je vois de que je peux faire.

Jésus (le hoquet brusquement calmé, lui-même assommé, tombant assis) : Ouh.

Raphaël II (abasourdi) : Ma foi je ne savais pas tout ça.

Brigitte II (abasourdie) : Moi non plus.

Jésus : Moi non plus.

Josiane : Quoi ?

Jésus : Où est Pascal ? Où est ce traître ?

Josiane : Il a donné ce qu'il faut à Brigitte. Il attendait qu'elle s'endorme... Si tu veux, je peux envoyer Raphaël le remplacer.

Jésus : Ah non ! Non ! (A part :) Mais qu'est-ce que c'est que ces gens ? Je ne les connaissais pas. Mais avec qui est-ce que je suis tombé ?

Raphaël II : Le fait est que leur morale me paraît assez flottante.

Brigitte II (rancunière) : Ce n'était pas une raison pour m'assassiner.

Josiane : Ma morale à moi, c'est le bonheur. Alors qu'est-ce que tu décides ?

Jésus : Moi aussi, j'étais heureux. Parce que je ne vous connaissais pas.

Josiane : Au fait, et ce million, qu'est-ce que c'est que cette histoire ?

Jésus (désemparé) : Je veux voir Pascal.

(II, 21) Raphaël (rentrant) : J'en ai marre de me promener dans le jardin. Est-ce que Pascal va bientôt revenir ?

Josiane : Décidément, mon frère est très demandé.

Jésus (les regardant de biais) : Il y a du travail pour lui, ici..

Josiane (étonnée) : Ah ?

Raphaël : Moi ça va.

Josiane : Moi aussi.

Jésus (fâché) : Les urgences prennent le bus. Eh bien arrêt à la station Freud and co. Je comprends maintenant que c'est (Les désignant du menton :) mon environnement qui m'a nui.

Raphaël II : C'est possible, oui.

Raphaël (indigné) : Je n'ai fait que suivre ton exemple !

Brigitte II : Ce n'était pas une raison pour m'assassiner !

Josiane (ironique) : Tu ne vas pas renier le disciple, Jésus !

Jésus : Oh, que j'en veux à ma mère de m'avoir donné un prénom pareil !

Josiane : Elle a dû penser que tu en aurais besoin. Besoin de te rappeler certaines choses...

Jésus : Lesquelles par exemple ?

Raphaël : Tu ne voleras pas.

Raphaël II : Tu ne tueras pas.

Brigitte II : Et la fidélité à sa femme et à sa maîtresse.

Josiane : Ne pas envoyer nos enfants en pension !

Jésus : Oh ! Ce n'est pas dans le lycée dans lequel tu travailles qu'il avaient des chances d'acquérir un bon niveau.

Josiane : Peut-être. Mais ils me manquent.

Jésus : Moi je veux que mes gosses puissent réussir dans la vie !

Raphaël II : Il n'a pas tort.

Brigitte II : J'ai toujours pensé que c'est moi qui initierait le petit.

Jésus : Hein ?

Brigitte II (au bord des larmes) : Mais il l'a flanqué dans une boîte religieuse !

Raphaël II (l'enlaçant) : Mon pauvre chat.

Josiane : Brigitte et moi on s'en serait si bien occupées.

Jésus : Ah, non !

Raphaël : Je les aurais aidées.

Jésus : Quelle horreur !

Raphaël II (caressant Brigitte II) : Heureusement qu'elle a son Raphaël ma petite minette.

Josiane : La vérité c'est que tu es égoïste.

Jésus : Enfin, minette, on en a assez parlé ensemble. On a pris une décision commune.

Josiane : "Tu" as pris une décision commune.

Raphaël : Il fait toujours comme ça.

Josiane : Tu as lâchement abusé du fait que je ne trouvais pas d'arguments valables.

Raphaël : Oh, que c'est bas.

Jésus : Comment "abuser" ! La logique, c'est sensé, quand même !

Josiane : C'est surfait.

Raphaël : Ce n'est pas parce que tu as raison que tu n'as pas tort.

Jésus (abasourdi) : Hein ?

Raphaël II (caressant Brigitte II) : Minette, minette, minette.

Josiane : Je trouve ce qu'il dit plein de bon sens.

Jésus (ahuri) : Quoi ?

Raphaël : Tu es un vrai dictateur.

Josiane : Tu construis des raisonnements inattaquables pour nous complexer. Mais tu ne détiens pas la vérité.

Brigitte II : Oh, pas là la main... Pas tout de suite.

Jésus (appelant, désespéré) : Pascal !

(II, 22) Pascal (entrant) : On m'appelle ?

Jésus : Oui, moi !... (Montrant les autres :) Ils sont horribles !

Pascal (riant) : C'est la famille. (Regardant Raphaël :) Enfin au sens large.

Jésus : Ma femme, ta soeur, elle est, oh et depuis longtemps, elle fait des trucs avec... tu ne vas pas le croire... Brigitte.

Pascal : Ah, elle t'a dit.

Josiane : Je croyais qu'il savait. Toi-même, tu lui en avais sûrement parlé ?

Pascal (flottant) : Oh, c'était il y a tant d'années, je ne sais plus.

Josiane (indignée) : Tu devais !

Jésus : Oui, tu devais !

(Raphaël cherche à se faire oublier.)

Brigitte II : Mon Raphaël, reste convenable voyons, ou le vilain psy va nous faire disparaître.

Pascal : J'aurai oublié... Quoi, ça arrive à tout le monde.

Josiane : Pas à toi.

Jésus : Et sur la stagiaire, pourquoi tu lui as dit ?

Pascal : Oh, c'est venu dans la conversation, c'est tout.

Jésus : Mais tu me devais le secret !

Pascal (logique) : Je ne suis pas ton psychiatre. Du moins payé.

Jésus (indigné) : Et le serment d'Hippocrate ?

Pascal : Laisse ce psycho-rigide hors de nos affaires.

Josiane : Enfin... Et Brigitte, elle dort ?

Jésus : Si les autres pouvaient dormir aussi !

Brigitte II : Hein ?

Raphaël II (s'arrêtant net dans ses entreprises sur Brigitte II) : Il recommence !

Jésus : Je ne recommence pas. Je voudrais une pause dans mon propre cauchemar.

Josiane : Mais, mon chéri, tout va bien. Nous sommes tous heureux... si tu veux.

Jésus (remarquant tout à coup Raphaël) : Et toi, tu  savais ?

Raphaël (gêné) : Hein ? Comment ?

Jésus : Tu savais... Pire, tu savais que je ne savais pas, toi. (Hurlant :) Le Père-la-morale est un salaud !

Raphaël : Je trouve cette affirmation très excessive.

Raphaël II : Moi aussi.

Brigitte II (pelotant Raphaël II) : Tu vas pas être vexé ?

Raphaël II (vindicatif, à Jésus) : Assassin !

Brigitte II : C'est vrai, minou, il n'aurait pas dû te tuer toi non plus.

Raphaël : Tu n'es pas si bien placé pour juger les autres...

Josiane : Ah ça...

Pascal : En effet.

Jésus (éclatant) : Quoi ! Quoi ! C'est moi la victime, moi ! Je suis entouré de menteurs et de traîtres !

Pascal : Du calme, du calme.

Jésus : Quoi ?.. Tu vas me faire enfermer ?

Pascal (froidement) : J'en ai fait enfermer pour moins que ça. A la demande d'une famille, des héritiers, d'une épouse...

Jésus : Quoi ? Quoi ? Tu me menaces ?

Josiane : Il ne te menace pas, mon chéri. Mais c'est mon frère...

Raphaël : Tu ferais mieux de te tenir tranquille.

Pascal (froidement) : Surtout après m'avoir avoué des hallucinations.

Jésus (stupéfait et scandalisé) : Quoi !

Josiane : Il a des hallucinations ?

Raphaël : Ne faudrait-il pas prendre des mesures préventives ? Je m'occuperai de Brigitte.

Raphaël II : Oh. Il ne se gêne pas, mon original.

Brigitte II (le caressant) : L'original ne vaut pas la copie.

Jésus : Qui sont ces gens qui m'entourent ? Je ne reconnais personne. Ce ne sont pas les vrais, sûrement. On les a remplacés par des copies... Et les Doubles alors ?... Des copies de copies... Les vrais n'étaient pas comme ça. Ou bien j'ai vécu dans une illusion pendant des années J'ai eu des enfants avec une illusion. J'ai baisé avec une illusion. J'ai eu des illusions d'amitié... J'étais si heureux, je m'en aperçois maintenant. Et il n'y avait rien de vrai. Rien. Que moi... Et maintenant que je vois le réel, on me menace. Retourne dans l'illusion ou gare... Ils m'exploitaient, tous. Ils y trouvaient leur compte. Ils m'utilisaient pour leurs bonheurs à eux. Si vous ne leur servez plus, ils se débarrassent de vous. A la poubelle, Jésus. Je me croyais maître chez moi, ah ouiche, j'étais le domestique de leurs instincts les plus bas ! Et ils sont là, autour de moi, menaçants, une bande mafieuse.

Pascal (froidement) : Il n'est pas bien.

Josiane Pascal) : Tais-toi. J'y tiens encore.

Raphaël : Il ne vous reviendra pas. Autant en finir. Je m'occuperai de Brigitte.

Jésus : Je ne peux pas croire ce que je vis.

Josiane (gentiment) : Voyons, mon chéri, tu as quelques désillusions, ça arrive à tout le monde, tu t'y feras.

Jésus : Tu ne comprends pas. Avant, "j'étais" le monstre. L'exception dans le monde des normaux. Je ne m'estimais pas, mais vous oui, je vous estimais, vous étiez des modèles de ce que j'aurais voulu être : une bonne épouse pour un mauvais époux, une maîtresse parfaite pour un amant volage, des amis prévenants pour un ami sans scrupules, des gens honnêtes pour un gars douteux. Je voyais ma vie, le tête me tournait; puis je regardais les vôtres et j'étais rassuré, réconforté, la paix revenait... Mais en réalité, c'est tout le contraire ! Vous êtes les monstres ! Et c'est moi le normal ! Alors, ailleurs, tous les autres (Ses bras se tendent vers  le  public.), tous  les  normaux, tous  les  ordinaires, sont comme moi ! Il n'y a plus de recours ! Il n'y a plus d'espoir ! (Les bras finissent de se tendre :) Ils sont moi, partout, j'ai des copies et encore des copies partout, le vrai monde c'est moi tout seul. (Refermant les bras, les mains venant cacher ses yeux :) Quelle horreur !

(Acte III, 23) Josiane (émue) : Mon chéri, allez, souris-moi. Sois comme avant, le brave con que j'ai épousé, qui amuse tous ceux qu'il croit rouler. Un petit baiser. Non ? Mais pourquoi ? Qu'est-ce que je t'ai fait ? Je n'ai rien fait.

Pascal (pensif) : le pire avec le con c'est quand il a une lueur d'intelligence.

Raphaël : Qui se serait attendu à cela de lui ?

Jésus (allant à Raphaël en sortant un chèque de la poche intérieure de sa veste) : Tiens, voilà le million.

Raphaël : Ah, c'est mieux. Merci.

Josiane : Quel million ?

Raphaël : Une affaire entre nous.

Jésus : Je l'avais volé mais je ne serai pas un voleur non plus. Raphaël va arranger ça.

Josiane : Comment "non plus" ?

Pascal : Il le rend vraiment ? Alors il va vraiment mal.

Jésus : ... La stagiaire avait de si belles cuisses... Et je suis incapable de me l'envoyer sans l'aide de ma femme.

Josiane : Quoi, on est un couple, on s'entraide. C'est beau l'entraide.

Brigitte II (câline à Raphaël II) : Entraide-moi, minou.

Raphaël II (câlin) : C'est tout ce que je désire.

Jésus : Je supportais d'être un voleur, un assassin, un coureur, un menteur... Je ne suis plus rien. Et ça, je ne peux pas le supporter.

Josiane : Un assassin ?

Pascal (méprisant) : Raté. Rassure-toi. La justice ne daignerait même pas se pencher sur son cas.

(III, 24) Brigitte (réapparaissant, encore saoule et pas solide sur ses jambes) : On voulait se dé-dé-ba-asser de moi, mais je suis tou-ours là !

Josiane (se précipitant) : Chérie, mais qu'est-ce que tu... Attention, tu vas tomber. (Elle la soutient jusqu'à un fauteuil. Regardant Pascal :) Je croyais que tu dormais paisiblement.

Brigitte : On voulait que je do-o-me. Et puis... (Ricanant :) pfutt... Ton frère, Pa-a-cal, i a mis des... trucs dans mon verre... Et que je me ré-ré-veille pas... (Fixant Pascal :) Il a voulu régler le... le problème Brigitte. Il a voulu... me liquider. (A Josiane :) Jure-moi que... que c'est pas toi qui lui as dit... de ma liquider.

Josiane : Oh, mais non, chérie, on est ensemble pour toujours. Et si je veux te tuer je te promets de le faire moi-même.

Brigitte (désignant Jésus) : Alors, i... i me reprend ?

Josiane : Mais bien sûr, dès qu'il sera remis. Il est déprimé à cause d'une stagiaire qui lui résiste.

Brigitte : Tu vas l'aider ?

Josiane : Naturellement, chérie, je vous aime tous.

Raphaël (pas content) : L'amour exagère. Moi, Brigitte, je m'occuperais très bien de vous.

Brigitte (perplexe) : Ah ?

Pascal (railleur) : Moi encore mieux mais en étant bien payé. J'en ai marre de l'aide gratuite.

Jésus (comme à lui-même) : Je voudrais être comme avant, n'avoir rien vu de ce qu'ils sont, de ce qui m'entoure... Ne pas m'être vu, moi... Je me vois comme si j'étais à l'extérieur de moi, débarrassé de tout ce qui nous permet de nous aveugler, lucide... Oh... Il n'y a pas de marche arrière dans la vie, cette vie a perdu les freins, elle fonce... fonce... Alors je revois toutes mes années, mes actes, mes pensées les plus douteuses se matérialisent devant moi !... Je ne peux plus leur échapper... Je ne suis pas juge, je ne veux pas me juger... Et je sens que je n'y échapperai pas.

(Tous se sont tus et l'écoutent, angoissés.)

Raphaël : Si j'avais su le désastre produit en l'empêchant d'être un voleur, je l'aurais laissé voler tranquille.

Brigitte (presque dégrisée) : I va pas bien.

Josiane Raphaël) : Rends-lui son million et tout s'arrangera.

Raphaël (ému, à Jésus, en lui tendant le chèque) : Tiens, mon vieux, reprends-le. Cet argent, après tout, tu en as vraiment besoin.

Jésus (repoussant doucement le chèque) : C'est trop tard.

Pascal (commentant pour les autres) : On ne rend pas confiance en soi à quelqu'un si facilement.

Josiane : Mais il souffre !

Pascal : Il est en train d'évoluer devant nous. C'est fascinant. Je n'aurais jamais cru qu'il le pourrait.

Brigitte (dégrisée) : C'est comme une chenille dégoûtante qui se change en papillon.

Josiane : Je ne trouve pas mon mari si dégoûtant.

Jésus (ironique) : Un papillon à tête de mort.

(Un temps.)

Raphaël Pascal) : Donne-lui des remontants !

Pascal (froidement) : Trop tôt.

Brigitte : Tu vas le laisser descendre jusqu'où ?

Pascal : Il y est presque. Il touche le fond.

Josiane Jésus) : Je vais te faire du thé, mon chéri, ça t'aidera peut-être.

(Elle sort.

Un temps.)

(III, 25) Jésus (brusquement) : J'en ai assez. Je vais me pendre !

(Il sort.

Pascal, Raphaël, Brigitte, surpris, restent sans réactions.

Les doubles enlacés continuent de regarder les autres.

On entend une chaise qui tombe, un bruit sourd puis un "ah" vite éteint.)

Jésus (rentrant en scène) : Voilà, c'est fait.

(III, 26) Josiane (rentrant avec un plateau sur lequel il y a une bouilloire, des sachets, des tasses dont une fumante; la lui tendant) : Tiens mon chéri, bois ton thé.

Jésus : Tu me vois ?... Et les autres ? (Assentiment de la tête de Pascal, Raphaël et Brigitte.) ... Ah çà, je me suis pendu et tout est comme avant ?

Josiane : Et pourquoi t'es-tu pendu ?

Jésus : Parce que j'étais désespéré. A cause de vous ! Et des Doubles !

Raphaël II : Tu espérais donc nous échapper grâce à ta mort. Tu avais encore un espoir d'échapper. Eh bien, non, ça n'a pas réussi.

Jésus (buvant le thé) : Et je bois.. Mais alors rien n'a changé ! C'est affreux !

Josiane (se  préparant du thé) : Ne  sois  pas toujours si négatif. Pense à ceux qui se ratent, c'est bien pire !

Brigitte : C'est la chenille qui est morte, c'est tout.

Raphaël : Il va falloir découvrir le papillon.

Brigitte II : Moi je ne veux pas mourir, mon Raphaël et moi on veut vivre.

Jésus : Si la mort n'existe pas, il n'y a plus d'issue.

Pascal (ambigu) : Si la mort n'existe pas, il faudrait l'inventer...

Jésus : Oh, toi et des paradoxes, Pascal !

Pascal : Pour faire réfléchir les gens.

Jésus (avec effort, à Raphaël et à Brigitte) : C'est vrai, vous ne savez pas que je vous ai tués, tous les deux.

Raphaël (inquiet) : Moi ? Je me sens bien, pourtant.

Brigitte (inquiète) : La mort rend saoule ?

Pascal : Son presque psychiatre vous apprend que vous êtes vivants.

Raphaël : Ouf, j'ai eu peur.

Brigitte : Moi, ça va parce que je ne réalise pas.

Brigitte II : Mais qu'elle m'énerve cette Brigitte.

Raphaël II (la câlinant) : Ce n'est qu'une mauvaise copie, ma chérie, elle est appelée à vieillir puis à disparaître.

Josiane (qui d'étonnement a cessé de boire son thé) : Et tu les as tués comment, Jésus ?

Jésus : Avec ton poison. (Devant l'air perplexe de Josiane :) Dans ta petite boîte rose.

Josiane : Tu les as tués avec mon sucre en poudre ?

Jésus : Tu disais que je ne devais pas y toucher parce que tu mettais là un vrai poison !

Josiane : Pour ma ligne, chéri, pour ma ligne.

Pascal (se marrant) : Le tueur au sucre en poudre s'est métamorphosé en papillon à tête de mort.

Jésus (après un temps de réflexion) : Alors je pardonne au chat.

Brigitte : J'ai envie de vomir, je crois que je vais être malade.

Josiane (froidement) : Eh bien, tu sais où est la salle de bains.

(Brigitte sort en courant.)

(III, 27) Josiane (reprenant, à Jésus) : C'est pour ça que tu nous fais tout ce cirque aujourd'hui ?

Jésus : ... (Piteusement :) Je suis un assassin...

Raphaël (indigné) : Un ami !... Je crois que je vais prendre un peu de thé pour me remettre bien en vie.

Josiane (narquoise) : Attention, j'ai mis le reste du poison, là. Dans la sucrière.

Raphaël (tendant sa tasse dans laquelle il vient de verser l'eau sur un sachet) : Vas-y, fourre-moi ma dose.

Pascal : Pour moi aussi, s'il te plaît.

(Elle les sert devant les regards scandalisés de Jésus.)

Jésus : On ne plaisante pas avec les choses graves.

Raphaël II : Je suis d'accord avec lui.

Brigitte II (câline) : Moi pareil, mon Raphaël.

Jésus : ... Le pire, c'est que je n'ai pas de remords... Alors je vois leurs doubles.

Raphaël  : Nos doubles ?

Jésus (montrant Raphaël II et Brigitte II) : Là;

Raphaël (qui ne voit évidemment rien) : Des hallucinations ? Ma foi, c'est bien fait. Il y a une justice;

Josiane (agacée, à Raphaël) : Mais qu'est-ce que tu racontes ! Y a rien eu et il est malade ! (A Jésus :) Voyons, mon chéri, tout le monde a pensé assassiner quelqu'un... Moi, toi. Souvent.

Jésus : Et tu me vois en combien d'exemplaires ?

Josiane : Un seul. C'est amplement suffisant.

Raphaël : Ça oui.

Jésus : ... Je voudrais avoir des remords mais je suis juste déçu d'avoir échoué; je ne suis pas humain.

(Les autres boivent en réfléchissant.)

Raphaël II Brigitte II) : Peut-être qu'on est immortels. Après tout, même s'il réussit à éprouver des remords, il a fait ce qu'il a fait.

Brigitte II : Tu crois ?

Raphaël II : Tout  acte est irrémédiable. La vie n'est pas une ardoise sur laquelle on peut effacer.

Brigitte II (amoureuse) : Donc il ne nous tuera pas avec ses remords. On peut s'aimer. (Ils s'embrassent.)

Raphaël (brusquement) : Je crois que j'ai tué pas mal de monde mais je ne me repens pas et je ne vois pas de doubles.

Pascal : Moi pareil.

(III, 28) Brigitte (rentrant) : Ah, le salaud. M'avoir tuée. Moi qui ai toujours été si gentille avec lui.

Josiane (agacée) : Oui; nous en sommes à l'étape comment remettre ton salaud en état.

Brigitte : Cela me paraît simple. (Elle se met face à Jésus, puis hurle :) J'ai pas été gentille avec toi ? J'ai pas été docile ? J'ai pas fait tout c'que tu voulais ?

Jésus (cynique) : Ben non, t'es toujours vivante...

Brigitte (soufflée) : Oh ! Mauvais amant ! Pyromane ! Même pas fidèle à sa femme. Ma pauvre Josy, toi qui es si bien. (A Jésus :) Tu ne nous méritais pas.

Jésus (tranquille) : Non, mais j'm'en fous.

Brigitte (scandalisée, mettant la main sur le coeur de Jésus) : Tu ne ressens rien, là ?

Jésus (tâtant à son tour) : Rien. Aucun remords.

Brigitte Pascal) : Cas désespéré d'amoralité.

Pascal (ironique) : Diagnostic brillant, docteur.

Raphaël (d'un ton décidé) : A moi d'essayer. (Se plaçant à son tour face à Jésus, hurlant :) J'ai pas toujours pris ta défense ? J'ai pas toujours appuyé tes idées ? J'ai pas toujours écarté les récalcitrants ?

Jésus : ...

Raphaël : Eh bien ? Qu'est-ce que tu ressens ?

Jésus (se tâtant le coeur) : Rien.

Raphaël (scandalisé) : Rien ! Pour un si bon ami !

Pascal (railleur) : Un drôle d'ami, quand même. (Il s'est assis dans une position d'observation identique à celle des doubles, au point que l'on croirait qu'il fait partie de leur groupe.)

Jésus : Il ne faut pas aussi que je te remercie pour t'être envoyé toutes mes maîtresses ? (A Brigitte :) Au fait, il a des vues sur toi.

Brigitte (le toisant) : Vraiment ? (Curieuse :) Vous les avez vraiment eues toutes ?

Raphaël : Je console très bien. Je... Je fais tout comme lui... Pareil.

Brigitte (intéressée) : Tout pareil ?

Josiane (venant à son tour se placer face à Jésus d'un pas décidé) : Chéri ? Mon chéri, regarde-moi. Je t'aime, à ma manière, et je sais que tu m'aimes, à ta manière. Sois réaliste : on vivait à trois, avec tes doubles on vivrait à cinq. C'est trop. Il faut t'en débarrasser.

Raphaël II : Il ne peut pas.

Brigitte II : On ne se laissera pas liquider.

Josiane : Fais un gros effort et éprouve des remords.

(Jésus semble se concentrer et faire un gros effort. Tous attendent avec espoir, sauf les doubles.)

Josiane : Alors ?

Jésus (se tâtant) : Rien.

Tous sauf les doubles (déçus) : Oh...

Jésus : Pourtant j'ai fait mon possible. Je n'y arrive pas... Il faut peut-être un don ?... Ou bien un entraînement spécial ? J'ai de la bonne volonté mais la bonne volonté ne suffit pas.

Josiane (exaspérée) : Ah ! Pourquoi ai-je épousé un homme si compliqué !

Jésus (étonné) : Compliqué, moi ?

Pascal (railleur) : Plutôt pas assez. Il n'est pas homme à couper un Double en quatre. Ça débarrasse pourtant, sans créer de nouvelle culpabilité. Ou même en huit.

Brigitte II : Mais j'veux pas être coupée !

Raphaël II : Alors le sadisme le libérerait de nous ?

Raphaël : Alors le sadisme le libérerait d'eux ?

Josiane (d'un ton décidé) : J'ai mieux. Et plus en accord avec lui. Attendez.

(Elle sort.

Un temps.

Jésus se perd dans ses pensées. Pascal observe.)

 

(III, 29) Brigitte Raphaël, chuchotant) : Tout pareil ?

RaphaëlBrigitte, chuchotant) : Je m'impose un entraînement spécial. J'ai des références, vous pouvez demander à Romane, à Bergère, à Sandra, à Charlène, à Alexandra...

Raphaël II Brigitte II) : Mais ce n'étaient pas des amours comme le nôtre...

Brigitte (lorgnant Jésus; hésitante) : Evidemment, si l'original est indisponible...

Raphaël (regardant Jésus) : Il est cassé.

Brigitte II Raphaël II) : Mon chéri, tu crois que l'on pourrait voyager quand toute cette affaire sera terminée ?

BrigitteRaphaël) : On pourrait faire des voyages ?

Raphaël (avec aplomb) : J'adore les voyages !

Raphaël II Brigitte II) : Quel menteur ! Mais moi je ne demande qu'à faire des découvertes.

Brigitte II : Vraiment ?

Raphaël II : Pourvu que ce soit avec toi. (Il l'embrasse.)

RaphaëlBrigitte, en essayant de l'embrasser) : Pourvu que ce soit avec toi.

Brigitte (esquivant  doucement) : Ou  même  s'installer  à Tahiti ? Aux Seychelles ?... Plutôt aux Bahamas !

Raphaël : Oui, commençons par les Bahamas. (Il l'embrasse doucement.)

(III, 30) Josiane (rentrant avec un objet entouré de papier; à Jésus) : Tiens !

Jésus : Qu'est-ce que c'est ?

Josiane : Vacances à Lisieux.

Brigitte : Vous y allez ?

Josiane : Non, on en est revenu. C'était il y a trois ans. (A Jésus :) Puisque je t'ai cassé ton souvenir d'Ibiza, je te donne celui-ci.

Jésus : Qu'est-ce que c'est ? (Il enlève le papier. Une statuette de la Vierge Marie apparaît.)

Pascal : Comme remplacement de pot-de-fleurs, c'est spécial.

RaphaëlJésus) : Tu as l'âme religieuse, toi ?

Jésus Josiane) : ... Si elle existe, elle les voit. C'est ça ?

Josiane Jésus) : Je ne sais pas. Mais à ton avis, elle existe ?

Jésus (rêveur) : ... Ils existent bien, eux...

Raphaël : Ce n'est pas une preuve.

Pascal : Pour lui, peut-être que si.

Brigitte II : Moi je crois qu'elle ne nous fera pas de mal; c'est une gentille.

Raphaël II : Si elle nous expédie aux Bahamas, je n'ai rien contre.

(Silence. Tous attendent tandis que Jésus réfléchit.)

Jésus (gravement, à la statuette) : J'étais un homme sans problème, je suis devenu un homme qui est lui-même un gros problème... Comment peut-on cesser de se sentir coupable quand on ne se repent pas ? Est-ce que tu le sais ?...

Brigitte : Il est vraiment cassé... (S'appuyant contre Raphaël :) Aux Bahamas ?

Raphaël (l'embrassant) : Aux Bahamas.

Jésus (à Marie) : ... Puisque tu es là, apprends-moi... Comment vit-on  avec trois crimes et deux fantômes ?... Est-ce qu'on a le droit de vivre ?...

Pascal (doucement) : Le papillon étend ses ailes.

Jésus : ... Que j'aimerais redevenir stupide, j'étais si bien... (A la statuette :) Dis-moi. Dans tes grandes églises, est-ce qu'il y a encore une place pour un homme comme moi ?...

Pascal : Le papillon bat doucement des ailes.

Jésus (à Marie) : Tu es venue jusqu'à moi par Josiane. Comme elle me connaît bien... Je ne suis pas capable de me repentir, mais je suis capable d'expier, Marie... J'irai où des hommes redeviennent des hommes. Je réapprendrai la vie.

Pascal : Le papillon s'envole. (Dans un souffle, à Josiane :) Au revoir. A demain.

 

(III, 31) Jésus (à Marie) : Il me faut juste trouver le chemin. Comment faire ?

BrigitteRaphaël) : Dis-lui qu'on s'en va.

Raphaël (s'approchant de Jésus) : Voilà. Mon vieux, Brigitte et moi, on s'en va... On va s'installer aux Bahamas.

Jésus (réagissant lentement) : Tous les deux ? Vous installer aux Bahamas ?... Mais avec quoi vas-tu lui payer ça, malheureux ?

Raphaël (un peu gêné mais cynique) : J'ai un million... depuis peu. Adieu !

Jésus (estomaqué) : Mon million ? Voleur !... Il n'y a plus de morale... Il me pique mon million et il se paie ma maîtresse avec ! ... (Raphaël et Brigitte sortent.) Après tout, ça n'a plus d'importance... sauf pour eux... J'ai autre chose à faire.

Raphaël II Jésus) : Je sens que l'on va s'éloigner aussi, tous les deux.

Brigitte II : Mais on ne disparaît pas.

Raphaël II : On peut devenir à tout instant.

Brigitte II : Mon Raphaël il va me faire connaître les Bahamas. (Elle l'embrasse.)

Raphaël II : Ce n'est pas loin.

Brigitte II : On rencontrera peut-être les autres.

(Ils sortent.)

(III, 32) JosianeJésus) : Je me suis tue longtemps pour que tu puisses réfléchir. Mais j'ai besoin de savoir. Est-ce que ça va mieux, Jésus ?

Jésus : Les Doubles sont partis.

Josiane : Partis ? Vraiment ?

Jésus : Ils ne sont pas loin mais ils sont partis.

Josiane : Alors on reprend comme avant ?

Jésus : Comme avant ? Non. Attends.

(Il sort.)

(III, 33) Josiane (seule, à la statuette) : A moi, vous ne me paraissez bien n'être qu'un bout de bois... Mais après tout, si un bout de bois me rend mon mari... S'il divague, au moins cette fois il n'est pas tout seul.

(Un temps.)

(III, 34) Jésus (rentrant en habit de pénitent, la cagoule sur le bras) : Voilà.

Josiane (éberluée) : Qu'est-ce que c'est qu'ça ?

Jésus : Vacances de Séville.

Josiane (un peu railleuse) : Comme neuf. En deux ans, jamais mis.

Jésus : C'est bientôt Pâques. Qu'est-ce que tu dirais d'y retourner ?

Josiane (gentiment) : On y était bien allés pour rien, on peut bien y retourner pour quelque chose.

Jésus (pensif) : Oui. (Un temps. Tout d'un coup mettant la cagoule, il pousse un cri rageur :) Ah !

 

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